Dictionnaire de théologie catholique/GRACE II. La grâce habituelle ou sanctifiante

Dictionnaire de théologie catholique
Texte établi par Alfred Vacant et Eugène MangenotLetouzey et Ané (Tome 6.2 : GÉORGIE - HIZLERp. 184-200).

II. GRACE HABITUELLE OU SANCTIFIANTE

Dans l’article précédent, nous avons établi l’existence de la grâce considérée en général, en tant qu’elle est une réalité interne à l’homme et surnaturelle ; nous avons constaté aussi une double fonction de la grâce : elle est une force permettant à l’homme d’éviter le péché mortel et d’accomplir ses devoirs ; elle est aussi un principe de surnaturalisation, rendant formellement salutaire l’activité qui dérive d’elle. Nous devons maintenant rechercher l’essence de la grâce et nous divisons la matière de cette enquête en deux grandes parties : l’une a pour objet la grâce habituelle ou sanctifiante, l’autre, la grâce actuelle. Sur la grâce sanctifiante :

I. Existence II. Essence. III. Effets. IV. Propriétés. V. Dispositions requises pour la recevoir. VI. Causes.

1. Existence. —

Données scripluraires.


1. Le Christ, comme nous l’avons indiqué plus haut, a enseigné que l’homme, pour être sauvé, doit renaître spirituellement, être par conséquent vitalement transformé. Ioa., iii, 3, 5. Le principe de cette vie est une influence vivifiante, qui part du Christ, vivifie l’homme et l’unit au Christ. Joa., xv, 1-5.

2. Saint Paul enseigne que l’homme est rendu juste et saint, non par ses propres efforts ou ses œuvres personnelles, mais par un don gratuit de Dieu. Rom., iii, 21-22 ; Tit., iii, 4-7. Cf. Prat, op. cit., t. ii, p. 350-366. Voir Justification. Ce don comporte la rémission des péchés : du péché originel, Rom., v, 18-19, des péchés personnels, I Cor., VI, 11, et une réelle rénovation de l’homme, une naissance nouvelle, Tit., iii, 4-7 ; cette naissance nouvelle donne une nouvelle nature, car par cette naissance l’homme est une nouvelle créature, Eph., ii, 8-10 ; Gal., vi, 15, et ce par quoi il est créature nouvelle est aussi ce par quoi il devient capable d’une activité salutaire, Eph., ii, 8-10, qui est une vie nouvelle. Rom., vi, 3-6 ; Gal., ii, 20.

Il s’agit donc ici d’un étal de sainteté et il est réalisé par une réalité, une nature permanente infuse dans l’âme humaine. Cet état de sainteté (et la réalité qui la constitue) est caractérisé ultérieurement par une triple relation qui lui est indissolublement inhérente : une relation avec Dieu le Père, dont le juste est le fils adopiif, une relation avec le Saint-Esprit qui habite dans le juste, une relation avec Jésus-Christ, une union mystique avec le Christ dont le juste est un membre vivant recevant de lui l’influx vital, comme les membres du corps vivant de la tête. Rom., vin. 15-17 ; (lai., iv. 1 ! » ; Rom., viii, 9-11 ; Eph., IV, 14 sq. ; Col., il, 18. Cf. Prat, op. cit., p. 450 sq. Nous avons réuni ici ces diverses données pour permettre de jeter un coup d’oeil d’ensemble sur la doctrine de l’apôtre : ces notions diverses expriment une même réalité que nous appelons grâce sanctifiante, et ont été ultérieurement analysées et expliquées par les Pères et les théologiens, comme nous l’exposerons dans la suite. Mais pour l’objet qui nous occupe, à savoir, l’existence de la grâce sanctifiante, nous devons encore insister sur ce point : la sainteté, dont parle l’apôtre, n’est donc pas une perfection morale acquise par les opérations de l’homme, elle n’est pis le produit naturel de l’activité humaine, elle est infuse par Dieu dans l’âme, notamment au moyen du baptême. Tit., iii, 4-7. De plus, cette sainteté infuse n’est nullement due à l’homme comme tel, car Dieu la donne aux uns et non pas aux autres ; enfin les opérations naturelles de l’homme ne sont pas un titre, ne constituent pas une exigence à recevoir ce don : « Nul homme ne sera justifié devant lui (Dieu) par les œuvres de la loi… Maintenant, sans la loi… ceux qui sont justifiés le sont gratuitement par sa grâce. » Rom., iii, 2024. La sainteté est un effet de la prédestination divine ; celle-ci dépend d’une libre décision de Dieu, Rom., viii, 20 ; Eph., i, 4-11, qui a pour dernière raison la miséricorde divine : « L’élection (à la sainteté et au salut) ne dépend ni de la volonté ni des efforts (de l’homme), nuis de Dieu qui fait miséricorde. » Rom., ix, 16 ; xi, 5. i. Mais lorsque Dieu notre Sauveur a fait paraître sa bonté et son amour pour les hommes, il nous a sauvés, non à cause des œuvres de justice que nous faisons, mais selon sa miséricorde, par le bain de régénération et en nous renouvelant par le Saint-Esprit, qu’il a répandu sur nous… » Tit., iii, 4-6.

Saint Paul nous enseigne donc l’existence d’un don sanctifiant et sa complète gratuité.

Les textes cités en dernier lieu nous apprennent explicitement la gratuité du don sanctifiant, en montrant que les bonnes œuvres comme telles, ou naturelles, ne constituent pas l’homme saint ou juste ; déplus, que ces œuvres ne sont pas, devant Dieu, un litre exigeant ce don sanctifiant, qu’elles ne sont donc pas méritoires. C’est la première raison pour laquelle le don sanctifiant est positivement indu à l’homme. Mais ceci implique déjà que le don sanctifiant n’est pasuneentiténaturelle : car s’il l’était, il serait le résultat nécessaire des bonnes œuvres naturelles opérées par l’homme. L’essence de ce don nous est ultérieurement expliquée par ses effets, notamment, par ceci que l’homme en le possédant devient fils adoplif de Dieu, temple du Saint-Esprit : cette dignité est absolument surnaturelle : d’où il résulte que l’entité, qui confère cette dignité, est en elle-même surnaturelle, positivement indue à toute créature.

3. Saint Jacques enseigne aussi que la justification s’obtient par une naissance, due à la bienveillance divine, i, 18 ; pour saint Jean, l’homme juste est né de Dieu et la semence de Dieu demeure en lui. I Joa., iii, 9. L’état de sainteté est aussi appelé par saint Jean une onction reçue, qui demeure dans l’homme, il, 27.

2° Les Pères reprennent et expliquent le même enseignement. L’auteur de l’Epître de Barnabe présente deux assertions très significatives : « lui nous renouvelant par la rémission des péchés, il nous a mis une autre empreinte, au point d’avoir l’âme de petits enfants, justement comme s’il nous créait à nouveau ; car c’est de nous que parle l’Ecriture lorsque (Dieu) dit au Fils : Faisons l’homme à notre image et ressemblance, » vi, 11-12. Plus loin : « C’est en recevant la rémission de nos

péchés… que nous devenons des hommes nouveaux, que nous sommes recréés de fond en comble, » xvi, 8 (traduction Laurent-IIemmer, Les Pères apostoliques, Paris, 1007, t. i, p. 51 sq., 91). Tertullien enseigne qu’au baptême l’âme acquiert une ressemblance spéciale avec Dieu, différente de la similitude qu’elle a par sa nature. De baplismo, n. 5. Cf. d’Alès, La théologie de Tertullien, Paris, 1005, p. 264. Saint Basile décrit la présence du Saint-Esprit dans l’âme et la compare à la présence de la forme dans la matière, de la faculté de vision dans l’œil, de l’art dans l’artiste : le Saint-Esprit est toujours uni aux justes, mais il n’opère pas toujours en eux des effets tels qu’il en produit chez les prophètes, ou dans les guérisons ou dans d’autres opérations miraculeuses. De Spiritu Sanclo, c. xxxvi, n. 61, P. G., t. xxxii, col. 180. Saint Grégoire de Nazianze décrit, sous des noms divers, la grâce reçue au baptême et enseigne qu’il faut baptiser les enfants, quand ils sont en danger, bien qu’ils ne puissent pas s’apercevoir de la grâce qui les sanctifie. Orat., xl, in sanctum baplisma, n. 3 sq., 28, P. G., t. xxxvi, col. 361 sq., 399. Saint Jean Chrysostome explique pourquoi le baptême est appelé un bain de régénération : c’est parce que l’homme y est de nouveau créé et formé ; il y reçoit cette beauté, que Dieu avait accordée au premier homme, et qui est produite par la grâce du Saint-Esprit. Calechesis, i, ad illuminandos, n. 3, P. G., t. xlix, col. 226 sq. Cf. Cat., ii, n. 1, col. 232 sq. Saint Cyrille d’Alexandrie est encore plus explicite sur la réalité de la grâce interne et sanctifiante : « Il y a pour l’homme une formation simple ; comme lorsque notre premier père Adam fut formé de la terre… Après ce mode de création, il y a la formation qui nous est propre â chacun de nous : chacun est formé dans le sein de la mère ; c’est par cette voie que tous nous venons à l’existence. Il y a ensuite cette formation par laquelle nous devenons enfants de Dieu, élevés intellectuellement par la connaissance des lois divines à une beauté surnaturelle, celle qui procure â nos âmes l’ornement des vertus : cette beauté est la beauté spirituelle. Il y a en même temps la formation dans le Christ â l’image du Christ par la participation au Saint-Esprit. Le Christ est formé en nous grâce au Saint-Esprit qui introduit dans nos âmes une certaine forme divine par la sanctification et la justice. C’est ainsi que s’imprime en nous le caractère de l’hypostase de Dieu le Père, grâce au Saint-Esprit qui nous assimile à lui par la sanctification. » In Jsaiam, 1. IV, orat. ii, P. G., t. lxx, col. 936-937 (traduction du P. Mahé, dans la Revue d’histoire ecclésiastique, Louvain, 1909, t. x, p. 485). Cf. Weigl, Die Heilslehre des hl. Cyrill von Alexandrien, Mayence, 1905, p. 181 sq. Nous aurons à revenir plus tard sur la doctrine de saint Cyrille. Saint Augustin enseigne que la justification est due à une réalité interne, à une forme, dont Dieu revêt l’homme. De spiritu et littera, c. ix, n. 15, P. L., t. xliv, col. 208 sq. ; De Trinilate. I. XV, c. viii, n. 14, P. L., t. xlii, col. 1068. Cette justice est de Dieu, parce qu’elle est donnée par lui, mais elle est nôtre parce qu’elle est en nous. De gratia Christi, c. xiii, P. L.. l.xi.iv, col. 367. Le docteur Pohle, Lehrbuch der Dogmatik, Paderborn, 1011, t. il, p. 546 sq., indique les principaux textes de saint Augustin et en conclut qu’ils établissent que la grâce sanctifiante est la cause formelle de notre justification. Saint Augustin enseigne aussi que le Saint-Esprit habile dans les enfants baptisés, bien qu’ils ne le sachent pas. Epist., c.i.xxxvii, n. 26, P. L., t. xxxiii, col. 841.

3° Les scolasliques supposent l’existence de la grâce admise comme un dogme de foi ; ils en recherchent surtout la réalité : ils établissent qu’elle est une chose créée, infuse dans l’âme humaine, surnaturelle ; cette notion d’une grâce qui informe l’âme a été mise en lumière, d’abord par Alexandre de Haies d’après Heim, Das ItiOT

GRACE

iros

Wesen der Gnade bei Alexander Halesius, Leipzig, 1905, p. lu sq. Cf. Albert le Grand, Summa iheologiæ, part. II, tr. XVI, q. xcviii, m. i. Ils en étudient l’essence. Ils en recherchent le pourquoi, la raison d’êlre ; celle-ci se déduit de la connaissance d’autres vérités : nous avons ainsi, pour confirmer la thèse de l’existence de la grâce, les arguments de raison théologique : ils consistent en ce que d’une vérité révélée, au moyen d’une autre prémisse non révélée, on conclut à l’existence de la grâce. Nmis indiquerons trois arguments de ce genre, et nous voulons directement démontrer la réalité de l’influence surnaturelle de Dieu en l’âme.

1. Argument tiré de la fin dernière surnaturelle. — L’homme est appelé à posséder Dieu surnaturellement par la vision béatifique ; or l’homme doit tendre à cette lin par ses propres actes et ceux-ci doivent être proportionnés à la fin qu’ils doivent obtenir ; pour que ces actes soient proportionnés à cette fin, il faut qu’ils soient surnaturels ; pour que ces actes puissent être surnaturels, ils doivent provenir d’un principe surnaturel, par conséquent d’une forme surnaturelle, infuse dans l’âme. Cet argument est précisé par cette considération qu’obtenir sa fin dernière est, pour l’homme, la mériter : un acte n’est formellement et adéquatement méritoire (aclus mcrilorius de condigno) que pour autant qu’il est intrinsèquement proportionné au bien auquel il donne droit, à la récompense qu’il exige : pour qu’un acte soit intrinsèquement proportionné a la vision béatifique, il faut qu’il soit intrinsèquement surnaturel, par conséquent, intrinsèquement surnaturalisé par un principe surnaturel dont il procède. Il faut donc qu’à la nature humaine soit surajoutée une forme qui soit principe d’opération surnaturelle. Cet argument est indiqué par Pierre Lombard, Sent., 1. II, dist. XXIV, c. i ; développé par Alexandre de Halès. Summa theologica, part. III, q. lxix, m. v, a. 2 ; cf. Heim, op. cit., p. 59 sq. ; par Albert le Grand, Summa Iheologiæ, part. II, tr. XVI, q. xcviii, m. n ; par saint Thomas d’Aquin, In IV Sent., 1. II, dist. XXVIII, q. i, a. 1 ; Summa cont. yent., . III, c. cli ; De virtutibus in communi, q. i, a. 10 ; Sum. theol., I a IF’, q. cix, a. 2, 5. C’est là une doctrine constante et, on peut dire, fondamentale chez saint Thomas.

2. Argument tiré de la bienveillance spéciede de Dieu à l’égard de l’homme juste. — Saint Bonaventure, In IV Sent, 1. II, dist. XXXVI, q. i, a. 1, Opéra omnia, Quaracchi, t. n. p. G31, expose très clairement cette démonstration : Dieu est juge équitable ; il ne donne approbation et bienveillance que pour autant que l’homme est réellement digne d’approbation et de bienveillance ; s’il approuve et a pour agréable un homme de préférence à l’autre, c’est que dans le premier il y a un bien, un don, qui n’existe pas dans l’autre. Cette considération est expliquée de la manière suivante : la connaissance divine ne peut être en défaut ; par conséquent Dieu ne juge l’un meilleur que l’autre, sinon parce que le premier a en lui une réalité, cjui le rend digne d’approbation, et qui ne se trouve pas chez l’autre. La bienveillance divine n’est pas une affection nouvelle, qui surgit et est causée en Dieu, mais c’est la production d’un effet, et par conséquent il y a un efïet produit dans celui qui est le terme de la bienveillance divine. Saint Bonaventure ajoute : la volonté divine, en tant qu’elle donne son approbation, ne subit aucun changement ; dès lors, quand quelqu’un commence à être l’objet de l’approbation ou de la bienveillance divine, c’est en lui qu’a dû se produire un changement ; ce changement mlient être qu’un don reçu de Dieu : par conséquent ce par quoi un homme est agréable à Dieu, la grâce, est une réalité infuse par Dieu en l’homme. Saint Thomas, Sum. theol., I a IF’, q. ex, a. 1, expose le même argument : il fait ressortir explicitement la différence entre l’amour qui est dans la créature et

l’amour qui est en Dieu ; l’amour, qui est en la créature, est causé en elle par un bien préexistant ; l’amour qui est en Dieu, est lui-même cause du bien qui est le terme de cet amour. C’est pourquoi toute dilection en Dieu a pour conséquence un bien produit dans la créature. La dilection spéciale de Dieu à l’égard de la créature raisonnable élevée à l’ordre surnaturel produit en elle un don surnaturel. Cf. In IV Sent., ]. II, dist. XXVI, q. i, a. 1 ; Summa cont. gent., 1. III, c. clv ; De veritale, q. xxvii, a. 1 ; Bellarmin, De justificatione impii, 1. II, c. ni, n. 26, 31, 32.

