Dictionnaire de théologie catholique/IMMUNITÉS ECCLÉSIASTIQUES I. Définition & II. Division

Dictionnaire de théologie catholique
Letouzey et Ané (Tome 7.1 : HOBBES - IMMUNITÉSp. 616-618).

IMMUNITÉS ECCLÉSIASTIQUES.


I. Définition.
II. Division.
III. Origine juridique.
IV. Immunités personnelles.
V. Immunités réelles et immunités locales.
VI. La Congrégation de l’Immunité.
VII. Conclusions.

I. DÉFINITION.

En droit romain Vimmunitas était l’exemption d’un munus. Par munus on entendait toute sorte d’obligations imposées par la loi, la coutume ou l’autorité ; on l’opposait au donum, service spontané et nullement obligatoire. Munus proprie est, quod necessarie obimus, lege, more, imperiove ejus qui jubendi habet potestatem. Digeste, t. L, tit. xvi. De verborum significatione, loi 214.

S’inspirant de cette conception les canonistes définissent l’immunité : le droit en vertu duquel les lieux, choses et personnes ecclésiasiiqucs sont libres et exempts d’une charge ou d’une obligation commune. Jus quo loca, res vel personm ecclesiasticx a communi onere seu obligatione libéras sunt et exempta’. Santi-Leitner, Prælecliones juris canoniei, Rome, 1905, t. iii, p. 453.

II. DmsioN.

L’immunité est locale, réelle ou personnelle.

L’immunité locale est le droit en vertu duquel un lieu sacré est à l’abri des actes profanes qui ne conviennent pas à sa sainteté et offre à certains criminels un asile dont ils ne peuvent être chassés par la force sans le consentement de l’autorité ecclésiastique.

L’imniunilé réelle exempte les biens de l’Église des impôts civils ainsi que les objets du culte des usages profanes.

L’immunité personnelle exonère les clercs et les religieux de la juridiction séculière.

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III. Origine juridique.

Les opinions sont sur ce point partagées.

1’De nombreux théologiens et certains canonistes soutiennent que les immunités sont de droit naturel ou tout au moins de droit positif divin. Cf. Ferraris, Promplabibliolheca, i

mot Immunilas, ad li"n, n.7-14.

Ils invoquent d’abord l’usage général des nations où partout les temples, les personnes et les propriétés consacrées à la divinité se trouvent dans des conditions spéciales. Ils allèguent également les privilèges des prêtres et des lévites, le droit d’asile auprès de l’autel dans l’Ancien Testament. Ilsfontremarquerque du moment où les empereurs romains ont cessé de la persécuter, l’Église leur a demandé de respecter non seulement sa liberté, mais encore ses immunités. Enfin ils citent des textes où les souverains pontifes en particulier, en appellent au droit divin aussi bien qu’au droit humain quand il y a lieu de prolester contre la violation de ces mêmes immunités : un des plus récents est celui où Pie IX déclare le service militaire des clercs contraire aux droits divin, ecclésiastique et humain. Lettre du 29 septembre 1864 à l’évêque de Montréal, source de la 32^ proposition condamnée par le Syllabus. Cf. L. Choupin, Valeur des décisions doctrinales et disciplinaires du saint-siège. Paris, 1913, p. 295-296.

2 » Prenant le contrepied de l’opinion précédente. les régalistes ont prétendu que toutes les immunités n’étaient que des concessions du pouvoir civil, concessions que ce dernier pouvait reprendre si les circonstances l’exigeaient. Cf. Héricourt, Les lois ecclésiastiques de France, t. V, tit. viii.

Les clercs, disaient-ils, sont, en dehors de leur ministère, des citoyens comme les autres. Quant à la propriété ecclésiastique, elle reste, malgré son usage à des fins pieuses, chose essentiellement temporelle. D’ailleurs l’histoire est là qui prouve qu’en fait ce sont des lois civiles qui se trouvent à l’origine des immunités.

