Dictionnaire de théologie catholique/IMMACULÉE CONCEPTION I. Dans l'Ecriture et la tradition jusqu'au concile d'Ephèse III.En Occident et en Orient jusqu'au concile d'Ephèse

Dictionnaire de théologie catholique
Letouzey et Ané (Tome 7.1 : HOBBES - IMMUNITÉSp. 443-454).

III. En Occident et en Orient jusqu’au coNaLE D'ÉpHÈSE : PÉRIODE DE CROYANCE IMPLICITE.

Quand il s’agit de vérités qui n’ont pas été, dès le début, professées publiquement dans l'Église, classique est la distinction de trois étapes successives : possession tranquille ou croyance implicite ; controverse, quand la croj’ance, commençant à se manifester soit dans la connaissance soit dans la prédication, provoque la discussion ; enfin profession publique et commune, habituellement sanctionnée par un acte solennel du magistère ecclésiastique. Cette division n’offre rien d'équivoque pour les deux derniers membres ; il n’en est pas de même pour le premier. Dans l’hypothèse d’une révélation non explicite, les termes de possession tranquille et de croyance implicite sont susceptibles d’un sens plus large que dans l’hypothèse d’une révélation explicite ; car il se peut que l'Église accepte d’intention tout le dépôt divin, sans avoir pris conscience de telle vérité particulière qui s’y trouve enveloppée. Dans ce cas. nous sommes en face d’un implicite objectif, et la dénomination de croyance implicite a, en fin de compte, son fondement dans l’objet luimême, en tant que réellement contenu dans le dépôt de la révélation.

Or, beaucoup estiment qu’en ce qui concerne l’immaculée conception de la mère de Dieu, il ne saurait être question que d’implicite objectif pour toute la période patristique ; période qu’on a coutume d'étendre, pour l’Orient, jusqu'à saint Jean Damascène, mort au milieu du viiie siècle, et, pour l’Occident, jusqu'à saint Grégoire le Grand (t604), à moins que.

par une extension assez raisonnable, on ne préfère descendre jusqu’au Vénérable Bède († 735). Il semble donc nécessaire de dédoubler ce qu’on présente ordinairement comme une première étape, en distinguant une période de croyance implicite, qui va des origines au concile d'Éphèse, et une autre, de développement progressif, qui commence et se poursuit après ce concile, mais dans des conditions assez différentes en Orient et en Occident pour qu’il y ait lieu de l'étudier séparément.Dans la première période, au contraire, la marche est sensiblement la même, surtout jusqu’au IVe siècle ; car, après le concile de Nicée, tenu en 325, des facteurs distincts interviennent déjà.

I. LES TROIS PREMIERS SIÈCLES : MARIE NOUVELLE

EVE. — C’est dans le prolongement des mystères de l’incarnation et de la rédemption, que les anciens Pères ont d’abord envisagé la bienheureuse Vierge. Les hérétiques primitifs, judaïsants et docètes, s’en prenaient, les uns à la divinité de Jésus-Christ, les autres à la réalité de sa vie et de sa mort. Il fallait défendre contre leurs attaques ces vérités fondamentales de notre foi, et Marie, mère de Jésus, mais mère-vierge, était appelée en témoignage. Deux grands titres résumaient don.c cette mariologie embryonnaire : Marie est la mère du Verbe fait chair ; Marie est la Vierge, la sainte Vierge.

Que le seul énoncé de ces litres ne suffise pas pour donner l’idée de l’immaculée conception, la chose est évidente et reconnue dans le Sillage degli argomenii : Non est diffUendum inter Patres ceterosque scripfores, qui velustioribus Ecclesix œtalibus vixere, nondum repertos qui apertis verbis a/Jîrmaverint bealissimam Virgincm sine originalt pcccato esse conceplam. Sardi, op. cit., t. II, p. 48. Quelques consulteurs, avaient, il est vrai, fait appel à certaines homélies portant les noms d’anciens docteurs, Origène, Grégoire le Thaumaturge, Méthode, Athanase, Basile, Chrysostome, Épiphane, Jérôme, Augustin, ou même à des témoignages rattachant l’institution de la fête de la Conception aux apôtres saint André ou saint Jacques ; mais des voix nombreuses s'étaient inscrites en faux contre ces tlocuments, et dans le Sillage comme dans la bulle Ine/Jabilis on évita de faire entrer en ligne de compte cette littéiature apocryphe. On se contenta de parler, pour les premiers siècles, d’indices et de vestiges de la pieuse croyance, quædam tamen indicia et quasi vestigia hujus sententiæ. En fait de témoignages particuliers, quatre seulement sont mentionnes ; ils se rattachent aux noms d'Éphrem, Ambroise, Augustin et Dcnys d’Alexandrie. Ces auteurs vécurent après le concile de Nicée, sauf le dernier ; mais VEpislola ad Puuluni Samosalenum, qu’on lui attribue, est maintenant tenue pour apocryphe et ne semble pas antérieure au v » siècle. Bardenhewer, Gcschichte der alikirchlicben Literatur, t. ii, p. 188. D’ailleurs, les expressions invoquées, de « tabernacle créé par Dieu et formé par le Saint-Esprit, » sont trop vagues en elles-mêmes et trop peu déterminées dans le contexte pour qu’on en puisse tirer un argument ellicace en faveur de l’immaculée conception de Marie.

Il ne reste, pour la période anlénicéenne, que des témoignages généraux et indirects, se ramenant presque exclusivement à la notion de Marie nouvelle Eue. Cette notion se rattache à une idée jilus générale : l'œuvre de la rédemption a été modelée, mais comme à rebours, sur l'œuvre de la perdition..Saint Paul avait appliqué cette doctrine à Nolre-Scigncur Jésus-Christ, sauvant par son obéissance ceux que le premier homme avait perdus par sa désobéissance. Rom., v, 19. Les yeux fixés en même temps sur le récit de la chute oriKinclle, Gen., iii, 1-20, et sur celui de lannonciation, Luc, I, 26-39, les Pères anténicéens ont développé l’antithèse, en présentant Marie comme la nou- |

velle Eve à côté du nouvel Adam. Ainsi, dans un texte déjà cité, col. 856, Tertulhen nous a-t-il montré Dieu recouvrant « par une opération contraire son image et sa ressemblance, dont le démon s'était emparé, » c’est-à-dire se servant d’une vierge pour donner au monde le Verbe rédempteur, « afin que le même sexe qui avait été la cause de notre perte devînt aussi l’instrument de notre salut. »

Les Pères grecs avaient précédé le docteur africain. Saint Justin, le premier, avait ébauché l’idée, Dialog. cum Tryph., 100, P. G., t. vi, col. 710 : « Le Fils de Dieu s’est fait homme d’une vierge, afin que la désobéissance, dont le diable avait été le principe, prît fin de la même façon qu’elle avait commencé. Vierge encore et sans corruption, Eve reçut dans son cœur la parole du serpent, et par là enfanta la désobéissance et la mort ; mais Marie, là Vierge, l'âme pleine de foi et d’allégresse, répondit à l’ange Gabriel qui lui apportait l’heureux message : Qu’il me soit fait selon votre parole. C’est d’elle qu’est né celui dont tant de choses, comme nous l’avons démontré, ont été dites dans l'Écriture, celui par qui Dieu renverse le serpent avec les anges et les hommes qui lui ressemblent, tandis qu’il délivre de la mort ceux qui font pénitence de leurs fautes et croient en lui. »

Saint Irénée développe le même thème, en lui donnant plus de relief, dans sa doctrine de ràvaye-.paXaÎMg :

. Jésus-Christ « a tout récapitulé, en engageant la

lutte contre notre ennemi, en vainquant celui qui, à l’origine, nous avait faits captifs dans la personne d’Adam, et en lui broyant la tête, selon la parole dite par Dieu au serpent dans la Genèse. » Cont. hær., v, 2, 1, P. G., t. VTi, col. 1179.

Cette récapitulation dit reprise de l'économie primitive, considérée dans ses traits fondamentaux : reprise directe ou par ressemblance, quand il s’agit de l'œuvre même de Dieu ; reprise à rebours ou par opposition, quand il s’agit du désordre introduit par la malice du démon et la faute d’Adam et d’Eve. Ainsi le premier homme fut formé, dans son corps, d’une terre neuve et vierge encore ; le Verbe incarne naîtra de la Vierge Marie, iii, 21, 10, col. 954. Auprès d’Adam il y eut Eve, cette première femme que Dieu lui avait donnée pour compagne et pour aide, mais qui « par sa désobéissance fut une cause de mort pour elle-même et pour tout le genre humain » ; auprès du nouvel Adam, il y aura Marie qui, « par son obéissance, seraunecause de salut pour elle-même et pour tout le genre humain, i m, 22, 4, col. 958 sq. Nouvelle Eve, la bienheureuse Vierge fait donc antithèse avec l’ancienne, dans l'œuvre du relèvement : « Comme le genre humain avait été voué à la mort par une vierge, il a été également sauvé par une vierge ; par un juste équilibre, l’obéissance virginale a réparé ce que la désobéissance virginale avait perdu. » v, 19, 1, col. 1175. Doctrine d’une assez grande valeur, aux yeux de saint Irénée, pour qu’il ait jugé à propos de l’insérer dans son Exposition de la prédication apostolique, VA ; Itci&îiç'.v toCI aTuoTTo>. ; xov) y.r ; pj-, ' ! j.aT') :, 33, édit. Harnack, Texte und Unlersuchungen, t. xxxi, p. 19.

Ce rôle de nouvelle Eve, associée au nouvel Adam dans l'œuvre de la réparation, entraîne-t-il quckpies conséquences pour la personne même de Marie, sous le rapport de la sainteté, et quelles conséquences ? Les Pères anténicéens ne se posent » as cette qucstion ; ils s’en tiennent à ce qui va directement à leur but : virginité de Marie avant et pendant la conception ou l’enfantement de.Jésus ; attitude de la nouvelle Eve en face de l’ange Gabriel qui lui transmet le message divin. Ont-ils, à part eux, saisi ou du moins enfreva quelque chose ? Qui pourrait donner, dans un sens ou dans l’autre, une réponse assurée ? Mais ce n’est pas exagérer que d’appliciuer a la question présente

le jugement porté par un auteur de nos jours sur la mariologic, telle qu’elle se présente à la veille du concile de Nicée : « Les principes sont posés, et déjà on a commencé à s’engager dans la voie des conclusions. » E. Neuberl, Marie dans l'Église aniénicéenne, p. 276.

Dès cette époquc, en elïet, la mère de Jésus est appelée la sainte Vierge ; appellation renfermant une idée de sainteté qui ne date pas seulement du jour de l’annonciation et qui dépasse manifestement la simple virginité ou intégrité physique. Dans une homélie tenue pour authentique par de bons juges, saint Grégoire le Thaumaturge rapproche, comme ses devanciers, les deux Èves en insistant sur le caractère virginal de Marie et de son enfantement, mais il parle aussi, auparavant, du Verbe divin qui, « trouvant la Vierge sainte d'âme et de corps, prend d’elle le corps vivant qui convenait à la réalisation de ses desseins miséricordieux, inveniensque DirginemSPiRiTV corporeque sanctam, ex ea animalum corpus suis congruum consiliis assumpsit. » Sermo in nalivitate Christi, 10, 23, édit. Pitra, Analecta sacra, t. iv, p. 390, 394 ; Neubert, op. cit., p. 185 sq., 226.

