Dictionnaire de théologie catholique/NOMS DIVINS

Dictionnaire de théologie catholique
Letouzey et Ané (Tome 11.1 : NAASSÉNIENS - ORDALIESp. 401-406).

NOMS DIVINS. La question des noms divins, c’est-à-dire de la valeur des termes employés pour désigner les perfections divines se pose du fait que Dieu est l’Être ineffable et incompréhensible. Au point de. vue de la théologie positive, on a exposé les éléments du problème à l’art. Dieu.

C’est du point de vue spéculatif qu’on aborde ici la question et l’on se demande quelle est :
I. La possibilité de désigner Dieu et ses perfections par des termes qui, tout déficients qu’ils soient, expriment la vérité ;
II. La signification de ces termes. On s’en tiendra à un bref commentaire de l’enseignement de saint Thomas, Sum. theol., Ia, q. xiii.

I. La possibilité de désigner Dieu et ses perfections par des termes qui, tout déficients qu’ils soient, expriment la vérité

Cette possibilité n’est pas la même s’il s’agit de désigner Dieu dans son essence connue selon son mode propre, ou s’il s’agit de désigner Dieu connu par le raisonnement ou la révélation.

1o  Dans le premier cas, malgré l’opinion singulière de Vasquez, In Sum. theol., q. xiii, disp. LVII, c. ii, il faut affirmer que l’homme et, en général, toute créature ne jouissant pas de la vision intuitive, est incapable de désigner, par un terme qui l’exprime vraiment, l’essence divine connue selon le mode qui lui est propre. C’est la conséquence logique de l’enseignement de l’Église touchant l’ineffabilité de Dieu ; cf. IVe conc. du Latran, Denzinger-Bannwarl, n. 428, et son incompréhensibilité ; cf Conc du Vatican, ibid., n. 1782. Cette vérité résulte de ce que, pour exprimer l’essence divine selon le mode qui lui est propre, il faudrait que la connaissance de l’être intime de Dieu nous fût au préalable possible. Or, on l’a démontré ailleurs, il y a absolue impossibilité à ce qu’une intelligence s’élève naturellement à la vision intuitive de l’essence divine. Voir Intuitive (Vision), t. vii, col. 2352. Pour les élus eux-mêmes, admis à la vision béatifique, l’incompréhensibilité divine subsiste. Ibid., col. 2380. Aussi certains théologiens, comme Banez, Sylvius, dans leur commentaire sur cette question XIII, concluent-ils que les bienheureux eux-mêmes ne peuvent donner à Dieu un nom exprimant la quiddité divine. Toutefois, avec Gonet, Billuarl, et nombre de thomistes, il faut reconnaître qu’en un certain sens les élus peuvent nommer l’essence divine comme telle. Ce nom cependant ne saurait être exprimé par eux, car dans la vision intuitive, il n’y a ni espèce impresse, ni espèce expresse ; mais « ce nom n’est autre que Dieu lui-même en tant qu’il est connu et atteint par les bienheureux dans la vision intuitive ». L. Jansscns, De Deo uno, t. i, p. 487. Encore faut-il ajouter que « ce nom divin ne comporte de signification adéquate à sa compréhension qu’en Dieu lui-même ». S. Bonaventure, In IIum Sent., dist. XXII, q. i.

2° Dans le second cas, les termes employés sont consécutifs à une connaissance de Dieu, obtenue soit pur voie de raisonnement en partant des choses créées, soit par le moyen de la révélation. En conséquence l’homme a la possibilité de désigner la substance ou les attributs divins par des termes qui expriment la vérité, quoique d’une manière imparfaite.

Il est certain que, par le raisonnement, nous pouvons naturellement parvenir à une connaissance des attributs divins, voir ce mot, t.), col. 2223, soit par la voie de la causalité, en remontant des effets à la cause première, soit par la voie d’éminence ou d’excellence, voir Éminence (Méthode d'), t. iv, col. 2422, soit par la voie d’exclusion, en affirmant de Dieu une perfection qui exclue les imperfections créées. Voir Attributs divins, t. i, col. 2226. Souvent même sinon toujours, c’est en unissant les trois voies que nous parvenons à « nommer » Dieu. S. Thomas, De potentia, q. vii, a. 5, ad 2um. Dans le texte indiqué, saint Thomas donne comme exemple la sagesse. Par la voie de la causalité, nous affirmons de Dieu qu’il est sage, puisqu’il cause la sagesse dans les êtres créés. Par la voie d’exclusion, nous disons que Dieu n’est pas sage à notre manière, puisqu’en lui la sagesse n’est pas un attribut s’ajoutant à la nature. Et, puisque cette négation est justifiée par la suréminente sagesse, qui en Dieu ne fait qu’un avec la divinité, nous pouvons, par la voie d’éminence, affirmer de Dieu qu’il est supersapiens. Plus simplement les attributs connus par la voie de négation, par exemple, l’incorporéité, l’immutabilité, l’infinité, sont dits attributs négatifs.

