Dictionnaire de théologie catholique/MESSE VI. La messe en Orient du IVè au IXè siècle 3. La doctrine sur le sacrifice de la messe et le développement des rites liturgiques

Dictionnaire de théologie catholique
Texte établi par Alfred Vacant, Eugène Mangenot, Émile AmannLetouzey et Ané (Tome 10.2 : MESSE - MYSTIQUEp. 18-19).

III. La. doctrine sur le sacrifice de la messe ET LE DÉVELOPPEMENT DES RITES LITURGIQUES.

C’est surtout à partir du ive siècle que les liturgies orientales se diversifient et s’enrichissent dé nouvelles formules et de nouvelles cérémonies. Ces prières et ces cérémonies ont souvent une portée dogmatique, et traduisent, mieux peut-être que les textes des Pères et des docteurs, la pensée de l'Église. Il ne saurait être ici question d’entrer dans un examen détaillé des formules et des gestes symboliques qui

composent la trame des messes orientales. Voir Orientales (liturgies). Nous allons nous borner à attirer l’attention des théologiens sur quelques expressions et quelques rites particulièrement significatifs.

Remarquons d’abord que, dans presque toutes les liturgies orientales, la mémoire de la résurrection du Sauveur est associée à la mémoire de sa passion, à la fin de la formule de consécration du pain. On fait dire à Notre-Seigneur : Toutes les fois que vous mangez de ce pain et que vous buvez à ce calice, vous annoncez ma mort et vous confessez ma résurrection, tov éfxôv Gxvatov xaTXYY£^eT£> tt)v èjrrçv àvâerracRv ôpioXoYSÏTe. Sans doute, dans la prière qui suit, on rappelle non seulement la résurrection, mais aussi l’ascension et même le second avènement du Sauveur au dernier jour ; mais la résurrection est l’objet d’une mention spéciale pour bien montrer que la divine victime de l’autel est dans son état glorieux et qu’elle ne peut être immolée que d’une manière symbolique. C’est vraisemblablement pour signifier la résurrection que, dans toutes les liturgies, on rencontre le rite de la mixtion des deux espèces, précédée de la fraction de l’hostie, qui représente le crucifiement. Ce double symbolisme est expressément marqué dans VOrdo communis de la liturgie syriaque, Renaudot, op. cit., t. ii, p. 22 ; cf. aussi Eutychius de Constantinople, Sermo de paschate, P. G., t. lxxxvi b, col. 2396 A : r xlâaiç toû àpTou toû Ttptiou tyjv cr-payYjv S7)XoL Dans la liturgie copte de saint Basile, la résurrection est appelée le complément du sacrifice mystique : Confitemur passio-nem ejus salutarem, mortem ejus annunciamus, credimusque ejus resurrectionem, mysterii complementum. Renaudot, t. i, p. 21.

La messe byzantine présente plus d’une particularité intéressante. Sur la fin de la période que nous étudions, apparaissent les rites assez compliqués de l’avant-messe ou préparation des oblats. L’idée principale qui s’en dégage est que la messe est la reproduction mystique de sacrifice de la croix. Le prêtre, prenant de la main gauche un pain ou irpocrcpopâ, et tenant la lance de la main droite, fait un triple signe de croix sur le pain avec la lance en disant à chaque fois : En mémoire de Notre-Seigneur, Dieu et Sauveur Jésus-Christ. Puis il plante la lance dans le côté droit de la CT’f payîç ou empreinte carrée gravée sur le pain, et coupe en disant : Comme une brebis, il a été conduit à la boucherie. Il fait la même opération dans le côté gauche de l’empreinte, en disant : Et comme un agneau sans tache, muet devant celui qui le tond, il n’ouvre pas la bouche ; puis dans la partie supérieure, en disant : Dans son humilité, son jugement a été exalté. Introduisant en biais la lance du côté droit de la prosphora, il enlève le saint pain (qu’il doit consacrer et que les liturgistes appellent souvent l’agneau) en disant : Sa vie est enlevée de la terre. Le diacre : Immolez l’agneau. Le prêtre immole l’agneau, c’est-à-dire qu’il l’entaille assez profondément en forme de croix, en disant : L’Agneau de Dieu est immolé, qui enlève le péché du monde, pour la vie et le salut du monde. Puis il retourne le pain de manière à avoir en haut l’empreinte de la croix, et le diacre ayant dit : Percez, Seigneur, il perce le pain avec la lance du côté droit juste sous les lettres I S, en disant : Un des soldats lui perça le côté de sa lance, et aussitôt il en sortit du sang et de l’eau. Ces rites réalistes pratiqués sur le pain de l’oblation, avec les paroles qui les accompagnent, en disent assez long sur la relation entre le sacrifice de la messe et celui de la croix. Cf. S. Pétridès, La préparation des oblats dans le rite grec, dans les Échos d’Orient, 1900, t. iii, p. 65-78. C’est aussi au même symbolisme qu’il faut rapporter, d’après certains auteurs, la curieuse pratique de verser quelques gouttes d’eau chaude dans le calice, un