3. L’existence de la grâce est confirmée par le dogme du péché originel. D’après la doctrine de l’apôtre, Boni., v, 12 sq., définie au concile de Trente, Denzinger-Bannwart, n. 787 sq., tous les hommes qui naissent d’Adam (à moins qu’un privilège ne les en exempte) sont, par le seul fait de leur origine, constitués pécheurs devant Dieu, sujets d’une culpabilité originelle. D’après le principe indiqué ci-dessus, Dieu, dont la connaissance est infaillible, ne peut pas considérer comme coupables ceux qui ne le sont pas : il faut que chez les enfants il y

ùt réelle culpabilité. Celle-ci ne peut pas être constituée

en eux par un acte moral mauvais, ni être un habitus résultant d’une faute personnelle. Cette culpabilité ne peut donc être que la privation d’une perfection qui ordonnerait positivement l’âme vers Dieu. Mais cette perfection ne peut pas être purement naturelle, car la nature humaine, telle qu’elle se trouve chez les enfants, n’est pas essentiellement viciée et elle possède les facultés requises pour que l’homme tende naturellement à Dieu ; ces facultés sont l’intelligence et la volonté. Dès lors le péché originel ne se conçoit que par la privation d’une perfection surnaturelle, d’une perfection qui, ajoutée à la nature, ordonne habituellement et positivement celle-ci vers Dieu. Il faut donc que, dans l’ordre actuel de la providence, un don surnaturel ait été accordé, en Adam, à la nature humaine un don surnaturel dont la privation constitue précisément ce désordre moral, cette culpabilité, qui est le péché originel. Celui-ci peut maintenant encore être enlevé de l’âme des enfants, notamment par le baptême, qui rend les hommes justes et saints, en produisant en eux la perfection réelle qui constitue la sainteté surnaturelle. Cette explication de l’essence du péché originel est celle de saint Thomas. Sum. theol., D IF’, q. lxxxi sq. Cf. I a, q. xcv ; card. Billot, De pcrsonali et originali peccato, Prato, 1910, p. 177 sq. Saint Thomas, dans ses premières œuvres, avait admis l’opinion de Pierre Lombard d’après laquelle le premier homme n’avait reçu, au moment de la création, que des dons préternaturels, et non la grâce sanctifiante, gralia grulum faciens : celle-ci, dès lors, n’était pas un élément constitutif de la justice originelle. mais plus tard saint Thomas a rejeté cette explication et a enseigné que la gralia gralum faciens était un élément constitutif, et le principal, de la justice originelle. Cf. de Bæts, De ralione et naturel peccati originedis, Louvain, 1899, p. 19 sq.

Définitions de l’Église.

 II en est deux qui concernent

la grâce sanctifiante : le concile de Vienne (1311-1312) déclare plus probable le sentiment qui tient qu’au baptême tous les hommes, aussi bien les enfants que les adultes, reçoivent la grâce informante (gratiam informanlem) et les vertus. Denzinger-Bannwart, n. 410. La controverse ne portait pas sur l’existence de la grâce informons, mais sur le point de savoir si elle était donnée ainsi que les vertus aux enfants. Le concile suppose la croyance à l’existence de la gralia informons et confirme cette conviction. Le concile de Trente, sess. vi, c. vii, définit que « la justification ne consiste pas seulement dans la rémission des péchés, mais encore dans la sanctification et rénovation de l’homme intérieur par la réception volontaire (chez les adultes) de la grâce et des dons… L’unique cause formelle de cette

justification est la justice de Dieu, non celle par laquelle il est lui-même juste, mais celle par laquelle il nous rend justes : par cette justice, reçue de Dieu, nous sommes renouvelés, et en réalité nous sommes justes ; nous recevons en nous la justice et chacun la reçoit dans la mesure que le Saint-Esprit détermine, d’après son vouloir et aussi selon la disposition et la coopéralion propre à chaque individu. » Denzinger-Bannwart, n. 799-800. C’est la théorie de Luther sur la justification imputative qui fut l’occasion de la définition citée. Le concile inculque ce point doctrinal : que la justification n’est pas un acte forinsèque (une sentence judiciaire), par lequel Dieu déclare l’homme juste, mais un acte par lequel Dieu le rend réellement juste, en infusant dans son âme un nouveau principe de vie surnaturelle. Cf. Hefner, Die Enstehungsgeschichte des Trienter Rechfertigungsdekretes, Paderborn, 1909, p. 263 ; pour l’histoire de ce décret, voir op. cit., p. 165 sq.

II. Essence.

Le concile de Trente ne s’est pas prononcé sur les controverses théologiques concernant l’essence de cette grâce, notamment il n’a pas donné de solution à cette question : si la grâce sanctifiante est réellement distincte de la charité infuse, si la grâce sanctifiante a pour sujet immédiat l’essence même de l’âme ou la volonté, comment il faut entendre l’habitation du Saint-Esprit dans l’homme juste. Cf. Hefner, op. cit., p. 260, 264. Nous exposerons succinctement les sentiments des théologiens sur ces questions.

1° D’abord, c’est une assertion au moins théologiquement certaine que la grâce sanctifiante est une réalité distincte de Dieu et produite par lui. Cela ressort clairement du décret du concile de Trente : la cause formelle de notre justification n’est pas la justice même de Dieu, ce n’est pas par elle que nous sommes rendus justes ; c’est donc par une justice réellement distincte de celle-là, par une justice créée et infuse dans l’âme. Ce qui confirme cette affirmation, c’est que la justice, par laquelle les hommes sont rendus justes, a des degrés différents chez les divers individus et est proportionnée à leur disposition. On peut d’ailleurs démontrer qu’il est impossible que Dieu soit uni à l’homme comme une forme à une matière, ou plus généralement, comme l’acte à la puissance ; en effet, puisque Dieu est l’être subsistant en lui-même, il est impossilde qu’il informe un autre être comme un accident informe et modifie une substance, dans laquelle il est inséré. (Remarquons que l’union hypostatique du Verbe avec la nature humaine ne consiste nullement en ce que le Verbe devienne la cause formelle de l’humanité, mais l’être de celle-ci. Voir Incarnation.) Le sentiment de Pierre Lombard n’a plus de partisans, il n’en avait pas beaucoup de son temps, comme il l’avoue lui-même. Sent, 1. I, dist. XVII, c. i, n.6. Il soutenait que la charité surnaturelle, qu’il identifiait avec la grâce sanctifiante, n’était pas une réalité créée et infuse dans l’âme, mais l’Esprit-Saint lui-même, produisant en nous l’amour de Dieu. Le Saint-Esprit était donc, d’après cette opinion, la cause formelle de notre justification ; ce qui ne peut se concilier avec le décret du concile de Trente et notamment avec le canon 11e de la vie session : « Si quelqu’un affirme que les hommes sont justifiés ou bien par la seule imputation de la justice du Christ, ou bien par la seule rémission des péchés sans la grâce et la charité qui est infuse dans leur âme par V Esprit-Saint et qui leur est inhérente…, qu’il soit anathème. » Denzinger-Bannwart, n. 821. Sur l’exposé et la réfutation de l’opinion de Pierre Lombard, voir S. Thomas d’Aquin, Sum. theol., II » If, q. xxiii, a. 2 ; S. Bonaventure, In IV Sent., 1. I, dist. XV II, part. I, q. i, Opéra, Quaracchi, t. i, p. 292 sq.

2° La grâce sanctifiante est donc une réalité distincte de Dieu, créée, infuse et inhérente en l’âme ; elle ne peut pas être une substance, ni complète ni incom plète ; car une substance créée, complète, ne peut pas communiquer son être à une autre substance complète, telle, par exemple, que l’homme ; la substance incomplète s’unit à un autre élément de façon à constituer avec lui une substance complète, d’une espèce déterminée : il est évident que la grâce sanctifiante ne constitue pas avec l’homme une nouvelle substance ou nature, une espèce d’être substantiel. Il reste donc que la grâce sanctifiante est un accident ; si l’on considère les divers genres d’accidents, on conclut qu’elle ne peut appartenir qu’à la qualité. Cf. Casajoana, Disquisitiones scholastico-dogmaticæ, Barcelone, 1888, t. iv, p. 581. La grâce sanctifiante est donc une qualité, c’est-à-dire une forme modifiant intrinsèquement l’âme ou lui conférant une perfection déterminée, accidentelle. Cf. S. Thomas, Sum. theol., D If", q. xxix, a. 2. Les théologiens expliquent ultérieurement l’essence de la grâce sanctifiante en disant qu’elle est un habitus entitalivus. Cf. S. Thomas, De veritate, q. xxvii, a. 2, ad 7° m ; Suarez, De gratin. 1. VI. c. iv, n. 1, Opéra, t. ix, p. 20 ; Bellarmin, De gratia et libero arbitrio, 1. I, c. ni, p. 227 ; Pesch, Prielecliones dogmatiese, t. v, n. 312 sq.

3° L’opinion de beaucoup la plus probable soutient que la grâce sanctifiante est réellement distincte de la vertu infuse de charité. Ce sentiment est défendu par Alexandre de Halès, Sum. theol., part. III, q. lxix, m. ii, a. 4 ; cf. Heim, op. cit., p. 48, 50-52 ; S. Bonaventure, In IV Sen(., l. I, dist. XVII, part. I, q. iii, Opéra, t. i, p. 299 ; 1. II, dist. XXVI, dub. n ; dist. XXVII, a. 1, q. ii, Opéra, t. ii, p. 648, 656 ; S. Thomas, Sum. theol., I* II 35, q. ex, a. 3 ; Capréolus, In IV Sent., 1. II, dist. XXVI, a..De/ensiones theologiæ, Tours, 1900 sq., t. iii, p. 256 sq. ; Denys le Chartreux, Summa fidei orlhodoxæ, 1. II, a. 118, Opéra omnia, Montreuil-sur-Mer, 1896 sq., t. xvii, p. 326 ; Cajétan, In I"" II, q. ex, a. 35 ; Suarez, De gratia, 1. VI, c. xii, Opéra, t. ix, p. 70 sq. ; Ripalda, De ente supernaturali, 1. VI, disp. CXXXII, sect. iv, n. 53, t. ii, p. 702 sq. ; Mazzella, De gratia, n. 958 ; Schiffini, De gratia divina, n. 203, 3 ; Van Noort, De gratia Christi, Amsterdam, 1908, n. 142 ; card. Billot, De gratia Christi, p. 140 ; de Bæts, De gratia Christi, Gand, 1910, p. 62 sq. L’opinion contraire a été soutenue par Duns Scotjn IV Sent., ]. II, dist. XXVII ; par Molina, Concordia, in q. xiv, a. 13, disp. XXXVIII, Paris, 1876, p. 221 ; par Bellarmin, De gredia et libéra arbitrio, 1. I, c. vi, p. 232 sq.

La distinction réelle se déduit de la considération suivante : la charité est un habitus opérations, un principe immédiatement ordonné à la production de l’acte de charité ; or, ce principe prochain d’opération, qui est à l’instar d’une faculté, suppose un principe éloigné (principium remotum) qui soit à l’instar d’une nature. Cet argument est développé par saint Thomas, De veritate, q. xxvii, a. 2, où, se basant sur l’analogie entre l’ordre naturel et l’ordre surnaturel, il montre que l’homme, qui, par sa nature propre, est radicalement ordonné à sa fin naturelle, doit recevoir aussi une réalité qui élève sa nature et lui confère une dignité proportionnée à la fin surnaturelle à laquelle il est destiné. Cette dignité spéciale est conférée par la grâce sanctifiante, tandis que la charité infuse est ce par quoi la volonté est inclinée vers la fin surnaturelle, et les autres vertus sont données pour que l’homme soit capable d’exécuter les œuvres surnaturelles par lesquelles il acquiert la fin surnaturelle. La distinction réelle des divers dons naturels et la connexion qui existe entre eux est aussi clairement décrite par saint Thomas, De virtutibus in communi, q. i, a. 10. Un autre argument est donné par M. de Bæts, op. cit., p. 63 : la charité est une faculté appétitive intellectuelle surnaturelle ; elle suppose donc une connaissance proportionnée ; celle-ci (sur la terre) est la foi. Par conséquent la foi est de par sa nature antérieure à la charité ; mais

nous savons que la foi est distincte de la grâce : il faut néanmoins admettre entre la grâce (qui donne l’être surnaturel) et la foi (qui est le principe immédiat de connaissance surnaturelle) une relation, qui ne peut être que V antériorité de la grâce par rapport à la foi. La grâce est donc (par sa nature) antérieure à la foi et réellement distincte de celle-ci ; la foi est antérieure à la charité ; il est donc impossible que la grâce soit la même réalité que la charité, puisque celle-ci est (par sa nature) postérieure à la foi et que la grâce est, par sa nature, antérieure à la foi.

Corollaires. — 1. Puisque la grâce sanctifiante est réellement distincte de la charité et qu’elle est le principe éloigné de toute l’activité surnaturelle, elle est donc comme une nouvelle nature et elle a son siège propre dans l’essence même de l’âme humaine, tandis que les vertus infuses ont leur siège propre dans les facultés opératives de l’âme. Voir saint Thomas, Sum. theol., Ia-IIæ, q. ex, a. 4 ; I a, q. c, a. 1, ad 2°", où il enseigne que la grâce sanctifiante est la radix jusiilise originalis ; c’est pourquoi la justice originelle avait primordialement son siège dans l’essence même de l’âme. Cf. I a II®, q. lxxxiii, a. 2, ad 2° m ; De malo, q. iv, a. 4, ad 1°™.

2. La grâce sanctifiante est formellement une participation de la nature divine. Nous avons exposé que la grâce sanctifiante est une qualité surnaturelle, le principe éloigné de l’activité surnaturelle, et une réalité qui se trouve dans l’essence même de l’âme humaine. Pour préciser ultérieurement ce que cette grâce est en elle-même, il faut considérer quelle est sa fonction propre : elle consiste à ordonner l’essence de l’âme à la fin surnaturelle, en d’autres termes, elle rend l’âme radicalement apte à la vision intuitive de Dieu et à l’amour qui en résulte ; par cette vision et cet amour l’âme participe elle-même à l’opération qui est propre à Dieu ; car se connaître et s’aimer en lui-même est pour Dieu l’opération qui lui est propre. Or par nature divine nous entendons formellement ce que nous concevons en Dieu comme le principe radical de l’opération qui est propre à Dieu : la nature est donc le principe radical de l’opération par laquelle Dieu se connaît et s’aime lui-même ; mais puisque l’homme, par la vision béalifique, participe à l’opération cognoscitive qui est propre â Dieu, et par l’amour béatifique à l’opération appétitive qui est propre à Dieu, il en résulte que la grâce sanctifiante, principe radical en l’homme de cette double opération, est formellement une participation de la nature divine. Cf. Terrien, La grâce et la gloire, Paris, 1897, t. i, p. 80 sq., 252 sq. ; card. Billot, De virtutibus in/usis, Rome, 1901, prolog., p. 30 ; Mazzella, De gratia, n. 1000 sq., qui expose aussi, n. 1002, une opinion différente défendue par Ripalda, De ente supernaturali, disp. CXXXII, n. 105. La participation, dont nous venons de parler, est physique, comme les vertus infuses et la vision béatifique sont des réalités physiques ; mais cette participation physique est analogue comme l’est nécessairement toute participation d’une perfection divine. Cf. de Bæts, op. cit., p. 45.