Nous avons vu saint Justin établir entre Eve et Marie une comparaison qui est tout à l’avantage de celle-ci. Dans cette comparaison, le premier terme, c’est Eve, non seulement vierge encore, mais exempte aussi de toute corruption, uapOévo ; -/àp o-jira Ei’a /od à'çOopoç ; le parallélisme ne demande-t-il pas que, dans le second terme, on comprenne les mêmes qualificatifs, bien que le saint docteur se soit contenté d’exprimer le premier, Wapia v, uapOévoç ? A la première Eve, pleinement intègre, correspondrait donc la seconde, douée d’une prérogative semblable. Conséquence d’autant plus notable, qu'à cette époque les Pères grecs concevaient volontiers la tache originelle comme une corruption affectant les fils d’Adam, et la rédemption commeun retour à l’incorruptibilité primitive. S. Ircnée, ui, 19, 1, P. G., t. vii, col. 938 sq. Conséquence nullement étonnante d’ailleurs, car elle se retrouve en substance dans un fragment de saint Hippolyte († 235) sur le psaume xxii^, P. G., t. x, col. 610. Comparant le Sauveur à l’arche d’alliance, il explique d’abord comment l’incorruptibilité du bois dont l’arche était faite, signifiait l’incorruptibilité de la sainte humanité ; puis, passant à l’application : « Le Seigneur, dit-il, est sans péché, étant, selon son humanité, de bois incorruptible, à savoir, de ta Vierge et de i Esprit-Saint. » Suivant la juste remarque de Neubert, op. cit., p. 218, « le but direct d’Hippolyte était de démontrer l’impeccabilité de Jésus, mais son raisonnement suppose qu'à ses yeux, la Vierge, bois incorruptible dont est faite l’humanité du Sauveur, est elle-même toute pure ».

Si ces considérations prouvent suffisamment que, pour les Pères anténicéens, l’idée de pureté et de sainteté s’attachait à la personne de Marie, elles ne permettent pas de leur attribuer une croyance formelle en son immaculée conception. Y a-t-il ailleurs des traces de cette croyance ? La question se pose à propos d’un apocryphe, le Protévangile de Jacques, composé en grec dans la seconde moitié ou vers le milieu du iie siècle, au moins pour la première partie, relative à la vie de la Vierge avant la naissance de Jésus. E. Hennecke, Neutestamentliche Apokryphen, Tubingue, 1904, p. 48 ; E. Amann, Le Protévangile de Jacques, p. 99 sq. L'écrit mérite de fixer l’attention à cause de l’influence considérable qu’il a exercée, surtout en Orient. On y raconte que saint Joachim et sainte Anne, étant sans enfants, souffraient de cette épreuve et suppliaient instamment Dieu de les en délivrer. Il arriva que, Joachim s'étant retiré au désert, un ange lui apparut et lui dit, iv, 2 : « Joachim, Joa chim, le Seigneur Dieu a exaucé ta prière ; descends d’ici, car voici que ta femme Anne concevra en son sein, £v -faCTTpi Lr, 'liza :. » Anne, favorisée d’un message semblable, se rend au-devant de son mari, qu’elle rencontre à la Porte dorée de Jérusalem ; elle exprime sa joie en ces termes, iv, 4 : « Voici que la veuve n’est plus veuve, et que moi qui étais sans enfant je concevrai dans mon sein, à-/ "X'7-ç : 'Lr, 'l’ji.'ji :.it Amann, op. cit., p. 193-195.

Rien dans tout ceci qui dépasse l’annonce d’une conception miraculeuse, en tant qu’accordée aux prières des deux époux après une longue période de stérilité. Mais, dans un manuscrit très ancien, le passé est substitué au futur : » Voici que ta femme a conçu, £t').riŒ ; voici que j’ai conçu, sT/r, sa. Leçon confirmée aux v « et VIe siècles par diverses versions et, particulièrement au iv<= par saint Épiphane, Hser., Lxxix, 5, P. G., t. XLU, col. 748, où il mentionne l’histoire de Marie et les traditions n portant « qu’il a été dit à son père Joachim dans le désert : Ta femme a conçu ». Il suffit de prendre cette expression à la lettre en y joignant cette circonstance, que Joachim était alors loin de son épouse, pour comprendre comment et dans quel sens le problème qui nous occupe peut apparaître : « Si l’auteur du Protévangile a cru à la conception virginale de sainte Anne, si en la rapportant il s’est fait sur ce point l'écho de la tradition et de la piété populaire, il faut le ranger parmi les tout premiers défenseurs de l’immaculée conception, il faut reconnaître de plus que cette idée a dans la tradition catholique des raisons beaucoup plus profondes qu’on ne le suppose ordinairement. » Amann, op. cit., p. 17. Ajoutons que, compris de la sorte, le privilège mariai dépasserait la notion du dogme défini par Pic IX, car l’hypothèse dont il s’agit conduirait à une conception pure au sens actif ou dans son principe, non moins qu’au sens passif ou dans son ternie, comme celle de Notre-Seigneur.

L’auteur du 1 rotcvangile a-t-il réellement cru à la conception virginale de l'épouse de Joachim ? L’emploi du passé, au lieu du futur, ne le prouve pas efficacement, car, suivant la remarque de saint Épiphane, l’ange a pu parler ainsi à la manière des prophètes, pour mieux exprimer la certitude de l'événement annoncé ; la présence du futur dans presque tous les manuscrits favorise évidemment cette interprétation. Des chrétiens ont, il est vrai, pris à la lettre le terme el'/r|Ç.ar, et conclu à une conception virginale ; en les réfutant, saint Épiphane témoigne de la réalité de leur sentiment, qui reparaîtra dans la période postéphésienne ; mais désavouée par les pasteurs et limitée à un petit nombre de partisans, cette manière de voir ne représente ni la pensée de l'Église, ni même une croyance populaire commune.

Le Protévangile de Jacques n’en a pas moins ses enseignements. Le fait que la conception de Marie y est présentée au moins comme aussi miraculeuse que celle de saint Jean-Baptiste, explique cette observation de M. Amann, op. cit., p. 15 : " Dans les milieux chrétiens où fut composé le Protévangile, instinctivement la piété populaire faisait le raisonnemqnt qui revient à chaque page des traités modernes de mariologie : il faut admettre que la vierge Marie non seulement a reçu les mêmes faveurs que les saints les plus éminents, mais. qu’elle les a eues d’une manière plus éminente. » En outre, dans le cantique d’action de grâces mis sur les lèvres d’Anne, on lit ce verset, vi, 3 : Kaî Ëûwxév |xoi /jpio ; vtapTtbv 5rLaioo-jvi, ç (avxoC). liovoojcriov KoX’JTiXàaioM èvtÔTrtov otÙTOvJ. c Et le Seigneur m’a donné un fruit de (sa) justice, fruit simple, (mais) de multiple aspect devant lui. » Amann, op. cit., p. 203. Phrase au sens discuté, mais qui paraît exactement commentée par le P. Jugie, Le Protévangile de

Jacques et l’immaculée conception, dans les Échos d’Orient, t. XIV, p. 20 : (’Ce fruit de justice que le Seigneur lui a donne ne désigne-t-il point Marie ? En maintenant la leçon : un fruit de sa justice, Tischendorf l’a sans doute pensé. C’est l’interprétation qui nous paraît de beaucoup la meilleure. Marie est appelée un fruit de justice, c’est-à-dire un fruit de sainteté, digne de celui qui l’a accordé. C’est un fruit unique en son genre, qui renferme en lui toutes sortes de propriétés. » Ainsi l’idée de sainteté apparaît-elle intimement liée à la personne de la bienheureuse Vierge, miraculeusement accordée par Dieu aux instantes prières de ses parents.

Le courant de piété populaire que représente l’Évangile apocryphe dont nous venons de parler, arrivait donc, à sa manière, au même terme que la réflexion théologique des Pères anténicéens, partant de l’union étroite qui, dans l’ordre de la réparation, existe entre le nouvel Adam et la nouvelle Eve, entre le Christ Sauveur et sa mère : de part et d’autre, le terme était Marie sainte, d’une sainteté proportionnée à sa mission unique et à la dignité personnelle qui s’en suit. Principe simple en soi, mais d’une grande portée, comme l’avenir devait le montrer.

I) resterait à examiner quelques témoignages de la même époque, où les adversaires du dogme prétendent trouver, non pas la négation expresse, mais l’exclusion réelle ou équivalente de l’immaculée conception ; textes de Tertullien, de Clément d’Alexandrie et d’Origène, affirmant que, seuls, Dieu et Jésus-Christ l’Homme-Dieu sont sans péché, et, par contre, attribuant à Marie des imperfections et des faiblesses. Mais comme les mêmes assertions reparaissent chez les Pères postniccens, il semble préférable de tout réserver pour un examen commun.

Passaglia, op. cit., scct. v, a. 3 ; Newman, Certain difpcuHie. s jeU by Anglicans in catholic tcaching, Londres, 1876, p. 31 sq. ; trad. tianç.. Du ciilie de la sainte Vierge dans l’Église catholique, Paris, 1908, p. 48 sq. ; H. Legnani. De secunda Eva, c. iv-vii, Venise, 1888 ; J. Schwane, Dogmengeschichle, 2<’édit., Frigourg-en-Brisgau, 1892, 1. 1, p..384 sq. ; trad. franc, par A. Degert, Histoire des dogmes, Paris, 1903, 1. 1, p. 529 sq. ; Th. Livius, jT/ic blessed Virgin in llie Falltcrs o/ the firsl six centuries, c. i, Londres, 1893 ; L. Kôstcrs, Maria, die unbefleckle Empjançfne, Batisbonne, 1905, p. 23 sq. ; E. Neiibert, Hlarie dans l’Ëglisc anliniréenne, part, ii, c. Il et iii, Paris, 1908 ; M. Jugie, l.’inwiacuUc conception dans la tradition grecque ; les Pères anténicéens et l’immaculée, dans Sotre-Dame, Paris. 1911, t. i, p. 41-42, 257-259 ; L. Amann, Le Prolévangile de Jacques et ses rcmanienirnls latins, introduction, c. ii, § 2, Paris, 1910, p. 15 sq. ; M. Jugie, Le Prolévangile de Jacques et l’immaculée conceplion, dans les Échos d’Orient, 1911, t. xiv, p. 16-20, et dans Notre-Dame, 1. 1, p. 161-163.

