Dictionnaire de théologie catholique/ORGUEIL

Dictionnaire de théologie catholique
Letouzey et Ané (Tome 11.2 : ORDÉRIC VITAL - PAUL (Saint)p. 138-150).

ORGUEIL. — Ce mot traduit la superbia des théologiens. On le préfère au substantif superbe qui signale un accompagnement de faste et de vaine gloire, étranger au sens théologique du vocable latin ;

au reste, la qualité française de superbe est-elle moins authentique que celle d’orgueil. Par ce dernier mot, Bossuet et Pascal ont traduit la superbia de saint Jean et de saint Augustin ; plus généralement, ces auteurs et d’autres ont usé du mot d’orgueil comme du correspondant français de superbia. Voir : Littré, Dictionnaire de la langue française, aux mots : orgueil, superbe. — I. Origine de la notion morale d’orgueil. II. Élaboration théologique de la notion morale d’orgueil (col. 1414).

I. Origine de la notion morale d’orgueil. — 1° Morales antiques.

Le catalogue des vertus et

des vices établi par Aristote au IIe livre de l'Éthique Nicomachécnne ne comprend ni l’humilité ni l’orgueil. La vertu la plus semblable à l’humilité serait celle-là que le Philosophe députe aux honneurs médiocres, et qui est à la magnanimité comme la libéralité à la magnificence ; elle n’a du reste point de nom. L’homme qui la pratique et se retient de poursuivre les honneurs qu’il ne mérite pas est cependant désigné comme tempérant — owçpcov, temperatus — en un texte que saint Thomas d’Aquin a remarqué (Elh. Nie., IV, 10, 11256, 13 ; Comm. saint Thomas, t. IV, lect. xii), et dans lequel ce théologien discerne une annonce de la vertu d’humilité : Philosophus in IV Ethicorum cum qui tendit in parva secundum suum modum dicit non esse magnanimum sed temperatum : quem nos humilem dicere possumus. II '-IF 3, q. clxi, a. 4. Mais ce n’est ici de la part de saint Thomas qu’une accommodation, attendu qu’il ne tient ni comme orgueil ni comme contraires à l’orgueil les vices opposés à cette vertu, et qu’il connaît sous les noms de pliilolimia et d’aphilotimia, In II Eth. Nie., lect. ix, signalés derechef en une étude sur la magnanimité, IIa-IIæ, q. cxxix, a. 2.

Par accident, la traduction latine de l'Éthique Nicomachécnne dont usait saint Thomas porte une fois le mot superbus : Videtur autem et superbus esse audax et fictor fortitudinis. In III Eth. Nie., lect. xv ; cf. IP-II 33, q. clxii, a. 7, ad 5um, par quoi est traduit le grecàXaÇtàv (Eth. Nie., III, 10, 11156, 29), dont le dérivé àXaÇovela est ailleurs traduit par jactantia II, 7, 1108a, 21 sq. ; S. Thomas, t. II, lect. ix ; IV, 13, 1127a, 13 sq. ; S. Thomas, t. IV, lect. xv). Aristote oppose du reste ce vice à la vertu de vérité et c’est sous le nom de jactantia qu’il sera en effet introduit dans la morale thomiste : IF-IF 3, q. cxii. Saint Thomas a expressément avoué le défaut de la vertu d’humilité, d’où se déduit la notion de l’orgueil, en la morale d’Arislote et l’on sait qu’il n’est guère enclin à appauvrir le Philosophe : Philosophus intendit agere de virtutibus secundum quod ordinantur ad vitam civilem in qua subjectio unius hominis ad alterum secundum legis ordinem determinatur et ideo continetur sub justilia legali. Humilitas autem, secundum quod est specialis virtus, præcipue respicit subjectionem hominis ad Deum, propter quem etiam aliis humiliando se subjicit. IF-II 33, q. clxi, a. 1, ad 5°, n. Ces observations nous disposent à mieux entendre le trait selon lequel se signalera singulièrement l’orgueil. Comme l’humilité n’est point spécialement vertu de la cité terrestre, ainsi l’orgueil troubler a-t-il plus que le bon ordre des hommes entre eux ou de l’homme avec soi.

Le mot de superbia est fort commun dans la littérature latine, et il y désigne de préférence cette excessive élévation de l'âme et cette grandeur immodérée que nous entendons aussi sous le mot d’orgueil. On tient la superbia pour un vice : mais le mot n’a pas été soumis, semble-t-il, à un traitement technique qui lui fixât un sens distinct parmi ce vaste désordre de l’amour des grandeurs où la théologie catholique devait introduire tant de discernement. Et il n’ap paraît pas que l’on blâme jamais dans la superbia cette rébellion contre Dieu qui sera la maire singulière de l’orgueil en cette même théologie.

Écriture sainte.

En maints endroits de l’Ancien et du Nouveau Testament est recommandée

l’humilité, comme est blâmé l’orgueil. On le fait en des termes de morale commune, par exemple, Tob., iv, 14 ; Prov., xvi, 18 ; Eccli., x, 9 ; xxxii, 1 ; plus précisément, on signale la particulière répugnance de l’orgueil à Dieu, Prov., xvi, 5 : Abominatio Dei est omnis arrogans ; I Pet., v, 5 : Omnes autem invicem humilitalem insinuate, quia Deu- ; superbis resistit, humilibus autem dat gratiam ; Jac, iv, 6 : Propter quod dicit : Deus superbis resistit, humilibus autem dat gratiam. Le texte cité en ces deux derniers endroits est celui de Prov., iii, 34, d’après la version des LXX. Cf. Jac, iv, 10. Sur ces versets de Jac, voir le commentaire de J. Chaîne, L'épltre de saint Jacques, Paris, 1928 : la théologie catholique devait remarquer ce spécial rapport de l’orgueil avec Dieu. En des textes qui devaient faire loi et être infiniment commentés, l’Ecclésiastique a enseigné une certaine primauté de l’orgueil sur tous les péchés : Quoniam initium omnis peccati est superbia, x, 15 ; Initium superbise hominis apostatare a Deo, x, 14. L’un des signes du Messie, selon que l’annoncent les Psaumes, par exemple xxi, 7, et Isaïe, notamment c lui, est son extraordinaire abaissement ; les évangiles relèvent le même trait ; et saint Paul a magnifiquement célébré l’exemple incomparable de l’humilité du Sauveur, Phil., il, 5-8. Cassien et après lui saint Grégoire le Grand ont ingénieusement mais efficacement opposé, par un choix de textes scripturaires, l’orgueil du diable et l’humilité de Notre-Seigneur (cf. in/ra). L’enseignement du Sauveur a confirmé son exemple.

Les auteurs ecclésiastiques et les Pères.

On voit

comme la notion morale d’orgueil obtient dans l'Écriture une force et une valeur inconnues soit des philosophies soit des consciences païennes. En méditant sur cette révélation, la tradition chrétienne découvre ou signale certains traits de l’orgueil, par où se prépare la définitive élaboration théologique de cette donnée révélée.

1. Saint Augustin a proposé de l’orgueil une définition désormais célèbre : Quid est autem superbia nisi pcrversiv celsitudinis appelitus ? Perversa enim celsitudo est, deserto eo cui débet animus inhserere principio, sibi quodammodo fteri atque esse principium. Hoc fit cum sibi nimis placet. Sibi vero ita placet, cum ab illo bono immulabili déficit quod ei magis placcrc debuit quam ipse sibi. De civitate Dei, t. XIV, c. xiii, P. L., t. xli, col. 420. Une telle définition signale en l’orgueil cette substitution que l’on fait de soi à Dieu, qui est, en effet, la nature singulière de l’orgueil. Cf. ibid., I. XIX, c.xii, col. 639 : Sic enim superbia perverse imitatur Deum etc. L’orgueil est un péché spécial, et tellement qu’il se rem outre jusque dans des actions d’ailleurs vertueuses ; tous nos péchés ne procèdent pas de l’orgueil. De natura et gratia, xxix, 33, t. xliv, col. 203. Que l’orgueil soit le commencement de tout péché, ainsi que le veut Eccli. (cf. supra), il faut l’entendre en ce sens que le diable, qui tente de renverser l’homme, a lui-même succombé à l’orgueil (ibid.) ; ce péché de plus a été celui de nos premiers parents, De civ. Dei, t. XIV, c. xiii, t. xli, col. 420, et nous en héritons dans le péché originel, Enchiridion, xlv, t. xl, col. 254. Sur ce dernier point, voir Kors, La justice primitive et le péché originel, le Saulchoir, 1922, p. 17-18. Il est utile à l’orgueilleux de tomber en un péché manifeste d’où il puisse tirer remède pour son orgueil, De civ. Dei, t. XIV, c xiii, t. xli, col. 422.

2. Cassien a exposé une doctrine importante de l’orgueil. Le suprême combat, une fois défaits les

sept premiers vices, se livre contre l’orgueil, de nos maux le plus ancien et le dernier guéri. Selon qu’il tente les parfaits ou les commençants, l’orgueil est spirituel ou charnel. L’orgueil spirituel semble être, selon Cassien, celui de l’homme vertueux qui s’attribue à soi-même sa perfection, méconnaissant ainsi la nécessité du secours de Dieu. Il fut le péché de l’ange et du premier père. A la différence de tout autre péché il s’oppose à Dieu même : Hsec vero proprie perlingit ad Deum et ideirco eum specialiter digna est habere contrarium. De cœnobiorum institutis, t. XII, c. vii, P. L., t. xlix, col. 435. On n'échappe à cet orgueil qu’en répétant à chaque progrès dans la vertu : Non ego sed gratia mecum ; gratia Dei sum id quod sum. lbid., c. ix. En ces explications se découvre à merveille le rapport d’une notion morale inconnue des philosophes avec la doctrine chrétienne de la nécessité du secours divin et de la grâce. Au lieu que les autres vices ruinent une seule vertu, l’orgueil les ruine toutes. Ibid., c. ni. Dieu châtie l’orgueil en permettant que l’orgueilleux tombe dans les vices de la chair, selon que l’enseigne saint Paul aux Romains. Ibid., c. xxi-xxii. Cassien distingue cet orgueil de la vaine gloire ; mais ces deux vires sont ensemble séparés des six autres, et ils ne fructifient que lorsque ceux-là sont arrachés. Collât., V, x. P. L., t. xlix, col. 022-624. L’orgueil charnel est celui qui rend le moine désobéissant, âpre, cupide, etc. Cette partie de l’exposé de Cassien se recommande par la description précise, piquante, judicieuse de ces moines pleins d’eux-mêmes.

3. On sait que saint Benoit a réduit l’essentiel de son ascèse dans le chapitre vu de sa liègte, où sont décrits les douze degrés d’humilité. Sous ce nom, il ne s’agit pas seulement des actes de cette vertu spéciale ; mais il est signalé que la volonté propre est cela qui oppose le plus grand obstacle à la charité. Et cette pe/isée n’est pas sans parenté avec celle de la théologie qui attribuera à l’humilité et à l’orgueil une certaine primauté, chacun en son ordre. P. L., t. lxvi, col. 372 sq. Voir dom Baker, Sancta Sophia, le chapitre sur l’humilité.