3. D’après ce qui précède, l’on comprend pourquoi la grâce sanctifiante est pour l’homme à l’instar d’une nouvelle nature : ce n’est pas une nature, au sens strict, parce que c’est un accident, mais elle est comme une nouvelle nature parce qu’elle rend l’âme, dans son essence, radicalement apte à l’activité surnaturelle et parce que les vertus infuses sont comme les facultés opératives de la grâce. Cf. S. Thomas, Sum. theol., I" II 10, q. ex, a. 4, ad 4°™.

4. La grâce sanctifiante, bien qu’elle soit unique dans son espèce, a été considérée notamment sous deux aspects différents, d’après les effets qu’on lui assigne : les anciens scolastiques l’ont distinguée en grâce opérante et grâce coopérante. Quand l’homme justifié produit, par une vertu infuse, une opération surnaturelle,

la grâce sanctifiante en est le principe éloigné et le rend méritoire : à ce titre la grâce sanctifiante est dite coopérante ; quand l’homme n’agit pas, la grâce sanctifiante le rend cependant formellement agréable à Dieu : à ce titre elle est dite opérante. Voir S. Bonaventure, In IV Sent., 1. II, dist. XXVII, a. 1, q. i, et dub. i, Opéra, l. ii, p. 651, 068 ; S. Thomas, In IV Sent., 1. II, dist. XXVI, q. i, a. 5 ; Sum. theol., P II®, q. exi, a. 2 ; Capréolus, In IV Sent., 1. I, dist. XVII, q. i, concl. 3°, op. cit., t. ii, p. 73 ; Denys le Chartreux, Summa fidei orthodoxie, I. II, a. 119, op. cit., t. xvii, p. 327.

5. Nous avons exposé ce qui concerne l’essence de la grâce sanctifiante et sa surnaturalité ; considérons-la en relation avec la nature, et plus précisément, avec l’essence de l’âme où elle a son siège. L’âme humaine est une forme substantielle immatérielle ; c’est pour cela qu’elle est capable de recevoir en elle cette forme accidentelle, immatérielle, qui est à l’instar d’une nouvelle nature. Cette capacité de l’âme humaine est ce qu’on appelle une puissance obédicnlielle : c’est la simple capacité de recevoir, de la part de Dieu, une forme surnaturelle, une forme à laquelle la nature n’a aucune exigence ni aucune disposition positive. Sur la notion de la puissance obédientielle, voir S. Thomas, De veritate, q. xxiv, a. 3, ad 3° n ; De virtutibus in communi, q. i, a. 10, ad 13"" ; Sum. theol., IIP, q. xi, a. l ; Cajétan, Com. in D iii, q. i, a. 1 (n. 9) ; Sylvestre le Ferrarais, Com. in Sum. cont. gent., 1. IV, c. lxxxi, Lyon, 1586, p. 753.

La grâce sanctifiante, par conséquent, ne répond pas à un besoin d’expansion de la nature, ne complète pas celle-ci dans son ordre, mais elle l’élève intrinsèquement à un ordre de perfection supérieure, elle l’élève à un ordre d’activité qui est absolument au-dessus de la sphère d’activité de la créature, elle rend l’âme participante à la nature divine et positivement disposée ou ordonnée à la vision béatifique. De tout cela il résulte que la grâce sanctifiante c/i/re dans l’homme, bien qu’elle ne corresponde pas à un besoin de la nature humaine (ce qui se conçoit clairement quand on pense à l’infusion de la grâce chez les enfants, par le baptême), que la grâce sanctifiante y est un principe premier d’activité vitale et surnaturelle ; ce principe est complété, dans son ordre, par les vertus infuses, qui ont leur siège dans les facultés de l’âme et qui sont les principes immédiats des actes surnaturels. Il en résulte enfin que la grâce sanctifiante est, en même temps, une forme absolument surnaturelle et une vraie perfection de l’homme. Voir S. Thomas, De virtutibus in communi, q. i, a. 10, et le commentaire de Mgr Waffelært, Méditations théologiques, Bruges, 1910, p. 508, note 1. C’est dans la capacité de. la nature à recevoir de Dieu le surnaturel que se trouve le point d’insertion du surnaturel, c’est par là qu’il pénètre dans la vie de la créature. Cf. de Tonquédec, L’immanence, Paris, 1913, p. 169 ; Collationes Brugenses, t. xix (1914), p. 103 sq.

III. Effets.

Nous considérons ici l’effet formel

de la grâce en l’âme et ce qui, sans être, d’après certains théologiens, l’effet formel, en est cependant une conséquence nécessaire.

1° L’effet formel de la grâce en l’âme est la déi/ormité, c’est-à-dire que l’âme, en recevant la grâce sanctifiante, est transformée et acquiert une ressemblance toute spéciale avec Dieu, précisément parce qu’elle est rendue participante de la nature divine.

2° L’effet formel de la grâce sanctifiante est aussi l’ablation ou rémission du péché mortel, comme le dit saint Thomas : formaliter enim gratia inhærendo expellit culpam. De veritate, q. xxviii, a. 7, ad 4° m. Il n’est pas possible que l’homme soit, en même temps, parla g.’àce (et la charité qui lui est indissolublement unie), positivement ordonné, orienté vers Dieu, et, par le péché mortel, positivement détourné de Dieu. Suarez, De

gratia, 1. VII, c. xviv, Opéra, t. ix, p. 250, dit qu’il n’y a pas de répugnance physique à ce que la grâce soit conservée par Dieu dans une âme qui commet actuellement le péché mortel ; cette assertion est vraie. Mais nous n’admettons pas ce que Suarez dit, c. xx, n. 7, p. 254 : « Malgré l’opposition et la répugnance connaturelle (entre le péché mortel et la grâce), Dieu, de sa puissance absolue, peut passer outre et conserver la grâce dans celui qui a péché (mortellement) sans lui remettre le péché. » Nous sommes d’avis qu’une telle attitude répugne absolument à la sagesse divine et que, par conséquent, il est absolument impossible qu’elle se réalise en Dieu. Cf. Pesch, Præleetiones dogmatieæ, t. v, n. 335 ; Schiffmi, De gratia, n. 178 ; spécialement le cardinal Billot, De gratia Christi, p. 221 sq., où réminent auteur réfute l’opinion de Duns Scot.

3° Beaucoup de théologiens enseignent que, dans une pure créature (homme ou ange), la grâce sanctifiante la rend formellement fils adoptif de Dieu. Voici pourquoi : la grâce sanctifiante rend le sujet où elle réside formellement participant de la nature divine, confère le droit à la vision béatifique et amène d’autres dons qui déjà mettent le sujet en communication avec Dieu, priait est in semelipso. Par là, la créature devient participante du bien qui est propre à Dieu lui-même, et comme elle est, vis-à-vis de Dieu, une personne exlranea, il en résulte que, par la grâce sanctifiante, elle est constituée fils adoptif ; car l’adoption se définit : Persouie extraneæ in filium et hæredem graluita assumptio. D’après la doctrine que nous exposons, l’adoption n’emporte aucune réalité distincte de la grâce sanctifiante et n’est pas autre chose que la dignité qui, dans une pure créature, résulte immédiatement et nécessairement de la grâec sanctifiante. Nous adhérons à cette doctrine, mais nous croyons plus exact de dire que l’adoption surnaturelle est, dans la créature, la résultante immédiate et nécessaire de la grâce sanctifiante : d’abord parce que l’effet formel de la grâce sanctifiante est, à proprement parler, la déiformilé. Cf. card. Billot, De Vcrbo incarnalo, 5e édit., Prato, 1912, thés, xvi, ad l"" 1, p. 201. Ensuite, dans l’humanité du Christ, où il y a la grâce sanctifiante, il n’y a pas l’adoption ; la raison en est que, pour qu’il y ait adoption, il faut qu’il y ait une personne étrangère. Or l’humanité du Christ n’est pas une personne, elle n’est et ne peut pas être fils ; par conséquent elle ne peut pas être un fils adopté. Il n’y a en Jésus-Christ qu’une seule personne et celle-ci est le fils naturel de Dieu, elle n’est donc pas une personne étrangère. « Ce défaut d’extranéiié exclurait également l’adoption, si le Père ou le Saint-Esprit s’étaient incarnés : car ils n’ont pas le titre de Fils naturel, ils ne sont pas des personnes étrangères à la Trinité. » Portalié, art. Adoptianisme. t. i, col. 420 ; cf. col. 411.

Mais Lessius, qui a été suivi par Petau et par quelques théologiens, peu nombreux, défend une autre opinion : il soutient que la grâce sanctifiante rend l’homme formellement juste, mais ne le constitue pas fils adoptif de Dieu ; cette dernière dignité est constituée par la présence du Saint-Esprit dans l’âme sanctifiée. Cette opinion a été exposée et critiquée à l’art. Adoption surnaturelle, t. i, col. 428 sq. 434 sq. Bien que nous admettions que la notion de fils adoptif de Dieu est réalisée par la grâce sanctifiante infuse dans l’homme, nous admettons aussi que la présence du Saint-Esprit est inséparable de la grâce sanctifiante créée et que la participation Il la nature divine, telle qu’elle existe maintenant, comprend deux éléments que l’on peut distinguer, à savoir, la grâce créée et la grâce incréée. L’on peut dire aussi que la grâce créée est une disposition par rapport à la grâce incréée. Cf. Weigl, Die Heilslehre des hl. Cyril von Alexandrien, p. 221 sq.

4° Ceci nous amène à un autre point de doctrine : V inliabilalion ou la présence de Dieu dans l’âme du

juste. Il est de foi que Dieu est présent d’une façon spéciale dans l’âme du juste ; cette vérité est énoncée plus d’une fois dans l’Écriture sainte, notamment Joa., xiv, 23 ; I Cor., iii, 16 ; vi, 10 ; Boni., viii, 9-11. Les Pères aussi l’ont fréquemment exposée : citons, à titre d’exemple, S. Athanase, Epist, i, ad Serapionem, n. 26, P. G., t. xxvi, col. 586 ; S. Basile, De Spiritu Sanclo, c. ix, n. 23 ; c. xxvi, n. 61, P. G., t. xxxii, col. 109, 180 sq. ; S. Cyrille d’Alexandrie, De sancta et consubsiantiali Trinitate, dial. vii, P. G., t. lxxv, col. 1089 ; cf. Weigl, op. cit., p. 184 sq. ; S. Augustin, Epis/.. clxxxvii, n. 26, P. L., t. xxxiii, col. 841.

Il n’y a aucun doute sur le fait de l’inhabitation du Saint-Esprit dans l’âme du juste, aucun doute non plus quant à l’inhabitation des trois personnes de la très sainte Trinité, mais il existe une controverse entre les théologiens sur la manière d’expliquer la présence divine qui est propre à l’homme justifié.

Petau, Theologia dogmalica, t. ii, De Trinitate, 1. VIII, c. vi, Anvers, 1700, p. 471 sq., enseigne que l’union de Dieu avec le juste est propre et spéciale au Saint-Esprit en ce sens que le juste est uni immédiatement à la troisième personne seule cl, par elle, médialement, aux deux autres. Voici ses paroles : lllam eum juslnrum animis conjunclionem Spiritus Sancti, sive statum adoptiviun filiorum, communi quidem personis tribus oonve-t nire divinilati : sed qualenus in hypostasi, sive persona incsl Spiritus Sancti : adeo ut cerla qusedam ratio sit qua se Spiritus Sancti persona sanctorum juslorumque mentibus applicat, qu.Be civleris personis eodem modo non competit. Op. cit., p. 473. Sur l’opinion de Petau, voir le judicieux article du P. Mahé, dans la Revue d’histoire ecclésiastique (Louvain), t. x (1909), p. 470-477. Le même auteur expose ensuite la doctrine de saint Cyrille d’Alexandrie et fait voir qu’elle ne coïncide pas avec l’opinion de Petau : saint Cyrille n’enseigne pas que la personne du Saint-Esprit est elle-même spécialement appliquée ou unie à l’âme des justes, de façon à ce que cette union soit propre à la troisième personne de la Trinité ; mais il enseigne que l’œuvre de la sanctification, réalisée dans l’âme par les trois personnes, et lu présence des trois personnes en l’âme, convient à un titre spécial à la personne du Saint-Esprit : ce litre est en réalité ce qui caractérise le Saint-Esprit en vertu même du mode dont il procède du Père et du Fils. Bien qu’il ne faille pas « chercher chez saint Cyrille la distinction entre propriétés et appropriation, » op. cit., p. 480, il nous semble que la doctrine de saint Cyrille est objectivement la même que celle des théologiens qui enseignent que la présence divine dans l’âme du juste est attribuée au Saint-Esprit par appropriation. mais saint Cyrille fait mieux ressortir le fondement ontologique de cette appropriation, c’est-à-dire le caractère personnel du Saint-Esprit : c’est précisément la raison pour laquelle on peut et on doit attribuer au Saint-Esprit l’œuvre de notre sanctification. La connexion objective entre la personnalité du Saint-Esprit et l’œuvre de notre sanctification semble être ce qui distingue la doctrine de saint Cyrille de l’opinion de Petau, d’une part, et de l’opinion des autres théologiens, d’autre part.

Chez les scolastiques, comme le fait observer Weigl, op. cit., p. 126, le rôle de la grâce incréée est au second plan, et l’attention est surtout portée sur la filiation divine conférée par la grâce créée elle-même. Le sentiment de saint Thomas concernant la présence divine en l’âme juste se résume en ceci : dans l’ordre naturel, Dieu est présent en toute créature, Sum. theol., I q. viii, a. 1, 3 ; Dieu est présent dans les créatures raisonnables d’une façon spéciale, c’est-à-dire en tant qu’il est l’objet de leur connaissance et de leur amour, a. 3. Dans l’ordre surnaturel, il y a d’abord l’infusion de la grâce (grâce sanctifiante et vertus connexes) ; ensuite ît-.n

GRACE

1616

la grâce fait que l’homme atteigne Dieu par une connaissance surnaturelle et par un amour surnaturel : c’est en cela précisément que consiste l’habitation de ] Dieu. Et qui’t cognoscendo et amando, crcatura rationalis sua operatione attingit ml ipsum Deum, secundum islum specialem modum Deus non solum dicitur esse in crcatura ralionali sed habilare in ca sicut in templo suo. Sam. theol., I’. q. xi. iii, a. 3. La gratia gralum faciens est formellement ce qui dispose l’âme à posséder en elle-même Dieu, le Saint-Esprit. Ibid., ad 3’"". Saint Thomas enseigne aussi que l’union surnaturelle de l’âme avec Dieu est commune aux trois personnes de la sainte Trinité, non seulement en ce sens que les trois personnes sont cause efficiente de l’union, mais encore en ce sens qu’elles sont également le terme de cette union. Sum. theol., III » , q. iii, a. 4, ad 3°’". Cette conclusion suit logiquement du principe énoncé plus haut : en effet, si l’habitation divine consiste en ce que Dieu est objet de connaissance et d’amour surnaturels, et si, comme tous les théologiens l’admettent, c’est la même connaissance et le même amour surnaturels par lesquels nous possédons les trois personnes de la sainte Trinité, il en résulte que les trois personnes sont de même manière le terme de notre union surnaturelle avec Dieu. Aussi saint Thomas admet que c’est par appropriation que l’inhabitation divine est attribuée au Saint-Esprit, en raison de la charité, qui a une ressemblance spéciale avec cette personne divine. De verilale, q. xvii, a. 3, ad 3° u. Le sentiment de saint Thomas peut se caractériser, nous semble-t-il, en disant que l’inhabitation de Dieu dans l’âme du juste consiste fondamentalement dans l’infusion et la conservation de la grâce sanctifiante, et formellement dans la possession de Dieu par la connaissance et l’amour surnaturels : cette possession est d’ordre intentionnel.

