Dictionnaire de théologie catholique/MESSIANISME I. Etude analytique des prophéties relatives au Messie dans la littérature canonique 2. L'époque de Moïse

Dictionnaire de théologie catholique
Texte établi par Alfred Vacant, Eugène Mangenot, Émile AmannLetouzey et Ané (Tome 10.2 : MESSE - MYSTIQUEp. 62-64).

II. Le messianisme a l’époque de Moïse. —

Moïse et l’avenir d’Israël.


De l’époque de Jacob la Bible nous transporte immédiatement à celle de Moïse. Ce grand chef, qui a donné aux Israélites leur constitution religieuse et civile comme base de leur alliance avec Jahvé, s’est, il va sans dire, vivement occupé de l’avenir de son peuple. Lui qui a guidé Israël au seuil de la Terre promise, comment l’a-t-il dirigé vers son but final ?

En lisant les préceptes et les exhortations, que la saine critique lui reconnaît au moins pour le fond, voir E. Kônig, Das Deuleronomium, 1917, E. Sellin, Einleitung in das Alte Testament, 1925, p. 50, M. Lôhr. Das Deuteronomium, 1925, on constate qu’il a regardé la situation qui résultera pour les Israélites de leur entrée en Canaan comme définitive. Bien ne manquera à leur bonheur. Us jouiront d’une union intime avec Jahvé. Par suite des sages lois d’après lesquelles ils seront gouvernés, la paix intérieure régnera, Deut., iv. 6-8. La sécurité extérieure ne sera pas moins grande, parce que Jahvé anéantira tous leurs ennemis, Ex., xxiii, 22-27 ; Deut., xxviii, 7. Ils seront préservés de toute maladie, de sorte qu’ils atteindront un âge avancé, Ex., xxiii, 25-26. A la santé et à la longévité des hommes, correspondra une fertilité prodigieuse du sol, Ex., xxiii, 25. Les produits en seront si abondants qu’il n’y aura jamais de pauvres en Israël, Deut., xv, 4, et que les autres peuples viendront emprunter chez lui, Deut., xxviii, 12. Israël progressera toujours et ne reculera jamais, Deut., xxviii, 13.

Moïse en effet voyait tous les vœux qu’on pouvait formuler pour l’avenir du peuple élu se réaliser dans la Terre promise, où coulaient le lait et le miel. Chez les prophètes écrivains nous rencontrons la plupart de ces faits comme traits caractéristiques de l’ère messianique. Dans un certain sens on pourrait dire que l’entrée en Palestine a été pour Moïse l’ouverture des temps messianiques, étant donné surtout qu’il a pris l’époque inaugurée par la conquête de Canaan pour l’état définitif de son peuple.

Aucun indice ne montre qu’il ait prévu que cette situation serait remplacée par une autre plus parfaite. Bien des fois on a affirmé le contraire en se fondant sur Deut., xviii, 15 : « Jahvé ton Dieu te suscitera de ton milieu un prophète comme moi ; c’est lui que vous devez écouter », et en expliquant ces paroles dans ce sens que Dieu ferait surgir un jour un chef aussi éminent que Moïse qui jouerait un rôle aussi important que le fondateur de la religion israélite, et serait l’initiateur d’une ère nouvelle. Déjà les Juifs contemporains du Christ, Joa., vi, 14 ; vii, 40, saint Pierre, Act., iii, 22, saint Etienne, Act., vii, 37, ont ainsi compris ce texte et l’ont appliqué au Messie. Mais, d’après le contexte qui précède et qui suit, il faut prendre < prophète » dans le sens collectif. Moïse, après avoir mis les Israélites en garde contre les sorciers et devins païens, leur promet qu’ils auront une suite ininterrompue de prophètes, par l’intermédiaire desquels Jahvé entrera en com

munication avec eux, comme il l’a fait par sa propre personne.