Par la révélation, nous arrivons à la connaissance non seulement des attributs divins, mais encore, dans une certaine mesure, de la substance même de Dieu. Nous savons que cette substance est l’être par luinunie subsistant. Sur la révélation du nom propre de Dieu, Exod., iii, 13-14, voir Dieu, t. iv, col. 954. Nous savons aussi que l’unique substance divine est en trois personnes égales et distinctes, la seconde procédant de la première par voie de génération, la troisième procédant des deux autres comme d’un seul principe. Et ainsi, à Dieu, connu dans sa vie intime, nous appliquons les notions de nature, d’essence, de personne, d’hypostase, de relation, de procession. Nous désignons le mode de procession par des termes empruntés au monde créé : génération et spiration. Nous appelons la première personne : Père, Principe, Inengendré, la seconde : Fils, Verbe, Image du Père, la troisième : EspritSaint, Amour, Don. Nous plaçons en Dieu des actes par lesquels se développe la vie intime de la Trinité, et qui nous font connaître l’origine des personnes, et par là nous nommons les notions et les propriétés qui nous permettent de distinguer une personne de l’autre. Voir Notion, col. 802. Toutes ces façons de parler montrent bien que notre intelligence entend exprimer la vérité qu’elle peut atteindre relativement à Dieu.

Cette expression, évidemment, est déficiente, car aucun langage humain ne pourra jamais traduire parfaitement les réalités divines. Néanmoins, il faut admettre que, malgré leur imperfection, les termes humains employés pour désigner les choses divines, expriment la vérité. Cette affirmation résulte de la possibilité de connaître Dieu par le raisonnement et par la révélation, possibilité qui a été démontrée ailleurs, voir Agnosticisme, t. I, col. 603 ; Dieu, (Connaissance naturelle de), principalement § ix et xi ; Mystère, t. x, col. 2594, et qui a été définie au concile du Vatican, sess. ni, c. il et iv, et canons correspondants. Denz.-Bannw., n. 1785-1786 ; 1795-1796 ; 1801-1816.

II. La signification des termes dont nous nous servons pour désigner Dieu et ses perfections.

Ici encore nous devons distinguer l’ordre de la connaissance naturelle et celui de la connaissance surnaturelle.

Dans l’ordre de la connaissance naturelle.

1. Les différentes solutions. —

La discussion s’établit ici entre trois solutions, celle des nominalistes, celle des scotistes, celle de l’école thomiste.

Pour sauvegarder l’absolue simplicité de Dieu, les nominalistes, reprenant l’opinion du juif Maimonide, placent la vérité des « noms divins » en ce que l’objet qu’ils expriment se trouve en Dieu virtuellement, c’est-à-dire comme en la cause première de toutes choses. Mais, à ce compte, la corporéité devrait se trouver en Dieu au même titre que la spiritualité. Cf. S. Thomas, Sum. theol., I a, q. xiii, a. 2. Parla, tous les noms divins seraient purement synonymes ; il n’y aurait, par exemple, entre la justice divine et la miséricorde qu’une distinction de mots, distinction de raison raisonnante, purement subjective, sans fondement dans la réalité. Au dire de saint Thomas, cette opinion est contraire à la foi, De potentia, q. vii, a. 5 ; cf. Sum. theol., loc. cit., et a. 5. Ne détruit-elle pas, en effet, toute connaissance rationnelle de Dieu ? « Nous ne saurions de Dieu que des paroles vaines, et toute démonstration de Dieu serait sophistique, propter fallaciam sequivocationis. « De potentia, q. vii, a. 7. Aussi l’Église a-t-elle condamné les propositions 23 et 24 d’Eckart, (lequel est, d’ailleurs aux antipodes du’nominalisme) visées par Jean XXII, Denz.-Bannw., n. 523-524. Voir Eckart, t. iv, col. 2063-2064 ; et Dieu (Connaissance naturelle de), t. iv, col. 767-771 ; Attributs divins, t. i, col. 2232.

