Dictionnaire de théologie catholique/II. ABÉLARD (Articles condamnés par Innocent II)

II. ABÉLARD (Articles condamnés par Innocent II). — I. Les documents. II. Vrai sens des articles condamnés et système théologique d’Abélard.

I. Les documents. — De la condamnation de 1121 à Soissons, aucun document officiel n’est resté. D’après Othon de Freising, De rébus gestis Friderici I, l. I, c. xlii, dans Recueil des hist. des Gaules, t. xiii, p. 654, on reprochait à Abélard d’enseigner le sabellianisme, et saint Bernard nous apprend que les nouveaux ouvrages proscrits en 1141 reproduisaient le livre brûlé à Soissons. Epist, cxci, P. L., t. clxxxii, col. 557. Or, sur la condamnation de 1141, nous avons les rescrits d’Innocent II et les Capitula errorum Abailardi.

i. rescrits d’innocent ii. Dans une lettre adressée le 16 juillet 1141 aux archevêques Henri de Sens et Samson de Reims, à leurs suffragants et à l’abbé de Clairvaux, le pape disait :

Nos itaque, qui in cathedra sancti Petri, cui a Domino dictum est : Et tu aliquando confirma fratres tuos, licet indigni residere conspicimur, communicato fratrum nostrorum episcoporum cardinalium consilio, destinata Nobis a vestra discretione capitula et universa ipsius Petri dogmata sanctorum canonum auctoritate cum suo auctore damnavimus, eique tanquam hæretico perpetuum silentium imposuimus. Universos quoque erroris sui sectatores et defensores a fidelium consortio sequestrandos et excommunicationis vinculo innodandos esse consemus. Jaffé-Loewenfeld, Regesta pontificum Roman., t. i, n. 8148 ; P. L.. t. clxxix, col. 515.
Nous donc, assis, malgré notre indignité, sur la chaire de saint Pierre à qui le Seigneur a dit : Et toi un jour confirme tes frères, après avoir pris conseil de nos frères les évêques cardinaux, en vertu de l’autorité des saints canons, nous condamnons les articles envoyés par vos soins et tous les dogmes impies de Pierre, ainsi que l’auteur lui-même, et nous lui imposons, à lui, comme hérétique, un silence perpétuel. Nous décidons, en outre, que tous les sectateurs et défenseurs de son erreur devront être séparés de la communion des fidèles et enchainés par les liens de l’excommunication.

Une seconde lettre du même jour mandait aux mêmes prélats « de faire enfermer séparément dans les monastères qui paraîtraient convenables, Pierre Abélard et Arnaud de Brescia, qui ont fabriqué des dogmes pervers et attaqué la foi catholique, et de faire brûler leurs livres partout où on les trouvera ». Jaffé-Loewenfeld, ibid., n. 8149 ; P. L., ibid., col. 517.

De ces textes, il ressort : 1o que la doctrine d’Abélard et l’auteur lui-même sont déclarés hérétiques ; 2o que ses ouvrages sont condamnés au feu (au moins l’Introductio, le Scito te ipsum et l’Expositio Epistolæ ad Romanos qui sont formellement dénoncés par saint Bernard, Epist., cxc, P. L., t. clxxxii, col. 1061, 1062) ; 3o que les propositions d’Abélard envoyées à Rome sont spécialement réprouvées sans que la censure qu’elles méritent soit déterminée.

ii. articles condamnés. — Aucune liste absolument officielle n’ayant été conservée, nous donnons la plus complète, publiée par d’Argentré, Collectio judiciorum, Paris, 1728, t. i, p. 21, reproduite par Mansi, Concil, t. xxi, col. 568, et Denzinger, Enchiridion, 10e édit., n. 368-386. C’est celle qui fut communiquée à Abélard au concile de Sens, puisque, dans sa rétractation, P. L., t. clxxviii, col. 568 ; édit. Cousin, p. 720, il l’examine article par article (sauf pourtant les 3e et 16e articles qui sont omis). Elle concorde avec la liste publiée par d’Amboise, Præfatio apologetica, P. L., t. clxxviii, col. 79, excepté pour les articles 3 et 15. Enfin la liste envoyée à Rome, découverte par dom Durand, et publiée par Mabillon, Sancti Bernardi opera, t. i, p. 640 ; P. L., t. cxcii, col. 1049, était réduite à quatorze chapitres avec des extraits d’Abélard trop longs pour être reproduits ici. Nous marquons donc d’un * les articles 3, 11, 15-19 qui, avant la sentence romaine, ont été retranchés. Dans l’article 14, le texte inintelligible donné par d’Amboise, d’Argentré, Mansi : ad Patrem qui ab animo non est, a été rectifié d’après le texte d’Abélard cité dans la liste romaine. P. L., ibid., col. 1082. La date est aussi rectifiée d’après Jaffé-Loewenfeld, loc. cit.