peu avant la communion, immédiatement après la fraction de l’hostie et le mélange des deux espèces. L’eau chaude ou Çéov rappelle l’eau qui coula du côté du Sauveur, quand le soldat le perça de la lance. Quelques auteurs cependant, comme Syméon de Thessalonique, De divino templo, 94, P. G., t. clv, col. 741, y voient le symbole de la divinité, qui ne fut pas séparée du corps du Sauveur après sa mort sur la croix, tandis que, d’après Nicolas Cabasilas, Exposilio lilurgiæ, c. xxxvii, P. G., t. cl. col. 452, c’est la descente du Saint-Esprit, au jour de la Pentecôte, qui est signifiée par ce rite. Cette interprétation cadre mieux avec les paroles prononcées par le prêtre en bénissant le Çéov. Cf. Goar, Euchologium Grsecorum, Venise, 1730, p. 127-128 ; sur l’antiquité de cet usage, voir Pargoire, L'Église byzantine de 527 à 847, Paris, 1905, p. 101-102.

Le rôle de Jésus pontife est bien marqué par ces paroles de la messe de saint Basile, telle qu’on la trouve dans l’euchologe Barberini de la fin du viiie siè cle : « Tu es celui qui offre et celui qui est offert, celui qui consacre et qui est consacré. Tu as été constitué notre pontife, et tu nous as confié le ministère sacré du sacrifice liturgique et non sanglant, Zù el ô Trpooçépcov y.ocl 7Tpoacpep6fi.£vcç xal àyidcÇcov xai. àyiatlôu.evoç. » Brightman, Liturgies castern and western, t. i : Eastern Liturgies, Oxford, 1896, p. 318. Les rubriques qui accompagnent la prononciation des paroles dominicales : Hoc est corpus meum, etc., indiquent suffisamment que la consécration des oblats s’opère à ce moment et contredisent l’opinion des Grecs modernes sur la valeur consécratoire de l'épiclèse du Saint-Esprit. Cf. Goar., op. cit., p. 61 et 120. Signalons aussi l’expression : xà Û7ro ; j.vr / ji.aTa toû <rcùT7)p(ou aÙToù 7tâ00'jç, pour désigner l’eucharistie, qui se lit dans l’anaphore de la messe de saint Basile.

