Dictionnaire de théologie catholique/MESSIANISME I. Etude analytique des prophéties relatives au Messie dans la littérature canonique 5. Les temps exiliens et posexiliens

Dictionnaire de théologie catholique
Texte établi par Alfred Vacant, Eugène Mangenot, Émile AmannLetouzey et Ané (Tome 10.2 : MESSE - MYSTIQUEp. 86-109).

V. Les idées messianiques des temps exiliens et postexiliens. —

I. Êzêchif.l. —

Jahvé n’abandonna pas son peuple non plus durant l’exil. Parmi les déportés de l’année 597 se trouvait déjà celui qui devait être auprès d’eux son porte-parole, Ézéchiel. En 593, il l’établit comme « sentinelle de son peuple »,

m, 17, et lui donna l’ordre de s’adresser à ses frères en exhortant chacun individuellement. Par cette activité Ézéchiel avait à maintenir la foi parmi les captifs de Babylone, à les rendre dignes du pardon divin et du retour en Chanaan. Cette mission devait amener Ézéchiel à entretenir dans une large mesure les espérances messianiques. Il ne le fit pourtant d’une façon systématique que ^durant la seconde période de son ministère, c’est-à-dire après 586.

Le recueil des prophéties d’Ézéchiel ne soulève pas les graves problèmes de haute critique qui se rencontrent pour les livres d’Isaïe et de Jérémie. Jusqu’en ces derniers temps il a été regardé par à peu près tous les exégètes non seulement comme entièrement dû à la plume d’Ézéchiel, mais aussi comme une œuvre d’un seul jet.

Il est vrai que le travail de critique littéraire accompli par les récents commentateurs, Krætzschmar (1900), Toy (1904), Rothstein (1922) Heinisch (1923), Hermann (1924) a démontré que le livre d’Ézéchiel est lui aussi d’origine plus compliquée qu’on ne le croyait jusqu’ici : le prophète a refait et remanié son ouvrage et, à côté des fautes de copiste, le texte actuel contient des changements et de courtes additions provenant d’autres rédacteurs. Mais tous ces interprètes sont unanimes à reconnaître qu’à peu près tous les passages importants furent écrits par Ézéchiel lui-même. « Somme toute, il faut dire que dans une large mesure, le livre doit être pris pour la collection de ce qu’Ézéchiel a fixé par écrit, et qu’Ézéchiel a personnellement fait cette collection. » Hermann, p. xxxiv.

Cependant quelques mois après que Hermann écrivait cette rassurante conclusion, G. Hôlscher, Hezekiel, der Dichter und das Buch, 1924, a cru pouvoir affirmer qu’il faudrait tenir comme tout à fait insuffisante la critique faite jusqu’ici. A l’entendre, le livre qui porte le nom d’Ézéchiel serait un des moins authentiques de la littérature prophétique. La majeure partie des discours, en particulier tout ce qui se rapporte à la restauration et au temps messianique, aurait été ajoutée après coup. Quelques rares poésies devraient être attribuées à Ézéchiel. Tout le reste serait écrit en prose et dû à différents auteurs du v 8 siècle. Dans sa forme actuelle le livre d’Ézéchiel serait un écrit polémique lancé sous le nom du prophète par le sacerdoce sadokite.

G. Hôlscher n’aurait pas eu besoin de relever dans son introduction que l’analyse qu’il entreprend, en vue de séparer dans les parties authentiques des morceaux secondaires, n’est pas toujours juste. Sa critique est tellement subjective et radicale qu’on peut prouver par elle tout ce qu’on veut. Il n’est donc pas nécessaire d’en tenir compte. Au nom d’une critique non moins hardie, Mowinckel, Ezra den Shriftlærde, 1916, avait déjà rejeté Ez., xl-xlviii. Voir la réfutation faite par Werner Kessler, Die innere Einheitlichkeit des Bûches Ezéchiel, 1926, Berichte des theologischen Seminars der Brùdergemeinde in Herrnhut, xi. 1° Prophéties d’Ézéchiel avant la chute de Jérusalem (586). — Avant la chute de la ville sainte, les promesses sont très rares chez Ézéchiel. Il est vrai que, dans le texte actuel des oracles de ce temps, on trouve dispersées de nombreuses prédictions messianiques ; mais, en les comparant au contexte, on s’aperçoit que beaucoup d’entre elles ont été ajoutées après coup ; car au point de vue psychologique, pédagogique et parfois même logique, il paraît invraisemblable que le prophète ait fait au même moment des affirmations aussi contradictoires que celles qui se trouvent parfois juxtaposées dans son livre. On n’en conclura pas à l’inauthenticité de ces prophéties, mais seulement à leur origine postérieure. 146 ;

    1. MESSIANISME##


MESSIANISME, LE TEMPS DE L’EXIL : EZECHIEL

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Parce qu’Israël continuait, même après la première déportation, à être « une maison de révolte » — c’est chez Ézéchiel la désignation continuelle du peuple élu — qui ne voulait pas écouter son Dieu, ii, 5 ; ni, 7, etc., les accusations et les menaces formèrent en eflet longtemps presque l’unique contenu de ses discours. Dans les paraboles des c. xvi (Heinisch, Der Prophet Ezéchiel, 1923, p. 48, et Hermann, Ezéchiel, 192-1, p. 102, regardent les ꝟ. 44-63 comme ajoutés après 586 ; mais il vaut mieux avec Rothstein, dans Kautzsch, t. ii, 1922, p. 909, prendre pour tardifs seulement 42 b, 53 b, 55 b, 60-63, versets qui contiennent des promesses de salut) et xxiii, il incrimine Israël et Jérusalem en termes qui choquent autant par leur dureté que par leur crudité. A maintes reprises, v, 1-2, 12-17 ; vi, 11-14 ; vii, 14-16 ; xv ; xxi, 8-9 ; xxiv, 1-14 ; xxxin, 27-29, il annonce une ruine définitive de la ville sainte et de la Judée, ainsi qu’une extermination totale de leurs habitants. Ce n’est que par un jugement radical que la colère de Dieu sera assouvie, v, 13 ; vi, 12, et qu’on reconnaîtra que Jahvé est le vrai Dieu, vii, 7 ; xxxiii, 29. Quelques exégètes, par exemple Heinisch et Hermann, estiment qu'Ézéchiel aurait en outre prédit une catastrophe mondiale que Jahvé déchaînerait pour faire disparaître Israël. Cependant la fin de vii, 2, ne doit pas se traduire, comme ils l’ont fait, par : « La fin vient pour les quatre coins du monde », mais seulement par « la fin vient pour les quatre coins du pays ». On ne doit même pas prendre à la lettre les menaces qui présentent cette fin comme absolue. Cela résulte déjà des phrases par exemple, v, 3-4 ; vi, 8-10, que le prophète lui-même y ajouta plus tard pour les adoucir. Leur caractère hyperbolique ressort ensuite du fait que, déjà durant les premières années de son ministère, Ézéchiel a promis par deux fois le salut au moins à un petit reste de la population qui séjournait encore en Palestine. Dans la vision relative à l’affreuse idolâtrie pratiquée dans le temple par les anciens et au départ de Jahvé de la ville, il aperçoit un ange qui marque d’un signe avant le jugement « ceux qui gémissent et se lamentent à cause de tous les crimes qui se font en elle », pour qu’ils ne soient pas tués avec les autres, ix, 4. Il compare, xxii, 17-22, ces quelques justes à un peu d’argent qui au creuset sera dégagé des scories.

Comme Jérémie, Ézéchiel comptait donc pour l’avenir beaucoup plus sur les Juifs qui se trouvaient déjà en Babylonie que sur ceux qui restaient encore en Judée. C’est de ceux-là qu’il s’occupait de toutes ses forces, pour préparer le nouveau peuple, agréable à Dieu. Ce sont eux qu’il invite à la conversion, en les assurant que Jahvé ne veut pas la mort du pécheur mais, au contraire, sa conversion et sa vie, xviii, 23, 32, ce qui signifie que Dieu ne veut pas les enlever par une mort prématurée, mais les garder pour qu’ils voient le bonheur messianique. Pour cette raison il leur ouvre dès le commencement, au moins par quelques prophéties, la perspective de l'ère messianique. Ainsi il prédit que l’exil ne durera pas toujours, mais qu’il prendra fin après quarante ans, iv, 6. Lorsque le roi Sédécias se fut laissé entraîner à secouer le joug babylonien et à rendre ainsi inévitable la chute de Jérusalem, le prophète dans le magnifique oracle du c. xvii annonce que, si la branche de la famille davidique représentée par ce roi doit être rejetée, une jeune tige de la branche de Jéchonias sera plantée sur la montagne d’Israël pour devenir un cèdre majestueux ; à l’ombre de ses rameaux les oiseaux de tout genre viendront habiter. C’est la prédiction du royaume du Messie, issu delà racine de David, xvii, 22-24.

Une autre allusion au Messie se trouve, xxi, 32,

où il est dit que le pays avec tout ce qu’il contient sera transformé en ruines, jusqu’au moment où apparaîtra celui à qui appartient le jugement, passage où Ézéchiel reprend la promesse de Jacob, Gen., xlix,

10. Cf. col. 1416.

Parce que, après la déportation de 597, ceux qui restaient en Palestine convoitaient les biens des exilés — ils croyaient que ceux-ci ne reviendraient plus — Ézéchiel publia que Dieu ramènerait les déportés et leur donnerait de nouveau le pays. Ils reviendront transformés, avec un coeur nouveau, et marcheront dorénavant selon les lois du Très-Haut, xi, 14-21.

Cette prophétie reçut un complément significatif par celle qui termine le discours que le prophète adressa, en 591, à des anciens qui le consultaient, xx. L’objet de leur demande n’est pas expressément indiqué, mais il résulte de l’ensemble de la réponse et surtout du ꝟ. 32 qu’il s’agissait de la tentative de pratiquer le culte de Jahvé sous des formes analogues à celles des rites païens, et peut-être même de la construction d’un temple en terre étrangère. Ézéchiel répond d’abord par un aperçu de l’histoire -des aberrations d’Israël toujours porté à l’idolâtrie et des miséricordes de Jahvé constamment prêt à lui pardonner, xxi, 1-32. Aujourd’hui même Jahvé n’est pas au bout de ses soins pour son peuple. Il veut maintenir et exercer ses prérogatives royales sur les Israélites. Aussi les ramènera-t-il de l’exil dans la patrie. Mais, de même que, lors de la sortie d’Egypte, il les a conduits à travers un désert et lésa soumis à un jugement à cause de leur révolte, ainsi cette fois encore les fera-t-il passer par un désert, et avant leur nouvelle entrée en Canaan il séparera les justes des injustes. La partie saine du peuple rentrera et servira fidèlement son Dieu qui, en récompense, la comblera de ses faveurs, xx, 33-44. (Il n’y a, nous semble-t-il, aucune nécessité de séparer cette promesse de l’exhortation qui précède ; car rien n’indique qu’il faille supposer avec Rothstein, p. 920, et Heinisch, p. 104, que tout le peuple se trouve déjà en exil, ou avec Hermann, p. 127, que la catastrophe de 586 a déjà eu lieu.)

2° Prophéties d'Êzéchiel après 586. — Ces quelques prédictions sporadiques de l’avenir glorieux, qui datent toutes du temps qui préc da la débâcle, ont été ensuite élargies et enrichies par des exposés qui sont les plus systématiques de toute la littérature des prophètes. Jérusalem une fois détruite, les accusations et les menaces cessent complètement et font place aux plus magnifiques promesses. Ézéchiel rassure immédiatement les exilés, accablés par la’triste nouvelle de la chute de Jérusalem, en leur répétant que Dieu ne veut pas la mort, mais la conversion, xxxiii,

11, et qu’ils verront le salut s’ils font sincèrement pénitence et persévèrent dans l’obéissance envers Jahvé, xxxiii, 10-20. Ce salut, Ézéchiel le décrit dans la suite d’une façon plus détaillée que tous les autres voyants.

D’une part il le fait d’une manière négative. Dans ce sens il annonce d’abord en six oracles, xxv-xxxiii, xxxv, l’extermination de tous les voisins d’Israël : Ammonites, Moabites, Édomites, Philistins, habitants de Tyr et de Sidon. Ensuite, dans une autre série, xxix-xxxii, prononcée en partie dès avant 586, il prédit la ruine de l’Egypte. D’un ton solennel il lui fait savoir que le jour de Jahvé viendra aussi sur elle, xxx, 2-3. Sa destruction cependant ne sera pas définitive comme celle des nations voisines. Les Égyptiens, après avoir été dispersés pendant quarante ans, reviendront dans leur pays et formeront un petit peuple. Les épreuves les auront amenés à reconnaître que Jahvé est le seul vrai Dieu, xxix, 12-16.

D’autre part, il présente le bonheur à venir d’une façon positive. Il le résume en trois tableaux. Une

première fois il compare, comme Isaïe, Michée et Jérémie, le peuple des deux royaumes à un troupeau que ses bergers ont jusqu’ici négligé, exploité, dispersé. A l’avenir Jahvé s’occupera lui-même de ses brebis, les recueillera et les reconduira en Palestine, xxiv, 1-16, après avoir écarté du nouveau troupeau tous les mauvais éléments, xxxiv, 17-22. Il leur donnera un seul pasteur, « son serviteur David », xxxiv, 23-24 ; xxxvii, 15-28. Ézéchiel répète donc la dénomination que Jérémie avait appliquée au Messie. Les animaux sauvages, qui figurent les nations voisines, ne troubleront plus le bercail d’Israël. Des pluies abondantes produiront de riches pâturages jusque sur les hautes montages, xxxiv, 14, et partout régnera une grande fertilité, xxxiv, 26-27. Jahvé garantira la durée éternelle de cet état de choses par une nouvelle alliance de paix, et par son habitation au milieu du peuple, xxxiv, 24-28.

Dans une seconde description, xxxvi ; xxxvii, 1528, Ézéchiel s’adresse aux moritagnes : c’est en vain que les peuples des alentours se sont moqués d’elles, en voyant qu’elles restent à jamais dévastées. Précisément pour répondre à ces railleries, pour sauver son honneur, Dieu leur donnera de nouveau la verdure et les fruits. Il les invite à se parer pour recevoir dignement le peuple qui viendra bientôt. Les « rescapés » rebâtiront les villes et deviendront plus nombreux et plus heureux que jamais. Ils vivront comme dans l’Éden, xxxvi, 35. Cette prospérité leur adviendra non parce que entre temps ils s’en seraient rendus dignes, mais uniquement parce que Jahvé veut sauver son honneur. Comme pourtant la condition indispensable de tout ceci est la sainteté, Jahvé sanctifiera Israël par une intervention toute particulière. Celle-ci consistera d’abord en un acte extérieur et rituel : Dieu les aspergera d’une eau pure qui les purifiera. Il fera plus encore : conformément à une prophétie antérieure, il créera un cœur nouveau qui remplacera leur cœur de pierre, et il leur communiquera l’Esprit divin qui les amènera à observer les commandements du Très-Haut.

Dans un troisième tableau, qui est tout à fait propre à Ézéchiel, xl-xlviii, le prophète dépeint sous la forme d’une vision le nouveau temple comme formant avec son culte le centre de toute la vie des Israélites après l’exil, et le nouveau pays complètement transformé. En véritable architecte, il décrit d’abord, jusque dans ses moindres détails, le temple majestueux qui se dressera dans la ville sainte, xlxlii, ensuite, en prêtre enthousiaste, l’entrée de Jahvé dans le temple, l’inauguration de l’autel des holocaustes, le service des fêtes et des sacrifices, le ministère des prêtres, le rôle du roi et du peuple par rapport au culte, xliii-xlvi, finalement, en géomètre et économiste, la transformation et la répartition de la Terre sainte entre les douze tribus : une source jaillira du temple et deviendra un grand fleuve dont les eaux fertiliseront surtout la contrée si aride de l’Est et assainiront, en s’y jetant, la mer Morte elle-même. Dans le pays ainsi arrosé chaque tribu possédera une bande de terrain allant de la Méditerranée au Jourdain, XVLII-XLVIII.

Par cette description de la situation future d’Israël et de Canaan, il est certain qu’Ézéchiel n’a pas voulu parler uniquement en symboles, mais établir un code et dresser un plan qui, par la bonne volonté des hommes et davantage encore par l’intervention miraculeuse de Dieu, devait être un jour plus ou moins réalisé.

Pour couper court à tous les doutes qui pourraient être émis au sujet de la réalisation du salut tel qu’il l’a décrit dans cette dernière vision et tel qu’il l’avait déjà antérieurement exposé, xxxiv xxxvii, Ézéchiel communique à ses auditeurs une autre vision encore, la célèbre vision des ossements desséchés qui gisent dans une plaine et qui tout à coup sont revêtus de chair et de peau, et complètement ranimés. C’est ainsi que Jahvé ressuscitera le peuple du tombeau dans lequel il se trouve à présent, et le ramènera dans son pays. Il agira en maître absolu et tout-puissant ; tout essai d’empêchement tenté par un ennemi sera vain, xxxvii, 1-14.

Cependant une fois rétabli en Palestine et après avoir joui pendant un certain temps de sa tranquillité et de son bonheur, Israël aura à soutenir une dernière tentative faite en vue de troubler sa paix par tous les peuples ennemis de Dieu. Ils seront réunis en une armée immense sous le roi Gog qui les conduira contre Jérusalem. Mais, arrivés devant la ville sainte, Jahvé les renversera subitement et fera briller plus que jamais sa gloire devant les nations, xxxviii-xxxix. La prophétie relative à cette expédition dont le caractère mystérieux est encore augmenté par l’état imparfait et complexe de la forme littéraire, est peut-être la plus énigmatique de tout l’Ancien Testament. Elle introduit un élément tout nouveau dans les perspectives des temps messianiques qui se retrouvera plus tard sous d’autres formes.

Ce coup d’œil sur les oracles d’Ézéchiel montre que, tout en contenant plusieurs idées nouvelles, ils ne diffèrent cependant pas au fond de ceux des prophètes préexiliens. A en croire beaucoup de critiques, surtout ceux de l’école évolutionniste, il en serait autrement. Ézéchiel aurait inauguré un messianisme qui se distinguerait du tout au tout de celui de ses prédécesseurs, et qui aurait exercé une influence exceptionnelle sur celui de ses successeurs : il serait le père de l’apocalyptique, et c’est à partir de lui que les prophètes auraient pris un intérêt particulier à l’eschatologie.

Cette appréciation d’Ézéchiel est due en grande partie à ce que ces auteurs rendent le prophète responsable des lois rituelles contenues dans la quatrième source du Pentateuque (Code sacerdotal). De ce chef, ils ne le tiennent plus pour un vrai prophète. D’un côté, Ézéchiel n’aurait plus été un véritable homme de Dieu entrant, à la façon d’Isaïe et de Jérémie, en communication directe et intime avec Jahvé’: ses relations avec Dieu auraient été régularisées par un légalisme cultuel et extérieur. De l’autre, il n’aurait pas non plus été un véritable homme du peuple, adressant à ses auditeurs, en discours entraînants el spontanés, le message puisé dans son contact vivant et immédiat avec Dieu : la réflexion dogmatique, la composition littéraire auraient prédominé chez lui. Au point de vue messianique la conséquence serait que les oracles d’Ézéchiel contiennent, au lieu de prédictions sobres, des spéculations fantaisistes, des calculs artificiels sur les temps à venir et qui se rapportent de préférence à l’époque eschatologique, tout à fait comme ceux des auteurs apocalyptiques des deux derniers siècles avant J.-C.

Contre cette dépréciation du rôle prophétique proprement dit d’Ezéchiel une forte réaction s’est fait sentir ; voir le commentaire de Hermann et l’étude de J. Touzard sur Ézéchiel, dans Revue biblique, 1919, p. 5-88, dont voici la conclusion : « L’esprit prophétique n’a pas subi de déviation (en lui), quoi qu’en disent nombre de critiques indépendants », p. 88. Cette réaction a trouvé une expression singulièrement exagérée dans la critique si négative de Hôlschcr, qui, en ne laissant à Ézéchiel que quelques morceaux de son livre, l’a mis de nouveau sur le même rang que ses grands prédécesseurs.

Mais sur le rôle d’Ézéchiel par rapport à l’apocalyptique et à l’eschatologie, beaucoup ont cru devoir 1471 MESSIANISME, LE TEMPS DE I/EXIL : LE LIVRE DES CONSOLATIONS 1472

maintenir l’appréciation de la critique évolutionniste. Ainsi Dùrr dans sa monographie, Die Stellung des Propheten Ezechiel in der israclitisch-jùdischen Apocalyptik, 1923 : Non seulement au point de vue formel, par ses visions, ses actes symboliques, son style, mais aussi au point de vue réel, surtout par sa description de l’expédition de Gog, Ézéchiel serait le premier représentant de l’eschatologie apocalyptique. Mais, à cet égard aussi, une rectification s’impose. La fausse conception du rôle littéraire d’Ézéchiel est principalement due à une confusion des idées relatives à l’eschatologie et aux écrits apocalyptiques. Cette confusion atteint son point culminant chez Dùrr quand il prétend, p. 105, qu’Ézéchiel « a été le premier, dans un but de consolation, à s’occuper d’une manière prononcée de l’eschatologie », et, p. 10, que le caractère principal des apocalypses est leur « contenu essentiellement eschatologique ». Les deux affirmations sont également inexactes. D’abord Ézéchiel est loin d’être le premier à s’ouvrir aux perspectives eschatologiques. Les prédictions de tous les prophètes antérieurs se rapportent à tel point à la fin de l’ordre actuel, que beaucoup d’exégètes modernes préfèrent les appeler non pas « oracles messianiques » mais « oracles eschatologiques ». En attribuant à Ézéchiel les premiers textes eschatologiques, Dûrr pense sans doute exclusivement aux chapitres xxxviii-xxxix ; mais par là il restreint, d’une façon arbitraire et inusitée, le sens du terme « eschatologique » et donne, comme nous le verrons tout à l’heure, au contenu de ces deux chapitres une importance exagérée.

La deuxième affirmation se rattache à une conception des apocalypses qui, pour être aujourd’hui communément reçue, n’en est pas moins fausse. Certes l’eschatologie forme Je contenu principal des apocalypses ; mais tel est aussi le cas pour les écrits strictement prophétiques, et les auteurs apocalyptiques ont, autant que les vrais prophètes, rapproché la fin des temps de leur époque. Au point de vue eschatologique, il n’y a donc pas de différence notable entre les livres prophétiques et apocalyptiques. Ce qui les distingue est tout autre chose, comme on le dira ultérieurement.