Capitula Abælardi a concilio Senonensi a. 1141 et ab Innocentio II (16 jul. 1141) damnata.

Articles d’Abélard condamnés par le concile de Sens (1141) et par Innocent II (16 juillet 1141).

1. Quod Pater sit plena potentia, Filius quædam potentia, Spiritus Sanctus nulla potentia.

2. Quod Spiritus Sanctus non sit de substantia Patris aut Filii.

3*. Quod Spiritus Sanctus sit anima mundi.

4. Quod Christus non assumpsit carnem, ut nos a jugo diaboli liberaret.

5. Quod nec Deus et homo, neque hæc persona, quæ Christus est, sit tertia persona in Trinitate.

6. Quod liberum arbitrium per se sufficit ad aliquid bonum.

7. Quod ea solummndo possit nous facere vel dimittere, vel eo modo tantum, vel eo tempore, quo facit et non alio.

8. Quod nous nec debeat nec possit mata impedire.

9. Quod non contraximus culpam ex Adam, sed pœnam tantum.

10. Quod non peccaverunt, qui Christum ignorantes crucifixerunt, et quod non culpæ adscribendum est, quidquid fit per ignorantiam.

1. Le Père est la puissance complète, le Fils est une certaine puissance, le Saint-Esprit n’est nullement une puissance.

2. Le Saint-Esprit n’est, pas de la substance du Père ou du Fils.

3*. Le Saint-Esprit est l’âme du monde.

4. Le Christ ne s’est pas incarné pour nous délivrer du joug du démon.

5. Ni le Christ Dieu et homme, ni cette personne qui est le Christ, n’est une des trois personnes de la Trinité.

6. Le libre arbitre par ses seules forces suffit pour opérer quelque bien.

7. Dieu ne peut accomplir ou omettre que ce qu’il accomplit ou omet, et encore seulement de la manière et dans le temps qu’il le fait et non point autrement.

8. Dieu ne doit ni ne peut empêcher le mal.

9. Adam ne nous a pas transmis sa faute, mais seulement la peine de son péché.

10. Ceux qui ont crucifié le Christ, sans le connaître, n’ont point péché et rien de ce qui se fait par ignorance ne doit être imputé à faute.

11*. Quod in Christo non fuerit spiritus timoris Domini

12. Quod potestas ligandi atque solvendi apostolis tantum data sit, non successoribus.

13. Quod propter opera nec melior nec pejor effîciatur homo.

14. Quod ad Patrem, qui ab alio non est, propvrie vel specialiter attineat operatio, non etiam sapientia et benignitas.

15*. Quod etiam castus timor excludatur a futura vita.

16*. Quod diabolus immittat suggestionem per operationem lapidum vel herbarum.

17*. Quod adventus in fine sæculi possit attribui Patri.

18*. Quod anima Christi per se non descendit ad inferos, sed per potentiam tantum.

19*. Quod nec opus, nec voluntas, neque concupiscentia, neque delectatio, cum movet eam, peccatum sit, nec debemus velle eam extinguere.

11*. Dans le Christ il n’y avait pas l’esprit de crainte de Dieu.

12. Le pouvoir de lier et de délier a été donné aux apôtres seulement, et non à leurs successeurs.

13. Les actes extérieurs ne rendent l’homme ni meilleur ni pire.

14. Au Père, qui ne procède d’aucun autre, appartient en propre ou d’une manière spéciale l’opération, mais non la sagesse et la bonté.

15*. La crainte même filiale est exclue de la vie future.

16*. Le démon insinue la suggestion au mal par l’action des pierres ou des plantes.

17*. L’avènement à la fin des temps peut être attribué au Père.

18*. L’âme du Christ n’est pas elle-même descendue aux enfers ; elle y a seulement pénétré par sa puissance.

19*. Ni l’acte extérieur, ni la volonté de cet acte, ni la concupiscence ou le plaisir excité par elle ne constituent le péché, et nous ne sommes pas tenus de vouloir étouffer ce plaisir.

