Dictionnaire de théologie catholique/JOSUÉ I. Le livre de Josué

Dictionnaire de théologie catholique
Letouzey et Ané (Tome 8.2 : JOACHIM DE FLORE - LATRIEp. 69-73).

JOSUÉ.- —
I. Le livre de Josué. —
II. Valeur historique (col. 1557). —
III. Doctrines religieuses (col. 1565). —
IV. La personne et l’œuvre de Josué (col. 1570).

I. Le livre de Josué.

Le nom. —

Le livre qui dans le canon juif des Écritures et dans le texte massorétique porte le titre de Yehôsûa’a été désigné par les traducteurs grecs du nom de’Iyjejoùç auquel on trouve quelquefois ajoutés les mots ulôç Naur] ; dans la Bible syriaque il est intitulé Livre de Josué fils de Noun, avec addition parfois de : disciple de Moïse ; dans la Vulgate il est appelé : Liber Josue.

Dans la Bible hébraïque il forme le premier livre de la seconde classe du canon juif, les Prophètes. La plupart des critiques modernes en font la sixième partie de l’Hexateuque qui comprend ainsi les six premiers livres de l’Ancien Testament. Quoi qu’il en soit de cette opinion, et malgré les nombreux points de contact, faciles à relever, entre les livres qui le précèdent et celui de Josué, ce dernier n’en constitue pas moins un ouvrage indépendant, classé par la tradition juive, dont nous avons déjà un écho dans le traducteur grec de l’Ecclésiastique, dans une catégorie toute différente. Une autre preuve de cette indépendance nous est encore fournie par le fait que la communauté samaritaine, lorsqu’elle se sépara des autorités religieuses de Jérusalem, n’emporta que le Pentateuque. Il existe bien chez les Samaritains un livre de Josué en arabe, « mais cet ouvrage, qui renferme des adjonctions fantaisistes et qui paraît dater du Moyen Age, n’a jamais été considéré comme sacré, ni révéré comme faisant autorité. Quant à un prétendu livre samaritain de Josué découvert et publié en 1908, il a été démontré que c’est une œuvre moderne, basée sur le texte massorétique, mais utilisant en outre le Josué arabe susmentionné, ainsi qu’une chronique samaritaine (en arabe) de date récente. » Lucien Gautier, Introduction à l’Ancien Testament, 2e édit., Lausanne, 1914, p. 217, note 1.

Contenu et division, —

Le titre du livre indique non l’auteur, mais le personnage principal dont il est question. Il ne s’agit pas toutefois d’une biographie complète de Josué, mais plutôt de l’histoire du peuple d’Israël sous la conduite de ce chef depuis la mort de Moïse jusqu’aux premiers temps qui suivirent la mort de Josué lui-même. C’est donc la suite de l’histoire des Hébreux racontée dans le Pentateuque et son complément indispensable. Le législateur d’Israël avait en effet laissé à son successeur une double mission : prendre possession de la Terre promise et en répartir le territoire entre les tribus qui ne s’étaient pas établies à l’est du Jourdain. Comment cette double mission fut remplie, c’est ce que veut nous apprendre l’auteur du livre de Josué.

L’ouvrage se divise naturellement en deux grandes parties à peu près égales : la conquête, c. i-xii ; le partage du pays et l’établissement d’Israël dans son nouveau territoire, c. xm-xxiv.

1. Le récit de la conquête se subdivise lui-même en deux sections, une première qui, après le préambule du c. i : rappel par Jahvé à Josué et par celui-ci aux différentes tribus de la mission à remplir, décrit les préparatifs de l’invasion : envoi de deux espions à Jéricho et passage du Jourdain, suivi de l’érection d’un monument pour "en commémorer le souvenir, de la circoncision des Israélites et de la célébration de la première Pâque eu Terre promise, i, 1-v, 12 ; une deuxième, marquant les étapes principales, glorieuses et rapides, de la conquête du pays : au Sud d’abord par la prise de Jéricho et celle d’Hay et par la victoire de Gabaon sur les rois coalisés du MiJ^i, dont les villes furent successivement frappées du tranchant de l’épée et les habitants massacrés ; au Nord ensuite par la victoire, près des eaux de Mérom, sur les rois coalisés de cette région de la Terre promise, et l’occupation du pays des rois vaincus dont suit la longue liste, v, 13xii, 24.

