Dictionnaire de théologie catholique/MAGIE II. La chose

Dictionnaire de théologie catholique
Letouzey et Ané (Tome 9.2 : MABILLON - MARLETTAp. 53-59).
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II. La chose. —

S’il est difficile de bien dégager la notion de magie des notions plus ou moins voisines, de lui attribuer toute sa compréhension, rien que sa compréhension, il est incomparablement plus malaisé de se prononcer sur la réalité de la magie. A la notion de magie, y a-t-il quelque chose qui réponde dans l’histoire des peuples, et quoi ?

Celle question générale peut avantageusement se résoudre en trois ou quatre plus particulières. Dans une féerie, on peut considérer l’attitude du parterre, le rôle supposé ou prétendu des acteurs visibles, enfin le rôle de l’acteur invisible, le machiniste. De même ici, on distinguera : 1° la croyance à la magie dans la foule, témoin de phénomènes insolites ; 2° la prétention du magicien ou du sorcier devant ce témoin ; 3° les tentatives et pratiques magiques du même magicien ; 4° l’efficacité des pratiques magiques, ou la mise en branle d’une puissance vraiment surhumaine. Aux trois premières questions la réponse n’offre pas de difficulté sérieuse.

Croyance populaire à la magie.

 Oui, la croyance

à la magie existe dans la foule. Si elle n’existait pas, on ne rencontrerait pas aussi répandue une notion de la magie. Quand même la magie serait une chimère, il y a précisément toujours des gens pour croire à la chimère. Cette croyance est pour ainsi dire universelle : tous les temps, tous les pays ont cru plus ou moins à la magie.

Prétentions avouées des magiciens.

S’il y a des

gens prêts à y croire, il y aura des gens pour la pratiquer, pour prétendre la pratiquer, au bénéfice du public ou à son détriment. Cela s’explique très naturellement, du côté du magicien, par le désir de se distinguer, de dominer, de se satisfaire, de gagner de l’argent ; du côté de la foule, par l’attrait pour le mystérieux, le merveilleux, par le désir de se préserver des puissances occultes ou de se servir d’elles pour échapper aux maux présents, pour se procurer des avantages, des satisfactions de toute sorte. Ces tendances sont fortifiées par la persuasion fréquente que les maux viennent aux hommes de causes mystérieuses, supra-sensibles.

Recours aux pratiques magiques.

Enfin, s’il y

a un public prêt à croire, s’il y a des hommes prêts à en faire accroire, à se poser comme magiciens, il y aura des hommes pour tenter de lier partie avec ces puissances mystérieuses et préternaturelles. Cela ne saurait manquer tant qu’il y aura des hommes crédules, suggestionnâmes, passionnés ou pervers. — Voilà pourquoi dans toute histoire des diverses religions, on attend un chapitre sur la superstition : divination, magie. Quelques exemples suffiront.

Chez les populations de culture inférieure, chez les Primitifs, le magicien, le sorcier sont des personnages importants, redoutés, puissants. Christus, p. 61, 68. La magie partout s’attache à la religion, mais en reste distincte. Le Roy, La religion des primitifs, p. 425, 452. Nous aurons à revenir plus en détail sur les Primitifs dans la IVe partie. Ici, nous emprunterons nos exemples à l’histoire des peuples civilisés.

Chez les Babyloniens et les Assyriens, la magie est très développée et très ancienne. Le magicien ou incantateur figure parmi les prêtres et la magie se mêle souvent au culte religieux. D’ailleurs, le magicien a un rôle bienfaisant : protéger l’homme contre les puissances hostiles, morts, démons, sorciers. Christus, p. 703 ; Où en est l’histoire des religions ? t. i, p. 156 ; Hastings, Magic, p. 253.

Chez les Égyptiens, « la pratique de la magie nous est attestée par des documents de toutes les époques. Elle atteint son maximum, semble-t-il, au temps de l’empire romain ». Christus, p. 644. La magie égyptienne a exercé son influence sur celle de plusieurs autres peuples. En Egypte comme en Babylonie et en Assyrie, la magie est mêlée assez intimement avec la religion, et l’on trouve des pratiques magiques dans le culte des dieux et dans le culte des morts. Hastings, Magic, p. 273 a. Mais, comme il a été remarqué plus 1517

M u ; ii :, RÉALITÉ

L518

haut, toavent un rite est censé contraignant pour tel

dieu inoins par sa nature que par un décret de M dieu : ce rite retient donc un caractère religieux.

Chez les Celtes, les druides étaient, surtout a une époque relativement basse, moitié savants, moitié

ciens. Christus, p. 571. leurs pratiques magiques

sont très nombreuses, et les sorciers souvent sont des comme des êtres surnaturels. Hastings,

.<-. p. 'j : >7 (i.

s bouddhistes, la magie bien que condamnée en principe, est fréquente, grâce probablement à l’iniluence de l’Hindouisme. Hastings, p. 255 b, 271 ».

s Chinois ont été île tout temps tort adonnés a la

.. La magie, souvent mélangée à la religion,

occupe dans leur littérature une place considérable.

Magic, p. 259 a, 260 b. « Les magiciens sont

i s pouvoir faire par leurs formules les choses les plus fantastiques. Ils enlèvent ou changent a volonté

arties du corps. Us pratiquent toutes les formes de l’envoûtement, dessinant le portrait d’une personne qu’ils font ensuite souffrir ou mourir en y enfonçant des épingles ; fabriquent des figurines ou des objets en papier, qu’ils lancent contre leurs victimes et qui se changent en agresseurs réels… > I.. Wieger, S. J. ( Histoire : es religieuses et des opinions philo sophiques en Chine, 2e édit., Zi-ka-wei. 1922.

Au Japon, la magie est partout et se trouve intimement mélangée avec la religion. Hastings, p. 296.

ins le peuple, les superstitions sont très vivæcs.

roit toujours aux possessions par le renard ou par le chat. Les bonzes continuent à faire un grand commerce de charmes, d’amulettes. tDictionn. apolog., art. Japon, t. ii, col. 1208.