3° Enfin, tenant un juste milieu entre ces deux doctrines extrêmes, beaucoup de canonistes estiment que si l’immunité de l’Église et des personnes ecclésiastiques ne tire pas son origine du droit civil (30^ proposition condamnée par le Syllabus, extraite de l’allocution Multipliées inter de Pie IX, du 10 juin 1851), et s’il est inexact de professer avec les Espagnols Cavarruvias et Molina (Schmalzgrueber, op. cit., 1. II. tit. II, n. 97) que l’exemption des clercs et des églises est uniquement de droit humain ecclésiastique, on doit reconnaître qu’un tel privilège, bien qu’ayant son origine dans le droit divin, qui en insinue la convenance, ne s’y trouve pas à titre de précepte strict et .proprement dit, et que la loi n’en a été formulée de façon précise que parles papes et les conciles. Tel est, en particulier, le point de vue de Schmalzgrueber, t. II, tit. II, n. 98 ; de Gonzalez Tellez, c. 8, t. II, tit. i. De judiciis, n. 10 et 11 ; deLessius, De justilia et jure, t. II, c. xxxiii, dub.iv, n. 30, Anvers, 1617 ; de Santi-Leitner, t. II, t. ii, n. 25 sq. ; de Cavagnis, Institutiones juris publici ecclesiastici, t. ii, n. 162 sq., p. 323 sq. ; de Wernz, Jus Decrelalium, t. ii, n. 167 et not. 124. p. 258 ; de Mgr Boudinhon, art. Immunitij de la Catholic encycloptrdia, de New-York, et du P. L. Choupin, art. Immunités ecclésiastiques, du Dictionnaire apologétique de la foi catholique, Paris, 1912. Ces auteurs font remarquer, comme Mgr Boudinhon l’indique sommairement, que l’Église ne s’est pas prononcée officiellement sur le point controversé, mais que sa pensée peut être facilement déduite de deux séries de faits : d’une part, elle a souvent protesté contre la suppression par l’autorité civile de certaines immunités en les revendiquant comme des droits qui lui étaient propres. Cf, par exemple, les propositions

30, 31, 32 du Syllabus. D’autre part, elle en a laissé tomber d’autres, telle l’exemption fiscale des clercs, le droit d’asile, sans même tenter de les faire revivre. Bien plus, dans les concordats elle a fait abandon en faveur des gouvernements d’une partie des privilèges cléricaux ; c’est ainsi que dans les États de Costa-Rica, de Nicaragua, de San Salvador, de Guatemala, de Honduras, de l’Equateur, de Colombia, en vertu des conventions passées avec le saint-siège, les causes civiles et même, sauf exceptions nettement déterminées, les causes criminelles des clercs peuvent être soumises aux tribunaux séculiers. Cf. J.-B. Ferreres, Institutiones canonicæ, Barcelone, 1920, p. 104. Il est bien évident que si le privilège du for était de droit divin, au sens strict du mot, le souverain pontife ne pourrait jamais et sous aucun prétexte y renoncer.

Quant aux arguments des deux opinions opposées, ils ne paraissent pas irréfutables. Les usages universels, l’antiquité des décisions ecclésiastiques, les textes pontificaux mis en avant par les tenants de la première prouvent seulement la conformité de la législation canonique avec les principes généraux du droit naturel : il n’en résulte nullement que ce dernier n’avait pas besoin, en la matière, d’être précisé et complété par les décrétales et les canons.

Reste la loi mosaïque, mais tous les docteurs admettent aujourd’hui son caractère transitoire. Les régalistes ont raison d’affirmer qu’en plus d’un cas les constitutions impériales concèdent des immunités aux clercs et aux églises avant que les conciles les réclament. Cependant il ne faudrait pas généraliser ce fait : en d’autres circonstances les « canones » ont précédé les « leges », par exemple, en ce qui concerne l’exemption des hautes charges de l’État. Concile de Chalcédoine et code Justinien. De plus, reconnaître un droit et le créer sont deux choses très distinctes. Enfin les immunités répondent à un sentiment religieux trop général pour qu’on puisse juridiquement les considérer comme des faveurs purement gratuite.> de l’État.

En somme, le développement des immunités est l’œuvre de l’Église, mais leur principe général est un corollaire du droit divin. C’est ce qu’indiquait déjà le concile de Trente quand il invitait les princes à respecter et à faire respecter Ecclesiæ et personaram ecclesiasticarum immunitatem, Dei ordinatione et canonicis sanctionibus constiiutam. Sess. XXV, De reformatione, c. xx.

IV. Immunités personnelles.

Les immunités personnelles des clercs et des religieux sont le privilège du canon, le privilège du for, le privilège de l’exemption et le privilège de la compétence.

Le privilège du canon.

Ce privilège est ainsi

appelé parce que le canon 15 « du IP concile de Latran (1139) l’a étendu au clergé de toutes les églises.