Outre ces conditions générales, c’est l’estime exagérée de l’épisode de Gog qui a amené Dùrr et ses prédécesseurs, à prendre le livre d’Ézéchiel pour l’inauguration du genre apocalyptique. La description de l’attaque suprême des peuples formerait « l’achèvement du tableau qu’Ézéchiel a tracé de l’avenir », p. 66. C’est par elle qu’il aurait exercé « la plus grande influence sur les siècles suivants », p. 90. Le fait qu’encore une fois il doit y avoir après le rétablissement d’Israël, « à la fin des temps », xxxviii, 16, une crise qui amènera la défaite définitive des païens serait devenu « le centre autour duquel se groupaient toutes les autres espérances », p. 90, « le point de départ de toute une dogmatique eschatologique », p. 65.

Il est indéniable que les chapitres xxxviii-xxxix forment la partie la plus originale du livre d’Ézéchiel, mais ils sont loin d’en être une partie intégrante. Ils pourraient manquer sans qu’il y eût de lacune. Par l’imagination exubérante qui s’y manifeste et par le caractère énigmatique de leur contenu, ils ne complètent pas, ils dérangent plutôt le tableau général dessiné par le prophète. D’autre part ce contenu n’est pas entièrement nouveau. Les oracles d’Isaïc qui se rapportent au siège de Jérusalem par Sennachérib ainsi que les psaumes qui y font écho, décrivent, également, la ruine définitive des païens devant les murs de la ville sainte ; de même Jérémie, xxv, avait annoncé le désastre général de tous les peuples. Ce qui est tout à fait nouveau, chez Ézéchiel, savoir que l’irruption des peuples ennemis se fera en plein

temps messianique, est une donnée tellement hors du cadre général du prophétisme qu’elle est et restera toujours obscure.

Pour ce qui regarde l’influence qu’Ézéchiel est censé avoir exercée par ces mêmes chapitres, elle ne se présente pas non plus comme aussi extraordinaire que Dùrr le prétend. Elle se constate chez Abdias, Zacharie et Joël, qui prédisent une attaque générale des peuples contre Jérusalem laquelle finira par leur défaite complète. Mais, pour leur conception de ce jugement des nations, ces prophètes dépendent en même temps d’Isaïe et de Jérémie, comme le montre la comparaison d’Abdias, 16 avec Jer. xxv, 15, 28 ; xlix, 12 ; de Zach., xii, 2 avec Jer. xxv, 15, 28 ; de Joël, iv, 10 avec Is., ii, 4. D’autre part ce qui est le plus caractéristique chez Ézéchiel, savoir que l’invasion des païens troublera la paix messianique déjà existante, est complètement perdu de vue par Abdias, Zacharie et Joël. Ce trait qui, d’après Dùrr, est si proprement apocalyptique, manque dans les apocalypses elles-mêmes, à l’exception d’Hénoch, lvi, et du IIIe Livre sibyllin, vers 657-667. Alors de quel droit nommer Ézéchiel le père de l’apocalyptique ?

Outre la bibliographie à la fin de l’article Ézéchiel, voir : Rothstein, Das Buch Ezechiel, dans Kautzsch, 4e édit., 1922, t. i ; P. Heinisch, Das Buch Ezechiel, 1923 ; J. Hermann, Ezechiel iiberselzt und erklàrt, 1924.

L. Gautier, La mission du prophète Ézéchiel, 1891 ; Kamrath, Der messianische Teil der ezechielischen Prophétie, dans Jahrbùcher fur proies lantische Théologie, 1891 ; Boehmer, Melek und nasi bei Ezechiel, dans Theologische Studien und Kritiken, 1900, Die prophetische Heilspredigl Ezechiels, ibidem, 1903 ; O. Norbeck, Den messianska Profetian hos Hesekiel, 1901 ; K. Begrich, Das Messiasbild des Ezechiel, dans Zeitschrift fur wlssenschaflliche Théologie, 1904 ; J. Laijciak, Ézéchiel, sa personne et son enseignement, 1906 ; Mesnard, Les tendances apocalyptiques chez le prophète Ezéchiel, 1909 ; W. F. Lofthouse, The prophet of reconstruction. A patriots idéal for a new âge, 1920 ; L. Diirr, Die Stellung des Propheten Ezechiel in der isrælitisch-judischen Apokalyptik, 1923.

ri. la seconde partie d’isaie. — La commission biblique, 29 juin 1908, relève "que dans les chapitres que la critique voudrait contester à Isaïe, le prophète s’adresse aux exilés comme s’il vivait au milieu d’eux : Judœos in exilio babylonico lugenles veluti inter ipsos vivens alloquitur et solatur. Cette indication engage l’exégète catholique à interpréter les textes dans le cadre de l’exil, comme l’ont déjà fait Touzard dans le Dictionnaire apologétique, t. ii, col. 1642 sq. ; Fischer, Isaias 40-55 und die Perikopen vom Gollesknechi, 1916, p. 45 sq. ; L. Dùrr, Ursprung und Ausbau der isrælitisch-judischen Heilandserwariung, 1925, p. 125 sq. ; Fr. Feldmann, Das Buch Isaias, 1926, t. ii, p. 13 sq.

Les chapitres XL à LV.

Ézéchiel avait

exercé son ministère dès le commencement de la captivité, c’est-à-dire à l’époque la plus dure de l’épreuve, alors que ne brillait aucune lueur de salut. Les prophéties d’Isaïe, xl-lv, nous transportent par contre à la fin de l’exil, au moment où la marche victorieuse de Cyrus fait poindre l’aurore de la délivrance. Aux Israélites qui suivaient avec une attention soutenue les conquêtes du roi perse, le prophète annonce que Babylonc sera bientôt renversée, que c’est même principalement dans le but de détrôner cette maîtresse orgueilleuse du monde oriental et de lui arracher les captifs d’Israël que Jahvé a appelé Cyrus, xi, i, 2 ; xlv, 4, et le conduit de victoire en victoire, xi.m, 14 ; xlv, 1-3. Il leur promet même qu’à peine ce héros aura-t-il pris Babylone, Jahvé se mettra en personne à la tête de son peuple pour le reconduire en Palestine. Dans l’exécution de cette œuvre, le Très-Haut est présenté tantôt comme un guerrier qui 1473 MESSIANISME, LE TEMPS DE L’EXIL : LE LIVRE DES CONSOLATIONS 1474

pousse des cris et dessèche les pays des ennemis par le feu de sa colère, xlii, 13-15, guide ses élus, armée irrésistible qui broie ses adversaires, xli, 14-16, tantôt comme un berger qui conduit les Israélites avec le plus grand soin à la façon d’un troupeau, XL, 10-11.

Le retour se fera par la voie la plus directe à travers le désert, qui, largement arrosé et orné des plus beaux arbres, sera transformé en jardin, xli, 17-20 ; xliii, 19-20 ; xlix, 9-11. Là où passera le cortège, les collines seront abaissées et les vallées aplanies, xl, 3-4. Dès maintenant des messagers de bonne nouvelle sont envoyés aux villes de la Judée pour leur annoncer le relèvement de leurs ruines et le retour de leurs habitants, xl, 9. C’est surtout Jérusalem qui doit se réjouir et se préparer à recevoir avec la plus grande allégresse Jahvé qui lui ramène ses enfants. Ils seront si nombreux qu’elle sera trop étroite, xlix, 20-21. Elle sera donc reconstruite, non seulement en pierres ordinaires, mais en pierres précieuses, liv, Il sq. ; elle deviendra un Éden, où l’on trouvera la joie et l’allégresse, li, 3.

Tout ce rétablissement du pays et de la nation est présenté non pas comme un épisode quelconque de l’histoire d’Israël, mais comme l’inauguration de son bonheur définitif, le commencement de l’ère messianique. Aussi, lors de la sortie de Babylone, des miracles seront-ils opérés qui dépasseront et feront oublier ceux de l’Exode, xliii, 16-18. Les descendants d’Abraham reviendront, et de Babylone, et de tous les pays où ils ont été dispersés, xlix, 12 ; xliii, 5-7 ; les païens eux-mêmes les ramèneront, xlix, 22-23. Les infidélités d’Israël auront disparu comme un brouillard et seront pour toujours oubliées par Jahvé, xliv, 22. Le Très-Haut lui jure, comme à Noé après le déluge, de ne plus s’irriter contre lui : plus tôt s’ébranleraient les montagnes que son alliance de paix conclue avec lui, liv, 9-10, conformément « aux faveurs assurées à David », lv, 3. Israël sera dorénavant le peuple le plus heureux du monde. A l’abri de tous les dangers, ses enfants prospéreront sous la bénédiction de Jahvé comme une prairie le long des rivières, xliv, 3-4. Rois et reines des nations seront à son service, xlix, 22-23 ; des peuples inconnus viendront de loin pour participer à son bonheur, xliv, 5. Comme Ézéchiel, le prophète relève que Jahvé accordera ce bonheur aux Israélites non pas à cause de leurs mérites, mais uniquement à cause de l’honneur de son nom, car si le peuple est purifié par l’exil, XLvni, 10, il n’est pas encore parfaitement fidèle au service de son Dieu, de sorte que celui-ci l’appelle un serviteur aveugle et sourd, xliii, 8 ; xlii, 18-23. Dès son origine, Israël a si souvent et si gravement fatigué et tourmenté son Dieu que, si Jahvé n’avait pas retenu sa colère, il l’aurait depuis longtemps exterminé. S’il l’exalte néanmoins, c’est à cause de son nom, xliii, 25. Par la restauration d’Israël il veut plus que jamais manifester sa grandeur, montrer le néant des faux dieux et forcer les païens à se convertir. Déjà les victoires de Cyrus font trembler devant le Très-Haut les pays du monde les plus lointains, xli, 4-5. La chute de Babylone sera la plus grande honte pour les idoles et pour ceux qui les adorent, xliv, 6-20. Mais ce qui mettra le comble à la révélation de la gloire de Jahvé devant toute chair, ce sera le retour d’Israël à travers le désert, xl, 4-5 ; xli, 20. Alors, quand Israël sera rétabli en Palestine, même les peuples les plus reculés de l’Afrique, les Éthiopiens, les Sabéens, les Égyptiens, viendront se prosterner devant lui et lui diront : « Seul tu as un Dieu, il n’en est point d’autres », xlv, 14-17. Les païens se convertiront et se consacreront à Jahvé, xliv, 5 ; lv, 5. Dans sa bonté Jahvé y invite toutes les extré mités de la terre, xlv, 22 sq. Ceux qui persisteront malgré tout dans leur idolâtrie, ainsi que ceux qui ont maltraité Israël, seront exterminés, xli, 11-16 ; xlii, 13-15 ; xlix, 25-26.

La restauration d’Israël sera donc la manifestation décisive de la puissance de Jahvé. Le règne de Dieu sur la terre sera enfin pleinement réalisé. Le but linal de la création et de l’élection d’Israël sera définitivement atteint : tout genou fléchira devant Jahvé, xlv, 24. Non seulement les Israélites, mais aussi les païens adoreront le vrai Dieu, bien que ces derniers occupent dans le royaume de Dieu un rang inférieur. Plein d’enthousiasme à l’idée que la vraie religion sera répandue dans le monde entier, le prophète invite à plusieurs reprises le ciel et la terre avec tout ce qu’ils renferment à louer Jahvé, xlii, 10 sq. ; xliv, 23. Il les exhorte même à coopérer à la réalisation du salut par les paroles célèbres : Rorate ceeli desuper et nabes pluant juslum, etc., xlv, 8. (D’après l’hébreu il faut prendre juslum dans le sens neutre : le salut, et remplacer dans la seconde partie du verset sauveur par salut.)

Dans les textes qui contiennent ces prophéties sont enclavés quatre poèmes xlii, 1-7 ; xlix, l-9 a ; l, 4-9 ; lu, 13-liii, 12, qui par leur forme et plus encore par leur contenu se détachent du contexte. Ils ont également trait au retour des Israélites de l’exil et au salut du monde tout entier ; mais la manière dont la rédemption est réalisée se présente tout autrement. D’après les oracles précédents, le rétablissement d’Israël et la conversion des païens seront l’unique affaire de Jahvé, qui, en manifestant plus que jamais sa toute-puissance, ôtera d’un seul coup tout ce qui s’oppose à la réalisation du bonheur de son peuple, et forcera les païens à se mettre à genoux devant sa majesté. Au contraire, dans ces quatre poésies, le salut est attribué à un personnage que Jahvé enverra spécialement dans ce but. Ce messager, qui est continuellement appelé ebed Jahve, « le serviteur de Jahvé », accomplira sa tâche lentement et en surmontant avec beaucoup de peine bien des obstacles.

Il sera en premier lieu l’alliance de son peuple, c’est-à-dire l’intermédiaire entre Dieu et Israël. En cette qualité il fera sortir les captifs de prison, xlii, 7, il aura « à rétablir les tribus de Jacob et à ramener les réchappes d’Israël », xlix, 6, « à relever le pays, à partager les héritages dévastés », xlix, 8. Mais cette œuvre « est insuffisante » pour le Serviteur, xlix, 6. Il sera en outre « la lumière des nations » et leur apportera le droit, xlix, 6, pour que le salut de Jahvé arrive jusqu’aux extrémités de la terre, xlix, 6. Les pays les plus éloignés attendent sa doctrine, xlii, 4.

Le Serviteur sera initié à sa vocation par Jahvé lui-même comme un disciple par son maître, l, 4 ; jour par jour il recevra ses instructions. Il les communiquera aux hommes sans ostentation et sans violence. Il s’occupera surtout des malheureux pour les consoler, l, 4. Dans sa bonté il ne brisera pas le roseau cassé et n’éteindra pas la mèche encore fumante, xlii, 3. Hélas ! il ne rencontrera pas seulement des âmes désireuses d’entendre sa parole, mais aussi des adversaires qui chercheront à entraver son œuvre, à tel point qu’il sera tenté de dire qu’il se fatigue en vain et qu’il consume sa force pour rien, xlix, 4. Les ennemis le persécuteront et l’outrageront de la façon la plus cruelle et la plus ignominieuse, et causeront finalement sa mort.Enfacedecet homme de douleurs, un moment les justes eux-mêmes ne sauront plus à quoi s’en tenir, ils le mépriseront et croiront qu’il est frappé par Dieu à cause de ses propres crimes. Cependant ils reconnaîtront en fin de compte que c’est uniquement pour les péchés de son peuple qu’il a souffert, et qu’il en est devenu la victime expiatoire. Son châtiment donnera 1475 MESSIANISME, LE TEMPS DE L’EXIL : LE LIVRE DES CONSOLATIONS 1476

la paix aux autres, ses meurtrissures causeront leur guérison. Précisément par sa passion « l’œuvre de Jahvé prospérera », c’est-à-dire que le but pour quoi Dieu l’a envoyé sera atteint. Parce qu’il aura livré son âme à la mort, porté les fautes de beaucoup et intercédé pour les pécheurs, il reviendra à la vie, aura une grande prospérité et vivra de longs jours. Il aura, en outre « sa part parmi les grands et partagera le butin avec les forts ». Ce qui veut dire : « Il deviendra un puissant dans l’histoire de l’humanité, un de ceux qui marqueront dans son développement, l’un des conquérants spirituels du monde. » La Bible annotée, i, 1, p. 251. Des rois et des peuples se lèveront et se prosterneront devant lui.

Il saute aux yeux que le Serviteur de Jahvé qui accomplit ainsi l’œuvre de salut est un individu. On ne comprend guère comment, au xixe siècle, tant d’exégètes ont pu tenter — et quelques-uns, p. e. Budde, dans Kautzsch, t. ii, p. 663, le tentent encore — de l’identifier à Israël. Entre les deux il n’y a rien de commun que le nom. Dans quelques endroits du contexte des quatre chants, Israël porte également le titre de « Serviteur de Jahvé ». Pour tout le reste : caractère moral, rôle à jouer, relation avec Dieu, il y a entre les deux Serviteurs une différence du tout au tout. L’explication qui voit dans le Serviteur un sujet collectif est, comme le disait encore récemment W. Stærk, Zum Ebed J ahweProblem, dans Zeilschrijt fur die alttestamentiche Wissenschaft, 1926, p. 243, une des aberrations les plus lamentables qui aient jamais eu lieu dans le domaine exégétique.

De la sainteté extraordinaire du Serviteur, de la tâche si vaste et si sublime qu’il lui appartient d’accomplir au sein de son peuple et dans le monde entier, il ressort qu’il est, de toute évidence, celui sur qui les prophètes ont souvent concentré leurs espérances eschatologiques : le Messie. Cependant un bon nombre d’exégètes modernes ne veulent pas identifier le Serviteur et le Messie. Us s’y refusent parce que le prophète, en employant souvent le parfait, semble placer les souffrances du Serviteur dans le passé. Ils croient devoir en conclure que le Serviviteur est un personnage qui a vécu avant le prophète, ou qui vient de mourir après avoir été son contemporain. Cet argument est loin d’être décisif. D’abord, bien des fois dans la littérature prophétique, leperfeclum prophelicum est employé pour décrire par anticipation un événement futur, xlviii, 20-21 ; Ps., ii, 7 sq. ; voir d’autres exemples chez J. Fischer, Wer ist der Ebed ? 1922, p. 60 sq. ; mais, de plus, dans les chants du Serviteur, surtout dans le quatrième, le point <J, e vue auquel le prophète se place pour décrire l’œuvre du Serviteur est tantôt celui de l’avenir, de sorte qu’il présente le Serviteur comme une figure du passé, tantôt celui du présent quand il parle du Serviteur comme d’un personnage dont l’arrivée est attendue. I.e prophète passe parfois de l’un à l’autre : ainsi, i.iii, 10-11, il décrit même la passion du Serviteur comme future, tandis que d’ordinaire il la suppose terminée, voir Feldmann, Der Knecht Gottes in Isaias Cap. 40-55, 1907, p. 188 sq., et surtout Fischer, Wer ist der Ebed ? p. 61 sq. C’est en vain que W. Rudolph, Der exilische Messias, dans Zeitschrifl fur die A. T. Wissenschaft, 1925, p. 90-114, a essayé d’affaiblir sous ce rapport l’argumentation de Fischer. Une année après, W. Stærk l’a réfuté dans la même revue, p. 242-260, et, particulièrement au sujet de VEbed du quatrième chant, est arrivé à la conclusion, sans doute exagérée, que les indications chronologiques à son sujet sont tellement vagues qu’on ne sait pas si le prophète a voulu dire : le Serviteur a déjà existé, ou il existe encore, ou bien il existera, p. 260. Il s’ensuit que les temps de verbe employés

par le prophète sont tout à fait favorables à l’interprétation messianique.

Celle-ci s’impose donc logiquement à quiconque n’est pas partisan de l’explication qui voit dans le Ebed une collectivité. Aussi ceux qui s’y refusent se livrent-ils à de vrais tours de force, plus fantaisistes l’un que l’autre. Successivement on a voulu voir dans le Serviteur : Moïse, David, Ozias, Ézéchias, Jéchonias, Zorobabel, Isaïe, Jérémie ou un des personnages inconnus de différentes périodes. Un seul et même auteur, Sellin, a même changé trois fois d’avis sur ce point. En 1896 le Serviteur était pour lui Zorobabel, en 1901 Jéchonias, en 1922 Moïse. L’hypothèse la plus intelligible est encore celle des critiques qui prennent le Serviteur pour un contemporain du prophète, auquel celui-ci aurait conféré la dignité de Messie. Elle est identique à l’interprétation donnée par quelques exégètes des psaumes strictement messianiques.

Il faut donc maintenir que le Serviteur est le Messie. Ce n’est qu’à lui que le rôle de libérateur d’Israël et de législateur des païens a pu être attribué. De même que, dans la première partie du livre d’Isaïe, le Messie est présenté comme Sauveur au milieu du danger assyrien, ainsi, dans la seconde partie, il est donné comme un second Messie qui, à la fin de l’exil, reconduira son peuple en Palestine et l’y rétablira. D’autre part le Messie apparaît ici sous un aspect tout nouveau. Il n’est pas décrit comme un prince davidique qui établit le royaume de Dieu en conquérant irrésistible, mais comme un homme éminemment saint et sage, contredit et persécuté, qui souffre et meurt pour expier les crimes de ses frères et accomplit ainsi le salut. Par ces quatre chants un élément est introduit dans le messianisme qui était jusqu’ici complètement inconnu, et qui diffère beaucoup de toutes les conceptions rendues familières par les autres prophéties.

Cette différence se fait particulièrement sentir quand on compare les oracles de ces quatre chants avec ceux du contexte ; car, ainsi que nous l’avons déjà relevé, d’après ces derniers le salut ne s’accomplira pas seulement avec rapidité et sans obstacle, mais aussi uniquement par Jahvé, à tel point qu’il ne semble pas y avoir de place pour un Messie médiateur. Il s’ensuit que les quatre chants n’ont pas toujours fait partie d’Is. xl-lv. Bien que tous ceux qui identifient le Serviteur avec Israël, prétendent, pour soutenir leur thèse, que ces quatre morceaux sont des parties intégrantes et primitives du DcutéroIsaïe, et que des exégètes catholiques, notamment les PP. Condamin et Hontheim et M. van Iloonacker, aient entrepris de le prouver par les règles de la métrique hébraïque, il paraît difficile de les maintenir dans le texte original. Existaient-ils au moment où les prophéties de xl-lv furent composées, ou prirent-ils naissance seulement après coup ? on ne saurait le dire ; mais il n’y a aucune nécessité de supposer deux auteurs différents pour les deux groupes de textes.

Tel est le messianisme de la seconde partie d’Isaïe. Les problèmes en sont aussi difficiles que les idées sublimes. S. A. Cook, The Cambridge ancien ! History, 1925, t. iii, p. 489, a écrit de ces chapitres qu’ils contiennent la partie la plus profonde de tout l’Ancien Testament, et que les quatre chants sur le Serviteur de Jahvé en représentent le point culminant. Ce jugement est l’exacte expression de la vérité..

2° Les chapitres XIII-XIV, xxxi r-.v.v.vr. — Aux chapitres xl-lv du livre d’Isaïe il faut rattacher deux morceaux qui les précèdent : xiii-xiv, 23, et xxxiv-xxxv. Ils reflètent la même situation et sont animés du même esprit que les chapitres xl-lv. Par rapport à leur contenu messianique, ils se rangent 1477 MESSIANISME, LE TEMPS DE L’EXIL : LE LIVRE DES CONSOLATIONS 1478

parmi les plus vigoureuses et les plus magnifiques descriptions du jour de Jahvé en tant qu’il signifie le jugement des peuples et le salut d’Israël.