Les auteurs qui ont adhéré, avec des nuances diverses d’interprétation, à l’opinion de Petau ont été indiqués à l’art. Adoption surnaturelle, t. i, col. 429 sq. ; il faut y ajouter Mgr Waffelært cjui a repris l’examen de cette question et défendu le sentiment de Petau en la développant. Collaliones Brugenscs, t. xv (1909), p. 441, 513, 625, 673 ; t. xvi (1910), p. 5. Voici le résumé de cette opinion : l’union du juste avec Dieu n’a pas pour cause formelle la grâce créée, qui ne se trouve que dans l’âme et n’est que la cause dispositive de l’acte par lequel on jouit de Dieu ; mais l’union, dont il s’agit, consiste formellement en ce que la troisième personne de la sainte Trinité est appliquée à la personne humaine tout entière, la rend participante de la nature divine, lils adoptif de Dieu et l’unit avec l’objet de la fruilion, c’est-à-dire avec Dieu. Le Père et le Fils sont aussi l’objet de notre fruition, mais le Saint-Esprit est seul le terme de l’union ; celle-ci est une union personnelle, c’est la personne humaine qui est immédiatement unie à la personne du Saint-Esprit, et c’est par lui et en lui que le Père et le Fils habitent dans le juste. L’union susdite consiste dans une relation réelle, d’ordre intentionnel, dont le terme est le Saint-Esprit en tant qu’il est une personne distincte du Père et du Fils, et qui, par cette application du Saint-Esprit, donne à l’homme une dignité morale nouvelle, une personnalité morale, la dignité de fils adoptif de Dieu. Collai. Brug., X.xvi, i). 9-14.

Parmi les auteurs récents qui se sont prononcés contre l’opinion de Petau, il faut signaler Ilugon, Revue thomiste, 1912, t. xx, p. 1 sq. ; Prat, Théologie de saint Paul, IIe partie, Paris, 1912, p. 418 sq. ; Blondiau, dans les Collaliones Namurcenses, t. xii (1912-1913), p. 333 sq.

5° Un autre effet de la grâce sanctifiante consiste à rendre formellement méritoires les actes de l’homme justitié : comme il est établi par la condamnation de Baius. Dënzinger-Bamrwart, n. 1013, 1015. Mais cette question doit être exposée à l’art. Mérite.

IV. Propriétés.

Les théologiens en considèrent généralement trois : la cognoscibilité, V inégalité et l’augmentation possible, l’amissibilité.

La cognoscibilité.

De ce que nous avons précédemment

exposé, il résulte que la notion de la grâce sanctifiante nous vient de la révélation divine et que c’est en raisonnant sur les données révélées que nous avons pu déterminer davantage l’essence de cette entité surnaturelle.

La question qui se pose maintenant est celle-ci : l’homme peut-il savoir qu’il a en lui-même la grâce sanctifiante ?

1. h’Écriture sainte, nous semble-t-il, ne donne aucune réponse certaine à cette question. Les textes, qu’on invoque généralement pour prouver que l’homme ne peut pas savoir qu’il est en état de grâce, n’ont pas de valeur démonstrative. En efïet, le texte : sunt justi ttltjue sapientes et opéra eorum in manu Dei sunt : et iamen nescit homo utrum amorc an odio dignus sit, Eccle., ix, 1, si on le considère dans son contexte, signifie : l’homme, sur cette terre, ne peut conclure des événements qui le concernent, de sa prospérité ou de son malheur, qu’il est agréable à Dieu ou qu’il ne l’est pas ; car les événements heureux et malheureux arrivent aussi bien à l’homme juste qu’à celui qui ne l’est pas. On ne peut donc pas expliquer ce texte de l’incertitude de l’état de grâce. Cf. Gietmann, Commentarius in Ecclesiasten, Paris, 1890, p. 275 ; E. Podechard, L’Ecclésiasle, Paris, 1912, p. 408. Le texte : De propitialo peccalo noli esse sine metu, Eccli., v, 5, ne signifie pas que l’homme doive douter de la rémission de ses péchés, mais qu’il ne peut s’enhardir à multiplier ses péchés, en escomptant leur pardon. Cf. Knabenbauer, Commentarius in Ecclesiasticum, Paris, 1902, p. 82 sq. Saint Paul, I Cor., iv, 4, dit : Pour moi, il m’importe fort peu d’être jugé par vous ou par un tribunal humain : je ne me juge pas moi-même ; car, quoique je ne me sente coupable de rien, je ne suis pas pour cela justifié ; mon juge, c’est le Seigneur. D’abord, quand l’apôtre dit : je ne suis par pour cela justifié, il ne s’agit pas, au moins directement et littéralement, de la justification interne par la grâce ; mais il dit : quoique je me sois acquitté de ma mission apostolique de telle façon que ma conscience ne me reproche rien, cependant je n’ose pas me juger et me déclarer un ministre fidèle. Quelques théologiens, qui admettent ce sens littéral, en déduisent une conclusion, concernant l’incertitude de l’état de grâce ; l’apôtre, disent-ils, affirme qu’il ne peut pas, avec certitude, savoir s’il n’a pas manqué à son devoir dans l’exercice du ministère apostolique. Or ce qu’il dit ici de lui-même, doit pour la même raison, ou a fortiori, se dire de tous les chrétiens, quant aux obligations qui leur incombent ; par conséquent personne ne peut savoir avec certitude s’il est exempt de péché. Cette conclusion s’entend du péché mortel et on en déduit que l’homme ne peut pas connaître avec certitude s’il est en état de grâce. A notre avis, cette conclusion n’est pas contenue dans les prémisses ; en effet, l’apôtre ne parle pas nécessairement du péché mortel, comme s’il disait : je ne me reconnais pas coupable d’un péché mortel dans l’exercice de mon ministère apostolique. L’apôtre parle en général : ma conscience ne me reproche rien, cependant il se peut que j’aie manqué à mon devoir. On ne peut pas interpréter sa parole ainsi : ma conscience ne me reproche rien, cependant il se peut que j’aie commis un manquement qui constitue un péché mortel. L’assertion de l’apôtre se vérifie s’il s’agit d’un simple péché véniel, qui n’empêche pas l’état de grâce. Remarquons enfin que l’apôtre ne dit pas : quoique ma conscience ne me reproche rien, cependant il se peut que je sois actuellement coupable d’un péché ; mais il parle du jugement à porter sur sa manière d’agir antérieure : de ce qu’il ne puisse pas

savoir avec certitude qu’il n’a commis aucune faute dans son ministère, il ne résulte pas nécessairement qu’il ne peut pas savoir avec certitude s’il est maintenant en état de grâce. Ses paroles contiennent néanmoins un conseil de prudence concernant le jugement de chacun sur sa valeur morale et conséquemment sur son état de grâce : c’est ce qu’insinue le concile de Trente en employant les mêmes mots dont s’est servi saint Paul. Sess. vi, c. xvi, Denzinger-Bannwart, n. 810. Cf. Cornely, Commentarius in priorem Epistolam ad Corinthios, Paris, 1890, p. 103 sq.

Dans son Épître aux Romains, viii, 16, l’apôtre a un passage qu’on a invoqué en faveur de la certitude que chacun doit avoir de son état de grâce : « Cet esprit lui-même rend témoignage à notre esprit que nous sommes enfants de Dieu. » Le sens n’est pas que l’Esprit-Saint fait savoir à chaque homme justifié qu’il est réellement, maintenant, enfant de Dieu. Le texte grec est celui-ci : TJv ; j.aoTjp ; ï ~£o 7zvsÛ[a3ti t)jj.<jûv ; ce qui signifie : l’Esprit divin témoigne avec notre esprit que nous sommes enfants de Dieu. C’est une confirmation du verset précédent : « Vous avez reçu un esprit d’adoption en qui nous crions : Père. » L’apôtre confirme ici la coopération de l’Esprit à notre oraison, dans laquelle nous invoquons Dieu comme notre Père. Cette coopération n’est pas une révélation sur l’état de notre âme. De plus, cette coopération ne peut pas être connue par la conscience psychologique. Enfin, l’Esprit-Saint peut exciter un croyant, en état de péché mortel, à crier vers Dieu : notre Père.

2. Les Pères ne semblent pas avoir, sur la question qui nous occupe, un enseignement précis, ni unanime. On cite un passage de saint Jérôme, commentant l’Ecclésiaste, ix, 1, P. L., t. xxiii, col. 1080 : « Les œuvres des justes sont dans les mains de Dieu, et cependant ils ne peuvent pas savoir maintenant s’ils sont aimés par Dieu ou s’ils ne le sont pas, ils ne savent discerner si les peines, qu’ils endurent, sont l’épreuve de leur vertu (qui en triomphera) ou l’occasion de leur supplice. » Saint Jérôme exprime ici une certaine incertitude des justes concernant leur état moral vis-à-vis de Dieu. L’incertitude de l’homme juste concernant son immunité de tout péché est exprimée par saint Augustin. De per/eelione justitise, c. xv, n. 33, P. L., t. xliv, col. 309. Enfin saint Grégoire, répondant à la question que lui avait faite une personne angoissée par le doute concernant la rémission de ses péchés, dit que sa question est inutile : « Il ne faut pas que vous soyez sûre de la rémission de vos péchés, avant le dernier jour de votre vie, où vous ne pourrez plus déplorer vos fautes. Avant ce jour, il faut toujours craindre les fautes et les expier par vos larmes quotidiennes. » Episl., 1. VII, epist. xxv, P. L., t. lxxvii, col. 878. Ces textes s’opposent à la doctrine de Luther, dont nous parlerons plus loin, mais ne permettent pas de définir la nature de la connaissance que chaque homme peut avoir de sa justification, ni de déterminer à quel degré de persuasion peut arriver cette connaissance.

3. Les scolastiques ont explicitement posé la question et y ont répondu. Alexandre de Halès, Sum. theol., part. III, q. lxxi, m. iii, a. 1-3, enseigne que l’homme ne peut pas connaître son état de grâce, par cette connaissance scientifique, qui est un moyen infaillible de savoir : en effet, la grâce est l’effet de la bienveillance divine à notre égard ; et l’on ne peut obtenir une connaissance scientifique de cette bienveillance. Mais l’homme, qui a la foi, peut acquérir une connaissance expérimentale de son état de grâce : il peut, en effet, éprouver en lui les signes de cette grâce, notamment la lumière dans l’intelligence, et dans la volonté, la joie et lapaix. Albert le Grand, /n IVSent., . I, dist. XVII, a.5, Opéra omnia, Paris, 1893, t. xxi, p. 473, parle explicitement de la charité et dit : aucun homme, sans révé lation spéciale, ne peut savoir s’il a la charité ; cela, pour deux raisons : d’abord, parce que la charité, bien qu’elle soit connaissable en elle-même, ne se manifeste cependant pas suffisamment à nous, à cause du tumulte de la concupiscence et de l’imagination ; ensuite, parce que l’amour naturel a parfois un acte tout semblable à l’acte de la charité (infuse) : ainsi on pourrait prendre l’un pour l’autre. Saint Bonaventure est plus précis : l’homme, sans révélation spéciale, ne peut pas savoir certiludinaliter s’il a en lui la charité, mais il peut le savoir conjecturaliter, en se fondant sur différents signes ; la première raison qu’il expose pour prouver que l’homme ne peut pas connaître ccrlitudinalilir la présence de la charité en lui, est celle qui était indiquée par Alexandre de Halès : on ne peut pas connaître eertitudinaliter qu’on est agréable à Dieu. La seconde raison est celle qui fut indiquée par Albert le Grand : on ne peut pas avec certitude discerner toujours l’acte de charité infuse de l’acte de charité naturelle, notamment de l’acte qui est l’effet d’une vertu acquise, In IV Sent., 1. I, dist. XVII, part. I, q. iii, Opéra omnia, Quaracchi, t. i, p. 299 ; cꝟ. 1. III, dist. XXIII, dub. iv, op. cit., t. iii, p. 503, où il est enseigné que l’homme ne peut pas avoir une connaissance expérimentale certaine de la présence de la grâce sanctifiante et de la charité en lui. Saint Thomas d’Aquin expose, en divers endroits de ses œuvres, la question qui nous occupe, notamment In IV Sent., 1. I, dist. XVII, q. i, a. 4 ; 1. IV, dist. IX, q. i, a. 3, sol. 2 a ; dist. XXI, q. ii, a. 2, ad 2 am ; De veritate, q. x, a. 10 ; Quudlibelum VIII, a. 4 ; Sum. theol., I a II’1’, q. cxii, a. 5 : nous y trouvons la même doctrine, que nous avons signalée, et les mêmes raisons pour l’étayer. Dans la Somme théologique, loc. cit., il indique trois signes d’où l’homme peut conjecturer son état de grâce : se délecter en Dieu, mépriser les choses mondaines, n’avoir pas conscience d’être coupable d’un péché mortel. Duns Scot enseigne la même doctrine, In IV Senl., . IV, dist. I, q. m ; q. iv, a. 5 ; q. xiv, a. 4, ainsi que Cajétan, In Sum. theol., I a II 1 *’, q. cxii, a. 5. 4. Le concile de Trente.

Luther avait expose s ; i théorie de la /ides (iducialis et en était arrivé à enseigner que chaque homme doit croire fermement, avec une certitude inébranlable, qu’il est justifié. Cf. Hartmann-Grisar, Luther, Fribourg, 1911-1912, t. i, p. 3113 sq. ; que si l’homme doute de son état de grâce, il perd, par le fait même, sa justification. Cette doctrine fut condamnée en 1547, en la session vi du concile, de Trente, qui déclare notamment les points suivants : a) on doit croire que la rémission des péchés ne s’obtient que gratuitement par la miséricorde divine à cause du Christ ; cependant la confiance ou la certitude qu’on prétendrait avoir de la rémission de ses péchés n’est pas ce qui en réalité procure cette rémission ; b) on ne peut dire que ceux qui sont réellement justifiés doivent affirmer, sans aucune hésitation, qu’ils sont justifiés, ni que personne est absous de ses péchés ou justifié à moins qu’il ne croie fermement qu’il est absous et justifié. .. c) Car, si aucun homme pieux ne doit douter de la miséricorde divine, du mérite du Christ, de la vertu et efficacité des sacrements, tout homme d’autre part, s’il se considère tel qu’il est en lui-même, s’il considère sa propre faiblesse et indisposition, peut craindre et trembler pour son état de grâce, puisque personne ne peut savoir par une certitude de foi, sous laquelle ne peut se cacher l’erreur, s’il a reçu la grâce divine. Denzinger-Bannwart, n. 802. Quant à l’histoire de ce décret, et aux discussions qui l’ont précédé, voir Hefner, Die Enlslehungsg eschichle des Trienler Rechtfertigungsdekretes, Paderborn, 1909, p. 297 sq. ; Merkle, Concilii Tridentini diariorum pars I"-, Fribourg-en-Brisgau, 1901, p. 98, 101, 109, 593, 000 ; Elises, Concilii Tridentini Actorum pars altéra, Fribourg-en-Brisgau, 1911, p. 727 sq. ; Gaucher, La certitude théologique de l’étal de Ifil9

GRACE

1620

grâce et le concile de Trente, dans les Etudes franciscaines, 1910, t. xxiii. p. 353 sq-, 600 sq.

