Dictionnaire de théologie catholique/LÉON IX (Saint), pape
9. LÉON IX (Saint), élu pape en décembre 1048, mort le 19 avril 1054. — Fils de Hugues, comte d’Egisheim et d’Hedwige, Brunon qui deviendra le pape saint Léon IX est né en Alsace en 1002. Il est impossible de préciser autrement le lieu de sa naissance. Au dire de son biographe, Guibert, archidiacre de Toul, il a été confié dès l’âge de cinq ans à Berthold, évêque de cette ville, et c’est dans l’école épiscopale qui s’abritait à l’ombre de la vieille cathédrale Saint-Étienne qu’il a fait toutes ses études. Il s’y est rencontré avec plusieurs jeunes gens de familles nobles, attirés par la renommée de l’école touloise, en particulier avec Hazilon qui deviendra plus tard évêque de Metz, et il s’est fait remarquer de bonne heure par sa régularité, son intelligence et sa piété. On ignore la date à laquelle il entra dans les ordres, mais il est certain qu’en 1025 Brunon est diacre. C’est en cette qualité qu’il prend la tête du détachement toulois que l’évêque de Toul, Hermann, ne peut conduire lui-même au service de Conrad II occupé à guerroyer en Lombardie. Ce n’était pas la première fois que le jeune homme prenait contact avec l’empereur, et depuis plusieurs années, il avait été présenté à la cour de Conrad, auquel il était uni d’ailleurs par des liens de parenté. De bonne heure, on avait songé à lui pour un évêché ; en 1026, la mort de l’évêque Hermann est l’occasion pour l’empereur de le nommer au siège épiscopal de Toul. Bien que Brunon fût encore très jeune, ce choix était excellent. La piété sincère du nouvel élu devait en faire un des propagateurs de la réforme ecclésiastique, si impérieusement nécessaire à l’époque. Les qualités d’organisateur dont il avait donné des preuves dans la campagne de Lombardie étaient non moins utiles
au relèvement de l’Église de Toul que sa position entre France et Allemagne rendait assez vulnérable. De fait, l’épiscopat de Brunon qui durera vingt-deux ans fut réellement fécond. Comme tous les esprits religieux de son temps, il comprit que la réforme ecclésiastique ne pourrait se faire qu’à l’aide des moines et c’est pourquoi ses premiers soins furent consacrés à rétablir la discipline régulière dans les grands couvents de son vaste diocèse. Les abbayes de Saint-Èvre et de Saint-Mansuy, aux portes de Toul, celle de Moyenmoutier dans les Vosges, celle de Poussay, monastère de femmes, dans la plaine, furent réformées, enrichies, agrandies, surtout défendues par des privilèges impériaux contre les ingérences féodales. A Étival, à Senones, au prieuré de Deuilly, il en fut de même. Le monastère de Hohenbourg, au sommet du Mont Sainte-Odile, en Alsace, profita aussi des libéralités de Brunon. La défense de la ville épiscopale contre les incursions des comtes de Champagne, les négociations par lesquelles Brunon ménagea la paix entre l’empereur Conrad II et le roi de France, Bobert le Pieux, contribuèrent aussi à le mettre en relief. Vers les années 1040, il est un des prélats les plus représentatifs de la partie occidentale de l’Empire.
Il est donc tout naturel qu’à Worms, en décembre 1058, le fils et successeur de Conrad II, Henri III ait songé à Brunon pour le trône pontifical. On sait que depuis le fameux concile de Sutri en 1046, où avaient été déposés par Henri, les trois papes rivaux, Benoît IX, Sylvestre II et Grégoire VI, l’empereur, se prévalant du titre de patrice des Bomains qu’il avait alors reçu, s’était arrogé le droit de nommer lui-même les titulaires du Siège apostolique. Successivement, il avait désigné, ou plutôt imposé, aux suffrages des Bomains, Suidger, évêque de Bamberg, c]ui était devenu Clément II, Popon, évêque de Brixen, qui était devenu Damase IL Ces deux pontifes, le dernier surtout, n’avaient fait que passer sur le trône pontifical, et il courait sur leur mort soudaine, des bruits plutôt fâcheux. Ce n’était pas un poste de tout repos que celui qu’Henri II offrait à son cousin. L’évêque de Toul fit donc quelques difficultés avant de se rendre aux instances impériales qui furent, scmble-t-il, très vives. D’autre part, ce mode même de désignation ne laissait pas que d’effaroucher la conscience de Brunon. Ses biographes, surtout ceux cru] écrivent après le pontificat de Grégoire VII (1073-1085), adversaires ou partisans de la réforme grégorienne, prêtent ici un rôle considérable à Hildebrand rencontré, disent-ils, par Brunon, soit à Worms, soit un peu plus tard à Besançon. A les en croire, c’est sur les représentations plus ou moins vives de ce personnage, que Brunon se serait décidé à ne pas considérer la nomination impériale comme autre chose qu’une désignation aux suffrages des Bomains. M. A. Fliche s’est inscrit en faux contre cette légende, qui remonte à Brunon de Segni, l’admirateur passionné d’Hildebrand. Voir l’art. Hildebrand, dans I.e Mtii/rn Age, IIe série, t. <span title="Nombre {{{1}}} écrit en chiffres romains" style="text-transform:uppercase;">{{{1}}}, 1919, p. 87. Pour lui, les hésitations de Brunon, son dessein de faire ratifier par une véritable élection des Bomains la décision impériale, s’expliquent sans qu’il soit besoin de faire intervenir Hildebrand. Depuis quelque temps, il se formait dans la région lorraine (au sens large du mot) une doctrine dont les plus anciennes traces, se retrouvent dans Bathicr évêque de lié"’953 a 966, mais qui s’exprimait surtout à l’époque’! < Brunon dans les actes et lis écrits de Wason, évêque de Liège, de 10Il a 1048. Cette doc trinr a sûrement pénétré dans le diocèse de Toul, puisqu’elle se trouve dans les écrits du futur cardinal Humbert, pour lors religieux de Moyenmoutier.