2. Le récit du partage du territoire conquis ou à conquérir se subdivise lui aussi en deux sections : une première qui, après mention de la tâche restant à accomplir, rappelle comment Moïse avait réparti les régions situées à l’est du Jourdain entre la demi-tribu de Manassé et les tribus de Ruben et de Gad, xiii, 1-33 ; une deuxième qui relate d’abord l’attribution d’Hébron à Caleb, puis la répartition par le sort du pays à l’ouest du Jourdain, et indique finalement quelles sont les villes de refuge et les villes lévitiques. xiv, 1-xxi, 45. Un appendice, comprenant les trois derniers chapitres du livre, xxii-xxrv, raconte le retour des tribus transjordanes dans leur héritage et l’érection d’un autel, puis les dernières exhortations de Josué à Israël et enfin sa mort et sa sépulture, xxm-xxiv.

De cette rapide analyse on peut conclure :
a) à l’unité de rédaction du livre dont les deux parties, l’une complètement historique, l’autre surtout géographique et partiellement législative, constituent un récit de l’occupation ;
b) à l’étroite connexion du livre de Josué avec le Pentateuque ;
c) au caractère religieux de cette histoire de la conquête dont les principales étapes sont marquées par des interventions . divines ;
d) au caractère schématique de cette histoire, réduite à quelques traits essentiels, dont l’interprétation en vue de reconstituer la suite des événements ne va pas sans difficulté ni obscurité et exige le recours à d’autres sources d’information.

Histoire du livre.

Il y a lieu d’étudier sous cette rubrique d’abord la manière dont le livre a été composé, puis la date à laquelle il a pris sa forme actuelle. On terminera par quelques remarques sur le texte.

1. Formation du livre.

a) D’après les critiques.

De ces différents caractères du livre de Josué et particulièrement de son unité de plan, peut-on conclure à sa composition par un seul auteur ? La plupart des critiques modernes ne le pensent pas, mais voient dans ce livre le résultat d’un travail analogue à celui qui aboutit au Pentateuque ; avec lui d’ailleurs, il ne constituerait qu’un seul ouvrage : l’Hexateuque.

Si 4e livre de Josué, en effet, ne fut pas tout d’abord soumis à l’analyse critique comme le Pentateuque dès la fin du xviiie siècle et le commencement du xixe, la théorie documentaire ne tarda cependant pas à lui

être appliquée par de Wette, Bieek et Evvald et, à travers la variété des détails des différents systèmes, l’accord s’est établi parmi les modernes pour reconnaître dans le livre de Josué la présence des mêmes documents que dans le Pentateuque et leur attribuer à peu près les mêmes éléments.

Que ce livre ne soit que la mise en œuvre par un dernier rédacteur de documents de provenance diverse, c’est ce que révèlent d’abord les doubles récits des mêmes événements. Ainsi Jos., xiii, 8-12 et 15-32, déterminant les limites des territoires assignés aux tribus de Ruben et de Gad et à la demi-tribu de Manassé ; ainsi les chapitres xxiii et xxiv contenant tous deux un discours d’adieu de Josué, adressé aux mêmes auditeurs avec des exhortations analogues ; ainsi encore le double récit de la prise d’Hébron et des villes environnantes. Jos., x, 36-39, et xv, 13-19.