Le premier correspond tout à fait aux aspirations des exilés qui voudraient voir Babylone détruite et son roi détrôné afin de pouvoir rentrer dans leur patrie. Le prophète s’est fait leur interprète. Encore une fois la chute de la capitale païenne et le retour d’Israël ne sont pas pour lui de simples événements historiques, mais la manifestation définitive de Jahvé.

Au premier plan se trouve la destruction de Babylone par les Mèdes, xiii, 17. On voit l’armée ennemie arriver d’un pays lointain, xiii, 5 ; on entend le bruit qu’elle fait sur les montagnes, xiii, 4. Avant l’attaque Jahvé la passe en revue, xiii, 4. Elle va rendre « Babylone, la perle des royaumes, l’orgueilleuse parure des Chaldéens semblable à Sodome et à Gomorrhe », xiii, 19-22 ; xiv, 22-23.

Mais l’effondrement de Babylone n’est pour le prophète qu’un épisode du jugement universel du monde. « Le jour de Jahvé est proche ; il vient comme une tempête de la part du Tout-Puissant », xiii, 6. La terre sera changée en désert et les pécheurs en seront exterminés, xiii, 9, 11. Les orgueilleux surtout seront abaissés et punis, xiii, 11. Par suite de la terreur qui régnera partout, « tous les bras deviendront lâches et tous les cœurs seront glacés », xiii, 7. Les hommes erreront comme des gazelles effarouchées et comme des brebis égarées, xiii, 14. Ils seront tués en si grand nombre qu’ils deviendront plus rares que l’or fin, xiii, 12, 15-16. En même temps « les astres du ciel et les Orions ne donneront plus leur lumière ; le soleil s’obscurcira à son lever et la lune ne fera plus briller sa lumière, » xiii, 10. Les cieux seront ébranlés et la terre tremblera, par la colère de Jahvé des armées, au jour de son ardente colère, xiii, 13.

Le but de ce bouleversement du monde et de ce châtiment des peuples est le salut d’Israël. Jahvé aura de nouveau pitié de lui et le rétablira dans sa terre, xiv, 1. Alors « les étrangers se joindront à lui et s’attacheront à la maison de Jacob », xiv, 2. Beaucoup de païens donc, frappés d’étonnement à la vue du rétablissement miraculeux de ce peuple, se convertiront et seront admis à sa communauté religieuse. En retour de l’oppression qu’ils ont fait peser sur les Israélites, ils les ramèneront en Palestine et y seront leurs serviteurs et leurs servantes, xiv, 2.

Plus encore que le premier morceau, xiii, l-xiv, 23, le second xxxiv-xxxv, rappelle les chapitres xl-lv. (xxxv, 4 contient des expressions qui sont sans doute empruntées à xl, 9-10. L’auteur de xxxiv-xxxv semble souvent, pour l’intelligence de son exposé, supposer la connaissance de xl-lv, de sorte qu’il se contente parfois d’allusions. Sous ce rapport la comparaison entre xxxv, 6 b, 7, et xli, 8 ; xliii, 19-20 ; xlviii, 21 ; xxxv, 9 et li, 10 ; xxxv, 8 et xl, 3-4 ; xliii, 19, est instructive. Voir Feldmann, t. ii, p. 410.)

Comme les chapitres xiii et xiv sont un poème sur la chute de Babylone, ainsi les chapitres xxxiv et xxxv sont un poème sur la destruction d’Édom qui, en 586, a aidé Babylone d’une façon si ignominieuse. Tout le chapitre xxxiv est consacré à la description de la dévastation du pays et à l’extermination de la nation édomite. Dans sa haine contre eux, le prophète ne peut trouver assez de mots et de comparaisons pour exprimer que c’en sera fait d’eux pour toujours. Le glaive de Jahvé qui descendra sur Édom pour y faire une grande tuerie, ruissellera de sang, xxxiv, 5-6. Le sol du pays deviendra du soufre, xxxiv, 9. Les ronces, les orties et les chardons pousseront dans ses palais et forteresses, xxxiv, 13. Les bêtes sauvages et les démons remplaceront les anciens habitants, xxxiv, 13.

DICT. DE THÉOL. CATHOL.

Cette punition d’Édom n’est, comme tout à l’heure celle de Babylone, qu’un trait particulier du grand jugement des nations. Le prophète l’indique dès le commencement. Il invite tous les peuples et toute la terre à entendre ce qu’il va publier, « car Jahvé est indigné contre toutes les nations… il les livrera à la « tuerie », xxxiv, 1-2. Les montagnes ruisselleront de leur sang, xxxiv, 3. « Les cieux seront roulés comme un livre et toute leur armée tombera comme tombent les feuilles de la vigne et du figuier, » xxxiv, 4.

En opposition avec ce sombre tableau du cataclysme du monde et de la ruine d’Édom, le prophète décrit tout à coup et sans transition la venue de Jahvé pour délivrer et glorifier son peuple. Avec des couleurs splendides, il dépeint surtout le retour de l’exil à travers le désert. Celui-ci sera transformé en paradis. Il fleurira et recevra la brillante parure du Liban, du Carmel et de Saron, xxxv, 1-2. Son sol aride se changera en fontaine, xxxv, 7. II y aura une route qui sera aussi sainte que sûre, car aucun impur n’y passera et aucune bête féroce ne s’y montrera, xxxv, 8-9. Toute cette transformation aura lieu, parce que la gloire de Jahvé s’y révélera, xxxv, 2. Il viendra personnellement pour sauver et ramener son peuple, xxxv, 4.

C’est pourquoi les exilés doivent se réconforter et se réjouir, xxxv, 3-4. Quand Jahvé arrivera, « les yeux des aveugles et les oreilles des sourds s’ouvriront, le boiteux bondira comme un cerf et la langue du muet éclatera de joie », xxxv, 5-6. Durant le voyage à travers le désert, « les simples mêmes ne s’égareront pas », xxxv, 8. Eux les rachetés de Jahvé arriveront tous à Sion ; « ils y entreront avec des cris de triomphe ». « Une joie éternelle couronnera leur tête ; la joie et l’allégresse seront leur part ; la douleur et le gémissement s’enfuiront, » xxxv, 10.

Les chapitres lvi-lxvi.

 Autant les chapitres,

Is., xl-lv, forment un tout homogène, où se reflète nettement le temps qui précéda immédiatement la chute de Babylone, autant le reste du livre apparaît comme une masse disparate dont les morceaux supposent une situation différente de celle des oracles de xl-lv, et la présentent sous différents aspects, alors que les précédents oracles la supposent toujours identique. Déjà pour cette raison l’opinion des exégètes qui placent ces onze chapitres, dans un seul et même milieu au point de vue historique et géographique, ne peut se justifier. C’est ainsi que Duhm et, sur ses traces, Marti, Cornill, Steuernagel, Gautier les datent du temps qui précéda Néhémie et Esdras, donc vers le milieu du ve siècle, et Feldmann, t. ii, p. 14, 195, 203-224, de l’époque exilienne. D’ailleurs la première tentative se heurte au fait que les prétendues allusions au milieu du ve siècle n’existent pas, la seconde à l’impossibilité, ou tout au moins à l’extrême difficulté, que du reste Feldmann reconnaît lui-même pour lvi, 9-lvii, 13 ; lix, de faire cadrer toutes les parties avec le temps exilien. Il ne reste donc qu’à classer avec Budde, Sellin, Kittel, les textes d’après les circonstances avec lesquelles ils sont en harmonie. Ces circonstances ne sont pas toujours aussi faciles à déterminer que celles de xl-lv. Il faut, nous semblet-il, penser pour lvii, 14-21 ; lviii ; lix, 15 b -21 ; lx-lxv, au temps qui précède et pour lvi, 1-8 ; lxvi, 5-25, au temps qui suit le retour, et parmi ces textes distinguer entre ceux qui sont rapprochés des oracles d’Aggée et de Zacharie et ceux qui voisinent avec les prophéties de Malachie.

Puisqu’on doit répartir ainsi les textes, il en résulte que les prophéties messianiques qui y sont contenues forment, au lieu d’un tableau harmonieux, une mosaïque multicolore dont on doit étudier une à une les différentes pièces.

X. — 47 1479 MESSIANISME, LE TEMPS DE L’EXIL : LE LIVRE DES CONSOLATIONS 1480

Tout d’abord il faut fixer notre attention sur celles qui sont encore des oracles exiliens.

1. Les chapitres lx-lxii ressemblent beaucoup, pour le contenu et le style, aux chapitres xl-lv et appartiennent, en raison surtout de la vibrante attente du salut qui s’y exprime, à la même situation. L’auteur s’y adresse aux exilés pour leur annoncer la délivrance et le retour, en des termes qui rappellent absolument xl, 3 sq. ; xlv, 13 ; xlviii, 20, etc. Plusieurs critiques les attribuent au même auteur, et le P. Condamin les a même réunis avec les chapitres livlv comme ayant primitivement formé un seul grand poème.

Ces trois chapitres contiennent le tableau le plus brillant et le plus célèbre de la gloire finale de Jérusalem et du bonheur de ses habitants. Quand l’heure du salut arrivera, Sion sera illuminée par l’apparition de Jahvé. Elle resplendira alors d’une façon si merveilleuse que, tout autour, la terre semblera plongée dans les ténèbres, et qu’attirés par sa clarté les peuples, rois en tête, afllueront vers elle, tandis que les Israélites dispersés reviendront, lx, 1-4. En même temps les richesses des pays et des mers seront transportées à Jérusalem : les Arabes inonderont la ville de leurs chameaux et de leurs troupeaux, et les vaisseaux venant de Tharsis s’approcheront de la côte palestinienne comme les pigeons de leur colombier, lx, 5-9 ; lxi, 6. Les étrangers rebâtiront les murs de la ville dont les portes resteront continuellement ouvertes, pour que les trésors du monde y puissent être apportés sans interruption, lx, 10-11 (le ꝟ. 12 est une glose). Les étrangers cultiveront aussi les vignes et les champs des Israélites et paîtront leurs troupeaux, lxi, 5. Tandis qu’eux, les Israélites, occuperont parmi les païens le rang qu’ont eu autrefois les prêtres chez eux, lxi, 5-6, les rois eux-mêmes les serviront, lx, 10. Sion « boira le lait des peuples et sucera le sein des royaumes » (dans le texte se lit « rois » ), lx, 16.

Dans la ville ainsi reconstituée, la paix, la justice et le bonheur régneront à jamais, lx, 17-18. Ses habitants seront tous saints et se multiplieront à tel point que le petit deviendra un grand peuple, lx, 21-22. Jérusalem deviendra la gloire de tout l’univers, lx, 15 ; lxii, 7. Jahvé l’aimera comme un jeune homme aime sa fiancée, lxii, 5. Elle n’aura plus besoin ni du soleil ni de la lune : Jahvé sera sa lumière éternelle, lx, 1920. Les jours de deuil auront pris fin, lx, 20, et les Israélites posséderont le pays pour toujours, lx, 21.

2. Le psaume formé par lxiii, 7-lxiv, 11, exprime d’une manière touchante l’espérance messianique. Dans le passé les Israélites ont reçu beaucoup de bienfaits de Jahvé, bien qu’ils en fussent indignes, lxiv, 5-6, et qu’ils l’eussent irrité et affligé tant de fois, lxiii, 10, à tel point qu’ils se trouvent maintenant dans le malheur et que Jérusalem et le temple sont détruits, lxiii, 10 ; lxiv, 9-10. Ces versets montrent que la situation à laquelle ils se réfèrent est tout à fait celle de l’exil (Feldmann, Budde), et non celle du temps postexilien (Sellin, Cheyne, Duhm). Mais Jahvé dans sa bonté ne les abandonnera pas non plus maintenant, LXIV, 7, 11. Dans cette conviction ils lui adressent des appels pressants, le priant de se tourner de nouveau vers eux, de déchirer les cicux et de descendre sur la terre pour y faire des merveilles inattendues, pour les sauver de leurs ennemis et faire trembler les peuples devant eux, lxiii, 17, 19 ; lxiv, 1-2.

3. Le chapitre lxv pourrait être la réponse à la prière précédente. Il semble, en effet, refléter la même situation. D’après 9, 11, 18, les Israélites ne paraissent pas être revenus en Palestine, et Jérusalem ainsi que le temple ne semblent pas encore reconstruits (Budde, Feldmann) ; d’autre part tout indice manque pour dire, comme Duhm et ses partisans l’ont |

prétendu, que les accusations des versets 1-15 visent les Samaritains du temps d’Esdras et de Néhémie. Jahvé y dit à son peuple qu’il n’est pas responsable de sa misère actuelle. Continuellement il a étendu ses mains vers lui pour le recevoir. Mais ce peuple l’a sans cesse irrité, surtout par son idolâtrie et continue partiellement encore en exil à pratiquer ce culte infâme, 11-12. C’est pourquoi il fera venir sur eux le glaive auquel tous les coupables succomberont, 12. Par contre, les vrais serviteurs de Jahvé seront sauvés, 8, et formeront une race nouvelle qui héritera des montagnes de la Terre sainte, 9. Là ils jouiront d’un bonheur unique. Jahvé créera pour eux un ciel nouveau et une terre nouvelle, 17, et fera de Jérusalem une ville d’allégresse et d’Israël un peuple de joie pour toujours, 16. Le bruit des sanglots et des cris ne sera plus jamais entendu.

4. Is., lvii, 14-21, semble être une invitation au retour adressée, après le premier rapatriement, à ceux qui sont encore à Babylone. L’exhortation, xl, 1, de frayer un chemin y est répétée. Dieu, après avoir été irrité un moment contre son peuple, le guérira et le consolera. Il donnera la paix à ceux qui sont loin comme à ceux qui sont près, promesse qui ne s’explique jamais mieux, que si on pense à ceux qui sont déjà arrivés à Jérusalem et à ceux qui séjournent encore sur les fleuves de Babylone. (La réprimande, lvi, 9-lvii,

13, qui précède cet oracle est peut-être préexilienne.)

5. Is., lviii. — Au peuple qui après le retour attend pour bientôt la réalisation parfaite du salut et qui croit la mériter par des pratiques extérieures, surtout par le jeûne, Dieu fait savoir que seule l’observation des lois morales l’en rendra digne. Cette vraie sainteté fera poindre la lumière de son bonheur comme l’aurore, 8-10. Israël deviendra semblable à un jardin bien arrosé ; il rebâtira ce qui est tombé en ruines, 12, et jouira de nouveau de l’héritage de son père Jacob,

14. (Les expressions employées pour exprimer le bonheur attendu sont générales ; mais elles font pourtant penser davantage à l’époque qui suivit le retour qu’à celle qui le précède, étant donné surtout que celui-ci n’est nulle part en perspective.)

6. Is. lix, 15 b -21, et lxiii, 1-6. — (Tout moyen fait défaut pour fixer la date de ces deux morceaux. Si le premier formait la suite de ce qui précède, il appartiendrait au temps de Malachie ; car dans lix, 1-15°, comme dans les discours de ce prophète, l’impiété et l’immoralité sont présentées comme un obstacle au salut d’Israël ; mais au lieu de lire dans la suite, lix, 15 b sq., la menace que Jahvé viendra punir son peuple, nous apprenons que le Très-Haut assouvit sa colère contre les païens. Ainsi lix, -15 a et lix, 15-21, ne forment donc pas une unité, comme Duhm et Feldmann le prétendent. Nous les séparons avec Cheyne et Budde. Le second oracle, lxiii, 1-6, est tout à fait parallèle à lix, 15 b -21, et Budde y voit avec quelque raison la suite de ce premier oracle. Nous aussi, nous les réunissons pour les placer à la fin du premier groupe des oracles du « Trito-Isaïe ».) Le contenu en est très dramatique. D’abord nous voyons Jahvé revêtir son armure comme un guerrier — la justice est sa cuirasse, le casque du salut est sur sa tète, la vengeance lui sert de cotte de maille — puis descendre sur la terre pour attaquer ses ennemis et remplir d’épouvante les peuples de l’Orient aussi bien que ceux de l’Occident. Ensuite nous le voyons revenir d’un terrible carnage qu’il a fait au milieu des païens. Il les a piétines dans sa fureur comme un homme qui au pressoir foule les raisins, de sorte que son vêtement est tout rouge de sang. I.e but de ce jugement des nations est le salut d’Israël ; Jahvé viendra finalement à Sion en Sauveur pour renouveler son alliance, lix, 20-21.

7. Is., lvi, 1-8 ; lxvi, 5-25. — Dans la troisième partie d’Isaïe il y a deux textes importants, dont la situation historique semble être tout à fait celle de l’époque qui suivit les oracles d’Aggée et de Zacharie.

En effet, pour ce qui regarde le premier, lvi, 1-8, les dispersés d’Israël seront de plus en plus rassemblés ; d’après les ꝟ. 5 et 7, le temple existe de nouveau et, d’après 8, le retour a déjà eu lieu.

C’est une magnifique prophétie messianique : Le salut est proche, il faut plus que jamais se rendre digne de la grâce de Dieu par la pratique de la justice. Le salut ne sera pas uniquement réservé aux Israélites. Si les étrangers observent les lois d’Israël, Jahvé les conduira à sa sainte montagne, les réjouira dans sa maison et y acceptera avec complaisance leurs sacrifices ; car le temple s’appellera « maison de prière pour tous les peuples ».

En lisant le second texte, lxvi, 5-25, on est d’abord bien embarrassé pour déterminer la situation qu’il reflète. Les quatre premiers versets du chapitre supposent clairement le temple comme non existant, tandis que les ꝟ. 6-17, surtout à cause de 6, font penser le contraire. D’autre part la parenté entre les expressions et les idées qui ressort spécialement, comme le relèvent Duhm et Feldmann, de la comparaison de 2 avec 5, de 3 avec 5, 6, 14, semble prouver l’unité des deux parties lxvi, 1-4, et 5-16. Pour cette raison Duhm et ses partisans ont, d’une manière très ingénieuse, compris 1-4 du temple que les Samaritains voulaient construire à l’époque de Kéhémie, et 5-17 du temple de Jérusalem, achevé depuis 516, et ont placé ce texte comme les précédents vers 450. La manière cependant dont la construction du nouveau temple est blâmée par Jahvé, 1-4, et dont les adversaires des Israélites sont désignés — ils sont appelés frères, 5 — exclut cette hypothèse, voir Budde et Feldmann. Il ne reste donc qu’à attribuer ou bien avec Dillmann et Feldmann l’ensemble à l’époque exilienne, ou bien à distinguer avec Budde deux morceaux différents appartenant l’un à l’époque qui précède, l’autre à celle qui suit la construction du temple. La première tentative se.heurte nécessairement au ꝟ. 6, de sorte qu’il faut choisir la seconde. Les ꝟ. 5-16 doivent donc trouver leur place après Aggée et Zacharie. La poésie qu’ils contiennent est suivie d’un morceau en prose, 17-25.

Les deux oracles décrivent le jugement final qui apportera le châtiment aux impies et le bonheur aux fidèles. — Dans le premier le prophète s’adresse à ceux qui ridiculisent l’espérance messianique des fidèles, 5 ; il leur annonce que Jahvé doit venir avec fracas du temple, 6, et sévir comme le feu et l’ouragan contre toute chair, 15-16, pour punir ses ennemis et achever infailliblement l’œuvre commencée de la restauration, 7-10. Que Jérusalem et ceux qui l’aiment se réjouissent, 10. Les élus y seront rassasiés de consolation et abreuvés de délices, 11-12 ; Jahvé versera sur elle la paix comme un fleuve et la gloire des nations comme les flots d’un torrent, 12.

Dans la seconde prophétie, Jahvé s’adresse d’une façon abrupte à ceux qui, même après l’exil, l’offensent par des pratiques idolâtriques. Il viendra pour les punir et pour juger en même temps toutes les nations qu’il rassemblera devant lui, 17-18. Comme on. lit, dans le verset suivant, que les païens survivants seront envoyés aux peuples les plus lointains qui n’ont pas encore entendu parler de Jahvé pour y publier la gloire de Dieu, l’expression « toutes les nations » ne peut se rapporter qu’aux nations voisines d’Israël. Le premier message apporté par les représentants de ces pays limitrophes à toutes les races de l’univers, sera celui du retour de tous les Israélites qui « à cheval, en voiture, en litière, sur des mulets et des dromadaires, seront ramenés en offrande », 20. Le second effet sera la conversion des païens parmi lesquels Jahvé choisira des prêtres et des lévites, 21.

Jahvé révèle enfin que la race et le nom des Israélites dureront aussi sûrement que les cieux nouveaux et la terre nouvelle qu’il créera doivent subsister. Chez eux, à Jérusalem, toute chair viendra régulièrement pour célébrer les fêtes et se prosterner devant Jahvé. En dehors de la ville ils auront un spectacle affreux ; ils verront les cadavres des hommes qui s’étaient révoltés contre Dieu, continuellement « rongés par les vers et grillés par le feu, » 22-24.

