Dictionnaire de théologie catholique/MESSIANISME

Dictionnaire de théologie catholique
Texte établi par Alfred Vacant, Eugène Mangenot, Émile AmannLetouzey et Ané (Tome 10.2 : MESSE - MYSTIQUEp. 55-57).

MESSIANISME. — On désigne sous ce nom l’ensemble des idées juives relatives au Messie et aux temps messianiques. —
Après une introduction,
l’article comportera d’abord une étude analytique des textes messianiques contenus soit dans la Bible (col. 1403),
soit dans la littérature extra canonique (col. 1511) ;
puis une synthèse des traits ainsi rassemblés (col. 1535).

Introduction.

Importance des prophéties messianiques.

Novum Testamentum in Veiere latet, Vêtus in Novo palet : cet adage ne s’applique nulle part mieux qu’en matière de prophéties messianiques. Par elles, en effet, l’Ancienne Alliance se révèle comme la préparation d’un état religieux plus parfait

et en laisse entrevoir les grandes lignes. D’autre part, la Nouvelle Alliance, dès le début, fut à tel point conçue comme leur accomplissement que, pour la caractériser, on a qualifié ses formes religieuses de « messianiques », expression hébraïque dont le mot « chrétien » n’est que le synonyme grec.

C’est pourquoi les prophéties messianiques n’ont pas eu seulement leur valeur pour l’époque où elles furent prononcées, mais elles l’ont gardée pour tous les temps. De nos jours encore elles forment une partie importante de notre théologie, elles se lisent jusque dans le catéchisme du simple fidèle.

Tout le monde connaît donc plus ou moins ces antiques prédictions. Ceux qui vivent en dehors du mouvement critique les comprennent comme nos ancêtres des siècles passés, sans le moindre soupçon au sujet de leur sens et de leur portée. Les esprits plus avertis des méthodes et des résultats de l’exégèse contemporaine savent que tout ceci a sa répercussion dans le domaine particulier des prophéties messianiques, et ils se demandent ce qu’il en" est de leur explication.

Des critiques indépendants se sont empressés de dire que cet élément de la tradition chrétienne serait caduc de tous points. En le vérifiant d’après l’état actuel de science biblique, on peut, au contraire, établir qu’il en sort fortifié dans tout ce qu’il a d’essentiel.

Définition.

Il faut tout d’abord circonscrire

la question ; car par prophéties messianiques tous n’entendent pas la même chose et beaucoup en ont une notion imprécise et incomplète. Cette définition est commandée par le point de vue d’où on les considère.

D’ordinaire, à la lumière du Nouveau Testament, on y comprend l’ensemble des oracles qui concernent la personne et le royaume du Christ. Cette conception, juste dans le fond, devient inadéquate dès qu’on se met sur le terrain de l’Ancien Testament, c’est-à-dire quand on fait abstraction de la manière dont les prophéties se sont réalisées. Alors elles se présentent sous une forme beaucoup trop complexe pour entrer dans le cadre de la définition usuelle.

Le trait commun des prédictions de l’Ancien Testament est l’attente d’un nouvel état de choses réalisé sur la terre et nettement différent de l’ordre actuel, qui consistera du côté de Dieu dans une manifestation éclatante de Jahvé, suivie de l’établissement définitif de son règne, du côté de l’homme dans un attachement fidèle au Très-Haut, dans une sainteté parfaite et dans un grand bonheur. Cette ère nouvelle se réalisera par l’achèvement de la théocratie d’Israël, de sorte que le peuple juif en bénéficiera en premier lieu, les autres nations seulement par son intermédiaire et sous son hégémonie.

Parfois les prophètes concentrent leurs espérances sur un prince idéal qui sortira à cette époque de la race élue et sera le représentant saint et puissant de Jahvé. Ils ne l’ont désigné par aucun nom générique. Dans un des plus anciens psaumes, ii, 2, et surtout plus tard dans la littérature apocryphe et rabbinique, Hén, éth., xlviii, 10, Targum de Jérusalem, Gen., iii, 15 ; xlix, 10, Psaumes de Salomon, xvii, 36 ; xviii, 6, il est nommé masiah, Messie. Ce terme signifie « oint » et était appliqué, dans les livres canoniques aux patriarches, aux prêtres, aux prophètes et surtout aux rois qui sont présentés, I Reg., x, 6 ; xvi, 13 ; Is., lxi, 1, comme ayant reçu dans une mesure toute spéciale l’esprit de Dieu.