II. Vrai sens des articles condamnés et système théologique d’Abélard. — Le système d’Abélard bouleverse les principaux dogmes chrétiens : 1o la foi et la méthode théologique ; 2o la Trinité et la création ; 3o l’incarnation et la rédemption ; 4o la nature de l’homme et la grâce ; 5o la morale.

1o Erreurs sur la foi et la méthode théologique. — Bien que la série des articles n’en fasse pas mention, le rationalisme inconscient était le grand grief de Guillaume de Saint-Thierry et de saint Bernard contre Abélard : c’était le principal reproche exprimé dans la lettre des Pères de Sens à Innocent II. P. L., t. clxxxii, col. 357. Malgré de magnifiques apologies de la foi (voir Introductio, l. III, P. L., t. clxxviii, col. 1226, où l’on dit : credi salubriter debet quod explicari non valet), au fond même de son système règne la confusion de la foi et de la philosophie. — 1. Des deux cotés, l’objet est le même, les mystères n’existent plus : « La Trinité est une des vérités que tous les hommes croient naturellement. » Theologia christiana, I. V, P. L., t. clxxviii, col. 1123 ; Introduction, l. II et III, col. 1051-1086 ; Comm. in Epist. ad Rom., col. 803. — 2. Les philosophes ont été divinement inspirés comme les prophètes. Introductio, l. I, col. 998 ; Theologia christ., l. I, col. 1126-1165 ; De unitate, p. 4. Platon a mieux parlé que Moïse de la bonté divine. Theol. christ., l. II, col. 1175. Les philosophes sont donc sauvés, bien plus ce sont des saints « dont les vertus reproduisent la perfection évangélique ». Theol. christ., l. II. col. 1179-1206. — 3. Le motif de la foi est rejeté : « On n’accepte pas une vérité de foi parce que Dieu l’a dite, mais parce que la raison est convaincue. » Introductio, l. II, col. 1050. « Seuls les ignorants recommandent la foi avant de comprendre. » Introductio, l. II, col. 1046-1057. — 4. La certitude de la foi est ébranlée par la définition fameuse qui en fait une opinion, une conjecture : Est quippe fides existimatio rerum non apparentium. Introductio, l. I, col. 981 ; l. III, col. 1051 ; S. Bernard, Epist., cxc, P. L., t. clxxxii, col. 1061.

