Dictionnaire de théologie catholique/JUGEMENT I. Doctrine de l'Eglise

Dictionnaire de théologie catholique
Letouzey et Ané (Tome 8.2 : JOACHIM DE FLORE - LATRIEp. 156-159).

JUGEMENT. —
I. Doctrine de l’Église.
II. Croyances du paganisme (col. 1727).
III. Données de l’Écriture : Ancien Testament (col. 1734).
IV. Données de l’Écriture : Nouveau Testament (col. 1751).
V. Tradition patristique (col. 1765).
VI. Synthèse théologique : Le jugement particulier (col. 1804).
VII. Synthèse théologique : Le jugement général (col. 1812).

I. Doctrine de l’Église. —

Sous le nom de jugement, la foi catholique désigne la double manifestation de la justice divine, qui doit se produire : l’une au terme de l’existence individuelle, ou jugement particulier, l’autre à la fin des temps pour l’ensemble de l’humanité, ou jugement général. Non seulement cette doctrine est aujourd’hui nettement affirmée par l’Église, mais elle présiu cà toute la théologie des fins dernières, cependant que la prédication ecclésiastique et la méditation personnelle tendent à en faire un des principaux ressorts de l’ascétisme chrétien. Elle est entrée dans l’enseignement officiel de l’Église à la suite d’un développement dont les actes de magistère marquent les étapes.

I. période primitive (i"-xme siècles). — Cette période est caractérisée par l’absence d’erreurs ou du inoins de controverses graves en matière eschatologique. Aussi l’Église se contente-t-elle de fixer dans ses symboles les traits essentiels de la foi.

Texte des anciens symboles.

1. Dans toutes les

rédactions du symbole romain, après l’article 6 qui mentionne Jésus monté au ciel et assis à la droite du Père, se lit un article 7 ainsi conçu : Inde venturus est judicare vivos et mortuos. Formule qui semble avoir été arrêtée de très bonne heure, puisqu’on la retrouve communément chez la plupart des écrivains du second siècle. Voir art. Apotrt.s (Symbole des), t. i, col. 16611673. Elle est adoptée également par le symbole de Nicée. Denzinger-Bannwart, n. 54.

2. Ce même texte forme aussi la base du symbole oriental ; mais il y est accompagné de quelques compléments : ’EpxôfAEVov èv 86E, f] xpïvou Çwvxaç xal vsxpoôç, ou "rîjç pacnXetaç oôx èa-ccci téXoç. Telle est la leçon fournie par saint Cyrille de Jérusalem, Denzinger-Bannwart, n.9, et saint Épiphane, ibid., n. 13, et qui est passée de là dans le symbole dit de Constantinople, ibid., n. 86, avec cette simple variante : ji-exà S6Çt)ç.

Les deux formes orientale et occidentale du symbole ont ceci de commun que la résurrection de la chair et la vie éternelle y sont rejetées à la fin, séparées de

l’article précédent par les affirmations relatives à l’Église et au Saint-Esprit.

3. On ne trouve plus, au contraire, cette séparation dans le symbole Quicumque, qui adopte d’abord le texte abrégé du symbole romain : Sedet ad dexleram Dei Palris omnipotentis, inde venturus est judicare vivos et mortuos. puis continue immédiatement : Ad cujus adventum omnes homines resurgere habent cum corporibus suis et reddiluri sunt de /actis propriis rationem… Ft qui bona egerunt ibunt in vitam œternam ; qui vero mala in ignem œternum. Denzinger-Bannwart, n. 40. Le jugement est ainsi rapproché de la résurrection générale et des sanctions définitives qni en sont la suite.

Caractères de cet enseignement.

Deux traits

distinctifs marquent cet enseignement de la primitive Église.

1. La direction en est principalement cluistologique. Si les divers symboles font intervenir le jugement, ce n’est pas pour lui-même, mais pour souligner qu’il est une fonction du Fils de Dieu. C’est toujours le Christ qui est le sujet grammatical de la proposition eschatologique. et plus encore le centre logique de son contenu. Le terme venturus est, qui exprime la parousie ou retour du Christ, est une allusion manifeste à son premier avènement : TtâXiv èp^ô^evov, ilerum venturus est, comme précise le texte de Constantinople. Mais ce retour se fera « dans la gloire » et doit être le commencement d’un « règne qui n’aura pas de fin ». Dans ces perspectives majestueuses, le jugement n’est pas seulement le terme, l’achèvement normal de la carrière du Christ : il est la compensation des humiliations et des mécomptes qui ont marqué sa première venue dans la chair.