A l’opposé, et pour éviter cet agnosticisme, Duns Scot a cru devoir poser en Dieu une multiplicité actuelle-formelle d’attributs et de perfections. C’est sa fameuse distinction formelle ex natura rei qui commande cette solution. Voir Attributs divins. col. 2233, et Duns Scot, t. iv, col. 1875. Parla, en Dieu, la distinction des attributs exprimés par les noms divins serait antérieure à notre conception de ces attributs. Mais les thomistes font observer qu’il y aurait là un commencement d’anthropomorphisme qui rappelle le réalisme exagéré de Gilbert de la Porrée, condamné au concile de Reims et que voulait éviter Scot. Cf. Garrigou-Lagrange, Dieu, son existence et sa nature, Paris, 1927, p. 517. Sur le réalisme de Gilbert de la Porrée, voir t. vi, col. 1353 ; Dieu, t. iv, col. 11651167 ; Attributs divins, t. i, col. 2232. Ainsi, pour les nominalistes agnostiques, la seule vérité répondant aux noms divins est la déité suréminente à toute dénomination, et qui, par là, demeure inconnaissable ; rien ne convient, même de façon simplement analogique, à la fois à Dieu et aux créatures, et les termes dont on se sert pour désigner les attributs divins et les qualités créées sont purement équivoques. Pour les scotistes, la vérité des noms divins implique en Dieu une multiplicité antérieure à la considération de notre esprit. C’est par un subterfuge verbal qu’on pense conserver encore la simplicité divine, et la signification des termes semble impliquer entre Dieu et les créatures une réelle uniocité.

Intermédiaire entre ces deux solutions extrêmes, se présente la solution thomiste, basée sur l’analogie des noms divins. Elle évite, d’une part, l’agnosticisme des nominalistes, sans verser, d’autre part, dans l’erreur anthropomorphiste.

2. Exposé de la solution thomiste. —

a) Contre l’agnosticisme, saint Thomas affirme que certains termes s’appliquent en toute propriété à Lieu, quant aux perfections qu’ils désignent, mais non quant au mode selon lequel notre esprit est obligé de concevoir ici-bas ces perfections, Sum. theol., P, q. xiii, a. 3. Ces termes sont ceux qui marquent les perfections absolues, lesquelles ne comportent essentiellement aucun élément d’imperfection propre aux créatures. Exemple : être, sagesse, bonté, etc. Les termes désignant des perfections mixtes, lesquelles sont toujours conçues suivant un mode propre aux créatures, ne peuvent s’appliquer à Dieu qu’improprement, c’est-à-dire métaphoriquement. Qu’on n’objecte pas que la propriété du terme suppose la connaissance propre de l’objet. Autre chose, en effet, est la connaissance propre qui ne peut exister que si elle atteint son objet selon le mode même de son existence, autre chose l’attribution en propre d’un terme à cet objet, cette attribution en propre existant chaque fois que ce terme signifie d’une manière indéterminée une perfection réelle qui d’ailleurs peut exister en des êtres différents selon des modes différents. Les perfections absolues sont conçues et exprimées par nous sans mélange de défauts : comme telles, nous les attribuons formellement à Dieu, et les termes par lesquels nous les exprimons conviennent donc en propre à Dieu. Mais nous ne les pouvons concevoir ici-bas que d’après le mode qu’elles possèdent dans les créatures, et ce mode ne saurait être transporté en Dieu. Aussi, comme l’enseigne le pseudo-Denys, les termes de ce genre peuvent-ils être, en toute propriété, affirmés et être niés de Dieu, affirmés en raison de leur signification, niés en raison du mode de leur signification. Car, en Dieu, les perfections exprimées par eux n’existent que selon un mode de suréminence, et notre langage ne peut exprimer ce mode qu’en recourant à la négation, par exemple dire de Dieu qu’il est infini ou immatériel, ou immuable, ou encore en recourant à la relation que Dieu possède vis-à-vis des choses créées, par exemple le proclamer souveraine cause ou souverain bien. Cf. Sertillanges, Les grandes thèses de la philosophie thomiste, Paris, 1929, p. 73-74 ; S. Thomas, Sum. cont. Gentes, t. I, c. xxx. Selon notre mode de concevoir, nous sommes obligés d’affirmer la simplicité divine en « composant » un sujet avec un attribut : Dieu est bon. Ce n’est pas pour autant, affirmer que Dieu soit composé. L’affirmation renfermée dans les termes que nous employons reste donc objectivement vraie quant à la réalité des perfections affirmées. Cf. S. Thomas, Sum. theol., f a, q. xiii, a. 12.