4. L’orgueil, selon saint Grégoire le Grand, est le roi suprême de cette armée du vice, dont les chefs sont les sept vices principaux. Quand l’orgueil a conquis un cœur, le reste suit : Ipsa namque vitiorum regina superbia cum devictum plene cor cœperit, mox illud seplem principalibus vitiis quasi quibusdam suis ducibus devastandum tradit. Quos videlicet duces exercitus sequitur… Radix quippe cuncti mali superbia est de qua, Scripti.ra attestante, dicitur : Initium omnis peccali est superbia. Primæ autem ejus soboles, septem nimirurn principalia vitia… Moralia, t. XXXI, c. xlv, P. L., t. i.xxvi, col. 620-623. L’idée d’une certaine primauté de l’orgueil est donc reprise ici ; cf. ibid., I. XXXIV, c. xxin : Nulla quippe mata ad publicum prodirent nisi hsce mentem in occulto constringeret. P. L., ibid., col. 744. La division de Cassien n’obtient pas chez saint Grégoire un égal relief ; mais notre auteur reconnaît en revanche quatre espèces d’arrogance, que retiendra la théologie postérieure. L. XXIII, c. vi, col. 258-259. Par-dessus tout, saint Grégoire décrit une psychologie de l’orgueilleux, I. XXXIV, fin du c. xxii et c. xxin. Plusieurs traits sont empruntés à Cassien, d’autres sont originaux : l’ensemble est inimitable. Les variétés de l’orgueil, les signes où il se trahit, ses effets secrets et manifestes, saint Grégoire excelle à les dénoncer, jusqu'à ce trait d’un puissant raflinement : Hsec in eo quod sponte non appétit nulla exhortatione flectitur, ad hoc autem quod latenter desiderat quærit ut cogatur quia dum metuit ex desiderio suo l’ilescere, optât vim in sua voluntate tolerare. P. L., t. lxxvi, col. 747. On ne peut espérer retrouver dans les morales plus systématiques des théologies posté rieures cette collection d’observations vives, et que la réflexion n’a pas encore dépouillées des charmes <'.e l’expérience. A l’imitation de Cassien, saint Grégoire exploite avec beaucoup l'éloquence et dans un mouvement fort pathétique l’enseignement de l'Écriture sur l’orgueil du diable et l’humilité de Jésus-Christ. Ibid., P. L., t. lxxvi, col. 718-749. Cf. Cassien, De cœn. inst., XII, viii, P. L., t. xlix, col. 435-436. Entre les etïels de l’orgueil, saint Grégoire a singulièrement signalé cette impuissance où est réduit l’orgueilleux de goûter encore la saveuf de la connaissance : l’orgueil induit en maintes erreurs, mais cela même qu’il laisse connaître en vérité, il ne permet pas qu’on en perçoive la douceur : Qui elsi sécréta quædam intelligendo percipiunt, eorum dulcedinem experiri non possunt ; et si noverunt quomodo sunt , ignorant, ut dixi, quomodo sapiunt. Mot., t. XXIII, c. xvii, P. L., t. lxxvi, col. 269-270. Sur ce point, saint Grégoire abonde ; et l’on ne sera pas surpris que saint Thomas ne l’ait pas négligé en sa théologie.

5. Saint Isidore a brièvement traité de l’orgueil. Sententise, II, xxxviii. P. L., t. lxxxiii, col. 639-640. La gravité suprême de l’orgueil vient des personnes qui le commettent, des vertus d’où il procède, de sa dissimulation. Il est plus grave que la luxure, bien que moins honteux ; la luxure sert de remède à l’orgueil. Tout pécheur est orgueilleux, méprisant le précepte divin dans son péché : ainsi faut-il entendre Eccli, x, 15. Principe de tout péché, l’orgueil est aussi la ruine de toute vertu. L’ange est tombé par orgueil. Thèmes remarquables, mais bruts, et que la théologie affinera. — L'étymologie du mot au 1. X des Ety mologiæ, P. L., t. lxxxii, col. 393 : Superbus dictus, quia super vult videri quam est ; qui enim vult supergredi quod est, superbus est.

6. On retrouve dans l’opuscule de saint Bernard, De gradibus humilitatis, P. L., t. clxxxii, col. 940 sq. cette prééminence de l’orgueil entre tous les vices, attestée jusqu’ici par tant d’auteurs. Ce traité, on le sait, est une reprise des douze degrés de l’humilité selon saint Benoît, mais considérés selon l’ordre inverse, c’est-à-dire comme les douze degrés descendants de l’orgueil, le premier degré de l’orgueil correspondant au douzième de l’humilité, etc. Ici, comme en saint Benoît, il ne s’agit pas rigoureusement de ce vice ni de cette vertu, mais il demeure remarquable que l’on décrive l’accès à la vie spirituelle en ces termes-là. L’humilité conduit au premier degré de la vérité qui est la connaissance de soi-même ; d’où l’on passe au se : ond, de la connaissance miséricordieuse du prochain ; d’où l’on passe au troisième, de la pure contemplation de Dieu. En contrariant l’humilité, l’orgueil est donc l’obstacle radical de la perfection : Qui ergo plene veritatem in se cognoscere curât, necesse est ut semota trabe superbiæ quæ oculum arcet a luce, ascensiones in corde suo disponat, per quas seipsum in seipso inquirat, et sic posl duodecimum humilitatis ad primum verilatis gradum pertingat. P. L., col. 949-950.

Maints autres auteurs ont écrit sur l’orgueil avant l'âge des systèmes théologiques. Nous avons relevé ceux-là de qui la théologie devait principalement s’inspirer. L’orgueil, proposé comme nous venons de voir, sera désormais soumis à des analyses et traité selon des méthodes qui nous livreront de cette chose morale la connaissance théologique la plus accomplie.


II. Élaboration théologique de la notion morale d’orgueil. —

Nous exposerons la doctrine de l’orgueil selon saint Thomas d’Aquin, principalement Sum. theol., II' l -lI a ', q. clxii ; D, q. lxiii, a. 1-3 ; IF-II 08, q. clxiii. Cajétan a commenté le Maître avec une sûreté et une sagacité qui semblent porter à son point extrême l'élaboration théologique. Nous proposerons en conclusion les remarques qu’appellent

les contributions ultérieures à la théologie de l’orgueil.

Définition de l’orgueil.

1. Le mot de superbia,

de soi, ne signifierait pas un péché. Il désigne, selon l'étymologie, surabondance ou surcroît. Les classiques latins l’emploient souvent en ce sens ; mais saint Thomas se contente de renvoyer à ce texte d’Isaïe dans la Vulgate : Ponam te in superbiam sxculorum, gaudium in generatione et generationem. Is., lx, 15. L’usage néanmoins, attesté aux yeux de saint Thomas par saint Isidore (cf. supra), attache à ce mot le sens d’un surcroît immodéré, d’une surabondance déréglée, dans l’excellence que l’on se désire à soimême. Cette détermination imposée par l’usage au sens du mot est un fait dont il ne reste au théologien, comme à tout autre, qu'à prendre son parti. Mais il importe au théologien de marquer qu’une telle signification, quoi qu’il en soit du mot, rencontre ce qui est.

L’homme désire naturellement d'être bon ; dès lors, de trouver une perfection pour soi en tout bien qu’il veut, voire en toute action qu’il exerce. La plénitude et l’achèvement de son être propre en tout bien possédé comme en toute action accomplie sont ce qu’on appelle l’excellence, Quæst. disp. de malo, q. viii, a. 2 : Inler alia autem quai homo desiderat [naturaliter ] unum est exailentia. Naturelle enim est non solum homini sed etiam unicuique rei ut perfectionem in bono concupito desideret quæ in quadam excellentia consistit. Cf. D-II" 3, q. lxxxiv, a. 2 : Finis autem in omnibus bonis temporalibus acquirendis est ut homo per illa quamdam perfectionem et excellentiam habeat. Il n’est rien de mauvais en l’excellence même, comme en aucun des objets de l’appétit naturel. Il advient seulement que l’appétit, à l’endroit de cet objet comme de tout autre, se dérègle : et de même que l’on désire immodérément la nourriture, par exemple, on désire immodérément l’excellence. Ce dérèglement-là de l’appétit naturel est gourmandise ; celui-ci est orgueil.

Ainsi rejoint-on la réalité que le mot, selon l’usage, signifie. En un système doctrinal, une telle observation est aussitôt élaborée selon des considérations générales et notamment celle-ci : qu’un certain vice est contraire à une certaine vertu. A quelle vertu s’oppose l’orgueil ? Il peut apparaître comme un excès de magnanimité. Cette vertu, on le sait, emporte l'âme vers la grandeur. Un tel mouvement est susceptible d’excès, lequel semble rencontrer assez exactement le dérèglement de l’orgueil. Saint Thomas ne nie pas que l’orgueil puisse être opposé d’une certaine façon à la magnanimité. Mais il tient que l’orgueil comporte supériorité : en quoi il précise le dérèglement dont il s'était agi jusqu’ici. Et, parce qu’il comporte supériorité, plus directement qu'à la magnanimité l’orgueil s’oppose à l’humilité : car le mouvement propre de cette vertu est de modérer l’espérance inconsidérée de l'âme, donc de tenir l'âme en sujétion. L’orgueilleux qui veut immodérément son excellence, ne supporte pas d'être sujet. — Par une complication due aux exigences systématiques, saint Thomas s’inquiète de trouver à l’orgueil, déréglé par excès, un vice contraire déréglé par défaut. Et il députe à cette fonction une certaine pusillanimité, non celle-là qui s’oppose à la magnanimité et consiste à ne point poursuivre les grandeurs raisonnables, mais celle-ci qui s’oppose à l’humilité et applique l'âme à des choses viles et indignes d’elle. Ce vice est à l’humilité comme l’insensibilité à l’intempérance : défauts l’un et l’autre, et moins répandus, certes ! que les excès contraires. Ceux-ci sont imposés par l’universelle expérience ; ceux-là obtenus davantage, on l’a dit, par déduction systématique.

Il ne se peut que l’orgueil, ainsi entendu, n'érige

point l’homme contre Dieu. Saint Thomas le déduit au nom de l’opposition de l’orgueil à l’humilité. La révérence divine et la sujétion de l’homme à Dieu sont en effet un trait essentiel de l’humilité, nous l’avons relevé. Et cette attribution n’est pas arbitraire, car, en définitive, modérer ses folles prétentions, qui est certes l’idée la moins contestable que l’on puisse avoir de l’humilité, c’est se conformer au partage des biens voulu de Dieu ; et le respect de l’ordre divin constitue la raison propre et dernière d’où l’humilité reçoit sa justification. Saint Thomas s’en explique exprès en un texte où il compare l’humilité avec la magnanimité : In rc/renando præsumptioncm spei, quod pertinet ad humilitatem, et in firmando animum contra desperationem, quod pertinet ad magnanimitatem, est alia et alia ratio. Nam ratio firmandi animum contra desperationem est adeptio proprii boni : ne, scilicet, desperando, homo se indignum reddat bono quod sibi competebat. Sed in reprimendo præsamptionem spei, ratio præcipua sumitur ex reverentia divina, ex qua contingit ut homo non plus sibi attribuât quam sibi competebat secundum gradum quem est a Deo sortilus. Unde humilitas præcipue videtur importare subjectionem hominis ad Deum. IP-II 33, q. clxi, a. 2, ad3um. Ce respect de l’homme pour la divine distribution des biens fournit la raison maîtresse pourquoi l’homme se retient vertueusement de prétendre à cela qui le dépasse : et c’est pourquoi le trait principal de l’humilité est la soumission de l’homme à Dieu. Inversement, l’orgueil comporte l’insoumission de l’homme à Dieu : Humilitas proprie respicit subjectionem ad Deum, ut supra dictum est. Undee contrario superbia proprie respicit de/ectum hujus subjectionis. IIa-IIæ, q. clxii, a. 5. Mais, comme on n’a pas arbitrairement considéré en l’humilité la soumission, ainsi cette insoumission n’est-elle pas non plus sans raison attribuée à l’orgueil. Car l’appétit démesuré de l’excellence y comprend une infraction à la règle divine et le refus de la distribution des biens voulue de Dieu : …secundum scilicet, poursuit saint Thomas après l’endroit cité, quod aliquis se extollit supra id quod est sibi præfixum secundum divinam regulam vel mensuram. Il ne faut point dire en ce cas que l’amour orgueilleux de l’excellence soit de nature à conduire l’homme, le cas échéant, jusqu’au mépris de Dieu ; mais bien que l’on ne poursuit cet objet que pour avoir d’abord méprisé Dieu. Il n’est pas possible de se méprendre sur la pensée de saint Thomas. En ce sens, il interprète l’aphorisme de l’Ecclésiastique, x, 14 : Initium superbiæ hominis apostatare a Deo : Scilicet, commente-t-il, in hoc radix superbiæ consideratur qund homo aliqualiter non subditur Deo et régulas ipsius(ibid.) : et dans un autre endroit : Apostatare a Deo dicitur esse superbiæ humanæ initium, non quasi aliquod aliud peccatum a superbia existens, sed quia est prima superbiæ pars. Dictum est enim quod superbia principaliter respicit subjectionem divinam quam contemnit : ex consequenti autem conlemnit subjici creaturæ propter Deum. IIa-IIæ, q. clxii, a. 7, ad 2 Llm ; cf. P-II 86, q. lxxxiv, a. 2, ad 2um. Dans le même sens, il tient que l’orgueil est toujours contraire à la charité : Superbia semper quidem contrariatur dilectioni divinæ inquantum scilicet superbus non se subjicit divinæ regulæ prout débet. IP-II 88, q. clxii, a. 5, ad 2 UI ". Dans le même sens enfin, il déclare que l’acte propre de l’orgueil est le mépris de Dieu : …ad superbiam pertinet, eu jus aclus estDei contemptus. II’i-II 113, q. clxii, a. 6 ; cf. ibid., a. 2 : Per superbiam homo contemnit divinam legem per quam prohibetur a peccato, secundum illud Jer. il : Confregisli jugum, dirupisli vincula, dixisti : Non serviam.