On s’est plaint quelquefois que la doctrine des fins dernières fût une sorte de hors-d’œuvre : il n’est pas sans intérêt d’observer que, dans nos plus anciens symboles, elle est étroitement reliée, comme couronnement de l’Incarnation, au coeur même du plan divin. Ce qui préoccupe l’Église, semble-t-il, c’est moins d’affirmer le jugement, qui ne fait pas de doute pour elle, que d’indiquer le rôle du Christ à son endroit et, si l’on peut dire, le rôle du jugement à l’endroit du Christ.

2. Il s’ensuit qu’au point de vue proprement eschatologique c’est le jugement général qui est mis en évidence. Si l’on regarde au juge, le jugement dont il est parlé est l’œuvre du Christ glorieux, qui inaugure son règne définitif. Comme date, il coïncide avec la parousie ; comme sujets, il embrasse tous les hommes, vivants et morts ; comme modalité, il comporte un éclat solennel. En ajoutant que ce jugement aura lieu sttI cuVTsXeôa toû aîcôvoç, le texte des Constitutions Apostoliques, Denzinger-Bannwart, n. 11, ne fait qu’expliciter la signification évidente des autres.

C’est dire que, pour être reportées à la fin du symbole, la résurrection de la chair et la vie éternelle n’en font pas moins partie du même ensemble. Des textes, contemporains rattachent d’ailleurs expressément au. dernier jour l’application des sanctions. Ainsi en est-il du symbole Quicumque, où l’on voit se succéder le second avènement du Christ, la résurrection, la reddition des comptes, suivie de la vie éternelle ou de l’enfer éternel. La même économie se déroule dans la vieille formule anonyme, connue sous le nom de Fides Damasi, et qui appartient sans doute à la fin du ive siècle : Credimus. nos ab eo ressuscitandos die novissima. .. et habemus spem nos consecuturos ab ipso aut vitam œternam præmium boni meriti aut peenam pro peccalis œterni supplicii. Denzinger-Bannwart, n. 16.

Tous ces détails convergents montrent que le seul jugement dont il soit question dans les symboles de la primitive Église est le jugement général. Non pas que cette affirmation soit aucunement incompatible avec

l’existence d’un jugement particulier ; mais nulle part il n’est fait mention distincte de celui-ci.

Documents postérieurs.

 Jusqu’au xhi° siècle

aucun acte important du magistère ecclésiastique ne s’est ajouté aux textes qui viennent d’être analysés. A l’occasion, cependant, on rencontre çà et là des échos manifestes des symboles primitifs.

Contre les nestoriens, le concile du Latran de 649 insiste sur la place qui revient dans le jugement à la personne du Verbe incarné : Ipsum unum sanctæ et consubstanlialis et venerandse Trinilatis JJeum Verbum e cœlo descendisse… et venlurum iterum cum gloria paterna, cum assumpla ab eo atque animotn intclleclualiter carne ejus, ludicare vivos et morluos. Denzinger-Bannwart, n. 255. De même en est-il dans le symbole adressé aux orientaux, le 13 avril 1054, par saint Léon IX. Ibid., n. 344. Celui qu’Innocent III fit souscrire aux Vaudois, en 1208, souligne que le Christ reviendra pour le jugement dans la même chair où il est mort et ressuscité. Jbid., n. 422. Cf. ibid., n. 427. Entre temps, Innocent II avait condamné cette proposition d’Abélard : Quod advenlus in fine sseculi possil altribui Patri. Ibid., n. 384. Voir art. Abélard, 1. 1, col. 47. Dans tous ces textes, c’est l’Incarnation que l’Église veut mettre in tuto à propos du jugement.

Là où domine le caractère eschatologique, c’est toujours le jugement universel qui est au premier plan. Ainsi au XIe concile de Tolède (675) : Ad dexteram Patris sedens, exspectatur in finem sæeulorum judex omnium vivorum et mortuorum. Indecum sanctis Angelis et hominibus véniel ad faciendum judicium, reddcre unicuique mercedis propriæ debilum. Denz.-B., n. 287. Et tout de même au concile œcuménique du Latran (1215) : Venturus in fine sœculi, jiidicaturus vivos et mortuos et redditurus singulis secundum opéra sua lam reprobis quam electis. Ibid., n. 429. D’où l’on voit qu’au début du xine siècle, 1 Église n’éprouvait pas encore le besoin de modifier le texte des vieux symboles ou d’en préciser la teneur.