C’est ce que révèlent encore les nombreux points de contact entre le livre de Josué et celui des Juges : Jos., xv, 13-19, et Jud., i, 10-15, 20 ; Jos., xv, 63, et Jud., i, 21 ; Jos., xvii, 11-13, et Jud., i, 27-28 ; Jos., xvi 10, et Jud., i, 28 ; Jos., xix, 48(Lxx), et Jud., i, 34 ; campagne de Caleb contre Hébron, maintien de Jérusalem aux mains des Jébuséens, et de plusieurs autres villes, entre autres Gézer, aux mains des Cananéens, situation particulière de la tribu de Dan, se retrouvent dans l’un et l’autre livre en des textes parallèles non seulement par l’identité du sujet, mais souvent par celle des mots eux-mêmes. De ce fait l’explication la plus satisfaisante est donnée par l’hypothèse de l’emprunt que firent à une même source les deux livres canoniques ; on ne saurait dire, en effet, que c’est le livre de Josué qui a emprunté à celui des Juges, parce que son texte dans certains cas apparaît comme le plus ancien ; on ne saurait davantage attribuer tous les passages en question du livre des Juges à un emprunt au livre de Josué, leur aspect étant parfois, lui aussi, plus ancien. Cf. Lagrange, Le livre des Juges, introduction, p. xxxii, et commentaire, p. 28. La difficulté de concilier entre eux certains détails de la narration de tel événement, du passage du Jourdain, par exemple, Jos., in-iv, les différences de style et de vocabulaire enfin, rappelant de tous points les conclusions de l’analyse littéraire du Pentateuque, achèvent d’établir le caractère de compilation. Cf. Carpenter and Harford, The composition of the Hexateuch, Londres, 1902, p. 348-351 ; Driver, An introduction to the literature of the Old Testament, Edimbourg, 1898, p. 105-114.

Les divers éléments du livre de Josué, ainsi retrouvés, remontent, comme ceux du Pentateuque, à quatre documents principaux que le rédacteur aurait utilisés de la manière suivante. Dans la première partie du livre c. i-xii, dominent le Jahviste et l’Élohiste, provenant selon les uns de l’écrit prophétique JE, ou selon d’autres ne révélant aucune trace d’une combinaison antérieure quelconque ; à un rédacteur deutéronomiste Rd ou D 2 reviennent aussi de larges extraits de ces premiers chapitres. La seconde partie du livre, c. xm-xxiv, relève pour l’ensemble surtout de l’écrit sacerdotal P.

Ces différents documents sont très inégalement représentés dans le livre de Josué. Le Jahviste, pour ceux qui n’admettent point l’utilisation de l’écrit composite J-E (Steuernagel, Holzinger), y est à l’état très fragmentaire et ne saurait à lui seul nous donner quelque idée de la conquête de Canaan : le nom de Josué n’y est même point mentionné ; le ixe siècle serait l’époque de sa composition. L’Élohiste, bien que lui aussi très fragmentaire, est cependant plus complet, surtout en ce qui concerne la mission de Josué dont le rôle important est bien mis en relief ; digne continuateur de l’œuvre de Moïse, il est comme lui favorisé de l’assistance divine. Cette différence entre les deux documents s’explique par le fait que le Jahviste suit une tradition de Juda, tandis que l’ÉIohiste est l’écho d’une tradition éphraïmite. Plus complète encore est l’œuvre du rédacteur deutéronomiste surtout dans le récit de la conquête ; des environs de 600, il se rattache à la tradition de l’ÉIohiste, mais non toutefois sans indépendance. Enfin le récit sacerdotal, à peu près sans lacune dans la deuxième partie du livre, est très fragmentaire pour les débuts où il lui revient quelques versets seulement. Pour lui, comme pour le Deutéronomiste et l’ÉIohiste, la conquête est l’œuvre de tout le peuple réuni sous la conduite d’un seul chef, Josué. Si dans sa rédaction actuelle il est postexilien, à cause de l’abondance de détails concernant les pays de l’Israël d’après l’exil, il semble bienpréexilien pour l’ensemble de la description des tribus.

Composé d’éléments de même provenance que ceux du Pentateuque, le livre de Josué a-t-il suivi les mêmes étapes dans sa formation ? Certains le pensent qui y voient le résultat de la fusion successive de J-EavecD, puis avec P. D’autres, au contraire, supposent que les documents sont demeurés indépendants jusqu’après l’exil, et qu’après 445 seulement ils auraient été combinés, d’abord la rédaction deutéronomiste avec l’écrit sacerdotal ; plus tard, au ive siècle, des emprunts faits au Jahviste et à l’ÉIohiste seraient venus s’y ajouter ; enfin des retouches d’un rédacteur sacerdotal, des modifications et des additions qui ne figurent pas encore dans les Septante auraient achevé de donner au livre sa physionomie actuelle. Cf. Steuernagel, Lehrbuch der Einleilung in das Aile Testament, Tubingue, 1912, p. 280-287.