D’après elle, le souverain temporel n’a aucune puissance dans le domaine strictement ecclésiastique ; quelles que soient les obligations féodales que les évêques aient à son endroit pour ce qui concerne le temporel, ils ne relèvent aucunement de lui en matière religieuse. Un traité De ordinando pontifice, composé par un clerc de Basse-Lorraine, peut-être à l’instigation même de Wason, critiquait très vivement, de ce point de vue, la nomination du pape Clément II, par l’empereur. Texte dans Monum. Germ. hist, Libelli de lite, 1. 1, p. 9 sq. A défaut de ce texte même, Brunon aura connu les idées qui s’y exprimaient et qui devaient être assez répandues dans la région lorraine. Elles expliquent au mieux l’attitude de l’évêque de Toul au moment où il est désigné par l’empereur pour prendre la succession de Damase IL Quoi qu’il en soit, c’est dans l’humble appareil d’un pèlerin que l’évêque de Toul se présenta à Borne ; il ne prendra les insignes pontificaux qu’après avoir été acclamé pape par les Bomains. Le 12 février 1049, il était intronisé et devenait Léon IX. Tout son passé, et cette démarche même, annonçait un pape réformateur. Léon IX ne tromperait pas l’espoir des personnes qui attendaient une action vigoureuse contre les désordres de l’Église, contre les deux abus les plus criants:la simonie et le nicolaïsmc. On sait ce qu’est la simonie ; sous le nom d’hérésie nicolaïte, les auteurs de l’époque désignent l’incontinence des mœurs dans le clergé. Ces deux abus qui s’engendrent l’un l’autre ont poussé depuis le Xe siècle des racines profondes dans toutes les Églises. Aucune n’est indemne ; l’Église romaine elle-même a donné, et tout récemment encore, le triste spectacle de papes simoniaques et débauchés. Ce n’est pas que des essais de réforme n’aient été tentés de-ci de-là. Depuis le milieu du Xe siècle, les moines de Cluny ont singulièrement relevé le niveau du monachisme ; des évêques isolés, un Atton de Verceil, un Bathier de Liège, un saint Gérard de Toul, un saint Fulbert de Chartres, bien d’autres, ont essayé, chacun dans leur domaine, de promouvoir la réforme des mœurs. Avec des préoccupations peut-être moins pures et trop dominées par des soucis, politiques, la dynastie ottonienne a essayé de réaliser, par autorité impériale, une plus ample conversion ; et de même Henri II et Conrad II d’Allemagne, aussi bien que Bobert le Pieux, en France. Mais toutes ces tentatives sont restées fragmentaires, décousues, intermittentes, parce que l’idée de réforme au lieu de chercher au centre même de l’Église son point d’appui, son principe et sa règle, ne procède que d’iniatitives personnelles, quelquefois intéressées, toujours éphémères. L’accession de Grégoire VI a été saluée par bien des gens comme un événement d’heureux augure. Dans les milieux monastiques, l’on espère que le Siège romain, reprenant conscience de ses devoirs et de ses droits, va donner maintenant l’impulsion aux idées réformatrices. Or Grégoire, à peine installé, est supprimé au concile de Sutri par l’autorité impériale. Mais voici qu’arrive Léon IX ; ses sympathies sont acquises à l’œuvre de la reforme; par ailleurs, cousin de Henri III, désigné par lui aux suffi des Bomains. il risque moins que d’autres de heurter les susceptibilités impériales. Ainsi va pouvoir commencer la réforme de l’Église. Partie de Home, elle gagnera, sous l’impulsion d’un pape jeune, aetil. entreprenant, les divers pays de la chrétienté. Sans doute, et nous le dirons en son lieu, il lui manquait
quelque chose pour être profonde et définitive. Mail
de l’avoir conçue, voulue et imposée, reste le plus beau titre île gloire du pape alsacien.