II. MOTEN AQJi (xin c -xve siècles). — Ce besoin n’allait pas tarder à se faire sentir. La profession de foi offerte au II P concile de Lyon (1274) par l’empereur Michel Paléologue et prise par l’assemblée comme base d’union avec les Grecs porte la trace de préoccupations nouvelles. Pour donner à ce document toute son importance, il faut d’ailleurs tenir compte qu’il avait été préparé par le pape Clément IV et officiellement envoyé de Rome à Constantinople, le 24 octobre 1272, parle pape Grégoire X. Mansi, Concil., t. xx, col. 47.

Texte.

On y remarque deux parties, dont le

rapprochement à quelques lignes de distance ne peut que frapper l’attention.

Tout d’abord l’empereur exprime sa croyance à l’Incarnation dans une formule du plus pur style traditionnel : Credimus ipsum Filium Dei… cum carne qua resurrexit et anima ascendissc in cœlum et sedere ad dexteram Dei Patris, inde veniurum judicare vivos et mortuos, et redditurum unicuique secundum opéra sua. Denzinger-Bannwart, n. 462. Suit une sorte d’annexé, ajoutée propler diverses errores a quibusdam ex ignoranlia et ab aliis ex malitia introductos, qui commence par affirmer l’existence du purgatoire pour les défunts insuffisamment purifiés et s’explique ensuite sur le sort des autres catégories. Les âmes qui meurent exemptes de toute faute vont au ciel : mox in cœlum recipi ; celles qui meurent dans un état de péché grave descendent en enfer : mox in infernum descendere.

Première sanction qui doit s’entendre, continue le concile, sans préjudice pour la solennelle reddition de comptes qui attend tous les hommes au jour du jugement h’adem sacrosancta Iïcqesia Itomana /irmitrr crédit et firmiter asseverat quod niliilominus in die judicii omnes homines unie tribunal Christi cum suis corporibus

comparebunl, reddituri de propriis factis rationem. Ibid.n. 464.

Caractère de cet enseignement.

A la différence

des symboles primitifs, il s’agit ici, de toute évidence, d’un enseignement direct et forme) sur les fins dernières. Aussi la doctrine de l’Église s’énonce-t-elled’une manière beaucoup plus explicite.

Elle précise en premier lieu ce qui attend l’homme au lendemain de la mort : à savoir, suivant l’état de sa conscience, le purgatoire, le ciel ou l’enfer. Il est sousentendu, comme allant de soi, que la première situation est provisoire, mais que les deux autres ont un caractère définitif. De celles-ci l’Église veut enseigner, non la réalité qui ne fut jamais en cause pour aucun chrétien, mais l’échéance. Sa pensée s’exprime en deux formules volontairement symétriques : mox in cœlum recipi, mox in in/ernum descendere. Cet adverbe un peu imprécis est généralement considéré comme synonyme de slatim et traduit par « immédiatement ». Interprétation favorisée par la version grecque du document, où mox est rendu successivement paraùxtxa et 7tapqfUTÎxc)c. Mansi, Concil., t. xx, col. 72. Peut-être l’Église ne s’est-elle pas souciée d’une rigueur aussi stricte. En tout cas, son texte suffit pour exclure l’idée d’une longue attente et pour signifier que les sanctions suivent la mort sans retard.

Mais comment le sort éternel des âmes serait-il déterminé, si ce n’est par un jugement ? L’Église s’abstient de prononcer le mot et il est remarquable que l’expression in die judicii soit, ici encore, réservée au jour de la parousie. Néanmoins la logique de son langage inclut manifestement l’existence d’un jugement préalable, dans lequel sont appréciés dès la mort les mérites de chacun. Il n’en faut pas davantage pour avoir une affirmation implicite, mais déjà très nette, du jugement particulier.

C’est tellement vrai que le concile se sent obligé de faire aussitôt la remarque, comme pour prévenir un malentendu, que la foi à ces sanctions de la première heure n’empêche pas l’Église de professer la résurrection universelle et la comparution finale de tous les humains devant le tribunal du Christ. Mettre à l’abri de toute incertitude la croyance au jugement général n’est-ce pas dire que la définition précédente équivaut à poser l’existence d’une autre procédure du même ordre, sinon tout à fait du même caractère ? La formule de foi adoptée au concile de Lyon n’emploie sans doute pas le terme de jugement particulier, et cette réserve a peut-être pour cause le désir de ménager certaines susceptibilités en respectant la terminologie reçue ; mais elle consacre incontestablement la chose.