II. DD COKCII.E DE MCÉE AU CONCILE li’ÈPUÈSE

(32Ô-431) : MAitlE TOUTE SAIKTE. — Le développement de la mariologie iiendant cette période présente déjà, en plusieurs centres, des caractères assez tranchés pour donner lieu à des grou])cments distincts

1° Lrjtisc grecque : saint Épiphane. — Nous sommes à l’époque des grands docteurs, et Ton rêverait volontiers « l’une brillante littérature mariale sous la iiliime des Athanase, des Basile, des Grégoire, <ies Cyrille et des Chrysoslomc. Autre est la réalité, abstraction faite des écrits apocryphes, homélies surl’annonciation et sur la nativité de la bienheureuse Vierge, panégyriques ou sermons en son honneur. Champions de l’orlhodoxie contre les hérétiques de leur temps, ces Pères concentrèrent leurs efforts sur les points capitaux fies mystères de la trinite et de l’incarnation, qui étaient alors attaqués ; comme, d’un autre côté, le culte de Marie n’était encore qu’à l’étal embryonnaire, ils ne furent pas amenés à se prononcer, dans

leurs discours, sur les diverses circonstances de la vie de Notre-Dame, celles surtout que la sainte Écriture a laissées dans une ombre mystérieuse. L’influence d’Origène induisit même plusieurs d’entre eux à interpréter d’une façon malheureuse, comme on le verra bientôt, quelques passages des Évangiles relatifs à la mère de Jésus. La mariologie grecque de cette époque n’en’fournit pas moins, pour le problème qui nous occupe, des éléments qu’on ne saurait négliger.

L’absolue virginité est affirmée en des termes on ne peut plus expressifs, par exemple, quand Didyme d’Alexandrie donne à Marie l’épithète de vierge immaculée toujours et en tout, iil Lal îià uavro ; a^jM^.o :, TiapOévoç. De Trinilatc, l, 4, P. G., t. xxxix, col. 832. Mais, suivant une remarque déjà faite à propos des Pères anténicéens, le contexte montre souvent que la virginité parfaite ne comprend pas seulement l’intégrité physique, mais qu’elle s’étend aussi à l’intégrité de l’esprit et de l’âme. Dès lors, Marie toujours vierge serait également Marie toujours sainte. Faisons une application spéciale de cette remarque à l’écrit connu sous ce titre : Lettre des prêtres et des diacres d’Acliaïe sur le martyre de saint André, et rapporté par les uns au iv « , par les autres au ve siècle. Il contient une phrase exploitée par des défenseurs de l’immaculée conception : Le premier homme ajant été créo et formé de la terre immaculée, iy. xr, ; àjMj.r, Toj -jf, ;, il fallait que l’homme parfait naquît de la vierge immaculée, éx Tï, ç àjJwp.r.TO-j 71a(iÙ£voj. P, G., t. II, COI. 1217. Entre la terre et la vierge, dont furent formés le premier et le second Adam, il y a donc rapprochement sous l’idée commune d’àjj.aiiJ.r.Toc. D’après l’analogie fournie par des auteurs plus anciens ou contemporains, par exemple, Irénée, Conl. fiicr., iii, 21, 10, P, G., t. VII, col. 954, et Chrysostonie, Homil., ii, de mulalione luminum, n. 3, P. G., t. iii, col. 129, cette épithètc peut s’entendre, dans le premier terme, de la terre encore vierge, et n’appeler en Marie que l’intégrité virginale, comme terme correspondant. Mais, à considérer la signification propre du mot à ! J(.’)(j.T, roç, irrépréhensible, l’épithète peut aussi s’ententlre de la terre non souillée encore par le péché d’Adam ni soumise, en conséquence, à la malédiction divine ; alors, appliquée à Marie dans le second terme de la comparaison, elle dépasse manifestement l’inlégrilé virginale et présente un sens analogue à celui de cette expression de saint Justin, citée jilus haut : rapOi’voç oica xa’t i’iôof.oç. Pour n’être pas certaine, cette seconde interprétation est-elle dénuée de probabilité ?

La « loctrine des deux Èves demeure chez les Pères postnicécns, mais clic n’a pas le même relief chez tous (fux qui s’en servent. La plujjart se contentent d’énoncer l’antithèse traditionnelle : d’un côté, mort, expulsion du paradis, déchéance par une vierge ; de l’autre côté, vie, salut, délivrance ou relèvement, par une vierge. S. Cyrille de Jérusalem, Cal., xii, 15, y*. G., t. XXXIII, col. 74 ; S. Amphiloque, Oral, in Chrisii nativ., 4, P. G., t. xxxix, col. 41 ; S. Jean Chrysostome, Erposit. in ps. XLIV, n. 7, P. G., t. i.v, col. 193. Saint Épiphane va phis loin ; non seulement il rattache expressément à l’oracle genésiaque la doctrine du nouvel Adam et de la nouvelle Eve. mais il tire plusieurs conséquences du rôle unique qui échut à Marie. Il la voit figurativement dans la première femnic recevant le nom d’/ïw, ou mère des vivants, Gen., iii, 20 : « Lve, en effet, reçut ce nom ajirès avoir entendu ces paroles : Tu es terre, et tu retourneras à la terre, c’est-à-dire après le)iéché. Pourquoi ne lui donner cette appellation qu’après sa décliéance ? A considérer la seule vie corporelle ou sensible, c’est assurément de celle Ève que toute la race humaine est issue ; mais, en réalité, c’est Marie qui a introduit dans le monde la vraie vie, c’est elle qui a enfanté le Vivant, et elle

est la mère des vivants. » //iEr., Lxx viii, 1 8, P. G., t. xlii, col. 728. Un tel rôle n’entraîne-t-il pas une firâce, une sainteté unique ? L’auteur du Panarium le suppose manifestement, quand il nous présente la liienlieureuse Vierge comme une demeure et un temple pr6parés en vue de l’incarnation du Verbe par un grand et stupéfiant miracle de la bonté divine. Hser., lxxix, 3, col. 743. Bien plus, il l’affirme en attribuant au v.v/jxçii-TcoiJÉvi, de la salutation angélique une ampleur indéfinie : pour lui, Marie n’est pas seulement « la sainte Vierge, ô àyi(x TrapOévo :, elle est « la toute-pleine de grâce », TVJvi, vfjp, ovvT£ : Tï) xaxà Ttivra -Le/_apcT(i)[j.Évi, , coç ôÎ7t£v 6 PagptriA. Hær., lxxviii, p. 24, 25, col. 737.

Ne suffirait-il pas de presser le qualificatif Latà TtivTa, pour y trouver un témoignage implicite ou virtuel en faveur de la sainte conception de Marie, comme enveloppée dans cette plénitude indéfinie de grâce ? On est d’autant mieux fondé à poser la question que, parlant en cet endroit contre des idées et des pratiques mariolâtriques, le saint docteur devait surveiller de près son langage, et que le Protévangile de Jacques avait, comme on l’a déjà vii, attiré son attention sur la conception de la bienheureuse Vierge. Il réprouve avec vigueur ceux qui prétendent faire de Marie une déesse en lui olïrant des sacrifices, ou qui lui attribuent un corps venu du ciel : où’ts yàp fjEÔ ? r, Mapia. oû’te aTt’&-Jpavo-j k’/ouira tô GMi.a.. Ibid., n. 24. Il connaît le récit qui taisait de la fille de Joachim et d’Anne un fruit de bénédiction, accordé par la bonté divine à leurs instantes prières ; ce n’est pas là ce qu’il rejette, mais l’interprétation abusive, fondée sur la leçon : ’Il yjvri o-oj <7uvnÀr| : s’jra, suivant laquelle Anne aurait conçu virginalement ; à l’encontre, il déclare Marie soumise aux conditions ordinaires de la génération humaine, qui suppose le concours actif d’un père et d’une mère. : y.aôùç TtivTE, ;, iv. trTtép[xaTo ; àvSprjî xai |J.r|Tpaç f^vaiv.oç Hær., LXXIX, 5, col. 748. Mais rien de tout cela ne s’oppose à ce que la bénédiction divine, tombant sur la Vierge au début de son existence, n’ait été comme une première application du xatà Tcàvua x£/^apiTtoijévr|.

Cette hypothèse cadrerait bien d’ailleurs avec la façon dont saint Épiphanc répond à cette question : Comment la sainte Vierge a-t-elle quitté ce monde ? Est-elle morte et a-t-elle été mise au tombeau ? At-elle reçu la couronne du martyre, comme les paroles du vieillard Siméon, Luc, ii, 35, pourraient le faire conjecturer ? N’est-elle pas morte ? Question ouverte : » Dieu peut faire tout ce qui lui plaît, et nous n’avons rien de certain sur la fin de la Vierge. » Hser., Lxxviii, 24, col. 737. Ce privilège éventuel de n’être pas tombée sous le coup de la mort, Épiphane ne le rattache pas. il est vrai, à l’exemption du péché originel ; il n’en reste pas moins qu’il ne voit pas de difficulté à ce que la mère de Dieu ait été soustraite à la loi commune de la mort, fondée sur le péché originel d’après la doctrine de l’apôtre, Rom., v, 12 ; doctrine si familière pourtant aux Pères grecs et si fortement accentuée à la même époque par plusieurs d’entre eux, notamment saint Jean Chrysoslome.

2° Église syrienne : saint Éphrem. — Singulièrement expressifs sont les témoignages relatifs à la sainteté de la mère de Dieu, que nous fournissent les Pères syriens du iv » siècle. C’est d’abord, à l’époque du concile de Nicée, saint Jacques de Nisibe, dans un fragment que lui attribue un manuscrit syriaque très ancien : « Dieu, dit-il, s’est choisi pour mère une vierge pure, prévenue de ses faveurs, qu’il s’était consacrée et fiancée ; seule entre tous, il l’a maintenue sans souillure, sans tache ; puis il est venu habiter dans cette bienheureuse pleine de beauté, intègre de corps, toute pure et scellée en son âme ; et il s’est manifesté en cette fille d’origine divine, pleinement agréable à

Dieu. » Citation du P. Joseph Besson, missionnaire en Syrie au xviie siècle, dans Civillà catlolica, 1876, 9° série, t. xii, p. 549. Comment ne pas reconnaître dans un tel langage l’affirmation de la sainteté indéfinie de la Vierge, sainteté s’étendant à sa personne comme à sa vie entière ?

Saint Jacques de Nisibe n’est qu’un précurseur, dont la gloire s’éclipse devant celle de son disciple, Éphrem le Syrien, mort à Édesse vers 373. Orateur, exégète, poète, Éphrem est partout le panégyriste, et combien fécond ! de la mère de Dieu. « Pleine de grâce…, toute pure, toute immaculée, toute sans faute, toute sans souillure, toute sans reproche, toute digne de louange, toute intègre, toute bienheureuse…, vierge d’âme, et de corps, et d’esprit…, arche sainte qui nous a fait échapper au déluge du péché, belle par nature, tabernacle sacré que le Verbe, nouveau Béséléel, a travaillé de ses mains divines…, complètement étrangère à toute souillure et à toute tache du péché. » Opéra grœce et latine, t. iii, Oratio ad Dciparam, p. 528, 529 ; ad SS. Deigenitricem, p. 577. Tel est le langage rappelé dans la bulle IncfJabilisDeus. Mais pour en comprendre toute la portée, il faut dépasser la lettre et pénétrer plus à fond dans la théologie du docteur syrien.