i BS historiens (le (.recoin— II. depuis les plus
IX. — 11 anciens biographes jusqu’aux érudits modernes, ont voulu faire d’Hildebrand l’âme même du mouvement réformateur qui débute avec le pontificat de Léon IX. A les croire, c’est depuis 1048 que l’influence du grand moine est devenue prépondérante ; en définitive, Léon IX et ses successeurs n’auraient été que des prête-noms derrière lesquels on retrouve toujours Hildebrand. M. A Fliche, loc. cit., nous semble bien avoir montré que cette vue est inexacte. Il est remarquable que le plus ancien biographe de Léon IX, Guibert ne cite même pas le nom du futur Grégoire VIL A coup sûr, Hildebrand a fait partie de ce personnel réformateur amené à Rome par Léon IX. Mais on voit les affaires dirigées beaucoup plus par le cardinal Humbert, venu de Moyenmoutier, nommé évêque de Silva-Candida, puis archevêque de Sicile, par Hugues Candide, de Remiremont, nommé cardinal-prêtre, par Udon de Toul, devenu chancelier, par Frédéric de Lorraine, frère du duc Godefroy. Bref, ce sont des Lorrains qui forment l’état-major du nouveau pape et la seule mission que l’on voie attribuer à Hildebrand, c’est celle d’aller enquêter en France sur l’hérésie bérengarienne. Hildebrand ne tardera pas sans doute, à jouer un rôle de premier plan, mais c’est un peu plus tard et sous les pontificats. suivants.
Quelles qu’aient été, d’ailleurs, les influences de son entourage, il est incontestable que la pensée de la réforme vient de Léon IX lui-même et qu’il a choisi les auxiliaires que nous avons énumérés, parce qu’il les sait acquis aux idées qui sont les siennes. Il se met à l’œuvre dès son arrivée à Rome. Dans la semaine après Quasimodo un concile est célébré au Latran qui s’en prend à la simonie et renouvelle le décret porté contre les coupables par Clément II en 1047. C’était d’ailleurs, une solution miséricordieuse que l’on prenait là ; car si on anathématisait ceux qui avaient réellement vendu les dons de Dieu ou les avaient achetés, on n’osait pas sévir d’une manière aussi sévère contre ceux qui avaient reçu, mais gratuitement, l’ordination d’un simoniaque notoire ; moyennant quarante jours de pénitence, ces derniers seraient réintégrés dans leur office. Si l’on eût suivi complètement Léon IX, on eût été plus sévère ; à l’en croire, il aurait fallu proclamer la nullité de toutes les ordinations simoniaques. Sur ce point, l’école lorraine avait des idées très arrêtées et qui ne concordaient pas avec les vues actuelles sur la réitération de l’ordre. Il semble bien que Léon IX ait eu beaucoup de mal à se départir de ces errements. Voir art. Réordination, et consulter L. Saltet, Les Réordinations, étude sur le sacrement de l’ordre, Paris, 1907, p. 185 sq., et note p. 408.
Mais il ne suffisait pas de légiférer à Rome ; c’est sur place, aux diverses capitales de la chrétienté, que Léon voulait agir. Et voici le « pape justicier » qui va se mettre en campagne pour tenir aux endroits jugés convenables les grandes assises qui doivent restaurer la discipline et les mœurs de l’Église. La plus grande partie du pontificat se passera en voyages de ce genre. Rien de plus nouveau dans les fastes pontificaux, rien non plus qui ait davantage frappé l’imagination populaire.