En cela, l’orgueil se distingue de tout autre péché. De quelque façon, tout péché est un mépris de Dieu ;

mais l’orgueil l’est d’une façon singulière. Car, dans les autres péchés, on n’enfreint la loi de Dieu que par ignorance ou par passion ou pour l’amour désordonné de quelque bien périssable ; on enfreint la loi, certes, et c’est pourquoi l’on pèche, partant l’on méprise Dieu : mais ce sont ces causes-là, auxquelles le mépris est étranger, qui conduisent à pécher ; bien plutôt souhaiterait-on que l’acte accompli ne séparât point de Dieu. Dans l’orgueil, on refuse directement de se soumettre à Dieu ; l’autorité de Dieu et le précepte divin sont cela même de quoi l’orgueilleux ne veut plus. Ainsi le requiert, notons-le bien, cette supériorité même que l’on a dit tout à l’heure caractériser l’orgueil. Vouloir se dépasser, en l’espèce, ne ressemble pas à vouloir forniquer : en ce dernier cas, le pécheur transgresse la règle divine selon l’objet qu’elle interdit ; dans le premier il transgresse la règle divine en sa fonction même de règle. Car la règle, selon sa fonction, mesure ce qu’elle règle : et c’est précisément le refus d'être mesuré que trahit un tel vouloir. En tout autre péché, la rupture de l’ordre, par quoi l’on veut assouvir une passion, contenter une habitude, à moins que l’on ne cède à quelque ignorance, ne signifie que l’attrait prépondérant d’un bien périssable ; en celui-ci, où l’on ne prétend que supérieurement exceller, elle dénonce la rébellion de l’homme contre Dieu. Nous glosons de tout près saint Thomas : In aliis peccatis, homo a Deo avertitur vel propter ignorantiam, vel propter infirmitatem, sive propter desiderium ciijuscumque alterius boni : sed superbia habet aversionem a Deo ex hoc ipso quod non vult Deo et ejus régula' subjici. Et notre auteur de citer, sous le nom de Boèce, une pensée de Cassien ad sensum où s’exprime exactement le sentiment traditionnel : Cum omnia vitia fugiant a Deo, soi superbia se Deo opponit. De cœn. inst., t. XII, c. vii, P. L., t. xlix, col. 431-435. Et c’est à quoi se réfère, estime-t-il, cette spéciale résistance de Dieu à l’orgueil enseignée par l'Écriture : Deus superbis resistit. II*-II æ, q. clxii, a. fl.

Cette analyse nous conduit à penser qu’on n’entend exactement en ceci la langue de saint Thomas que si l’on restitue à ce mot à'excellentia sa valeur superlative. Le verbe latin est souvent employé chez les classiques avec cette valeur et désigne une singularité dans l’excellence : exceller ne souffre aucune comparaison. Notre mot français, en l’usage ordinaire, a perdu cette signification extrême ; et Littré tient qu’il ne le comporte même pas de soi. Cependant, ce philologue remarque : « A cause du haut degré d'éminence qui est dans excellent, des grammairiens ont dit que ce mot ne comportait pas de degrés de comparaison. » Dictionnaire de la langue française, au mot Excellent. Un grammairien contemporain, M. Abel Hermant, rejoint pour son compte, par-dessus Littré, ses délicats ancêtres, Xavier ou les Entretiens sur la grammaire française, Paris, 1928, c. vi.

Cajétan a commenté saint Thomas dans le même sens : et ce théologien estime que l’orgueil comprend l’insoumission à Dieu. Comme le Maître, il en raisonne par comparaison avec l’humilité dont la racine est le respect de Dieu : Et quoniam divina reverentia radix est humilitatis, subaudiendus est in his ordo divinse reverenliæ : ita ut humilitas sit virlus qua homo, ex divina reverentia se con/erens Deo, in omnibus se habet ut subditus ; superbia vero vilium quo homo, divina objecta reverentia, in omnibus seu communiter se habet ut celsus. In II am -II x, q. clxii, a, 1, n. vi. Cf. ibid., a. 5, n. m et v. Le mépris de Dieu, précise-t-il ailleurs en sa langue exacte, est compris dans la raison constitutive du genre orgueil : Intrans rationem constitutivam nui generis. Ibid., a. 6, n. n. Et tant que l’appétit désordonné de la propre excellence ne procède point de ce mépris de Dieu, on n’a pas affaire avec ce qui

est formellement l’orgueil : Appetitus inordinalus propriæ excellentiæ si non sic ordinatus est quod ex aversione a Deo sit, non spectat ad superbiam formaliter. sed materialiter tantum et reductive. Ibid. Saint Thomas ne signale pas dans les mêmes termes ces deux acceptions de l’orgueil : mais, en avouant une opposition de l’orgueil à la magnanimité (cf. supra), il a reconnu, semble-t-il, la réalité même que le commentateur dénomme orgueil matériel ; quant à l’orgueil formel, il est ce que saint Thomas entend par orgueil, sans plus.

Niera-t-on que cet orgueil soit un vice humain ? L’impatience d'être sujet et le mépris de l’autorité même divine ne sont-elles pas choses d’expérience commune ? Cajétan, qui signale ce caractère, distingue de l’orgueil ainsi entendu celui qui prétendrait, non pas seulement se soustraire à l’autorité de Dieu, mais exceller sur Dieu même : d’une part, non subjici Deo, de l’autre, præesse Deo. Il est constant, dit ce théologien, que le mépris de la soumission à Dieu est l’un des vices humains ; mais vouloir exceller sur Dieu est exorbitant : ce n’est plus même un vice, mais une monstruosité inhumaine et plus que diabolique : rares, infiniment, en sont les possédés. In II am -II æ, q. CLxii, a. 5, n. vi.

Il nous apparaît qu’en cette définition de l’orgueil, dont nous venons de suivre l'élaboration technique, saint Thomas a porté à son point d’achèvement la pensée chrétienne, telle que la déclarent les témoignages rassemblés ci-dessus.

2. De l’orgueil ainsi défini, il importe de discerner les vices qui ressemblent à l’orgueil, mais ne l'équivalent pas. On verra du même coup combien la morale de saint Thomas est accueillante à la variété de nos misères.

L’orgueil n’est pas la vaine gloire, dit littéralement saint Thomas, mais sa cause. Car l’orgueil convoite démesurément l’excellence, et la vaine gloire l’excellence manifestée. II a -II ie, q. clxii, a. 8, ad 2um. Autre chose est l’excellence, autre chose est la manifestation de l’excellence : elles représentent deux raisons distinctes pour l’appétit à qui l’excellence publiée et proclamée confère un bien que l’excellence seule ne comportait pas. Mais l’appétit passe promptement d’un objet à l’autre et l’on ne convoite guère l’excellence sans convoiter aussitôt la gloire. Car la gloire est le témoignage éclatant que les hommes rendent à quelque bonté et il ne se peut que d’un tel témoignage n’advienne, à qui en est l’objet, un surcroît d’excellence : ainsi la vaine gloire procède-t-elle de l’orgueil. En revanche, on ne voit guère que la gloire désordonnée puisse être désirable à qui n’a pas le goût corrompu de sa propre excellence. — Outre cette relation de moyen à fin, Cajétan signale entre la vaine gloire et l’orgueil celle d’une quasi-propriété avec son sujet : en ce sens que nous estimons être moins excellents tant que notre excellence n’est pas connue des autres. Ila-IP 8, q. c.xxxii, a. 4 ; Cajc’tan, n. m. Voir Gloire (Vaine).

L’orgueil n’est pas l’ambition, laquelle est l’appétit désordonné de l’honneur (on sait que l’honneur diffère de la gloire : il peut n'être que le témoignage d’un seul, elle est la proclamation d’un grand nombre ; la gloire procède de beaucoup d’honneurs : ID-II*, q. ciii, a. 1, ad 3um ; q. cxxxii, a. 4, ad 2um). Mais comme l’honneur est aussi le témoignage d’une excellence, les mêmes rapports que l’on a dits au sujet de la vaine gloire se vérifient entre l’orgueil et l’ambition. II a -Il : B, q. cxxxi. Voir Ambition.

L’orgueil n’est pas la présomption, laquelle s’engage en des entreprises plus grandes que les ressources du sujet. IF-IF 8, q. cxxx. En passant, saint Thomas signale que ce vice procède de l’orgueil. Ibid.,

q. cxxxiii, a. 2, ad 4° m. On conçoit que l’orgueil est en effet propre à le causer ; mais sans doute est-il aussi susceptible d’une autre origine ; car l’objet de la présomption n’a point avec telui de l’orgueil les mêmes rapports essentiels que la gloire ou l’honneur ; et des hommes peuvent avoir le goût des grandes afïaires et des entreprises démesurées, qui n’y recherchent point l’honneur, ni la gloire, ni l’excellence.

Les vices ci-dessus sont contraires à la magnanimité et leur objet dès lors doit être grand. S’il est médiocre, ces vices se réduiront à ce que nous avons vu plus haut être la philotimia.

L’orgueil n’est pas la jactance, laquelle consiste proprement en ce qu’un homme s'élève soi-même en paroles. Avec l’ironie, son contraire, elle est partie du mensonge et s’oppose à la vertu de vérité. Elle est au catalogue d’Aristote (cf. supra). Mais la jactance, le plus souvent, procède de l’orgueil comme de sa cause intérieure et motrice : car de ce qu’un homme s'élève secrètement au-dessus de soi-même, il suit qu’il parle de soi avec avantage ; néanmoins, il arrive que le jactance procède, non pas de l’orgueil intérieur, mais d’une certaine vanité qui se plaît en ce jeu de paroles fanfaronnes sans y attacher l’amour d’exceller. II'-II^, q. clxii, a. 4, ad 2um ; q. cxii, a. 1, ad 2 1 "".