Voir la bibliographie donnée à la fin de l’article Isaïe. Ajouter : Condamin, Les prédictions nouvelles du chapitre XLYIU d’Isaïe, dans Revue biblique, 1910, p. 200 sq. ; S. L. Brown, Introduction lo the study of Isaiah, 40-66, dans The Interpréter, 1910-11, p. 397 sq. ; A. W. Blunt, The « Servant » Passages in DeuteroIsaiah, ibidem, 1911-12, p. 184 sq. ; A. Boegner, A propos d’Êsaïe, LUI, dans Revue de théologie, 1912, p. 368 sq. ; S. Œttli, Der Prophet Jesaja, 40-66, 1913 ; H. G. Dalman, Jesaja 53, das Prophetenwort vom Sùhnleiden des Gotlesknechtes, 1914 ; H. Gressmann, Die literarische Analyse Deuterojesaias, dans Zeitschrift fur die A. T. Wissenschaft, 1914, p. 254 sq. ; Klostermann, Zur Erklàrung der Bûches Jesaja, dans Theologisches Literaturblatt, 1914, p. 506 sq. ; Fr. Feldmann, Das Frùhere und das Neue, dans Sachaufestschrift, 1915, p. 161 sq. ; J. Fischer, Isaias, 40-65, und die Perikopen vom Gotlesknechl, 1916, Wer isl der Ebed ? 1922 ; Fr. Prsetorius, Bemerkungen zu den Cedichien vom Knechie Jahves, dans Zeitschrift jùr die A. T. Wissenschaft, 1916, p. 8 sq. ; Fr. Zorell, Das vierte Ebed-Jahve-Lied, dans Biblische Zeitschrift, 1916, p. 140 sq. ; J. Skinner, The Book of the prophet Isaiah, chapters XL-LXYI, 1918 ; G. Béer, Die Gedichte vom Knechte Jahves in Jes. 40-55, dans Bandissinfestschrift, 1918, p. 33 sq. ; J. Calés, Les Psaumes, Is., LUI, Ez., XXIX-XXXH, dans Recherches de science religieuse, 1919, p. 102 sq. ; M. Bruckner, Der sterbende und auferslehende Goiiheiland, 1920 ; P. Volz, Jesaja. LUI, dans Buddefestschrift, 1920, p. 180 sq. ; Touzard, L’âme juive au temps des Perses, dans Revue biblique, 1920, p. 26 sq., 1923, p. 59 sq., 1927, p. 5-24, 161-179 ; Gunkel, Ein Vorlàufer Jesu, 1921 ; Bleeker, Over inhoud en vorsprong van Israëls heilsverwachting, 1921 ; Sellin, Mose und seine Bedeulung fur die isræliiisch-jùdische Religionsgeschichte, c. iv : Die Mosetradition bei Deuterojesaja, 1922 ; F. Prætorius, Die Gedichte des Deuterojesaias, 1922 ; F. Boni, De Knecht d(S Heeren in Jezaja 11 ii, 1923 ; L. Kohler, Deuterojesaja (Jes. 40-55) stilkritisch untersucht, 1923 ; Haller, Das Judentum, Geschichtsschreibung, Prophétie und Gesetzgebung nach dem Exil, 1925 ; J. Marty, Les chapitres LViLXVI du livre d’Ésaïe traduits et commentés, 1926 ; W. Rudolph, Der exilische Messias. Ein Beitrag zur Ebed-Jahve-Frage, dans Zeitschrift fur die A. T. Wissenschaft, 1925, p. 90sq. ; W. Stærk, Zum Ebed Jahve-Problem, ibidem, 1926, p. 242 sq. ; Sellin, Hosea und das Martyrium des Mose, ibidem, 1928, p. 26 sq.

III. aggée. —

Toutes les magnifiques promesses de la seconde partie d’Isaïe ont vivement entretenu chez les exilés l’espérance en l’avenir glorieux de leur nation. La ferme conviction qu’elles allaient se réaliser bientôt les a surtout engagés à retourner en Palestine. Pour réinstaller le culte, ils ont aussitôt construit l’autel des holocaustes et, la seconde année (536), jeté les fondements du temple. Mais bientôt, par suite des hostilités des voisins et des mauvaises moissons, ils furent aux prises avec la plus grande misère, et en outre tellement découragés de ce que le salut messianique tardait à venir, qu’ils suspendirent complètement les travaux de la reconstruction du sanctuaire. En 520, deux prophètes, Aggée et Zacharie, réveillèrent leur zèle précisément par de nouvelles promesses messianiques.

Aggée, en quatre oracles laconiques et précis, leur fit d’abord savoir que le retard du salut, ainsi que les souffrances et les privations actuelles, étaient uniquement dus à leurs péchés, surtout à leur négligence pour la maison de Dieu, i, 2-11. Par suite de ces exhorta

tions, les Israélites, sous la direction du gouverneur Zorobabel et du grand prêtre Josué, reprirent les travaux.

Quelques semaines plus tard, à cause de la déception provoquée par la comparaison du nouvel édifice avec le temple de Salomon, Aggée fit une seconde fois entendre sa voix pour encourager et rassurer ses compatriotes. Il leur dit que « sous peu » Jahvé ébranlerait le ciel et la terre, la mer et le continent ainsi que les nations ; alors les trésors de tous les peuples seraient apportés à Jérusalem pour orner le nouveau temple qui deviendrait par là plus glorieux que l’ancien, ii, 1-9. L’indication chronologique » sous peu » est en hébreu exprimée par « encore une fois, bientôt cela », en grec seulement par « encore une fois ». Tandis que van Hoonacker préfère la leçon des LXX et regarde « sous peu » comme une glose, Smend, Wellhausen, Marti, Nowack, Kittel prennent — avec plus de raison, nous semble-t-il — « encore une fois » pour une addition. Dans tous les cas ahat, que van Hoonacker traduit par « la prochaine fois », a plutôt, comme Marti le remarque justement, le sens de « d’un coup », « tout à coup », et la proximité du bouleversement est clairement annoncée dans le quatrième oracle par la promesse que Zorobabel y sera sauvé.

Comme, sur ces promesses, les Israélites travaillèrent avec ardeur au temple, le prophète leur annonça, deux mois plus tard, que Jahvé bénit dès maintenant leurs champs, ii, 10-13, et adressa surtout un oracle magnifique à Zorobabel : « Quand il ébranlera l’univers et quand il renversera les trônes, les chars, les chevaux et les cavaliers des royaumes », Jahvé pro. tégera son serviteur Zorobabel et lui donnera une position éminente ; il fera de lui « comme un anneau à cachet », c’est-à-dire, selon la remarque de Sellin, son vizir dans son royaume, ii, 21-23. Ce rôle Zacharie allait le déterminer encore davantage.

iv. zacharie. — 1° Les chapitres I-VIII. — Ce qu’Aggée annonçait ainsi d’une manière brève et sobre, Zacharie, dans le même dessein et à la même époque, le développa avec une imagination exubérante. Dans les huit célèbres visions qu’il eut en la nuit du 24 février 519, il donna aux espérances messianiques une expression toute nouvelle et un éclat particulièrement brillant.

D’abord il aperçoit dans une vallée couverte de myrtes des cavaliers célestes revenir d’une course à travers la terre ; il les entend rapporter à « l’ange de Jahvé » qui les avait envoyés qu’il y a partout repos et tranquillité. Parce que cet état est contraire à celui de bouleversement qu’Aggée avait prédit comme inauguration du temps messianique, l’ange de Jahvé qui est en même temps le gardien do. Jérusalem et de Juda, intercède auprès de Dieu pour ses protégés. Immédiatement il est autorisé à publier la nouvelle consolatrice que, malgré l’apparence contraire, le Seigneur brûle de zèle pour Jérusalem et Sion et qu’il est mécontent des nations ; le temple, la ville sainte et toutes les autres villes seront rebâties et déborderont d’opulence, i, 14-17.

En second lieu Zacharie voit quatre cornes brisées par quatre forgerons : elles représentent le monde païen abattu à tel point qu’il ne pourra plus nuire à Israël, i, 18-21 (hébr. ii, 1-1).

Ensuite apparaît au prophète un jeune homme qui, un cordeau en main, court pour mesurer la Jérusalem future ; un ange l’arrête en lui annonçant que Jérusalem n’aura plus besoin de mur parce que d’une part les hommes et les animaux y seront tellement nombreux, que toute enceinte serait trop étroite, parce que d’autre pari, Jahvé lui-même entourera la ville sainte comme d’une muraille de feu, tout en faisant paraître sa gloire au milieu d’elle, ii, 1-G a (h. 5-10 a). A

cette vision sont rattachées, probablement après coup, par le prophète lui-même, les exhortations suivantes : Que les Israélites dispersés dans le monde, surtout ceux qui se trouvent encore à Babylone, se hâtent de revenir. Que l’on se réjouisse parce que Jahvé viendra demeurer au milieu de Jérusalem, entouré non seulement des Israélites, mais aussi de nombreux peuples qui se rallieront à lui. Que toute l’humanité se taise ; car déjà le Seigneur s’apprête à quitter le ciel et à venir sur la terre, ii, 6 b -13 (10 b -17).

Par la quatrième et la cinquième vision — le texte primitif en est modifié par des paroles postérieures de Zacharie et par des gloses — il est révélé au prophète que les deux chefs de la nouvelle théocratie qui sera incessamment établie, savoir le grand prêtre Josué et le prince royal Zorobabel, jouiront d’une protection spéciale de la part de Jahvé. Zacharie aperçoit d’abord le grand prêtre placé en habit souillé devant le tribunal de l’ange de Jahvé et accusé par le diable. Mais, au lieu d’être condamné, Josué est revêtu d’habits de fête et reçoit la mission de gérer les affaires du temple, et le droit de prendre rang parmi les anges, m, l-8 a. Tout de suite après, Zacharie apprend que la position privilégiée de Josué est partagée par Zorobabel. Il lui est montré un candélabre d’or à sept lampes, flanqué et alimenté de deux oliviers, et il lui est révélé que ces deux arbres représentent les deux oints qui se trouvent comme serviteurs devant le Seigneur de toute la terre, iv, 1-5, 11-14. Comme les oliviers fournissent l’huile au candélabre, ainsi le gouvernement de ces deux chefs procurera la prospérité au nouvel État. (Nous supposons donc avec Knabenbauer-Hagen, t. ii, p. 333, que le candélabre est le symbole du peuple théocratique ; dans ce cas, iv, 10 b, est une glose ; si par contre, comme le supposent van Hoonacker, Nowack, Marti, Sellin, le candélabre représentait Jahvé, il faudrait alors regarder le ꝟ. 12 comme secondaire. Nous ne nous rangeons pas à l’opinion de ces auteurs, parce que dans ce cas la raison pour laquelle Josué et Zorobabel sont représentés par deux oliviers ferait complètement défaut.)

Les deux visions suivantes se rapportent à la purification du pays. Non seulement les pécheurs disparaîtront, mais aussi toutes les impiétés qui sont la source de leurs péchés. Le premier fait est symbolisé par un immense rouleau couvert de malédiction, qui vole au-dessus des coupables pour causer leur mort et la destruction de leurs propriétés, le second par une femme renfermée dans un épha, mesure de capacité, et transportée de Palestine en Babylonie. Il y aura donc une sainteté parfaite dans le nouvel Israël, , v, 1-4, 5-11.

Pour clôturer toute la série de ces révélations nocturnes, la huitième vision, vi, 1-8, revient à la première. Zacharie observe que la tranquillité actuelle des peuples, qu’il avait signalée comme incompatible avec l’avènement du règne messianique, sera remplacée par une grande agitation : quatre chars attelés de chevaux se mettent en route vers les quatre coins du monde, en particulier vers le pays septentrional, c’est-à-dire la Babylonie, pour y apporter l’esprit de Jahvé. Cet esprit de Jahvé ne signifie pas uniquement comme on l’a interprété autrefois et comme le fait encore van Hoonacker, le jugement exécuté sur les païens, ni seulement, comme le supposent d’ordinaire les exégètes modernes, par exemple, Marti, Nowack, Sellin, le zèle excité chez les Juifs de la dispersion pour les ramener, mais les deux ensemble, comme Knabenbauer-Hagen, t. ii, p. 351, l’a bien reconnu. (Inutile de rattacher avec Sellin et Nowack, 15° à viii, 1-6.)

L’enseignement que Zacharie donne de cette façon si originale sur le temps messianique est en outre illustré par une action symbolique, vi, 9-15. Il reçoit l’ordre de

fabriquer une couronne royale avec de l’or et de l’argent que des Israélites récemment arrivés de Babylone avaient apportés pour le temple. D’après le texte actuel, cette couronne est destinée à Josué ; mais il n’y a pas de doute que vi, 11, comme déjà iii, 9, il ne faille lire Zorobabel à la place de Josué, changement qui entraîne quelques autres modifications. C’est à Zorobabel seul que Zacharie peut dire comme auparavant qu’il construira le temple, vi, 13 a. C’est à lui seul que peuvent se rapporter les paroles : il sera revêtu ( ?) de majesté et régnera sur le trône, vi, 13 b et surtout ces autres : « Voici un homme dont le nom est Germe et il germera sous lui », vi, 12 b (van Hoonacker traduit : « Voici un homme dont le nom est Germe, et sous lequel se produira une germination » ). Il s’ensuit qu’à Zorobabel est conférée non seulement la dignité royale, mais aussi la dignité messianique : Après qu’Aggée l’a décrit comme l’agent de Dieu sur terre, Zacharie le désigne par le même nom de « Germe » que Jérémie avait donné au rejeton de la famille davidique qui doit inaugurer l’ère messianique. Parce que l’un comme l’autre s’attendaient à l’ouverture prochaine de cette ère, il n’est pas étonnant qu’ « ils aient caractérisé Zorobabel comme l’héritier des promesses messianiques », van Hoonacker, p. 610.

Cependant il n’en résulte pas qu’ils aient pris Zorobabel pour le vrai Messie dans notre sens chrétien. Au contraire, ils n’ont même pas clairement entrevu le Messie par excellence. Car, comme il résulte de la phrase de Zacharie : « il y aura sous lui une germination », ils ont pensé à toute une dynastie de rois qui, à l’ère messianique, descendrait de Zorobabel par « germination ».

Deux ans environ après ces prédictions, en décembre 518, lorsque le temple était déjà en bonne partie construit, des gens demandèrent au prophète, si les jours de deuil et de jeûne institués en souvenir de la chute de Jérusalem devaient être encore observés. Il leur donna une réponse qui répète et confirme les idées qu’il avait publiées par les visions et les symboles : Jahvé est déjà en train de retourner à Sion, vin, 3 ; il viendra habiter au milieu de Jérusalem ; sur les places de la ville il y aura beaucoup de vieillards, parce qu’on vivra longtemps, mais aussi beaucoup d’enfants parce qu’on se multipliera beaucoup, viii, 4-5. Le peuple tout entier, Juda et Israël, sera reconduit en la Terre promise et jouira de tous les biens du sol, vm, 11-12. De nombreuses nations viendront chercher Jahvé et le satisfaire par des sacrifices, viii, 20-22. Dix hommes de toutes les langues saisiront un Judéen par le pan de sa robe et lui diront : « Nous voulons aller avec toi ; car nous avons entendu que Dieu est avec vous », viii, 27.

2° Les chapitres ix-xir. - — Aucun autre morceau de la littérature prophétique ne présente, au point de vue critique et exégétique, autant de difficultés que la seconde partie de Zacharie. Les exégètes indépendants sont unanimes à la contester à ce prophète, et les deux derniers commentateurs du livre, Nowack et Sellin, relèvent expressément comme incompréhensible que même un exégète catholique, aussi averti que M. van Hoonacker, défende l’unité d’auteur pour Zacharie, i-xiv.

Nous reconnaissons que les différences entre les chapitres i-viii et ix-xiv sont si grandes, qu’elles s’expliquent au mieux par l’hypothèse de deux auteurs différents. Mais dès qu’on abandonne l’unité du livre, on fait de la seconde partie une île flottante qui, sur la mer de la critique, est aux prises avec toutes les tempêtes. Tandis que les uns ont revendiqué soit pour le morceau tout entier, Newcome, Bertholdt, Ewald. Hitzig, Kônig, Orelli, Strack, soit pour

quelques chapitres seulement, Kuenen, Baudissin, Steuernagel, une origine préexilienne, les autres mettent ix-xiv après Zacharie. Parmi ceux-ci quelques-uns ont cru réussir à en déterminer exactement la place dans la période des Asmonéens (Marti, Duhm, Bertholet, Rubinkam). Plus récemment d’autres, surtout Sellin, reconnaissent l’impossibilité de fixer la date, et se contentent d’indiquer comme temps probable de son origine l’époque comprise entre Esdras et le commencement des guerres machabéennes. Les exégètes catholiques qui n’ont pas pris part à ces aventures critiques, et qui tout en reconnaissant les différences indéniables entre les deux parties — M. van Hoonacker a supposé un intervalle entre la composition de la première et de la seconde- — ont expliqué la seconde à la suite de la première, se sont trouvés, pour la comprendre, dans une position aussi bonne sinon meilleure que les critiques indépendants.

Presque plus complexe encore que le problème de l’origine du Deutéro-Zacharie est celui de son sens, surtout de son sens messianique. Le premier problème n’est en somme que la suite du second. Déjà le point de vue général qui forme la base des oracles est difficile à saisir.

Bien que l’auteur ait écrit après l’exil, plusieurs passages reflètent une situation préexilienne ; par exemple la maison de David est présentée comme exerçant encore la royauté, xii, Il sq., les ennemis mentionnés sont ceux du temps royal, ix, 1 sq., ce qui explique que plusieurs exégètes aient revendiqué pour le Deutéro-Zacharie une date ancienne et que d’autres, en prenant ces versets pour des allusions voilées à l’histoire des Asmonéens, aient pensé au contraire à une époque toute récente. Cependant le point de vue auquel le prophète se place n’est pas réel, mais fictif. Pour donner plus d’autorité à ses paroles, il écrit comme s’il vivait avant l’exil. Il est donc à ranger parmi les auteurs apocalyptiques que nous rencontrerons surtout dans la littérature apocryphe, et qui ont aimé placer leurs paroles dans la bouche d’un personnage qui avait vécu longtemps auparavant. Il est même le premier de la série. En se plaçant au point de vue préexilien il a énoncé les idées messianiques suivantes :

1. Son premier oracle, ix, rappelle les prédictions des grands prophètes contre les païens. (Le texte en est en mauvais état ; nous regardons, avec van Hoonacker, Nowack, Marti, Sellin, 13e, « contre tes fils, Javan », comme une glose et nous plaçons, avec Sellin et Nowack, 9-10 à la fin du chapitre ; car en 13 sq. il est dit que Juda et Israël attaqueront impitoyablement les ennemis ; or en 9-10 il est annoncé que le roi Messie détruira toutes les armes ; donc pour éviter la contradiction entre 9-10 et 13 sq., il est indispensable de mettre 9-10 après 13 sq.) La Syrie, la Phénicie et la Philistie seront subjuguées par Jahvé, 1-6. L’incorporation de ces territoires au royaume théocratique aura comme suite pour leurs habitants l’acceptation du culte de Jahvé ; des Philistins il est dit qu’ils seront comme une nouvelle tribu d’Israël, et qu’ils seront placés sur le même pied que les Hiérosolymitains, 7. En même temps Jahvé délivrera et ramènera les captifs du peuple élu, 12, et se servira d’Israël comme d’une armée pour renverser les ennemis, 13. Pendant la lutte il sera au-dessus d’eux comme un orage, 14-15. La victoire remportée, Israël demeurera heureux dans son pays comme un troupeau dans un riche pâturage, 16-17.

Alors viendra, monté sur un âne, un roi pacifique, humble, sauveur (LXX) des pauvres, c’est-à-dire le Messie. Sion est invitée à se réjouir de tout cœur de son arrivée. Il détruira tous les instruments de guerre

et sera le chef d’un règne pacifique qui s’étendra d’un bout du monde à l’autre, 9-10.

2. La prophétie suivante, x, 3-xi, 3 — x, 1-2, n’a pas de contenu prophétique — est tout à fait parallèle à la précédente. Il y est relevé en particulier que la puissance de l’Egypte et de l’Assyrie sera détruite et que Juda et Israël seront reconduits en Palestine.

3. xi, 4-17 + xiii, 7-9. — Ici le prophète raconte qu’il a reçu de Jahvé la mission d’accomplir deux actes symboliques. D’abord il doit jouer auprès du peuple malmené par ses chefs le rôle d’un pasteur bon et fidèle. Le prophète le fait, mais il est traité de la façon la plus ingrate. Las de son emploi, il demande son salaire ; on ne lui donne que trente pièces d’argent. Sur cela Jahvé l’invite à représenter un mauvais pasteur qui ne pense pas au bien-être de son troupeau, mais à son profit personnel.

En lisant le texte on a bientôt l’impression qu’il ne peut pas s’agir d’un rôle réel dont le prophète serait investi, mais d’une fiction littéraire sous laquelle il raconte le sort d’un bon et d’un mauvais chef du peuple. Quit sont ces chefs ? Par suite des détails de la description, la réponse à cette question est difficile. Le fait le plus obscur et le plus encombrant est celui qui se lit 8 a, où le bon pasteur dit qu’il a fait disparaître en un mois trois pasteurs ; d’après Knabenbauer-Hagen, t. ii, p. 427, il a déjà trouvé plus de quarante explications. Le prophète parle-t-il de pasteurs et d’événements du passé ou de son temps, ou bien les annonce-t-il pour l’avenir ? S’agit-il donc d’histoire ou de prophétie ? Sous les formes les plus variées ces trois possibilités ont trouvé de nombreux adhérents.

Comme le texte se trouve entre deux autres dont le caractère eschatologique est universellement reconnu, il est tout naturel de l’envisager également comme prophétique. D’autant que l’explication historique n’a pas encore pu être donnée d’une façon satisfaisante, et que la phrase 8 a sur les trois pasteurs destitués qui forme la base de l’interprétation historique est presque sûrement une interpolation tardive (8 a interrompt sensiblement la suite des idées ce qui résulte entre autres du fait que le suffixe de bahem en 8 h se rapporte aux brebis de 7 et non aux trois pasteurs. Aussi Duhm, Marti, Nowack, Sellin tiennent-ils la phrase 8 a pour une glose). Mais l’interprétation prophétique admise, le bon pasteur ne peut pas être un roi historique quelconque ; il ne peut être que le pasteur suprême lui-même, Jahvé, ou son représentant à la fin des temps, le Messie ; car d’après xi, 10, le bon pasteur avait conclu un pacte tout à fait extraordinaire avec tous les peuples pour qu’ils ne nuisent pas à Juda et il va le rompre par suite de la désobéissance de celui-ci. Précisément dans ce verset le prophète pense surtout à Jahvé ; mais dans la suite il passe peu à peu à son représentant eschatologique. Cela résulte du sort final qu’il annonce au bon pasteur : il sera tué. Dans le texte actuel cette prédiction de xiii, 7-9, se trouve séparée de la description des deux actes symboliques. Mais les exégôtes modernes reconnaissent à peu près unanimement qu’il faut rattacher xiii, 7-9 au chapitre xi. Beaucoup pourtant supposent à tort qu’il y est question de la mort du mauvais pasteur. Il ne peut s’agir là que du bon pasteur. Jamais Jahvé ne nommerait le mauvais pasteur « mon pasteur », xiii, 7, et jamais il ne dirait à son sujet : « je frapperai le pasteur et les brebis seront dispersées » ; car ce n’est que la mort du bon pasteur qui cause la dispersion du troupeau.

Le bon pasteur sera donc tellement méconnu par son peuple qu’il sera finalement mis à mort. Mais alors le grand jugement viendra sur Juda, deux tiers

en seront exterminés et la troisième partie qui reste sera purifiée comme l’argent et l’or sont purifiés par le feu, et c’est celle-ci qui s’unira à Jahvé. Si donc le bon pasteur est le Messie, le mauvais pasteur doit être un ennemi qui sera son adversaire par excellence. Plusieurs Pères ont pour ce motif pensé à l’Antéchrist, voir Sellin, p. 512.