A la Pentecôte de 1049, Léon IX est à Pavie ; puis traversant les Alpes, il passe dans la vallée du Rhin, qu’il descend jusqu’à Aix-la-Chapelle ; le 14 septembre, il est à Toul, c’est de là qu’il convoque les évêques et abbés du royaume de France à un grand concile qui doit se tenir à Reims. Sur cette réunion, on est abondamment renseigné par la relation du moine Anselme, encore qu’il ne faille pas considérer ce texte, rédigé assez longtemps après les événements, comme ayant la valeur d’un procès-verbal. Cf. A. Fliche,
La réforme grégorienne, t. <span title="Nombre {{{1}}} écrit en chiffres romains" style="text-transform:uppercase;">{{{1}}}, p. 140 sq. Du moins le récit du moine de Saint-1’.émi permet de se faire une idée de la physionomie de cette assemblée et par là même des autres synodes tenus par Léon IX dans des circonstances analogues. Suivant Anselme, le roi de France, Henri I" (1031-1060) avait fait tout le possible pour empêcher les dignitaires ecclésiastiques ses vassaux immédiats, de se rendre à la convocation pontificale ; plusieurs prélats qui ne se sentaient pas la conscience tranquille furent trop heureux de saisir ce prétexte de se soustraire aux dangers qu’ils prévoyaient. Il vint néanmoins assez d’évêques et d’abbés pour que le pape pût tenir le synode annoncé. A tous les dignitaires ecclésiastiques suspects d’avoir acquis leur charge par des moyens simoniaques, le pape demande des comptes. Les uns établissent facilement leur innocence ; d’autres réclament des délais pour discuter les accusations qui pèsent sur eux ; d’autres sont convaincus, soit par leurs aveux, soit par d’accablantes dépositions ; ils sont déposés ou contraints de démissionner. Les questions de personne réglées, on porte une dizaine de canons. Retenons au moins, celui qui a trait à la nomination des évêques et abbés : « Nul ne peut s’arroger le gouvernement d’une Église, s’il n’a été élu par le clergé et le peuple. » C’est la condamnation du procédé qui, de temps immémorial, met aux mains de la puissance temporelle, la nomination des dignitaires ecclésiastiques. On ne conteste pas encore le droit du pouvoir laïque à donner au nouvel élu les insignes de sa dignité, néanmoins toute l’affaire des investitures est en germe dans ce canon. Notons également la proclamation faite par le concile que « le pontife du Siège romain est seul primat et apostole (apostolicum) de l’Église universelle. » Cette profession de foi du clergé gallican vient à son heure. S’il est impossible, en effet, de dire avec Brôcking, Die franzôsische Politik Papst Leos IX, p. 1 sq., qu’avant cette époque il n’y avait aucun rapport entre la curie romaine et l’épiscopat français, il est incontestable, néanmoins, qu’à divers moments des tendances plus ou moins séparatistes s’étaient fait jour. Qu’on songe au concile de Saint-Basle, et à certaines revendications qui s’étalent dans le De sacra Cœna de Bérenger. Ainsi le concile de Reims a pour effet, non seulement de promouvoir en France la réforme mais encore de resserrer les liens entre Rome et l’Église gallicane.
Après le concile de Reims, celui de Mayence, tenu quinze jours plus tard, réalise pour l’Allemagne le même travail d’épuration de l’épiscopat. Mais ici, en présence de l’empereur, il semble que Léon soit moins ferme pour protester contre le principe de la nomination directe par le souverain. Du moins l’hérésie simoniaque est-elle condamnée, et, pour la première fois, semble-t-il, on s’attaque au nicolaïsme. Ainsi le Saint-Siège prend hardiment la tête du mouvement réformateur et substitue son impulsion à celle qu’avait essayé de donner l’Empire. Malheureusement la réforme demeurera précaire parce que, soit inconscience du danger, soit impossibilité d’y parer, Léon ne s’attaque pas au principe même du mal et ne met pas in tuto les principes de l’élection aux charges ecclésiastiques et de l’indépendance de l’Église, par rapport au pouvoir séculier.
L’année 1050 se passera de même en voyages. Rentré à Rome au début de janvier, le pape dès février recommence sa tournée. La Basse-Italie le voit d abord, mais les questions qu’il y traite sont autant politiques que religieuses. Quinze jours après Pâques, il tient à Rome un grand synode où sont prises des décisions très importantes contre le nicolaïsme. C’est probablement à cette assemblée qu’il faut rapporter la mesure dont parle Bonizon de Sutri, Liber ad amicum, dans Jaffé, Bibliotheca rerum Germ., t. ii, p. 365, et qui prescrivait aux clercs et laïques de s’abstenir de la communion des prêtres et diacres fornicateurs, et aussi le décret dont il est question dans une lettre de Pierre Damien, P. L., t. cxlv, col. 4Il BC, suivant lequel « les femmes de mauvaise vie se prostituant aux prêtres, qui seraient trouvées dans Rome, seraient attribuées comme servantes au palais de Latran. » Cette décision n’a rien de surprenant si on la compare avec celle que prend Léon IX dans une lettre aux chanoines de Lucques, attribuant au chapitre, sous certaines conditions, les biens des prêtres mariés. Jafîé, n. 4254. Le concile de Rome s’occupa aussi des doctrines de Bérenger, lequel est excommunié et sommé de comparaître au synode qui doit se tenir durant l’automne à Verceil. Voir t. il, col. 724. Signalons enfin la canonisation de saint Gérard, l’un des prédécesseurs de Léon sur le siège de Toul et l’un des premiers promoteurs de la réforme lorraine. A l’été, Léon reprenait le chemin de l’Italie du Nord : en septembre, le concile de Verceil revient sur la question bérengarienne ; le livre de Jean Scot Érigène sur l’eucharistie est condamné, voir t. v, col. 405, et la doctrine de Bérenger anathématisée. Mais les grandes questions agitées sont toujours celles qui tiennent à la réforme de l’Église, et ce sont les mêmes préoccupations qui se manifestent dans tout le voyage qui remplit la fin de 1050 et le début de 1051 et qui ramène le pape en Bourgogne, en Lorraine, en Alsace, dans le pays rhénan et la Franconie.