Cajétan signifie avec beaucoup de force la singularité de l’orgueil entre les vices qui L’avoisinent. L’objet de l’orgueil, explique d’abord ce commentateur épris de distinction, est l'éminence, purement et simplement, , cclsitudo simpliciter ; celui de la présomption, la grandeur en matière d’actions ; celui de de l’ambition, la grandeur en matière d’honneurs etc. Mais, si nous y mettons plus de pénétration, continue-t-il, si perspicacius perscrutati fuerimus, nous verrons que, si, d’une part, l'éminence jointe aux actions ou aux récompenses constitue l’objet des dits vices, d’aulre part, l'éminence jointe à la propre personne constitue l’objet de l’orgueil ; en sorte que, comme le présomptueux tend aux actions éminentes, l’ambitieux aux honneurs éminents, ainsi l’orgueilleux tend à l'éminence de soi. Celle-ci est en effet la seule qui soit strictement éminence perverse au sens absolu du mot ; les autres sont des éminences perverses partiellement, savoir dans les honneurs ou dans la gloire ou dans les actions difficiles. Et, pour mieux percevoir encore ces choses, reprend le commentateur infatigable, considérons que la propre personne peut soutenir avec le vice ou la vertu de multiples rapports : elle est objet, sujet ou terme. En tous les cas, elle est sujet. A l’endroit de plusieurs vices et vertus, elle est terme, en ce sens que l’on mesure selon la personne la convenance ou disconvenance de l’objet ; ainsi la tempérance, la magnanimité, l’ambition, la présomption. L’orgueil, outre ces deux rapports, soutient celui-ci, qu’il regarde la personne propre comme objet. Entre tous les vices, il n’en est point qui en ceci lui ressemble. En sorte que l’objet propre de l’orgueilleux comme tel est ipsemet celsus ou l'éminence de soi, et non point l'éminence des actions ou des honneurs ou de la gloire ou quelque autre grandeur. Superbia habet magniiudinem sui pro per se primo objecto. In Il itm -Jl', ii, q. clxii, a. 1, n. iv-v.

S’il est vrai que l’ambition et la vaine gloire dépendent essentiellement de l’orgueil, il faut dire que ces vices supposent et requièrent, ainsi que l’orgueil, le mépris de Dieu. Mais on conçoit que l’orgueil matériel, comme parle Cajétan, soit de nature à les causer ; auquel cas, ils n’obtiennent point cette redoutable signification.

Les espèces de l’orgueil.

L’amour démesuré

de la propre excellence, tel qu’il suppose le mépris

de Dieu : ainsi a-t-on défini l’orgueil. De ce vice, les théologiens étaient invités à marquer des espèces, car les divisions ne manquaient pas selon lesquelles les anciens auteurs, chacun à sa manière l’avaient partagé.

1. L’une était de saint Anselme (ainsi du moins le croyait saint Thomas ; plus exactement, d’Eadmer, De similitudinibus, c. xxii sq., P. L., t. eux, col. 612 sq.), Selon qui l’exaltation de l’orgueil est tantôt dans 15 volonté, tantôt dans les discours, tantôt dans l’action. Mais cette division, d’après saint Thomas, signale le développement du même péché d’orgueil que l’on conçoit dans le cœur, que l’on produit en paroles, que l’on accomplit en actions. En quoi saint Thomas applique à l’orgueil une idée qui lui est familière du développement des péchés (cf. Ia-IIæ, q. lxxii, a. 7), mais ne prétend point que l’orgueil n’ait sa perfection que si l’on travaille effectivement à se rendre excellent : ce péché est un amour, et l’amour tient dans le cœur. îl reste que cette division ne propose point des espèces complètes de l’orgueil.

2. Une autre était de saint Bernard qui gradua l’orgueil en douze moments, selon le modèle qu’avait le premier dressé saint Benoit de l’humilité (cf. supra). Mais il est certain que ni saint Benoît ni saint Bernard n’avaient eu l’intention de représenter douze espèces d’un genre défini. Et saint Thomas, qui reproduit ces catalogues, observe justement qu’on y a enregistré non seulement des espèces, mais toutes dispositions ayant avec l’orgueil ou l’humilité quelque rapport, soit qu’elles leur fussent antécédentes, soit qu’elles leur fussent consécutives. Selon cette remarque, il faudrait retenir comme exprimant le principe et la racine de l’orgueil la peccandi consuctudo (12 «  degré), en tant qu’elle implique le mépris de Dieu ; comme exprimant des variétés d’orgueil, la libertas, selon quoi l’homme prend plaisir à faire sa volonté, la rebellio, par quoi il oppose sa volonté propre à celle de ses supérieurs, la simulata confessio, par quoi il tente d'éviter le châtiment de ses fautes ; comme exprimant le jugement faux présupposé au désordre de l’appétit, la dejensio peccatorum, la pnesumptio, Yarrogantia ; comme exprimant enfin les signes où l’orgueilleux trahit son vice, la singularitas quant aux actions, la jaclantia et la (évitas mentis quant aux paroles, la curiositas et Vinepta lœtitia quant aux gestes. On voit l’accommodation que subit le sens original des mots en vue de les mieux soumettre aux catégories techniques et comment est renversé l’ordre ingénieux de saint Bernard.

3. Cassien, comme on a vii, avait divisé l’orgueil en charnel et spirituel. Quoi qu’il en fût des choses, ces mots se prêtaient à une division objective et donc spécifique de l’orgueil (cf. Ia-II 86, q. Lxxii, a. 2) ; mais la théologie n’a point retenu ce thème qu’un autre avait supplanté.

4. Saint Grégoire en effet, nous l’avons dit, a dénoncé quatre espèces d’arrogance que devaient recevoir, par l’intermédiaire de Pierre Lombard, les théologiens scolastiques. En saint Thomas, cette division est constante et fait figure de doctrine classique. L'élaboration théologique, en ce cas comme en beaucoup d’autres, fut de justifier rationnellement cette donnée en en manifestant la convenance avec l’analyse technique. L’objet de l’orgueil étant l’excellence, ce sont les divisions formelles de l’excellence qui marqueront les espèces de l’orgueil. Or, il est essentiel à l’excellence qu’elle ait rapport avec le bien ; car c’est le bien qui confère l’excellence. Mais ce bien est en ceci susceptible de plusieurs considérations ; car il rend excellent selon sa possession même, ou selon la cause par quoi on le possède, ou selon le

mode où on le possède. Les espèces de l’orgueil se fondent sur cette division du bien conférant l’excellence.

Plus grand est le bien que l’on possède, plus grande est l’excellence qu’on en reçoit. Dès lors, quand un homme s’attache à un bien plus grand que son bien véritable, son appétit, flatté de cette pensée, tend Mrs une excellence plus grande que celle qui convient. Ainsi exprime-t-on la troisième des e*pèces énumérées par saint Grégoire : Cum aliquis jactat se habere quod non habet. la jactance en ce cas devant s’entendre de la convoitise intérieure de l’excellence. A cette espèce, saint Thomas attribue l’orgueil de ceux qui s’excusent de leurs péchés, dont parle saint Augustin, De civ. Dei, !. XIV, c. xiv, P. L., t. xli, col. 422, et qui par là s’attribuent le bien de l’innocence qu’en efîet ils n’ont plus ; n’entendons point non plus ici les excuses verbales, mais la méconnaissance intérieure de la faute commise où l’on refuse de s’avouer à soimême que l’on a péché.

Quelque bien que l’on possède, il est plus excellent de le tenir de soi-même que d’un autre. Cette excellence diffère formellement de la précédente et y tendre constitue une autre espèce d’orgueil. Mais l’on peut être cause de son propre bien de deux façons, soit qu’on l’ait effectivement produit, soit qu’on l’ait mérité. Selon qu’un homme considère son bien comme son propre ouvrage pu comme le prix de ses mérites, il verse dans l’une ou dans l’autre de ces deux espèces d’orgueil ainsi décrites par saint Grégoire : Cum qui< a semetipso habere œstimat quod a Deo habet, qui est la première en son énumération ; Cum propriis meritis sibi datum desuper crédit, qui est la seconde. A ces deux espèces, saint Thomas réduit l’orgueil de l’ingratitude signalé, pense-t-il, par saint Jérôme en ces paroles : Nihil est tam superbum quam ingratum videri ; car l’ingrat s’attribue, en l’une ou l’autre des deux manières dites, ce qu’en effet il tient des autres.

Il est plus excellent de posséder quelque bien de manière singulière. Penser qu’aucun autre ne possède ce bien, ou du moins au degié éminent où on le détient soi-même, c’est préparer à l’appétit la pâture d’une excellence démesurée. Saint Grégoire a signifié cet orgueil en sa quatrième espèce : Cum aliquis despectis ceteris singulariter vult videri. Ce dernier verbe serait du reste avantageusement remplacé par excellere : car ce n’est point paraître que convoite formellement l’orgueilleux, mais exceller. Le jugement dont on parle favorise l’excellence de la singularité. Ce que dit saint Thomas, que la présomption semble se rapporter principalement à cette espèce, doit s’entendre sans préjudice de la distinction formelle des deux péchés ni de l’indépendance essentielle de la présomption à l’endroit de l’orgueil ; mais en ce sens que, dans le cas où elle procède de l’orgueil, c’est de cette espèce-là qu’elle dérive de préférence.

En ces quatre manières de pécher par orgueil, on enfreint la règle divine, selon qu’il a été défini plus haut, au mépris de Dieu. Faute de quoi, l’on ne pèche pas formellement par orgueil.

Cajétan observe que les quatre espèces décrites concernent l’orgueil désordonné ex parte actus, c’est-à-Qire selon l’objet même où l’acte se porte. Il s’est agi en effet du désordre de l’excellence ellemême. Mais il se pourrait que l’excellente aimée fût en elle-même irréprochable et que cependant l’on péchât par orgueil ; car l’appétit excessif de la propre excellence véritable, reconnue comme due à la grâce de Dieu, à l’exclusion de toute singularité dans la possession — par quoi l’on élimine tous les désordres cités — un tel appétit est orgueil. Le désordre

en ce cas concerne le mode même de l’appétit qui est excessif ; et cet orgueil est considéré ex parle appetentis. On voit comme cette remarque rencontre la définition de l’orgueil, qui n’est point seulement : appetitus propria : excellentiæ inordinatæ, mais, appetitus inordinatus proprix excellentiæ. In I am -II æ, q. ci.xii, a. 4, n. v.

Le sujet de l’orgueil.

1. L’intelligence a sa part

dans l’orgueil : nous l’avons dit en la description des espèces, ayant invoqué à chaque fois, comme la condition du mouvement désordonné de l’appétit, un jugement faux de l’intelligence. Ce jugement faux fournit à l’orgueil son objet : et c’est en quoi il se distingue de l’erreur commune à tout péché, qui concerne l'élection. Quand le fornicateur estime la fornication délectable, il ne se trompe pas ; son erreur est de tenir ce plaisir pour digne d'être choisi. Au lieu que l’orgueilleux ne se trompe point seulement en jugeant digne de son choix sa propre excellence, mais bien déjà en s’attribuant une telle excellence. Néanmoins, dans le cas signalé par Cajétan d’une excellence de tout point réglée, l’erreur se situe seulement dans le rapport de cette excellence avec l’appétit et permet une adhésion déréglée de l’appétit à un objet qu’elle n’a pas créé ; dans les autres, l’erreur a formé l’objet même que l’appétit se propose.

Le jugement faux dont nous parlons est ceru. que suppose le mouvement orgueilleux de l’appétit. Il ne concerne que la direction même de ce mouvement. Dès lors, il peut ne point procéder d’un jugement faux universel. Cette remarque excuse du péché d’infidélité les orgueilleux plus haut classés dans la première et la seconde espèce. Car il est de foi que tout bien vient de Dieu et que la grâce n’est pas causée par les mérites ; et si l’orgueilleux devait nier ces propositions, il aurait refusé la foi avant de verser dans l’orgueil. Mais on sait que les propositions universelles peuvent de quelque façon demeurer dans un esprit qui professe d’ailleurs, en vue de l’action, quelque opinion particulière contraire. Cf. Ia-IIæ, q. Lxxvii, a. 2, spécialement ad 3um. On peut penser juste, universellement, et, d’autre part, mal agir, concrètement. L’appétit est éminemment propre à faire ainsi dévier la rectitude ; et, dans le cas présent, l’orgueil lui-même suggère les pensées pernicieuses aptes à servir ses fins. Le jugement faux présupposé à l’orgueil n’eût pas été prononcé sans l’orgueil même. Comment avec cela nous sortons du cercle et expliquons le premier péché d’orgueil : cf. infra, 5° La primauté de l’orgueil, col. 1427.