Le mystère du Christ en est le point central, et Marie se rattache à ce mystère par un double rapport, l’un social, l’autre personnel. Sous le premier rapport, elle est la nouvelle Eve qui coopère avec le nouvel Adam au mystère du salut. « Deux vierges ont été données au genre humain : l’une fut cause de vie comme l’autre avait été cause de mort. » Hymni et sermones, édit. Lamy, t. ii, p. 526. « Eve et le serpent ont creusé la fosse où ils précipitèrent Adam, mais Marie et l’enfant royal ont fait la contre-partie ; s’étant penches, ils l’ont retiré de l’abîme. » Ibid., p. 524. Éphrem ne s’en tient pas là ; il tire une conséquence que n’ont pas tirée ses devanciers : rapprochant les deux vierges avant le moment où elles se font antithèse, il les voit sortant semblables des mains du créateur : « Toutes deux innocentes, toutes deux simples, Marie et Eve avaient été faites de tout point semblables ; mais ensuite l’une est devenue cause de mort, et l’autre cause de notre vie. » Sermones exegelici. In Gen., iii, 6, Opéra syriace et latine, t. ii, p. 327. Ainsi l’idée d’innocence parfaite vient-elle s’associer à celle de nouvelle Eve.

Mais Marie est d’abord mère du Verbe incarné ; rapport personnel qui, plus impérieusement encore que l’autre, entraîne des conséquences merveilleuses. « Elle est vierge, elle est mère, donc que n’est-elle pas ? s’écrie Éphrem. Hymni, t. ii, p. 521. Jésus est le fruit béni de Marie, mais par un renversement des causalités, la Vierge devient à son tour un fruit unique du Christ, et la plus merveilleuse efflorescence de son mystère d’amour. C’est le Verbe qui a créé sa mère, comme il a formé de la terre le premier homme, comme il a façonné son propre corps : Plasmasti Adam e pulvere, et matrem tuam creasti, et tu teipsiim jormasti in mente (matrel) tua. Ibid, , p. 564. Aussi quelle beauté, quelle perfection dans l’œuvre du Christ rédempteur ! « O la très sainte, ô reine, ô mère de Dieu, seule toute pure en ton corps et en ton âme. seule bien au-dessus de toute pureté, de toute intégrité, de toute virginité, seule devenue tout entière la demeure de toutes les grâces du Saint-Esprit. » Opéra græce-latine, t. iii, p. 524.

Aux yeux du grand docteur sj’rien, l’innocence brille tellement en Marie, que, dans une poésie de l’an 370, il ne craint pas de présenter en quelque sorte sur le même plan la pureté du Christ et celle de la Vierge, mettant en scène l’Église d’Édesse, désolée par un schisme de six années, il lui fait dire : « En vérité, vous et votre mère, vous êtes parfaitement beaux sous tous rapports ; car, en vous, Seigneur, il n’est point de tache, et en votre mère il n’est point de souillure. » Carmina Nisibina, édit. Bickell, p. 122. Passage dont la force est justement soulignée par le savant éditeur, p. 28 : Probatione vix eget, Ephræmum hoc loco immunitatem non solum ab actuali, sed eliam ab originali peccato tribuere. Adscribit enim ei talem sanditatem quam cum solo Christo participat quaque omnes reliqui homines carent. Raisonnement d’autant plus sérieux, que saint Éphrem regardait les enfants non baptisés comme infectés d’une tache ; parlant en effet du ciel, il nous y montre les mères chrétiennes voyant avec les anges leurs enfants préalablement purifiés de toute tache : Aspiciunt parvulos suos… sublimi gradu locatos et fados omni detersa labe angelorum cognatos. De paradiso Eden, serm. vii. Opera syr. lat., t. iii, p. 582. Comme Bickell, Mgr Rahmani compte l’immaculée conception au nombre des vérités admises par l’illustre diacre d’Édesse. Sandi Ephrœmi hymni de virginitate, Scharfé, 1906, p. xii.

Église latine : saint Ambroise et saint Augustin.

En Occident comme en Orient, nous retrouvons l’antithèse des Èves sous des formes diverses. Saint Jérôme l’énonce en passant, par manière de dicton familier : Mors per Evam, vita per Mariam. Epist., xxii, ad Eustoch., n. 2, P. L., t. xxii, col. 408. Saint Ambroise y revient plusieurs fois, en considérant soit le rôle d’Eve et de Marie, soit le caractère virginal de cette dernière et de son enfantement : Veni, Eva, jam Maria, quæ nobis non solum virginitatis incentivum, attulit, sed etiam Deum intulit. De institut, virginis, c. v, n. 33, P.L., t. xvi, col. 314 ; Ex terra virgine Adam, Christus ex virgine… Per mulierem stultitia, per virginem sapientia. Exposit. in Luc, t. iv, n. 7, P. L., t. xv, col. 1614 ; cf. Exhort. virginitatis, c. iv, n. 26 ; Epist., lxiii, ad eccles. Vercell., n. 33, P. L., t. xvi, col. 343, 1198. Saint Zenon, évêque de Vérone († vers 371), emploie un langage plus expressif encore, quand il montre Dieu nous redonnant Eve en Marie et renouvelant Adam dans le Christ : Tu Evam in Mariam redintegrasti, tu Adam in Christo renovasti. Tract., II, de spe, fide et caritate, 9. P. L., t. xi, col. 278. Saint Augustin refait la comparaison classique : Decipiendo homini propinatum est venenum per feminam, reparando homini propinatur salus per feminam. Serm., li, de concord. Evangel., c. ii ; cf. Serm., cclxxxix, in natali Joannis Bapt., n. 2. P. L.. t. xxxviii, col. 335, 1308. En outre, dans un texte du De agone christiano, c. xxii, déjà cité, col. 857, il donne au plan de revanche choisi par Dieu sa pleine signification : Pour que le diable souffrît de sa défaite par les deux sexes qu’il avait vaincus, un homme et une femme devaient contribuer à la délivrance du genre humain.

C’est par allusion à ce rôle de nouvelle Eve, associée au nouvel Adam dans l’œuvre du relèvement et victorieuse avec lui de l’antique serpent, que, sur la fin du ive siècle, le poète Prudence nous représente celui-ci foulé aux pieds d’une femme, la vierge Marie, qui, ayant mérite de devenir la mère de Dieu, est restée invulnérable à tout venin, Cathemer., iii, ante cibum, vers 146 sq., P. L., t. xliv, col. 806 :

Hoc odium vetus illud crat,
Hoc erat aspidis atque hominis
Digladiabile discidium,
Quod modo cernua femineis
Vipera proteritur pedibus.
Edere namque Deum merita,
Omnia virgo venema domat :
Tactibus anguis inexplicitis,
Virus inerme piger revomit
Gramine concolor in viridi.

A ces témoignages généraux s’ajoutent quelques témoignages spéciaux, utilisés dans la bulle Ineffabilis ou mentionnés dans les Actes de la commission préparatoire. Dans un texte partiellement cité, col. 861, saint Ambroise attribue à Marie, à titre de privilège strictement personnel, une plénitude de grâce dont le fondement est dans sa qualité de mère de Dieu : Bene enim sola gratia plena dicitur, quæ sola gratiam quam nulla alla meruerat, consecuta est, ut gratise repleretur audore. Exposit. in Luc, t. III, n. 9, P. L., t. xv, col. 1555. Aussi veut-il que, pour apprécier dignement ce qu’est Marie, on tienne compte de ce qui est convenable dans une telle mère : Sed nec Maria minor, quam matrem Christi decebat. Epist., lxiii, ad eccles. Vercell., n. 110, P. L., t. xvi, col. 1218. Il est dès lors facile de comprendre toute la portée d’un texte souvent invoqué par les défenseurs de l’immaculée conception. Exposit. in ps. cxviii, serm. xxii, 30, P. L., t. XV, col. 152. Personnifiant la nature humaine déchue, le grand évêque de Milan lui fait adresser cette prière au Verbe : « Venez chercher votre brebis égarée ; n’envoyez pas vos serviteurs ni des mercenaires, venez vous-même. Prenez-moi, non pas de Sara, mais de Marie, afin qu’elle soit une Vierge sans corruption, une Vierge exempte, par la grâce, de toute tache du péché. » En d’autres termes, la nature humaine supplie le Verbe de s’unir à elle, mais par l’entremise de la femme bénie qui, par sa virginité et sa sainteté parfaites, soit une digne mère de Dieu. Ne serait-ce pas restreindre arbitrairement la portée indéfinie de l’expression : ab omni integra labe peccati, que de l’entendre des seuls péchés personnels ou actuels ? Sardi, op. cit., 1. 1, p. 805.

Pour saint Jérôme, Marie est la porte orientale que Dieu fit voir au prophète Ézéchiel, lxiv, 1-2 ; porte fermée à tout mortel, « car Jéhovah, le Dieu des armées, est entré par là. » Figure de la perpétuelle virginité de la mère du Verbe, suivant l’interprétation rapportée par le saint docteur dans son commentaire sur ce passage, P. L., t. xxv, col. 430. Cf. pseudo-Ambroise, In Apocal., xxi, 12, P. L., t. xvii, col. 948. Mais dans un autre endroit, il va plus loin : il donne à la bienheureuse Vierge, porte mystique répondant à l’antique figure, ces deux épithèles : semper clausa et lucida. Epist., xlviii, ad Pammach., n. 21, P. L., t. xxiii, col. 510. L’adverbe semper tombant sur les deux adjectifs, Marie toujours vierge nous est donc présentée en même temps comme toujours lumineuse, c’est-à-dire toujours éclairée, comme porte orientale, par les rayons du soleil de justice. L’idée est reprise et accentuée dans les Homiliæ in psalmos. Appliquant à Marie ces paroles du ps. lxxvii, 24 : in nube diei, Jérôme voit en elle une nuée qui ne fut jamais dans les ténèbres, mais toujours dans la lumière : Pulchre dixit, diei ; nubes enim illa non fuit in tenebris, sed semper in luce. G. Morin, Anecdota Maredsolana, t. iii, p. 65 ; cf. Breviarium in psalmos, P. L., t. xxvi, col. 1049.

Saint Augustin mérite de fixer davantage notre attention, à cause de son autorité personnelle et de l’influence profonde qu’il a exercée sur ceux qui sont venus après lui. Deux textes sont habituellement cités en faveur du glorieux privilège. Le premier est tiré d’un écrit composé contre Pelage en 115, De natura et gratia, c. xxxvi, P. L., t. xliv, col. 267. En même temps qu’il niait la déchéance originelle, l’hérésiarque attribuait aux rejetons d’Adam des forces les rendant capables d’observer par eux-mêmes toute la loi morale et de vivre sans péché. Pour confirmer cette assertion il citait un certain nombre de personnages, hommes et femmes, qui auraient réalisé ce programme, qui non modo non peccasse, verum etiam juste vixisse referuntur. La série des femmes aboutissait à la mère de Notre-Seigneur et Sauveur, que la piété nous contraint de proclamer exempte de péché, quam dicit sine peccalo confileri necesse esse pietati». L'évêque d’Hippone rejette absolument l’assertion en ce qui concerne les personnages allégués, « exception faite pour la sainte Vierge Marie, dont je ne veux pas qu’il soit aucunement question quand il s’agit de péchés, et cela pour l’honneur du Seigneur : qu’elle ait, en effet, reçu une grâce surabondante pour remporter une victoire absolue sur le péché, nous le savons de ce qu’elle a mérité de concevoir et d’enfanter celui qui fut incontestablement sans péché. » Beaucoup de théologiens n’ont voulu ou ne veulent voir dans ce passage que l’exemption des fautes actuelles ou personnelles : quelques-uns ont même prétendu ou prétendent en limiter la portée à la période de l’existence de Marie qui suivit l’incarnation. Le témoignage est cependant utilisé dans la bulle Ineflabilis ; en quel sens, le Silloge degli argomenti nous l’apprend. Saint Augustin parle en cet endroit des péchés actuels, il est vrai, mais, à ce propos, il n’en affirme pas moins d’une façon générale que la bienheureuse Vierge est complètement exempte du péché ; l’honneur du Christ, qu’il met en avant, n’est pas moins incompatible avec l’hypothèse du péché originel qu’avec celle du péché actuel ; il l’est même davantage, étant donnée la légèreté des péchés actuels que le saint docteur énumère, peu après, § 45, col. 269, à titre d’exemples. Sardi, op. cit., t. ii, p. 49. Là est la force réelle de ce témoignage, il exclut de Marie directement tout péché indirectement ou implicitement le péché originel.