Le concile a condamné la doctrine luthérienne, mais n’a pas voulu atteindre les opinions divergentes qui s’étaient manifestées, au sein même du concile, entre les catholiques ; il est donc établi : a) qu’aucun fidèle n’est obligé de croire qu’il est justifié, c’est-à-dire que sa propre justification n’est pour personne un objet de cette foi qui est nécessaire au salut ; b) que tout fidèle peut légitimement (sans faute morale) craindre pour son état de grâce et qu’il peut avoir des raisons logiquement fondées pour avoir un doute à ce sujet. Le concile alors ajoute le motif de cette dernière assertion : c’est là, à proprement parler, un argument qui ne peut pas être mis au mime rang que la définition elle-même, mais qui cependant a grande autorité, parce qu’il est l’expression de la pensée commune des Pères du concile. Cet argument est le suivant : « Puisque personne ne peut savoir par une certitude de foi, sous laquelle ne peut se cacher l’erreur, s’il a reçu la grâce divine. » Des controverses qui ont eu lieu, avant qu’on ne soit arrivé à cette formule, voir Hefner, op. cit., p. 304 sq., il résulte que le concile ne semble pas avoir entendu dire autre chose que ceci : la connaissance que l’homme peut avoir de sa justification n’est pas de telle nature qu’elle soit objectivement incompatible avec l’erreur, comme l’est notre foi, et par conséquent l’homme ne peut jamais logiquement avoir, concernant sa propre justification, une certitude égale à celle avec laquelle il adhère aux vérités révélées par Dieu.

C’est pourquoi cette assertion n’exclut même pas l’opinion de Catharin. Cf. Pallavicini, Concilii Tridentini historié/, 1. VIII, c. xii, n. 10-12, Anvers, 1677, p. 762 sq. Catharin distinguait la foi catholique ou universelle, par laquelle tous les fidèles croient les vérités révélées par Dieu et proposées à tous comme telles, el la foi privée ou particulière, par laquelle un homme croit une proposition, ou bien parce qu’elle lui a été personnellement révélée par Dieu, ou bien parce qu’elle est déduite d’une autre proposition de foi. L’homme, d’après Catharin, peut connaître avec certitude sa propre justification par cette foi privée. Voici pourquoi : celle-ci suppose, en dehors des cas de révélation divine, que l’homme juge exactement ses propres actes et il se peut que l’homme se trompe en cela : donc cette foi privée n’est pas celle que le concile a indiquée par ces mots : [ides, cui non potest subesse falsnm. Somme toute, le concile de Trente n’a rien changé à la doctrine des théologiens catholiques, sur le point en question.

5. Après la définition du concile de Trente.

L’opinion de Catharin a été combattue par Soto, Apologia Fr. Dominici Solo, etc., dans son livre De natura et gratia, Paris, 1549, fol. 269 sq., et ne semble pas avoir trouvé beaucoup de partisans. Les théologiens se sont plutôt rangés du côté de Soto, et ont défendu sa thèse, mais avec des nuances diverses assez notables. De nos jours, on tend à accentuer l’assertion qu’on peut avoir de sa propre justification une véritable certitude.

Soto, op. cit., 1. III, c. xi, fol. 247, exprime sa thèse en ces termes : Quamvis possil homo in hac vita pergrandes habere conjecturas status sui in conspectu Dei, nemo lamen prieler spéciale revelationis privilegium potest tantam obtinere ccrlitudinem légitima : suæ actionis, qua cooperamur moventi Deo, aul légitimareceplionis sucramenti, ut œquo assensu judicel se esse in gratia illo quo chrisiianm asseniitur articulis fidei. Soto parle de certitude considérée au point de vue de l’objet, fol. 239, et affirme que l’homme ne peut pas, si sa manière de penser est correcte et si elle correspond à son objet, être persuadé de sa propre justification avec la même fermeté qu’il est persuadé des articles de foi. Cette assertion, est, au fond, contre celle de Catharin ;

car celle-ci n’excluait pas que la foi privée, dont il s’agissait, pût avoir une fermeté d’adhésion égale à celle de la foi universelle. Remarquons ensuite que la raison invoquée par Soto est celle-ci : l’homme ne peut pas avoir une certitude absolue de la valeur morale de ses propres opérations ou de la réception fructueuse des sacrements. Le manque de certitude absolue quant à cela empêche la certitude absolue quant à l’état de grâce. Pour déterminer le degré de la fermeté dans L’adhésion, dont il s’agit, Soto dit que l’homme peut avoir, à ce sujet, de très fortes conjectures : pergrandes conjecturas, aussi, une opinion très intense : intentissima opinio, fol. 248, verso. Il admet qu’on pourrait avoir de sa justification une persuasion égale à celle que l’on a de l’existence de la ville de Constantinople, quand on n’a jamais été en cette ville. C’est là une persuasion de foi humaine et, bien que Soto n’emploie pas le mot, cette foi est susceptible d’une véritable certitude. Bien plus, elle est telle que la plupart des théologiens n’admettent pas qu’elle puisse être égalée par la certitude qu’on peut avoir de son état de grâce, comme nous le dirons plus loin.

Bellarmin, De justificatione, 1. III, c. xi, n. 24-27, dans Controu., Prague, 1721, t. iv, p. 501, note qu’il y a parmi les catholiques trois opinions : celle de Catharin, qui non seulement exclut tout doute, mais ajoute que les justes peuvent avoir de leur justification une certitude de foi divine… ; la seconde opinion n’admet pas la certitude de foi divine, mais affirme cependant que les justes peuvent arriver, et en général arrivent (notamment les hommes parfaits) à une telle sécurité, qu’ils n’aient aucune crainte au sujet de leur justification, absolument de la même manière que nous croyons sans aucune hésitation que César a régné en Italie, que Constantinople est une ville de Thrace. Bellarmin n’approuve pas cette opinion. La troisième, qui est plus communément admise, n’enlève pas toute crainte, mais cependant toute anxiété et hésitation, même tout doute, si l’on désigne par ce mot l’état de celui qui n’ose pas adhérer à l’une des deux assertions contradictoires. Il y a pour les fidèles, au sujet de leur justification, une certitude morale pour l’intelligence, l’espérance et la confiance pour la volonté. Cette certitude morale a son origine dans l’expérience ou la conscience qu’on a de la charité el des bonnes œuvres : c’est pourquoi on peut l’appeler une certitude morale et conjecturale. Op. cit., p. 502, n. 31.

Suarez, De gratia, 1. IX, c. xsq., Opéra, t. ix, p. 539 sq., distingue d’abord la certitude théologique et la certitude de foi. Le certitude de foi repose immédiatement sur la révélation divine, tandis que la certitude théologique n’est fondée que médiatement, c’est-à-dire au moyen d’un raisonnement ; en effet, la certitude théologique, proprement dite, se trouve dans une conclusion tirée d’un principe divinement révélé, et d’un autre principe qui est évident de connaissance naturelle, ou qui est absolument certain par l’expérience naturelle, n. 1, p. 539. Suarez n’admet pas que le juste, sans une révélation spéciale, ou une inspiration équivalente, puisse avoir cette certitude théologique de sa justification, et il dit cjue presque tous les théologiens sont d’accord en cela ; il démontre ensuite pourquoi l’homme ne peut pas avoir cette certitude thôologique, n. 6-19, p. 510-546. Au c. xi, il se demande si l’homme peut obtenir une vraie certitude concernant son état de grâce. Après avoir énuméré plusieurs auteurs, qui le nient, et d’autres qui l’affirment, il exprime sen opinion : il peut y avoir un degré de fermeté dans l’adhésion, que l’on appelle certitude, non seulement parce qu’il exclut le doute négatif ou suspensif de l’assentiment intellectuel, mais encore parce qu’il exclut aussi tout doute prudent ou moral. Dans cette certitude-là il peut y avoir des degrés différents. Le degré suprême de fer

meté semble s’obtenir quand on a un témoignage constant et universel concernant un fait, par exemple, l’existence de Rome. Le degré infime semble s’obtenir quand on a le témoignage de plusieurs ou d’un grand nombre de témoins occulaires, dignes de foi, surtout quand il n’y a aucune raison probable de soupçonner le mensonge, ou bien quand la qualité des personnes qui témoignent augmente leur crédit. Entre ces deux degrés, qui viennent d'être décrits, il y a place pour plusieurs degrés intermédiaires, n. 1-2, p. 546 sq. Après cela Suarez établit que l’homme peut avoir une certitude morale de son état de grâce, bien qu’elle ne se trouve pas ordinairement chez tous les justes, n. 3-8, p. 547549. Quant au degré de fermeté, n. 9, qu’il faut reconnaître à cette certitude, il semble être un intermédiaire entre le degré suprême et l’infime degré, dont il a été parlé ci-dessus ; notamment il peut exister sans aucune crainte actuelle de se tromper, sans aucun doute actuel, n. 10 ; cependant il ne semble pas pouvoir atteindre le degré de certitude que peut avoir de l’existence de Rome celui qui n’y a jamais été. Soto cependant admettait, pour l'état de grâce, ce degré de certitude, n. Il sq. Parmi les théologiens récents, les uns défendent la thèse de Suarez. Hurter, Compendium théologie dogmatiese, t. iii, n. 217, admet la certitude conjecturale et morale, plus ou moins ferme, mais qui exclut toute crainte actuelle et tout doute prudent. La même assertion est défendue, semble-t-il, par le P. Pesch, Prœleclioncs dogmatiese, t.v, n. 369 ; Tabarelli, De gratîa, Rome, 1908, p." 349 ; Pohle, Lerbueh (1er Dogmatik, t. ii, p. 589 ; je l’ai défendue dans mon traité : De gratia divina, Rruges, 1910, n. 199 sq. Cependant, Schifiini, De gratia divina, n. 319, et le cardinal Billot, De gratia Christi, p. 200 sq., n’admettent pas que l’homme puisse avoir, sans révélation spéciale, une certitude quelconque proprement dite, concernant son état de grâce ; ils n’appellent certitude que l’adhésion d’une connaissance qui, de sa nature, ne peut jamais être sujette à l’erreur, qui exclut donc tout doute logiquement possible. Il nous faut mentionner encore l’opinion exposée par M. Gaucher, dans son opuscule : Le signe infaillible de l'état de grâce, le Perreux (Seine), 1907. L’opinion de l’auteur peut se résumer ainsi : a) tout acte surnaturel de charité parfait implique la justification : b) or, dans l’ordre providentiel actuel, tout acte d’amour de Dieu pour lui-même et par-dessus tout est un acte surnaturel de charité parfaite, tout au moins chez celui qui a la connaissance et la certitude de la révélation chrétienne. c) Mais il est possible au chrétien adulte d’avoir la certitude absolue d’avoir émis un acte d’amour de Dieu pour lui-même et par-dessus tout, d) Donc il est possible au chrétien adulte d’avoir la certitude absolue, théologique, d'être actuellement en état de grâce. Cette thèse, quant à son fond, n’est pas condamnée par la définition du concile de Trente, mais appelle cependant, à notre avis, des réserves. En effet, d’abord l’expression signe infaillible est inexacte : il s’agit du jugement que l’homme adulte doit porter sur son propre acte de volonté et ce jugement peut être fréquemment erroné, parce que les hommes se font facilement illusion sur leurs propres dispositions ; ensuite des théologiens éminents sont d’avis que l’homme ne peut guère savoir avec une certitude absolue s’il a fait un acte d’amour parfait, par lequel il aime Dieu apprêt ialive par-dessus tout. Dans ces conditions, on ne peut présenter l’acte d’amour comme un signe infaillible de l'état de grâce ; considéré objectivement, cet acte n’est pas un élément de connaissance suffisamment significatif ; de plus, la conclusion qu’on en tire suppose plusieurs assertions, concernant la sumaturalité, le degré requis pour qu’il y ait acte d’amour parfait, etc., assertions sur lesquelles existent des controverses, qui empêchent de présenter comme infaillible le moyen de connaître l'état de grâce.

Qnant au fond de la thèse : a) la première proposition : « tout acte surnaturel de charité parfaite implique la justification » n’est pas, à proprement parler, définie, mais elle est certaine et la conviction des Pères du concile de Trente sur cet objet est exprimée dans un considérant du décret concernant le sacrement de pénitence. Sess. xiv, c. iv, Denzinger-Bannwart, n. 898 ; voir Charité, t. ii, col. 2236 sq. b) La seconde proposition est celle-ci : dans l’ordre actuel de la providence tout acte d’amour de Dieu pour lui-même et par-dessus tout est un acte surnaturel de charité parfaite, tout au moins chez celui qui a la connaissance et la certitude de la révélation chrétienne (je suppose que l’auteur veut dire : chez celui qui a la foi). Cette assertion n’est pas théologiquement certaine, c) La proposition suivante : « il est possible au chrétien adulte d’avoir la certitude absolue d’avoir émis un acte d’amour de Dieu pour lui-même et par-dessus tout » est controversée ; elle est niée ou mise en doute par des théologiens de grande valeur et elle est connexe avec d’autres questions controversées, notamment avec la question de savoir ce qui est réellement requis pour qu’il y ait acte d’amour parfait à l'égard de Dieu, comme avec la question de savoir si un acte d’amour parfait peut s’accomplir par les seules forces de la nature. Si donc l’on tient compte de l’enseignement théologique, tel qu’il existe aujourd’hui, on ne peut pas admettre cette conclusion : l’acte do charité est un moyen pour le fidèle adulte d’avoir la certitude absolue, théologique, d'être actuellement en état de grâce.

Après cet exposé de la doctrine défendue par les théologiens, nous exprimons brièvement notre conclusion.

1. L’homme adulte, sans révélation spéciale, ne peu ! pas croire de foi divine et, par conséquent, ne peut pas connaître avec la certitude qui est propre à cette foi, c’est-à-dire infailliblement, qu’il est en état de grâce. Cette proposition est la doctrine même qui fut établie au concile de Trente ou, du moins, en résulte immédiatement. Sur l’infaillibilité de l’acte de foi, voir Foi. col. 369 sq., 387 sq. Ici il convient de remarquer la différence entre l’objet qui nous occupe et un autre objet qui peut être connu de foi divine. Les théologiens enseignent que l’homme qui a baptisé un enfant peut croire de foi divine, et avec une certitude absolue, que l’enfant baptisé est en état de grâce. Voici pourquoi : il est révélé que si quelqu’un reçoit validement le baptême et ne met aucun obstacle à son effet, il est justifié ; or, l’enfant ne peut pas mettre obstacle à l’effet de baptême ; celui qui baptise, d’autre part, peut connaître, avec certitude absolue, qu’il a eu l’intention requise au baptême valide, qu’il a bien prononcé les paroles de la forme sacramentelle et qu’il a versé de l’eau véritable sur le corps de l’enfant ; par conséquent, dans le cas indiqué, celui qui a baptisé peut savoir de certitude absolue que la condition exprimée dans la proposition révélée est vérifiée et dès lors il peut croire de foi divine que la conséquence est réalisée aussi : si cet enfant est validement baptisé, il est justifié ; or cet enfant est validement baptisé par moi ; donc il est justifié. Remarquons bien que la mineure est connue par la conscience psychologique de celui qui a baptisé ; en effet, son intention, la prononciation des paroles, l’acte de verser de l’eau sont objet immédiat de la conscience psychologique. C’est pourquoi l’homme peut en avoir une certitude absolue. Je dis que l’homme peut en avoir une certitude absolue, et j’admets qu’il peut aussi ne pas l’avoir. Cette certitude ne s’obtient plus quand il s’agit de l’adulte, comme nous le verrons plus loin : ce qui est requis et suffit à son état de grâce n’est pas l’objet immédiat de sa conscience psychologique.