Avec des dissidences partielles dans la répartition des textes entre les documents et surtout dans la détermination des étapes de la rédaction, l’hypothèse que nous venons d’exposer est adoptée par la grande majorité des critiques : J. Wellhausen, Die Composition des Hexateuchs und der hislorischen Bûcher des A. T., 2e édit., Berlin, 1889, p. 118-136 ; Cornill, Einleilung in das A. T., 4e édit., Fribourg-en-Brisgau et Leipzig, 1893, p. 79-83 ; Driver, Introduction lo the literalure of the O. T., 7e édit., Edimbourg, 1898, p. 104-116 ; E. Carpenter and G. Harford, The composition of the Hexaleuch, Londres, 1902, p. 347-378 ; W. H. Bennett, The Book of Joshua, Leipzig, 1895 ; Volk, art. Josua dans A. Hauck, Realencyclopadie fur protestantische Théologie und Kirche, 3e édit., 1900, t. ix, p. 390-392 ; G. A. Smith, art. Joshua dans Hastings, A Diclionary of the Bible, 1899, t. ii, p. 780-784 ; Holzinger, Das Buch Josua, Tubingue et Leipzig, 1901, dans Kurzer Tland-Commentar zum A. T. de Marti ; L. Gautier, Introduction à l’A. T., 2e édit., Lausanne, 1914, p. 218-224.

b) D’après la tradition.

Si l’on peut parler d’unanimité pour l’attribution du Pentateuque à Moïse par toute l’antiquité, il n’en est pas de même pour celle du livre de Josué à Josué lui-même. Les témoignages à son sujet, en effet, sont peu nombreux et pas toujours concordants. Sans doute le Talmud affirme bien que Josué écrivit son livre et huit versets de la Loi, Baba Balhra, 14 b, et la majorité des rabbins se range à cette opinion que semble confirmer un passage du livre de l’Ecclésiastique, xlvi, 1, qui fait de Josué le successeur de Moïse, non pas seulement dans sa mission prophétique, mais encore dans la composition de livres inspirés ; le contexte toutefois et l’hébreu retrouvé ne permettent guère cette interprétation. Quelques Pères de l’Église latine ont accepté la donnée juive de l’attribution du livre à Josué, ainsi Lactance, Divin, institut., t. IV, c. xvii, P. L., t. vi, col. 500 ; saint Isidore de Séville, Elginolog., VI, i, et De eccles. offïcis, t. I, c. xii, P. L., t. lxxxii, col. 230 ; t. lxxxiii, col. 717 ; ainsi encore Raban Maur Quant à saint Jérôme, bien au courant pourtant des traditions rabbiniques, on ne saurait invoquer son témoignage dans le même sens, sa lettre à Paulin le prouve suffisamment. Epist., lui, P. L., t. xxii, col. 546.