A peine Léon est-il rentré à Rome, au printemps de 1051, qu’il tient un nouveau synode lequel fait de nouvelles exécutions. Au témoignage de Pierre Damien, on dut y discuter âprement le fameux problème des réordinations, sur lequel Léon n’arrivait pas à se faire une doctrine. Voir la préface du Liber gratissimus, dans P. L., t. cxlv, col. 99. Mais de nouvelles inquiétudes politiques obligent le pape à reprendre le chemin de la BasseItalie, où il séjournera une bonne partie de l’automne ; il doit y revenir au début de 1052 et c’est alors qu’il prend la décision d’entreprendre un troisième grand voyage au delà des Alpes. Il s’agit de joindre une fois de plusHenri III, lequel, à l’été de 1052, est entré en lutte avec le roi de Hongrie. Sous les murs de Presbourg, que l’empereur tient assiégée, le pape interpose sa méditation, qui amène la paix. Mais ce n’était pas pour cette unique raison que Léon était venu au quartier général. Il s’agissait surtout d’obtenir l’appui de l’empereur pour la politique que le Saint-Siège était obligé <ic suivre dans la liasseItalie. Cette politique, dont nous dirons quelques mots pour terminer, finissait par prendre le pas, dans l’esprit du pape, sur toute autre préoccupation. Il semble que, durant ce dernier voyage en Allemagne, la cause de la réforme ait été quelque peu oubliée. Mais sitôt qu’il repasse en Lombardie, Léon est ressaisi par elle ; il essaie de convoquer a Mantoue l’un de ces conciles si redoutés des évoques prévaricateurs. Cette fois il échoua ; des rixes sanglantes entres les gens des prélats accusés et les personnes de la suite pontificale lui montrèrent que la cause de la réforme avait encore du chemin à faire. Regagnant Rome, il y tient après Pâques un synode sur lequel nous avons peu de renseignements. Dès le mois île mai. il se met en route pour la Basse-Italie ou l’attendait un si tragique destin.
C’est au cours de cette expédition, et alors qu’il avait déjà connu les revers de la Fortune, que Léon IX se vit soudain aux prises avec la plus grave dei questions. Une attaque brusquée du patriarche de Constantinople, Michel Cérulalre, contre l’Église latine allait amener la rupture définitive entre les deux grandes moitiés de la chrétienté. Cette question sera étudiée dans le détail à l’art. Michel Cérulajre, contentons-nous de marquer ici le rôle joué par saint Léon qui d’ailleurs ne connaîtra pas l’issue du conflit et n’aura pas à y intervenir. Tellement quellement, depuis bien des siècles, Rome et Constantinople demeuraient en communion. Les frictions, les heurts, les ruptures passagères n’avaient jamais abouti à la séparation définitive. L’alerte causée, sous le pontificat de Jean XIX, par les prétentions d’Eustathe de Constantinople au titre de patriarche œcuménique s’était calmée comme les autres. Voir t. viii, col. 630. Brusquement, et sans que rien pût justifier son geste, le patriarche Michel Cérulaire prit l’offensive contre les religieux latins de Constantinople ; puis une lettre d’une violence inouïe rédigée par un comparse, Léon évêque d’Achrida en Bulgarie, et adressée à l’évêque de Trani, dans l’Italie du Sud, exposa les vieux griefs des Grecs contre les Latins, vingt fois ressassés depuis le temps de Photius : jeûne du samedi, suppression de l’alleluia en carême, violation du précepte apostolique sur l’usage du sang et des viandes étouffées, etc. Mais on en voulait particulièrement, cette fois, à la pratique latine de célébrer l’eucharistie avec du pain azyme. Voir art. Azyme, 1. 