2. Part faite à l’intelligence. Il demeure assuré que l’orgueil consiste très proprement dans un acte de l’appétit. Les considérations plus haut proposées le persuadent certainement. Il en va de l’orgueil comme de l’humilité ; la connaissance y dirige l’appétit, mais en l’appétit seulement s’accomplit soit la vertu soit le péché. Il ne reste qu'à préciser cette proposition.

L’excellence, estime saint Thomas, est un certain bien ardu. Dès lors, à l’intérieur même de l’appétit, c’est à l’irascible qu’il importe d’attribuer l’orgueil. Pour le faire, on propose une double acception de l’irascible. Il signifie premièrement une partie de l’appétit sensible ; plus largement, on peut l’entendre de l’appétit intellectuel : ainsi attribue-t-on la colère à Dieu et aux anges, en qui il n’y a pas de passion, mais un acte de la volonté ressemblant à quelque passion. L’irascible ainsi entendu ne s’oppose pas réellement au concupiscible, cette division n’ayant pas lieu dans l’appétit intellectuel. Or, l’ardu que regarde l’orgueil n’est pas seulement une excellence sensible, celle d'être plus robuste, par exemple,

ou plus habile à la course : en ce cas, le sujet en est l’irascible proprement dit ; il se rencontre communément et dans les biens sensibles et dans les biens spirituels, car on prétend à l’excellence de savoir, de commander, voire d'être vertueux : et c’est pourquoi l’on doit tenir pour sujet de l’orgueil, non seulement l’irascible proprement dit, mais l’irascible même qui se vérifie dans la volonté. Ainsi comprend-on que les démons soient orgueilleux.

Ainsi expose saint Thomas. Sur quoi l’on peut demander si l’orgueil sensible et l’orgueil volontaire sont deux genres d’orgueil ou bien si l’un ne dérive pas de l’autre. Une volonté orgueilleuse suffit à faire désirer l’excellence même sensible, comme suffit à réprimer l’espoir sensible la vertu d’humilité. De ce chef, on peut considérer l’appétit sensible comme le sujet secondaire de l’orgueil et la volonté comme le sujet principal. Ainsi Cajétan, In 7/ ara -77 ie, q. clxii, a. 3, n. i et m. D’autre part, si l’on prétend n’exceller que dans les biens sensibles, un tel appétit serat-il encore de l’orgueil ? La difficulté de l’admettre serait que l’appétit sensible est incapable de mépriser Dieu, comme il est requis dans l’orgueil. Mais saint Thomas n’en est pas empêché : car l’irascible, s’il ne peut se porter à Dieu, peut se détourner de lui. Ce qui advient quand il incline vers son propre objet sans en être retenu par la révérence divine. Qusest. disput. de malo, q. viii, a. 3, ad 4um. En ce dernier cas, bien entendu, on incrimine la volonté même, à qui seule il appartient de révérer Dieu : mais cette puissance ne devient pas pourtant le sujet d’un vice, limité à des biens sensibles.

En cette distribution de l’orgueil, on peut reconnaître l'élaboration théologique du partage opéré par Cassien, de l’orgueil spirituel et de l’orgueil charnel. Ce sont deux sujets de l’orgueil, et non point précisément deux espèces, dont ce partage propose la formule.

La gravité de l’orgueil.

Elle se déduit de la

nature de ce péché. On y a décelé l’insoumission de l’homme à Dieu : il ne faut rien d’autre pour prononcer que l’orgueil est de sa nature péché mortel. Néanmoins, ainsi qu’il advient de tout autre péché mortel de sa nature, l’orgueil se produit en des mouvements indélibérés et hors le consentement de la raison : en ce cas, il est péché véniel.

En cette double appréciation, tient toute la doctrine de saint Thomas. Elle concerne l’orgueil même qu’a défini ce théologien, et c’est-à-dire celui qui ne peut pas ne pas inclure le mépris de Dieu. Saint Thomas ne revient pas sur l’analyse qu’il a faite et il tient que l’orgueil de sa nature est d’une gravité mortelle. Il ne l’en excuse pas par l’endroit de sa matière, mais par celui de l’acte ; et des deux sortes de péchés véniels qu’il a naguère définis — ex génère, ex imperfedione aclus : cf. D-II 08, q. lxxxviii, a. 2 — il ne retient pour l’orgueil que la seconde où l’acte humain, fût-ce en matière grave, demeure imparfait par défaut de délibération et de consentement. Il en va de l’orgueil, explique saint Thomas, comme de la fornication et de l’adultère qui, étant en eux-mêmes péchés mortels, se produisent néanmoins en mouvements indélibérés et n’encourent ainsi que la gravité vénielle. Que les mouvements indélibérés soient des péchés véniels, c’est une doctrine générale de saint Thomas dont il se contente de faire ici une application. Voir Péché.

1. L’orgueil indélibéré qu’allègue ici saint Thomas ne peut-il s’entendre selon deux acceptions progressives ? Il signifie d’abord, et l’on n’en doute pas, de secrets mouvements déréglés où la nature produit, sans l’aveu de la raison, son amour de l’excellence. Quoi de plus vif et de plus remuant qu’un tel appétit ?

Il est malaisé d’en prévenir toutes les saillies. Nos vertus elles-mêmes lui sont une excitation. En ceci, l’orgueil ressemble à la concupiscence, dont les mouvements insidieux pénètrent jusqu’en nos plus saintes amours. Mais il s’en distingue selon ce trait que la concupiscence trahit sa malice en son attachement au bien périssable, au lieu que l’orgueil en son amour de l’excellence ne déploie pas toute la sienne. Et telle serait la seconde acception de l’orgueil indélibéré. On s’avise que l’on poursuit l’excellence, cependant que l’on n’a pas mis en cause la soumission à Dieu. En son amour démesuré de l’excellence, le pécheur cède encore au bien de l’excellence même, et la démesure n’y est que consécutive à l’amour. Il ne brigue pas la supériorité ; ou, s’il la veut, ce n’est pas une supériorité qui aille jusqu'à l’insoumission. Il se complaît en la bonté de l’excellence, en quoi il force un amour naturel ; mais il ne crée pas ce mouvement de rébellion contre Dieu, à quoi n’incline pas sa nature. A ce degré, où l’on n’a délibéré que de la conversio ad creaturam, l’orgueil peut demeurer imparfait et véniel ; car selon la conversio, estime saint Thomas, l’orgueil n’a pas de quoi faire un très grand péché, l’excellence démesurée ne représentant pas une extrême répugnance à l’endroit de la vertu. En cette seconde acception, l’orgueil indélibéré semble rencontrer cet orgueil que saint Thomas lui-même a dit être contraire à la magnanimité, celui que Cajétan a dénommé matériel, celui que les hommes ont communément dans l’esprit lorsqu’ils prononcent ce nom.

Dès lors, convenons-nous que le parfait orgueil soit rare. Il n’est pas inhumain, avons-nous dit, car il ne prétend point supplanter Dieu, mais seulement ne point se soumettre à lui. Mais cette insoumission même, il est rare que la volonté la veuille. A ce degré l’orgueil n’est plus un mouvement naturel et donc malaisément coercible. Un peu de réflexion le maîtrise ; car outre les motifs qui nous dissuadent de convoiter notre propre excellence, la pensée de la grandeur de Dieu et l’autorité de son empire est propre à rabaisser une aussi folle prétention : Quid tumet contra Deum spiritus tuus ? Job, xv, 13.

Cette gravité vénielle de l’orgueil justifie que soient véniels maints péchés procédant de l’orgueil. En tout péché, nous le dirons, le pécheur poursuit de quelque manière sa propre excellence : mais dès là qu’il ne la poursuit pas sous la raison de mépris, il ne verse pas pour autant dans le péché mortel. Certains péchés, nous l’avons dit, tels l’ambition et la vaine gloire, procèdent essentiellement de l’orgueil, en ce sens que, sans l’amour désordonné de la propre excellence, on ne comprendrait pas l’attachement de l’appétit à des choses dont tout le prix vient de l’excellence qu’elles confèrent. Et c’est pourquoi ces péchés, comme l’orgueil lui-même, supposent le mépris de Dieu. Mais, comme il advient que l’on adhère à sa propre excellence sans refuser la suprématie divine, ainsi advient-il que l’on recherche les honneurs, etc., sans autre fin que l’excellence même. Saint Thomas reconnaît de la vaine gloire qu’elle peut être péché véniel, IIa-II æ, q. cxxxii, a. 3 ; or, il n’en peut être ainsi que si elle ne procède pas d’un péché mortel ; et, comme elle procède essentiellement de l’orgueil, il faut que ce péché même soit véniel.

2. L’orgueil complet est indubitablement péché mortel. Il comprend l’insoumission à Dieu qui est une façon de se détourner de Dieu et le péché mortel ne signifie rien d’autre qu’une telle aversion. Il advient par surcroît que l’orgueil s’oppose non seulement à l’amour de Dieu, mais à l’amour du prochain ; dans le cas où l’orgueilleux se préfère démesurément à son prochain ou se dérobe à la soumission qu’il lui 1425

    1. ORGUEIL##


ORGUEIL. GRAVITE

L426

doit : en ce dernier cas, on porte une nouvelle atteinte au droit de Dieu même qui a institué les rangs et préséances parmi les hommes.

-Mais le jugement se précise et saint Thomas énonce que l’orgueil complet non seulement est un péché mortel, mais gra.Dissim.um omnium peccatorum. Il en donne cette raison que, dans les autres péchés, l’aversion est consécutive à l’amour de quelque bien, au lieu que dans l’orgueil elle est immédiate : Superbia habet aversionem a Deo ex hoc ipso quod non vult Deo et ejus reguhe subjici… Averti a Deo et ejus præceptis quod est quasi consequens in aliis peccatis per se ad super biam pertinet, eu jus aetus est Dei contemplus. IIMF 8, q. clxii, a. 6. Dès lors, l’orgueil l’emporte en aversion sur les autres péchés ; il est donc le plus grave des péchés.

Sur cet enseignement de saint Thomas, Cajétan a institué un commentaire d’une acuité extrême, et il ne semble pas que l’on puisse davantage analyser ; d’autre part, on ne saurait dédaigner ces précisions en une matière de soi assez confuse. Il y a donc, entre l’orgueil et les autres péchés, cette différence que, dans les autres, l’aversion accompagne la conversion au bien périssable, tandis que dans l’orgueil, par un phénomène à peu près contraire, quasie converso, la conversion vers la propre excellence accompagne l’aversion. Mais prenez garde, signale notre commentateur, — et en ceci il dégage une pensée cachée de saint Thomas, — prenez garde que j’ai dit : quasie converso : car l’orgueil ne regarde pas proprement l’aversion comme un objet, mais comme un mode ; ou, plus exactement, comme une certaine démesure, qu’il introduit dans son acte relativement à l’objet, lequel demeure la propre excellence. L’orgueil veut directement exceller : mais il se trouve qu’en cet acte même est compris un mépris de Dieu ; en sorte que l’on ne veuille l’excellence que voulant simultanément, comme un mode de l’appétit, l’insoumission à Dieu. Cette observation ne nous fait pas retomber dans le cas ordinaire où l’aversion est consécutive ; car le fornicateur, par exemple, voudrait bien, tout en forniquant, ne point se détourner de Dieu ; tandis que l’orgueilleux, qui veut son excellence, du même coup veut l’insoumission sans quoi il n’est point pour lui d’excellence. Et Cajétan de confirmer son commentaire par cette remarque très exacte que, dans le texte de saint Thomas, conversion et aversion de l’orgueil sont expressément distinguées, l’aversion y faisant fonction d’aversion et non pas, comme il advient en certains cas, fonction de conversion.