b) Les termes qui s’appliquent en toute propriété à Dieu ne sont cependant pas synonymes.

Cette affirmation répond à la préoccupation de tenir le juste milieu entre Scot et Maimonide. Sont synonymes les termes qui, tout en différant verbalement entre eux, expriment néanmoins des réalités identiques, identiques non seulement dans leur être, mais encore dans leur concept Si les « noms divins » étaient synonymes, il faudrait nier en Dieu ce que les théologiens appellent les distinctions de raison raisonnée. Les termes qui s’appliquent à Dieu proprement ne sont pas synonymes pour autant, parce que précisément, quoique désignant la même réalité, ils ne la désignent pas avec le même concept.

Il y a une double distinction de raison raisonnée, la majeure et la mineure. La distinction majeure porte sur des concepts formels adéquatement différents : en Lieu, c’est la distinction qui existe entre la relation et les propriétés personnelles d’une part, et la substance et les propriétés essentielles d’autre part. Voir plus loin et l’art. Notion. La distinction mineure porte sur des concepts formels qui se contiennent implicitement les uns les autres, mais diffèrent dans leurs notes explicites. C’est, en Dieu, la distinction qui existe entre les attributs essentiels, comparés les uns aux autres. En Dieu, en effet, l’attribut essentiel se réfère à l’être absolu, c’est-à-dire à la substance. Or, la substance divine est l’être subsistant par soi, donc l’être infini et d’une plénitude totale de perfection. Donc, en exprimant un seul des attributs essentiels de Dieu, nous exprimons implicitement tous les autres, parce qu’ils s’identifient en réalité tous dans la même substance. Mais, comme il ne nous est pas possible d’exprimer en un seul concept toute la perfection divine, notre esprit est obligé de concevoir la substance très simple de Dieu à l’aide de notions multiples et différentes, lesquelles ont ainsi pour double fondement, d’une part l’éminence de la divine perfection, d’autre part la faiblesse de notre intelligence. S. Thomas, Sum. theol., Ia, q. xiii, a. 4. Ainsi, dans la solution thomiste, les noms divins signifient que « les perfections absolues sont en Dieu formellement et éminemment et ne sont pourtant distinctes les unes des autres que virtuellement. Elles y sont formellement, c’est-à-dire selon leur raison formelle ; éminemment, c’est-à-dire selon un mode infiniment supérieur au monde créé, qui ne nous est connaissable que d’une façon négative et relative, et qui leur permet de s’identifier sans se détruire dans la raison formelle de la Déité. De la sorte, elles sont en Dieu formellement et ne se distinguent pourtant les unes des autres que virtuellement, ou autrement dit selon une distinction de raison raisonnée fondée en réalité, mais postérieure à la considération de notre esprit. » Garrigou-Lagrange, op. cit., p. 521.

c) Les termes qui s’appliquent proprement à Dieu et aux créatures ne sont ni équivoques, ni univoques, mais analogues, S. Thomas, q. xiii, a. 5. —

L’univocité ne saurait exister, puisque les termes employés pour désigner les perfections divines et les perfections créées ne peuvent impliquer, entre ces perfections, une réelle participation à une notion vraiment et directement commune. Saint Thomas juge une telle univocité « tout à fait erronée », Voire « ridicule ». De veritate, q. ii, a. 1. « Et la raison en est qu’il n’y a pas en Dieu de qualités, qu’il n’y a pas en Dieu de distinction de sujet et d’attribut, qu’il y a encore moins de distinctions qualitatives exprimables au moyen de nos noms. Ce que nous appelons en Dieu sagesse est identique à ce que nous appelons en Dieu bonté ou puissance, identique à ce que nous appelons son être, identique à ce que nous appelons Dieu. » Sertillanges, 'op. cit., p. 71. L’équivocité ne peut également être retenue puisqu’entre les perfections divines et les perfections créées désignées par le même nom, il existe un rapport réel soit de dépendance soit de similitude. Ce rapport réel de dépendance ou de similitude fonde l'analogie des noms divins. Voir Analogie, t. I, col. 1146.