Une autre considération augmentera la valeur de l’argument. Si Pelage attribuait aux hommes, tels qu’ils sont actuellement, des forces suffisantes pour éviter tout péché, c’est qu’il n’admettait pas la déchéance originelle ; au contraire, si l'évêque d’Hippone tenait la contre-partie, c’est qu’il croyait à cette déchéance. De là, en 421, cette assertion. Contra Julianum, t. V, c. xv, n. 57, P. L., t. xliv, col. 815 : « A l’exception du Sauveur, nul homme en grandissant ne reste sans péché, parce qu’il n’est personne, en dehors de lui, qui n’ait été, au début de son existence, soumis au péché. » Si donc, six ans auparavant, le saint docteur a déclaré la mère de Dieu complètement exempte de péchés, à tout le moins actuels, il faut, d’après ses principes, conclure qu’elle n’a pas été sujette à la déchéance originelle. Aussi, après avoir exposé les textes augustiniens qu’il juge défavorables à l’immaculée conception et que nous examinerons bientôt, Petau ajoute-t-il, De incarnaiione Verbi, t. XIV, c. ii, n. 4 : Al non adeo constanter et præfracte originali infeciam macula fuisse sanctissimam Dei matrem defendit Augustinus, ut non aliqua interim adspergat, ex quibus contrarium ratiocinando colligi possit. Reste à se demander s’il y a là seulement une conclusion possible, mais que le grand docteur n’aurait personnellement ni tirée ni même soupçonnée.

Le second texte est emprunté à un ouvrage entrepris par l'évêque d’Hippone sur la fin de sa vie, en 428-430, et qu’il n’eut pas le temps d’achever. Opus imperfectum contra Julianum, t. IV, c. xxii, P. L., t. xlv, col. 1417 sq. Pour attaquer dans ses conséquences la doctrine du péché originel, Julien d'Éclane, disciple de Pelage, avait eu l’idée d'établir entre son adversaire, Augustin, et l’hérésiarque Jovinien un parallèle, qu’il présentait tout à l’avantage de ce dernier. Entre autres choses, il disait : Ille virginitatem Mariæ partus conditione dissolvit ; tu ipsam Mariam diabolo nascendi conditione transcribis. Malgré la concision de la phrase, le sens est clair. En supposant Marie soumise à la loi commune ou à la condition naturelle de l’enfantement humain, Jovinien avait sacrifié la virginité perpétuelle de la mère de Dieu ; en affirmant la loi du péché originel qui atteint, au moment même de sa conception ou première naissance, tout homme issu d’Adam et le rend esclave du diable, en soutenant que telle est la condition actuelle de toute génération humaine, Augustin assujétissait au diable la personne même de Marie. L’attaque mettait l'évêque d’Hippone en face du problème de la conception ou première naissance de la mère de Dieu. Que répond-il ? Non transcribimus diabolo Mariam conditione nascendi, sed ideo (Deo, d’après M. Saltet, Bulletin de littérature ecclésiastique, Toulouse, 1910, p. 165) quia ipsa condilio solvitur gratia renascendi. « Nous ne vouons pas Marie au diable par la condition de la naissance, (mais à Dieu), parce que cette condition est abrogée par la grâce de la renaissance. » Ainsi traduite littéralement, la phrase présente un sens vague, qui a donné lieu à deux interprétations opposées : « Nous ne vouons pas Marie au diable par la condition de la naissance (humaine) :

a) parce que la grâce de la renaissance abroge (ultérieurement) cette condition (en la faisant disparaître) ;

b) parce que la grâce de la renaissance abroge (simplement) cette condition, (en empêchant qu’elle se réalise en Marie). »

Dans la seconde interprétation, la conception sans tache est affirmée ; dans la première, elle est niée, il n’y a plus lieu qu'à une sanctification ultérieure, dont l'époque reste indéterminée. Nous voyons par les Actes de la Commission préparatoire que certains consulteurs soutinrent la première interprétation et nièrent en conséquence la valeur du témoignage. Sardi, op. cit., t. i, p. 863 ; t. ii, p. 58. Tel fut avant la définition et tel est encore depuis, le sentiment de beaucoup de théologiens : ils invoquent, en général, la doctrine si ferme de saint Augustin sur l’universalité du péché originel, en particulier l’expression gratta renascendi, une renaissance spirituelle ne se comprenant pas sans une mort spirituelle qui précède. D’autres, sans porter de jugement absolu, accordent que, ni de ce texte ni d’aucun autre, on ne peut rien tirer de certain en faveur du privilège marial. Voir notamment Ph. Friedrich, Die Mariologie des hl. Augustins, p. 200 sq. (état de la controverse), p. 218 sq. (discussion) ; compte rendu de cet ouvrage par A. Alvéry, dans la Revue augustinienne, Paris, 1907, t. xi, p. '705.

Cette interprétation est loin de s’imposer. A une objection grave, qui concerne spécialement la mère de Dieu et qui, pour n'être pas futile, devait s’appuyer sur une croyance commune en la parfaite sainteté de Marie, saint Augustin ferait une réponse qui, sur le point débattu, exclurait tout privilège et assimilerait la Vierge à ceux que la grâce de la régénération spirituelle délivre de l’esclavage du démon. En outre, ce qui, dans cette hypothèse, serait abrogé par la grâce de la renaissance, ce ne serait pas la condition même ou la loi de la naissance humaine, en tant qu’appliquée à la mère de Dieu, mais seulement l’état de péché, conséquence normale de la condition inhérente à la naissance de tout fils d’Adam ; or le texte porte : conditio ipsa solvitur, et les deux choses ne doivent pas se confondre, suivant la remarque faite dans les déclarations complémentaires du Silloge degli argomenti. Sardi, t. ii, p. 58. Enfin cette interprétation introduit dans la réponse d’Augustin quelque chose d’incohérent. Au pélagien qui l’accuse de vouer la personne même de Marie au diable par la condition ou loi de naissance humaine qu’il suppose en affirmant le péché originel, le saint docteur commencerait par répondre : « Nullement, non transcribimus Mariam diabolo conditione nascendi », puis, motivant sa négation, il dirait implicitement le contraire. Incohérence dont on n’arrive à délivrer l’adversaire de Julien qu’en supposant de sa part, pour parler avec A. Alvéry, une « échappatoire », un « subterfuge », une « habile manœuvre pour esquiver une étreinte dangereuse », un « adroit demi-tour ». Suffit-il de dire avec M. Saltet,

loc. cit., p. 165, que, pour Augustiu, « tous les prédestinés sont fils de Dieu, même avant la régénération » ? Il ne semble pas ; avant leur régénération, les prédestinés ne sont fils de Dieu qu’en puissance ou par destination ; en réalité ils sont sous l’esclavage du démon. De nuptiis et concupisccntia, ii, 3, P.L., t. xliv, col. 438 : Non negamus adhuc esse sub diabolo, nisi renascaniur in Christo. Cf. Contra Julian., vi, 3 ; 0pus imperject., i, 62, P. L., t. XLv, col. 822 sq., 1081 sq. En somme, l’adversaire de Julien jouerait d’équivoque, en donnant aux termes : Non transcribimus Mariam diabolo, un sens tout différent de celui que l’hérétique leur attribuait.

Il n’est donc pas étonnant que beaucoup s’en tiennent à la seconde interprétation du texte augustinien, celle qui rejette l’application de la loi commune, en ce qui concerne non pas la conception active, mais la conception passive ou naissance première de la mère de Dieu. A supposer même que l’hésitation soit possible pour qui envisagerait ce texte et les autres d’un point de vue purement philologique, il reste, comme l’a montré W. Scherer, que la psychologie du saint docteur mène au sens immaculiste. Ce n’est donc ni fausser, ni dépasser sa pensée, que de l’admettre. Mis par Julien en face d’un cas particulier, il applique simplement le principe énoncé quinze ans auparavant : « Quand il s’agit de péchés, qu’il ne soit point question de Marie. » On comprend mieux alors tout ce que pouvait signifier, pour son auteur, cette affirmation déjà signalée : Il fallait que le diable souffrît de sa défaite par les deux sexes, comme il avait joui de son triomphe sur les deux. » Triomphe complet sur Adam et Eve, entraînés dans une faute personnelle qui fut le point de départ du péché originel ; défaite complète par le second Adam et la seconde Eve, indemnes l’un et l’autre de toute faute, personnelle et originelle.

Comment y a-t-il alors, pour Marie, grâce de renaissance ou de régénération ? Comme il y a grâce de renaissance ou sacrement de régénération dans l’adulte qui, justifié déjà en rnisoii d’un acte de charité ou de contrition parfaite, reçoit le baptême. Ces dénominations conviennent à la grâce de Jésus-Christ et au sacrement du baptême, en fonction des effets qu’ils sont destinés à produire et qu’ils produisent en fs’t d’une façon normale. D’ailleurs, si l’on considère Marie en sol, comme terme d’une génération humaine soumise du côté des parents aux conditions communes, ne peut-on pas dire que la grâce, reçue an ]>remier instant de son existence, constitue pour clic une seconde naissance et que, par rapport à la mort spirituelle contractée en droit, de jtrès ou de loin, il y a, dans le même sens, renaissance ? La naissance physique ne peut-elle pas précéder, d’une antériorité logique, la naissance spirituelle ? N’est-ce pas d’une façon analogue que, dans le passage dont nous nous occupons, saint Augustin attribue à la grâce rédemptrice du Christ, non seulement de remettre les fautes commises, mais encore de prévenir les chutes ? Quod non » is dicimiis, nonnisi per graliam tibcrari (linmines), non soluw ut eis débita dimittantur, verum rtiam ne in tentationem infrrantur. Kien plus, saint Ambroise ne craint pas d’appliquer à Noire-Seigneur lui-même l’idée de renaissance, c’est-à-dire de naissance spirituelle par opposition à la naissance matérielle ou physique : cum ipsc Dominns Jésus Christus de Spiriln Snncto et nntus sit et REKATVS. De Spiritii Sanelo, I. 111, c. x, n. 65, P.L., i. XVI, col. 791.

4’Les objeelinns. — Pris dans leur ensemble, les témoignages qui précèdent permettraient de conclure à l’existence, chez les Pères anténicéens et postnicéens, de germes et d’anticipations de la croyance au glorieux prIvlIcKc <le Marie, si les adversaires du dopme et d’aiilrcs encore ne déclaraient

cette conclusion incompatible avec la doctrine générale des mêmes Pères sur plusieurs points. Les textes invoqués se ramènent à trois séries.