Chez les Grecs et les Romains, la magie était très

ioppée : même on la rencontre souvent dans le culte officiel. Il paraît impossible de remonter très haut dans le passé et de dégager les formes primitives propres aux Grecs ou propres aux Romains : IL Hubert y a renoncé dans l’art. Magie du Dictionn. des antiquités de Daremberg et Saglio. Cf. Hastings, p. 269 b. D’ailleurs, cette magie gréco-romaine n’est même pas originale ; elle semble être au con Huent des magies orientales : perse, juive, cypriote, égyptienne. Daremberg et Saglio, t. in b, p. 1504 b. Aux Actes des apôtres, xix, 19, nous voyons les Éphésiens apporter à saint Paul, pour les brûler, une grande quantité de formulaires magiques.

Dans le peuple même à qui Dieu avait confié sa

lation surnaturelle, dans le peuple juif, la croyance à la magie était très répandue, les pratiques magiques, assez fréquentes. Les Hébreux étaient très portés à suivre les mauvais exemples des païens ; or, ils avaient ou avaient eu sous les yeux de très mauvais exemples en Egypte et dans le pays de Chanaan. Vous avez abandonné votre peuple parce qu’ils… pratiquent la magie comme les Philistins. Is., ii, 6. La divination et la magie nuisaient grandement à la pureté de la religion ; aussi étaient-elles très sévèrement châtiées. Ex.,

. 18 ; Lev., xx, G, 27 ; Deut., xviii, 10, 11.

Le christianisme, en pénétrant dans le monde juif et dans le monde païen, se heurta plus d’une fois à la La doctrine chrétienne réprouve toute pratique magique ; mais les néophytes ne s’affranchissent pas toujours des superstitions parmi lesquelles ils ont grandi ; sans compter que la superstition, nous l’avons indiqué, peut naître et se développer spontanément dans toute àme humaine. On se rappelle l'épisode de Simon de Samarie, A et., viii, 9-19 : converti de la veille, il veut acheter a Pierre et a.Jean le pouvoir de donner comme eux l’Esprit ; il obtient seulement un blâme sévère de saint i’ierre, et l’humiliant privilège d'être le parrain de la simonie. Les Actes, xiii, 6-8, nous parlent encore de Barjésu ou Élymas, Juif

magicien et faux prophète, adversaire déclare de l'.uil

et.te Barnabe a Paphos.

Chose curieuse, d’où l’on peut sans doute conclure à l’Influence de la magie juive sur la magie des peuples entres en contact avec les Israélites : beaucoup de termes ou de formules d’incantation chez, les différents peuples sont empruntes à l’hébreu. Voir Die tionn. de la Bible, art. Magie, t. iv, col. 568. La m égyptienne jouit d’un pareil honneur.

Enfin, dans le peuple chrétien, même chrétien de

longue date, la croyance a la magie et le recours au pratiques magiques ne sont pas rares, l.e recours aux pratiques magiques n’a rien de chrétien, il est même

anti-chrétien au premier chef. Pour ce qui est de la

croyance a l’efficacité de ces pratiques, elle s’explique en grande partie par les souvenirs des religions païen nés. L’n exemple. l’Allemagne : historiens catholiques el historiens protestants arrivent a la même conclusion. . L’opinion moderne qui veut que les croyances superstitieuses aient ete propagées en Germanie par les Romains, est très peu fondée. Il est plus exact de dire que, chez les peuples germains, la sorcellerie a pris un développement plus grand, la superstition, des formes plus fantastiques que chez les Grecs et les Romains. La mythologie de ces peuples a donné tout naturellement naissance à la sorcellerie. » Ainsi parle le catholique J. Jansscn, dans La civilisation en Allemagne, III" part., c. iii, trad. E.Paris, t. viii, p. 519. Le protestant S. Riczler, dans sa Geschichte der Hexenprozesse in Baijcrn, Stuttgart, 1896, est d’un avis tout pareil : Il est certain que les anciennes superstitions germaines ont fourni de puissants éléments à la sorcellerie. On pourrait presque dire que cette folie de sorcellerie, cause des grandes persécutions de la fin du xve siècle — l’auteur pouvait bien ajouter tout le xvie siècle, le siècle de Luther et de la Réforme — procède plus encore de la superstition germaine que de la mythologie romaine. P. 10. Cité dans Janssen, loc. cit., p. 519, n. 3.

Il faut cependant reconnaître que la croyance chrétienne au démon, à sa puissance, à ses interventions néfastes dans l’histoire de l’humanité et des âmes, a pu favoriser la croyance à la magie, et même la faiblesse et la méchanceté humaine aidant, le recours à la magie, la tentative magique.

La presque universalité dans le temps et dans l’espace de la croyance à la magie, le recours fréquent même en pays chrétien, aux pratiques magiques, sont deux faits assez bien établis et généralement reconnus. L’accord cesse complètement quand il faut apprécier la réalité des phénomènes et leur caractère préternaturel.

Efficacité réelle ou prétendue des pratiques magiques.

De tout temps, même pendant la superstitieuse antiquité, il y a eu des hommes pour nier ce

caractère ou pour en douter : tels les sceptiques, les épicuriens, les cyniques. Qu’il suffise de citer Sextus Empiricus, Contra Malhematicos et Lucien, Pseudomantis. Ci. Hastings, art. Magic, p. 277 b.

Plus près de nous, l’Encyclopédie du xviiie siècle ne pouvait pas moins faire que de déclarer la « magie surnaturelle ou « magie noire » produite par « l’orgueil, lignorance et le manque de philosophie », bref une manifestation du « fanatisme ». Ed. in-fol., NeufchasteL 1765, t. ix, p. 853 a, 854 a.

L’Encyclopédie des sciences religieuses de Lichtenberger voit dans la magie une science chimérique, que, pendant des siècles, on a crue capable de donner à ceux qui la possèdent la puissance de commander aux éléments. T. viii, p. 511.

Le Grand Dictionnaire Larousse, t. x, p. 916 b, constate que : Aujourd’hui la magie est bien malade, mais elle n’est pas morte… les sorciers sont morts. »

Et cet heureux résultai, au gré de l’auteur de l’article, est dû « au progrès de l’instruction publique ».