Cette analogie est double. Il y a tout d’abord l’analogie d’attribution ou de proportion. Ici, l’analogie d’attribution ne peut s’affirmer que d’une unique façon, en tant que Dieu possède par essence les perfections qu’on lui attribue, tandis que les créatures ne possèdent les mômes perfections qu’en dépendance et en participation de Dieu. Dieu est ici le premier analogue auquel se réfèrent les autres. Cf. S. Thomas, Cont. Génies, t. I, c. xxxiv ; Compendium theol., c. xxvii. Mais il y a aussi l’analogie de proportionnalité, laquelle se fonde sur la similitude de proportion qui existe entre l’exigence de la déité par rapport aux perfections Infinies de Dieu, et l’exigence de la nature créée, angélique ou humaine, par rapport aux perfections créées, finies et participées. « Appliquant la chose à notre cas, nous ne dirons pas qu’il y ait, de la créature à Dieu, un rapport déterminé quelconque et des formes d’existence réellement communes ; mais il y a similitude de rapport de Dieu à Dieu d’une part, de la créature à la créature de l’autre. Dieu est à Dieu, envisagé dans la plénitude de son être et de sa perfection, ce que l’homme est à l’intelligence de l’homme, à sa bonté, à sa puissance, à tout ce qu’on peut lui attribuer, à lui ou à toute créature, sans qu’une imperfection y soit incluse. » Sertillanges, op. cit., p. 72. Sur cette analogie de proportionnalité, cf. S. Thomas, De veritate, q. ii, a. Il ; Gajétan, De nominum analogia, c. VI.

d) Les termes qui désignent des perfections mixtes et ne s’appliquent que métaphoriquement à Dieu comportent aussi une certaine analogie ; mais, parce que ces termes ne conviennent proprement qu’aux créatures, il ne saurait y avoir ici qu’une analogie d’attribution dont le premier analogue est la créature, S. Thomas, q. xiii, a. 6. —

Après ce qui a été exposé, cette proposition est claire. Rien n’existe en Dieu qui puisse être, en toute propriété des termes, désigné par les noms se référant aux perfections mixtes. Par exemple dire que Dieu s’irrite, parle, marche, sont des anthropomorphismes qui ne posent en Dieu qu’une analogie fort lointaine avec les sentiments essentiellement humains exprimés par ces termes. C’est donc de l’homme, et non de Dieu, que ces termes pourront être entendus proprement. Ils ne seront appliqués ensuite à Dieu que métaphoriquement, par relation aux sentiments humains dont notre esprit pense trouver en Dieu un équivalent lointain, tout au moins quant à certains effets.

e) Enfin, certains noms, comportant une relation de Dieu à l’existence même des créatures, ne peuvent être appliqués à Dieu de toute éternité, mais seulement dans le temps, S. Thomas, ibid., q. xiii, a. 7. —

Quand l’Écriture appelle Dieu notre Père, notre Seigneur, notre Créateur, etc., ces noms sont essentiellement relatifs aux créatures déjà existantes. Il est évident que de telles expressions ne peuvent être appliquées à Dieu de toute éternité, « car une relation actuelle exige l’existence actuelle de ses deux termes ; donc il est impossible que Dieu soit présenté comme actuel principe de la créature, alors que la créature n’existe pas encore ; or t l’existence des créatures est, non de toute éternité, mais dans le temps. » S. Thomas, In i am Sent., dist. XXX, a. 1. Une telle. attribution dans le temps n’apporte cependant aucun changement en Dieu ; tout le changement est du côté de la créature qui, après le néant, commence d’exister. Voir Création. Cette attribution n’implique pas non plus qu’il y ait eu, dans l’éternité, un instant où ces noms n’étaient pas applicables à Dieu ; elle implique seulement qu’ils né conviennent à Dieu que par dénomination extrinsèque, en raison d’un effet mesuré, non par l’éternité, mais par le temps.