4. xii, 1-xiii, 6 ; xiv. — Conformément à la prédiction, xi, 10, que le pacte conclu avec les païens pour les retenir d’attaquer les Israélites sera rompu, les deux dernières parties du Deutéro-Zacharie décrivent le siège de Jérusalem entrepris par toutes les nations.

D’après la description des chapitres xii et xiii, les ennemis seront arrêtés par Jahvé devant les portes de la ville sainte, leurs chevaux frappés d’aveuglement et les cavaliers de folie. Sur Israël par contre Jahvé répandra un esprit nouveau. La suite en sera la conversion du peuple élu qui s’exprimera par un repentir amer et universel du meurtre du bon pasteur : « ils regarderont vers celui (LXX) qu’ils ont percé ; ils le pleureront comme on pleure un premier-né… le pays se lamentera chaque famille à part », xii, 10 sq. Le deuil universel prouve que celui qui a tué été injustement est un chef du peuple. Puisque le prophète vient de prédire qu’on tuera le Messie, il ne peut y avoir de doute que la victime à cause de laquelle on mène le deuil ne lui soit identique, Knabenbauer-Hagen, Orelli, Procksch, Haller, Sellin, Nowack. Cette explication n’est pas rendue incertaine par le fait que le texte hébreu actuel, à la place de « ils regarderont vers celui qu’ils ont transpercé », porte « ils regarderont vers moi qu’ils ont transpercé ». Comme dans l’acte symbolique du chapitre xi le bon pasteur que le prophète doit représenter est autant Jahvé que le Messie, la présence de ce « vers moi » (elai) est fort compréhensible. Mais parce qu’il ne peut pas être dit de Dieu qu’il a été transpercé et qu’on lit aussitôt « Ils le pleureront » et non « ils me pleureront », vers moi est une addition postérieure faite par un scribe qui par suite du chapitre xii pensait en même temps à Jahvé et à son lieutenant. Van Hoonacker, p. 683, préfère la leçon de l’hébreu et traduit ainsi : « ils élèveront leurs regards vers moi. Celui qu’ils ont transpercé, ils se lamenteront sur lui. » Il maintient donc « vers moi », conformément à son explication de l’allégorie du bon pasteur : celui-ci est pour lui uniquement Jahvé. Mais la manière dont il rattache en conséquence « qu’ils ont transpercé » à « ils se lamenteront sur lui » n’est guère possible grammaticalement. La meilleure preuve que sa conception n’est pas exacte, c’est qu’il ne peut donneraucune explication de « celui qu’ils ont transpercé ». Il se tait complètement au sujet de cette victime.

Nous retrouvons donc dans le Deutéro-Zacharie, sous une autre forme, la prophétie du Deutéro- [sale sur le serviteur de Jahvé. Ici et là le représentant eschatologique de Dieu est d’abord méconnu et mis à mort par le peuple et plus tard seulement reconnu et vénéré. Comme la mort du Serviteur devient, dans Isaïe, un, la cause du salut de ceux qui l’ont ainsi maltraité, dans Zacharie, xiii. le moment où le peuple se tourne avec amour et repentir vers sa victime si vénérable devient le point de départ de sa purification : alors s’ouvrira une source miraculeuse dans laquelle tous ceux qui sont souillés par le péché pourront se laver, alors toute idolâtrie et tout prophétisme cesseront, xiii, 1-0.

La seconde description de l’invasion, xiv, contient quelques traits assez différents de ceux de la première : Les ennemis réussiront à pénétrer dans la ville où ils pilleront les maisons et souilleront les femmes. La moitié des habitants sera conduite en exil. Alors seulement Jahvé se lèvera pour repousser

les envahisseurs ; il les frappera d’effroyables fléaux. Par cette victoire, Jahvé deviendra le roi de toute la terre. Les peuples qui survivront le reconnaîtront comme unique Dieu. Ils viendront en pèlerinage à Jérusalem. Ceux qui n’y prendront pas part, seront anéantis. Pour Israël et la Terre sainte commencera une ère de prospérité merveilleuse. Il y aura une clarté perpétuelle qui ne sera pas interrompue par les nuits. Tout le pays sera transformé en une plaine à l’exception de la montagne qui porte la ville sainte. De cette montagne jaillira une source dont les eaux couleront vers l’Est et l’Ouest pour arroser tout le pays.

Il y aura partout à Jérusalem une telle sainteté que même les harnais des chevaux seront consacrés à Dieu, et que tous les pots pourront servir de vases liturgiques. Le profane n’existera plus. (A cause des différences très prononcées qui existent entre cette seconde et la première description de l’invasion des ennemis et des événements suivants, on comprend aisément que Sellin suppose deux auteurs différents. Le texte des deux morceaux est altéré par plusieurs gloses.)

Voir les commentaires des douze petits prophètes col. 1429. — J. D. F. Burger, Éludes exégétiques et critiques sur le prophète Zacharie, 1841 ; M. Baumgarten, Die Nachtgesichte Sacharias, i-II, 1854-1855 ; L. Reinke, Der Prophet Haggai, 1868 ; Rubinkam, The second part o/ the Book o/ Zechariah, 1892 ; J. J. P. Perowne, Haggai and Zecharjah, 1893 ; A. Tony, Le prophète Aggée, 1895 ; J. Boehmer, Haggai und Sacharja, zwei Prophelen des Glaubens, dans Neue kirchliche Zeilschrift, 1901, p. 717 sq. ; A. Holm, Del messianska hoppel hos Haggai och Saharja, 1903 ; J. Matthes, Hag. 1, 9 ; 2, 15-19, dans Zeitschrift fur die A. T. Wissenschaft, 1903, p. 123 sq. ; F. Descy, Analyse du livre d’Aggée, dans Collaliones Namurcences, sept. 1905 ; Allnutt, Expository thoughts on the nine visions granted to Zachariah, 1906 ; Lagrange, Notes sur les prophéties messianiques des derniers prophètes (Ag., Zach., Joel, Mal.), dans Revue biblique, 1906, p. 78 sq. ; J. W. Rothstein, Die Nachlgesichte des Sacharja 1910 ; Mitchell Hinckley, A critical and exegetical Commentary on Haggai and Zecharjah, 1912 ; Condamin, Le sens messianique de Zacharie, 12, 10, dans Recherches de science religieuse, 1913, p. 52 sq. ; K. Marti, Der Prophet Sacharja, der Zeilgenosse Zerubbabels, 1892, Zwei Studien zu Sacharja, dans Theol.Studien und Kritiken 1892, p.207 sq., Die Zweife an der propheiischen Sendung Sacharjas, dans Wellliausenfeslschrift, 1914, p. 279 sq., Der Prophet Haggai, Der Prophet Sacharja, dans Kaulzsch, 1923-, W. E. Barnes, Haggai and Zechariah. Wilh notes and introduction, 1917 ; D. Baron, The visions and prophecies of Zecharjah the prophet of hope and glorꝟ. 1918 ; G. Cooke, The unknown martyr : a study of Zach., Il sq., dans Angl. theol. Rev., 1923, p. 57 sq. ; B. Keller, Der Prophet Sacharja, 1925 ; Touzard, L’âme juive au temps des Perses, dans Revue biblique, 1926 p. 174-205, 359-381.

v. abdias. — L’oracle d’Abdias, au moins dans sa partie messianique, 9-21, a été composé après 586, très probablement après 538 ; car d’une part la destruction de Jérusalem décrite Il sq. est celle qui fut faite par Nabuchodonosor, et d’autre part la mention de la montagne de Sion comme endroit de salut pour les Israélites et de ruine pour les ennemis, 16-17, fait penser que cette montagne était de nouveau habitée par le peuple élu au moment où le prophète écrivait.

Abdias accuse Édom à cause de sa conduite si peu fraternelle lors de la prise de Jérusalem et lui annonce une punition imminente : « le jour de Jahvé sur tous les peuples est proche », 15 a. Comme Israël a dû boire le calice de la colère divine sur la sainte montagne de Jahvé, tous les peuples le boiront jusqu’à ce qu’ils soient comme s’ils n’avaient point été, 16 b. En particulier les Édomites seront anéantis comme la paille que le feu dévore.

Tandis qu’au jour de Jahvé les païens périront, les Israélites qui se trouvent à Sion seront sauvés, 17 ;

ceux qui sont encore dispersés seront délivrés et reviendront. Le peuple de Dieu ainsi rétabli exterminera avec une ardeur dévorante les Édomites, et s’emparera de nouveau de tous les districts de la Palestine. Alors le règne de Dieu sera définitivement établi, 21. (Il n’y a aucune raison de séparer 9-14 de 15-21 et d’attribuer 15-21 à une date ultérieure, comme le font Marti, Nowack, Sellin ; la transposition de 15 a immédiatement avant 16 est inutiel, et la mention particulière des Édomites dans le jugement universel n’a rien de surprenant comme Is., li, et Jo., iv, 19, en sont la preuve.)

Voir les commentaires des douze petits prophètes col. 1429. — N. Peters, Die Prophétie Abadjah’s untersucht und erklàrt, 1892 ; Condamin, L’unité d’Abdias, dans Revue biblique, 1900, p. 261 sq. ; M. J. Smith, The structure of Obadjah, dans American Journal of Semitic languages and literature, 1905-1906, p. 131 sq. ; J. Bewer, A critical and exegetical conunentary on Obadiah and Joël, 1912 ; J. Theis, Die Weissagung des Abdias, 1917 ; K. Marti, Der Prophet Obadia, dans Kautzsch, 1923.

vi. malacuie. — Du temps de Malachie, l’œuvre à laquelle Aggée et Zacharie avaient excité les Israélites était achevée : le temple était construit et le service lévitique réorganisé. Cependant, au lieu de lire dans son livre que les promesses elles-mêmes de ses prédécesseurs se sont réalisées, nous y apprenons une fois de plus que le peuple se montre indigne d’elles. De graves abus se sont introduits non seulement dans le populaire, mais aussi dans le collège sacré des prêtres.

Malachie prit la parole tout d’abord pour rappeler ces derniers à leur devoir. Il leur fait savoir que Jahvé les déteste ainsi que leurs sacrifices ; il ajoute que le Très-Haut va être dédommagé de leur service trop négligent : « .Je ne prends plus plaisir en vous, dit le Seigneur des armées, et je n’agrée plus d’offrande de votre main. Car du levant au couchant mon nom est grand chez les nations et en tout lieu on offre à mon nom de l’encens et une offrande pure. » i, 10 b -ll, (le vav devant minha doit très probablement se placer devant muggas). Il résulte de ces déclarations que les sacrifices mosaïques vont être remplacés par d’autres. Par rapport au caractère de ces offrandes, Malachie ne révèle que ces deux choses : d’une part qu’elles seront présentées non seulement à Jérusalem mais dans le monde entier, et de l’autre qu’elles seront agréables à Dieu par leur pureté. Leur nature par contre n’est pas exactement indiquée. En effet le premier des deux mots qui l’expriment, minha, que nous avons traduit par offrande, désigne, comme au f 10, le sacrifice en général, non pas le sacrifice non sanglant, de sorte que l’autre expression ne signifie pas non plus ici oblation de parfums, mais sacrifice tout court.

Par rapport à l’époque où le nouveau culte doit entrer en vigueur, le prophète ne donne pas non plus d’indications précises ; car il emploie des participes qui expriment chez lui le présent aussi bien que l’avenir, n, 3 ; iii, 1, 17. Comme, dans tout le contexte, Malachie parle de son temps, à peu près tous les exégètes protestants affirment que c’est aussi le cas au ꝟ. 11. Il voudrait dire : le culte des païens, à cause du monothéisme qui commence à poindre chez eux, est un équivalent de celui des Juifs. Mais précisément puisque Malachie constatait une négligence extrême chez les prêtres de son temps et qu’il proclamait l’abolition des sacrifices actuels, ne pensait-il pas, pour l’introduction de ces nouveaux rites, au temps qui suivra l’abolition, donc à l’avenir ? Peut-on sérieusement supposer qu’un prophète israélite ait eu l’idée que le culte des païens (bien entendu des païens non convertis) pourrait être substitué aux sacrifices rituels de Jérusalem ? Et le prétendu

monothéisme en dehors d’Israël n’est-il pas une pure fiction’?

Dans le célèbre verset i, 11, il ne peut donc s’agir que d’une promesse pour l’avenir, d’une promesse de salut universel fondé sur le fait, que partout on parviendra à connaître Jahvé et à l’adorer. Cette promesse, si souvent faite pour l’ère messianique, est répétée par Malachie et exprimée sous cette forme nouvelle que, dans le futur royaume de Dieu, le culte officiel n’aura pas lieu seulement à Jérusalem mais partout.

Après les prêtres, le prophète blâme aussi les autres membres du peuple, surtout les maris qui se séparent de leurs femmes, pour épouser des païennes. Il se voit même obligé de faire des reproches à ceux des Israélites qui servent fidèlement Jahvé. Il les réprimande à cause de leur pusillanimité et de leurs doutes au sujet de la bonté divine. Ces gens pieux, en face du bonheur des impies et des promesses non réalisées, demandent : « Où est le Dieu du jugement ? ii, 17. Pour les réconforter et pour terrifier en même temps les pécheurs, Malachie annonce que Jahvé ne tardera pas à venir. Mais auparavant il enverra un messager qui lui préparera le chemin, iii, 1. D’après iv, 4-6 (héb., iii, 22-24), ce messager est le prophète Élie et il aura comme tâche de travailler à la conversion du peuple pour le préserver de la ruine. (Presque tous les critiques regardent ces trois versets comme une addition postérieure. Ils n’ont pas tort ; mais est-il nécessaire de les attribuer à un autre que Malachie ? Celui-ci a très bien pu ajouter lui-même cette explication complémentaire.)

La manifestation du TrèsHaut sera terrible. Son jour sera brûlant comme la fournaise iv, 1 (m, 19). D’après le texte actuel, Jahvé sera, à son arrivée, accompagné de l’ange d’alliance. Autrefois on a pris cet ange pour l’ange gardien de la communauté juive. C’est plutôt l’ange de Jahvé, mentionné au Pentateuque et aux livres historiques. Mais parce que l’ange de Jahvé et Jahvé lui-même ne sont jamais présentés comme se manifestant ensemble, la mention de l’ange de l’alliance semble être due à un lecteur qui a voulu amoindrir l’idée de la manifestation du Dieu transcendant.

Après son avènement Jahvé siégera au temple comme juge. Son jugement causera la plus grande terreur et sera pour le peuple ce qu’est le feu du fondeur pour l’argent, le sel de lessive pour la laine, ni, 1-5 (avec raison Sellin regarde, ni, 6-12, comme la suite de i, 1-5 ; en effet, les idées de iii, 6-12, qui sont en contraste avec le contexte, cadrent par contre avec celles de r, 1-5). Les pécheurs seront dévorés comme de la paille. Ceux-là par contre qui craignent Jahvé vivent dès maintenant sous la protection de Dieu qui inscrit leurs bonnes œuvres dans un livre, et « au jour de Jahvé, se lèvera [pour eux ] le soleil de justice et la guérison sera dans ses rayons ». Pour terminer Malachie les apostrophe ainsi : « Vous sortirez et bondirez comme les veaux d’étable. Vous foulerez les méchants, car ils seront comme de la poussière sous la plante de vos pieds. » iv, 2-3 (m, 20-21).

Voir les commentaires des douze petits prophètes col. 1429. — D. H. Millier, Discours de Malachie dans Revue biblique, 1896, p. 535 sq. ; C. Torrey, The prophecy of Malachi, dans Journal o/ biblical lit., 1898, p. 1 sq. ; M. Fadyen, The (laie o/ Malachi, 1911 ; P. Schepens, Le prophète Mutin h ici ( = Malachias) dans Recherches de science religieuse, 1921, p. 362 sq. ; A. Rembold, Die eucharistische Weissagung des Propheien Mulachias, dans Théologie und Glau.be, 1924, p. 58 sq. ; A. v. Bulmerincq, Einleilung in dus Buch des Propheten Maleachl, 1926 ; Touzard, L’âme juive nu temps des Perses, dans Revue biblique, 1927, p. 179 sq. ; K. Marti, Muleachi dans Kautzsch, 1923.

Vil. JOËL. — Bien qu’il se trouve dans la liste des douze petits prophètes entre les deux premiers,

Osée et Amos, Joël a sans doute exercé son ministère après l’exil. De tous les arguments qui militent en faveur de cette date tardive, celui qui est fourni par le contenu eschatologique de son livre est le plus décisif.

Les idées messianiques donnent, en effet, au petit écrit de Joël un caractère très prononcé. Non seulement elles le remplissent d’un bout à l’autre, mais elles s’y trouvent exposées d’une façon plus précise et plus systématique que chez n’importe quel autre prophète. On aime, de ce chef, à l’appeler un compendium d’eschatologie judaïque.

1° Le livre se compose de deux discours, i, 111, 18 ; ii, 19-in, 21 (hébr., iv, 21), que le prophète prononça lors d’une calamité causée par une immense invasion de sauterelles. Après une première irruption de ces insectes, une seconde se passa sous les yeux de Joël au moment où il parlait pour la première fois. Les suites en furent tellement graves, qu’il crut voir en ceci les signes précurseurs du jour de Jahvé. Comme Sophonie, i, 14, il s’écrie, i, 15 ; ii, 1 : « Le jour de Jahvé est proche. Il arrive comme une tempête de la part du Tout-Puissant. » Parce que c’est un « jour de ténèbres et d’obscurité, de nuage et de brouillard », ii, 1, « un jour très redoutable », ii, 11, Joël exhorte « tous les habitants du pays », à faire pénitence, à jeûner, à assaillir le ciel de prières communes, ii, 15-16. Les prêtres doivent pleurer et dire : « Aie pitié, Jahvé, de ton peuple et ne livre point ton héritage à l’opprobre », ii, 17.

A la lecture de ce premier discours, i-ii, 17, on voit bien que Joël rattache le jour de Jahvé à une invasion extraordinaire de sauterelles dont il vient d’être le témoin. Bien que la fin de l’ordre actuel fût présentée par maint prophète comme imminente, de tout temps la plupart des exégètes ont cru devoir se dérober à la constatation de la connexion intime qui existe d’après Joël entre le fléau des sauterelles et le jour de Jahvé. C’est pourquoi ils ont abouti à des interprétations inexactes du livre. Pendant toute l’antiquité chrétienne et le Moyen Age, et assez souvent encore dans les temps modernes, ils ont pris la description des sauterelles pour une prophétie sur l’invasion de peuples ennemis, par exemple, Schmalohr, Das Buch des Propheten Joël, 1922, p. 87 sq. Depuis le siècle passé quelques auteurs, surtout van Hoonacker, p. 143 sq, tout en préférant l’explication réaliste à cette conception allégorique, ont cru qu’il s’agissait de sauterelles futures qui ne seraient pas des bêtes ordinaires, mais des êtres apocalyptiques dignes d’inaugurer le jour de Jahvé. Les représentants de ces deux systèmes d’interprétation ont infligé au texte de Joël de véritables tortures. Les tout derniers commentateurs, Bothstein, Byssel, Duhm, Hôlscher, A. Bewer, Sellin, ont eu recours pour comprendre les deux premiers chapitres non pas en premier lieu à l’exégèse, mais à la critique littéraire. Ils ont essayé de diviser le livre en deux morceaux distincts. A Joël reviendrait seulement la description de l’invasion des sauterelles, i-ii ; un prophète inconnu y aurait ajouté le tableau du jugement final, m-iv ; il aurait en même temps remanié le texte de Joël dans un sens eschatologique en y intercalant surtout les f. i, 15 ; H, l b -2, 11. Cette tentative de vider les chapitres i-ii de tout sens eschatologique est tout à fait arbitraire : il n’y a désaccord ni entre la première et la seconde partie du livre, ni entre les versets eschatologiques de la première et leur contexte ; mais elle se comprend comme une réaction contre l’exégèse reçue.

Les deux premiers chapitres sont donc historiques et eschatologiques en même temps, c’est-à-dire que l’invasion des sauterelles appartient à l’époque de

Joël, et que le prophète l’a regardée comme l’ouverture des derniers temps. La meilleure preuve en est que le prophète a désigné l’armée des sauterelles par un terme tout à fait eschatologique « le Septentrional », ii, 20. En le créant il s’est sans doute inspiré de Jérémie, i, 14, etc., et surtout d’Ézéchiel, xxxviii, 6-15 ; xxxix, 2, prophéties dans lesquelles il est prédit que les peuples païens qui attaqueront Jérusalem dans les derniers temps viendront du Nord. Sans ces textes, ce terme serait tout à fait inintelligible et il s’explique uniquement si les sauterelles, aux yeux de Joël, remplissent le rôle de précurseurs du jour de Jahvé qu’Ézéchiel attribue aux peuples du Nord (Wellhausen, Nowack, Marti, Riessler, Hôlscher, Bewer, Sellin).

2° Le jour de Jahvé qui est présenté comme imminent, au premier discours, se trouve décrit in extenso au second, ii, 19-in, 21.

En premier lieu, nous y apprenons que ce jour, quand il viendra, ne sera plus redoutable, mais salutaire pour Israël. Par suite de la pénitence que le peuple vient de faire, Jahvé est embrasé de zèle pour son pays et il épargne son peuple, ii, 18. L’intervention du Très-Haut aura perdu toutes ses terreurs poulies Juifs. Pour leur montrer qu’ils ont trouvé grâce, Dieu fera disparaître les sauterelles et les dédommagera, par une récolte abondante, du dégât qu’elles ont causé, ii, 19-27.

Ces bénédictions temporelles accordées, le premier événement eschatologique sera l’effusion de l’Esprit de Dieu. « Et il arrivera après cela que je verserai mon esprit sur toute chair ; vos fils et vos filles prophétiseront, vos vieillards auront des songes et vos jeunes gens des visions. Et aussi sur les esclaves et les servantes, je verserai en ces jours-là mon esprit », ii, 2829. Comme Isaïe, xxxii, 15 sq ; xliv, 3 sq., et Ézéchiel, xxxvi, 25-27 ; xxxix, 29, Joël annonce donc pour la fin des temps l’effusion de l’Esprit de Dieu Par les deux mots « après cela », il semble exprimer que cette effusion doit suivre de près la bénédiction matérielle qui réparera les ravages des sauterelles. Les effets en seront la connaissance des choses cachées qui sera donnée par des rêves ou des visions, et qui se manifestera par des prophéties. Cette effusion de l’Esprit de Dieu sera un privilège accordé aux seuls Israélites. Le texte ne semble pas laisser de doute à cet égard. Joël dit bien que l’Esprit divin sera répandu sur toute chair, mais les paroles suivantes précisent la partie de cette expression en restreignant à Israël les effets produits. De même Isaïe et Ézéchiel pensent uniquement au peuple élu, comme seul gratifié de ce don céleste.

