Dictionnaire de théologie catholique/MORT IV. Moment

Dictionnaire de théologie catholique
Texte établi par Alfred Vacant, Eugène Mangenot, Émile AmannLetouzey et Ané (Tome 10.2 : MESSE - MYSTIQUEp. 601-603).

appelée apparente, se produit rarement ; mais la mort relative est le sort de tous : « Nous pouvons, écrit cet auteur, définir la mort apparente un état accidentel où les manifestations vitales sont réduites, au point de donner durant un temps prolongé l’illusion plus ou moins complète de la mort réelle. Le retour à la vie peut se produire spontanément ou être provoqué par la mise en œuvre de moyens simples, tels la ventilation pulmonaire, les injections médicamenteuses, la provocation des réflexes divers. La persistance de l’activité cardiaque (difficile à diagnostiquer dans certains cas par les procédés courants) est la caractéristique de cet état décrit sous le nom de mort apparente. « Nous avons dit un étal accidentel, car tous les êtres vivants ne passent pas fatalement par cette étape de la mort apparente. On peut, il est vrai, l’observer lors de la période agonique, quand le dernier soupir précède l’arrêt du cœur, mais sa durée est alors de quelques minutes, et il n’y a pas lieu d’en tenir compte. Habituellement, la mort apparente, véritable état syncopal, se produit à la suite d’un choc nerveux traumatique ou psychique, ou dans des circonstances accidentelles : asphyxie, intoxication, hémorrhagie, ou enfin au cours de maladies variées.

Dans la mort relative, on observe une suspension des manifestations vitales, complète, totale et prolongée. Le cœur peut être mis à nu : son immobilité est absolue. Dans ces conditions, tout retour spontané à la vie est impossible. La constatation certaine de l’arrêt du cœur permet de délivrer le permis d’inhumer et cette mesure peut être prise sans inhumanité ; cependant le sujet qui pratiquement peut être traité comme mort ne l’est pas en réalité, puisque l’expérimentation et la clinique démontrent la possibilité, dans certaines circonstances favorables, de rappeler à la vie un sujet dont le cœur a subi un arrêt prolongé qui semblait devoir être définitif. « La mort absolue, c’est la mort proprement dite, c’est l’impossibilité de la vie caractérisée par la destruction autolytique et bactériolytique des cellules, entraînant des lésions incompatibles avec la vie quand elles sont généralisées. Il semble que ces lésions se produisent normalement au moment de l’arrêt du cœur, mais elles n’envahissent pas brusquement toutes les cellules ; c’est la raison d’être de cette période plus ou moins longue, mais toujours appréciable, que nous avons appelée la mort relative. Il ne peut donc y avoir de délimitation fixe entre la mort relative et la mort absolue. Il existe de nombreux signes de la mort relative ; il n’y a qu’un signe de la mort absolue : c’est la putréfaction, manifestation évidente de la destruction de l’édifice organique. » D’Halluin, Le problème de la mort, p. 50-51, 68-69 ; cf. Lettre à l’Ami du clergé, 1906, p. 188.

2° Application de ces observations aux différents genres de mort. — Em. Bertin traitant de la mort de l’organisme entier, marque que la mort peut être naturelle, violente ou causée par la maladie.

1. La mort naturelle est extrêmement rare chez les hommes. C’est la mort qui provient, aux dernières limites de la vieillesse, de l’usure de tous les organes élémentaires dont se compose le tout humain. L’ensemble meurt parce que meurent en lui toutes les parties dont il est formé. En cas de mort naturelle, pas de mort relative, pas de mort apparente possible.

2. La mort violente est la conséquence d’une pertubation des fonctions communes, pertubation produite brusquement par un agent extérieur et assez intense pour anéantir d’un seul coup, soit l’être entier, soit une des conditions physiologiques essentielles de la vie dans l’organisme complet : mort provoquée par la joudre (action directe sur le système nerveux) ; mort . } ar pendaison ou décollation ; mort par un coup

d’arme à feu (désorganisation de la pulpe cérébrale) ; par perforation du coeur (coup de couteau), ou par ouverture des gros vaisseaux (perte totale des provisions sanguines et suppression de la circulation) ; mort causée par la chute d’un lieu élevé (commotion universelle, obstacle respiratoire) ; enfin, mort par asphyxies diverses. Dans ces cas de morts violentes, les seuls à l’occasion desquels aient été tentées des expériences concluantes, on doit admettre le fait d’une mort relative, même après la cessation des battements du cœur. Et cette persistance latente de la vie existe, semble-t-il, dans la plupart sinon dans la totalité des cas de mort violente.

3. La mort par maladie est la suite d’une succession de ravages dans l’organisme, aboutissant à la suppression d’une des fonctions essentielles de la vie. Plus et plus longtemps la maladie opère de ravages dans l’organisme entier, et moins il y a de chance de mort relative, les vies locales étant supprimées presque aussitôt que la vie générale. Plus le déclenchement de la perturbation est brusque et plus la perturbation est profonde, et plus aussi la mort comportera de progression avant d’être absolue. En sorte que les morts subites (qui sont cependant des morts provenant de maladie, car elles supposent toutes un défaut grave dans l’organisme) doivent être, sous le rapport qui nous occupe, considérées à peu près comme les morts accidentelles.