2o Erreurs sur la Trinité et l’action divine (articles 1, 2, 14, 7, 8, 3). — 1. Le sabellianisme devait naître de ce rationalisme latent. Dès qu’on veut expliquer la Trinité par la raison, il faut bien renoncer à la distinction réelle des trois personnes. Pour Abélard elles ne sont que les trois attributs de la divinité, puissance, sagesse et bonté : les noms Père, Fils, et Saint-Esprit sont détournés de leur sens propre. Cf. Introductio, l. I, P. L., t. clxxviii, col. 989 ; l. II, col. 1086 ; Theol. christ., l. III, col. 1259-1261, 1278. De là cette fameuse comparaison du sigillum æneum qui indignait Guillaume de Saint-Thierry. P. L., t. clxxx, col. 255. — Telle est l’origine de l’article premier : au Père seul appartient la toute-puissance. Cf. Introductio, l.I, col. 994 ; l. II, P. L., t. clxxviii, col. 1068-1069 ; Theologia christ., l. I, col. 1136 ; voir surtout la première Apologia, édit. Cousin, t. ii, p. 730. — « Le Saint-Esprit n’est pas de la substance du Père et du Fils » (article 2), parce que, dans la pensée d’Abélard, le Saint-Esprit, étant amour, doit être l’amour non de Dieu, mais des créatures ; tout amour doit être en effet, dit-il, l’amour d’un autre. Introductio, l. II, P. L., t. clxxviii, col. 1072. — On voit aussi pourquoi (dans l’article 14) la puissance est réservée au Père seul, comme au Fils la sagesse et au Saint-Esprit la bonté. — 2. Dans l’œuvre de la création, Abélard, séduit par les rêveries de Platon, remplace la liberté et la toute-puissance de Dieu par l’optimisme le plus exagéré : Dieu ne peut rien faire autrement qu’il ne fait (art. 7), il ne pouvait empêcher le mal qu’il a permis (art. 8). Le monde ne pouvait être meilleur. Si Dieu en effet avait pu faire mieux et ne l’avait point voulu, serait-il infiniment bon, et ne pourrait-on pas l’accuser d’envie ? Introductio, l. III, col. 1093-1103 ; Theol. christ., l. V, col. 1324-1330. La rétractation d’Abélard, Fidei confessio, col. 107, plus franche sur l’article 7, est encore nuageuse sur l’article 8. L’optimisme d’Abélard, sur lequel se taisent saint Bernard et Guillaume de Saint-Thierry, a été vivement combattu par l’auteur anonyme de la Disputatio adv. Abail., P. L., t. clxxx, col. 318-322, par Robert Pulleyn, Sent., l. I, c. xv, P. L., t. clxxxvi, col. 709, cf. 1020, par Hugues de Saint-Victor, De sacramentis, l. I, part. II, c. xxii, P. L., t. clxxvi, col. 214, et par l’auteur de la Summa sententiarum, faussement (voir l’article suivant) attribuée à Hugues. P. L., t. clxxvi, col. 69. — 3o Le panthéisme est-il renfermé dans la théorie du « Saint-Esprit âme du monde » ? Il est certain que cette dernière idée fut longtemps une des plus chères à Abélard et que les citations de Zénon, de Platon, de Virgile et de Macrobe donnent l’impression d’une conception spinosiste du monde. De unitate et Trin., édit. Stolzle, p. 10 ; Theol. christ., l. I, P. L., t. clxxviii, col. 1144-1166 ; Introductio, l. I, col. 1019-1030. Plus d’un de ses disciples accepta de fait les conséquences panthéistes de cette formule. Nous croyons cependant avec de Bémusat, Abélard, t. ii, p. 288, et Vacandard, Abélard, p. 238, que l’accusation de panthéisme formulée contre Abélard par Caramuel, Lobkowitz, Fesster et Bixner, n’est pas fondée. Du reste, dans la revision de sa Dialectica, part. V, édit. Cousin, p. 475, il rejeta expressément cette théorie du monde « animal immense, vivant d’une âme divine ». Amaury de Chartres ne relève donc pas de lui, comme on l’a dit, mais de Scot Érigène et surtout de Thierry de Chartres. Clerval, Les écoles de Chartres, p. 318.

3o Erreurs sur l’incarnation (art. 5, 4, 17, 18, 12). — 1. La théorie d’Abélard sur la personne de l’Homme-Dieu contient en germe le nestorianisme, sapit Nestorium, disait saint Bernard. Il accordait bien qu’il y a en Jésus-Christ une seule personne, Epitome, c. xxiv, P. L., t. clxxviii, col. 1732, et que le Christ, comme Verbe, est une personne de la Trinité, mais il niait que l’Homme-Dieu, ou même « cette personne qui est le Christ » soit une personne de la Trinité (art. 5). Cf. Apologia Ia Abailardi, dans l’édit. Cousin, t. ii, p. 730. Sans doute c’est ignorer la communication des idiomes, comme l’observe Vacandard, Abélard, p. 248, mais il y a de plus une conception erronée de l’union hypostatique qui pendant longtemps va troubler les écoles. D’après Abélard, on ne peut dire sans impropriété de termes : « Dieu est homme ; » il faut dire Deus habet hominem, le Verbe a pris, possède l’humanité, comme un vêtement avec lequel il n’y a pas d’identité. De là naîtra dans l’école d’Abélard la fameuse thèse Christus ut homo, non est aliquid, qui, adoptée par Pierre Lombard, soulèvera des tempêtes jusqu’à sa condamnation par Alexandre III en 1179. Cf. III Abélard (école d’) et Adoptiamsme au xiie siècle. — 2. La rédemption est totalement anéantie dans le système d’Abélard : « Le Verbe ne s’est pas fait homme pour nous délivrer du joug du démon » (art. 4), mais seulement pour donner un grand exemple de charité. Abélard pouvait sans doute, contre une opinion exagérée de son temps, nier au démon un vrai droit sur l’homme coupable, et en faire son geôlier, carcerarius. Mais il nie aussi les droits de la justice divine, et détruit la satisfaction du Christ : Jésus n’est point une victime qui expie, c’est un modèle dont la passion n’a d’autre but que d’exciter notre amour. « Comment la morsure d’Adam dans une pomme serait-elle expiée par le crime bien plus horrible de la mort de Jésus-Christ ? » Expos. in Epist. ad Rom., P. L., t. clxxviii, col. 834-836 ; Epitome, c. xxiii, col. 1730. Cette erreur est une de celles qu’Abélard a le plus explicitement rejetées dans sa rétractation. Ibid., col. 107. — 3. Abélard a-t-il nié la descente de Jésus-Christ aux enfers (art. 18) et attribué au Père le dernier avènement (art. 17) ? Les textes manquent pour le décider. L’Expositio symboli, P. L., t. clxxviii, col. 626, d’où semble extrait le 18e article, peut avoir un sens orthodoxe. — 4. Le pouvoir des clefs, laissé par Jésus-Christ à son Église, semble détruit par l’article 12 qui le réserve aux seuls apôtres. La formule est bien d’Abélard, Scito te ipsum, c. xxvi, col. 674, et sa pensée est fort obscure, bien qu’il parle moins du pouvoir de juridiction que du don de discernement dans l’usage des clefs. Il veut refuser le pouvoir d’absoudre aux seuls évêques simoniaques et indignes, préludant ainsi aux erreurs de Wiclef. Dans sa rétractation, il reconnaît le pouvoir des clefs dans les ministres indignes, tant qu’ils sont tolérés par l’Église ; ces derniers mots réservent l’opinion très répandue au xiie siècle que la consécration faite par un prêtre excommunié est invalide. Cf. Die Sentenzen Rolands, édit. Gietl, Fribourg. 1891, p. 217.