Mais il est impossible de résoudre la question présente par voie d’autorité : à un témoin qui nie ou qui doute, on pourrait opposer un ou plusieurs témoins fermement convaincus ; et parmi ceux-ci un certain nombre s’appuient sur la révélation. La question de l’efficacité du rite magique se pose donc. La révélation ou l’expérience apportent-elles une réponse ferme ?

1. l.n révélation. — Il ne semble pas que la révélation tranche le cas de façon péremptoire, en affirmant « les faits de vraie magie, c’est-à-dire des interventions sensibles du démon efficacement et volontairement provoquées par l’homme.

J. Didiot, dans sa Morale surnaturelle spéciale ; Vertu de religion, Paris, 1899, parle assez légèrement des sorciers : « Que les sorciers, autrefois si redoutés, quoique assez peu redoutables peut-être, aient disparu de la société actuelle, nous en sommes véritablement bien aises, » p. 490, n. 618. Cependant un peu plus haut, p. 487, n. G13 fin, après avoir signalé les exagérations et les supercheries fréquentes en la matière, il avance que la révélation surnaturelle garantit « la réalité de bon nombre de faits où la méchanceté diabolique s’ajoute à la malice et à la sottise humaines, pour produire d'étranges phénomènes, impossibles à nier. » A quelle vérité, à quel fait révélé J. Didiot fait-il allusion ? Il ne le dit pas.

Un catholique ne peut évidemment pas nier l’existence du démon, ni son intervention puissante et malfaisante dans le monde. Mais il y a intervention et intervention, intervention spontanée de la part du démon et intervention provoquée par l’homme, par exemple au moyen d’un pacte.

La puissance d’intervention spontanée du démon et son intervention de fait est certaine. Voir ici t. iv, art. Démon, Démoniaques surtout, col. 331, al. 3 : le démon dans l'évangile, et col. 405-407 : action du démon sur les hommes, d’après l’enseignement commun des docteurs. Le démon peut certainement intervenir d’une manière insensible, c’est-à-dire qui ne tombe pas sous l’expérience de l’homme, en agissant sur le composé humain, corps, imagination, sensibilité, pour provoquer ou renforcer certains actes, certaines représentations, certains appétits, sources d’illusions ou de tentations. Là souvent se borne son action. Il est certain pourtant qu’il intervient parfois d’une manière sensible, on veut dire qui tombe sous l’expérience, par exemple, dans les cas de possession. En effet, il est insoutenable que les possédés guéris par Notre-Seigneur dans l'Évangile, fussent de simples névrosés ou hystériques : Jésus, en parlant à l’esprit qu’il chassait, en lui commandant, aurait autorisé, favorisé une croyance superstitieuse extrêmement nuisible. Il aurait joué un rôle indigne de Lui. « Tais-toi, et sors de cet homme. » Luc, iv, 35 « Comment t’appelles-tu ? » demande Jésus au possédé de Gerasa. — « Je m’appelle Légion, » répond Satan ; et Jésus en chassant cette légion du corps de l’homme lui permet d’entrer dans les porcs et de les précipiter dans le lac. Luc, viii, 30-34 ; Matth., viii, 28-33. Voir art. Démoniaques, col. 411.

Tout cela est certain ; mais tout cela ne prouve pas la réalité de la magie, parce que rien de tout cela n’est de la magie. La question précise est celle-ci : « Sommesnous, comme catholiques, obligés de croire à l’existence de la magie noire, d’admettre que des hommes puissent par certaines pratiques, s’assujétir le démon, pour ainsi parler, le contraindre à produire des phénomènes préternaturels, ou du moins obtenir par un pacte qu’il mette sa puissance au service de l’homme pour opérer des prodiges surhumains ? »

On peut songer à trois moyens de preuve : Écriture,

tradition théologique, raisonnement théologique. Or, aucun de ces trois moyens n’aboutit à une conclusion absolument ferme.

Dans l'Écriture sainte, il y a surtout deux passages OÙ il semble être question de vraie magie. Le premier est dans l’Exode, c. vu et suiv., où les magiciens du pharaon rivalisent avec Moïse et Aaron qui, par le secours évident dc^ Dieu, provoquent les plaies d’Egypte. Les insuccès partiels des magiciens confirmeraient l’efficacité des incantations couronnées de suc ces, en montrant que les réussites ne sont pas dues à la supercherie. Pareil raisonnement est loin d'être invincible ; par ailleurs, bien que le recours au démon soit l’explication la plus simple, la plus vraisemblable peut-être, cependant on ne peut pas dire que le Saint-Esprit affirme explicitement l’action du démon, et le récit n’est pas assez circonstancié pour que l’on soit forcé d’exclure toute explication naturelle : illusion, prestidigitation, prétentions non contrôlées, au moins non contrôlées par des témoins impartiaux. Les exégètes, même croyants, ont recouru à diverses explications : preuve assez forte qu’aucune ne s’impose.

Pareil défaut de concorde se retrouve dans l’interprétation du second passage. La pythonisse d’Endor évoque l'âme de Samuel ; celui-ci prédit à Saùl sa' défaite et sa mort. I Reg., xxviii, 7-25. Mais cet épisode offre plus de difficultés que de certitudes. Le démon s’amuse-t-il à décevoir, en prenant les traits de Samuel ? nous avons alors un fait patent de magie. Seulement à côté de cette explication, il y en a au moins deux autres possibles. Peut-être est-ce l'âme de Samuel qui a répondu à l’appel : dans ce cas on ne peut pas dire que l'évocation soit la cause de l’apparition d’une âme juste ; ce qui est exact, c’est que, à l’occasion de l'évocation, Dieu permet l’intervention miraculeuse de Samuel. Autre explication : Saiil, s’il voit ou entend l’apparition, est peut-être le jouet d’une illusion ou d’une supercherie attrihuable à un diable beaucoup plus voisin de la nature humaine ; et, s’il ne voit ni n’entend rien, il reste seulement la parole de la pythonisse ; mince autorité. Il reste aussi en tout cas la prédiction vérifiée par l'événement de la défaite et de la mort : mais les faits ne sont vraiment pas assez complexes pour exclure l’explication naturelle : conjecture vraisemblable, réalisée de fait. D’ailleurs, il est bon de remarquer qu’en semblable matière, événement futur dépendant de l’activité libre de l’homme, le démon en est, comme nous, réduit aux conjectures. Sans doute, il table sur des antécédents plus nombreux et mieux connus ; il aboutit ainsi à des conjectures mieux fondées : différence de degré, non d’espèce.