Critiques et conclusions de la théologie.

1. La théologie

n’accepte pas uniformément et sans discussion ces conclusions. Elle rappelle que l’âme est l’unique principe vital du composé humain, principe non immédiat des opérations vitales, mais agissant par l’intermédiaire des facultés. Voir Forme du corps humain, t. vi, col. 363 ; cf. S. Thomas, De anima, a. 12, ad 10um. De plus, d’après saint Thomas, si, dans l’homme, l’âme est à la fois principe de vie intellectuelle, de vie animale, de vie végétative, ces trois fonctions vitales comportent en l’âme même non une distinction réelle, mais une distinction virtuelle entre leurs principes premiers. Rien ne s’oppose donc, dans la conception thomiste du principe vital, qu’à l’âme, principe de vie, simple et complet, mais virtuellement complexe, succèdent au moment de la mort, des principes partiels et imparfaits de vie inférieure, principes transitoires et destinés à disparaître progressivement jusqu’à la dissociation complète du composé en ses éléments premiers. Cf. S. Thomas, In lib. I am De yeneratione et corruptione, lect. 8. Ce rappel de la doctrine thomiste (les anciens théologiens n’admettaient-ils pas d’ailleurs, dans la formation de l’embryon humain, la succession réelle des trois âmes, végétative, sensitive, intellective ?) énerve singulièrement l’argument qu’en faveur de la mort relative, on pense tirer du fait de la persistance d’une certaine vie dans les organes séparés. On fera difficilement admettre à un philosophe catholique que cette vie persistante est encore due à la présence de l’âme spirituelle, puisque les organes sont séparés du tout substantiel dont l’âme est la forme. Il faudrait — chose impossible — démontrer que ces manifestations vitales appartiennent à une vie formellement humaine. Nous admettrions donc plus volontiers que les organes séparés ont acquis, après la séparation de l’âme et du corps, un principe partiel de vie, imparfait et destiné à disparaître progressivement.

2. La persistance d’une certaine vie dans quelques parties, tissus ou organes du corps apparemment mort, mais parties non séparées, n’apporte pas non plus un argument apodictique en faveur de la présence latente de l’âme spirituelle en ce corps sans vie générale. A la rigueur, en effet, on pourrait ici expliquer de la même façon que précédemment les phénomènes de vie partielle observés. Toutefois, on ne saurait se montrer aussi catégorique. Peut-être, en effet, n’est-il pas imprudent d’affirmer que l’âme, principe vital de l’organisme complet, est encore, par sa présence latente, du moins pendant une courte durée immédiatement consécutive au dernier soupir, le principe premier des manifestations de vie inférieure et^partielle qu’on peut encore observer en^certains tissus ou organes. En tout cas, cette explication est plausible en soi : elle est possible, elle est peut-être probable.

3. Quant aux cas où une reviviscence soit temporaire, soit surtout définitive pourrait se produire à l’aide de massages du cœur ou d’injections intracardiaques d’adrénaline, la théologie catholique doit reconnaître qu’on ne saurait les expliquer, sinon par la persistance de l’âme spirituelle dans le corps soumis à une mort simplement relative. Or, ces reviviscences semblent toujours possibles après une mort subite ou accidentelle. Il s’agit ici, rappelons-le, non de reviviscences tardives, qui se traduisent par de simples mouvements automatiques, cf. Roure, Études, l’y novembre 1904, p. 589, mais de reviviscences précoces où la véritable vie humaine se manifeste. D’Halluin, Le problème de la mort, p. 67.

4. En conséquence, il paraît raisonnable de tirer cette conclusion : si, dans les cas de mort causée par une maladie, il y a, pendant une durée à la vérité fort restreinte, une probabilité extrêmement réduite, mais enfin, une probabilité quand même, de mort relative, dans le cas de mort subite et accidentelle, la mort relative et progressive existe presque à coup sûr.

Aussi les théologiens récents ont-ils formulé, relativement à l’administration des sacrements en cas de mort apparente ou relative, des règles prudentes’qu’il n’est pas permis de négliger. Dans son livre : La mort réelle et la mort apparente et leurs rapports avec l’administration des sacrements, trad. de J.-B. Geniesse, Paris, 1906, le P. Ferreres, S. J., a proposé la règle pratique suivante : « Le prêtre pourra toujours ou presque toujours et même devra administrer les sacrements à celui qui ne les a pas reçus, bien qu’il le trouve mort en apparence, pourvu qu’il ne soit pas entré dans la période de putréfaction. En effet, s’il s’agit de mort subite, tous conviennent aujourd’hui que la’période de la vie latente peut~durer des heures et même des jours entiers ; s’il s’agit de longue maladie, étant donné qu’elle laisse du temps et que l’on voit arriver de loin la mort, le malade ordinairement aura déjà reçu les sacrements, quand il était certainem’iit vivant ; et, si dans quelque cas cela n’a pas eu lieu, le prêtre, arrivé peu de minutes après que le moribond aura rendu le dernier soupir, pourra en conséquence lui conférer les sacrements… Quand même le prêtre arriverait une ou deux heures après, il pourrait aussi, généralement parlant, les’conférer. » Op. cit., n. 138, 139.