4o Erreurs sur la nature et la grâce. — Abélard ne veut pas être pélagien, mais son rationalisme le ramène toujours à la négation de l’ordre surnaturel. — 1. Plus de péché originel ; car, si Abélard conserve le mot, il entend par là une peine, non une faute (art. 9). Cf. Expositio in Epist. ad Rom., P. L., t. clxxviii, col. 867-873 ; Ethica, c. ii, col. 639-641 ; c. xiv, col. 654 ; Epitome, c. xxxiii. La rétractation d’Abélard sur ce point est encore insuffisante. Ibid., col. 107. — 2. Plus de grâce prévenante : la liberté peut seule faire faire le bien (art. 6). Ce n’est pas qu’il nie la nécessité de la grâce, mais comme Pelage il appelait grâce tout don gratuit de Dieu, même la liberté elle-même. Cette erreur, très clairement soutenue dans la première apologie, Opera, édit. Cousin, t. ii, p. 731, est rétractée dans la seconde, édit. Cousin, t. ii, p. 721. P. L., t. clxxviii, col. 107. — 3. Plus d’intervention directe du démon, son action se bornant à mettre en jeu les forces naturelles des éléments et des plantes (art. 16). Cf. Ethica, c. iv, col. 647.

5o Erreurs morales. — L’Éthique d’Abélard serait, d’après de Rémusat, son ouvrage le plus original ; mais là encore son esprit excessif en tout l’a égaré. La moralité subjective ou formelle lui fait oublier la moralité objective des actes. — 1. Sous prétexte qu’il n’y a pas de mépris de Dieu en dehors du consentement, il ne voit plus rien de mauvais dans les penchants de la concupiscence, ni dans les jouissances défendues. Tel est le sens de l’article 19, résumé très exact de l’Ethica, c. iii, col. 638-645. — 2. L’acte extérieur n’a plus de valeur morale (art. 13) ; Abélard ose écrire que « tous les actes sont indifférents en eux-mêmes et ne deviennent bons ou mauvais que par l’intention de celui qui agit ». Ibid., c. vii, col. 650 ; cf. Epitome, c. xxxiv, col. 1755 ; Problemata Heloissæ, probl. 24, col. 710. — 3. Confondant avec l’ignorance invincible celle qui est volontaire et coupable, il excuse formellement même le déicide des Juifs (art. 10). Cf. Ethica, c. xiii et xiv, col. 653 sq. — 4. Sur la charité, Abélard est tombé dans les deux excès contraires. D’une part, il l’exalte au point de nier tout mérite aux actes des autres vertus, ainsi que le lui reproche la censure de la Faculté de Paris, dans P. L., t. clxxviii, col. 112 ; cf. Introductio ad theol., ibid., col. 984. A cette erreur se rattachait peut-être les articles 11 et 15 qui excluent la crainte filiale aussi bien de l’âme de Jésus-Christ que des âmes des bienheureux. — D’autre part, Mabillon, In oper. sancti Bernardi, P. L., t. clxxxii, col. 1035, et Martène, In præf. ad theologiam Abailardi, P. L., t. clxxviii, col. 1120, lui reprochent avec raison d’avoir rejeté absolument le baptême de désir et refusé à la charité le pouvoir de justifier sans le sacrement. Cf. Expositio in Epist. ad Rom., l. II, P. L., t. clxxviii, col. 845 ; Theol. christ., l. II, col. 1205.