1’^ série : Jésus-Christ seul sans péché. — Sous sa forme générale, l’objection se résume en cette phrase de Tertullien : « Dieu seul est sans péché, et le Christ est le seul homme qui fut sans péché, parce que le Christ était Dieu. "De anima, 41, P. L., t. ii, col. 720. Doctrine commune à beaucoup d’autres ; par exemple. Clément d’Alexandrie, Psedag., iii, 12, P. G., t. vra, col. 672 : p.ôvoç yrxçi àva|jLapTï, To ; a-JTÔ ; o Ao-j-t’î' Saint Hilaire, Tract, in ps. cxxxviii, 47, P. L., t. ix, col. 815 : Solus cnim extra peccatum est Dominus noster Jésus Christus ; saint Cyrille d’Alexandrie, In Lev., xvi, 2, P. G., t. Lxix, col. 584., où il dit du grand prêtre Aaron, comparé à Jésus-Christ, qu’étant homme, àvOsf.iTXù ; i.’iv, il ne peut être sans péché. Que la mère de Dieu ne fasse pas exception, la preuve en est dans les faiblesses, les défaillances de foi, l’inintelligence des choses de l’Évangile que les Pères lui attribuent. Saint Irénée traite la demande qu’elle adresse au Sauveur aux noces de Cana, Joa., ii, 4, d’ « empressement intempestif que Jésus rejette, repellens ejus intempestivam festinationem ». Cont. hær., iii, 16, 7, P. G., t. vii, col. 926. Saint Jean Chrysoslome rapporte cette même demande à un sentiment de vaine gloire. In Joa., homil. xxi, 2, P. G., t. lix, col. 130. Séverien de Gabala, contemporain du grand orateur, paraît supposer qu’à cette époque, Marie ne croyait pas encore à la divinité de son Fils, ou du moins qu’elle agit en cette circonstance comme si clic n’y croyait pas encore, ce qui explique la réprinian<le du Sauveur : matrem ut frustra et importune suygirentem inculpât. Homil., viii, in sancUim marlijrem Acacium, dans Severiani Gabalorum episcopi Emesensis homilise, édit. J.-B. Aucher, Venise, 1827, p. 317. Dans la prophétie du vieillard SimOon, Luc, ii, 35 : Et tuam ipsius perlransibit gladius, Origène voit le glaive de l’incrédulité ou du doute qui, pendant la passion, devait atteindre l’âme de Marie comme celle des apôtres. In Luc, homil. xvii, P. G., t. xiii, col. 1845. Cette interprétation est suivie par beaucoup : S. Basile, EpisL, ccLX, 9, P. G., t. XXXII, col. 967 ; S. Cyrille d’Alexandrie, In Joa., t. XII, P. G., t. lxxiv, col. 662 sq., et plusieurs auteurs de moindre importance ; S. Amphiloque ou l’auteur qui portece nom, Homil. in occursum Domini, 8, P. G., t. xxxix, col. 57 ; pseudo-Grégoire de Nyssc, Homil. de occursu Domini, P. G., t. XLvi, col. 1176 ; pscudo-Chrysostome, Homil. in ps, XIII, 4, P. G., t. i, v, col. 555 ; pseudo-Augustin, Quæstiones ex N. T., 73, P. L., t. xxxv, col. 2267. Tertullien rattache à l’incrédulité, ou du moins à un désir importun de détourner Jésus de sa mission. la démarche faite aujirès de lui par « sa mère et ses frères » au cours de sa vie publique, Matth., xii, 46 : iiitcriirétation dont paraissent s’inspirer ceux des l’ères latins qui virent dans la mère et les frères de Jésus la figure de la Synagogue et des Juifs, s’abstenant d’aller au Sauveur ou se rendant indignes d’entendre ses discours : S. Hilaire, In Matth., xii, 24, P. L., t. ix, col. 993 ; S. Jérôme, In Mallh., xii, 49, P. L., t. xxvi, col. 85. Dans cette dernière circonstance, comme aux noces de Cana, saint Jean (Jirysoslonic donne pour mobile à la conduite de Marie la vaine gloire. In Matth., homil. XXVII, 3 ; xuv. i, P. G., t. i.vii, col. : il7, 464 sq. Ailleurs, parlant de l’hypothèse où la Vicr< ; c aurait conçu sans avoir été préalablement avertie et instruite par l’ange, le même docteur raisonne comme s’il la supposait capable d’un trouble allant jusqu’à la folie : Elle se fût iicut-ctrc pendue ou poignardée de désespoir. » In Matth., homil. iv. 5, col. 45.

Réponse. — Cette objection est très différente, suivant qu’on Ta considère sous sa forme générale ou

dans son application spéciale à Noire-Dame. Que Dieu seul et Jésus-Christ, considéré comme Dieu, soient sans péché, c’est là une assertion susceptible de vérité sans détriment pour la parfaite sainteté ou l’immaculée conception de Marie ; car l’expression : être sans péché, peut s’entendre ou d’une innocence de fait et fondée sur la grâce ou d’une innocence de droit et de nature, c’est-à-dire d’une impeccabilité essentielle. Cette seconde sorte d’innocence convient à Dieu seul et à Jésus-Christ, en tant qu’Homme-Dieu ; mais l’autre sorte d’innocence reste possible, s’il plaît à Dieu d’accorder ce privilège à une pure créature. Le fait que, dans les textes objectés, les Pères justifient l’impeccabilité qu’ils réservent à Dieu, sur ce qu’il est Dieu, ou à Jésus-Christ, sur ce qu’il est Homme-Dieu, indique sufflsamment qu’ils ont en vue l’innocence de nature ou de droit ; autrement, il faudrait conclure que, même parmi les saints anges, nul n’a été ni n’est sans péché, puisque l’ange n’est ni Dieu ni uni hypostatiquement à la divinité. Plazza, op. cit., p. 71.

Plus sérieuse est la difficulté tirée des textes relatifs aux faiblesses que Marie aurait eues, si l’on prend ces textes comme révélant la pensée de leurs auteurs. Car, à s’en tenir au sens objectif des passages de la sainte Écriture dont il s’agit, l’objection repose sur une exégèse arbitraire et inadmissible. Petau n’hésite pas, De incarn., t. XIV, c. i, n. 2, à traiter de très légères ou même nulles les raisons qui ont induit ces auteurs à parler de la mère de Dieu comme ils l’ont fait : Icvissimis inducti ralionibus, imo nullis. Le trouble qu’éprouva la Vierge en entendant la salutation vraiment extraordinaire que l’archange Gabriel lui adressa, témoigne uniquement de sa prudence et de son humilité. La parole dite aux noces de Cana : Vinum non habent, fut inspirée par un sentiment de charité compatissante. Dans la scène évangélique de la vie publique où Marie iiiterient, rien ne permet de conjecturer que sa démarche ait eu l’ambition pour mobile, ou qu’elle supposât un manque de foi en la mission de son Fils ; cette dernière disposition est bien attribuée aux frères de Jésus, mais à eux seuls, Joa., vii, 5 ; la réponse du Sauveur montre seulement qu’il profita de la circonstance pour affirmer l’indépendance de son ministère apostolique et l’excellence de la foi en son enseignement. Enfin, si l’âme de Marie fut transpercée au calvaire, ce fut par le glaive de la douleur ou de l’anxiété, et non du doute. Petau, loc. cit., n. 8-12 ; A. d’Alès, art. Marie dans l’Écrilure sainte, dans le Dictionnaire apologétique de la foi catholique, t. iii, col. 144, 147, 149, 151.

Quoi qu’il en soit, l’objection demeure en ce qui concerne la pensée personnelle des auteurs qui ont donné à ces divers passages une autre interprétation. Remarquons toutefois qu’une question préalable se pose, à savoir, si tous les Pères cités plus haut ont réellement admis dans la mère de Dieu, non seulement des imiierfections ou même des tentations, mais encore des péchés proprement dits. Quand saint Irénée emploie l’expression d’inlempestiva festinatio, répondant aux paroles de Jésus : Nondum venit hora mea, rien ne prouve qu’il songe à une faute de la part de Marie. Dom Massuet, dissert. IH, n. 69, P. G., t. vri, col. 319. Saint Hilaire et saint Jérôme, trouvant une figure de la Synagogue et des Juifs incrédules dans la mère et les frères de Jésus, appuient leur interprétation, ou plutôt leur accommodation sur cette circonstance, qu’ils se tenaient dehors : Stabani forts, el non pas sur un acte d’incrédulité commun à la mère et aux frères de Jésus. Parmi ceux qui parlent de doutes assaillant l’âme de Marie après la mort de son Fils, plusieurs s’expriment en des termes assez indéterminés pour qu’on ait le droit de se demander s’ils considéraient ces sentiments comme admis délibéré ment, ce qui serait nécessaire pour qu’il y eût péché proprement dit ; tel, par exemple, le pseudo-Grégoire de Nysse parlant seulement, loc. cit., d’une sorte de déchirure ou de tiraillement ; tel, peut-être, saint Cyrille d’Alexandrie, au jugement de N’ewman, Du culte de la sainte Vierge, p. 206, 208.

Mais cette interprétation bénigne ne peut pas s’étendre à tous les Pères. Sans attribuer proprement à Marie l’incrédulité, Tertullien semble pourtant faire tomber sur elle comme sur les frères de Jésus le blâme qu’il suppose contenu dans les paroles du Sauveur. Matth., xii, 48. Origène, loc. cit., trouve dans la faiblesse de Marie au temps de la passion le fondement de sa rédemption par Jésus-Christ : « Si la passion de Notre-Seigneur ne fut pas pour elle une occasion de scandale, alors Jésus ne mourut pas pour ses péchés. Si tous ont péché et ont eu besoin que Dieu les justifiât par sa grâce et les rachetât, certainement Marie, à ce moment, a été scandalisée. » Argument repris par saint Basile, loc. cit. L’opposition de saint Jean Chrysostome est également indéniable, malgré l’apologie tentée par Maracci, Vindicatio Chrysostomica, scu de S. Joanne Chrysostomo in conlroucrsia conceptionis B. V. Mariée ab adversariorum impugnationibus vindicato, Rome, 1664. Cet auteur s’est mépris sur la valeur des pièces dont il a fait usage : homélies de nativitate, in annuntiatione, de laudibus Virginis, in SS. Deiparam, de partu B. Virginis, etc., toute une littérature apocryphe.

On peut toutefois se demander si, dans la pensée des Pères qui ont attribué à la mère de Dieu des fautes actuelles, il y a connexion entre ces fautes et le péché originel, en ce sens qu’admettant les unes, par le fait même ils supposent l’autre. Maracci nie cette connexion en ce qui concerne saint Jean Chrysostome, op. cit., c. ly : Probatur Chrysostomum, ctiamsi hic (In Gen., homil. XLix, etc., ) B. Virgini peccatum actuale tribuisset, non propterea dici passe immaculatæ conceptioni ipsius B. Virginis fuisse contrarium. Passage cité par Newman, Du culte de la sainte Vierge, p. 223. Le saint docteur n’attribue à Marie que des péchés légers, n’entraînant nullement les mêmes effets que le péché originel, c’est-à-dire l’inimitié divine, la souillure de l’âme et la mort spirituelle, l’esclavage du démon. Pour Origène et saint Basile, la question se pose plus manifestement encore : s’ils se sont crus obligés d’admettre une faute actuelle en Marie pour qu’elle fût au nombre des rachetés, n’en faut-il pas conclure qu’ils ne voyaient pas en elle d’autre péché ? Cependant, comme ces Pères n’ont jamais traité expressément de ce problème, ni même du péché originel, toute assertion en cette matière est problématique.