Genicot-Salsmans accorde une demi-heure après le dernier soupir, en cas de mort de maladie, plus longtemps, en cas de mort subite ou accidentelle. Institutiones theologiæ moralis, Bruxelles, 1922, t. ii, n. 422. Bucceroni arrive aux mêmes conclusions. Institutiones theologiæ moralis, part. II, vol. iii, n. 754 ter ; 6° éd. Rome, 1915. Vermecrsch opine dans le même sens que Ferreres, Theologia moralis, Paris-Bruges-Rome, 1923, t. iii, n. 661.

Tous ces auteurs recommandent de n’administrer sous conditions les sacrements à ceux qui peut-être ne sont morts qu’en apparence, qu’à la condition expresse d’instruire les fidèles et de leur exposer combien leur conduite serait blâmable s’ils attendaient, après le dernier soupir de leurs mourants pour appeler le prêtre. Cf. Fcrrcres-Geniesse, p. 139, 446.

A titre d’indication, signalons que le rituel de

Cambrai, approuvé par la S. C. des Rites, ajoute au texte du rituel romain, titre v, c. i, n. 21, cette recommandation : Hic animaduertere oporlet mortem veram cum specie mortis non necessario congruere, ac proinde extremam unctionem quibusdam esse minislrundam qui spiritum jam emisisse videntur. Cf. Ami du clergé, 28 février 1927.

A..Michel.

2. MORT (PEINE DE). — Après un rapide aperçu historique du débat, qu’a soulevé la peine de mort, nous montrerons la légitimité de son application (col. 2502), et nous examinerons brièvement les principales objections émises contre elle (col. 2506).

I. Historique. —

1°_Il n’y a guère de législation, qui n’ait admis la peine de mort. La Bible nous la montre en usage_au temps des patriarches. Elle nous rapporte de même les décrets de Moïse au sujet de son application. A travers ses récits nous la voyons en vigueur chez les peuples asiatiques aussi bien que chez les Égyptiens. Les lois de Dracon sont restées célèbres chez les Grecs, et tout le monde connaît les sévérités de la législation romaine.

Sans doute l’énormité de la peine capitale attire les réflexions de certains Pères de l’Église, tels que saint Augustin, et leur fait invoquer le recours à l’autorité divine, qui seule peut en légitimer le principe. Cependant nul d’entre eux ne conteste que ce droit n’ait été concédé en certains cas, soit par une loi générale soit par un ordre particulier, à l’autorité sociale, dont le pouvoir vient de Dieu.

Au xii 8 siècle les Vaudois attaquent ce droit. Ils enseignent que la puissance séculière commet un péché grave en prononçant une condamnation à mort. Innocent III leur répond et réprouve leur doctrine en leur faisant signer, en 1208, une formule d’abjuration et de profession de foi, où il est dit entre autres, « nous affirmons, touchant la puissance séculière, qu’elle "peut sans péché mortel exercer le jugement du sang, pourvu qu’elle procède, en portant la sentence, non par haine mais par jugement, non sans précaution mais avec sagesse. » (Denz.-Bannw., n. 425.)

Sur ces réserves, par crainte sans doute de voir maints seigneurs s’arroger des droits Jabusifs, insistent les théologiens du Moyen Age. « Seul a le pouvoir de vie et de mort celui qui a la charge de la communauté », dit saintjThomas, Sum. theol., II a -II®, q.Lxiv, a. 3. Mais il n’y a pas homicide, et par conséquent il n’y a pas de faute contre le commandement, /livin Non occides, lorsque la justice humaine prononce suivant les formes’une peine capitale. « En ce cas l’autorité humaine, dans les choses qui sont soumises à sa juridiction, est le vicaire de Dieu. » Ibid., ia-II 08, q. c, a. 8, ad 3um.

2° Il faut attendre le xvin » siècle pour voir naître ce qu’on appellera plus tard la campagne abolitionniste contre la peine de mort.

Elle fut ouverte par un jurisconsulte italien César Beccaria (1738-1791). Séduit par le philosophisme français, il entreprit d’en appliquer les idées à la législation dans son Traité des délits et des peines publié en italien (1763-1761). Il veut qu’on restreigne l’application de la peine de mort au crime de sédition, ou encore aux cas où la mort du coupable est le seul moyen d’éviter d’autres crimes. C’est qu’il entend réduire le droit de punir à {’utilité générale et conclut que, d’ordinaire, la peine de mort est inutile à la société comme à l’individu. Nous exposerons plusieurs de ses arguments dans la série des objections. Nous les retrouvons’d’aillcurs dans les Œuvres de Jérémie Bentham (1718-1832), le célèbre jurisconsulte et économiste anglais, qui donna l’arithmétique des plaisirs. Ne voyant lui aussi comme fin de toute morale que l’utlllté’alnsl que l’amélioration du bien-être des indi