2. L’adulte ne peut pas avoir une certitude scientifique, au sens propre du mot, de son état de grâce. D’abord, nous excluons cette certitude qui est propre

à la conclusion théologiquement certaine. Celle-ci s’obtient par un raisonnement dont l’une des prémisses est une vérité révélée, et l’autre, une proposition

de connaissance naturelle, mais absolument certaine, telle qu’elle n’admet pas la possibilité de l’erreur, vu la nature de la connaissance à laquelle elle appartient. Or, pour le cas qui nous occupe, la prémisse révélée revient à une proposition conditionnelle, par exemple, si l’homme reçoit tel sacrement, dans telles conditions, il est justifié ; mais les propositions qui affirment la réalisation de la condition sont ou absolument certaines, comme dans le cas expliqué plus haut du baptême de l’enfant, et alors la conclusion est de foi, ou bien les propositions, dont il s’agit, ne sont pas absolument certaines, et alors la conclusion ne peut pas l’être : on n’aura donc pas une conclusion théologiquement certaine. Sur la différence à établir entre une conclusion révélée implicitement et formellement et une conclusion théologique, voir Foi, col. 383, et les auteurs cités.

Pour mieux comprendre pourquoi l’on ne peut avoir, au sujet de sa propre justification, une certitude scientifique, au sens propre du mot, ou une certitude équivalente, quant à la fermeté, il faut considérer de quelle manière l’état de grâce pourrait être un objet de notre connaissance. Voici l’exposé succinct et clair du cardinal Billot, De gralia Christi, p. 208 sq. : l’existence de la grâce sanctifiante serait connue avec certitude ou bien en elle-même, ou bien dans ses effets, ou bien dans ses causes, ou bien dans les conditions auxquelles, d’après la révélation, est nécessairement lié l’état de grâce. Or, aucun de ces éléments ne permet d’obtenir une certitude proprement dite. En effet, a) la grâce ne peut pas être perçue par nous en elle-même, c’est-à-dire par intuition ; car ni l’âme elle-même, ni ses facultés opératives, ni ses habitudes acquises naturellement, ne peuvent être connues immédiatement en elles-mêmes ; à plus forte raison, ne pourra-t-on avoir cette connaissance d’un habitus surnaturel, tel qu’est la grâce sanctifiante, b) Les effets de la grâce sanctifiante seraient les actes dans lesquels elle exerce une influence ; les actes sont l’objet immédiat de notre conscience psychologique ; mais nous ne pouvons pas en percevoir la surnaturalité : la conscience ne perçoit directement que la substance de l’acte, qui, dans cette vie, est la même et dans l’acte naturel et dans l’acte surnaturel correspondant, c) Les causes de la grâce sanctifiante sont Dieu, qui en est la cause principale, et les sacrements, qui en sont cause instrumentale : quant à Dieu, sa présence ou son absence en nous ne nous sont pas connaissables. Quant aux sacrements, la validité de leur administration ne peut jamais être connue, par l’adulte qui les reçoit, avec une parfaite certitude ; car cette validité dépend d’actes internes du ministre et (si on excepte le baptême) de la validité de son ordination sacerdotale. Ensuite un sacrement validement administré ne produit pas toujours la grâce sanctifiante dans celui qui ne la possède pas : celui-ci, en effet, peut n’avoir pas les dispositions requises, d) Les conditions auxquelles est lié, pour l’adulte, l’état de grâce, sont la foi surnaturelle, l’espérance surnaturelle, la charité surnaturelle ou l’attrition surnaturelle ; or ces habitus surnaturels ne sont pas connaissables en eux-mêmes ; les actes non plus, parce qu’on ne peut pas les discerner d’actes naturels correspondants. De plus, peut-on avoir une conscience parfaitement claire du degré de l’amour envers Dieu et du degré de la contrition ? En d’autres termes, peut-on connaître avec une certitude parfaite que l’acte que l’on produit actuellement, est, quant à sa substance, un acte parfait d’amour pour Dieu, tel qu’il est la disposition ultime à la justification ? Tel est le doute exprimé par l’éminciit théologien ; nous admettrions cependant que

l’homme peut avoir conscience d’un acte parfait d’amour de Dieu, tel qu’il est, quant à la substance de l’acte, la disposition dernière à la justification. Mais nous ne pourrons jamais savoir avec certitude parfaite que cet acte est surnaturel, puisque, d’une part, nous ne pouvons en percevoir immédiatement la surnaturalité et que, d’autre part, la distribution des grâces ne nous est pas suffisamment connue pour que nous puissions affirmer, dans les cas particuliers, que tel acte e.t certainement surnaturel. Nous concluons donc que l’homme ne peut pas avoir de son état de grâce une certitude scientifique proprement dite ou une certitude qui, quant au degré de fermeté, équivaut à celle-là.

3. L’homme peut avoir, concernant sa propre justification, une connaissance conjecturale, qui exclut tout doute prudent, et, par conséquent, il peut avoir une certitude au sens large du mot, qui équivaut à une certaine certitude morale.

Dans les deux propositions précédentes, nous avons parlé de la certitude qui est propre à l’acte de foi divine et de la certitude qui est propre à l’acte de science ou à la conscience psychologique. Il nous reste à considérer la certitude morale, celle qui a son motif unique ou principal dans ie témoignage des hommes. Mais cette certitude, comme nous l’avons dit plus haut avec Suarez, admet les degrés différents de fermeté : le degré suprême se trouve dans cette certitude que l’homme, qui n’a jamais été à Rome, peut avoir de l’existence de cette ville ; cette certitude est telle qu’elle exclut, chez l’homme normal, tout doute possible. Nous n’admettons pas que l’homme puisse avoir une telle certitude concernant sa justification. Cependant cette opinion n’a pas été condamnée par l’Église. Nous admettons que l’homme vertueux, surtout après avoir passé un temps considérable dans l’exercice d’une vie vraiment chrétienne, peut logiquement et raisonnablement exclure tout doute prudent, c’est-à-dire tout doute objectivement probable, concernant sa propre justification, et, par conséquent, juger qu’il est en état de grâce sans craindre actuellement de se tromper : c’est là un jugement certain, au sens large du mot, par opposition au jugement qui est seulement probable.

Nous avons déjà vu plus haut que cette proposition est défendue par Suarez, qui a été suivi en cela par beaucoup de théologiens. Mais il nous faut montrer d’abord que cette assertion n’est pas opposée à celle du concile de Trente qui dit : quilibel, dum seipsum suamque propriam infirmitatem et indispositionem respicil, de sua gralia jormidare et limere potest, cum nullus seirc valeai eerlitudine fidei, cui non potest subesse falsum, se gratiam Dei esse conseculum. Denzinger-Bannwart, n. 802. Le concile condamne ici l’hérésie luthérienne et affirme que chaque homme peut (raisonnablement et licitement) craindre qu’il ne soit pas en état de grâce ; la raison est, d’une part, la faiblesse de l’homme, d’autre part, l’impossibilité d’avoir concernant sa justification une certitude de foi ; cette dernière certitude exclut tout doute possible ; l’homme ne peut jamais (ni raisonnablement ni licitement) douter un seul instant d’une vérité révélée par Dieu, il ne peut jamais craindre de se tromper quand il adhère à une vérité révélée. Cette absence de crainte ne peut se vérifier pour la connaissance de l’homme concernant son état de grâce et, en ce sens-là, chaque homme peut (raisonnablement et licitement) douter de son état de grâce, concevoir la crainte de n’être pas justifié ; il peut consentir à cette crainte et l’entretenir. Cependant le concile ne dit pas que l’homme ne peut pas, après un examen sérieux, faire disparaître tout doute prudent et toute crainte réellement fondée. Le doute reste toujours possible, comme dans beaucoup de cas de certitude morale.

1(325

GRACE

Iti’iii

L’assertion, que nous défendons, est appuyée sur les considérants que voici : a) L’homme peut connaître, sans douter prudemment, qu’il a les disposition ; requises quant à la substance des œuvres pour recevoir validement et fructueusement le sacrement de pénitence : la foi, l’espérance, la charité au moins imparfaite ou attrition, l’intégrité formelle dans l’accusation des péchés ; il ne peut pas avoir un doute fondé que Dieu lui refuse les grâces nécessaires pour que les actes exigés soient surnaturels, soient sicut oporlct ad salutem. Il peut aussi exclure tout doute prudent concernant la validité de l’ordination sacerdotale du prêtre et celle de l’administration du sacrement ; il entre ici diverse ? choses en considération ; mais si l’on tient compte et de la providence spéciale avec laquelle Dieu conduit son Église et des lois morales qui régissent la manière d’agir des hommes, il semble bien que l’on puisse, en beaucoup de cas, exclure le doute prudent sur la validité de l’administration du sacrement de pénitence, en le considérant de la part du prêtre. Dans ce cas, le jugement repose sur les témoignages ou des signes équivalents à l’attestation par la parole, et, s’il y a certitude, c’est une certitude morale, b) L’homme qui a la foi peut avoir conscience qu’il fait un acte d’amour parfait à l’égard de Dieu, un acte d’amour parfait, quant à la substance de l’acte ; il ne peut pas penser prudemment que Dieu lui refuse la grâce requise à la surnaturalité de cet acte. Remarquons que cette connaissance est, aussi dans ce cas, conjecturale : c’est d’un signe, l’acte de charité, que l’on part pour arriver, au moyen d’autres considérations, à la conclusion : cet acte de charité est surnaturel. Dans ce cas, la certitude n’est pas du même ordre que dans le cas précédent ; mais le degré de fermeté ne semble guère surpasser la certitude morale exposée ci-dessus c) Il y a certaines dispositions habituelles qui permettent à l’homme de conjecturer son état de grâce : n’avoir conscience d’aucun péché mortel, expérimenter qu’on a la délectation de l’amour de Dieu, qu’on a le mépris des choses mondaines, etc. De ces dispositions, que l’on connaît directement quant à la substance de leurs actes, on conjecture, au moyen de divers principes, qu’elles sont un effet de la grâce sanctifiante et des grâces que Dieu donne à ceux qui vivent dans son amitié. Cette conjecture peut arriver à la certitude morale, dont nous parlons, cl) Enfin la manière d’agir et la conviction des lidèles pieux confirment notre thèse : ceux-ci, en effet, notamment ceux qui se confessent régulièrement et communient fréquemment, qui se préparent avec grand soin à la réception de ces sacrements, s’ils ne sont pas scrupuleux, ne pensent pas qu’ils sont probablement en état de péché mortel ; on les troublerait violemment si on devait leur imposer cette conviction. Je ne vois pas comment ils échapperaient à une angoissante tristesse, s’ils devaient toujours aboutir à ce jugement : il est probable que je suis en état de péché mortel. Quand une âme a bien compris tout le désordre qu’implique le péché mortel (même en faisant abstraction de la crainte de la peine éternelle), quand cette âme est réellement dominée par l’amour de bienveillance à l’égard de Dieu, elle ne pourrait trouver du repos si elle devait penser : il est probable que je suis en état de péché mortel, en d’autres ternies : pour penser prudemment je dois penser que peut-être je suis en état de péché mortel. Remarquons bien que la confiance ne peut rien contre ce jugement : la confiance réside dans la volonté, elle a pour objet les secours à obtenir de Dieu et elle est basée sur la foi concernant la miséricorde divine ; aussi l’on peut toujours avoir confiance qu’on sera sauvé, qu’on échappera à l’enfer, pourvu qu’on n’entretienne pas dans sa volonté une affection positivement contraire à son état de grâce. Mais la confiance ne peut changer en rien le jugement que l’on porte sur l’état actuel de son âme.

Ce jugement dépend de l’examen sérieux et loyal de ses propres dispositions et actions, de la connaissance des moyens établis par Dieu pour obtenir sa grâce et de l’usage que l’on fait de ces moyens. Si, après un examen fait logiquement et prudemment, on aboutit à un doute prudent sur son état de grâce, ce doute ne peut pas être dissipé par la confiance : celle-ci ne peut rien changer à la rectitude des opérations intellectuelles qui ont précédé le jugement en question, et ne peut pas apporter un élément nouveau de connaissance ; elle ne concerne que les biens à obtenir.

Inégalité.

1. Doctrine catholique. — a) Nous

avons démontre que l’état de justice était réalisé par la grâce, c’est-à-dire par un don (ou un ensemble de dons) interne, infus dans l’âme, permanent en elle, de plus, surnaturel et, quant à son obtention, indépendant des œuvres naturelles de l’homme, notamment de l’observation, comme telle, de la loi mosaïque ou de la loi naturelle : en ce sens, nul homme ne sera justifié devant Dieu par les œuvres de la loi. Rom., ni, 20. L’homme adulte, pour recevoir la grâce sanctifiante ou justifiante, doit s’y disposer par certains actes, comme nous l’exposerons plus loin. Mais quand l’homme adulte est justifié, qu’il a donc reçu en lui cet état nouveau, il doit agir conformément à cet état et il doit s’efforcer de l’augmenter en lui. C’est la doctrine de saint Paul, Eph., iv, 11-16 : la perfection morale croissante de la société chrétienne doit s’obtenir par la coopération de chaque individu à l’influence qu’il reçoit du Christ ; la charité et l’union au Christ peuvent et doivent augmenter dans chaque individu, mais dépendamnient de sa propre activité, de sa coopération à l’influence du Christ. Une exhortation semblable au progrès est adressée aux justifiés par saint Pierre. I Pet., ii, 1-2 ; II Pet., iii, 18. Ce par quoi l’homme est rendu juste et saint (notamment la charité, Eph., iv, 15) est donc susceptible d’augmentation en lui et croît de fait d’après l’activité morale et salutaire de chaque individu.

Si l’on désigne l’état de grâce par l’habitation de Dieu en l’homme, l’on dira aussi que Dieu habite inégalement dans les âmes : Non œque Dcus omnes inhabitat : nec ad camdem mensuram omnibus infunditur. C’est l’assertion de saint Jérôme, Adversus Jovinianum, I. ii, n. 29, P. L., t. xxiii, col. 325, et l’explication, qui suit, montre qu’il s’agit de l’inégalité de ce qui rend l’homme fils de Dieu, participant de la nature divine.

b) Les scolastiques ont enseigné que la grâce sanctifiante et les vertus infuses, qui en sont réellement distinctes, se trouvent inégalement dans les hommes et sont susceptibles d’augmentation. Saint Thomas, Sum. theol., I » IF’, q. exil, a. 4, explique que la grâce sanctifiante est plus grande chez l’un que chez l’autre ; cette diversité peut dépendre immédiatement des dispositions dans lesquelles se trouve l’homme au moment où il reçoit la grâce. Mais ce n’est pas la raison principale de l’inégalité ; cette raison est la providence divine qui distribue inégalement ses dons et produit ainsi la beauté morale dans l’Église. Cf. Suarez, De gratia, I. Vf II, c. i, Opéra, t. ix, p. 453 sq.

c) Luther n’admet pas que la grâce soit une réalité infuse dans l’âme, il ne reconnaît que la bienveillance intrinsèque de Dieu, qui consiste uniquement dans la rémission des péchés et qu’on obtient par la foi (fuies fiducialis). L’état de justice, chez l’adulte, ne requiert aucune disposition autre que la foi, et l’état de justice se maintient par la foi, indépendamment des actions bonnes ou mauvaises ; il n’y a chez l’homme aucun mérite. Dès lors, il n’y a chez lui aucun titre à ce que sa justice augmente ; elle ne le pourrait pas d’ailleurs, car elle n’est pas autre chose que l’imputation de la justice du Christ, qui, elle, est évidemment toujours la même. Le concile de Trente, dans la session vi, a con

damné cette hérésie et a défini que la justice infuse a des degrés différents chez les hommes et que sa mesure dépend notamment des dispositions de celui qui la reçoit ; que les hommes justiliés, par l’exercice d’actions vertueuses et l’observation des préceptes divins, croissent en cette justice conférée par la grâce ; que les bonnes actions de l’homme justifié sont méritoires et méritent notamment l’augmentation de la grâce. Denzinger-Bamrwart, n. 800, 803, 834, 842. Remarquons ici que, pour l’objet qui nous occupe, Baius est radicalement opposé à Luther et à Calvin : pour Baius, la justice consiste, à proprement parler, dans l’observation des commandements, et la justice augmente à mesure que la fidélité à l’exercice des œuvres commandées est plus parfaite ; il réfute longuement la doctrine de la justification sans les œuvres. Baius, De juslitio, c. i-x. Ce qui, en ce point, rendait suspecte la doctrine de Baius, c’est qu’il ne tenait pas compte de la grâce sanctifiante infuse dans l’âme, ni des vertus infuses, et que sa théorie ne permettait pas d’admettre que les enfants fussent réellement, par le baptême, justes et saints. C’est pourquoi fut condamnée la proposition 42e : < La justice qui justifie l’impie par la foi consiste formellement dans l’obéissance à la loi, qui est la justice des œuvres, et non pas dans une grâce infuse qui fait l’homme enfant adoptif de Dieu, le renouvelle intérieurement et le rend participant de la nature divine, de sorte qu’étant ainsi renouvelé par le Saint-Esprit, il puisse ensuite vivre saintement et obéir à la loi divine. » Denzinger-Bannwart, n. 1042. Voir Baius, t. n. col. 100. Cette condamnation confirme la doctrine du concile de Trente, c’est la rénovation intérieure, obtenue par l’infusion de la grâce, qui est le principe de la perfection morale salutaire ; c’est après avoir reçu la grâce et par elle que l’homme peut exercer les vertus, et les œuvres qu’il fait, sous l’influence de la grâce, méritent l’augmentation de celle-ci. </) C’est en tant qu’elles sont méritoires que les bonnes œuvres causent l’accroissement de la grâce. En elTct, la grâce est un accident surnaturel ; c’est pourquoi il est produit immédiatement par Dieu en l’âme et ne peut avoir que Dieu pour cause efficiente principale ; s’il existe, pour la production de la grâce, des causes secondes, celles-ci ne peuvent être qu’instrumentales. Les actes de l’homme ne peuvent, en aucune façon, produire physiquement la grâce. L’entité de celle-ci dépend de Dieu qui l’infuse. C’est pourquoi les actes salutaires, que l’homme fait sous l’influence de la grâce, n’augmentent pas physiquement l’entité de celle-ci. mais sont seulement un titre exigitif de cet accroissement qui est physiquement produit par Dieu.