Dans l’ordre de la connaissance surnaturelle.

La connaissance surnaturelle, c’est : à-dire acquise par voie de révélation, nous fait déborder le cadre de notre connaissance naturelle. Sans doute, tout d’abord, elle corrobore cette connaissance naturelle en tout ce qui concerne l’existence, la nature et les attributs divins. Mais, de plus, elle nous fait pénétrer dans la vie intime de Dieu, dans le mystère de la Trinité. Pour exprimer notre connaissance, des noms ici encore sont nécessaires, empruntés de toute nécessité aux données de la connaissance naturelle et, de ce chef, l’analogie joue toujours son rôle.

Mais d’autres problèmes se posent que celui de la connaissance analogique que nous avons, par la révélation, des mystères divins. Nous n’avons pas à reprendre l’exposé historique de la révélation concernant les réalités exprimées par ces noms divins et souvent aussi les noms eux-mêmes. Nous devons nous borner à mettre en relief quelques points utiles pour conserver aux termes employés, une signification correcte dans la dénomination des mystères divins.

1. Distinction des noms essentiels et des noms personnels.

Cette distinction est fondamentale en matière trinitaire. Et c’est parce que l’on a confondu hypostase, nom personnel chez les Grecs, avec substantia, nom essentiel chez les Latins, que la mésentente régna si longtemps entre Grecs et Latins en fait de terminologie trinitaire. Voir Hypostase, t. vii, col. 376.

Les noms essentiels désignent directement l’essence ou la nature divine, ou quelque attribut absolu se rapportant à l’essence. Exemples : Dieu, divinité, éternité, tout-puissance, avec les adjectifs correspondants. Ces adjectifs, exprimant en Dieu une perfection essentielle, sont nécessités par notre mode de connaissance abstractive, qui ne peut concevoir les perfections divines qu’en les attribuant à Dieu, alors qu’en réalité ces perfections sont identiques à l’être divin lui-même. Parmi les substantifs que nous appliquons à Dieu, il faut distinguer les termes concrets et les termes abstraits. Sur la signification de ces mots, voir t. i, col. 282.

Les noms personnels désignent directement la personne ou les rapports des personnes entre elles. Ici également, nous employons des adjectifs : engendrant, engendré, procédant. Mais il s’agit surtout de substantifs, et derechef se rencontrent termes concrets : Père, Fils, Esprit-Saint, et termes abstraits : paternité, filiation, spiration, etc. Ces termes abstraits, en matière trinitaire, ont dû être employés pour I a commodité du raisonnement humain dans l’exposition du dogme : ce sont les notions ou propriétés, voir art. Notion.

2. Noms propres et noms appropriés.

Les noms propres sont ceux qui, dans le mystère de la Trinité, conviennent à une seule personne et ne peuvent être appliqués aux autres. Les noms propres de la première personne sont : Père, Principe, Inengendré. Cf. XIe conc. de Tolède ; Conc. de Florence, décret pro Jacobilis, Denz.-Bannw., n. 275 et 704. On exposera à l’art. Père en quel sens ces noms peuvent devenir essentiels.

Les noms propres de la seconde personne sont : Fils, Verbe, Image du Père. Les deux premiers termes sont toujours personnels. Le nom d’Image, emprunté à Col., i, 15 et à Heb., i, 3, est, en soi, un nom personnel parce qu’il ne peut s’appliquer qu’au Fils qui, en vertu de la génération qui lui est propre, est vraiment l’Image de Dieu le Père, ou le caractère, l’image exprimée, de l’hypostase, c’est-à-dire de la réalité du Père. Toutefois, en un sens plus large, l’Esprit-Saint est parfois appelé par les Pères grecs l’image du Père et du Fils, en tant que, procédant d’eux, il leur est semblable par l’identité de nature. Cf. S. Thomas, Cont. errores Grœcorum, c. x. —

Les noms propres de la troisième personne sont : Esprit-Saint, Amour, Don. Ces noms ne sont point propres en raison de leur signification même, mais en vertu d’une accommodation, car, le mode de procession en Dieu selon la volonté nous étant inconnu, il nous est impossible de lui attribuer des termes propres au sens strict. Mais par là même, ces trois noms peuvent être à la lois essentiels et personnels.