1, col. 2659. On demandait, on commandait, aux Latins d’abandonner ces errements, s’ils ne voulaient irrémédiablement compromettre la cause de l’unité. Texte grec dans Will, Acta et scripta quee de controversiis Ecclesise græcæ et latinse s. XI composita exstant, Leipzig, 1861, p. 51 ; texte latin dans P. L., t. cxliii, col. 929-932. Saisi de cette lettre par le cardinal Humbert, Léon y répondit à l’automne de 1053 par une lettre ou plutôt par un long mémoire. Jaffé, n. 4302 ; texte dans P. L., t. cxliii, col. 744-773. Le ton en est digne et triste ; le pape continue à appeler Michel et Léon ses frères, mais il marque, avec une netteté qui ne laisse rien à désirer, les prérogatives essentielles de l’Église romaine, rappelle les prétentions si contraires de Constantinople et stigmatise d’un mot « cet orgueil, péché originel des évêques de la Nouvelle-Rome. » Ce mémoire, en somme, plaçait la question sur son véritable terrain : Constantinople parlait chicanes théologiques (et quelles chicanes 1) ; Rome ripostait en arguant avant tout de son droit supérieur et traditionnel. C’est, pensons-nous, l’un des premiers traités en règle sur la primauté pontificale. Sans doute, tous les arguments avancés par Léon IX ne sont pas d’égale force ; l’apocryphe Donation de Constantin y est invoquée avec une naïve confiance pour démonter le droit du siège romain à n’être jugé par personne, n. 10 ; elle est longuement citée pour appuyer les titres du pape au respect de toutes les Églises, n. 12-14. Mais l’ensemble de l’argumentation que tire Léon des textes évangéliques vaut infiniment mieux que cela. On sent qu’elle est nourrie par une connaissance approfondie des « précédents ; somme toute on y découvre la même inspiration qui se fait jour dans le titre De primait* romans ecclestm de la collection canonique dite des Soixante-quatorze titres, certainement élaborée dans l’entourage de I.éon. Voir P. Fournie ! I.r premier manuel canonique de la réforme du XI* sieete. dans les Mélangea de l’Ecole française de Rome, t. nv, p. 17 i 223. Antérieurement déjà, en avril 1053, Léon s’était préoccupé de chercher des alliés dans l’épiscopat grec.
La politique du patriarche de Byzance était de se soumettre les autres grands sièges de l’Orient. i.éon i essaya de ranimer chez les autres patriarches I Idée de leur indépendance. Voit la lettre au patriar < 1md’lioelie, Jai !.’-, n. 4297 ; P. /-. t < i m. COl Il ne nous semble pat que le mémoire de i son ix à Michel Gérulaire ait été expédié à Constantinople, car peu après arrivait au pape un témoignage de déférence de la part du patriarche. Pour des raisons politiques, le basileus Constantin Monomaque s’était interposé entre les deux chefs ecclésiastiques. Léon, de son côté, empêtré dans l’affaire normande, avait un besoin urgent des bons offices de Byzance. L’ambassade qui partit en janvier 1054, et qui avait à sa tête le cardinal Humbert, était chargée, en somme, d’aplanir le différend par des voies de douceur, mais surtout de procurer au pape un secours militaire dont le besoin se faisait vivement sentir. Elle emportait deux lettres pontificales, l’une pour le basileus, louant ses bons désirs de conserver la paix ecclésiastique, l’autre pour le patriarche, qui rééditait, mais sous une forme plus courte et plus modérée, les arguments du mémoire ci-dessus analysé. Nous ne suivrons pas ici les destinées de l’ambassade dont le cardinal Humbert était l’âme. La légation eut exactement le résultat opposé à celui que recherchait saint Léon, puisque, le 15 juillet, les envoyés pontificaux déposaient sur l’autel de Sainte-Sophie la bulle d’excommunication contre le patriarche et tous ses adhérents. Mais de cette démarche si grosse de conséquences, Léon IX n’est aucunement responsable ; il était mort le 19 avril dans les circonstances qu’il nous reste maintenant à rapporter.