A ces témoignages s’opposent ceux de nombreux écrivains aussi bien dans l’antiquité que dans les temps modernes. Théodoret, s’appuyant sur une leçon particulière à son manuscrit, Jos., x, 13, ettI -b [ïioXîov tô eûpeOév au lieu de ini to fk6Xîov toù eù60ûç, attribue la composition du livre à un auteur plus récent que Josué. In Josue, q. xiv, P. G., t. lxxx, col. 473. Le pseudo-Athanase, dans la Synopsis Sacræ Scripluræ, expliquait le titre du livre dans ce sens seulement que Josué en était le héros principal. P G., t. xxviii col. 309. Rompant avec la tradition juive, le rabbin Isaac Abarbanel n’en jugeait pas autrement, voyant dans une partie au moins du livre une rédaction non contemporaine des événements. Cf. Richard Simon, Histoire critique du Vieux Testament, Rotterdam, 1685, t. I, c. viii, p. 53. Alphonse Tostat, après rejet de différentes opinions, attribue le livre à Samuel. In Josue, c. i, q. xiii, et c. vii, q. ix, Opéra, Cologne, 1613, t. v, p. 22, 208-209 ; André Mæs tenait pour certaine l’opinion qu’Esdras.seulou avec d’autres scribes, avait rédigé sous l’inspiration de l’Esprit Saint et d’après d’anciennes annales hébraïques ? non seulement le livre de Josué, mais encore ceux des Juges et des Rois, et il en donnait comme preuve la mention d’une de ses sources, le livre du Juste dans Josué, x, 13, Josuæ imperatoris historia illuslrala ac explicata, Anvers, 1574, prref., p. 2, dans Migne, Cursus complelus Scriplunu Sacræ, t. vii, col. 853 ; Jacques Bonfrère, tout en préférant l’opinion qui fait de. Josué l’auteur du livre qui porte son nom, rapportait celles qui l’attribuent ou au grand-prêtre Éléazar, ou au prophète Isaïe, ou à Samuel, ou à Esdras. Josue, Judices et Rulh, Paris, 1631, Prsefatio. Aussi le P. de Hummelauer peut-il conclure avec raison, dans l’introduction de son commentaire : Celerum unum luce clarius dictis manifeslatur, in quæstione, quis libri Josue auctor sit, nihil nos habere tradilum, tradilione sacra et cerla ; pruclentius nos fore inquisiluros, non in auctorem a quo, sed in tempus quo scriptus sit liber. Josue, Paris, 1903.

Le livre lui-même, malgré quelques textes invoqués en faveur de sa composition par Josué, n’est pas plus affinnatif. — Il y est dit, en effet, de ce dernier, qu’ « il écrivit (toutes) ces choses dans le volume de la loi du Seigneur. » Jos. xxiv, 26. De quoi s’agit-il ? Ou bien du discours qui précède immédiatement, Jos., xxiv, 2-24, ou bien du Deutéronome, xxvi, 16-xxvii, 27 (de Hummelauer, op. cit., p. 515-517), mais nullement de l’ensemble du livre de Josué. — A plusieurs reprises, a-t-on fait remarquer encore, le texte hébreu emploie dans la relation des événements la première personne ; n’est-ce point là le fait d’un témoin oculaire, et pourquoi pas de Josué lui-même ? Jos., iv, 23 ; v, 1, 6. A ce sujet on peut faire observer d’abord que dans un cas, Jos., v, 1, 1a leçon est douteuse (d’après une note marginale [le qeri] les Septante et la Vulgate, il faut lire, en effet, non pas nous mais eux) et ensuite qu’un auteur plus récent a bien pu insérer dans son œuvre la relation d’un contemporain. — D’autres arguments, dégagés du contenu même du livre, sont encore apportés dans le même sens. « De nombreux indices trahissent l’acteur ou le témoin oculaire. La précision des détails historiques et topographiques, la manière dont l’histoire de Josué est racontée incidemment au milieu du récit des événements auxquels il a été mêlé, le ton lui-même du récit semblent indiquer la main de Josué. Les discours de ce héros sont pénétrés du même esprit qui a animé l’écrivain et qui lui a fait disposer les matériaux de son histoire en vue du but… Enfin on ne trouve pas dans tout le livre un mot d’éloge de Josué. Tandis que le narrateur de sa mort le qualifie de serviteur de Dieu, xxiv, 29, lui-même se nomme toujours seulement le fils de Nun. » F. Vigouroux, Dictionnaire de la Bible, 1903, t. iii, col. 1696.

Forts de ces raisons, plusieurs auteurs catholiques croient pouvoir maintenir l’unité et l’authenticité du livre de Josué, à l’exception toutefois de la finale xxiv, 29-33, qui raconte la mort de Josué et d’Éléazar, de quelques récits d’événements postérieurs tels que l’occupation de Dabir, xv, 15-19, l’expédition des Danites, xix, 47, et de quelques gloses insérées plus tard dans le texte. Himpel, Selbsldndigkeil, Einheit und Glaubiviïrdigkeit des Huches Josua. dans Tûbinger Quartalschrifl, 1864. p. 385-449 ; 1865, p. 227-307 ; Kaulen, FAnleitung, 2° édit., Fribouig-eii-B., 1890, p. 177 sq. ; Clair, Le Livre de Josué, Paris, 1883, p. 5 ; Fillion, La sainte Bible commentée. Paris, 1889, t. ii, p. 9 ; Cornelv, Inlroduclio specialis in historicos Y. T. libros, Paris, " t. i, p. 187-199 ; Pelt, Histoire de l’A. T., 3e édit., Paris, 1901, t. i, p. 333. Parmi les protestants : Kcenig, Alttestament. Studien, i, Authentic des H. Josua, Meurs, 1836, p. 4 sq. : Keil, Einleitung, 3e édit., p. 181 sq. ; Comment., 2° édit., p. 8 sq.