Les noms appropriés sont ceux qui attribuent à une personne une perfection ou une action en réalité commune aux trois, en raison d’une relation spéciale que cette perfection ou cette action possède avec cette personne. Ainsi, au Père, qui est le principe n’émanant d’aucun autre principe, sont attribuées par appropriation l’éternité, la toute-puissance et les œuvres ad extra qui relèvent de la puissance. Au Fils, qui procède du Père selon l’intelligence, sont attribuées par appropriation la sagesse et les œuvres de la sagesse, c’est-à-dire l’ordre et la disposition des choses, la réparation du genre humain qui est la restauration de l’ordre troublé par le péché originel. Au Saint-Esprit, qui procède en tant qu’Amour personnel du Père et du Fils, sont attribuées la bonté et toutes les œuvres extérieures relevant de la bonté, comme la charité, la miséricorde et principalement les œuvres de notre sanctification, qui sont les plus grandes manifestations de la bonté et de la bienveillance divines. Voir l’art. Appropriation, t. i, col. 1708.

3. Règles concernant l’emploi des termes concrets et des termes abstraits, S. Themas, Sum. theol., I a, q. xxxix. —

Aux remarques formulées à l’art. Abstraits (Termes), t. i, col. 283, on ajoutera les règles suivantes, concernant, dans les questions trinitaires, l’emploi des termes essentiels ou personnels au singulier et au pluriel :

a) Première règle. - —

Les substantifs essentiels, concrets ou abstraits, qui signifient directement l’essence divine, ne peuvent être attribués aux trois personnes qu’au singulier. Le symbole Quicumque fournit un exemple typique de cette règle : Non tres aeterni, sed unus œternus, sicut non tres increati, nec tres immensi, sed unus increatus et unus immensus… ; non tres omnipotentes, sed unus omnipotens… ; non tres dii sed unus est Deus… ; non tres domini, sed unus est DOminus, Denz.-Bannw., n. 39. Ici, les termes : immensi, omnipotentes, aeterni, sont pris, non adjectivement, mais substantivement. On dira donc : le Père est divinité, sagesse, Dieu, créateur, Seigneur ; ou encore les trois personnes divines sont un Dieu, un créateur, une seule divinité, une seule sagesse, etc.

b) Deuxième règle.

Les adjectifs essentiels, qui directement affectent les personnes et indirectement la nature peuvent être attribués à chacune des personnes ; mais donnés aux trois personnes simultanément, ils doivent être mis au pluriel. Ainsi, l’on dira : le Père est éternel, omniscient, tout-puissant ; mais il faudra dire : les trois personnes sont toutes puissantes, omniscientes, éternelles. Ici, ces termes sont pris adjectivement : Totæ tres personæ coœternæ sibi sunt et ceœquales, Denz.-Bannw., ibid.

c) Troisième règle.

Les substantifs essentiels concrets, v. g. Dieu, Créateur, Seigneur, peuvent se substituer à un nom concret personnel : en ce cas, ils signifient l’essence, en tant que concrètement possédée par la personne, et, par conséquent, peuvent se substituer au nom strictement personnel. Ainsi, nous lisons dans ps. cix, 1, et Matth., xxii, 44 : Dixit Dominus Domino meo ; et, dans le symbole de Nicée : Deum de Deo, Deum verum de Deo vero. Ainsi, Marie est appelée la mère de Dieu, alors qu’elle est simplement la mère du Fils. En conséquence, tous les noms personnels, concrets ou abstraits, et les actes notionnels peuvent être attribués à un substanlif concret substitué à un nom personnel. Ainsi l’on peut dire : Dieu est Père ; Dieu est Fils ; Dieu est paternité ; Dieu est trinité ; Dieu engendre ; Dieu est engendré, etc.

d) Quatrième règle.

Les substantifs essentiels abstraits (essence, déité) ne peuvent être substitués aux noms personnels ; en ce cas, en effet, ils signifient l’essence, la forme en elle-même et non point possédée par un sujet. Ainsi, le IVe concile du Latran a condamné la formule : essentia divina est generans et genita, de l’abbé Joachim de Flore. - — Toutefois, bien des locutions analogues, employées par les Pères doivent être interprétées bénignement. Saint Thomas explique que, dans l’esprit des Pères, le terme « essence » est pris parfois pour le sujet qui la possède, ut sic dicatur quod essentia divina generat, quia Pater qui est essentia divina, generat. Contra errores Græcorum, c. iv. C’est en vertu du même principe, et avec plus de raison, qu’on peut dire : le Fils est la Sagesse engendrée.