Moïse a donc conçu l’époque qui va s’ouvrir pour Israël en Canaan comme une étape définitive de son existence terrestre, et c’est en elle qu’il a placé le bonheur que les prophètes annonceront pour l’ère messianique. Mais malgré cela on ne peut pas dire qu’il l’ait présentée comme messianique. Les prophètes prédisent le bonheur messianique comme arrivant sans faute par suite de l’intervention divine. Moïse, par contre, en parle en législateur, c’est-à-dire qu’il proclame hautement que la réalisation en est liée à l’observation consciencieuse des lois promulguées par lui, et qu’en cas de désobéissance les bénédictions de Jahvé qui est un Dieu jaloux, Deut., iv, 24, seront remplacées par les pires malédictions d’où résulteront des effets diamétralement opposés : disette, stérilité, maladies sans nombre, invasion des ennemis, déportation. Ex., xxiii, 21 ; Deut., iv, 25-31 ; xxviii, 15 sq. Plusieurs détails font supposer des gloses exiliennes. Il est vrai que dans le texte actuel des discours de Moïse on lit, surtout Deut., xxxiv, 29-31, que Jahvé, après avoir puni son peuple, quand celui-ci le méritera par ses prévarications, lui pardonnera de nouveau, le rétablira, le ramènera de la dispersion et de l’exil. Mais ces passages font l’impression d’additions exiliennes. Même s’ils étaient authentiques pour le fond, Moïse n’y prédirait pas un bonheur permanent, basé sur la fidélité dorénavant inaltérable d’Israël, mais seulement un bonheur conditionnel qui pourrait de nouveau être enlevé, si le pe.uple venait encore à désobéir. Deut., xxx, 10.

Moïse n’a donc pas porté son attention sur l’avenir vraiment messianique. La manière dont il a envisagé l’avenir de son peuple a cependant joué un grand rôle dans le développement du messianisme. C’est de quoi l’on n’a pas assez tenu compte jusqu’ici, et qui se révélera surtout lors de l’étude des idées messianiques des prophètes.

Dans le Pentateuque se trouvent attribués à Moïse outre les discours en prose deux poèmes qui visent également l’avenir d’Israël : Deut., xxxii et xxxiii. Les critiques les placent d’ordinaire à l’époque exilienne. Récemment Sellin, Wann wurde das Moselied Deut. 32 gedichlet ? dans Zeitschrijt fur die A. T. Wissenschaft, l925, p. 161 sq., s’est également rangé à cette opinion, tandis que Kônig et Causse se prononcent avec beaucoup plus de raison en faveur du temps des Juges. Aussi ceux qui en maintiennent en partie l’authenticité sont-ils obligés d’admettre des remaniements et des élargissements postérieurs, ainsi Hummelauer, Commentarius in Deuterononium, 1901, p. 538, et il faudrait ranger parmi les additions précisément les idées principales sur le destin ultérieur d’Israël qui, d’après xxxiir, sera glorieux sans vicissitude, par contre, d’après xxxii, malheureux et honteux à cause de l’infidélité du peuple.

P. Riessler, Das Moseslied und der Mosessegen, dans Btblische Zeitschrift, 1913 ; K. Budde, Das Lied Mc.ses Deut. XXXII, erlàutcrt und iibersetzt, 1920 ; Der Segen Moses Deut. XXXIII erldulert und ubersehl, 1920.

L’oracle de Balaam.

 Bien plus qu’aux paroles

de Moïse lui-même, on attache d’ordinaire une portée messianique à celles d’un de ses contemporains, le voyant païen Balaam.

Lorsqu’Israël arriva dans les plaines de Moab, le roi du pays, effrayé par l’approche de ce peuple si nombreux, recourut à l’aide surnaturelle. Il fit venir le célèbre Minier Balaam, qui, toul en étant païen, connaissait et estimait Jahvé, pour maudire les intrus et arrêter ainsi leur invasion. Mais, sur l’ordre de Jahvé, au lieu de maudire les Israélites, Balaam les bénit. A quatre reprises il les comble de louanges et

de vœux et leur prédit un avenir brillant. (Comme il n’y a aucune raison sérieuse de nier l’historicité du récit relatif à Balaam, voir Gressmann, Mose und seine Zeit, 1913, p. 318 sq., il n’y a pas non plus d’argument décisif contre l’authenticité de ces quatre oracles qui cadrent très bien avec l’époque de Moïse. Après que Gall et Holzinger les eurent placés après l’exil, Bæntsch, Kittel, Causse les ont revendiqués pour le temps de Saiil ou de David ; Mowinckel, Sellin, Dùrr, Gressmann les ont reculés, à cause de leur caractère antique, jusqu’à l’époque des Juges. Mais pourquoi ne pas les faire remonter un peu plus haut et les laisser à Balaam lui-même ?)