Conclusion.

De ce double exposé des théories modernes et de la tradition sur l’origine du livre de Josué, les conclusions suivantes semblent pouvoir se dégager :
1. Le livre de Josué constitue un ouvrage bien indépendant, tenu comme tel par les traditions juive et chrétienne, par un bon nombre même de critiques, qui, tout en y reconnaissant les mêmes documents que dans le Pentateuque, sont bien obligés d’admettre un mode tout différent de leur utilisation et de leur fusion. —
2. L’opinion qui fait de Josué, l’auteur du livre, quels que soient d’ailleurs son antiquité et le nombre de ses partisans, n’apparaît nullement comme une véritable tradition, à la fois certaine et unanime. —
3. Pour la rédaction de l’histoire de la conquête et du partage de la Terre promise, l’auteur s’est servi d’éléments préexistants, dont certains indices révèlent l’existence et dont la mise en œuvre n’a i as fait disparaître les traits caractéristiques, lui-même le laisse entendre par sa citation du Livre du Juste, Jos., x, 13 et par son allusion à un livro décrivant les villes du pays, Jos., xviii, 9 : < c’est un fait bien évident, constate le P. Lagrange, qu’aucun autre livre biblique, n’a autant l’aspect, même extérieur, d’une compilation. » Le livre des Juges, Paris, 1903, p. 26. C’est là sans doute le point de départ de l’hypothèse documentaire, mais, nous l’avons vii, des auteurs catholiques, anciens et modernes, ont suggéré ou franchement adopté cette explication de l’origine de notre livre. Pour préciser davantage, ne pourrait-on reconnaître parmi ces documents principaux des éléments provenant de deux histoires parallèles, l’une au caractère plus populaire et plus national, s’inléressant surtout aux guerres et aux victoires de Jahvé, l’autre au caractère plus religieux, soulignant davantage l’action divine dans les événements pour en dégager l’enseignement moral et religieux qu’ils comportent ? Est-ce à dire qu’il faille se rallier à la thèse critique telle que nous l’avons exposée ci-dessus et la suivre dans le détail de son analyse littéraire aussi bien que dans la fixation de la date des différents documents ? Nullement. Pour autant d’ailleurs que cette thèse n’est que l’extension au livre de Josué des théories modernes sur l’origine du Pentateuque, elle appelle les mêmes réserves que ces dernières.

Pour l’objet de notre étude, qui est de caractériser l’œuvre et la personne de Josué et de montrer la place qui revient à son époque dans l’histoire de la nation aussi bien que dans celle de la religion d’Israël, pas n’est besoin de procéder à une nouvelle analyse littéraire du livre ; qu’il nous suffise simplement de savoir que les documents principaux sont de par leur date, nous le dirons plus loin, des témoins dignes de foi et que le rédacteur, par le souci même qu’il a eu d’en préserver le texte dans son œuvre, s’est gardé de toute altération de la vérité. Si son but, directement religieux et non historique, à savoir manifester la gloire de Jahvé, la vaillance et la fidélité de Josué dans la conquête, lui commande le choix des matériaux qui concourront le plus efficacement à ce but, il n’implique nullement une déformation quelconque de la réalité » D’autres témoignages pourront d’ailleurs dans certains cas confirmer le sien tout en le précisant : ainsi le I er chapitre du livre des Juges et tel récit du livre de Samuel ou des Rois pour l’histoire de la conquête en général et tel de ses épisodes.