4. Règles particulières, Sum. theol., I a, q. xxxi. —

Il faut, tout en consultant la signification obvie des tenues et l’usage de la langue théologique, éviter toute expression qui pourrait, en Dieu, offenser l’unité de nature et la trinité des personnes. Quatre expressions ont retenu spécialement l’attention des théologiens.

a) Le mot triple ne doit pas être employé pour marquer la trinité des personnes : sa signification obvie détruit en effet la consubstantialité, et instaure une unité spécifique participée en inégales proportions. Aussi le XIe concile de Tolède l’a-t-il proscrit : Hæc est sanctæ Trinitatis relata narratio, quæ non triplex, sed Trinitas et diei et credi debet. Denz.-Bannw., n. 278. —

b) L’emploi ces mots alius et aliud est obvie. Alius s’applique à la personne ; aliud se réfère à l’essence. Licet igitur alius sit Pater, alius Filius, alius Spiritus sanctus, non tamen aliud. IVe concile du Latran, cap. Damnamus, Denz.-Bannw., n. 432. —

c) Les termes « singulier, unique », ne sauraient être opportunément employés en parlant d’une personne, parce qu’ils sembleraient exclure les autres personnes. Bien que les Pères aient évité leur emploi à l’égard de l’essence divine, pour ôter aux hérétiques toute occasion d’abus, on ne peut cependant réprouver cet emploi, qui est justifié dans les actes de la session xi du VIe concile. Cf. Sylvius, Comm. in Sum. theol. S. Thomas, I a, q. xxxi, a. 2. —

d) Le mot solus doit être employé avec beaucoup de circonspection. Il ne peut être employé seul, en un sens catégorématique ; par exemple : Dieu est seul ; le Père est seul. Mais il peut être employé en un sens syncatégorématique, en apposition au sujet ou à l’attribut, à condition que la signification de la phrase ainsi construite soit vraie. Si les sujet et attribut de la proposition sont des termes essentiels, le mot solus apposé soit au sujet soit à l’attribut marquera l’exclusion des autres êtres par rapport à l’essence divine ou l’attribut essentiel affirmé de Dieu. Ainsi : Seul, Dieu est éternel ; ou encore : Dieu est seul immense, seul tout-puissant, seul très-haut, etc. Si le sujet et l’attribut sont des termes personnels, il faut que l’attribut convienne exclusivement à la personne dont il est affirmé, pour que le mot seul puisse être employé. Ainsi, on dira : Seul, le Père est engendrant ; le Fils seul est engendré. Manifestement fausse serait la proposition : Seul, le Père est spirateur. S’il s’agit d’une proposition ou le sujet soit un nom personnel et l’attribut un terme essentiel, le sens guidera l’emploi du mot seul apposé au sujet ou à l’attribut. Ainsi, on ne pourra pas dire : Seul, le Père est Dieu. Mais on dira bien, — parce qu’ici le mot seul affecte un terme essentiel et non personnel, — Le Père est le seul vrai Dieu. Le sens est : le Père est cette déité, en dehors de laquelle n’existe aucune véritable déité. Et c’est ainsi que Jésus-Christ, Joa., xvii, 3, a pu dire, ut cognoscant te, soltim Deum verum, c’est à-dire, en suivant le texte grec, afin qu’ils te connaissent, toi qui es le seul vrai Dieu, ina ginoskosi s* ton monon aletinon Teon

Aucune bibliographie spéciale n’est nécessaire pour cet article qui est un article de simple « liaison « entre différentes études parues dans ce Dictionnaire. On se reportera simplement, dans les auteurs, aux commentaires des trois questions suivantes de saint Thomas, Sum. theol., Ia, q. xiii ; q. xxxix ; q. xxxi. On devra, sur l’analogie, consulter Cajétan, De nominum analogia ; Garrigou-Lagrange, Dieu, sa nature et ses attributs, part. II, c, ni, et les commentaires de la 21e proposition thomiste approuvée par la S. C. des Études. Voir également le commentaire de saint Thomas sur le livre du pseudo-Denys, De divinis nominibus.

A. Michel.