2. Le sentiment des Pères.

Il faut reconnaître pour la réalité de la magie noire, même pour une réalité assez fréquente, l’existence d’une opinion traditionnelle extrêmement forte. Pourtant, il ne faut rien exagérer, et la masse des références ne doit pas nous accabler. A l’art. Démon, § 2, Démon d’après les Pères, E. Mangenot s’est livré à une étude assez complète, col. 339-384 ; or, la plupart des textes parlent de la nature, de la chute, de la méchanceté, de la puissance des démons pour le mal, mal de la tentation, mal physique, possessions, obsessions, calamités. Parfois aussi il est question de magie ; mais souvent les Pères réprouvent la croyance à la magie, les pratiques magiques ou encore la magie en bloc. Les seuls textes vraiment certains en faveur de l’efficacité de la magie sont ceux où il s’agit explicitement de cette efficacité : et ces textes existent, mais moins nombreux qu’on ne dit parfois ; on peut même avancer que, parmi les textes qui parlent de la puissance du démon, ils tiennent une place relativement minime.

Saint Justin, dans son Dialogue contre Tryphon, 1521

MAGIE, RÉ Ml TÊ

L522

ne --ans hésitation que le démon a trompé tel hommes par les magiciens d’Egypte et par k-s taux prophètes au temps d'Élie. DiaL, 69, P. G., t. wi, eoL 636, D’après ratien, les démons promettent de reinln' la santé par des remèdes magiques ; on redite. dit-il. Ils joignent de bons remèdes a de mauvais : lia trompent et ne guérissent personne. Or. ado, Gr » 17. 18, /' G., t. vi, col. 841, 844. Pour beaucoup d’apologistes et de Pères, les démons habitent les Idoles, les es des dieux, ils sent les dieux mêmes du paganisme, suivant cette parole du l’salmiste : tous les dieux des peuples sont des démons. IV Athenagore, Legatio, 26, /'. G., t. i. col. 949.

Eusèbe constate cette croyance chez les fidèles, '/7, il faut peut-être comprendre « néant ».

Iertullien dit nettement que les magiciens opèrent par la puissance îles démons : Apol., 2'2. P. L., t. i, 104. Il attribue spécialement au démon les tables tournantes : per quos et mensx divinare consuercrunt. Id.. 23, col. 41 1. Les démons sont dans les idoles, en particulier Vénus et Bacchus sont deux démons ; ils sont au théâtre, dans le cirque. De spectac, 7, 8, 10. 12, 26, col. 638 su, .

Saint Cyprien enseigne que les esprits mauvais « se cachent sous les statues et les images des dieux. Ce sont eux qui, par leur puissance, inspirent les devina, animent les entrailles des victimes, gouvernent le vol des oiseaux, dirigent les sorts, rendent les oracles ; ils mêlent toujours l’erreur à la vérité, car ils trompent rt Us se trompent. De iJol. vaniL, 7, /'. L., t. iv, col. 574.

l 'après saint Augustin, il ne faut pas croire tout ce que disent les historiens, mais force est bien d’admettre des phénomènes préternaturels, produits directement par le démon, ou par des hommes, grâce à la magie, art diabolique. « Si nous voulons nier ces prodiges, nous nous mettrons en contradiction avec la vérité des saintes Lettres, a laquelle pourtant nous croyons. » De cir. Dei, t. XXI, c. VI, /'. L., t. xii, col. 716. Dans le De doctrina christiana, après avoir décrit les pratiques superstitieuses et magiques, Augustin ajoute que, par un châtiment providentiel, les hommes qui s’adonnent à la superstition i sont livrés pour être moqués et trompés, comme leurs mauvaises volontés le méritent, aux anges prévaricateurs, moqueurs et trompeurs. L. II, c. xxiii, n. 35, P. L.. t. xxxjv, col. 52. Et, un peu plus loin, « Toutes ces pratiques d’une superstition frivole ou nuisible, fondée sur une sorte d’alliance pestilentielle entre les hommes et les démons… doivent être absolument rejetées et évitées par les chrétiens. » Ibid.. n. 36, col. 53. Saint Léon le Grand, saint Grégoire le Grand, saint Bernard, et beaucoup d’autres parlent de l’action du démon dans le monde ; mais, lg plus souvent, il s’agit de tentations, de calamités provoquées par le démon ou encore, du côté de l’homme, de pratiques magiques, sans que l’on sache si elles aboutissent.

On pourrait certainement apporter d’autres autorités et d’autres textes, même sur l’ellicacité de la magie. D’une façon générale, les Pères de l'Église ne paraissent guère portés à restreindre la puissance du démon ; donc, quand ils parlent de magie, même sans se prononcer explicitement sur l’efficacité des pactes le démon, il est plus vraisemblable qu’ils admettent cette efficacité, mais ce n’est pas sûr. Et puis, attaqués sur ce point précis, se seraient-ils réclamés de la révélation ou de l’expérience'.' Sans doute, on a entendu plus haut saint Augustin en appeler à l’autorité de l'Écriture pour prouver la réalité des prodiges démoniaques, produits directement par le démon ou par des hommes, grâce à la magie. Avec un peu de

riCT. DE THI.OL. CATIIOL

subtilité, on pourrait prétendra que l'évéque d’Hlppouc établit sur l'Écriture le fait que le démon opère îles prodiges, alors que le mode, oirectement ou par

des magiciens, est précision lium.iine. Quoi qu’il eu

soit, la plupart du temps, il n’apparaît pas évidem

ment que les Pères prétendent avoir sur l’elllcacile

de la magie, une certitude théologique.