D’abord Balaam relève qu’ils forment un peuple tout à fait à part et très nombreux, Num., xxiii, 9-10 ; ensuite il glorifie leur exemption de tout mal qui résulte de la présence de Jahvé qu’ils acclament comme un roi. xxiii, 21. Le troisième oracle porte sur la beauté de leurs tentes et sur la force irrésistible de leurs guerriers qui les fait triompher de tous leurs ennemis, qui fera en particulier triompher leurs rois futurs des princes amalécites. xxiv, 5-9. Le quatrième, qui est le plus important, est conçu en ces termes, xxiv, 17-18 :

Je le vois, mais non comme présent ; je le contemple, mais non de près : un astre procède de Jacob et un sceptre s’élève d’Israël ; il brise les tempes de Moab et il transperce tous les fils du tumulte ( ?). Édom est sa possession, Séir, son ennemi, est sa possession et Israël fait ses exploits.

Par ces paroles Balaam publie que dans l’avenir un roi israélite va surgir avec éclat, qui étendra son gouvernement sur les Moabites et les Édomites.

Déjà les Targums ont appliqué cette prédiction au Messie, et le chef de l’insurrection juive sous l’empereur Hadrien reçut le nom Bar-Kokéba = fils de l’étoile, parce qu’on lui appliqua, en le prenant pour le Messie, la prophétie de Balaam. Les chrétiens ont continué à prendre ce texte pour messianique et encore aujourd’hui des exégètes, comme Gall, Holzinger, Sellin, Kittel, Dûrr, tout en refusant le sens messianique à d’autres passages du Pentateuque, le maintiennent pour celui-ci.

Cependant la prédiction du Messie ne semble pas être contenue dans cet oracle. Sans doute, il annonce l’avenir glorieux d’Israël, en particulier la gloire et la puissance de ses rois. Mais rien n’indique qu’il s’agisse du roi par excellence, savoir le Messie. D’abord le terme beaharit ha jamim qui se trouve dans la formule introductoire n’a pas plus ici que dans Gen., xlix, 1. le sens eschatologique qu’il a reçu plus tard chez les prophètes ; il signifie simplement « dans la suite des jours ». Ensuite la comparaison d’un roi avec une étoile ne caractérise pas non plus ce roi comme un prince tellement exceptionnel qu’il faille exclusivement penser au Messie ; elle prouve encore moins que l’auteur ait pris le Messie pour un être céleste et surnaturel. En troisième lieu ce qui est dit sur l’œuvre du roi ne fournit pas non plus de base à l’identification de ce roi avec le Messie ; car il est uniquement dit qu’il subjuguera les Moabites et les Édomites, et l’on n’a aucun droit de prendre ces deux peuples pour des représentants typiques de toutes les nations païennes.

Balaam se contente de dire qu’un roi puissant vaincra un jour complètement les deux ennemis si redoutables d’Israël : Edom et Moab.

Les commentaires des Nombres de Keil, 1870 ; Dillmann, 1886 ; Strack, 1894s Hummelauer, 1899 ; Bæntsch, 1903 ; Trochon, 1886 ; lit lion. 1913 ; Holzinger, dans Kautzseh,

1922 ; L..1. liions, 1927.

E. W. Hengstenberg, Die Géschichte Blleams und seine Weissagungen, 1842 ; il. < ><>r I, Disputalio de perlcope Num., XXII, 2-XXIV, histortam Balaam continente, 1860 ; M. Kalisch, The Prophectes o/ Bulaarn, 1877 ; I^aya, Balaams pro

phecy, dans Hebraica, 1887 ; van Hoonacker, Quelques observations critiques sur les récits concernant Bileam, 1888 ; Volck, Bileam, dans Prolest. Realencyclopadie, 1897, t. iii, p. 227-232 ; E. Palis, Balaam, dans Dicl. de la Bible, 1895, t. i, col. 1390-1398 ; A. v. Gall, Zusammensetzung und Herkunft der Bileamperikope, Num., 22-24, 1900 ; Fr. Wobersin, Die Echtbeit der Bileamsprùche, Num., 22-24, 1900 ; H. C. Ackermann, Concerning the nature of Balaam’s vision, dans Angl. theol. rev., 1919-20, p. 233 sq.