Tandis que les anciens symboles ne parlaient explicitement que d’un seul jugement, nous en voyons maintenant apparaître deux : l’un pour chaque homme au lendemain de la mort, l’autre pour toute l’humanité à la fin des temps. Et l’importance de ce premier jugement est telle qu’en l’affirmant l’Église doit aussitôt noter expressément qu’il ne fait pas concurrence au second. Niliilominus in die judicii omnes homines ante tribunal Ctvisti… comparebunt : cette clausule est le jalon, posé par la main même de l’Église, qui témoigne du développement qui s’est fait depuis les siècles précédents.

Documents postérieurs.

Tous l’ont désormais

leur profit des précisions nouvellement acquises.

Le plus important est la célèbre constitution licnediclus Deus de Benoit XII (29 janvier 1336), qui se prononce sur l’échéance de la vision béatifique. Voir art. Benoit XII, t. ii, col. 657-673. On y retrouve les termes mêmes du concile de Lyon : Animée sanctorum. …MOX post mortem suam /ucrimt, sunt et erunt in coelo, mais précédés de la formule : DEFTNIHUS, qui leur donne leur suprême valeur. Il y est dit de même au

sujet des damnés : Deflnimus insuper quod… anima : decedenlium in actuali peccato morlali mox post mortem suam ad inferna descendunt. Chemin faisant, le pape y emploie à deux reprises l’expression : judicium générale, qui laisse entendre aussi nettement que possible l’existence du jugement particulier. Aussi termine-t-il en reprenant sous la même clause définitive le paragraphe Nihilominus, qui réserve formellement la réalité du jugement général. Denzinger-Bannwart, n. 530-531. La doctrine du double jugement est, non seulement conservée, mais précisée, et introduite, explicitement pour le jugement général, implicitement pour le jugement particulier, dans le cadre d’une définition de foi.

Un siècle plus tard, le concile de Florence (14281431) réédite encore à l’usage des Grecs la doctrine du concile de Lyon ; mais il se contente de la formule mox, sans y ajouter le paragraphe complémentaire Nihilominus. Denzinger-Bannwart, n. 693. C’est un simple rappel, où reparaît, sans addition ni modification notables, l’essentiel de l’enseignement déjà défini.

Origine de cet enseignement.

Il est remarquable

que cette formule désormais classique, où se lit pour la première fois l’indication précise d’un jugement autre que le jugement général, apparaisse au moment où l’Église entre en contact avec les Grecs schismatiqu es en vue de réaliser leur union avec l’Occident. Sur la position des orientaux aux conciles de Lyon et de Florence, voir Hefele-Leclercq, Hist, des conciles, t. vi a, p. 153 sq. et t. vii b, p. 969 sq.

Ceux-ci, en effet, semblent avoir eu, en matière eschatologique, des idées passablement confuses. Non seulement ils étaient hostiles au dogme du purgatoire, mais plusieurs retenaient volontiers la doctrine archaïque d’après laquelle la possession de l’enfer et du ciel serait plus ou moins complètement différée jusqu’au dernier jour. Ainsi divers auteurs jacobites du haut moyen âge rapportés dans Assemani, Bibliotheca orientalis, t. ii, p. 130, 166-167, 294, 504, et Disserlatio de Monophysilis, n. 5, ibid., texte non paginé. Il en était de même chez beaucoup de Grecs. Quelques apologistes n’ont voulu trouver cette conception que chez de rares polémistes postérieurs au schisme de Photius, ainsi Pitzipios, L’Église orientale, Rome, 1855, t. i, p. 91. Saint Thomas la signalait seulement, Sum. contra Gent., IV, xci, comme e.rror quorumdam Grœcorum. En réalité, il y eut toujours en Orient un courant théologique très fort en faveur du retardement des sanctions, qui a précédé les conciles d’union et qui devait leur survivrLe P. Jugie en a recueilli d’incontestables témoignages dans les livres liturgiques et chez les théologiens à partir du ix c siècle. Échos d’Orient t. xvii, 1914, p. 209-228. Ce fut un des thèmes des toutes premières controverses entre Grecs et Latins. Voir le traité Conird errores Grsecorum, publié en 1252 par les dominicains de Constantinople. P. G., t. cxl, col. 487 et 510-514.