3. L< raisonnement tMologtque, - Cependant, si la

révélation ne nous oblige pas directement a admettre la redite de la magie, n’arriverait-on pas a la certitude par un raisonnement théologiqne.' Le ilémon

peut Intervenir spontanément d’une façon sensible, cela est hors île doute ; dès lors, pourquoi n’interviendrait-il pas sur l’invitation dune volonté humaine' On ne voit à cela nulle répugnance, ni du côté de Dieu, ni du cote du démon, au contraire. Du côté de Dieu, laisser alors au démon une plus grande puissance, c’est pour l’homme un châtiment qui répond parfaitement à la faute. Du côté du démon, céder à une sollicitation qui Batte son orgueil, qui gratifie sa haine de 1 lieu et sa haine de l’homme, son désir de faire du mal, cela est tout à fait conforme à sa psychologie.

Ainsi l’entend Augustin dans un passage cité en partie plus haut. Les hommes qui s’adonnent à la superstition « sont livrés, comme leurs volontés mauvaises le méritent, aux anges prévaricateurs pour en être moqués et trompés ; car aux anges ce bas inonde a été soumis, suivant le bel ordre établi par la divine Providence ». De doclr. christ., t. II, c. xxiii, n. 35, P. L., t. xxxiv, col. 52. Et pour expliquer que les démons soient attirés, influencés par l’action de l’homme, et en particulier par l’emploi de certains objets, de certaines substances, saint Augustin remarque qu’ils sont attirés « non comme un animal l’est par la nourriture, mais comme un esprit l’est, par un signe ». De civ.Dei, I. XXI, c. vi, P. L., t. xii, col. 716.

Il semble donc que l’on puisse fonder sur la doctrine chrétienne relative aux démons, une haute probabilité en faveur de l’efficacité des pratiques magiques. Mais la conclusion n’est peut-être pas théologique, car l’analogie, dont dépend toute la force du raisonnement, est peut-être objet de lumière naturelle, uniquement.

4. L’expérience.

Cependant est-il besoin de recourir à la révélation ou à des raisonnements détournés, et l’existence de la magie, d’une magie efficace, n’estelle pas un fait patent, établi sur d’innombrables et irrécusables témoignages ? De fait, les témoignages abondent : témoignages de gens intègres, intelligents, témoignages se répartissant sur plusieurs siècles, dans nos pays et dans les pays de mission.

Chez beaucoup de peuples, on trouve la croyance à la magie non seulement dans la foule ignorante et crédule, mais aussi dans la classe instruite et dirigeante. La législation pénale ecclésiastique en particulier, montre a l'évidence que la magie n’a pas été c nsidérée comme une chimère. De même les réprobations multiples des papes, des conciles, des évêques, des écrivains e. clésiastiques et des théologiens. Toutes ces autorités ne sont considérées ici que comme des autorités humaines, témoignant de la réalité des phénomènes au nom de l’expérience.

a) Le droit ecclésiastique. — La plupart des textes de l’ancien droit se trouvent dans le Décret de Gralien. Cf. Wernz, Jus decrelalium, t. vi, n. 323. On rappelle en passant que, le Décret n'étant pas une publication officielle, les documents ne reçoivent pas du fait de l’insertion une valeur nouvelle. Il y a, caus. XXVI, q. v. c. 12, un décret fameux connu sous le nom de Canon episcopi et attribué autrefois à un concile d’Ancyre, tenu en 314. En réalité, le canon episcopi semble emprunté à un capitulairc inédit des rois francs. Cf. Corpus juris can., édit. Friedberg, t. i,

IX, — 49

col. 1030 et not. 1 12. Il n’empêche que ce texte reflète L’opinion qui a régne dans l'Église pendant plusieurs siècles. On y lit : « Les évêques et les prêtres places sous leur autorité, doivent travailler de toutes leurs forces à extirper de leurs diocèses la sorcellerie, ci le bonne aventure, puisque, le diable en est l’instigateur. < Plus loin, le canon décrit les sabbats des sorciers et des sorcières. Évidemment, il croit ceux-ci sous l’influence du démon, mais il n’admet pas la réalité des phénomènes : elles (les sorcières) sont « trompées par les îuses et les illusions du démon… Quantité de malheureux se sont laissé séduire par les extravagants récits de ces femmes, et les tiennent pour très véritables… Ces pauvres abusés se séparent de la vraie foi et retournent aux erreurs des païens, puisqu’ils attribuent au démon un pouvoir divin, ou prennent pour l’effet de sa puissance ce qui n’est qu’illusion, erreur et mensonge. »

Quelques autres canons du Décret de Gratien décernent des peines contre les clercs ou contre les laïcs qui s’adonnent à la magie : les clercs doivent être déposés, enfermés dans un monastère, emprisonnés ; les laïcs de condition servile, condamnés à des châtiments corporels ; les laïcs de condition libre, punis de prison, d’excommunication. Cf. caus. XXVI, q. v, c. 4, 5, 6, 10 ; q. vii, c. 15 ; Ferraris, Bibliotheca, art. Superslilin. n. 40-45.

Dans les autres parties du Corpus, il y a peu de chose. Dans les Décrétâtes, collection de Grégoire IX, authentique celle-là, le titre xxi, du livre V est consacré aux sortilèges. On n’y trouve presque rien qui éclaire la question présente. Au c. 2, on lit un décret d’Alexandre III recommandant au patriarche de Grado que l’on punisse avec indulgence — le pape parle d’une suspense de moins de deux ans — un prêtre qui a consulté l’astrolabe pour retrouver des objets volés dans une église. Éd. Friedberg, t. ii, col. 822.