Il s’ensuit qu’au sens strict du mot seules seraient messianiques les prophéties qui se rapportent à la personne du Messie. Mais comme elles font partie d’un ensemble plus vaste d’espérances qui toutes visent la même époque, il y a lieu de prendre le terme de prophéties « messianiques » dans un sens plus large, sus ceptible de s’appliquer à toutes les prévisions de l’avenir chez les prophètes.

Nous distinguons donc tout d’abord deux genres de prédictions messianiques : au sens large le messianisme est l’attente du royaume de Dieu sur la terre qui doit s’établir à la fin des temps et auquel, sous la préséance des Israélites, tous les peuples appartiendront ; au sens strict, il est l’espérance en un roi idéal, le Messie, qui doit gouverner le monde en substitut visible de Dieu.

Il y a cependant des prophéties dans l’Ancien Testament qui ont trait à l’avenir glorieux de l’humanité, mais auxquelles le terme « messianique » ne s’applique pas intégralement ni dans l’un ni dans l’autre sens. Ce sont celles où le bonheur futur n’est pas clairement donné comme appartenant à une époque distincte de la période actuelle, ou bien n’est pas rattaché au sort d’Israël. Ces oracles ne sont pas, au moins du point de vue de l’Ancien Testament, des prophéties explicitement messianiques. Tout au plus peut-on les tenir pour implicitement messianiques.

Tandis que cette distinction n’est pas communément faite par les auteurs, l’exégèse des textes prophétiques en a fait introduire une autre, moins importante, celle de prédictions directement et indirectement messianiques. Les premières, qui forment la grande majorité, sont des oracles qui se rapportent uniquement et immédiatement au Messie ou au temps messianique ; les autres comprennent quelques textes dans lesquels les événements et les personnages décrits sont historiques, mais en même temps conçus comme figures de ce qui doit arriver à la fin des temps. Ces textes indirectement messianiques correspondent à cette donnée suivant laquelle l’Ancien Testament, parce qu’il est une préparation du Nouveau, renferme de nombreux actes et personnages qui sont des types de ce qui doit arriver dans la plénitude des temps. Les prophètes eux-mêmes ont parfois relevé le rôle figuratif des événements et institutions de leur peuple ; c’est ainsi qu’ils ont présenté l’exode comme symbole du retour d’Israël au moment de l’ouverture de l’ère messianique, Is., x, 24, 26 ; Mich., vii, 15-16, Ez., xx, 35-36. La tradition patristique et théologique a enrichi les prophéties messianiques proprement dites de quelques-uns de ces types.

Les différentes nuances dont le terme « prophéties messianiques » est susceptible peuvent être classées dans le schéma suivant :

Prophéties messianiques :

, , … (au sens strict,

explicitement i, „

directement) au sens lar 8e ( ou implicitement

ou indirectement (= d’une façon typique).

Toutes les prophéties messianiques, parce qu’elles’visent la fin de l’ordre actuel sont en même temps des prédictions eschatologiques, de sorte que la plupart des exégètes protestants nomment aujourd’hui leur ensemble non pas messianisme, mais eschatologie de l’Ancien Testament. Elles forment l’eschatologie terrestre qui est si différente de l’eschatologie transcendante.

Méthode.

Cette détermination du messianisme

dicte une méthode en conséquence.

Suivant la règle fondamentale qui préside à l’interprétation des Écritures nous avons à chercher le sens littéral, et par conséquent nous avons principalement à nous placer au point de vue de l’Ancien Testament, c’est-à-dire que nous devons chercher à comprendre les prédictions non pas en premier lieu à la lumière de leur réalisation, mais d’après leurs propres termes. De cette manière seulement on peut saisir l’idée que les prophètes et leurs auditeurs se sont faite de l’ère messianique.

Conformément à ce principe, notre tâche sera de suivre tout d’abord le messianisme dans son développement historique en étudiant les différentes prophéties dans l’ordre chronologique de leur succession. La base indispensable d’une telle étude est la critique littéraire dans la mesure où elle a réellement précisé nos connaissances sur l’origine des textes prophétiques. Elle entre d’autant plus en jeu que le caractère messianique de bien des passages et non des moins importants sert précisément — souvent d’une façon injustifiée — d’indice pour en fixer la date.