Du reste, les données acquises laissent subsister l’objection précédemment énoncée, sous cette forme : Si des Pères ont réellement attribué à la mère de Dieu des fautes à tout le moins légères, comment pourrait-on trouver dans la croyance à la parfaite sainteté de Marie une preuve, même implicite, en faveur de l’immaculée conception ? — Il y aurait difficulté sérieuse, si ceux qui emploient cet argument prétendaient s’appuyer sur une croj’ance définitivement fixée ou communément admise dès les premiers siècles de l’Église ; il en va tout autrement dans l’hypothèse contraire. Avant le concile d’Éphèse, la croyance à la parfaite sainteté de la mère de Dieu a d’illustres représentants, on a pu s’en convaincre par les témoignages rapportés, mais elle n’aura tout son développement et ne se fixera définitivement que dans la période postéphésienne ; alors seulement la preuve aura sa pleine valeur. Par ailleurs, les témoignages opposés ne représentent ni une doctrine traditionnelle, ni même une croyance commune dans le

pays où vécurent leurs auteurs, suivant la juste remarque de Newman, Du culte de ta sainte Vierge, p. 213 : « On ne peut pas tirer cette conclusion de leurs commentaires individuels sur l’Écriture. Tout ce qu’on en peut légitimement conclure, c’est que si, dans leurs pays, on avait cru positivement à l’impeccabilité de la sainte Vierge, ils n’eussent pas parlé comme ils l’ont fait ; en d’autres termes, qu’il n’y avait pas alors dans leurs Églises une foi déterminée à son impeccabilité. Mais l’absence d’une croyance ne constitue pas une croyance en sens contraire. »

20 série : universalité du péché originel et de la rédemption. — Les anciens Pères enseignent comme la sainte Écriture, et plus nettement encore, l’universalité de la chute en Adam et de la rédemption par Jésus-Christ, le nouvel Adam. Ils déclarent, en conséquence, que seul, parmi les hommes, le rédempteur échappe au commun naufrage. « Seul moa Jésus est entré dans le monde sans avoir contracté de souillure en sa mère », dit déjà Origène. In Lev., homil. xii, 4, P. G., t. xii, col. 539. L’assertion s’accentue chez les Pères des iveetve siècles. D’après saint Ambroise, cité par saint Augustin, Contra Julianum, ii, 4, P. L., t. XLiv, col. 674 : « Seul Notre-Seigneur a été parfaitement saint et n’a pu être tel qu’à la condition d’échapper, en naissant d’une vierge, à la loi du péché qui s’attache à toute génération humaine. » Et saint Augustin de dire, pour son propre compte : « Celui-là seul est sans péché, qui a été conçu par une vierge, en dehors des embrassements humains, dans l’obéissance de l’esprit et non pas dans la concupiscence de la chair. » De peccatorum meritis et remissione, i, 57, P. L., t. XLiv, 142. Il y a donc, chez les fils d’Adam déchu, connexion entre la génération humaine, soumise à la loi de la concupiscence, et le terme de cette génération, soumis à la loi du péché. Connexion si rigoureuse, dans la pensée des Pères, que, pour écarter de Jésus-Christ le péché originel, ils concluent à la nécessité d’une conception virginale. Tel l’évêque d’Hippone, ayant rappelé l’origine de la concupiscence, Gen., iii, 7 : « Voilà, dit-il, d’où vient le péché originel ; voilà pourquoi tout homme naît dans le péché ; voilà pourquoi Notre-Seigneur n’a pas voulu naître ainsi, lui qui a été conçu d’une vierge. Scrm., cli, 5, P. L., t. xxxviii, col. 817. Dès lors, on ne peut pas songer à exempter de la loi commune la Vierge Marie, dont la chair fut conçue dans la concupiscence, de pcccati propagine venil, comme celle des autres enfants d’Adam. Aussi IVIarie, fille d’Adam, est-clle morte à cause du péché, Maria ex Adam mortua propter peccatnm, tandis que la chair du Seigneur, issue de Marie, est morte pour effacer les péchés. Inps.XXXlV, scrm. ii, 3. P. L., t. xxxvi, col. 335.

Réponse. — Les objections qui se rattachent à cette seconde série de témoignages n’ont pas toutes la même portée. Souvent les Pères ne font que reproduire la doctrine de la sainte Écriture sur l’universalité du péché originel et de la rédemption. Doctrine catholique que personne ne songe à nier ; il n’est nullement question de soustraire Marie à l’influence rédemptrice de son divin Fils, et, pour ce qui concerne l’universalité du péché originel, autre chose est la loi, autre chose est l’application de la loi. Un législateur, s’il jouit d’un pouvoir indépendant, garde toujours le droit de ne pas appliquer la loi dans un cas particulier, sans compromettre en rien l’existence de la loi elle-même. C’est ainsi que, nonobstant la loi universelle de la résurrection des corps à la fin des temps seulement, Notrc-Seigncur a pu, par un privilège spécial, anti( ipcr l’événement en faveur de sa mère bénie.

ficaucoup plus sérieuse est robjcction sous la forme qu’elle présente d’après les textes cités d’Ambroise et d’Augustin. Une première solution, pour ce qui

concerne ce dernier, consisterait à dire qu’au début le grand adversaire de Pelage n’aurait pas dégagé Marie de la condition commune, mais qu’une évolution se serait opérée peu à peu dans son esprit et qu’à la fin, mis brutalement par Julien en face de cette conséquence : tu transcribis Mariamdiabolo conditione nascendi, il aurait affirmé l’immunité originelle de la mère de Dieu, rétractant ainsi ou du moins dépassant ce qu’il avait tenu antérieurement. E. Vacandard, Les origines de la fêle et du dogme de l’immaculée conception, i, dans la Revue du clergé français, 1910, t. XLii, p. 38 sq. ; L. Talmont, Saint Augustin et l’immaculée conception, dans la Revue augustinicnne, 1910, t. XVI, p. 747 sq. ; à l’opposé : L. Saltet, Saint Augustin et l’immaculée conception, dans le Bulletin de littérature ecclésiastique, Toulouse, 1910, p. 162 sq. Il semble difficile d’établir solidement, entre l’enseignement des écrits antérieurs et celui de VOpus imperfectum, autre chose qu’un développement ou progrès relatif, par passage de l’implicite à l’explicite. En tout cas, la difficulté reste, quant au point délicat : l’affirmation de la conception virginale comme moyen nécessaire pour que Jésus-Christ échappe, en naissant, à la loi du péché, car cette affuination se retrouve dans VOpus imperfectum, par exemple, iv, 79, P. L., t. xuv, col. 1384. Toute la question est de savoir si cette alTirmation a la valeur absolue qu’on prétend lui attribuer.

Ceux qui objectent les textes cités d’Ambroise et d’Augustin raisonnent toujours comme si, dans la pensée de ces docteurs, il s’agissait d’une immunité quelconque par rapport à la tache héréditaire. Le problème est moins simple. L’immunité peut exister de deux façons différentes ; d’abord, en fait seulement, parce que le sujet conçu dans les conditions ordinaires ne contracte pas la souillure du péché originel, mais grâce à une intervention particulière qui le protège contre l’application de la loi commune, loi qui, autrement, s’appliquerait, étant donnée la façon dont le sujet est conçu. Mais l’immunité peut aussi exister, non pas en fait seulement, mais en droit, twcce. que le sujet conçu ne tombe pas sous la loi du péché. Cette seconde manière seule pouvait se réaliser en Jésus-Christ, Homme-Dieu et rédempteur du genre humain ; or, pour qu’elle pût avoir lieu, jiour que Jésus-Christ ne tombât pas sous la loi du péché par la façon même dont il serait conçu, conditione nascendi, il fallait qu’il naquît d’une vierge ; ainsi tout serait pur, saint et béni dans sa conception : non seulement le terme ou le fruit, mais la cause elle-même.

Tel est le sens premier et direct des témoignages allégués. Secondairement et par voie de conséquence, ils prouvent qu’il ne peut être question pour Marie d’une immunité de droit par rapport au péclié originel ; n’ayant pas étéconçue virginalement, mais comme les a’.itres enfants d’Adam, elle tombait de ce chef, conditione nascendi, sous la loi du péché. Mais rien n’exclut la ]>ossibilité d’une simple immunité de fait en vertu d’une intervention divine qui, laissant l’acte générateur soumis à la loi commune de la concupiscence, s’exerce sur le fruit ou le terme par l’infusion de la grâce sanctifiante dans l’âme de Marie. Qu’avons^ious alors, si ce n’est, suivant l’expression de saint Ambroise, une vierge exempte, mais par grâce, de toute tache du péché, Virgo per graliam ab omni intégra labe pcccatiî Cette hypothèse n’empêche pas qu’on ne jjuisse dire de Marie, avec saint Augustin, qu’elle est « morte à cause du péché » : étant issue, d’Adam par voie naturelle, elle peut, même étant préservée de la souillure héréditaire, porter certaines conséquences de la faute du premier père, celles du moins qui n’ont pas de connexion essentielle ou immédiate avec le péché proprement dit.

3’série : purification ou sanctificulion de Marie. — Cette docirine apparaît chez les Pères postnicéeus, grecs, syriens ou latins. Elle se rattache aux paroles adressées par l’archange Gabriel à la très sainte Vierge, Luc, i, 35 : Spiritus Sanctus superveniel in le. L’objection est diversement proposée. Certains prétendent établir par lu que, d’après certains Pères, la mère du Verbe fut alors pleinement délivrée de la loi du péché, mais alors seulement. « La piété chrétienne n’avait pas attendu Augustin pour proclamer que Marie avait été purifiée de ses péchés au moment de l’incarnation. Avant même qu’Ambroise eût placé dans la mère du Christ l’idéal de la vertu, à une époque par conséquent où l’on n’avait pas scrupule d’attribuer à la Vierge diverses imperfections, saint Grégoire de Nazianze avait dit : « Le Christ est né d’une vierge « purifiée préalablement dans sa chair et dans son cœur, « par l’Espri t-Saint. » G. Herzog, loc. cil., p. 51 6. Ce même texte du Théologien et d’autres semblables, en particulier des saints Cyrille de Jérusalem, Éphrem et Augustin (sans parler des écrivains postérieurs), deviennent entre les mains des théologiens grecs ou russes de l’Église orthodoxe, de Métrophane Critopoulos à Alexandre Lebedev, un argument direct contre l’immaculée conception ; pour eux, c’est du péché originel que Marie fut purifiée au jour de l’annonciation. Il suffira, pour répondre, de soumettre ces textes à un examen moins superficiel.