2. Deux points controversés pcirmi les théologiens. —’/) Le premier concerne en quoi consiste l’augmentation intrinsèque de la grâce. Saint Thomas, Sum. Iheol., II a II"’, q. xxiv, a. 5, enseigne que la charité surnaturelle augmente essentiellement par le fait qu’elle s’imprime plus profondément dans l’âme et par conséquent rend celle-ci plus semblable au Saint-Esprit ; il nie que l’augmentation de la charité se fasse par addition d’une nouvelle entité à l’entité préexistante. Voir aussi In I V Sent., 1. II, dist. XVII, q. ii, a. 1. Cf. Capréolus, Defensiones theologiee divi Thomæ Aquinalisjn IV Sent., 1. I. dist. XVII, q. n. Tours, 19(10 sq., t. ii, p. 94 sq. La même explication doit être appliquée a l’augmentation de la grâce sanctifiante. Saint Bonaventure, In IV Sent., I. II, dist. XXVII, a. 2, q., Opéra, t. il, p. 064, préfère l’opinion qui explique l’augmentation de la grâce par adjonction (per additionem), c’est-à-dire par l’infusion d’une nouvelle grâce ajoutée à la préexistante et se fondant avec elle, de façon à constituer une seule qualité augmentée. Sur cette opinion, voir les scholia des éditeurs des œuvres de saint Bonaventure, Opéra,

Quaracchi, t. i, p. 309, 313 ; t. ii, p. 665. Cette question regarde (dus directement les vertus infuses. Voir Vertus.

b) La grâce sanctifiante reçoit-elle immédiatement une augmentation, chaque fois que l’homme justifié accomplit une œuvre surnaturelle quelconque, fût-elle très faible au point de la ferveur’? Saint Thomas répond négativement, et exige que l’homme soit positivement disposé à recevoir l’augmentation par un acte proportionné â cette augmentation. Sum. theol., I » II"", q. exiv, a. 8, ad 3°". Cf. Billot, De gratin Christi, thés. xxi, p. 274 sq. L’opinion contraire est défendue par Suarez, De gratia, 1. IX, c. iii, n. 15 sq. ; 1. XII, c. viii, n. 4. Cette question rentre dans l’art. Mérite.

e) Il semble communément admis aujourd’hui que la grâce sanctifiante ne s’augmente jamais sans que ne s’augmente aussi toutes les vertus infuses, qu’aucune vertu infuse ne s’augmente sans que ne s’augmente aussi la grâce sanctifiante, enfin qu’il y a toujours proportion entre l’intensité de la grâce sanctifiante et celle des vertus infuses. Cf. Mazzella, De virtutibus infusis, Borne, 1884, n. 133 sq. ; Billot, De virtutibus in/usis, Rome, 1901, p. 14 sq., 160 sq.

3. Diminution.

La grâce sanctifiante est susceptible d’augmentation et, de fait, augmente intrinsèquement en l’homme, soit par la réception des sacrements, soit par les œuvres méritoires. Diminue-t-elle aussi parfois intrinsèquement ? Non, répondrons-nous avec Suarez, De. gratia, 1. XI, c. viii, n. 1 sq., Operu, t. ix, p. 679 sq., qui n’admet pas la probabilité de l’opinion contraire. En effet, la grâce sanctifiante, dans son être, dépend uniquement de Dieu, qui la produit et la conserve. Son entité physique ne dépend pas de nos actes, et ceux-ci ne peuvent physiquement ni la produire, ni la détruire, ni l’augmenter, ni la diminuer. Il reste à demander si Dieu ne la diminue pas en raison directe de nos actes moralement mauvais : nous répondons négativement. Car, quand l’homme commet le péché mortel, la grâce lui est immédiatement enlevée, comme nous l’exposerons ci-après. Quant au péché véniel, « ) il n’est pas cause méritoire de cette diminution : en effet, il n’est pas une aversion de Dieu, cf. Billot, De nulura et ralione peccnli personalis, Rome, 1894, thés, ix, p. 105 sq., par conséquent il n’est pas contraire à l’ordre moral qui subordonne l’homme à Dieu ; c’est pourquoi il n’exige pas que Dieu diminue le principe radical qui ordonne l’homme â sa fin dernière surnaturelle ; b) il n’introduit pas en l’homme une disposition qui s’oppose à l’intensité de la grâce, car il n’est pas contraire à la grâce. Les péchés véniels, bien qu’ils ne produisent pas la diminution de la grâce, s’opposent cependant à l’exercice des vertus et empêchent l’augmentation de la grâce. Ensuite les péchés véniels, fréquemment commis, produisent une habitude mauvaise qui dispose l’homme au péché mortel. Cf. Billot, De virtutibus infusis, p. 47 sq.

Amissibililé.

1. L’Écriture sainte enseigne que

l’homme peut pécher et perdre par là son état de justice. Cf. Ezech., xxviii, 24 ; xxxiii, 12 ; Joa., xv, 6 ; I Cor., ix, 27. Jovinien, d’après saint Jérôme, enseignait que ceux qui ont reçu le baptême ne sont plus sujets à la tentation ; saint Jérôme réfute cette doctrine, Adversus Joviniunum, 1. II, n. 1, P. L., t. xxiii, col. 281 sq. Saint Augustin, De correptione et gralia, c. viii, n. 17 sq., /’. L., t. xliv, col. 925 sq., enseigne que le juste peut pécher, que tous ne persévèrent pas. Luther enseignait que la justification demeurait aussi longtemps que l’homme conservait la foi, que la justification était conservée indépendamment des œuvres, même concurremment avec le péché. Cf. Hartmann-Giïsar, Luther, t. ii, p. 152 sq. Calvin enseignait aussi l’inamissibilité de la grâce. Voir Calvinisme, t. il, col. 1405 sq. Ces hérésies furent condamnées au concile de Trente, dan s

la session vi, c. xv, Denzinger-Bannwart, n. « 08, et notamment dans ces deux canons : « Si quelqu’un affirme que l’homme, une fois qu’il est justifié, ne peut plus pécher, ni perdre la grâce et que, par conséquent, celui qui tombe dans le péché, n’a jamais été justifié, qu’il soit anathème. — Si quelqu’un affirme qu’il n’y a pas d’autre péché mortel que l’infidélité, ou bien que la « race, une fois reçue, ne se perd par aucun péché, quelque grave et énorme qu’il soit, excepté par le péché d’infidélité, qu’il soit anathème. » Denzinger-Bannwart, n. 833, 837. Nous devons signaler ici aussi l’erreur de Michel de Molinos qui, parti de principes tout différents de ceux des protestants, était arrivé à soutenir des conclusions contraires à la doctrine de l’amissibilité de la grâce : il enseignait que l’homme pouvait parvenir à un degré tel d’union avec Dieu que les actes mauvais ne lui étaient plus imputés et qu’il ne pouvait plus perdre la grâce. Cette erreur fut condamnée par Innocent XI en 1687. Cf. Denzinger-Bannwart, notamment n. 1272-1281.

2. I.a raison intrinsèque de l’amissibilité de la grâce se trouve : </) dans la possibilité de commettre le péché mortel, ce qui est une conséquence nécessaire de la liberté de l’être créé, qui n’a pas atteint sa fin dernière ; b) dans la contrariété ou opposition entre le péché mortel et la grâce sanctifiante. Celle-ci, comme nous l’avons exposé, est le principe radical, qui ordonne ou oriente l’homme vers Dieu, et elle est inséparablement unie à la charité infuse, de façon que, si elle disparait, la grâce sanctifiante ne peut plus demeurer. Saint Thomas, Sum. theol., II a II æ, q. xxiv, a. 12, démontre que le péché mortel doit nécessairement chasser la charité de l’âme : « dans un même sujet, une entité disparaît quand celle qui lui est contraire survient. Or, tout acte de péché mortel est directement contraire à la charité, quant à ce qui lui est essentiel, c’est-à-dire qu’elle fait aimer Dieu par-dessus tout et qu’elle fait que l’homme se soumet entièrement à Dieu, lui rapportant tout ce qu’il a. Il est donc de l’essence de la charité qu’elle aime Dieu de façon à vouloir se soumettre à lui en toutes choses et suivre en tout, comme règle d’action, les préceptes divins ; car tout ce qui est opposé aux préceptes divins [c’est-à-dire le péché mortel] est contraire à la charité, et par conséquent, est tel, en lui-même, qu’il s’opposa à la coexistence de la charité. Si la charité était une vertu acquise dépendamment de l’activité de l’homme, elle ne serait pas nécessairement expulsée par un seul acte qui lui est contraire… Mais la charité, puisqu’elle est une vertu infuse, dépend de l’action divine qui la produit : Dieu se comporte dans l’infusion et la conservation de la charité comme le soleil dans l’illumination de l’air. De même que la lumière cesserait d’être dans l’air si un obstacle s’opposait à l’action illuminatrice du soleil, ainsi aussi la charité cesse d’exister dans l’âme dès qu’un obstacle s’oppose à l’action divine qui produit la charité dans l’âme. Or, il est évident que tout péché mortel, qui est contraire aux préceptes divins, est un obstacle à l’action divine, dont nous avons parlé ; car par le fait même que l’homme, dans un acte libre, préfère l’objet du péché à l’amitié de Dieu (qui exige que nous suivions la volonté divine), immédiatement par un seul acte de péché mortel la charité se perd. »

Remarque, a) De ce qui précède on peut conclure que les œuvres bonnes sont nécessaires à la conservation de la grâce, non pas en ce sens que les actions exerceraient une influence physique qui maintiendrait l’entité de la grâce, mais en ce sens qu’elles sont la condition requise à cette conservation. En elîet, il y a poulies adultes, des actions obligatoires, dont l’omission constitue un péché mortel. « Si quelqu’un affirme que l’homme justifié, quelque soit le degré de perfection auquel il est arrivé, n’est pas tenu à l’observation des

commandements de Dieu et de l’Église, mais n’est tenu qu’à croire, qu’il soit anathème. » Concile de Trente, sess. vi, can. 20, Denzingcr-Iiannwart, n. 830. De plus, il est d’autres œuvres qui sont requises, per accidens, et indirectement : en effet, des prières, des œuvres de miséricorde peuvent être la condition sine qua non, à laquelle Dieu a rattaché l’octroi de grâce ; actuelles ultérieures, plus abondantes, par lesquelles l’homme surmonte les tentations, qu’il ne vaincrait pas sans ce secours : c’est la juste remarque du P. Hurter, Theol. dogm. comp., t. iii, n. 222.

b) Saint Thomas, Sum. theol., II » II æ, q. xxiv, a. 10, dit : Peccatum mortale totaliter corrumpit charitalem et effective, quia omne peccatum mortale. contrariatur charilali, ut infra dicetur, et eliam meritorie, quia cum peccando morlaliler aliquis contra charitalem agit, dignum est ut Dcus ei subslrahal charitalem. On comprend pourquoi le péché mortel soit cause méritoire de la disparition de la charité : en effet, le péché mortel, étant l’aversion volontaire de l’homme à l’égard de Dieu, a pour peine connaturelle que Dieu cesse d’influer en l’homme cette vertu par laquelle l’homme aime Dieu par-dessus toutes choses. Mais comment faut-il entendre que le péché mortel soit cause efficiente de la disparition de la charité ? Certes, ce n’est pas en ce sens que l’action de pécher détruirait physiquement Ventilé surnaturelle, qui est la vertu infuse de charité, cf. S.Bonaventurc, In IV Sent., 1. îf, dist. XXVf, a. 1, q. v, Opéra, Quaracchi, t. ii, p. 641 ; mais en ce sens que le péché mortel est une disposition, d’ordre intentionnel, essentiellement contraire à la charité et à la grâce sanctifiante, et, par conséquent, incompatible avec elles : cette disposition a donc pour effet nécessaire que Dieu cesse d’influer et de conserver la charité et la grâce dans l’âme ; c’est en ce sens que le péché est une cause efficiente de la destruction de la charité et de la grâce. Voir l’explication de Cajétan, In Sum. theol., ID If, q. xxiv, a. 10 ; de Suarez, De gratin, 1. XI, c. iv, Opéra, t. ix, p. 655.

V. Dispositions a la grâce.

Les enfants et ceux qui ne sont jamais parvenus à l’usage de la raison ne doivent avoir aucune disposition pour recevoir, par le baptême, la grâce sanctifiante. Nous nous occupons donc uniquement des adultes, c’est-à-dire de ceux qui ont atteint l’usage de la raison.

Remarquons d’abord qu’on distingue disposition négative et disposition positive : on appelle disposition négative ce qui écarte ou détruit un obstacle à recevoir un effet ou à poser un acte ; on appelle disposition positive ce qui ordonne positivement un être à recevoir une perfection ou à poser un acte. Considérons, par exemple, un morceau de bois humide : l’humidité est un obstacle à ce que le bois s’enflamme ; si le bois est séché, cet obstacle est enlevé : le bois aura ainsi une disposition négative à brûler ; mais supposons qu’on mette dans ce bois une matière facilement inflammable, cescra pour lui une disposition positive à brûler. Quant à l’homme, la connaissance naturelle de Dieu et de ses perfections détruit l’obstacle qui consiste dans l’erreur : cette connaissance naturelle est une disposition négative à la foi surnaturelle ; l’illumination interne du Saint-Esprit est une disposition positive à la foi. Faisons observer, en passant, qu’on ne peut pas logiquement distinguer besoin positif et négatif ; le besoin d’une chose est formellement l’exigence de cette chose, c’est-à-dire la nécessité d’une chose due à l’être auquel elle fait défaut ; quelle que soit l’origine du besoin, celui-ci suppose toujours une disposition positive (soit prochaine soit éloignée) à la perfection qui fait défaut.