b) Les documents pontificaux. — Les souverains pontifes ont lancé contre la magie et la sorcellerie plusieurs bulles célèbres : Innocent VIII, Summis desideranles af/ectibus, 5 déc. 1484 ; Léon X, Supernse, 5 mai 1514, § 41 ; Honestis, 15 fév. 1521 ; Adrien VI, Dudum, 20 juil. 1522 ; SixteV, Cœli et terræ, 5 jan. 1586 ; Grégoire XV, Omnipotentis Dei, 20 mars 1623 ; Urbain VIII, Inscrutabilis, 1° avril 1631. Bullarium, édit. Coquelines, t. iii, part. 3, p. 191 ; 400, 499 ; t. iv, part. 1, p. 16 ; part. 4, p. 176 ; t. v, part. 5, p. 97 ; t. vi, part. 1, p. 268. L’historien B. Duhr dans Die Slellung der Jesuilen in den deutschen Hexenprozessen, Cologne 1900, a pu écrire contre l'écrivain protestant Riezler, qui rend l'Église romaine responsable en partie de la croyance à la sorcellerie : « L’argumention de Riezler pèche par un point essentiel : elle confond les doctrines particulières des théologiens avec les décrets dogmatiques de l'Église catholique. L’assistance au sabbat, le commerce amoureux avec le démon, constituent les points essentiels des accusations portées contre les sorcières. Or, toutes ces choses sont complètement étrangères au dogme. Aucune bulle n’a jamais fait mention ni des voyages aériens, ni des danses des sorcières. Et quand bien même il en serait autrement, de telles imaginations ne pourraient jamais entrer dans le système doctrinal de l'Église. » Dans la bulle Summis dèsideranles, Innocent VIII cite le commerce amoureux avec le démon comme un des crimes signalés par les inquisiteurs d’Allemagne. Nous reviendrons sur cette bulle un peu plus bas. « Ce dont il faut convenir, poursuit Duhr, c’est que bien des théologiens catholiques eussent mieux fait d'écrire avec plus de prudence et de circonspection ; mais ce reproche pourrait s’adresser avec plus de justice encore aux juristes. » Cf. Janssen, La Civilisation en Allemagne, t. viii, p. 515 note.

c) Lis décisions conciliaires. — Les conciles particuliers, eux aussi, se sont occupés bien des fois de la magie.

Le concile d’Elvire, en 305, suppose nettement l’efficacité possible des maléfices. i Si un homme en a tué un autre par maléfice, comme il n’a pu accomplir pareil crime sans idolâtrie, il se verra refuser la communion même à la mort. » Can. 6, Mansi, Concil., t. ii, col. 6 ; Hefele, Hisl. des conciles, trad. Leclercq, t. i o, p. 225. Un synode de Riesbach et Freising, au diocèse de Salzbourg, en 799, prescrit d’enfermerles magiciens, sorcières, etc. < et l’archiprétre fera ce qu’il pourra pour les amener à faire des aveux. Néanmoins on n’attentera pas à leur vie. » Can. 15, Hefcle-Leclercq, t. m b, p. 1105.

On ne trouvera sans doute pas beaucoup d’autres textes exprimant la croyance de tel ou tel concile particulier, à l’efficacité des pratiques magiques. Le plus souvent ce qui est condamné, c’est la croyance même à cette efficacité, ce sont encore les pratiques, les tentatives de magie. Ainsi, le synode de Paderborn, tenu en 785, décrète : « Quiconque, aveuglé par le démon, croit, à la façon des païens, que telle personne est sorcière et mange des hommes, et pour ce motif brûle cette personne, en mange la chair ou la fait manger par d’autres, sera puni de mort. » Can. 6, HefeleLeclercq, t. m b, p. 993. Dans les canons du concile de Prague, tenu entre 1346 et 1349, il est décrété que les curés doivent répéter souvent à leurs paroissiens que les pratiques de la sorcellerie sont de pures superstitions, impuissantes contre les maladies des hommes et des bêtes, contre la stérilité de la terre et, de plus, sont défendues sous peine d’excommunication. Can. 56, Mansi, Concil., t. xxvi, col. 75. En 1355, nouveau synode de Prague, qui dans son canon 61 répète la même monition et la même défense. Ou bien les conciles portent des peines contre les magiciens : tels le 1 er synode d’Orléans en 511, can. 30, Mansi, t. viii, col. 356 ; le concile Quinisexte en 692, can. 61, Mansi, t. xi, col. 970 ; le synode d’Aix-laChapelle en 789, IIe série, can. 64, Hefele-Leclercq, t. m b, p. 1032 ; le synode de Grado en 1296, can. 23, Mansi, t.xxiv, col. 1169 ; le synode de Trêves en 1310, can. 81, Mansi, t. xxv, col. 268 : « Aucune femme ne doit feindre de sortir la nuit pour chevaucher avec la déesse païenne Diane ou avec Hérodiade, » cf. can. 79, 80 ; le synode de Salamanque en 1335, c. 15, Mansi, t. xxv, col. 1056.

d) La doctrine d'Églises particulières nous est aussi manifestée par les écrits de quelques grands évêques.

Au ixe siècle, Agobard, archevêque de Lyon, réprouve comme vaine, illusoire, la croyance aux tempestarii, ou faiseurs de tempêtes. Il a tout un traité « contre la sotte croyance du peuple sur la grêle et le tonnerre », contra insulsam vulgi opinionem de grandine et lonitruis. Liber de grandine et tonitruis, P. L.. t. civ, col. 147-158.

Au xe siècle, Burchard, éveque de Worms, publie un examen de conscience basé sur le canon episcopi. Il considère les phénomènes diaboliques du sabbat comme des illusions, tout en admettant que ces illusions ou hallucinations, sont causées par le démon, en punition del’impiété et de l’infidélité des sorcières. Décret., t. X, c. i, P. L., t. cxl, col. 831-833.

En somme, jusqu’au xine siècle, si l’on compare la tendance populaire à croire à l’efficacité des pratiques magiques et les actes officiels de l'Église enseignante, on constate à l'évidence que le rôle de celle-ci est nettement modérateur. Cf. Janssen, op. cit., t. viii. p. 522, n.3. L'Église combat surtout la foi à la réalité des prodiges. Janssen, p. 524, n. 3, 525. Pour un concile d’Elvire qui, vers 305, excommunie celui qui a tué son prochain par un maléfice, plusieurs condamMAGIE, RÉ Al in

iumii surtout la croyance a l.i magie. Le 1Il concile ito !, i, can. 12, affirma qae la magie ne peut

r ni les hommes ni les bêtes. Mansl, ConeiL, t. i. col 89 ; cation Inséré dans le Décret </< Gratien, c. 15, Admoneant, caus. XXVI, q. vu. Prledberg, t i.

P I

l’n synode de Trêves en 1310 explique tout par îles Illusions diaboliques. Cf. Janssen, >p. cit., i. viii, 24, S42. 5 e) La croyana à.’; m Cepen la croyance à la sorcellerie gagnait du lorrain peu a pou. a partir surtout de l’introduction des doctrines gnostiques et manichéennes, qui axaient commencé à s’infiltrer dans notre Occident au moins dès le

celé, en attendant le beau temps des Albl

au xusiècle. Noir ci-dessus art. LuapéiUENS, col.