1. Historique.

Dans le droit ecclésiastique ancien les agressions contre les clercs étaient déjà punies de pénitences particulièrement sévères et d’excommunication. Le concile présidé à Mayence par Raban Maur en 847 condamne à douze ans de pénitence le meurtrier d’un prêtre. Décret de Gratien, causa XVII, q. IV, c. 24. Le pape saint Nicolas l" (858-867), dans une lettre à l’archevêque de Milan, Thado, ordonne d’excommunier après une triple monition les flagellatores, occisores et prædones presbyterorum. Ibid., c. 23. Le canon 5 du concile de Ravenne de 877 prévoit la même procédure contre ceux qui font « injure » aux personnes ecclésiastiques. 76z’d., c. 21, §3. Alexandre II (1061-1073) punit d’anathème et de confiscation ceux qui se saisissent d’un évêque, le frappent ou l’expulsent de son siège, d’excommunication (et de déposition s’il s’agit d’un ecclésiastiques) ceux qui se rendent coupables des mêmes faits à l’égard d’un

simple cleix. Ibid., c. 22. Les lois barbares elles-mêmes fixaient une compensation pécuniaire supérieure à la moyenne pour racheter les violences commises contre les ecclésiastiques ; telles la loi des Ripuaires, tit. xxa, § 9 ; tit. xxxvi, §5, ou la loi salique, tit.LV,

§7 Quand, au xue siècle, des agitateurs comme Arnaud de Brescia suscitèrent des émeutes contre le clergé, la nécessité d’une législation plus précise se fit sentir. Annoncé par plusieurs décisions de conciles particuliers (Clermont, 1130 ; Reims, 1131 ; Pise, 1135), le canon 15 « du II « concile de Latran tenu en 1139, sous Innocent II. frappa d’une excommunication ipso fado réservée au souverain pontife ceux qui feraient violence aux clercs et aux moines : Si quis, suadenle diabolo, hujus sacrilegii vicium incurreril, quod in dericum vel monachum violentas manus injecerit, analhematis vinculo sabjaceal, et nullas episcoporum illum prsesumat absolvere, nisi morlis urgente periculo, donec apostolico conspedui prmsentetur, et ejus mandatum suscipial. Gratien, causa XVII, q. iv, c. 29. Cf. Décrétales, t. V, tit. xxxix.

Ce canon célèbre demeura longtemps comme la charte du privilège auquel il a donné son nom. Les nombreuses Décrétales qui le commentèrent, pour en préciser le sens plutôt que pour l’atténuer, en maintinrent strictement le principe. Sans doute il fut entendu qu’il ne s’appliquait pas quand des écoliers clercs se bousculaient par jeu : si non de odio, vel de inoidia, vel de indignatione, sed levitate jocosa ; quand un maître châtiait ses élèves, Alexandre III à l'évcque de Sens, Décrétales, t. V, tit. xxxix, c. 1 ; quand, en cas de légitime défense, on frappait un ecclésiastique Clément III, ibid., c. 14, 23, 25 : Qiium vim virepellere omnes leges omniaque jura permittqnt, ou qu’un clerc était surpris en flagrant délit d’adultère et même de simple fornication avec une parente de celui qui le frappait, ibid., c. 3, enfin si l’on ignorait le caractère clérical de la victime. Ibid., c. 4. Il fut également admis que l'évcque pouvait absoudre le coupable en certains cas : si la violence avait eu lieu entre clercs ivant en commun, Grégoire VII, Décrétales, t. iii, tit. I, c. 9, ou entre moines (concurremment avec l’abbé dans cette dernière hypothèse, Décrétales, t. V, tit. xxxix, c. 2, d’Alexandre III), s’il s’agissait de femmes ou d’autres personnes qui n'étaient pas sui juris, ibid., c. 6, si on ne pouvait pas se rendre à Rome, sans péril, ibid., cil (le péril cessant, l’obligation renaissait, ibid., c. 17), si la pauTeté, l’infirmité, la vieillesse ou tout autre empêchement canonique empêchaient le voyage ad limina, ibid., c. 26, de Clément III (seulement pour la période où l’empêchement existait réellement), enfin quand un serf en partant pour Rome aurait fraudé son maître ou lui aurait causé quelque dommage, Jbid., c. 37, Innocent III en 1200 à l’archevêque de Lyon. La condition de serf n'était pas par elle-même une excuse..Mais par ailleurs les papes déterminèrent que le privilège s'étendait à tous les religieux, moniales, Décrétales, l.V, tit. XXXIX, c. 33, d’Innocent II, frères lais, ibid., et novices, I. V, tit. ii, c. 21, de Boniface VIII, in Sexto. De plus l’excommunication atteignait avec les auteurs immédiats du méfait, les percus.sores, comme disait Innocent II, ceux qui en avaient donné l’ordre, les mandantes, Décrétales, t. V, tit. XXXIX, c. C, d’Alexandre III : cum is committat vere, cujus audoritate vel mandata delidnm committi prohatur, ceiqi' le pouvant ne l’avaient pas empêché, ibid.. c. 47, d’Innocent III : qui quum possint manijesto jncinori desinunt obviare, et enfin ceux qui le ratifiaient après coup, I. V, tll. ii, c. 23, de Boniface VIII, 1/1 Sexto. Les agresseurs des clercs devaient être contraints ii aller à Rome, même par appel au