De plus, on voyait encore traîner dans quelques sectes dissidentes, sinon dans l’Église officielle d’Orient, des notions directement contraires au jigement particulier. Certains hérétiques d’Arabie, contemporains d’Origène qui les réfuta, auraient enseigné que l’âme meurt avec le corps pour ressusciter avec lui au dernier jugement. Eusèbe, H. E., t. VI, c. xiii, P. G., t. xx, col. 597 ; renseignement adopté par saint Augustin, De hær., 83, P. L., t. xiii, col. 46. Sans aller aussi loin, plusieurs Orientaux professaient la vieille idée du sommeil des âmes. Voir P. Schanz, art. Seelenschlaf, dans Kirchenlexicon, t. xi, col. 57-58. Telle était, en particulier, ainsi qu’en témoigne déjà un écrivain du ixe siècle, l’évêque Moïse Bar Kepha, la doctrine des Nestoriens de Syrie. Ose. Braun, Moses bar Kepha und sein Buch von der Seele, Fribourg-en-Brisgau, 1891,

p. 102. Voir également Assemani, Bibliotheca orientalis, t. ii b, p. cccxlii. Les textes sont publiés au t. iii, p. 95 et 128. et de nouveau, avec un lot considérable d’inédits, dans O. Braun, op. cit., n. xviii, p. 142148. On trouve aussi trace de la même croyance chez quelques Arméniens. Voir Arménie, t. i, col. 1953 et Ame (chez les Syriens), 1. 1, col. 1018-1019.

Au xvie siècle, le P. Éliano crut encore constater chez les maronites la négation du jugement particulier. Voir Thomas de Jésus, De unione, v, 6, dans Migne, Théologies cursus, t. v, col. 695. Mais c’est là un faux renseignement dû aux informations superficielles de l’auteur. P. Dib, dans Revue des sciences religieuses, 1924, p. 203-206.

Pour arrêter ces erreurs, l’Église voulut imposer aux Grecs cette profession formelle de foi, qui allume l’échéance immédiate des sanctions après la mort et postule par là-même l’existence d’un jugement particulier.

/II. temps modernes. — Depuis lors, aucun acte nouveau du magistère ecclésiastique n’est venu s’ajouter aux précédents ; mais l’Église a marqué son intention d’en conserver la lettre et l’esprit.

Les premiers protestants, à l’exception du purgatoire, ont à peu près retenu les traits constitutifs de l’eschatologie traditionnelle. Voir Eug. Picard, art. Eschatologie, dans Lichtenberger, Encyclopédie des sciences religieuses, t. iv, p. 498-499. Chez les anabaptistes, on vit bien revivre l’idée du sommeil des âmes, sous le nom grec de psychopannychie, et Luther avouait, au moins dans sa correspondance privée, ses préférences pour ce sentiment : Proclive mihi est concedere tecum in eam sententiam justorum animas dormire ac usque ad judicii diem nescire ubi sint… Idem de damna-Us sentio… Igitur sententia mea est incerla hœc esse. Verisimile autem, exceptis paucis, omnes dormire insensibiles. Lettre à Amsdorf, du 13 janvier 1522, dans Enders, Luther’s Briefivechsel, n. 477, t. iii, p. 269-270. Il s’appuyait pour cela sur les nombreux passages de l’Écriture qui présentent la mort comme un sommeil.

Mais cette opinion trouva un adversaire en la personne de Calvin, qui la combattit dans sa Psychopannychia, publiée à Strasbourg en 1542. Opéra omnia, édition Baum, Cunitz et Reuss, t. v, Brunswick, 1866, col. 165-233. De sa préface même il résulte que cet ineptum dogma, cette insania avait à peine gagné aliquot hominum millia et, ne pouvant encoi’e s’autoriser d’aucun théologien connu, se répandait en brochures clandestines distribuées sous le manteau. I bid., co. 169170. Néanmoins, pour ne pas devenir veritatis prodilor, Calvin en veut ruiner les prétendus fondements scripturaires et s’applique particulièrement à montrer comment on peut concevoir la réalité de sanctions avant le dernier jugement, col. 210-217, bien que, suivant une de ses idées familières, elles soient encore incomplètes jusque-là. Inslitntio religionis christianæ, III, xxv, 6 ; ibid., t. ii, col. 735-736. Au total, l’erreur visée n’entra pas dans les symboles officiels de la Réforme et l’Église put se contenter d’opposer au protestantisme son enseignement ordinaire résumé par le Catéchisme romain, part. I, c. viii, 3-4.