Nous pensons aux péchés contraires aux vertus théologales, dont on peut en effet se demander, sur la foi du présent enseignement de saint Thomas, s’ils sont plus graves ou moins graves que l’orgueil. La précision de Cajétan est propre à nous en informer ; et le commentateur du reste n’a pas omis de faire lui-même cette application. L’aversion, exposet-il, se rencontre dans les péchés de deux façons : soit du côté de l’objet soit du côté de l’aversion ; et, dans ce dernier cas, de deux façons encore : soit consécutivement, soit directement. La plupart des péchés ont leur aversion du côté de l’aversion et consécutivement à l’appétit de l’objet, comme le vol, l’adultère etc., où la conversion à un bien utile ou délectable est accompagnée de l’aversion loin de Dieu. Les péchés contraires aux vertus théologales, comme l’infidélité, le désespoir ou la haine de Dieu, ont leur aversion du côté de l’objet ; car l’homme qui ne croit pas, qui désespère, qui hait Dieu, n’a point d’autre objet que de se détourner de Dieu ; ce qu’il veut, et qui termine son appétit, est de n’adhérer pas à Dieu dans la foi, l’espérance ou la charité. Quant à l’or gueil, il a son aversion du côté de l’aversion mais directement, de la manière dite plus haut. Et cette double condition détermine la position singulière de l’orgueil entre tous les péchés. D’une part, il est plus grave que les péchés où l’aversion, située du côté de l’aversion, est seulement consécutive : on l’a dit. D’autre part, il est moins grave que l’infidélité etc., où l’aversion se tient du côté de l’objet ; car on sait que la gravité essentielle d’un péché vient de son objet (cf. I-i-IF 3, q. lxxiii, a. 3), et il ne se peut concevoir d’objet plus grave que celui qui consiste dans l’aversion même loin de Dieu. Cette dernière appréciation rencontre l’enseignement de saint Thomas qui dit de la haine de Dieu, notamment, qu’elle est le plus grave de tous les péchés ; et la raison qu’il en donne est que l’aversion y est plus volontaire que partout ailleurs, IP-II 33, q. xxxiv, a. 2. Nous comprenons maintenant qu’elle soit en effet plus volontaire que l’aversion de l’orgueil ; car, dans le cas de la haine, elle a lieu selon le droit mouvement de la volonté, dans le cas de l’orgueil, selon l’appétit de l’excellence. Elle se tient là ex parte objecti, ici ex parte aversionis. Il faut donc entendre la gravité extrême de l’orgueil, gravissimum peccatum, gravissimum omnium peccatorum, selon cette importante restriction, où l’on sauve la gravité spécifique plus grande des péchés contraires aux vertus théologales, qu’il est le plus grave ex parte aversionis. Il n’est point le péché dont l’objet soit le plus grave ; mais il est celui où l’aversion, ne faisant pas objet, se rencontre le plus directement. Mais il n’y a point d’inconvénient de dire absolument, comme fait saint Thomas, que l’orgueil est le plus grave des péchés ; car c’est de l’aversion que vient au péché sa raison de mal, absolument parlant ; dès lors, nommer la gravité, c’est signifier l’aversion. In // am -7/ a ', q. clxii, a. ij, n. n et v ; a. 7, n. iv.

3. Il ressort de ces considérations que l’orgueil est de nature à aggraver les autres péchés. Tout péché reçoit sa gravité essentielle de son objet, et ce n’est point celle-là que l’orgueil augmente ; mais la gravité d’un péché dépend aussi dans une mesure de la cause du péché, et l’on veut dire que l’orgueil, s’il cause un péché, contribue de ce chef à le rendre plus grave. A objet égal, un péché causé par ignorance ou par passion est de moindre gravité ; causé par malice, il est de gravité plus grande. Mais en ce dernier cas même, il est moins grave que s’il procédait de l’orgueil ; car la malice signifie ici un attachement très volontaire à l’objet mauvais sans exprimer directement l’aversion loin de Dieu que l’orgueil comporte. L’orgueil introduit en tout péché qu’il cause son propre mode de se détourner de Dieu. Aussi n’y-a-t’il pas lieu de restreindre aux seuls péchés de soi moins graves que l’orgueil cette aptitude à l’aggravation ; en sont menacés, même les péchés contraires aux vertus théologales. Saint Thomas énonce expressément ce dernier cas : Ex parle aversionis, superbia est maximum, utpote aliis peccatis magnitudinem pnestans. Nam per hoc ipsum infldelilalis peccatum gravius redditur si ex superbise contemptu procédât quam si ex ignorantia vel infirmilatc proveniat. Et idem dicendum est de desperatione et aliis hujusmodi. IIa-IIæ, q. CLxii, a. 6, ad 2 am. Nous comprenons en effet que l’infidélité, le désespoir, la haine de Dieu puissent être causés par ignorance ou par passion : et dans ce cas, bien qu’ils conservent leur gravité spécifique, ces péchés reçoivent de leur cause un certain amoindrissement. Nous comprenons qu’ils puissent être causés par malice, s’ils procèdent de Yhabitus d’infidélité, etc. : et dans ce cas, ils sont plus graves parce que plus purement volontaires. Nous comprenons enfin qu’ils

puissent procéder de l’orgueil, quand l’homme est incliné à refuser sa foi, à désespérer, à haïr Dieu, par un amour désordonné de sa propre excellence où est inclus de quelque façon le mépris de Dieu ; et dans ces cas, ces péchés reçoivent de leur cause le plus grand surcroît de gravité ; car il y a dans cette cause même une malice qui n’a son égale dans aucune des précédentes. Il semble qu’entre tous les péchés l’infidélité soit le plus exposée à procéder d’un mépris formel ; car l’insoumission ce l’intelligence à Dieu est chose que l’orgueil inspire d’autant plus volontiers que l’intelligence est faculté plus excellente, et l’oigueilleux croit perdre beaucoup de sa valeur s’il captive son intelligence sous un joug étrangi r.

5° La primauté de l’orgueil. — L’orgueil est le premier de tous les péchés, tient saint Thomas. Que veut-il dire ? Cette partie de sa doctrine relève d’un texte de l'Écriture devenu familier à la pensée chrétienne : Initium omnis peccali superbia, Eccli., x, 15. Sous cette proposition, il rassemble des considérations éparses en l’enseignement traditionnel, auxquelles d’ailleurs il fait subir une ékboration proprement théologique.

1. Par une méthode remarquable, saint Thomas. s’enquiert du sens littéral de ce verset duquel nous apprenons que l’orgueil est le commencement de tout péché, et selon les intentions duquel, dès lors, il faut entendre cette primauté. Or, il n’est pas douteux que le Sage parle ici de l’orgueil selon qu’il signifie l’appétit de la propre excellente ; ainsi l’attestent le contexte immédiat et l’ensemble du chapitre. Comment à l’orgueil ainsi entendu attribuer quelque primauté? On la peut découvrir si l’on s’avise que tout pécheur poursuit une fin temporelle et qu’il le fait pour trouver en elle une certaine perfection et excellente : Finis auhm in imnibus bonis iemporalibus acquirendis est ut hemo per illa quamdam perjeetionem et excellentiam habeat. Ia-IIæ, q. lxxxiv, a. 2, cf. supra, col. 1415. Quelque péché que l’on commette, on sert donc les fins de l’orgueil. Par où saint Thomas ne veut point dire que tout péché soit commis selon cette raison ; en ce cas, tous les péchés deviendraient péchés d’orgueil principalement ; tous les péchés seraient connexes dans l’orgueil. Il veut dire qu’en tout bien que l’homme cherche, et quand même il le cherche sous la raison propre de ce bien, le plaisir par exemple ou la richesse, il ne fait que traduire ainsi l’appétit d’une excellence et perfection pour soi. Cette primauté de l’orgueil rejoint exactement telle que saint Thomas a dévolu ailleurs à l’amour-propre (Ia-IIæ, q. lxxvii, a. 4), par quoi il signifiait l'équivalence de l’amour de soi avec l’amour de quelque bien voulu pour soi. Sur ce point, voir M.-D. Roland-Gosselin, L’amour a-t-il tous les droits ? peut-il être un péché? Paris, 1929, c. xiii. Avec cela, tout péché est propre à servir formellement les fins de l’orgueil ; et il n’est point d objet désordonné en quoi l’orgueil ne puisse poursuivre formellement une excellence. En ce cas, le péché commis est principalement l’orgueil et secondairement celui que définit l’objet. Mais cette considération signale ce qui peut être, non ce qui est infalliblement.

La primauté que l’on vient de marquer est celle qui crée les péchés capitaux. Sont réputés capitaux, les péchés dont l’objet représente une fin notablement séduisante, et propre à susciter maints péi liés ordonnés à la mieux atteindre. Or, l’orgueil est d’une telle nature qu’il n’est point de péché qui ne le puisse servir. Il vérifie donc la condition requise du péché capital. Davantage, il la vérifie excellemment. Car les péchés capitaux le sont dans un certain genre ; l’orgueil représente une fin universelle. Certains péchés concourent à la fin de l’avariee ou de l’envie : tous les

péchés sont propres à flatter l’orgueil. Et c’est pourquoi saint Thomas, à l’imitation de saint Grégoire (cf. supra), préfère retirer l’orgueil de la série des vices capitaux et le situer dans l'éminence que mérite son influence universelle. Il est le prince des péchés, et les péchés capitaux ne sont que ses serviteurs. L’insertion de l’orgueil dans la série des péchés capitaux, telle que l’ont adoptée des anciens et des modernes, dissimule la primauté souveraine de ce péché. Dans le système de saint Grégoire et de saint Thomas, c’est la vaine gloire et non l’orgueil qui tient rang de vice capital. Cf. P-II 35, q. lxxxiv, a. 4, ad 4° U1.

2. Les analyses faites plus haut nous permettent d’exploiter davantage le texte de Eccli. et d’entendre avec plus de force la primauté de l’orgueil traité comme péché spécial. Car n’avons-nous pas dit que l’aversion y est directe et non pas consécutive ? Cette condition confère à l’orgueil la primauté qui revient à tout ce qui est per se sur ce qui est per aliud. Il est plus parfait péché que les autres péchés. Mais, comme cette primauté est prise du côté de l’aversion, elle ne se vérifie pas à l’endroit des péchés contraires aux vertus théologales, où l’aversion va jusqu'à recevoir une valeur objective. Et, si l’on dit absolument que 'orgueil est le premier des péchés, cette proposition a le même sens et la même justesse que c el ! e-là qui énonce l’orgueil comme le plus grave des péchés.

Cette primauté dans l’aversion concerne l’ordre de nature. Elle peut se traduire en efficience : car il n’est aucun péché où ne puisse conduire le mépris de Dieu, aucun précepte qu’il ne puisse faire transgresser. L’orgueil détient alors une primauté sur les péchés qu’il cause, en ce sens qu’il accroît leur gravité ex parle aversionis : et celle-ci se vérifie, selon ce que nous avons dit plus haut, à l’endroit même des pé< liés contraires aux vertus théologales. Saint Thomas énonce curieusement et fortement cette primauté de l’orgueil, dans l’ordre de la génération, quand il dit qu’entre les péchés graves l’orgueil est le premier : Jnlcr gravia peccata primum est superbia. IP-II 33, q. clxii, a. 7, ad 4um. Si graves qu’ils soient d’euxmêmes ou par leur cause malicieuse, les péchés que l’orgueil fait commettre reçoivent de ce chef, ex parte aversionis, une gravité excellente, et que le seul orgueil peut leur communiquer. Cf. Cajétan, In IP UU Il x, q. clxii, a. 7, n. m.

Au texte commenté jusqu’ici, semble faire échec le verset voisin : Initium superbise hominis aposlatare a Deo, Eccli., x, 14, où l’on fait d’un péché étranger le commencement de l’orgueil même. Saint Thomas règle aisément ce petit conflit en interprétant cette apostasie comme l’aversion même loin de Dieu, requise au mouvement d’orgueil et comprise en lui. Cf. supra.