Autant l’effusion de l’Esprit divin sera rassurante pour les Israélites, autant seront effrayants pour les païens d’autres phénomènes qui doivent l’accompagner comme signe que le jour de Jahvé approche. Sur la terre il y aura du sang, du feu et des colonnes de fumées, ii, 30, donc des carnages, des incendies, des guerres avec tout leur cortège d’atrocités. Aux désastres terrestres correspondra la perturbation du firmament qui se manifestera par l’obscurcissement du soleil et de la lune, ii, 31.

Après avoir annoncé les phénomènes effrayants qui précéderont le jour de Jahvé, le prophète se hâte de consoler ses coreligionnaires en leur donnant l’assurance qu’ils n’en seront pas atteints ; ils seront sauvés, mais eux seuls : « il arrivera que quiconque invoquera le nom de Jahvé sera sauvé ; car sur le mont de Sion et à Jérusalem, il y aura un refuge comme Jahvé l’a dit », ii, 32 ab. Comme le prophète vient d’annoncer que tous les Israélites recevront l’Esprit de Dieu, et qu’il va tout à l’heure énoncer sans la moindre restriction que les païens seront voués à la ruine, « quiconque invoquera le nom de Jahvé » semble bien synonyme de « chaque Juif ».

Tout le peuple sera donc sauvé. (On voit combien cette conception du salut d’Israël diffère de celle de tous les prophètes préexiliens, qui ont toujours prévu le salut pour un petit reste seulement. Les prophéties de Joël seraient inconcevables pour l’époque préexilienne. ) La cause instrumentale en sera Sion et Jérusalem, ces deux lieux saints que Jahvé a choisis comme demeure et qui, pour ce motif, seront intangibles. Les Israélites du pays entier s’y réfugieront pour être à l’abri. A eux se joindront ceux de la Diaspora que Jahvé appellera et conduira sains et saufs à Jérusalem, ii, 32e.

Réunis ainsi dans leur ville, non seulement les Juifs ne courront aucun danger, au milieu du cataclysme général, mais ils seront si visiblement protégés par Jahvé qu’ils reconnaîtront plus que jamais que Jahvé est le seul Dieu : Jahvé habitera Jérusalem et en sera le rempart, iii, 17, 21. Par suite, la ville sera sainte : aucun païen ne passera plus pour la souiller, iii, 17. Dans la ville sainte et dans tout le pays les Israélites jouiront du plus grand bonheur matériel : « les montagnes suinteront de moût et les collines couleront de lait », iii, 18 a. Cette fertilité paradisiaque a nécessairement comme condition l’humidité du sol. C’est pourquoi Joël promet qu’alors « tous les ruisseaux de Juda couleront », ni, 18°. En ce temps-là l’eau sera fournie à la terre promise non seulement par les moyens ordinairse, mais aussi d’une façon miraculeuse : « une source sortira de la maison de Jahvé et arrosera la vallée des sittim, iii, 18d. Sittim signifie « acacias », et la vallée des acacias n’est probablement pas un nom géographique qui désigne un lieu déterminé — toutes les interprétations strictement géographiques sont insuffisantes — mais une dénomination symbolique de la Judée, en tant qu’elle sera arrosée par les eaux de la source miraculeuse, particulièrement aux endroits les plus arides. Le prophète, après avoir ainsi annoncé que la Terre sainte sera transformée en une sorte de paradis, pour donner encore plus de relief à sa promesse, prédit à l’Egypte et à l’Idumée qu’elles seront réduites en désert, à cause du forfait commis envers les enfants de la Judée, iii, 19. La description du bonheur définitif des Israélites se termine par la promesse que Juda et Jérusalem dureront éternellement et que Jahvé y habitera, ni, 20-21.

A cette dernière promesse Joël mêle ce cri de vengeance : « Et je vengerai (LXX) le sang que je n’ai pas encore vengé », qui laisse entrevoir le sort funeste des païens au jour de Jahvé. Joël le décrit dans une partie spéciale de sa prophétie, ni, 2-15. Le prophète y annonce tout d’abord qu’à la fin des temps tous les peuples seront réunis par Dieu dans la vallée de Josaphat pour y être jugés. Il n’a pas seulement en vue telle ou telle nation, mais leur totalité. Tous les gentils sont conçus comme les ennemis de Dieu et de son peuple. C’est ce qui ressort du terme, « tous les peuples », iii, 2, 11-12, et de toute la manière dont il décrit, iii, 9-14, le rassemblement des adversaires d’Israël et encore du fait qu’en dehors des Juifs personne ne sera sauvé. Il s’ensuit également qu’il s’agit, dès les premiers versets du chapitre iii, du jugement universel et définitif, et non pas. comme le prétendent Knabenbauer-Hagen et Schmalohr, des jugements successifs par lesquels, à travers l’histoire, Dieu punit les nations coupables.

Les païens sont sommés par Jahvé et doivent se réunir dans la vallée de Josaphat. « Vallée de Josaphat » qui signifie « vallée où Dieu juge » est, comme « vallée des acacias », un nom fictif, créé par Joël pour désigner l’endroit où le grand jugement aura lieu, c’est-à-dire la Judée en tant qu’elle sera la scène de ce

jugement. « Pour y réunir les peuples, Jahvé enverra des messagers qui leur ordonneront de se mettre en route. Ils ne doivent pas venir dans l’attitude humble et soumise qui correspondu leur culpabilité ; ils sont, au contraire, exhortés à se préparer pour l’assemblée comme pour une campagne. Une extraordinaire ardeur guerrière doit s’emparer de tous les hommes, même des faibles. iii, 10. Ces peuples viennent et livrent bataille à Jahvé, pour résister, s’ils le peuvent, à la punition qui les attend. Au milieu de ces exhortations, adressées aux païens, le prophète se tourne vers Jahvé en le priant de faire descendre dans la vallée ses guerriers, c’est-à-dire ses anges.

Les peuples une fois réunis, Jahvé prend place pour les juger, iii, 12 b. Les griefs qu’il a contre eux, consistent, comme le prophète l’avait déjà relevé antérieurement, iii, 2-3, en ce qu’ils ont traité Israël d’une façon injuste et cruelle (Les accusations particulières à l’adresse des Phéniciens et des Philistins, m, 4-8, semblent avoir été intercalées après coup par un lecteur qui était indigné de crimes récents commis par ces deux peuples envers Israël, Bewer, Sellin). Étant donné que ces crimes sont énormes, la scène du jugement devient immédiatement une scène d’exécution. Le Tout-Puissant donne aux anges l’ordre d’anéantir les païens comme les moissonneurs coupent le blé, comme les vendangeurs foulent les raisins, m, 13-14.

Pendant que l’armée céleste exécutera sur les païens la sentence de mort, le soleil et la lune s’obscurciront et les étoiles perdront leur éclat ; Jahvé rugira, de Sion et de Jérusalem il fera entendre sa voix ; le ciel et la terre trembleront, iii, 15-16. Ces perturbations de la nature, que Joël a déjà mentionnées comme accompagnant l’invasion des sauterelles et l’effusion de l’Esprit de Dieu, continueront donc ou se répéteront pendant que les peuples païens seront voués à la ruine. De tout cela est faite la terreur du jour de Jahvé.

Telles sont les idées eschatologiques de Joël. Aucun prophète n’a rattaché autant que lui la fin des temps à son époque. Aucun non plus n’en a prédit les événements dans un ordre aussi serré. Aucun surtout n’a tellement réservé le salut à Israël, voire même à tous les membres d’Israël, et n’en a exclu à ce point tous les païens.

Voir la bibliographie à la fin de l’article Joël, t. viii, col. 1495 ; L. Dennefcld, Les problèmes du Hure de Joël, 1926.

v ni. LES CHAPITRES xx iv -xxv u d’isaie. — (Tandis que la situation qui se reflète en Is., xl-lxvt, est celle de la fin de l’exil et de l’époque qui suivit immédiatement le retour, celle qui se constate en Is., xxiv-xxvii, est plutôt celle d’un temps assez éloigné du rétablissement d’Israël en Palestine. D’après xxvii, 8, la dispersion du peuple a été le grand moyen dont s’est servi Jahvé pour le punir. La préoccupation du prophète est, d’après xxvii, 12-13, le retour de ceux qui sont dispersés de l’Euphrate jusqu’au Nil. D’après xxvi, 8 sq., le peuple est opprimé, les étrangers sont les maîtres de son pays et humblement Israël attend le secours de Jahvé.)

Quand on passe de Joël à ce morceau du livre d’Isaïe, on y retrouve absolument le même thème, la fin de l’histoire actuelle. Mais quelle différence dans la manière doiit il est traitél Là un drame final dont les différents actes sont précis et forment une suite claire ; ici une situation obscure, une perspective vague, des événements qui sont difficiles à saisir soit en eux-mêmes, soit dans leur enchaînement. Et pourtant quelle description émouvante de la

fin de l’ordre actuel que ces oracles, qui impressionnent autant par la grandeur des images que par la nouveauté des idées 1

Dans un premier tableau, le prophète dépeint tout d’abord la corruption générale des habitants de la terre qui ont transgressé les lois, rompu l’alliance éternelle, xxiv, 5, de sorte que la face de la terre est bouleversée, xxiv, 1 et ses fondements ébranlés, xxiv, 19. Elle chancelle comme un homme ivre, xxiv, 20. Ses habitants sont dispersés et consumés, xxiv, 1-6, plongés dans la plus grande tristesse, xxiv, 7-13.

Tout à coup le prophète entend des cris d’allégresse et des chants qui s’élèvent de l’Orient et de l’Occident, des bords de la mer, des extrémités de la terre ; ils sortent sans doute de la bouche de ceux qui sont sauvés. Ces survivants glorifient le Dieu d’Israël, le Juste, dont la majesté se révèle par le jugement des impies, xxiv, 14-18.

Nous y apprenons ensuite qu’en ce jour seront punis non seulement les rois de la terre, mais aussi « l’armée d’en haut », xxiv, 21, qui représente probablement les mauvais anges (Les deux autres explications, dont l’une prend « l’armée d’en haut » pour les puissances célestes qui, d’après le livre de Daniel et le livre d’Hénoch, gouvernent les peuples, Guthe, Duhm, et dont l’autre entend ceci des astres, Feldmann, Kittel, semblent être moins soutenables ; xxiv, 23 a surtout ne peut pas être expliqué comme punition des astres). Tous ces criminels semblent, d’après xxiv, 22, être d’abord provisoirement jetés dans une prison pour être plus tard définitivement punis.

En subjuguant ainsi tous ses adversaires, Jahvé entouré de ses anciens inaugurera sur Sion son règne définitif. Alors sa gloire brillera tellement que le soleil et la lune pâliront devant elle, xxiv, 23.

Sur cette montagne sainte, Jahvé sera alors le Dieu de toutes les nations, il y préparera pour elles un festin, xxv, 6, et leur enlèvera leurs voiles de deuil, xxv, 7. Surtout il détruira la mort pour toujours, xxv, 8 (Sans la moindre raison Duhm, Marti, Guthe regardent cette phrase comme une glose). Ceux qui vivront à cette époque ne mourront donc plus et seront en outre toujours heureux : Dieu essuiera les larmes de tous les visages et enlèvera surtout la honte de son peuple élu, xxv, 8. Pour la première fois nous rencontrons ici dans l’Ancien Testamentla mention explicite d’une vie éternelle sur la terre, qui permettra de jouir sans cesse des biens messianiques. Le prophète relève que cette œuvre de salut aboutira, comme le jugement, à la glorification du Très-Haut, qui sera acclamé par ces paroles : « Voici, c’est Jahvé, notre Dieu en qui nous avons espéré ; exultons et réjouissons-nous de son secours », xxv, 9.

Dans ce tableau grandiose de la crise et du salut final, deux traits contrastent avec le reste. D’abord il y est plusieurs fois question, xxiv, 10 ; xxv, 2 ; xxvi, 5, d’une ville forte et orgueilleuse qui est détruite, sans qu’on puisse dire avec certitude de laquelle il s’agit. Il est assez probable qu’elle représente une sorte de capitale du monde païen (Feldmann) ; quelques-uns, Guthe par exemple, pensent à Samarie ; dans tous les cas on ne saurait, comme le prétend Duhm, penser à Jérusalem.

Ensuite la magnifique promesse de l’exaltation de Sion est suivie d’une terrible menace d’abaissement prononcée contre Moab : il sera foulé comme la paille est foulée dans la fosse à fumier, xxv, 10-12.

Une sentence générale sur le chemin du juste, XXVI, 7, forme l’ouverture de la seconde grande description du salut des élus qui sont cet le l’ois ci identiques aux Israélites, et de la ruine des empires mondiaux qui les oppriment. Avec une impatience qui les tourmente

même pendant la nuit, le prophète et ceux qui l’entourent attendent Jahvé sur les sentiers de ses jugements, xxvi, 8-9 a, car dès que ses jugements paraîtront sur la terre, les habitants du monde apprendront la justice, xxvi, 9 b. Le prophète prie Jahvé de ne pas faire grâce aux impies ; car ils resteront aveugles malgré tout. La meilleure preuve en est qu’ils agissent en pervers, même en Palestine, au pays de la droiture, où Dieu a si souvent levé sa main pour se manifester. Que le feu dévore donc les ennemis de Jahvé ! xxvi, 10-11.

Après avoir énoncé ensuite, xxvi, 12-18, quelques idées qui sont, sans doute à cause de la corruption du texte, obscures et peu cohérentes et qui se rapportent à l’ancienne grandeur d’Israël, à ses oppresseurs d’autrefois, aux vains efforts faits pour se procurer le bonheur, le prophète s’élève à une perspective qui dépasse même celle du tableau précédent. Là il avait promis la cessation de la mort, ici il promet le retour à la vie de ceux qui sont déjà morts. En s’adressant à Jahvé et en même temps aux défunts de son peuple

" s’écrie : [lèveront.

Tes morts vivront, leurs (Targum, Peschita) cadavres se Réveillez-vous, chantez, vous qui gisez dans la poussière ! Car ta rosée est une rosée des lumières ; et la terre rendra les ombres, xxvi, 19.

Les morts de Jahvé sont ceux qui l’ont servi fidèlement pendant leur vie ; ils ressusciteront, vivifiés par Dieu comme les plantes par la rosée nocturne après la chaleur du jour ; la terre rendra leurs cadavres qu’elle avait cachés dans son sein. Ainsi participeront au bonheur messianique non seulement ceux qui auront la chance de vivre au moment même de sa réalisation, mais ceux encore des siècles passés qui depuis longtemps sont devenus la proie du tombeau. En promettant ainsi, pour la toute première fois dans l’Ancien Testament, la résurrection, le prophète atteint une des cimes les plus élevées du messianisme.

Le prophète s’attend à une réalisation imminente 4e ces promesses. Il voit Jahvé se lever déjà de sa demeure pour punir l’iniquité des habitants de la terre, xxvi, 21. Parce que le jugement sévira comme un ouragan, Israël est invité à se mettre à l’abri pendant cette tempête : « Va, mon peuple, entre dans tes chambres et ferme tes portes sur toi ; cache-toi un peu jusqu’à ce que la colère ait passé », xxvi, 20. En « ce jour » Jahvé ruinera la ville forte des impies, xxvii, 10, et frappera de son glaive les dragons, c’est-à-dire les grands empires du monde, xxvii, 1 ; il rétablira par contre, sa vigne chérie qu’il soignera et protégera nuit et jour, et dont il arrachera les ronces, savoir les pécheurs et les ennemis, à moins qu’ils ne se soumettent à lui, xxvii, 2-5.

Alors Israël fleurira et remplira de ses fruits le monde entier, c’est-à-dire qu’il communiquera à .tous les peuples ses biens spirituels. En outre Jahvé fera revenir tous ses enfants dispersés ; il les recueillera un à un ; il fera sonner la grande trompette qui les appellera ; ils viendront adorer Jahvé sur la sainte montagne de Jérusalem, xxvii, 6-13.

ix. le livre de Daniel. — 1° Notes préliminaires.

— Tout en étant le dernier en date des livres prophétiques, le livre de Daniel occupe, par son messianisme et surtout par l’influence qu’il a exercée dans la suite sur les idées messianiques, une des premières places. Pour comprendre ses oracles, il faut tout d’abord se rendre compte du genre littéraire auquel ils appartiennent. Ces oracles sont-ils à ranger parmi les compositions strictement prophétiques ou parmi les compositions apocalyptiquesi

Les apocalypses, qui se rencontrent surtout parmi les apocryphes, sont des imitations des écrits pro phétiques. Cependant, tout en leur ressemblant beaucoup, elles s’en distinguent assez sensiblement pour le fond comme pour la forme.

Le contenu d’abord n’est pas exclusivement prophétique. Il se compose au contraire en grande partie d’aperçus historiques : le temps écoulé jusqu’à l’époque de l’auteur est d’ordinaire divisé d’une façon schématique en périodes régulières, et les faits qui y sont les plus saillants au point de vue religieux sont mentionnés. Le but de ces exposés est de démontrer que le cours de l’histoire se déroule tout à fait d’après un plan arrêté par Dieu et que le Très-Haut, quoi qu’il paraisse, est le maître absolu de tout. A ces considérations historiques sont chaque fois ajoutées des prédictions eschatologiques sur la fin du monde qui va venir sous peu, et sur le nouvel état de choses que Dieu réalisera en personne ou par le Messie.

La particularité principale de la forme consiste en ce que non seulement les prédictions de l’avenir, mais aussi les narrations historiques sont revêtues d’un caractère prophétique. L’auteur y réussit au moyen d’une fiction : il place toutes ses paroles dans la bouche de quelque ancien patriarche ou prophète, Hénoch, Moïse, comme si, dès les temps les plus antiques, ceux-ci avaient révélé l’histoire ainsi que les fins dernières du monde et en particulier d’Israël. Il résulte de cette fiction que toutes les apocalypses sont anonymes. Leurs auteurs se cachent derrière les porte-parole qu’ils ont choisis comme les plus capables de donner des révélations.

Plusieurs écrits prophétiques, notamment Joël, Abdias, Isaïe, xxiv-xxvii, xxxiv-xxxv, Zach., viiixiv, ont été traités d’apocalypses par quelques exégètes modernes. Mais, à l’exception de Zach., bien à tort, car ils ne présentent pas les caractères que nous venons de signaler.

Le livre de Daniel, lui, est regardé comme une apocalypse par tous les critiques indépendants. Cette opinion est adoptée par les principaux exégètes catholiques, qui, durant les trente dernières années, ont publié des monographies sur Daniel. Le P. Lagrange, Revue biblique, 1901, p. 494, ouvre son exposé sur les prophéties messianiques de Daniel par la phrase suivante : « Le livre qui porte le nom de Daniel est la première et la plus parfaite des apocalypses juives. » On a démontré ici, art. Daniel, t. iv, col. 66 sq., le caractère apocalyptique de Daniel. Le P. Bayer, Danielstudien, 1912, se fonde pour ses études concernant le même livre sur le fait que Daniel est une apocalypse, et justifie sa position dans l’introduction.

Les deux raisons principales pour lesquelles tant’d’exégètes prennent le livre de Daniel pour une apocalypse au sens complet du mot, sont, d’un côté le fait qu’il contient une série d’indications vagues et inexactes sur l’empire néo-babylonien qui s’expliqueraient bien mal, si Daniel, le contemporain de cet empire, l’avait écrit, de l’autre la constatation que, sur le règne des Séleucides en Syrie et en Palestine, en particulier sur la persécution cruelle d’Antiochus Épiphane qui a provoqué l’insurrection machabéenne, se trouvent des notices nombreuses et précises qui ne se lisent nulle part dans les vraies prédictions des prophètes.

On en a tiré ces conclusions : Premièrement, le livre a été composé quelques années après le commencement des guerres machabéennes. — Cependant les auteurs reconnaissent de plus en plus, surtout pour les narrations, une origine beaucoup plus ancienne, par exemple, Meinhold, Sellin, Hôlscher, récemment Ch. Boutflower, Inand around the Book of Daniel, 1923 ; M. Noth, Zut Komposition des Bûches Daniel, dans Theologische Studien und Kritiken, 1926, p. 143 sq. ; et surtout W. Baumgartner, Neues keilschrifliches

Material zum Bûche Daniel ? dans Zeitschrift fur die A. T. Wissenschaft, 1926, p. 38sq., et Das Aramàische im Bâche Daniel, ibidem., 1927, p. 81 sq. Deuxièmement les indications qui se rapportent au temps précédent ne sont pas de vraies prophéties, mais des prédictions fictives.

Les exégètes catholiques qui s’y sont ralliés font observer qu’aucun enseignement officiel de l’Église ne s’y oppose, et que le livre garde nonobstant une haute importance messianique. D’autre part ceux qui maintiennent l’opinion ancienne sur l’origine daniélique du livre, ne pouvant plus se dérober à la constatation de l’accord frappant entre les prétendues prophéties du c. xi et l’histoire des Lagides, des Séleucides, d’Antiochus Épiphane, avouent qu’il est contraire aux règles ordinaires du prophétisme. Us cherchent à expliquer cet accord par des interpolations postérieures. C’est ainsi que Riessler, Das Buch Daniel, 1902, p. xi-xiii, suppose que, du temps des Mæhabées, des interprètes de l’Écriture sainte qui rapportaient des textes de notre livre à Antiochus Épiphane, les ont élargis par des gloses. Hoberg lui-même, dans la 5e édition de Kaulen, Einleitung in die Heilige Schrift des A. und N. Testamentes, t. ii, 1913, p. 250, écrit : « Où le texte actuel est tout à fait concret, il a dû être augmenté plus tard par la description de l’accomplissement des prophéties. »

Les visions de Daniel sont au nombre de cinq et se trouvent renfermées dans les chapitres ii, vii, viii îx, x-xii ; elles sont toutes parallèles entre elles et se complètent progressivement. « Chacune progresse sur la précédente en plus de clarté », Bigot. Elles contiennent deux séries de révélations. Les unes se rapportent à l’histoire du monde et d’Israël à partir de Daniel jusqu’à la fin de l’ordre actuel, les autres à l’établissement du royaume messianique. Pour plus de clarté chaque groupe mérite d’être étudié à part.

2° Développement du monde à partir de l’époque de Daniel jusqu’à l’établissement du royaume messianique.