2. Date de la composition.

D’assez nombreux indices révèlent pour la composition du livre une époque plus récente que celle de Josué : la formule si souvent répétée, quatorze fois dans le texte hébreu, « jusqu’aujourd’hui » laisse entendrt qu’un intervalle de temps assez considérable a dû s’écouler entre l’événement raconté et sa relation. Jos., iv, 9 ; v, 9 ; vi, 25 ; vii, 26 (2 fois) ; viii, 29 ; ix, 27 ; x, 27 ; xiii, 13 ; xiv, 14 ; xv, 63 ; xvi, 10 ; xvii, 3, 17. S’il est impossible d’apprécier la longueur de cet intervalle de temps, il semble bien que le nombre des aimées qui séparent les débuts de la conquête de la mort de Josué ne puisse justifier pareille remarque du rédacteur. D’autre part, du fait que la Vulgate au c. xiv, ꝟ. 10, est seule à reproduire la formule « jusqu’aujourd’hui », on ne saurait conclure que celle-ci n’est, dans l’ensemble des cas, qu’une glose ajoutée plus ou moins tardivement à un texte plus ancien.

Parfois d’ailleurs cette formule pourra recevoir quelque précision du rapprochement d’un autre texte ; lorsqu’il est dit, par exemple, Jos., xvi, 10, que les Cananéens de Gazer ont habité jusqu’à ce jour au milieu d’Ephraïm, nous savons par III Heg., ix, 16, qu’il s’agit d’une époque certainement antérieure aux premières années de Salomon, puisque c’est au début de son règne que le roi d’Egypte s’empara de la ville, en massacra les habitants et en fit don à sa fille, mariée au roi d’Israël. De même, lorsque nous lisons, Jos., xv, 63, que les Jébuséens ont habité Jérusalem avec les fils de Juda jusqu’à ce jour nous pouvons affirmer que le renseignement est antérieur à la huitième année du règne de David. puisque c’est alors que le roi s’empara de la ville et en fit sa capitale. II Reg., v, 6-10. L’absence, du moins dans l’hébreu (Septante, xv, 60), du nom de Bethléem, patrie de David, entra’ne une conclusion analogue pour l’ensemble du passage, qui certes n’aurait pu laisser dans l’ombre le nom d’une cité devenue illustre après le règne du grand roi. La qualification de « grande ville » donnée à Sidon, Jos., xi, 8 ; xix, 28, nous permet de remonter à une date plus reculée puisque, après la ruine de cette ville par les Philistins au temps des Juges en Israël, Tyr seule mérita le nom de grande ville des Phéniciens. Que les récits enfin de la brillante conquête de Canaan aient été familiers aux prophètes du vin siècle et à leurs contemporains, c’est ce que suppose la simple allusion de Michée aux événements qui marquèrent la marche des Hébreux de Sétim à Galgala. Mien., vi, 5.

Sans doute l’emprunt fait au Livre du Juste, Jos-, x, 13, livre où se trouvait également l’élégie sur la mort de Saûl et de Jonathan, II Reg., i, 18, impliquerait une époque plus tardive, mais on a fait observer, non sans raison, que ce Livre du Jusle, lequel était selon toutes vraisemblances un recueil de poésies et de chants populaiivs, a fort bien pu s’enrichir, au cours des siècles, d’éléments nouveaux venant s’ajouter à d’autres plus anciens ; déplus, pour certains critiques (Steuernagel, Holzinger), la mention du Livre du Jusle n’appartiendrait pas au document dans sa forme primitive ; on n’en saurait par conséquent tirer un argument contre l’antiquité de l’ensemble du récit.

Si ces quelques remarques ne permettent pas d’attribuer une date précise à telle OU telle partie du livre non plus qu’à sa rédaction définitive, elles nous laissent entrevoir néanmoins, pour certains récits tout particulièrement, une époque qui ne saurait être très éloignée des événements racontés. N’est-il pas vraisemblable, en effet, que des scribes, des lévites aient eu le souci de garder le souvenir de ces glorieux événements qui avaient permis l’établissement des Hébreux en Canaan ? l’usage de leurs puissants voisins d’Egypte et de Babylonie de rédiger leurs annales ne leur était certes ni inconnu ni étranger. De plus, l’exactitude des données du récit biblique, prouvée chaque fois que le contrôle est possible par leur conformité aux données de l’archéologie babylonienne et égyptienne, est une nouvelle garantie de la haute antiquité des documents mis en œuvre par l’écrivain sacré, car ni la simple tradition orale ni des écrits d’une époque où la situation politique et sociale était complètement modifiée n’auraient pu reproduire une image aussi fidèle de l’établissement d’Israël en Canaan.