3. On signale aussi, à la faveur de textes scripturaires et de gloses, que l’orgueil se rencontre le premier dans l'éloignement de Dieu, le dernier dans le retour à Dieu ; il n’y a point lieu de considérer ici l’orgueil comme péché spécial. En revanche, il est vrai que, tant que l’homme s’obstine dans l’orgueil, il est impropre à recevoir la grâce ; et l’humilité se situe au principe de la justification : per modum removentis prohibent ] humililas primum locum tenet, inquantum scilicet expellit superbiam cui Dcus résistif et præbet hominem subditum et semper palulum ad suscipiendum influxum gratiæ inquantum évacuât inflationem superbia ;. Il '- J I ;  :. q. clxi, a. 5, ad 2 unl.

4. Outre les précédentes, l’orgueil possède cette primauté n’avoir été le premier péché de l’ange et du premier homme. La thèse en est défendue par saint Thomas, à la suite de saint Augustin, et confoi

inément à la pensée traditionnelle (cf. supra). L’analyse est propre à justifier cette position ; et voici comme saint Thomas y procède.

L’ange ne peut pécher qu’en ce qui convient à une nature spirituelle. Derechef, en choses spi ; ituelles, on ne pèche que pour adhérer au bien sans observer la règle du supérieur. Or, c’est pécher par orgueil que de ne point se soumettre au supérieur en cela où l’on doit se soumettre. Le premier péché de l’ange n’a donc pu être que l’orgueil. I 1, q. lxiii, a. 2.

L’homme innocent était ainsi institué que la chair en lui ne pouvait répugner à l’esprit. Le premier désordre de l’appétit humain ne fut pas la convoitise d’un bien sensible. Il reste que son premier désordre fut de vouloir démesurément un bien spirituel. Or. l’homme ne l’aurait pas voulu démesurément s’il l’avait voulu selon la mesure déterminée par la règle divine. Son premier péché fut donc de vouloir un bien spiiituel sans tenir compte de la règle divine. Et c’est là pécher par orgueil. D’où il est manifeste que le premier péché de l’homme fut l’orgueil. IF-IF 5, q. clxiii, a. 1.

On voit la parenté de ces deux raisonnements et que l’orgueil est entendu dans l’un et dans l’autre selon la même signification. Le premier péché de l’ange comme de l’homme fut, dans l’appétit d’un bien spirituel, de ne point observer la règle fixée par Dieu. Et cette conclusion se fonde sur ce que l’ange et l’homme, quoique pour des raisons diverses, ne pouvaient vouloir que des biens spirituels ; et qu’il n’y a pas d’autre manière de commettre un péché, ou du moins le premier péché, à l’endroit d’un bien spirituel, qu’en le voulant démesurément.

Saint Thomas tient donc ici pour orgueil une transgression de la règle divine. Il ne peut s’agir manifestement de cette transgression que l’on trouve en tout péché, lequel pour autant ne se change pas en orgueil. Puisque le premier péché fut orgueil, il faut entendre que le pécheur y méprisa la règle divine. Saint Thomas l'énonce des premiers parents : Vterque sibi inniti voluit contempto divinæ regulæ ordine. IF-IF*, q. clxiii, a. 2.

Que l’ange et l’homme aient méprisé la règle divine, il semblerait que cela signifiât un objet mauvais terminant l’acte de leur appétit. Or, nous savons que le premier péché de l’ange ne pouvait consister dans le choix d’un objet mauvais, un tel choix supposant l’erreur, et l’erreur ne pouvant précéder le premier péché, I a, q. lxiii, a. 1, ad 4um ; nos premiers parents, à leur tour, par le bénéfice de la justice originelle, ne pouvaient se tromper qu'à la condition d’avoir péché d’abord, l a, q. xav, a. 4 : leur premier péché ne put donc consister non plus dans le choix d’un objet mauvais. Reste que le premier péché fut le mauvais choix d’un objet bon. Et, comme on a dit que ce premier péché fut l’orgueil, il reste que le mépris de la règle divine marque un mode de l'élection, dirigée d’ailleurs sur un objet bon. Le mépris ainsi conçu créet-il un péché d’orgueil ? Les analyses précédentes répondent affirmativement. Nous n’y avons point dit que l’orgueil dût prendre pour objet l’aversion même loin de Dieu. Mais nous y avons montré l’orgueil se détournant de Dieu dans l’appétit d’un autre objet, en sorte que cette aversion représente, non pas l’objet voulu, mais le mode selon lequel on poursuit l’objet. Il faut seulement observer ici que l’objet voulu dans le premier péché, non seulement n'était pas l’aversion loin de Dieu, mais encore n'était en soi grevé d’aucun mal. Dans ce cas, en effet, le péché peut ne procéder point d’une erreur, mais de la seule inconsidération de la règle ; ce qui répond à l’exigence plus haut définie. Rien n’empêche que l’ange et l’homme aient omis de considérer la règle, cette omission ne

constituant en soi aucun mal : le mal ne commence qu’avec l’action accomplie selon cette inconsidération. [ a -II æ, q. lxxv, a. 1, ad 3 unl. D’autre part, comme l’inconsidération ne saurait être due, dans le cas présent, à la passion, à l’ignorance, à la malice, on ne voit pas comment ne serait pas tenu pour orgueil, où l’insoumission se rencontre de soi, le péché qui en procède.

Quelle excellence poursuivirent ces créatures pécheresses ? Celle de ressembler à Dieu, l’ange selon la puissance, l’homme selon la science et la puissance : chacun à sa manière, ils prétendirent être comme Dieu. Ainsi l'énonce-t-on au nom de considérants qu’il ne nous appartient pas ici de rappeler. Mais n’est-ce pas là vouloir un objet mauvais ? Il y a lieu d’introduire quelque discernement dans les formules où l’on signifie communément et synthétiquement le premier péché. L’ange a voulu objectivement sa béatitude, mais il l’a voulue selon sa propre vertu, et c’est-à-dire sans tenir compte de la règle divine. Non pas encore qu’il ait voulu sa béatitude selon cette condition de l’acquérir par sa propre vertu : auquel cas, il y aurait du mal dans l’objet même de son appétit. Mais, en voulant sa béatitude sans autre condition, il s’est détourné de la règle divine : aversion dans le mode île vouloir et non pas désordre dans l’objet voulu. L’homme a voulu objectivement une similitude de la science divine : or, ce n’est point là un mal, cf. IF-IF, q. clxiii, a. 2, ad 2um ; mais il l’a voulue démesurément, selon un mode déréglé d’appétit. Il a voulu sa béatitude, et ce n’est pas non plus un mal ; mais il a prétendu l’acquérir de soi-même ; en quoi il pèche comme l’ange selon le mode de vouloir et non selon l’objet voulu. L’appétit de l’ange et du premier homme pécheurs n’est donc rendu mauvais que par la manière désordonnée de vouloir un objet d’ailleurs bon. Et c’est ainsi qu’il faut entendre les formules où l’on semble dénoncer dans le premier péché un objet mauvais. Il advient à saint Thomas lui-même de définir le premier péché de l’ange comme l’appétit d’une excellence singulière : Inquantum afjcctavit excellentiam sintjularem, I a, q. lxiii, a. 2, formule à traiter selon la même analyse ; dès lors qu’il a voulu son excellence en se détournant de la règle divine, l’ange est convaincu d’avoir voulu une singularité, en se distinguant d’avec les autres qui tiennent leur excellence de la divine miséricorde. Il y a rejaillissement du mode mauvais de vouloir sur l’objet 1 on ; il n’y a point de mal dans l’objet. Cajétan, In I am, q. lxiii, a. 3, n. xi. Nous trouvons une confirmation de cette analyse, du moins en ce qui concerne l’homme, dans cette doctrine de saint Thomas que le péché du premier homme n’a pas été le plus grave de tous les péchés : bien qu’il ait été l’orgueil, et que l’orgueil soit le plus grave de tous les péchés, il y a lieu encore de faire des différences dans l’orgueil lui-même : plus grave est l’orgueil qui nie ou blasphème Dieu, moins grave l’orgueil qui convoite démesurément une ressemblance divine. IF-II æ, q. clxiii, a. 3.

Les hommes nés d’Adtm ne commercent pas infailliblement par l’orgueil leur carrière de pécheurs ; car ils sont destitués de l’ordre de la justice et peuvent entreprendre de pécher selon diverses manières. Les démons ne cessent pas de pécher par orgueil, car en tout ce qu’ils font ils demeurent asservis à la fin de ce péché. F-II æ, q. lxxxix.

6° Les effets de l’orgueil. — Ils sont innombrables. Déjà nous avons signalé les affinités de l’orgueil avec la vaine gloire et l’ambition, avec la jactance et la présomption. Mais il n’est pas de péché que ne puisse causer l’orgueil, soit par son aversion, soit par sa conversion, nous l’avons dit aussi. Il suffira de rele

ver ici les plus notoires dommages de ce prince des péchés.

L’orgueil dispose à l’injure : car ceux qui s’estiment supérieurs méprisent et injurient les autres avec grande facilité. L’orgueil dispose à la colère : car les orgueilleux jugent offensante toute contrariété imposée à leur volonté. IP-II 30, q. Lxxii, a. 4, ad lum.

L’orgueil exclut la miséricorde : car il est prompt à croire les hommes mauvais et qu’ils méritent bien les maux qui leur arrivent. IP-II 16, q. xxx, a. 2, ad 3um.

L’orgueil favorise la pusillanimité : car se croire incapable d’entreprises auxquelles on suffit en effet peut procéder d’un attachement excessif à son propre jugement. Il peut être orgueilleux de refuser une charge autant que de la briguer. Prov., xxvi, 16 : Sapientior sibi piger videtur septem viris loquentibus sententias. IP-II 33, q. cxxxiii, a. 1, ad 3um.

L’orgueil est désobéissant. Il y a lieu de marquer ici la différence exacte de deux péchés, d’ailleurs semblables. L’acte de la désobéissance est le mépris du précepte ; or, il advient que saint Thomas définisse de même l’acte de l’orgueil : …quantum ad interiorem actum superbiie qui est contemptus prsecepti. IIa-IIæ, q. CLxii, a. 2, ad lum. Le mépris du précepte peut s’inspirer en effet soit du dégoût du précepte, soit du dégoût d'être soumis à Dieu. Le premier cas se vérifie lorsque, sollicité par l’objet défendu et n'étant plus retenu de pécher que par la considération du précepte, on se délivre de ce dernier lien par le mépris du précepte ; le second, lorsqu’on ne supporte pas d'être commandé. On pèche là par désobéissance, ici par orgueil. Il vaut donc mieux dire que l’orgueil se traduit par des actes de désobéissance, lesquels demeurent formellement orgueilleux ; plutôt que d’attribuer à l’orgueil comme effet le péché spécial de désobéissance. Cajétan, In 7/ am -7/ 11B, q. clxii, a. 2, n. ii.

L’orgueil cause le basphème : car on n’ose injurier Dieu que pour s'être élevé orgueilleusement contre lui. Il ne s’agit ici toutefois que du blasphème délibéré : car il arrive que l’on blasphème parmi une grande agitation de l'âme ; et, dans ce cas, la colère en est la cause. IIa-IIæ, q. clxiii, a. 7, ad lum.