La censure delà Faculté de Paris en 1616, Op. Abail., ibid., col. 109-112, signale encore plusieurs opinions singulières d’Abélard sur des points spéciaux. Nous nous arrêterons seulement à un article qui ne figure pas dans la liste de Sens, mais qui a été condamné par Innocent II, puisqu’il se trouve dans la série romaine des Capitula, c. ix, dans édit. Cousin, t. ii, p. 768, et Op. sancti Bernardi, P. L., t. clxxxii, col. 1052. Abélard enseignait sur l’eucharistie cette étrange opinion, que Jésus-Christ cesse d’être présent sous les espèces, dès qu’elles sont irrespectueusement traitées, par exemple si elles tombent à terre ; d’où la formule condamnée : Corpus Christi non cadit in terram. Saint Bernard, Epist., cxc, De err. Ab., c. iv, P. L., t. c, col. 1062, et Guillanme de Saint-Thierry, Disput. adv. Ab., c. ix, P. L., t. clxxx. col. 280, furent aussi vivement choqués de la théorie d’Abélard sur les accidents eucharistiques qui, disait-il, « sont dans l’air », sont « suspendus en l’air ». Cf. Die Sentenzen Rolands, édit. Gietl, p. 233-235.

I. Sources du xiie siècle. — 1o Saint Bernard, ses lettres à la cour romaine sur Abélard ; les plus importantes sont : les lettres cxci et cccxxxvii adressées au pape, au nom des Pères du concile de Sens, P. L., t. clxxxii, col. 357, 540 ; à la lettre cccxxxvii, se rattache le recueil des Capitula, ibid., col. 1049 ; les lettres personnelles de Bernard au pape, lettre clxxxix, col. 354 ; lettre cccxxxi, col. 535, et surtout la lettre cxc qui contient un véritable traité De erroribus Abailardi, col. 249-282 ; 2o Guillaume de Saint-Thierry, Epist. ad Gaufridum et Bern., Op. S. Bern., ibid., col. 531 ; Disputatio adv. Abailardum, P. L., t. clxxx, col. 249-282 ; 3o Disputatio catholicorum Patrum adversus dogmata Petri Abælardi, réfutation (anonyme) de la première apologie d’Abélard, P. L., ibid., col. 283-328 ; 4o Bérenger, disciple d’Abélard, publia en sa faveur son Apologeticus, recueil d’injures contre les Pères de Sens, resté inachevé, dont l’auteur adressa une rétractation équivoque à l’évêque de Mende, dans les Op. Abælardi, P. L., t. clxxviii, col. 1851-1873.

II. Critiques des erreurs d’Abélard. — La censure des docteurs de la faculté de théologie de Paris, publiée de 1616 comme contre-poison des œuvres d’Abélard, Op. Abæl., P. L., t. clxxviii, col. 109-112 ; Mabillon, Admonitio in opuscc. xi S. Bernardi, P. L., t. clxxxii, col. 1045 ; Martène, Observationes præviæ ad Theol. christ. Abæl., dans Thesaurus novus anecdot., t. v, p. 1139-1156, et Op. Abæl., P. L., t. clxxviii, col. 1113 ; H. Hayd, Abälard und seine Lehre in Verhältniss zur Kirche und Dogma, in-4o, Ratisbonne, 1863 ; Johanny de Rochely, Saint Bernard, Abélard et le rationalisme, in-12, Paris, 1867 ; d’Argentré. Collectio Judiciorum…, Paris, 1728, t. i, p. 20 ; Dr J. Bach, Die Dogmengeschichte des Mittelalters vom christologischen Standpunkte, in-8o, Vienne, 1875, t. ii, p. 43-88 ; Vigouroux, Les Livres saints et la critique rationaliste, 3e édit., in-12, Paris. 1890, p. 337-354 ; de Régnon, Études de théologie positive sur la Trinité, in-8o, Paris, 1892, t. ii, p. 65-85. Voir aussi les ouvrages cités dans l’article précèdent, surtout Hefele, Vacandard, dom Clément, ainsi que les travaux indiqués des PP. Denifle et Gietl.

E. Portalié.