Les derniers jours de Léon avaient été bien tristes. A plusieurs reprises nous l’avons vu diriger ses pas vers l’Italie du Sud où de graves événements politiques le préoccupaient. Depuis un quart de siècle, des chevaliers normands, au retour d’un pèlerinage en Terre sainte, s’étaient fixés à Palerme et avaient offert leurs services aux petits dynastes de la région. Bientôt les fils de Tancrède de Hautteville étaient venus les rejoindre : Guillaume Bras de fer, Drogon, Humfried, Robert Guiscard ; tout ce personnel d’aventuriers cherchait à s’établir et à évincer les anciens occupants. Bientôt il ne fut plus question dans toute l’Italie du Sud que de leurs tristes exploits. Léon IX conçut le projet de mettre à la raison ce monde remuant. S’étant acquis des droits sur Bénévent, il se croyait obligé de protéger cette nouvelle acquisition de l’État pontifical contre les nouveaux Agareni. Son troisième voyage à la cour impériale (peut-être déjà son deuxième) avait eu pour objet d’obtenir de l’empereur un secours important contre les Normands. Après divers atermoiements, Henri III autorise la levée d’un contingent de Souabes qui permettrait au pape d’engager l’expédition. Au mois de mai 1053, Léon se mettait en campagne, prenant lui— ; même la direction suprême des opérations. Il comptait opérer sa jonction avec les Grecs de l’Apulie du Nord et par le fait encercler les Normands, dont Amalfi était le point d’appui principal. En route il rencontre leur armée : on essaye de négocier, finalei ment on en vient aux mains aux abords de Civitella, le 18 juin 1053. Les contingents italiens au service du pape lâchèrent pied au premier choc ; formées en carré, les troupes allemandes résistèrent courageu— ! sèment ; leur dévouement fut inutile. Le pape qui ! avait assisté au combat du haut des remparts de Civitella tomba au pouvoir des vainqueurs qui le i conduisirent à Bénévent. Quelques marques de respect qu’ils lui aient d’ailleurs prodiguées, Léon n’en était pas moins leur prisonnier.
Ce fut dans la chrétienté, une véritable consternation. On plaignit le pape, sans doute, mais plusieurs ne se firent pas faute d’ajouter qu’il fallait voir en tout ceci une leçon de la Providence. La place d’un pape était-elle à la tête d’une armée et fallait-il voir « l’apostole », pour arrondir son domaine temporel ou même pour le défendre, recourir aux expédients de la politique et de l’art militaire. Ainsi s’expriment les chroniqueurs Hermann de Reichenau, Romuald de Salerne, la Chronique d’Amalfi ; ainsi encore de saintes gens comme Brunon de Segni et Pierre Damien, dont l’amertume a scandalisé le sage Baronius, Annales, an. 1053, n. 10-17. Le texte de Pierre Damien dans Epist, , iv, 9, P. L., t. <span title="Nombre {{{1}}} écrit en chiffres romains" style="text-transform:uppercase;">{{{1}}}, col. 316 C-D.
Quelles qu’aient été les intentions de la Providence, il est incontestable que le désastre de Civitella fut pour la papauté une grave humiliation, un coup bien dur porté à la cause de la réforme. Pour se libérer, le pape dut absoudre ses vainqueurs de toutes les censures, qu’il ne leur avait pas ménagées, et leur abandonner par un traité en bonne forme les terres qu’ils venaient de conquérir sur lui. C’est à Bénévent qu’il passa les derniers mois de sa vie, dans une liberté relative ; c’est de là qu’il négocia, comme nous l’avons dit, avec Constantinople. Enfin, le 12 mars 1054, ayant sans doute donné toutes les satisfactions qu’on réclamait de lui, il pouvait reprendre le chemin de Rome. Il était bien malade dès ce moment et le voyage dut se faire en litière. Le 3 avril Léon rentrait dans sa capitale ; vers le 15 avril, abandonnant le Latran, il se faisait transporter dans la modeste demeure épiscopale bâtie à côté de Saint-Pierre. C’est là qu’il reçut, tout près du tombeau de l’apôtre, les derniers sacrements. Sur ses lèvres mourantes revenait maintenant le dialecte national qui avait résonné auprès de son berceau. Comme saint Martin, Léon IX demandait à la Providence de le laisser encore sur cette terre, s’il pouvait y être de quelque utilité à la cause. Le 19 avril 1054, il rendait sa belle âme à Dieu. C’est la date où il figure au Martyrologe romain et au calendrier des Églises de Strasbourg, de Metz et de Toul.
Ce fut un très grand pape ; ayant du rôle de la papauté une conception très haute, il a commencé avec une rare énergie et un remarquable esprit de suite cette réforme de l’Église que Grégoire VII continuera avec le succès que l’on sait. De tous les « prégrégoriens » il est, à coup sûr, le plus représentatif. Une seule chose lui a manqué pour faire franchir à l’idée réformatrice le pas décisif : c’est de comprendre que le lamentable état de l’Église n’était que la résultante d’une cause plus profonde, à savoir l’intervention abusive du pouvoir temporel dans la désignation des titulaires du pouvoir ecclésiastique. Mais cela Hildebrand non plus ne l’a pas saisi dès le début ; à lui aussi il a fallu plus d’une expérience pour se rendre compte du point exact où il fallait frapper. Plus personnel qu’on ne le croyait jusqu’ici, où il disparaissait un peu dans l’éclat d’Hildebrand, Léon IX a du moins le mérite d’avoir compris que c’était au chef de l’Église qu’il convenait de promouvoir la réforme de l’Église. C’est le plus beau titre de gloire du grand pape alsacien.
1o Documents officiels.