Il n’y eut pas davantage de fait nouveau du côté des Grecs. Mais on trouve toujours, chez beaucoup de théologiens orthodoxes, avec l’affirmation nette du jugement particulier, la même tendance à retarder les sanctions qui se manifestait au moyen âge. Dossier dans Jugie, Échos d’Orient, t. xvii, 1915, p. 402421. Voir aussi la recension spéciale consacrée aux doctrines de deux théologiens hellènes contemporains, Androutsos et Dyovouniotis, ibid., t. xi, 1908, p. 262264. Cf. K. Lùbek, Théologie und Glaube, t. i, 1909, p. 782-783. A la fin du xviiie siècle, Eugène Boulgaris et son disciple Théophile Papaphilos allèrent même 172 ;

    1. JUGEMENT##


JUGEMENT, CROYANCES DU PAGANISME

1728

jusqu’à la négation formelle de tout jugement particulier : mais leur enseignement n’a pas fait école. Jugie, ibid., 1914, p. 13-14. Cf. p. 17. On comprend, dans ces conditions, que les papes n’aient cessé d’imposer aux Orientaux de nouvelles adhésions au concile de Florence. Ainsi, en 1575, Grégoire XIII, Denzinger-Banmvart, n. 1084, et, en 1743, Benoît XIV, ibid., n. 1 168.

Chez les protestants modernes, l’hostilité au jugement particulier est devenue générale. Le mouvement fut lancé par l’anglais Thomas Burnet, dans son De statu mortuorum et resurgentium tractalus, editio nova. Colonise Cheruscorum, 1733. Il y soutient l’idée d’un état intermédiaire des âmes en attendant leur réunion au corps et, chemin faisant, se livre à une vive sortie contre le jugement particulier, ibid., p. 72-75. La thèse principale fut réfutée par le savant italien Muratori, De paradiso regnique cœlestis gloria, Vérone, 1738 ; mais le problème du jugement n’occupe que peu de place, p. 19-20, dans cette vaste compilation. Au cours du xixe siècle, la croyance à l’assoupissement des âmes a pris une extension croissante, dont témoignent E. Picard, op. cit., p. 498-499 et le pasteur Louis Émery. L’espérance chrétienne de l’au-delà, Lausanne, 1913, p. 39..Mais elle reste combattue par les défenseurs de l’orthodoxie, par exemple Splittgerbcr, Tod, Fortleben und Auferslehung, 2e édit., Halle, 1869, p. 95-101, et Rinck, Yom Zustand nach dem Todc, 3e édit., Bâle, 1878, p. 27-56.

Est-ce pour obvier à la menace de ces erreurs ou, plus simplement, pour donner au Schéma de fuie catholica son couronnement naturel ? Toujours est-il que le concile de Vatican avait mis dans son programme un enseignement sur les fins dernières. En définissant que la mort est le terme de l’épreuve, on aurait touché au jugement particulier dans ces termes : post viam hujus vitte, quando homines jam ad terminum rétributions pervenerunt, ut référât quisque propria corporis proul (jessit, et ajouté que cette reddition de comptes a lieu mox post obilum coram sancto et juslo judice Deo. Premier schéma De fide cath., 17, Collectio Lacensis, t. vii, col. 517. « Incise occasionnelle », incisum in obliqua positum, qui aurait enseigné l’application immédiate des sanctions sans rien définir sur la forme et le mode du jugement particulier. Ibid., ad n. 41, col. 550551. Dans le second projet, la même mention indirecte du jugement particulier était maintenue, mais le texte ainsi modifié : Post mortem enim mox ad Dei tribunal sislimur, ut référât quisque propria corporis proul gessit, sive bonum sive malum. Schem. reformatum, v, 6 ; ibid., col. 564. La prorogation du concile empêcha la mise en discussion île ce texte.

D’après ces divers documents du magistère ecclésiastique, la réalité du jugement général est, unanimement et avec raison, donnée par tous les théologiens comme une vérité de foi. Mais « la doctrine d’un jugement particulier n’est considérée que connue une doctrine certaine ». L. Labauche, Leçons de théologie dogmatique, t. ii, Ie édit., Paris, 1921, p. 398. C’est que l’Église n’en parle jamais « que dans un sens assez général, en disant que le sort de l’homme ne larde pas à être définitivement fixé après la mort. »