bras séculier, si besoin était. Décrétales, t. V, tit. xxxi, c. 18, de Grégoire IX à l'évêque de Braga entre 1227 et 1234. Les sanctions précédentes protégeaient indistinctement tous les clercs et tous les religieux ; quand la victime occupait un rang élevé, la coopération à la violence recevait une extension très large et des sanctions très sévères étaient ajoutées à l’excommunication réservée au souverain pontife. Parlant des cardinaux, des clercs et des religieux de la famille papale, Boniface VIII écrivait à l'évêque de Béziers que, dans ce cas, le coupable était (gui cardinalem) hostiliter inseculus, vel percusserit aut ceperit, vel socius fuerit (acientis, aut fieri mandaverit, vel fadum ratum habuerit, aut consilium dederit vel favorem aut postea receptaverit vel defensaverit scienter eumdem. Il ajoutait que le crime emportait l’infamie perpétuelle, le bannissement, l’incapacité de tester et d’hériter, l’inhabileté aux offices ecclésiastiques étendue aux enfants et aux petits-enfants, c. 5, titre ix, 1. V. in Sexto,

Clément V, au concile de Vienne (1313), appliqua la même énumération de coopérateurs au cas d’une agression contre tout « pontife », c’est-à-dire contre tout clerc revêtu de la dignité épiscopale, en ajoutant à l’excommunication la privation des bénéfices et l’inhabilité aux fonctions ecclésiastiques jusqu'à la deuxième génération. Clémentines, t. V, tit. viii, c. 1, Si quis suadenle diabolo. Ce texte est devenu aussi célèbre que le 15 « canon du II" concile de Latran.

Au début du xve siècle, la sévérité traditionnelle à l'égard des violateurs du privilège du canon ne fut pas diminuée du fait de la distinction établie par Martin V entre les excommuniés vitandi et ceux qui étaient séparés de l'Église par la sentence ordinaire d’excommunication. Ce pontife, en effet, excepta formellement les percussores dericorum de la règle en vertu de laquelle seuls dorénavant devaient être

« évités r, les coupables dont la censure o avait été

portée et publiée par le juge en forme expresse et nommément ». « Exception est faite, disait-il, pour le cas de l’excommunication du canon encourue pour voies de fait sacrilèges contre un clerc, d’une manière si notoire que ce fait ne puisse être dissimulé sous aucun prétexte, ni être excusé par un moyen juridique. On devra éviter toute relation avec ce coupable, quoique non publiquement dénoncé conformément aux prescriptions canoniques. » C’est le n. 7 du décret Ad evitanda scandala de 1418 qu’on trouve parmi les formules des concordats conclus avec les nations allemandes par Martin V lors du concile de Constance. Cf. Hefele, Histoire des conciles, trad. Leclercq, Paris, 1916, t. i, p. 540.

Le d'-rnier état de la discipline ecclésiastique rclativemei t au privilège du canon, pour la période antérieure au Codex juris canonici, est celui qu'établit la constitution ApostoUcæ sedis du 12 octobre 1869. On y lit au n. 5 de la section énumérant les excommunications réservées speciali modo au souverain pontife : Omnes interflcientes, mutilantes, pcrcutientes. capientes, carcerantes, detinentes, vel liostiliter insequentes S. R. E. cardinales, patriarchas, episcopos, sedisque apostolicæ legatos vel nuncios, aut eos a suis diœcesibus, territoriis, terris seu dominiis ejicienles, necnon ra mandantes, vel rata habentes, seu pra-stantes in ris auxilium, consilium vel fuvorem. Ces dernières clauses rappellent celles des Décrétales de Boniface VIII et de Clément V sur le même sujet. A le section ii' qui comprend les excommunications latw sententiæ Romano pontipci reservatar, il n’est au contraire question, n. 2, que des auteurs mêmes de violences sur les clercs et les religieux des deux sexes ; Violentas manus, suadenle diabolo, injicienics in eleriros, vd utriusqur seriis mnnacims, rxceptis quoad