Ils sont décrits et analysés dans Jafïé, Regesta Pontif. roman., 2o édit., t. i, p. 529-539 ; les textes se trouvent, pour la plupart, dans P. L., t. cxi-m, col. 583-794 ; les textes conciliaires dans Mansi, Concil., t. <span title="Nombre {{{1}}} écrit en chiffres romains" style="text-transform:uppercase;">{{{1}}}. — Il n’y a pas lieu de faire état d’un opuscule De conflictu vitiorum alque virtutum que l’Histoire littéraire de la France, t. <span title="Nombre {{{1}}} écrit en chiffres romains" style="text-transform:uppercase;">{{{1}}}, p. 470, veut attribuer à Léon IX, et qui n’ajouterait rien à sa gloire. — 2o Sources générales. — Parmi les chroniques contemporaines il faut signaler celles d’Hermann de Reichenau, dans Monum. Germ. hist., Scriptores, t. <span title="Nombre {{{1}}} écrit en chiffres romains" style="text-transform:uppercase;">{{{1}}}, p. 128-133 ; de Lambert de Hersfeld, ibid., p. 154-156 ; celle d’Altaich, t. xx p. 804-807 ; les Annales romani, l’Ysloire de li Xormant d’Aimé du Mont Cassin. Les passages essentiels sont dans I. M. Watterich, Pontificum romanorum vitse, t. <span title="Nombre {{{1}}} écrit en chiffres romains" style="text-transform:uppercase;">{{{1}}}, p. 93-177, 731-738. — 3o Biographies anciennes. — La première en date est celle de Guibert (Wiberlus) archidiacre de Toul,loc. cit. et dans P. L., t. cxLm, col. 465-504 ; de Guibert dépendent Sigebert de Gembloux, dans Monum. Germ. hisi., Scripiores, t. VI, p. 359 ; Ekkehart, ibid., p. 196 ; l’Annalista Saxo, ibid., p. 687 ; les Gesta episcoporum Tullensium, t. viii, p. 644. — Presque contemporaine est VAnselmi monachi Remensis hisloria dedicationis ecclesiæ S. Remigii qui donne un récit intéressant de la première année du pontificat ; texte incomplet dans Watterich, p. 113-126 et complet dans Mansi, Concil., t. xix, col. 727741. — Les narrations de Brunon de Segni, de Didier du Mont Cassin (Victor III) au 1. III des Dialogues, de Bonizon de Sutri (qui a inspiré directement celle du cardinal Boson, insérée dans le Liber censuum) ont toutes été écrites après le pontificat de Grégoire VII et font jouer à Hildebrand un rôle trop considérable. Texte dans Watterich, op. cit., et dans L. Duchesne, Le Liber Pontificalis, t. n. — On trouvera aussi dans P. L., t. cxiiii, divers récits sur les derniers moments et les miracles du saint.
II. Travaux.
1o Généraux.
Histoire générale de l’Église, et spécialement : Hauck, Kirchengeschichle Deutschland, 3e édit., t. iii, p. 595. — Histoires de Rome : Gregorovius, Geschichte der Stadt Rom, 5e édit., t. iv, p. 7188 ; Langen, Geschichte der rômischen Kirche, t. iii, p. 445485 ; Baxmann, Politik der Pàpsle, t. ii, p. 213, sq. ; L. Duchesne, Les premiers temps de l’Étal pontifical, p. 206207. — 2o Plus spéciaux. — Hôller, Die Deutsche Pàpsle, Ratisbonne, 1839, t. n ; A. Fliche, La réforme grégorienne, t. i. La formation des idées grégoriennes, Paris, Louvain, 1924, donne une riche bibliographie des travaux relatifs à Léon IX. — 3o Monographies. — Il en est paru un nombre assez considérable au cours du xixe siècle ; on retiendra celles de O. Delarc, Un pape alsacien, essai historique sur S. Léon IX et son temps, Paris, 1876 ; P. P. Brucker, L’Alsace et l’Église au temps de S. Léon IX, 2 vol., Strasbourg-Paris, 1899 ; E. Martin, Saint Léon IX dans la collection Les Saints, Paris, 1904, qui met au point plusieurs des questions locales âprement discutées par les biographes de saint Léon. — 4o Questions spéciales. — L. Duhamel, Le pape Léon IX et les monastères de Lorraine, Épinal, 1869 ; W. Brocking, Die (ranzôsische Politik Papst Leos IX, ein Beitragzur Geschichte des Papsttums im IX Jahrhundert, Stuttgart, 1892, voir la critique qu’en fait Chr. Pfister, dans Revue critique, 1892, t. xxxiii, p. 28-30 ; J. Drehmann,
Papst Léo IX und die Simonie, Leipzig, 1908.