Cette attention donnée à l’origine des textes messianiques permet de les placer dans leur milieu historique et par là de les mieux comprendre ; car les prophètes mêlent toujours à leur description du salut messianique des traits empruntés aux circonstances de leur temps.

En suivant la même méthode, on est amené à tenir également compte pour l’intelligence de ces prédictions de l’ensemble des vues prophétiques de leurs auteurs. Dans la littérature prophétique les promesses de salut ne sont pas des visions isolées ; elles sont au contraire inséparablement liées à la manière dont les voyants envisagent l’avenir du peuple et des autres nations en général. Elles forment dans leurs discours par rapport aux exhortations, reproches et menaces, la partie presque toujours la moins étendue. On en aurait donc une conception incomplète et même fausse, si on n’apercevait pas comment dans les tableaux prophétiques la lumière des promesses est contrebalancée par les ombres qui les entourent. C’est pourquoi nous donnerons une esquisse des perspectives de chaque prophète. Ainsi se dégagera d’autant mieux son espérance messianique.

Au terme de cette analyse viendront logiquement quelques considérations d’ordre général. Celles-ci se rapportent d’abord à l’origine et au développement du messianisme. La nature même du sujet impose ensuite une triple comparaison.

Il y a lieu d’abord de rapprocher les multiples prophéties, pour les résumer, en relever les ressemblances et les différences, y distinguer les éléments importants et accessoires, en obtenir une idée d’ensemble.

Ensuite il faudra mettre les idées messianiques d’Israël en parallèle avec les idées semblables ou prétendues telles des autres peuples de l’ancien Orient. Étude d’autant plus nécessaire aujourd’hui que beaucoup d’exégètes ont voulu prouver par l’étude comparative des religions que le messianisme juif n’est pas autochtone, et que son origine et son sens s’expliquent par les aspirations toutes pareilles d’autres nations.

En troisième lieu nous devrons comparer les idées messianiques de l’Ancien Testament avec les données du Nouveau, c’est-à-dire étudier enfin l’espérance messianique à la lumière de son accomplissement.

La solution de ces problèmes fondamentaux du messianisme suppose évidemment au préalable la connaissance exacte des faits.

I. Ouvrages sur l’eschatologie messianique. — 1° Catholiques. — L. Rcinke, Die messianischen Weissagungen bei den grossen und kleinen Prophelen, 1859-62 ; II. Losètre, Messie, dans Dictionnaire de la Bible, t. IV, col. 1032-1040 ; J. Touzard, article Juif, II’partie : l’espérance messianique, dans Dictionnaire apologétique, 1915, t. ii, col. 1014-1654 ; M. Wolff, Messianische Weissagungen, 1911, 2e édit., 1922 ; G. Hoberg, Katecliismus der messianischen Weissagungen, 1915 ; N. Peters, Weltfrtede und Prophelen, 1917 ; J. Dôller, Die Messiaserwarlung im Allen Testament, 2° édit., 1921 ; S. Grill, Die I.ilirc lier Ileiligen Schrift vom Iinde der Wclt, 1921 ;  !.. Diirr, Vrsprung und Ausbau der isrælitischjùdischen I Icilundscruiartung, 1925 ; Fr. Nôtscher, Altorientulischer und alttestamentlicher Au/erstehungsgluubc, 1920.