Cette conclusion n’exclut pas les remaniements, les adaptations, les gloses qui ont pu se produire pour le livre de Josué comme pour le Pentateuque. (Cf. Commission biblique, De mosaïca aulhenlia Penlaleuchi, ad I Y), et dont le plus grand nombre remonterait sans doute à l’époque de ce mouvement littéraire du vue siècle, dit deutéronomiste.ou encore au temps de restauration qui suivit le retour de la captivité au Ve siècle.

3. Etat du texte.

Quelques remarques sur l’état du texte compléteront ces rapides notions sur l’histoire du livre de JosTié. D’une façon générale, on peut affirmer que ce texte ne nous est pas parvenu en liés bon état. Une première preuve de cette affirmation nous est fournie par la comparaison avec la version des Septante qui a conservé un texte plus clair, plus précis et dans l’ensemble plus proche de l’original que l’hébreu massorétique, exception faite toutefois de l’addition finale, partie apocryphe et partie compilée du livre de Josué ; plus nombreux, en effet, et de beaucoup sont les passages où le grec est préférable, à l’hébreu que ceux où l’hébreu est préférable au grec, aussi ce dernier peut-il être tenu pour plus authentique. Cf. de Iluininelauer, Josue, Paris, 1903, p. 5-15 ; conclusion analogue pour les chapitres vii et viii d’après A. Tricot, La prise d’Aï (Jos., VII, 1-VIII, 29), dans Biblicu, 11)22, t. iii, p. 273-294.

Une deuxième preuve nous est donnée par la comparaison avec des passages parallèles du livre lui-même et d’autres livres où il apparaît que noms propres et chiffres, si fréquents surtout dans les listes topographiques, ont subi bien des altérations ; (.les changements, par addition le plus souvent, par omission quelquefois, ont été apportés au texte primitif. Cf. Jos., xix, 36, où le nombre des villes de la tribu de Nephtali est vraisemblablement incomplet en regard de celui qui est indiqué par Jos., xxi, 31 et 1 Par. vi, 51 ; Jos, xxi, 36, où manque sans doute un membre de phrase qu’ont gardé les Septante et la Vulgate mais aussi I Par., VI, 03, etc. Certaines mêmes de ces différences sont telles qu’on a émis l’hypothèse qu’après la traduction grecque, « tes additions auraient encore été laites au texte hébreu par un rédacteur deutéronoinisle, l’omission, par exemple, par les Septante ( Vaticanus) de Jos., xx, 1-ti, n’aurait d’autre explica Mon. Cf. Permit l, The book of Joshua, p. 22 ; G. A. srnitli, art Jaslm a, dans Hastings, Diclionary of the liibl-, i. ii, j). 7X1.

Ainsi, à ce point de vue encore de la conservation du texte, le livre de Josué ne saurait confondre son histoire avec celle du Pentateuque. Celui-ci a été conservé avec plus de soin, comme l’établit une comparaison avec les Septante ; à cela d’ailleurs rien d’étonnant, le caractère même du livre de la Loi imposait un souci particulier d’exactitude dans sa transcription. L’existence enfin de certaines particularités linguistiques du livre de Josué vient encore à l’appui de cette conclusion : Jéricho n’est plus appelée comme dans le Pentateuque Yerêhô mais Yerîhô ; le pronom personnel n’a plus la forme hî’au lieu de hû’… Cf. Hollenberg, Die ale.rundrinische Uebersetzung des Huches Josua, Meurs, 1876 ; H. B. Swete, An introduction to the O. T., Cambridge, 1900, p. 236-237, 244 ; de Hummelauer, op. cit., p. 5-15.