— 1. Les quatre empires. — La première série des révélations contient un aperçu de l’histoire postexilienne jusqu’à la réalisation du royaume de Dieu sur la terre. Cette histoire se déroule en quatre périodes remplies par le gouvernement de quatre empires successifs. C’est ce que nous apprenons par le songe de Nabuchodonosor et par l’interprétation qu’en donne Daniel, ii, ainsi que par la première vision de ce dernier, vu.

Nabuchodonosor voit une statue énorme dont la tête est d’or, la poitrine et les bras d’argent, le ventre et les cuisses d’airain, les jambes de fer, les pieds de fer et d’argile. Daniel lui révèle que ces quatre parties figurent quatre empires dont le premier est celui de Babylone qui sera remplacé par un autre moins puissant, pour faire place à un troisième, « qui commandera à toute la terre », ii, 39. Celui-ci sera à son tour suivi d’un quatrième « qui sera puissant comme le fer et brisera les précédents », ii, 40, mais qui sera d’autre part divisé en plusieurs dont les différents rois contracteront entre^eux des mariages sans pouvoir cependant se consolider.

Ce songe et son explication sont éclaircis par la vision sur les quatre animaux que le prophète voit surgir successivement de la mer, vu. Le premier’est comme un lion avec des ailes d’aigle. Le second ressemble à un ours et tient trois côtes dans sa bouche. Le troisième est semblable à une panthère et a quatre ailes et quatre têtes. Le quatrième a un aspect tout différent des trois autres ; il est plus féroce qu’eux. II a dix cornes, entre lesquelles pousse tout à coup une autre petite corne qui arrache trois des premières. Elle reçoit ensuite des yeux d’homme et une bouche qui parle avec emphase. Daniel apprend par un ange

que les « quatre bêtes puissantes sont quatre rois qui se lèveront de la terre », vii, 17, et comme il désire savoir en détail ce qu’il en est de la quatrième bête, il reçoit les renseignements suivants. Cette bête représente un quatrième empire qui dévorera toute la terre. Ses dix cornes figurent dix rois, et la petite corne qui pousse après est le symbole du dernier roi qui surgira. « Et il proférera des paroles contre le Très-Haut et il tourmentera les saints du Très-Haut, et il aura l’intention de changer les temps et la loi, et ils seront livrés dans sa main jusqu’à un temps, des ( =deux) temps et la moitié d’un temps, vii, 25.

L’identification de ces quatre empires avec des royaumes historiques a été entreprise surtout de deux façons. Jusqu’au xix c siècle, l’on prenait assez unanimement le royaume néo-babylonien fondé par Nabuchodonosor pour le premier, le royaume médoperse établi par Cyrus pour le second, le royaume grec d’Alexandre pour le troisième et l’empire romain pour le quatrième. D’après une autre conception proposée déjà dans l’antiquité par saint Éphrem, Polychronius, Cosmas Indicopleustès et Porphyre, soutenue au xviie siècle par Bossuet, Hugo Grotius, Houbigant, dom Calmet, et acceptée aujourd’hui par tous les exégètes qui considèrent le livre de Daniel comme une apocalypse, le quatrième empire n’est pas celui des Romains, mais un royaume qui est antérieur à celui-ci et dont le dernier et le plus mauvais roi est Antiochus Épiphane. Les uns, après avoir subdivisé l’empire médo-perse en deux, identifient ce quatrième avec l’empire grec, en tant qu’il comprend celui d’Alexandre ainsi que ceux des quatre diadoques, les autres seulement avec l’un des royaumes des diadoques, le royaume syrien des Ptolémées, tandis qu’ils continuent à voir les trois autres dans les empires babyloniens, médo-perse et grec. Mais, d’après tous, le quatrième empire aboutit à Antiochus Épiphane, de sorte que les dix rois sont ses prédécesseurs.

Ce qui est capital, pour décider entre ces deux conceptions, c’est le contenu de la troisième vision, vm, et encore davantage de la cinquième, x-xi ; car il y a là, viii, 9-14, et surtout xi, 21-45, des détails tellement précis sur les faits et gestes du roi qui a causé l’insurrection machabéenne, qu’il en résulte que c’est lui que l’auteur décrit. « Tout le monde est d’accord que le chapitre xi doit s’interpréter du temps de Séleucides et des Lagides, et spécialement d’Antiochus Épiphane. Cela est concédé même par le P. Knabenbauer, et on s’entendait là-dessus déjà au temps de saint Jérôme, au moins jusqu’au verset 21. » Lagrange, loc. cit., p. 494. Et comme « les prophéties de Daniel… n’ont qu’un seul grand objet, qui est de faire voir à Daniel ce qui doit arriver à sa nation, et dans tout l’Orient, depuis le règne de Cyrus jusqu’à celui d’Antiochus Épiphane », Calmet, Commentaire, éd. 1700, p. 537, le quatrième empire païen ne peut être que celui dont l’hostilité envers Dieu a son point culminant dans Antiochus Épiphane. Son règne amènera la fin de l’ordre actuel. Le dernier événement historique est la mort de ce tyran, xi, 40-45.’2. Calcul de la fin du quatrième empire. — Cette fin des temps n’est pas seulement rattachée à l’époque d’Antiochus Épiphane, elle est en outre précisée par le calcul si célèbre des soixante-dix semaines, ix. Daniel, troublé par le fait que, contrairement à une prophétie de Jérémie qui prévoyait une durée de soixante-dix ans pour la ruine de Jérusalem, la restauration n’a pas encore eu lieu, reçoit de la bouche de l’archange Gabriel la révélai ion que les soixante-dix semaines sont en réalité « oixante dix semaines d’années, donc quatre cent quatre-vingt-dix années. Ce temps se divisera en trois périodes de sept semaines,

de soixante-deux semaines et d’une semaine, périodes dont chacune sera marquée par des événements saillants. La première époque qui comprend quarante-neuf années ira « de la sortie de la parole pour faire reconstruire Jérusalem jusqu’à l’apparition d’un chef oint », ix, 25. La seconde qui sera de soixante-deux semaines, c’est-à-dire de quatre cent trente-quatre années, pendant laquelle Jérusalem sera rebâtie, ira jusqu’ « à ce qu’un oint soit retranché » et « que le peuple d’un chef venant détruise la ville et le temple », ix, 26. Alors commencera la semaine finale de sept ans. Avec elle viendra « l’inondation », c’est-à-dire la ruine par la guerre. L’ennemi fera « une solide alliance avec plusieurs ». Pendant une demi-semaine, il fera cesser LXX, Théodotion) l’holocauste et l’oblation et « sur le sanctuaire, LXX, Théodotion) sera l’abomination de la dévastation jusqu’à ce que la consommation décidée tombe sur cette dévastation », ix, 27.

La manière de comprendre ce calcul est des plus discutées. Saint Jérôme, Commentarium in Danielem prophetam, P. L., t. xxv, col. 564-578, énumère déjà neuf opinions. Jusqu’à la fin du Moyen Age, l’explication strictement messianique avait été présentée sous vingt-deux formes différentes, Fraidl, Die Exégèse der Siebzig Wochen Daniels in der alten und mittleren Zeit, 1883, p. 156-159. Il va sans dire que les exégètes modernes n’ont pas tardé à augmenter de beaucoup le nombre des hypothèses : on en compte aujourd’hui plus de cent. Récemment encore paraissait une nouvelle étude sur le sujet dont l’auteur, dans l’avantpropos, prétend avoir trouvé la solution définitive du problème : M. Thilo, Die Chronologie des Danielbuches, 1926. Mais après ce dernier essai même « il faut bien prendre en considération qu’il ne s’agit pas ici de préférer une interprétation claire et sans difficulté à une autre qui aurait des caractères tout opposés, mais de préférer une entre deux ou plusieurs interprétations dont toutes sont discutables », Driver-Rothstein, Einleilung in die Literatur des Alten Testamentes, 1896, p. 352, cité par Bayer, p. 75.

Gomme pour la désignation du quatrième empire les explications vont de nouveau en deux sens principaux : L’aboutissement du calcul est la date de la mort ou bien du Christ sous Ponce Pilate, ou bien du grand prêtre Onias III assassiné en 171 sous Antiochus Épiphane, II Mach., iv, 34.

Quiconque considère le livre de Daniel comme une apocalypse et reconnaît qu’Antiochus Épiphane est le dernier roi hostile à Israël décrit dans les chapitres vu, viii, x, xi, rapporte nécessairement au règne de ce même roi cette révélation de l’ange, sur la durée et le terme de l’abaissement du peuple élu commencé par l’exil. En effet, « les faits (prédits dans les c. ix et xi) correspondent pas à pas », Lagrange. « Bon nombre de traits s’unissent, se compénètrent, s’identifient du chapitre vu au chapitre xii du livre de telle façon qu’ils ne peuvent raisonnablement, à si peu de distance les uns des autres, signifier des choses différentes. » Daniel, col. 97.

Le point de départ du calcul n’est pas un édit d’un roi perse qui aurait permis la reconstruction de la ville sainte, mais « en apparence » (Lagrange) la prophétie de Jérémie, xxix, 10, à laquelle il est fait allusion, ix, 2, et par laquelle il est annoncé que la restauration d’Israël aura lieu après soixante-dix ans. La computation elle-même se fait moyennant une transformation des soixante-dix ans en soixante-dix semaines d’années.

Le calcul de la première semaine s’explique au mieux par la supposition que l’auteur du livre de Daniel a combiné Jer., xxix, 10, avec Jer., xxx, 18, qu’il a interprété ces prédictions de Jérémie de la

même manière que le Chroniste, II Parai., xxxvi, 20 sq., et qu’il les a datées à peu près du temps de la destruction de Jérusalem, 586 ; voir Bayer, p. 83 sq. Ceci résulte de ce qu’il clôture la première semaine par l’avènement de Cyrus qui est le chef oint et dont le règne commença en 536. Cette époque va donc de 586 à 536, tandis que les soixante-dix années de l’exil sont comptées par l’auteur, de nouveau en dépendance du Chroniste, Bayer, p. 85 sq., à partir de la troisième année de Joïakim, qui est de vingt et un ans antérieure à 586, jusqu’à l’avènement de Cyrus.

La seconde époque va du commencement du règne de Cyrus jusqu’au meurtre d’Onias, 536-171. Il est vrai, que la durée de cette époque de soixante-deux semaines, soit quatre cent trente-quatre années ne correspond pas à l’espace compris entre 536 et 171 qui n’est que de trois cent soixante-cinq ans. Mais la difficulté se résout au mieux, ou bien par l’hypothèse que l’auteur du calcul, après avoir déduit des soixante-dix semaines sept pour la première période et une pour la dernière, n’a pas voulu détailler, comme dit le P. Lagrange, p. 513, le bloc du milieu, ou bien par celle du P. Bayer, p. 86, que l’auteur a cru qu’entre l’avènement de Cyrus et le meurtre d’Onias il y avait quatre cent trente-quatre années.

La troisième période sera inaugurée par l’assassinat du grand prêtre, commis en 171, II Mach., iv, 34. Au milieu de cette époque les sacrifices cesseront conformément à I Mach., i, 57, où il est raconté que le 15 kislev de l’année 143 de l’ère séleucide, c’est-à-dire le 15 décembre 168, donc trois ans et demi après la mort d’Onias, Antiochus Épiphane « mit l’abomination de la dévastation sur l’autel ». La fin de cette semaine sera marquée par la fin de l’oppression, conformément à I Mach., iv, 52, où il est dit que le 25 kislev de l’année 148 de l’ère séleucide (25 décembre 165), donc la septième année après Onias, Juda Machabée rétablit le culte. Le calcul de la première moitié de cette dernière semaine se trouve encore sous deux autres formes : « un temps ( = an) des ( = deux) temps et la moitié d’un temps, » vii, 25 ; la profanation du temple durera deux mille trois cents soirs et matins, soit onze cent cinquante jours, soit à peu près trois ans et demi, viii, - 14.

Par cette explication la prophétie des soixante-dix semaines perd le sens directement messianique ; mais elle reste typiquement messianique comme M. Bigot, col. 82, et Œhler, Théologie des Alten Testamentes, 2e éd., 1882, p. 834, l’ont relevé.

Le royaume messianique.

Après les quatre

empires païens dont les chefs sont tous plus ou moins hostiles au TrèsHaut, après la persécution pire encore du dernier roi du dernier empire, sera établi le royaume de Dieu. Dans chacune des cinq visions, à l’exception de la quatrième, la prédiction relative au passé est suivie de celle qui concerne l’ère messianique.

Dans le songe de Nabuchodonosor le royaume de Dieu est symbolisé par la pierre qui se détache d’ellemême sans l’aide d’un homme, brise la statue, devient grande comme une montagne et remplit toute la terre, ii, 34 sq. Dans la prophétie des soixante-dix semaines, le temps nouveau dont on détermine l’arrivée est caractérisé comme une époque où « le crime sera expié » — il n’y aura donc plus de péché — où « la justice éternelle, c’est-à-dire le salut messianique sera apportée », où « les prophéties seront scellées », c’est-à-dire confirmées par leur réalisation, et où « le saint des saints — - le nouveau temple — sera oint », ix, 24.

La description la plus connue du royaume de Dieu est celle qui est en connexion avec la vision des quatre animaux. C’est le tableau grandiose et célèbre de l’Ancien des jours donnant le gouvernement du monde au fils de l’homme, vii, 9 sq. Daniel, après

avoir vu les quatre animaux représentant quatre empires, aperçoit un vieillard, « un ancien de jours » avec un vêtement blanc comme la neige et avec des cheveux purs comme la laine ; il s’assied sur un trône formé de flammes de feu et roulant sur des roues de feu ardent, entouré d’innombrables myriades de serviteurs et présidant un tribunal. La quatrième bête est tuée et les trois autres privées de leur puissance, xii, 9-12. Alors s’avance avec les nuées du ciel « quelqu’un de semblable à un fils d’homme ». Il se présente devant l’Ancien des jours, « et il lui est donné puissance, honneur et royauté, et tous les peuples, nations et langues le serviront. Sa puissance est une puissance éternelle qui ne lui sera pas enlevée, et son royaume est un royaume qui ne sera pas détruit », vii, 13-14.

De tout ceci un ange donne à Daniel l’interprétation suivante : après les quatre bêtes qui sont quatre rois, « les saints du Très-Haut recevront la royauté et la posséderont jusqu’aux siècles des siècles », vii, 17-18. C’est pour eux que sera installé le tribunal qui fera périr la quatrième bête, vii, 22-26. « Et (alors) le règne, la puissance, la majesté des royaumes sous tout le ciel sera donné au peuple des saints du Très-Haut », vu, 27.

Il résulte, tant de la vision que de son explication, que l’empire par lequel Dieu remplacera les quatre grands empires païens, les dépassera en valeur morale, en étendue et en durée. La supériorité est déjà indiquée par la manière dont il est symbolisé. Il n’est pas représenté par une bête, mais par un homme, littéralement par un être qui est « comme un fils d’homme ». Le mot araméen pour homme enas est un collectif : humanité, genre humain, Dan., iv, 14 ; v, 21, et le moyen le plus simple pour l’employer dans un sens individuel, c’est-à-dire pour désigner un seul représentant de l’humanité, est de mettre devant lui bar, fils, Kônig, Die messianischen Weissagungen, p. 300. Parce que Daniel ne vit pas un homme réel, comme il n’avait pas non plus vu de bêtes véritables — il s’agit d’êtres mystérieux qui apparaissent dans une vision — il dit seulement qu’il a aperçu quelqu’un qui est comme un homme. Le fils d’homme ne surgit pas de la mer comme les bêtes, il arrive porté sur les nuées du ciel, trait qui n’indique pas qu’il vienne du ciel, mais tout au moins qu’il est en relation avec les desseins divins.

L’Ancien des jours, c’est-à-dire le Dieu éternel, de qui découle tout pouvoir, confère au fils de l’homme la royauté. Il lui confie son seulement le gouvernement d’un peuple pour un certain temps, mais celui de tous les peuples pour toujours. Mais qui reçoit cette puissance universelle et éternelle ? Trois fois dans l’interprétation sont expressément nommés, comme détenteurs du pouvoir, « les saints du Très-Haut ». Il ne peut pas y avoir de doule que par ce terme sont désignés les Israélites. C’est donc le peuple élu qui est en premier lieu symbolisé par le fils de l’homme et qui recevra la domination du monde.

La tradition juive et chrétienne a compris le fils de l’homme plutôt dans un sens individuel, et l’a identifié avec le Messie. Ce faisant, elle n’a pas eu tort. Car les bêtes ne sont pas seulement les symboles des empires païens, mais aussi de leurs rois. Cf. ii, 38 ; vu, 17 ; viii, 20, 21. Comme ces bêtes symbolisent non seulement des royaumes mais aussi leurs chefs, ainsi, « le fils de l’homme représente l’empire des saints ; mais rien n’empêche qu’il ne représente aussi leur chef, c’est-à-dire le roi Messie, ou plutôt que le Messie ne soit pas lui-même le représentant de son empire », I.agrange, p. 506. La version des Septante, qui a été faite peu après la composition du livre, traite le fils de l’homme comme un personnage individuel et

surnaturel qui vient sur les nuées et se met à côté de l’Ancien des jours.

La vision du fils de l’homme est complétée par celle de l’archange Michel et de la résurrection des morts, xii, 1-3. Celle-ci se rattache à la prédiction sur la dernière expédition qu’Antiochus Épiphane entreprendra contre Jérusalem, et au cours de laquelle il trouvera la mort. « En ce temps-là se lèvera Michel, le grand prince qui protège les fils de ton peuple, et ce sera un temps d’angoisse comme il n’y en pas eu depuis que des nations existent jusqu’alors. Mais en ce temps ton peuple sera sauvé, (c’est-à-dire) quiconque sera trouvé inscrit dans le livre, 2. Et beaucoup de ceux qui dorment dans la poussière de la terre se réveilleront, les uns pour la vie éternelle, les autres pour la honte et l’opprobre éternel, 3. Et les sages brilleront comme l’éclat du firmament, et ceux qui auront conduit beaucoup à la justice comme les étoiles à jamais et pour toujours. »

En ce temps-là, savoir quand Antiochus Épiphane campera devant Jérusalem pour la prendre d’assaut, surgira pour Israël un protecteur tout particulier, l’archange Michel, le grand chef des anges et l’ange gardien des Juifs, x, 13-21. Le peuple élu aura grand besoin de son aide, car il se trouvera dans un état plus misérable que jamais. Grâce à l’intervention de Michel, il sera sauvé. L’archange viendra exécuter le jugement sur Antiochus Épiphane, comme dans le temps d’Isaïe l’ange de Jahvé sur Sennachérib. Le salut ne sera pas accordé à tous les Israélites sans distinction, mais seulement à ceux qui plaisent à Dieu par leur piété et qui sont pour cela notés dans le livre de vie, idée qui est exprimée de la même façon dans Isaïe, iv, 3, et Malachie, iii, 16. Comme dans Is., xxvi, 19, il est prévu que les défunts ressusciteront pour prendre part au bonheur définitif des élus. Beaucoup se lèveront de la poussière. « Beaucoup » est ici synonyme de « tous », comme dans Esth., iv, 3. Parce que auparavant il n’est question que des Israélites, c’est aussi uniquement pour eux que la résurrection est prévue. Les païens n’en sont pas expressément exclus, mais comme il s’agit pour l’auteur de consoler la communauté juive, il ne mentionne le salut qu’en tant qu’il les concerne. Ceux qui vivent au moment où se réalise le bonheur messianique, n’y prendront part que dans la mesure où ils en seront dignes : ainsi les défunts qui reviennent à la vie seront traités selon leurs mérites. Seuls ceux qui ont vécu saintement reverront la lumière pour s’en réjouir éternellement ; les autres au contraire seront voués à une honte sans fin. L’auteur ne précise pas en quoi doit consister cette honte des pécheurs. Parmi les élus il signale, par contre, les sages dont les enseignements et les exemples ont soutenu les autres dans la vertu. Ceux-ci auront un tel bonheur qu’ils brilleront de joie comme le ciel et ses étoiles.

Voir la bibliographie à la fin de l’article Danifx. — Lagrange, Les prophéties messianiques de Daniel, dans Revue biblique, 1904, p. 494 sq. ; Ch. Wright, Daniel and ils critics, 1906’; Ed. Ilertlein, Der Daniel der Humcrzeit, 1908, Die Mensehensohnfrage tmletzten Siadium, 1911 ; E. Bayer, Danielsludien, 1912 ; M. Pflanzl, Der Mensehensohn in Daniel, 7, 13, dans Internationale kirchliehe Zeilsehri/t 1913, p. 310 sq., Ein christliches Schriftstûek imalten Testament, Dan., 7, ibid., 1916, p. 277 sq. ; T. G. Pinches, Fresli lighl on Ihe Book o/ Daniel, dans Expos. 7°im., 1915, p.257 sq. ; F. A. HerLog, Die Jahreswochen Daniels næh, der AA’.Y, dans Schweùteriche I<irchen7eilung, 19(>, p. 48 sq. ; Hôlscher, Die Entstehung des Huches Daniel, dans Theologische Sludien und Kritiken, 1019, p. 113 sq. ; Sola Juan Maria, La profécia de Daniel, 1919 ; A. Colunga, Los ixiticinios messiallicos de Daniel, dans Ciencia tomista, 1020, p. 285 sq. ; M. I [aller, Das Aller mm Daniel, 7, dans Theologisehe Studien und Kritiken, 1921, p. 87 sq. ; R. Anderson, The coming

prince, or the seventy weeks o/ Daniel, 1921 ; Kelly, The great prophecies of Daniel, 1921 ; Marti, Das Buch Daniel, dans Kaulzsch, 1923 ; Ch. Boutflower, In and around Ihe Book of Daniel, 1923 ; P. Szezygiel, Von den Perioden der Wochenprophetie (Dan., 9, 24-27) und anderen Zahlen bei Daniel, dans Théologie und Glaube, 1923, p. 268 sq. ; M. Noth, Zur Komposition des Bûches Daniel, dans Theologische Studien und Kriliken, 1926, p. 143 sq. ; W. Baumgartner, Neues keilschriftliches Material zum Bûche Daniel ? dans Zeiischrift fur die A. T. Wissenschaft, 1926, p. 38 sq. ; Das Aramàische im Bûche Daniel, ibidem, 1927, p. 81 sq. ; Chilperic Edwards, The messianic idea, 1927 (cette étude se rapporte surtout à Daniel) ; J. A Montgomery, A crilical and exegelical commentary on the Book of Daniel, 1927.