La liturgie syrienne avec ses nombreuses anaphores abonde aussi en rites et en formules à portée dogmatique. Elle se divise en trois parties. La première correspond à peu près à la prothèse des Grecs, et reçoit le nom de sacrifice de Melchisédech. En versant le vin dans le calice, le prêtre dit : Hoc vinum, quod est lypu.s sanguinis, qui /huit nobis ex latere Filii tui dilecti Jesu Christi ; et en mélangeant au vin quelques gouttes d’eau, il ajoute : Hanc etiam aquam, quæ est typus aqu.se illius, quæ /luxit nobis ex latere dilecti Filii, etc. Benaudot, op. cit., t. ii, p. 3. La seconde partie, pendant laquelle le prêtre encense l’autel et les oblats et fait une première commémoraison des vivants et des morts, s’appelle le sacrifice d’Aaron. On y trouve ce passage, qui exprime bien l’idée totale de la messe, commémoraison non seulement de la mort du Sauveur — qui reste pourtant au premier plan — mais aussi de tous ses mystères : Memoriam Domini Dei et Salvatoris nostri Jesu Christi lotiusque cjus dispensationis salutiferse pro nobis agimus. Ecce cnini annuntiationis cjus per archangelum vigilem, nativitatis cjus in carne, baptismi cjus in Jordane, passionis cjus saluturis, elevationis ejus in cruce, mortis ejus vivifiese, sepulluræ ejus gloriosw, resurrectionis prwcliiriv, ascensionis in cœlum sessionisque ejus ad dexteram Dei Patris, juxta diuinum ejus ad nos prweeptum, commemoradonem nunc celebramus super eucharistiam islam, quee coram nobis proposita est. Benaudot, ibid., p. 16. Avec la lecture de l'Épître et de l’Evangile commence le sacrifice de Jésus-Christ. Parmi les nombreuses messes syriennes, la plus important est celle de saint Jacques, frère du Seigneur. Elle insiste surtout sur le caractère propitiatoire du sacrifice eucharistique. Cf. Renaudot, ibid., p. 37, 38, II. Signalons dans une prière attribuée à Jacques docteur (on ne dit pus lequel) ce passage sur le prix « lu sacrifice de la masse : Aspice délie ta, sed aspice

simul sacrificium quod pro ipsis ofjertur, quia multo majus est sacrificium et victima quam reatus. Ibid., p. 22.

Le travail qui précède ayant été fait directement sur les sources, nous croyons inutile de donner une longue bibliographie, qui ferait double emploi soit avec celle qui a été donnée dans cet article même pour les trois premiers siècles, soit avec celles qui se trouvent aux différentes sections de l’article Eucharistie, ou à l’article Épiclèse eucharistique. Signalons seulement les ouvrages de quelques théologiens, où la preuve patristique sur le sacrifice de la Messe reçoit quelque développement : Bellarmin, Controversiæ, t. iv, De euebaristia et sacrificio missæ libri sex, Venise, 1724 ; Duperron, Traité du S. Sacrement de l’eucharistie, Paris, 1622 ; Petau, Dogmata theologica, De incarnatione, t. XII, c. xii-xiii, et Thomassin, Dogmata theologica : De Verbi Dei incarnatione, t. X, c. xvi, pour l’exercice du sacerdoce de Jésus-Christ ù la dernière cène ; Arnauld et les autres auteurs de la Perpétuité de la foi de l'Église catholique sur l’eucharistie, éd. Migne, 4 vol., passim ; voir t. IV, la VIIe lettre du P. Scheffmacher sur le sacrifice de la messe, col. 1107-1142 ; J. Assémani, Codex lilurgicus Ecclesiæ universæ, Rome, 1751, t. iv, p. 25 sq. ; N. Gihr, Die heilige Sacramente, Fribourg-en-Brisgau, 1897, t. i, p. 627-634 ; M. de La Taille, Mysterium fidei de augustissimo corporis et sanguinis Christi sacrificio atque sacramento, Paris, 1921, passim, où la tradition orientale est largement utilisée.

Pour les liturgies orientales, voir Goar, Euchologium Graxorum, Paris, 1647, Venise, 1730, p. 47-190 ; Renaudot, Liturgiarum orientalium collectio, Paris, 1716, Francfortsur-le-Mein, 1847, 2 vol., avec de savantes introductions et notes ; C. A. Swainson, Greek Liturgies, Cambridge, 1884 ; Brightman, Liturgies eastern and western, t. I, Eastern Liturgies, Oxford, 1896 ; P. de Meester, article Grecques (Liturgies), dans le Dictionnaire d’archéologie et de liturgie, t. vi, col. 1591-1662.