1045 sq.

Vient la bulle d’Innocent VIII Summli destderantes

tibus.."> dec. 1 (Si. La portée et l’influence de ce

document ont été souvent exagérées par les ennemis

de Rome. Sans doute le pape semble admettre en

de partie la réalité des phénomènes qu’il rapporte ;

ndant il ne prend pas les récits a son compte, il

parle « d’après ce qui est parvenu récemment à notre

connaissance. Pourtant, même si ! avait des doutes

positifs sur l’exactitude des faits, il devait intervenir

pour écarter de la chrétienté Jusqu’à la menace d’un

pareil fléau, et il conférait d’amples pouvoirs aux deux

inquisiteurs, 11. Institorlset J. Sprenger. En tout cela.

il y a tout au plus connaissance d’ordre naturel.

ppuyée sur le témoignage humain. Dans toute cette

bulle, dit l’historien L. Pastor, il n’y a pas trace de

sion dogmatique au sujet de la sorcellerie. » Hl «  toire des papes. Kvm. Furcy-Raynaud, t. v. p. 338,

cf. Janssen. t. viii, p. 53-4. n. 2 et ici, [xiiocbnt VIII,

t. vu. ce. J004.

Enfin, au xv siècle, éclate dans le peuple chrétien une violente épidémie de superstition. C’est peut-être d’or de l’alchimie ; or. si alchimie n’est pas rstition ni magie, il est incontestable qu’à une rue de croyance facile au préternaturel, le dévement de l’alchimie devait favoriser la superstition

  • -en. t. VI, p. 117.

Avec la Réforme, le phénomène prend des proportions colossales. Luther aperçoit l’action du diable toutes les maladies et dans tous les maux, -en. t. vi, p. 43 : 2, 430 et ci-dessus art. LuTHBB, col. 1162 ; ses ennemis sont des possédés, et Lui-même il en butte aux vexations du malin. Janssen, 554, n. 3, 558. On volt a cette époque paraître de nombreux récits intitule- : h> ::’ite Irts riridique et effrayante… Jani t. vi. p. 469-476 La seconde qualité est certainement plus sûre que la première. L’atmosphère, la mentalité iait on ne peut plus favorable a l’éclosion virulente de la croyance a la magie ; et le protestantisme certainement pour quelque chose dans cet état -prits. Les auteurs protestants eux-mêmes proclament que les cas de magie sont bien [dus fréquents depuis la Réforme : preuve de la rage du démon contre le pur évangile. Janssen, t. vi.p. 168. < > : i peut retenir la constatation matérielle et laisser tomber l’explication.

ence de la croyance a la magie amena une recrudescence de la persécution contre les sorières. Janssen. t. viii. p. 528. Cette pertion sévissait d’ailleurs, surtout en Allemagne, depuis le milieu du xv siècle. Cette triste histoire des llerie n’est pas a raconter ici ; elle est seulement rappelée comme un moment significatif de la magie en pleine chrétienté. l’Ile ligne d’une conviction très étendue et très profonde dans l’efficacité des pactes avec le démon et

dans leur fréquence, croyance enracinée non seule

ment dans le peuple Crédule mais chez les hommes les plus cultives, surtout juristes et gens d’Kgliso. Copeu danl pareille conviction n’engage ni ne compromet a fond l’Église comme telle, pas plus que ne lui sont Imputables les cruautés commises, les sentences Iniques, dictées, certaines par un /ele aveugle OU par une peur affolée, mais d’autres par la passion, la convoitise, la vengeance, voire la luxure. Janssen. I. viii, p. 529, al. 3. Après cette remarque, n sera permis de déplorer

que piètres, évêques, théologiens, en trop grand nombre, aient subi la Suggestion de cette hallucination collective. Voir ci dessus, art. l.oos, col. 930.

I [eureusement, le bon sens reagit peu a peu ; et celui qui. après Corneille l.oos. dénonça le plus haut la crédulité générale et la cruauté de la torture, fut un jésuite, l-’red. von Spee (1591-1635), La réaction ne se lit pas toute seule, mais elle se lit. et bientôt les Liens réfléchis, les théologiens en particulier, adoptaient au nom de l’expérience plus que de la théologie,

des positions que plus d’un lient encore aujourd’hui.

f) Les théologiens classiques. — Dans l’ensemble, les grands théologiens à partir du xviie siècle admet lent la realilé et l’efficacité des pactes avec le démon, plus facilement que nous ne le faisons dans cet article.

Tanner, très modéré pour son époque, rejette seulement la réalité des phénomènes qui lui paraissent dépasser les forces du démon, comme la métamorphose d’un corps humain eu chat, souris, oiseau et les voyages des sorcières à travers les airs ; encore parmi ceux-ci, allirme-t-il qu’il y a des voyages réels, prouvés. Théologia scholastica, Ingolstadt, 1626, 1027, t. i, disp. V, De angelis, q. v.dub. 3, n. 12, 13, 11, p. 1501, 1502, 1503. l’n peu plus tard I.aymann admet nettement l’efficacité des pactes explicites on implicites avec le démon. Theol. mor., I. IV, tr. X, c. iv. — Suarez affirme, sans hésiter, cette même efficacité ; il croit même que cette affirmation nous est imposée par la révélation : impossible de nier » sans erreur dans la foi, avance-t-il. De rclig., tr. III, 1. II. c.xiv, n. 5, 7. Les Salmanticenses qui commencent à publier leur Théologie morale un demi-siècle après Tanner, sont moins critiques que lui. Ils accueillent avec une crédulité, qui aujourd’hui nous paraît excessive, les récits les plus extraordinaires. Ils rejettent cependant les métamorphoses du corps humain en chat, en oiseau. Tr. XXI. c. xi, punct. 11, n. 171. Il serait facile et long de multiplier les autorités. En somme il faut reconnaître que la majorité des théologiens semble admet Ire l’ellicacilé du pacte magique, niais taudis que les uns pensent arriver à une certitude théologique, les autres sont moins expliciles et semblent en appeler surtout à l’expérience ou à l’évidence. Donc ni unanimité, ni surtout unanimité impérative sur le terrain de la théologie.