X. PSAUMES EXÏLIENS ET POSTEXILIENS, Du

temps des grands prophètes préexiliens, un nombre assez restreint de psalmistes ont reproduit quelques-unes de leurs idées messianiques. Après la grande catastrophe, et surtout après le retour de l’exil, le messianisme a davantage préoccupé les poètes. Car nombreux sont les psaumes dans lesquels se retrouve l’écho des oracles prophétiques.

1° En premier lieu il faut nommer le psaume xxi, le célèbre psaume du Messie souffrant, qui n’est compréhensible comme tel que quand on le rapproche des quatre chants sur le Serviteur de Jahvé.

Celui qui y prie est tellement malheureux qu’il est près de désespérer ; car, tout en étant juste et innocent, il est persécuté de la pire manière par les hommes et, de plus, abandonné de Dieu, 2 ; jour et nuit il crie en vain vers le Très-Haut, 3. Au lieu d’être exaucé et sauvé comme ses pères, il est « un ver et non un homme », 4-7. Tous ceux qui le voient se moquent de lui et ridiculisent même le seul soutien qui lui reste encore, la confiance en Jahvé, 8-9. Pourtant ils n’arrivent pas à la lui arracher ; car il sait qu’il a été dès sa naissance entouré par son Dieu d’une sollicitude paternelle, 10-11. C’est Lui qu’il appelle au secours devant le danger qui devient de plus en plus terrible, 12. Car ses ennemis l’entourent comme des taureaux, comme des lions, comme des chiens, 13-14, 17 a. Il a perdu toutes ses forces, de sorte qu’il est devenu comme l’eau qui s’écoule, 15, et qu’il est près de (LXX) mourir, 16. Ses mains et ses pieds ont été « creusés », 17 b, ses membres sont tellement décharnés qu’on peut en compter les os, 18. En vue de sa mort prochaine, les bourreaux se partagent déjà ses vêtements, 19. Dans cette situation le souffrant adresse un dernier appel pressant à Jahvé pour qu’il vienne à son aide, 20-22.

Tout à coup le moribond exprime la conviction qu’il sera sauvé. D’avance il annonce qu’il en glorifiera Dieu dans l’assemblée de ses frères, 23, et il invite dès maintenant tous les Israélites à remercier et à louer Jahvé à cause du salut qu’il lui aura accordé, 24-25. A l’occasion des sacrifices d’action de grâces qu’il offrira, conformément à ses vœux, il invitera les pauvres pour les rassasier, 26-27. Il prévoit des événements plus importants encore : les extrémités du monde se souviendront de nouveau de Jahvé et se convertiront à lui, toutes les nations se prosterneront devant sa (LXX) face, 28-30. Toute angoisse est donc chassée ; car il vivra : « mon (LXX) âme, dit-il, vivra pour lui, ma postérité le servira, » 31 a. A cause de son salut encore les générations à venir loueront le Seigneur, 31 b, 32.

Tous les exégètes sont pleins d’admiration pour la splendeur de ce psaume, surtout pour la beauté de l’âme qui s’y révèle. Bien que celui qui prie soit innocent, il ne se réclame pas comme tant d’autres de sa sainteté ; bien qu’il soit persécuté, il ne respire aucune haine contre ses ennemis. Le sujet du psaume est donc un personnage d’une éminente sainteté.

C’est aussi un homme d’une position et d’une importance exceptionnelle ; car il invite tout Israël à se réjouir de son salut, promet aux pauvres de son peuple nourriture et satiété, prévoit la conversion de tous les païens. Bien que le salut de celui qui prie ne soit pas expressément présenté, comme cause de cette conversion, celle-ci doit en être néanmoins regardée comme le fruit : sans quoi le psalmiste ne l’aurait pas mentionnée. Or la conversion des Gentils est une des grandes espérances messianiques. Parce qu’elle est rattachée à l’œuvre du juste souffrant de notre psaume, il s’ensuit que ce juste est le Messie.

Cette argumentation, tout en étant concluante en elle-même, l’est surtout par la comparaison du psaume avec les quatre chants du Serviteur de Jahvé, et ceux-ci jettent une vive lumière sur la plainte et l’hymne de joie réunies dans le psaume. Le psalmiste a dû s’inspirer surtout du deuxième et du troisième, dans lesquels le Serviteur parle lui-même, pour composer un nouveau chant du Serviteur souffrant et triomphant. Il nous semble donc impossible d’admettre que David ait composé ce psaume, et que son auteur parle primitivement en son propre nom, de sorte que le psaume ne serait messianique qu’au sens typique : il est directement messianique.

Cette explication messianique est aujourd’hui rejetée par tous les exégètes protestants. Pour échapper à l’argumentation que nous venons de présenter, ils emploient deux moyens. Quelques-uns comme Duhm, Stærk, Bertholet, la Bible du Centenaire, prétendent que le chant de triomphe ou du moins les versets qui s’y rapportent à la conversion des païens, n’ont pas primitivement fait partie du psaume. D’autres, comme Briggs, Bæthgen, affirment que le sujet est, comme dans les quatre chants du Serviteur, le peuple d’Israël. Kittel et Gunkel reconnaissent que ces tentatives sont vaines : à cause des ꝟ. 23 et 26 le sujet est nécessairement un individu ; ni le rythme, d’ailleurs, ni la suite des idées n’autorisent à couper le psaume en deux. Kittel croit pouvoir expliquer la haute envergure que le psaume prend dans les ꝟ. 26 sq. par la supposition que celui qui parle ainsi n’est pas une personne privée, mais un chef, le chef des Israélites pieux qui glorifie avec sa victoire le triomphe de la bonne cause, du règne de Dieu. Mais danc ce cas ce chef ne parlerait plus dans lest. 26 sq. en son nom propre, mais au nom de son peuple. Kittel revient donc à l’explication collective. Gunkel, tout en relevant la parenté qui existe entre notre psaume et les quatre chants du Serviteur de Jahvé, repousse énergiquement l’identification du sujet du psaume avec le Serviteur. En niant le sens obvie du ꝟ. 28, il veut faire croire que le psalmiste n’attend nullement comme suite de son salut la conversion des païens, mais qu’il est tellement rempli d’enthousiasme pour le miracle de sa guérison qu’il invite aussi les païens à louer Jahvé.

En face de ces vaines entreprises de l’exégèse moderne, le sens messianique du psaume xxi reste d’autant plus solidement acquis

2° Comme le ps. xxi rappelle les quatre chants du serviteur de Jahvé, les ps. xcv, xcvi, xcvn semblent être l’écho des hymnes de louanges qui entourent ces chants dans la seconde partie d’Isaïe. Ils s’expliquent en effet au mieux comme cantiques d’action de grâces composés en imitation de ces hymnes pour glorifier Jahvé, à cause du salut qu’il accorde par le retour de l’exil. Il est vrai que, d’après I Par., xvi, 2333, le’psaume xcv a été chanté par David lors de la translation de l’arche à Sion ; mais il ne s’ensuit pas, comme Hoberg lui-même, p. 352, le relève, que tous les versets du psaume proviennent de la plume du roi-psalmiste. Parmi les versets qui ont été ajoutés après la publication d’Isaïe, xi.-lv (Hoberg signale

e ꝟ. 5), il faut surtout compter le ꝟ. 13, le dernier, qui annonce la venue du Seigneur pour le jugement ; car « l’idée du jugement final semble avoir été étrangère ou du moins peu connue à David », Hoberg, p. 26.

Gunkel, Kittel, Stærk, Bertholet rangent ces trois psaumes parmi les hymnes eschatologiques chantés en l’honneur de Jahvé, en tant qu’il va se révéler d’une façon éclatante comme maître du monde. Kittel surtout les explique d’un bout à l’autre comme des prophéties sur l’intronisation de Dieu à la fin des temps.

Cette conception se comprend assez pour les psaumes xcv et xcvn ; car, étroitement apparentés, ils se terminent tous deux par les phrases : « Il (Jahvé) vient, oui il vient pour juger la terre ; il jugera le monde avec justice et les peuples avec équité », et, conformément à cette attente nettement messianique, les Israélites y sont invités à publier la gloire de leur Dieu parmi les nations, et tous les peuples sont exhortés à adorer ce Dieu unique, à venir même se prosterner devant lui dans ses parvis pour que le royaume messianique se réalise bientôt. Mais, d’autre part, les psalmistes soulignent que Dieu s’est montré roi dès la création du monde et que, par la délivrance de la captivité, il révèle sa force devant les païens « en faisant apparaître le salut promis », de telle sorte que toutes les extrémités du monde l’ont vu. Ce n’est donc pas uniquement le règne futur, mais aussi le règne actuel de Jahvé qui forme l’objet des psaumes xcv et xcvn. Avec Lagrange, Pérennès et Bæthgen, nous reconnaissons pourtant que le point de vue eschatologique y prédomine conformément au fait que, dans Is., xl-lv, le retour deBabylone est présenté comme ouverture de l’ère messianique.

Bien que le ps. xcvi semble appartenir à la même situation que xcv et xcvii, le caractère messianique n’y est pas aussi apparent que le supposent Gunkel, Kittel, Stærk, Bertholet, Zenner, Lagrange, Pérennès. Toute allusion à l’établissement du royaume intégral de Jahvé y manque. La théophanie décrite aux ꝟ. 2-6 pourrait très bien, comme le suggère Duhm, se rapporter à un orage ; mais, comme dans ps. xvii, 8 sq., il vaut mieux la prendre pour une description poétique de l’aide que Dieu vient d’accorder à Israël ; car le ꝟ. 8 où il est dit que Jérusalem et les autres villes de Juda se réjouissent des jugements de Jahvé ne peut viser, comme dans ps. xlvii, 12, dont il est la reproduction, qu’un événement du passé. Cet événement est ici la délivrance de la captivité. Des grandes suites qu’il doit avoir le psalmiste ne mentionne que la confusion des idolâtres, 7.

3° En troisième lieu nous mentionnons les passages messianiques des autres psaumes exiliens ou postexiliens.

Ps., i, 5 : « C’est pourquoi les méchants ne subsisteront pas lors du jugement, ni les pécheurs dans l’assemblée des justes. » LesTargums ont déjà pris le jugement pour le jugement messianique, et l’assemblée des justes pour la communauté des saints qui subsistera après ce jugement. Presque tous les exégètes modernes, en particulier Bæthgen, Kittel, Bertholet, Stærk, Duhm, Pérennès, Podechard, Revue biblique, 1918, p. 72, suivent les Targums. Gunkel par contre, qui exagère tant de fois le messianisme des psaumes, trouve cette conception de ps. i, 5, ridicule. Il a bien tort ; car, comme préface du psautier, le psaume i est de date très récente et la mention du jugement s’y explique au mieux comme une allusion à la séparation des justes et des impies, telle qu’elle est prédite dans Is., lxv, 8-10, 13-25 ; i.xvi, 10-12, 18-23 ; Mal., iii, 11-12 ; iv, 1-3, pour la fin des temps, voir Podechard, loc. cil., p. 72.

Ps., xiii, 7 : « Ah 1 que de Sion vienne le salut d’Israël !

Quand Jahvé rétablira son peuple, Jacob sera dans l’allégresse, Israël dans la joie. » Ce verset semble être « une aspiration à l’avènement du règne messianique », (Pérennès), ajouté pendant l’exil au psaume primitif. Duhm, Stærk, Gunkel, l’expliquent également comme eschatologique.

Le psaume lxvi, plutôt postexilien, est, comme Pannier l’a très bien caractérisé, un psaume universaliste du royaume de Dieu. Bien que composé pour remercier Jahvé après les récoltes, il contient les idées les plus universalistes et est une aspiration vers le règne messianique : Que Dieu bénisse de plus en plus Israël pour que toutes les nations reconnaissent que le salut dépend de lui.

Le psaume lxxxiv contient un des plus beaux textes messianiques du psautier :

10. Oui son salut est proche pour ceux qui le (Dieu) et la gloire habitera notre pays. [craignent,

11. La bonté et la fidélité se rencontreront, la justice et la paix s’embrasseront.

12. La fidélité germera de la terre.

et la justice regardera du haut du ciel.

13. Oui, Jahvé donnera ses bienfaits, notre terre donnera son fruit.

14. La justice marchera devant lui. et la paix suivra ses pas.

Le psaume est une prière pour la restauration complète d’Israël, composée après l’exil, probablement peu, après le retour de Babylone. Le peuple y remercie Jahvé de ce qu’il a eu pitié de lui en lui pardonnant son péché et en le rétablissant dans son pays. Mais, comme le bonheur tant de fois prédit par les prophètes est encore loin de sa réalisation totale, il supplie en même temps le Très-Haut de lui montrer sa bonté et de lui accorder son salut, 2-8. A cette supplication du peuple le poète répond par un oracle divin, 8-14, dont il dit expressément qu’il ne compte que pour les justes. Son contenu est d’abord (au ꝟ. 10) : « le salut est proche ; bientôt les contemporains du second temple n’auront plus rien à envier à ceux du Temple de Salomon ou à l’âge mosaïque : Jahvé ne tardera pas à remplir de sa glorieuse présence sa deuxième demeure », Pérennès, p. 192. Le poète énumère ensuite les principaux biens spirituels, bonté, fidélité, justice, paix, qui rendront alors les hommes heureux. Dans une première comparaison il les présente comme de bons génies qui accompagnent Jahvé, 11, 14, et qui rivalisent pour réjouir la terre ; dans une seconde comparaison, 12, il les fait pousser du sol comme de l’herbe et regarder du haut du ciel comme le soleil. Finalement il n’oublie pas de mentionner, à l’exemple de tant de prophètes, qu’il y aura alors une grande fertilité de la terre. Voir pour ce psaume Calés, dans Recherches de science religieuse, 1924, p. 429-434.

Ps. lxxxv, 9-10, renferme une prière analogue :

Toutes les nations que tu as créées viendront se prosterner

Devant ta face, Jahvé, et glorifier ton nom ;

Car tu es grand et tu fais des miracles, toi seul es Dieu.

Bien qu’elle soit la plainte d’un individu, cette prière renferme cette belle perspective sur la conversion des païens, et prouve combien vive était l’espérance messianique au temps de sa composition. A cause de nombreux emprunts à d’autres psaumes qu’on relève dans celui-ci, ce temps est très tardif. Comparer aussi ps. lxxxix, 16.

Le psaume ci, le troisième des psaumes de pénitence, est au commencement, 1-12, et dans les versets de la fin, 24-28, la plainte d’un affligé qui est près de mourir ; au milieu, 13-23, par contre, il est une prière pour Jérusalem tombée en ruines. Cette partie a été composée sans doute pendant l’exil et insérée dans un psaume plus ancien. Elle a un contenu tout à fait eschato

logique. Le poète exprime d’abord l’espoir ferme que Jahvé qui trône éternellement se lèvera un jour pour délivrer les Israélites et restaurer Sion, 13. Il ose même dire qu’il est temps de leur faire miséricorde « l’heure en est venue », 14. « Oui, Jahvé rebâtira Sion, il y apparaîtra dans sa majesté », 17. « Alors les nations craindront le nom de Jahvé et tous les rois de la terre ta gloire », 16. Tous les peuples se rassembleront, ainsi que les royaumes, pour servir Jahvé, 23. Le psalmiste regarde donc, comme Aggée et Zacharie, la reconstruction du temple et de la ville sainte comme le prélude de l’ère messianique. Il relève expressément que, même si le salut ne se réalise pas tout de suite, il sera la part de la génération future pour laquelle il fixe par écrit sa prophétie, 19-22.

Dans le ps. cxlix, le poète contemple l’avenir d’Israël non seulement avec le plus grand optimisme, mais avec un enthousiasme exalté. II invite ses coreligionnaires à glorifier Jahvé par un cantique nouveau, à le louer en dansant, à le célébrer avec le tambourin et la harpe : « car Jahvé aime son peuple, il donne aux humbles le triomphe pour parure », 4. Cette joie exubérante est sans doute causée par une victoire remportée sur les ennemis. Par suite du succès, les Israélites

6. ont à la bouche les louanges de Dieu

et à leur main un glaive à deux tranchants,

7. Pour tirer vengeance des nations

et châtier les peuples.

8. Pour lier leurs roi avec des chaînes

et leurs princes avec des entraves de fer, [écrit.

9. Pour exécuter à leur égard le jugement tel qu’il est Telle est la gloire réservée à tous ses serviteurs.

D’après ces paroles les Israélites sont appelés à être les instruments de la justice divine, les ministres de Jahvé dans l’établissement de son règne sur les nations. Par là le psalmiste ne veut pas faire de prédiction, il veut au contraire constater que les anciens oracles que les prophètes ont autrefois publiés et fixés par écrit sont en train de se réaliser.

Le psaume respire donc un véritable enthousiasme messianique. D’après la plupart des exégètes celui-ci aurait été causé par les victoires éclatantes du temps des Machabées. Mais, en face de cette fixation exacte de la date du psaume, Gunkel invite avec raison à la réserve. On pourrait seulement dire que le chant a été composé durant la domination étrangère, et qu’il est postérieur aux oracles des prophètes.

La prière qui se lit ps. cxxvi, 4-6, est parallèle à celle du psaume lxxxiv, 10-14. Après avoir décrit aux versets 1-3 la joie qui animait les Israélites lors du retour de Babylone, le poète fait allusion à la situation pauvre et triste dans laquelle les rapatriés se trouvaient durant les premières années. Il supplie le Très-Haut d’accorder bientôt à son peuple la complète restauration. Il est tellement convaincu que Dieu ne tardera pas à la réaliser qu’il compare ses contemporains à des laboureurs qui, après avoir semé pleins d’inquiétude, récoltent avec joie.

Duhm rapporte le psaume tout entier à la restauration messianique de l’avenir. D’après lui, il serait le plus beau de tous les psaumes, et contiendrait l’expression la plus touchante et la plus tendre de l’espérance eschatologique. A son exemple, Lagrange, Bertholet, Pérennès, Gunkel appliquent non seulement les versets 4-6, mais aussi les trois premiers versets au rétablissement à venir. Cette exégèse de 1-3 ne nous semble pas justifiée ; car déjà le parallélisme avec le psaume lxxxiv, où il est d’abord quesion de la restauration préalable et ensuite seulement de la restauration définitive, recommande l’explication reçue ; en outre le verbe défini du premier

DICT. DE THÉOL. CATHOL.

verset est un parfait et rien dans le contexte n’invite à le prendre pour un parfait prophétique.

4° Très peu nombreux sont les psaumes postexiliens où l’on a voulu, à notre avis sans raison, trouver des idées messianiques.

L’explication messianique que proposent de ps. cxliii, 12-15, Stærk, Kittel, Bæthgen, est rejetée par Gunkel ; à juste titre, nous semble-t-il, car il s’agit d’une description du bonheur matériel présent des Israélites.

Quant au ps. cxlviii, 14, qui fait sans doute allusion au rétablissement d’Israël après l’exil, il n’y a pas de raison péremptoire de considérer ce mot comme une allusion au bonheur messianique à venir. Contre Kittel, cf. Lagrange, loc. cit., p. 201.

XI. TOBIE, JUDITH, LE / or LIVRE DES MACHABÉES,

L’ecclésiastique. — En dehors des prophètes postexiliens, les idées messianiques se rencontrent non seulement dans les psaumes, mais aussi dans les écrits historiques et didactiques du judaïsme.

Dans le Livre de Tobie, au cantique que le vieux père entonne après la disparition de l’archange Raphaël, xin, Il sq., la future gloire de Jérusalem est décrite avec enthousiasme : La ville qui est maintenant châtiée par Dieu sera un jour reconstruite avec magnificence. « Les portes seront bâties de saphirs et d’émeraudes, toute l’enceinte de ses murs de pierres précieuses, toutes ses places publiques seront pavées de pierres blanches et pures. » Elle retentira de chants d’allégresse ; car les captifs et les dispersés y reviendront et les peuples y arriveront pour apporter des présents et pour adorer le Seigneur. — Avant de mourir le vieillard annonce à son fils et à ses petits-fils la destruction de Ninive et la restauration d’Israël : « Toute la terre déserte d’Israël sera repeuplée, et la maison de Dieu, qui y a été brûlée, sera rebâtie de nouveau ; et là reviendront tous ceux qui craignent Dieu et les nations abandonneront leurs idoles, elles viendront à Jérusalem et elles y habiteront, et tous les rois de la terre se réjouiront en elle, adorant le roi d’Israël », xiv, 7-9.

Judith dans son cantique d’action de grâces crie malheur aux peuples qui s’élèvent contre Israël : « Le Seigneur tout-puissant se vengera d’eux et les visitera au jour du jugement. Il mettra du feu et des vers dans leur chair afin qu’ils brûlent et hurlent éternellement », xvi, 20-21.

Au 7° livre des Machabées, Mathathias dans ses paroles d’adieu mentionne la promesse faite à David que son trône existera toujours, ii, 57.

L’Ecclésiastique professe à trois reprises l’espérance messianique. D’abord dans la prière du c. xxxvi qu’il adresse à Dieu pour qu’il sauve son peuple de sa situation misérable : il supplie le Très-Haut de se manifester bientôt, de renouveler les grands miracles d’autrefois, de détruire les ennemis qui maltraitent Israël, de remplir Sion de sa divine majesté et le temple de sa gloire, et de montrer ainsi à tous les habitants de la terre qu’il est le Dieu éternel, 6-22. Ensuite dans l’éloge des saints d’autrefois : après avoir parlé du malheur dont Israël fut accablé après la mort de Salomon, Jésus Sirach se basant sur II Reg., vii, 15 sq., III Reg., xi, 39 et Is., xi, 1, exprime la conviction que Jahvé n’extirpera pas entièrement son élu, mais qu’ « il laissera à Jacob un reste et à David un germe », xlv, 22. Finalement, lors de la mention d’ÉIie, le Siracide répète ce que le prophète Malachie avait annoncé à son sujet : « Il est destiné pour un temps déterminé afin d’adoucir la colère de Dieu et d’unir le cœur des pères et des fils, et de rétablir les tribus d’Israël », xlviii, 10. La pensée de l’époque où tout cela se réalisera le fait tressaillir de joie et il s’écrie : « Heureux celui qui te [Élie] verra et

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MESSIANISME, LA LITTÉRATURE APOCRYPHE

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mourra, » 11 (texte hébreu). Par cette phrase l’auteur semble vouloir dire que ceux qui verront Élie peuvent tranquillement quitter la vie, car ils y reviendront bientôt par la résurrection ; voir J. Peters, Das Buch Jésus Sirach oder Ecclesiasticus, 1913, p. 412 sq.

Le livre de la Sagesse et le IIe livre des Machabées qui ont pris origine dans le milieu hellénique ne font pas allusion à l’espérance messianique.