2° Protestant*. — E. V. Hengstenberg, Christologic des Allen Testament es, 1854-57 ; C. v. Orclli, Die altlestament liche Weissagung von der Vollendung des Gottesreiches, 1882, article Messias, dans Protestantische Realencyclopddie, 1903, t. xii, p. 723 sq. ; E. Riehm, Die messianische Weissagung, 1885 ; Ch. A. Briggs, Messianic Prophecꝟ. 1886 ; V. H. Stanton, The Jewish and the Christian Mcssiah, 1886 ; Messiah, dans J. Hastings, The Dictionary of the Bible, 1900, 1920, t. iii, p. 352-357 ; Fr. Delitzsch, Messianische Weissagungen in geschichtlicher Folge, 1890 ; H. Gunkel, Schôpfung und Chaos in Urxeil und Endzeit, 1895, 2e édit., 1921 ; P. Volz, Die vorexilische Jahveprophetie und der Messias, 1897 ; E. Hiilui, Die messian. Weissagungen des isrælitisch-jiidischen Volkes, t. i, 1899 ; V. Nowack, Die Zukunftshoffmmgen Isræls in der assyrischen Zeit, dans Iloltzmannfestschrift, 1902 ; H. Gressmann, Der Vrsprung der isrælitisch-jiidischen Eschatologie, 1905 ; E. Bertheau, Die alltestamentliche Auferslehungshofjnung, 1905 ; J. Richter, Die messianische Weissagung und ihre Erfullung, 1905 ; W. Môller, Die messianische Erwarlung der vorexilischen Prophelen, 1906 ; H. Schmidt.Der Vrsprung der isrælilisch-jùdischen Eschatologie, dans Theologische Bundschau, 1906 ; W. O. E. Œsterley, The évolution oj the messianic Idea, 1908 ; A. Schulte, Die messianischen Weissagungen des Allen Testamentes nebst dessen Typen iibersetzl und kurz erklàrt, 1908 ; E. Sellin, Die isrælitisch-jùdische Heilandserwartung, 1909, Der alttestamentliche Prophetismus, IIe partie, Aller, Wesen und Vrsprung der altlestamentlichen Eschatologie, 1912 ; W. Eichrodt, Die Hofjnung des ewigen Friedens im alten Israël, 1920 ; W. Caspari, Die Anfànge der alttestamentlichen messianischen Weissagung, dans Neue kirchliche Zeitschrifl, 1920, p. 455 sq. ; A. Causse, Israël et la vision de l’humanité, 1924 ; H. Schmidt, Der Mythos vom wiederkehrenden Kônig im Allen Testament, 1925 ; G. Hôlscher, Die Vrsprùnge der jiidischen Eschatologie, 1925 ; E. Konig, Die messianischen Weissagungen des Alten Testaments, 1925 ; A. v. Gall, HaaiÀsta toC WsoC, Eine religionsgeschichtliche Studie ZUT vorkirchlichen Eschatologie, 1926 ; Nathaniel Micklem, Prophecy and eschatology, 1926 ; G. R. Berry, Messianic-Predictions dans Journ. of Bibl. Lit., 1926, p. 232 sq. ; W. Israël et H. Schadel, Der Messias und das Volk Israël, 1927.

II. Ouvrages sur le prophétisme.

W. R. Smith, The prophets of Israël, 1897 ; Cornill, Isrælitischer Prophetismus, 1897 ; R. Kittel, Prophétie und Weissagung, 1899 ; O. Procksch, Geschichtsbetræhtung und Geschichtsiiberlieferung bei den vorexilischen Prophelen, 1902 ; A. Davidson-Paterson, Old Testament Prophecꝟ. 1904 ; B. Bantsch, Prophétie und Weissagung, dans Zeitschrifl fur wissenschaftliche Théologie, 1908 ; J. Touzard, Les prophéties de l’Ancien Testament, dans Revue du Clergé français, 1908, t. lvi, p. 535-548 ; E. Mangenot, Prophétisme, dans Dictionnaire de la Bible, t. v, col. 735-747 ; E. Sellin, Der alttestamentliche Prophetismus, 1912 ; G. Hôlscher, Die Prophelen, 1914 ; W. Cossmann, Die Enlwickelung des Gerichlsgedankens bei den alttestamentlichen Prophelen, 1915 ; B. Duhm, Isræls Prophelen, 1916 ; E. Tobac, Les prophètes d’Israël, 1919-1921 ; W. Baumgartner, Die Auflassungen des Jahrhunderts vom isrælitischen Prophetismus, dans Archiv fur Kullurgeschichte, 1922 ; S. Buzy, Les symboles de l’Ancien Testament, 1923 ; A. Condamin, Prophétisme israélite, dans Dictionnaire apologétique, t. IV, col. 386-425 ; L. Dûrr, Wollen und Wirken der alttestamentlichen Prophelen, 1926 ; M. A. van den Oudenrijn, De lirophetice charismate in populo isrælitico libri quaituor, 1926.

Voir en outre les Manuels d’histoire des religions et de théologie biblique, cités dans Judaïsme, t. viii, col. 1635.