II y a quelques années, surtout en 1900 et 1902, l’Ami du Clergé a repris la question dans une série d’articles. Il tient fortement pour l’affirmative, et il appuie sa thèse sur lT-’criture sainte, les Pères, les papes, les conciles, les théologiens. X’ous avons examine ces autorités, el il nous a semblé que malgré leur prépondérance incontestable en faveur de l’affirmation, elles ne forçaient pas à une adhésion théologique absolument ferme sur le point précis qui nous occupe. S’agit-il d’une certitude d’ordre naturel, nous sommes bien plus à l’aise pour critiquer les raisons. Le grand argument de bon sens auquel recourt’Ami du Clcri/r est un argument d’ensemble. Il y a trop de faits rapportés et garantis par trop de témoignages, pour que tout soit faux, 1900, p. 988 b : 1902, p. 979 el note 1. loti", b. Pareil raisonnement est loin d’être méprisable. Qui n’y pas recouru plus d’une fois sur des matières diverses’.' Admettons que ce raisonnement

confère ici une très haute probabilité à la thèse allirmativc. Lui confère-t-il la certitude ? Au lieu d’une multitude de faits dont aucun peut-être n’est mis hors de conteste et pour lesquels la critique des sources est à peu près impossible, on préférerait en avoir seulement une demi-douzaine contrôlés par une commission de savants, comme en 1922 et 1923 étaient contrôlés en Sorbonne, pour leur plus grand malheur, des phénomènes de spiritisme obtenus par Éva Carrère et Jean Guzik. L’auteur de l’article Démon dans le Dictionn. apologétique, F. Nau, se prononce de façon encore plus péremptoire que l’Ami du clergé. « Il est certain a priori, dit-il, qu’il peut y avoir des pactes et des commerces entre les hommes et les démons. » T. i, col. 926. Malheureusement, cette certitude n’est pas justifiée autrement.

On peut ajouter ici deux remarques de détail. Si les pactes avec le démon sont efficaces, ce ne peut pas être sans une permission spéciale de Dieu. Or, il est raisonnable de croire que depuis l’incarnation et en pays chrétiens, Dieu limite bien plus strictement la puissance du démon. On ajoute parfois que le démon de son côté trouve sans doute plus habile, dans nos ' régions, de dissimuler son action, de peur de fournir un argument contre le matérialisme : cela n’est au moins pas impossible. La conséquence est que tout en se montrant assez sceptique devant une foule de récits, on peut admettre, au moins avec vraisemblance, des manifestations beaucoup plus fréquentes du démon, des pactes entre l’homme et le démon souvent suivis de prodiges sensibles, dans l’antiquité païenne et aujourd’hui encore dans les pays de missions. Comme écrivait Bergier au xviiie siècle, dans son Dictionn. de Théol. dogm., art. Démon : « Depuis que Jésus-Christ a détruit par sa mort l’empire du démon, il ne convient plus d’exagérer le pouvoir de cet esprit impur, surtout à l'égard d’un chrétien, consacré à Dieu par le baptême. » D’ailleurs, des missionnaires très sérieux auxquels il a été donné d'étudier de près des prodiges de sorcellerie parmi les idolâtres, sont beaucoup moins afïirmatifs qu’on ne le dit souvent. A la Semaine d’ethnologie religieuse de 1913, le P. Trilles, C. S. E., présentait un rapport sur La sorcellerie chez les non-civilisés. Après avoir décrit en détail l’initiation des sorciers, particulièrement au Congo, il examine rapidement la question de l’intervention du diable dans les scènes de sorcellerie. Païens et chrétiens sont persuadés de l’action du diable, dit-Il. Pour lui, il est extrêmement réservé. Faire jouer au démon le rôle principal, explication trop facile. « Mieux vaudrait peut-être y voir beaucoup d’habileté de la part des chefs sorciers, une part de supercherie, et, si l’on veut, le tour de main ; ajoutons-y l’hypnotisme, la suggestion mentale, la divination de pensée qui y jouent bien leur rôle, mêlons-y certaines forces naturelles que nous ne connaissons pas encore, des choses incompréhensibles et actuellement inexplicables, peut-être un peu de démonologie, et… l’on a des chances d'être dans la vrai. » Semaine d’Ethnol. religieuse, 1913, p. 187, al. 5.

Conclusion. — Croyance à la magie, très répandue dans le peuple et partagée, surtout à certaines époques, par des gens instruits, des prêtres, des théologiens. Tentative, de la part de certains hommes, d’exploiter cette croyance, de s’arroger une puissance préternaturelle, hors de doute aussi. Hors de doute encore, dans bien des cas, le désir de pactiser, l’essai de pacte avec le démon. Quant à l’efficacité des pratiques magiques pour faire réellement intervenir le démon, elle paraît certainement possible ; on peut la dire probable, hautement probable dans nombre de cas ; mais ni la foi, ni l’expérience ne nous imposent invinciblement une conclusion plusferme.

Avant de passer à la question de moralité, il semble utile de prévoir une objection. Est-il sage et logique de se montrer encore hésitant devant la multitude des témoignages ? Si pareille exigence est légitime, elle doit être constante : à ce compte-là n’en arrivera-t-on pas nécessairement à rejeter tous les miracles ? La réponse n’est pas très difficile : il n’existe pas de parité entre l’un et l’autre cas. Le plus souvent, les faits de magie sont attestés par les aveux des inculpés, aveux arrachés par la torture, ou par le témoignage d’accusateurs dont la compétence ou la probité est sujette à caution. De leur côté, les phénomènes sont ordinairement pour la vue ou pour l’ouïe, sens facilement sujets à illusion, à suggestion, à hallucination. De plus, ils sont passagers ; si parfois ils se prolongent en effets durables, ces effets sont ordinairement des sensations, des impressions de fatigue, des douleurs, qui peuvent s’expliquer par des troubles fonctionnels. Des miracles semblables aux diableries, même telles qu’elles sont rapportées, ne retiendraient pas, le plus souvent, le bureau des constatations de Lourdes.