Nous avons signalé déjà l’affinité de l’orgueil avec l’infidélité. On dédaigne de soumettre son intelligence à l’enseignement de Dieu, en quoi l’on renoncerait à une très précieuse excellence. On refuse pour la^même raison de rien apprendre des hommes et l’on rougirait de se faire disciple. Par là, l’orgueil empêche la connaissance spéculative de la vérité. Mais il en gêne aussi la connaissance affective : et saint Thomas n’a garde de négliger les suggestions que lui offre à ce sujet saint Grégoire (cf. supra). Les orgueilleux peuvent être hommes très intelligents et pénétrer le secret des choses : mais en ce cas, ils se réjouissent de leur propre valeur, voyant qu’ils ont un esprit capable de si rares pensées ; et, tandis qu’ils sont abandonnés à ce plaisir, ils tiennent leur cœur détourné de la vérité même et ne ressentent de celle-ci aucune joie. Les humbles, au contraire, à qui il est donné de savoir, considèrent, non la connaissance qu’ils ont, mais la vérité connue : et ils rendent grâces à Dieu ; bien plus, comparant leur science avec la science de Dieu, ils estiment ne rien savoir et ne prennent leur joie que dans la louange de la vérité. Cajétan, In II am -II iB, q. clxii, a. 3, n° v.

Les remèdes de l’orgueil.

L’orgueil complet

est facilement évité par la considération de l’excellence divine : nous l’avons dit plus haut. L’amour désordonné de la propre excellence, fût-il encore innocent

du mépris divin, est lui-même efficacement combattu par la considération des misères de l’homme : Quid superbit terra et cinis ? Eccli., x, 9, et de l’imperfection des biens mêmes qu’il possède : Omnis caro jœnum et omnis gloria ejus quasi flos agri. Quasi pannus menstruatæ universæ justitise noslra 1. Is., xl, G ; lxiv, 6. Quant aux mouvements orgueilleux antérieurs à toute délibération rationnelle, on ne peut espérer en devenir aisément le maître, vu leur caractère très naturel : est propre à les empêcher une forte vertu d’humilité,

Une doctrine proprement théologique des remèdes de l’orgueil a été instituée sur le fondement de textes de saint Paul, très remarqués de toute la tradition chrétienne (cf. supra). Car l’Apôtre enseigne que Dieu a châtié l’orgueil des gentils en les livrant aux péchés de kl chair. Rom. i, 28 sq. Sur quoi le théologien observe qu’il est sage de recourir au moindre mal pour ôter le plus grand, et que, l’orgueil étant le plus grand péché, Dieu agit sagement qui y remédie par des péchés charnels ; d’autant que ces derniers comportent une honte manifeste, très propre à confondre l’orgueilleux enchanté de son excellence. IIe -II æ, q. clxii, a. 6, ad 3um. Ailleurs l’Apôtre confesse ressentir l’aiguillon de la chair, par le dessein de Dieu qui veut le garder d’orgueil à la suite de si hautes révélations. II Cor., xii, 7 sq. Sur quoi, saint Thomas loue la sollicitude du médecin des âmes et rappelle que Dieu, pour protéger ses élus contre l’orgueil, peut permettre qu’ils tombent même dans le péché mortel. In II am Cor., xii, lect. 3.

Conclusion.

Ainsi nous apparaît la doctrine

de l’orgueil élaborée par saint Thomas d’Aquin, et dont l’intelligence nous a été rendue plus accessible en maints endroits par le secours de Cajétan. Cette théologie se recommande et par sa fidélité constante avec l’enseignement traditionnel chrétien et par la sagacité et rigueur de l’analyse rationnelle.

1. Elle subsiste dans l’enseignement postérieur et contemporain, mais le plus souvent en des raccourcis qui ne respectent pas l’exactitude ou du moins la délicatesse de l’analyse. La plupart des théologiens, bien qu’ils recensent la classification de saint Grégoire et de saint Thomas, en fin de compte traitent l’orgueil comme un péché capital. Ils récitent les quatre espèces classiques, quitte à les appeler des modes aussi bien que des espèces ; et ils omettent l’espèce signalée par Cajétan. Ils partagent la gravité de l’orgueil en mortelle et vénielle selon que l’orgueil est complet et incomplet, mais fondent quelquefois cette gravité sur la nature même de l’un et de l’autre orgueil, ex génère suo, plutôt que de recourir pour la gravité vénielle à l’imperfection de l’acte. Certains observent que l’orgueil complet, qui est celui des anges, est rare parmi les hommes : en quoi ils confondent peut-être le nolle subdi Deo avec le prœesse Deo. Voir : S. Alphonse de Ligori, Theologia moralis, I. V, tract. De peccatis, c. iii, dub. i ; et les manuels de théologie morale, v. g. : Tanqueiey, Synopsis theologiæ moralis, De peccatis et vitiis, art. ii, § 2 ; Prummer, Manuale theologiæ. moralis, pars 1', tr. v, c. vra, a. 1. Quant à l’orgueil incomplet, les théologiens ajoutent qu’il devient mortel dans lo cas où il comporterait mépris notable du prochain ou induirait à quelque péché mortel.

Lessius apporte une contribution originale à la théologie de l’orgueil, parmi un exposé de saint Thomas où il emprunte beaucoup à Cajétan. Car il décrit le développement de ce vice dans l'âme en huit degrés, dont le premier est l’amour désordonné de l’excellence propre, le dernier l’insoumission à Dieu : enrichissement psychologique d’une théologie jusqu’alors plus soucieuse de la parfaite nature des choses. Sur l’apprédation morale de l’orgueil, Billuart rapporte (t. viii, itiss. VII, a. 4, § 2), non sans les préciser et ordonner, les opinions de Silvius (Comm. in Sum. theol., IP-II iii, q n. xii, a. 5) et de Navairus (c. xiii, n° 8 ; cf. Tolet. De septem peccatis, c. iv), jugeant mortel l’orgueil pleinement délibéré des deux premières espèces ; dans les troisième et quatrième, l’orgueil ne semble être mortel que pour les matières de grande importance, comme si un ignorant prétendait à l’excellence de guérir les malades ou de plaider les procès, au grand dam du prochain ; ou dans le cas d’une singularité gravement méprisante du vulgaire. Une irrévérence grave à l’endroit de Dieu peut aussi se rencontrer en ces deux dernières espèces.

2. Saint Jean de la Croix a décrit les imperfections des débutants de la vie spirituelle — d’où se déduit la nécessité d’une purification — selon les sept péchés capitaux. Le premier en est l’orgueil. La nuit obscure de l’âme, t. I, c. n. La substance de l’exposé est empruntée à une expérience attentive, sûre et impitoyable des personnes de dévotion ; et l’on évoque devant ces pages les judicieuses et piquantes observations d’un Cassien ou d’un saint Grégoire signalées, plus haut. On a affaire ici avec de l’orgueil authentique, où l’homme recherche sa propre excellence en matière de dévotion et de vertus, par un travers que n’avaient pas manqué de dénoncer les anciens auteurs.

Bossuet présente une théologie de l’orgueil au cours de son Traité de la concupiscence. On y rencontre d’exactes définitions, et dans une langue admirable (v. g. : « L’orgueil dont nous parlons consiste dans une certaine fausse force, qui rend l’âme indocile et fière, ennemie de toute contrainte ; et qui, par un amour excessif de sa liberté, la fait aspirer à une espèce d’indépendance : ce qui est cause qu’elle trouve un certain plaisir particulier à désobéir, et que la défense l’irrite » c. xiv) ; on n’y doit point rechercher toutes les finesses des discernements techniques. Les parties de la doctrine qui prêtent le mieux à l’éloquence et à l’invective sont aussi les plus développées ; et Bossuet le fait avec une puissance étonnante de pénétration psychologique, mais une inclination prépondérante pour la sévérité morale. Dès lors, et bien qu’il ne dise rien que de juste, cet auteur propose une doctrine excessive, et qui n’exprime pas le sentiment authentique de la théologie chrétienne.

Pascal a pensé sur l’orgueil. Il a dénoncé ce péché comme l’un des excès où verse infailliblement notre nature, sans Jésus Christ, Pensées, éd. Brunschwig, 527 ; cꝟ. 524 ; comme une source de nos misères, 497 ; comme un caractère inévitable de la sagesse humaine, 460 ; comme le contre-poids de toutes nos misères, dont il n’est pas une où l’orgueil ne trouve son aliment, 153, 405-407 : fragments théologiques, au service du dessein majeur de l’Apologie.

3. Nos moralistes français n’ont pas manqué de décrire un vice aussi commun que l’orgueil. Le théologien doit prendre garde de ne pas dédaigner ces contributions, dont la valeur tient quelquefois à des origines chrétiennes, le plus souvent à la finesse et à la précision de l’observation humaine. La Rochefoucauld a consacré à l’orgueil un grand nombre de maximes, et l’on peut agréer la vérité de ces pensées particulières, sans reconnaître la valeur universelle et systématique que semble leur donner la rédaction. La distinction de l’orgueil, de la vanité, de l’amourpropre n’est pas toujours sûre chez cet écrivain. En revanche, il abonde sur la nature et davantage sur les effets de l’orgueil. Vauvenargues a corrigé en cette matière plusieurs maximes du Due. La Bruyère n’a qu’un mot sur l’orgueil. Mais Joubert : i traduit dans un vocabulaire délié plusieurs menues pensées relatives à ces choses morales.

Sur les mots : E. Littré, Dictionnaire de la lamine française, aux mots Excellent, Orgueil, Superbe ; Forcellini, Lexicon, Prato, aux mots Superbia, Superbio, Superbus ; A. Hermant, Xavier ou les entretiens sur la Grammaire française, c. Eraio, Paris, 1928, p. 143.

Pères et auteurs ecclésiastiques. — S. Augustin, De civilaleDeiJ. XIV, c. xiii, P. L., t. xli, col. 420-422 ; De natura et gratia, c. 29, P. L., t. xliv, col. 263 ; Enchiridion, c. xlv, P. L., t. XL, col. 254 ; Cassien, De cœnobiorum instituas, t. XII, P. L., t. xlix, col. 419 sq. ; Collaiio V, De oclo principalibus vitiis, ibid., col. 609 sq ; S. Benoit, Régula, c. vii, P. L., t. xlvi, col. 372 sq ; S. Grégoire le Grand, Moralia, l. XXIII, c. vi, xvii ; I. XXXI, c. xlv ; t. XXXIV, c. xxii-xxiii, P. L., t. lxxvi, passim ; S. Isidore, Etnmologite, x, P. L., t. lxxxii, col. 393 ; Sententio’, t. II, c. xxxviii, P. L., t. lxxxiii, col. 639-640 ; S. Bernard, De nradibus Iiumilitatis, P. L., t. ci.xxxii, col. 940 sq. ; Eadmer, Liber de sancti Anselmi simililudinibus, c. xxii sq., P. L., t. clix, col. 612 sq.

Théologiens. — S. Thomas d’Aquin.Qua’si’. disp. demalo, q. viii ; Sum. theol., I », q. lxiii, a. 1-3 ; II a -ÏI ffi, q. clxiic. i.xiii ; et les autres endroits cités dans l’article ; avec le commentaire de Cajetan ; Lessius, De justilia et jure, t. IV, c. iv, dubit. viu-x ; Navarrus, c. xiii, n. 8 ; Tolet, De septem peccatis, c. iv ; Silvius, Commentaria in Sum. theol., II » -Iiæ, q. clxii ; S. Alphonse de Ligori, Theoloma moralis. t. V, tract. De peccatis, c. 3, dub. 1, éd. Gaudé, t. ii, p. 752-753 ; et les manuels de théologie morale.

Divers. — S. Jean de la Croix, La nuit obscure de l’âme, t. I, c. n ; Bossuet, Traité de la concupiscence ; Pascal, Pensées ; La Rochefoucauld, Maximes, coll. des Grands écrivains de la France, t. i, max. 33-37, 173, 225, 228, 234, 239, 254, 267, 281, 285, 358, 450, 462, 463, 563, 568, 589, 601 ; Réflexions diverses, p. 345 (les corrections de Vauvenargues sont citées dans cette édition) ; I.a Bruyère, Les caractères, Des biens de fortune, coll. des Grands écrivains de la France, n° 57, t. i, p. 201 ; Joubert, Pensées, titre v, 89-97, et les autres ouvrages cités au cours de l’article.

Th. Deman.