Saint Cijrille de Jérusalem : « Le Saint-Esprit venant en elle la sanctifia, pour qu’elle pût contenir celui qui

atout créé, t }][ ioL^tv a-JTr|V Tipbç 10 Suvr]f)r|Vac oéÇacrOat tov èi’OU rà Tvivrâ èylvexo. Cal., xvii, 6, P. G., t. xxxiii, 976. Tel est le texte. — L’auteur des Ca^éc/ièses affirme un effet de sainteté, produit en Marie par le Saint-Esprit et formant comme la préparation prochaine à la maternité divine. En vertu de quelle exégèse prétend-on identifier cet effet de sainteté avec la délivrance du péché originel ou de la loi du péché, qui auraient existé dans la Vierge ou même persévéré en elle jusqu’à ce moment-là ? Comme si un effet de sainteté ne pouvait pas se produire en quelqu’un qui est déjà saint, pour qu’il devienne plus saint ! « Que le juste pratique encore la justice, et que le saint se sanctifie encore, » vtat 6 âyio ; à-c.air’iriXO) ïxi. Apoc, XXII, 11. Saint Grégoire de Nazianze : « Le Verbe se fait homme, prenant tout ce qui est de l’homme, sauf le péché ; il est conçu par la Vierge, préalablement purifiée par l’Esprit dans son âme et dans sa chair, y.’jridE’;  ; u.àv Èy. Tr, ; uapôâvou v.oà ! j-~j-/-i)v zai ijzpLa TrpoxafJasÔstTvi ;  ; car il fallait tout à la fois honorer la maternité et donner l’avantage à la virginité. » Oral., xxxviii, in Theophania. 13, P. G., t. xxxvi, col. 325. Cf. Oral., xlv, in sanctuin Pascha, 9, col. 663. — De ce texte il faut dire la même chose que du précédent. Grégoire parle d’une purification relalive, en vue de la conception virginale de Jésus-Christ ; purification qui devait élever la Vierge Marie au degré de sainteté et de pureté nécessaire « pour que le Fils de Dieu sortît d’elle d’une façon mystérieuse et en dehors de toute souillure. Oral., XL, in sanctum baplisma, 45, col. 423. Vouloir prendre ici le terme xaOacpîtv dans le sens absolu du mot, pour signifier le passage de l’impureté positive à la simple pureté, c’est méconnaîtrel’usage scripturaire et patristique du mot dans un sens plus large, pour signifier le passage d’un degré inférieur à un degré supérieur de pureté positive ; qu’on se rappelle seulement la théorie de la puriftcation des anges. Pseudo-Denys, De cmlesti hierarcliia, x, i ; De ecclesiastica hierarchia, vi, 6, P. G., t. iii, col. 272, 537. D’ailleurs, les disciples du Théologien nous donneront, dans les siècles suivants, un brillant commentaire de sa vraie pensée.

Saint Éphrem : « Le Christ est né d’une nature su jette aux souillures, que Dieu devait puriner en la visitant… Aussi le Clirist purifia-t-il la Vierge, et c’est ainsi qu’il est né, pour montrer que le Christ opère toute pureté là où il se trouve. Il la purifia dans le Saint-Esprit pour la préparer (à la maternité divine), et c’est ainsi que d’un sein purifié il fut conçu. Il la purifia dans la chasteté, L-/Oripîv a-JT/-, v èv ày/e-a ; aussi, en naissant d’elle, il la laissa vierge. » Sermo adversus liœrelicos (intitulé aussi. De margarila). Opéra grœce, t. ii, p. 270. — Qu’une purification de ce genre ne se rapporte ni à la tache originelle ni à un péché quelconque proprement dit, l’ensemble du texte (souvent mal traduit) l’indique assez. Ce que l’orateur a en vue, il le déclare ailleurs par une comparaison expressive : « La lumière reçue dans l’œil le nettoie et l’éclairé, par son propre éclat elle en augmente et pare la grâce et la beauté. Marie fut un œil, la lumière habita en elle et divinement purifia son esprit, son imagination, ses pensées et sa virginité. » Sermo in Gcnesim, iii, 6, Opéra syriace, t. ii, p. 328.

Dans l’autre texte, emprunté à un discours sur la naissance du Sauveur, Notre-Dame est mise en scène : « Vous appellerai-je fils, frère, fiancé ou Seigneur, vous qui avez régénéré votre mère par la nouvelle génération dont l’eau est le principe ? Votre sœur, je le suis, puisque tous deux nous avons David pour ancêtre ; votre mère aussi, puisque je vous ai conçu ; votre fiancée encore, ayant été sanctifiée par votre grâce ; votre servante enfin et votre fille, née de l’eau et du sang, puisque vous m’avez achetée aux dépens de votre vie et que vous devez m’engendrer par le baptême. Celui que j’ai engendré, m’a régénérée à son tour par une nouvelle génération, lui qui a orné sa mère d’un nouveau vêtement et s’est incorporé sa chair, alors qu’elle-même revêt la splendeur, la grandeur et la dignité de son Fils. » Scrm., xi, de nalivilale Domini. Opéra syriace, t. ii, p. 429. — Rien, dans ce passage, qui ait trait au péché originel ; la double sanctification de Marie dont parle le docteur syrien est d’un tout autre ordre. L’une est la sanctification dont la bienheureuse Vierge devait bénéficier plus tard, comme fille spirituelle du Christ, en recevant le baptême, sacrement de la régénération ; mais qui ne sait que le baptême peut être conféré à des adultes déjà justifiés ? L’autre est la sanctification reçue par la Vierge avant la naissance de son Fils et que saint Éphrem compare à des fiançailles. Qu’estce exactement : la sanctification première ou la sanctification privilégiée au moment de l’incarnation ? Il est difficile de donner une réponse ferme, mais ce qu’on peut affirmer sans hésitation aucune, c’est que la sanctification opérée en Marie â l’annonciation n’est pas sa sanctification première, comme si alors seulement elle eût été délivrée du péché originel, contracté à sa naissance et conservé jusqu’à cette époque. Car, dans ses hymnes sur la mère de Dieu, le poète syrien nous la montre, au moment même où l’envoyé céleste l’aborde, comme déjà pleine de grâce et digne d’être saluée au nom du Père : » L’ange vit la Vierge tout admirable, et, ravi, il lui rend en ces termes son tribut d’amour et d’hommage flatteur : Je vous salue, pleine de grâce, le ciel n’est pas plus élevé que vous… » Hymni et sermones, t. ii, col. 578. « Heureuse Vierge, qui avez mérité d’entendre Gabriel vous saluer au nom du Père. » Ibid., col. 588. D’ailleurs, entre la supposition contraire et la doctrine générale du saint docteur sur la mère de Dieu, l’incompatibilité est simplement radicale.

Saint Augustin, De pcccatorum mcrilis et remiss., i, 28, P. L., t. xLiv, col. 174 sq. : « Seul, celui qui s’est fait homme en demeurant Dieu n’a jamais eu de péché et n’a pas pris une chair de péché, bien qu’il tienne sa chair d’une mère qui avait une chair de pé

ché. Car ce qu’il lui doit, il l’a sûrement purifié, soit avant de le prendre, soit en le prenant. Aussi cette Vierge mère, qui n’a pas conçu selon la loi inhérente à la chair de péché, c’est-à-dire par un mouvement de concupiscence charnelle, mais qui, par sa foi ardente, a mérité de recevoir en elle-même le germe sacré, il l’a créée pour la choisir un jour et il l’a choisie pour en être créé, quam cUgcrei crcavit, de qua crcaretur elegil. » Texte où toute la difflculté se concentre vraiment : si la parcelle de chair, dont le corps du Sauveur fut formé, a dû être purifiée pour n'être plus une chair de péché, c’est donc qu’en Marie elle était chair de péché, jusqu’au moment de la purification. Il résulte, en effet, de ce texte et de plusieurs autres que, suivant Augustin, Marie, avait reçu de ses parents une chair de péché, susceptible comme telle de purification. — Mais que signifie au juste l’expression : chair de péché ? D’après le texte présent et ceux qui ont précédé, cette expression signifie, pour le saint docteur, une chair engendrée selon la loi de la concupiscence et, par conséquent, soumise à la même loi. Gomme il écarte du Sauveur une conception qui serait soumise, ne fût-ce qu’en droit, à cette loi, il devait également écarter de sa personne sacrée une chair qui serait, même en simple droit, soumise à la concupiscence. Autre est le cas pour Marie : il peut y avoir en elle chair de péché, c’est-à-dire chair engendrée selon la loi de la concupiscence et soumise, en droit du moins, à cette loi. S’il s’agit non plus de la loi, mais de son application, la mère de Dieu fut-elle, en fail, préservée et comment ? L'évêque d’Hippone ne touche pas expressément ce problème, mais son enseignement sur l’absence de péché en Marie, De natura et gralia, 36, autorise à conclure d’une façon favorable, en ce sens du moins que, si le fomes peccati existait en la Vierge avant l’incarnation, c'était sans exercer son empire. D’ailleurs, toute cette doctrine d’Augustin s’applique à la chair, et non pas à l'âme de la mère de Dieu. La concupiscence, prise en soi, ne s’oppose pas à la sainteté de l'âme, car les deux coexistent dans les chrétiens baptises et justifiés. Voir Augustin (saint), t. I, col. 239.5. Il est donc illégitime de s’appuyer sur l’expression : chair de péché, pour conclure que la très sainte Vierge fut soumise à la loi commune du péché originel. Mais l’obscurité et l’ambiguïté qui s’attachent aux formules augustiniennes donneront lieu, plus tard, à de vives et longues controverses.

Schwane, Dogmengexchichle, 2e édit., t. ii, ^70, p. 5.36-540 ; Irad. franc., par A. Degert, t. iii, p. 179-186 ; Palmieri, De l>eo créante, th. Lxxxin ; De peccato oriqinali, th. xix ; L. Jansscns, op. cit., p. 77-79, 85-01 ; M..Jugie, La doctrine de l’immaculée conceplion et les Pères orientaux du IV'. siècle, dans lre-name, 1012, t. ii, p. 129 ; S. Protin, L « mario/ogie de saint Augustin, dans la Revue auguslinienne, Paris, 1002, t. I, p. : }75 ; Ph. Friedrich, Die Mariologie des Id. Augustms, Cologne. 1007 ; H. Kirfcl, Derhl. Augustinus und das Dogma der unbelleckten Emp/dngnis Mariens, dans.Jalirbucli fiir PIxiloxophie und spekulatiue Théologie, Paderborn. 1907, t. xxii. p. 211 ; E. Dorsch, Die Mariologie des hl.Augu.stins, imn Dr. Iheol. Phil. Friedrich, dans Zeitichrifl fixr l<alholischc Théologie, Inspruck, 1008, t. xxxii, p. 549 ; H. Morilla, San Augustin defensnr de laconcepciôn inmaculada de Maria, dan » l.a Ciudad de Dios, Valladolid, 1908, t. Lxxv, p. 385 ; L. Talmont, Saint Augustin et V immaculée conception, dans In Renne augustinienne, 1010, t. xvi, p. 745 ; W. Sclierer, /jir l-'rnge ùbcr die l^hre des heiligen Augustinus » on der untKflerkten Empjàngnis, dans Théologie und Glaube, Paderborn, 1912. p. 4.3-46.

X. Le Bachelet.