Personne ne nie qu’il puisse y avoir des dispositions négatives à la justification et à la grâce : telles sont la connaissance naturelle des choses divines, les bonnes qualités naturelles, l’absence de vices. llvil

GRACE

1632

1. Il n’y a pas, sans la grâce actuelle, de dispositions positives à la justification : cette assertion est contenue dans la définition générale du IIe concile d’Orange, où il est dit que l’homme, par la seule vigueur naturelle, et vins l’illumination ou l’inspiration du Saint-Esprit, ne lient ni concevoir ni choisir aucun bien, connue il le faut pour le salut. Denzinger-Bannwart, n. 180.

2. Les adultes doivent se disposer positivement à recevoir la grâce sanctifiante par des actes surnaturels. — Telle l’ut toujours la foi de l’Église catholique : on peut s’en convaincre en considérant ce qu’elle a toujours exigé des adultes avant de les admettre au baptême. Noir Baptême, t. ii, col. 212 sq. ; Catkchuménat, col. 1971. Cf. dom de Puniet. art. Calêchuménat, dans le Dictionnaire d’archéologie chrétienne et de liturgie, t. ii, col. 2579 ; Rituale romanum, t. il, c. iv. Saint Thomas expose la raison intrinsèque de cette nécessité, Sum. theol., Ia-IIæ, q. cxiii, a. 3, 4 : la nature humaine, douée d’intelligence et de volonté libre, exige que l’homme obtienne la sainteté et atteigne sa fin dernière par des actes conscients et délibérés ; ces actes doivent, en outre, être surnaturels pour qu’ils soient proportionnés à la fin à laquelle ils tendent. Il en résulte que ces actes, physiques et surnaturels, sont formellement dans l’ordre moral, et non dans l’ordre physique. Celte conclusion se déduit aussi de ce que l’infusion de la grâce a lieu chez les enfants sans que ces actes existent, (.’est au concile de Trente que fut explicitement définie la doctrine catholique concernant les dispositions des adultes à la justification. Sess. vi, c. VI, Denzinger-Bannwart, n. 797-780. Pour les détails, nous renvoyons à l’art. Justification.

3. îl est une autre question qui concerne directement l’infusion de la grâce sanctifiante. Les anciens scolastiques et notamment saint Thomas enseignent que la justification de l’impie en dehors de la réception des sacrements, c’est-à-dire que la justification de l’adulte (en état de péché mortel personnel) au moyen de l’acte de contrition parfaite, se fait instantanément : ils entendent par là que l’acte libre est en même temps la détestation du péché et l’amour à l’égard de Dieu, et que la grâce sanctifiante est infuse au même instant que se produit cet acte. Cf. le scholion des éditeurs des Opcra sancti Bonuvenluræ, t. IV, p. 427. Saint Thomas cnseigne, en outre, que l’infusion de la grâce sanctifiante et de la charité infuse est, quant à la nature, antérieure à l’acte de contrition et que cet acte est élicité par la vertu infuse elle-même. Sum. Iheol., Ia-IIæ, q. cxiii, a. S ; De veritalc, q. xxvii, a. 8 ; Cajétan, Di Sum. Iheol., I 1 II’. q. cxiii, a. 8 ; Soto, De natura et gratia, I. II, c. xviii, fol. 172 ; Vasquez, Commentaria et disputatior. es in Summam S. Thomæ, Anvers, 1621, In D m II’, I. ii, disp. CCII, c. m. p. 7Il sq. ; card. Billot, De gratia Christi, thés, xvii, p. 231 sq. Suarez, au contraire, De gratia, 1. VIII, c. XII, Opéra, t. ix, p. 366 sq., enseigne que cet acte surnaturel, par lequel le pécheur se dispose proxime à recevoir la grâce sanctifiante, ne procède pas effective de la grâce habituelle ou de Y habitas infusus charilatis, mais est produit par un autre secours, c’est-à-dire par une grâce actuelle adjuvante, et qu’alors seulement arrive l’infusion de la grâce sanctifiante. La même opinion est soutenue par Lugo, Disputationes scholasticæ et morales, Paris, 1868 sq., t. iv, /). pœnilentia, disp. VIII, sect. vii, p. 490 sq. ; par Gotti, Theologia scholaslico-dogmatica, Venise, 1750, t. ii, tr. VII, q. il, dub. IV, § 6, p. 390 sq. ; par Pesch, /Va*I. dogm., t v, n. 360 ; par Mgr Wafïclært, Annolationes in tractation de virtutibus theologicis, Bruges, l’ion, p. 155.

Certes, il n’y a pas de répugnance à ce que l’acte de contrition parfaite soit produit par une grâce actuelle, et que, dès que cet acte est produit, soit produite en l’âme la grâce sanctifiante, avec les vertus qui lui sonl

connexes. Mais il ne semble pas y avoir une raison suffisante d’admettre ce secours actuel, comme nous le dirons plus loin. La principale objection que l’on présente à l’opinion de saint Thomas est celle-ci : Si l’acte de contrition parfaite est la disposition ultime à la justification, il s’ensuit que la grâce sanctifiante et la vertu infuse de charité sont données parce que 1 homme est contrit et elles sont natura postérieures à l’acte ; mais si la grâce sanctifiante et la vertu de charité infuse sont le principe efficient d’où procède l’acte de contrition parfaite, il s’ensuit cpie la grâce sanctifiante et la vertu infuse de charité sont données pour que l’homme soit contrit, et elles sont natura antérieures à l’acte. Or, il est impossible que la grâce sanctifiante et la charité infuse soient données et parce que l’homme est contrit et pour qu’il le soit ; il est impossible que ces dons soient et antérieurs à l’acte et postérieurs au même acte. On répond à cela, logiquement, nous semble-t-il, en distinguant la mineure, c’est-à-dire en distinguant diverse ; raisons formelles d’après lesquelles la grâce et la vertu infuse influent dans le même acte et exercent ainsi des causalités formelles différentes ; d’après l’une de ces raisons formelles, les dons dont il s’agit sont natura antérieurs à l’acte, d’après l’autre, ils lui sont postérieurs.

Voici comment le cardinal Billot, op. cit., p. 233 sq., explique et défend l’opinion de saint Thomas. D’abord, l’on admet communément que l’acte de contrition parfaite et l’infusion de la grâce sanctifiante se font au même instant. Dés lors, si l’acte de contrition parfaite était produit (elicilus) par la seule grâce actuelle, et non par la grâce habituelle, il faudrait admettre la coexistence d’une double élévation de la même faculté opéralive, l’une habituelle, l’autre transitoire : ce qui est impossible ; car l’élévation transitoire, qui se fait par la grâce actuelle, ne peut exister qu’en l’absence de l’élévation habituelle, au défaut de laquelle la première supplée.

Maintenant quant aux raisons diverses de causalité, voici d’abord un exemple emprunté à Soto : le vent ouvre la fenêtre et pénètre par là. L’entrée du vent est la cause efficiente de l’ouverture de la fenêtre, et l’ouverture de la fenêtre est la cause dispositive de l’entrée du vent. Si vous considérez l’ordre de la cause efficiente, la fenêtre s’ouvre parce que l’air entre. Si vous considérez l’ordre de la causalité dispositive, l’air entre parce que la fenêtre s’ouvre. D’après la première considération, l’entrée de l’air est natura antérieure, et l’ouverture de la fenêtre est natura postérieure ; d’après la seconde considération, c’est l’ouverture de la fenêtre cpii est natura antérieure, et l’entrée qui est natura postérieure. On aura la même chose dans la matière que nous étudions : l’infusion de la grâce correspond par analogie à l’entrée du vent, et la production de l’acte de contrition à l’ouverture de la fenêtre.

Pour mieux le comprendre, distinguons par la raison un double moment dans un seul et même instant physique, et distinguons une double formalité aussi bien dans la grâce qui est infuse que dans l’acte de contrition qui est produit. Au premier moment, on doit considérer la grâce habituelle dans son infusion, en tant qu’elle meul et élève l’âme, étant ainsi grâce opérante, principe de l’acte de contrition, qui est disposition ultime à la justification. Au second moment, on doit considérer la même grâce habituelle dans sa possession (c’est-à-dire en état d’être possédée parl’homme) en tant cpie déjà elle informe l’âme et exerce l’effet qui lui est propre ; ainsi elle est grâce coopérante, principe de l’acte de contrition en tant qu’il est méritoire de la vie éternelle. Si donc nous considérons l’acte de contrition précisément en tant qu’il est disposition ultime à la justification, il procède réellement de la vertu infuse de la charité ; mais en tant que celle-ci tient lieu

d’une simple motion à l’acte (et cette simple motion, transitoire, à l’acte serait donnée, si la disposition ultime à une forme ne devait exister au même instant physique que cette forme). Si nous considérons l’acte de contrition comme méritoire de la vie éternelle, il procède de la vertu infuse en tant qu’elle est possédée par l’âme et l’informe. Ce n’est donc pas sous la même formalité que l’on considère la grâce sanctifiante quand, d’une part, l’on dit que, dans son infusion, elle est natura antérieure à l’acte de contrition, et, d’autre part, que, dans sa possession, elle est natura postérieure à ce même acte ; de même, ce n’est pas sous la même formalité que l’on considère l’acte de contrition quand on dit, d’une part, que cet acte, en tant qu’il est disposition ultime à la justification, est natura antérieur à l’obtention de la grâce, et, d’autre part, que ce même acte, en tant qu’il est méritoire, est natura postérieur à la grâce. Enfin le bien-fondé de la distinction apparaît clairement quand on fait attention à ceci : l’acte de contrition parfaite en tant qu’il est disposition ultime à la justification, et à ce peint de vue antérieur à la grâce sanctifiante, se trouve être une cause matérielle ; la grâce en tant qu’elle est le principe de cet acte, et à ce point de vue antérieure à l’acte de contrition, se trouve être une cause efficiente. Ainsi donc disparaît la contradiction qui s’exprimait dans l’objection exposée plus haut : il n’est pas vrai que la grâce sanctifiante soit, en même temps, et sous le même aspect, antérieure et postérieure au même acte de contrition.

VI. Causes.

Le concile de Trente, sess. vi, c. vii, Denzinger-Bannwart, n. 799 sq., énumère les causes de la justification : nous y trouvons indiquées celles qui concernent la grâce sanctifiante elle-même. Sur les différents genres de causes, voir Cause, t. a, col. 2019 sq. — 1° La cause finale de la grâce, c’est-à-dire le bien à l’obtention duquel est ordonnée la grâce, est double : d’abord, la fin dernière, et celle-ci encore est double : absolue : c’est la gloire extrinsèque de Dieu ; relative, subjective, c’est la béatitude (subjective) éternelle de la créature, c’est-à-dire la vision intuitive de Dieu. Voir Intuitive (Vision). Sur la notion de fin dernière, voir Fin, t. v, col. 2481-2499. La fin immédiate est la sanctification surnaturelle de la créature, car l’effet formel de la grâce sanctifiante est la déiformité, c’est-à-dire une ressemblance spéciale et surnaturelle avec Dieu, une participation surnaturelle et formelle à la nature divine. Cette entité est produite par Dieu dans l’essence de l’âme afin de rendre celle-ci apte à agir surnaturcllement au moyen des vertus infuses, et notamment a aimer Dieu surnaturcllement ; c’est en cette charité que consiste essentiellement la perfection morale ou sainteté. Voir S. Thomas, De virtutibus in communi, q. i, a. 10 ; Sum. theol., II a II æ, q. xxiii, a. 1-8 ; Charité, t. ii, col. 2225 sq. La grâce habituelle dont nous parlons est à juste titre appelée sanctifiante, parce qu’elle est le principe radical de la sainteté surnaturelle (qui seule est la sainteté véritable dans l’ordre actuel de la providence) et qu’elle est inséparablement unie à la charité surnaturelle en laquelle consiste formellement la rectitude parfaite de la volonté à l’égard de Dieu, c’est-à-dire la sainteté.

2° La cause efficiente principale de la grâce sanctifiante est Dieu seul : seul, il peut la produire et l’introduire dans l’âme. Voir S. Thomas, Sum. theol., I » II’1’, q. c.ix, a. 7 : q. cxii, a. 1 ; Suarez, De gratta, 1. VII, c. xxv, Opéra, t. ix, p. 301 sq. La cause efficiente instrumentale est, à titres divers, le sacrement et l’humanité du Christ : sur la causalité propre aux sacrements, voir Sacrements ; sur la causalité propre à l’humanité du Christ, voir S. Thomas, Sum. theol.. III a, q. xlviii, a. 6. C’est ici que vient la question : la justification de l’homme ou l’infusion de la grâce est-elle un miracle’.' Si par miracle on entend un effet sen D1CT. DE THEOL. CATHOL.

sible produit par Dieu, en dehors du cours naturel des choses, déterminé par les lois physiques, alors il est évident que l’infusion de la grâce n’est pas un miracle. Si l’on considère que l’infusion de lagrâce se fait parfois d’après des règles générales, établies par la providence, et parfois en dehors de ces règles, par exemple, au cas d’une conversion subite et parfaite d’un pécheur, la justification dans ce cas pourra être dite miraculeuse : ce sera un effet miraculeux, quoad modum faciendi, et dans l’ordre moral. Voir S. Thomas, Sum. theol., Ia-IIæ, q. cxiii, a. 10 ; Suarez, op. cit., n. 7 sq., p. 303 sq. 3° La cause matérielle de la grâce est l’âme humaine, en ce sens que l’essence de l’âme est le sujet immédiat dans lequel ce don est infus. Nous avons vu plus haut que chez l’adulte sont requises des dispositions positives à la réception de la grâce, ce sont des actes divers, tels que la foi, l’espérance, l’attrition dans le sacrement de la pénitence et dans les autres sacrements, voir Attrition, t. i, col. 2239, 2245 sq. ; la contrition ou la charité parfaite en dehors des sacrements. Voir Contrition, t. iii, col. 1684. Mais ces actes ne sont pas absolument nécessaires, puisque, dans les enfants, incapables de ces opérations, la grâce sanctifiante est produite par le baptême. Cf. S. Thomas, De verilale.

q. xxviii, a. 3, ad Il L’âme humaine est donc par

elle-même en état, c’est-à-dire en puissance obédientielle, de recevoir la grâce : celle-ci est produite immédiatement par Dieu, et comme elle est absolument surnaturelle, elle ne sort pas ex potentia naturali mate ; /.c. Dès lors, puisque la création se définit : produciio ex nihilo sui et subjeeti, on peut dire que la grâce est créée, produite de rien. Mais ici intervient une distinction concernant la terminologie et provenant non du mode dont est produite la grâce, mais de son essence même. En effet, la grâce est un accident, par conséquent elle n’existe pas en elle-même, mais seulement en une substance dans laquelle elle est infuse. Or, être créé convient à proprement parler aux êtres qui existent en eux-mêmes, c’est-à-dire aux substances et non aux accidents. De même que ceux-ci ne sont pas existants, mais coexistants, ainsi les accidents ne sont pas créés, mais concréés. Ceci s’applique avant tout a l’acte par lequel Dieu crée une substance en même temps que ses accidents, par exemple, pour Adam, d’après l’opinion la plus probable, son âme fut au même instant créée, ornée de la grâce et infuse au corps. Mais alors même que la production de l’accident vient après la production de la substance, quand la production de l’accident est une produciio ex nihilo sui cl subjeeti, on dit encore correctement que cet accident es1 concréé. Cf. S. Thomas, Sum, theol., [ » , q. xlv, a. 1 ; De potentiel, q. iii, a. 8, ad 3°"’. A cet endroit saint Thomas explique très nettement sa pensée ; voici ses paroles que nous commenterons : Gratia, cum non sil forma subsistens, nec esse nec fiai ci proprie per se cornpetit : unde non propric creatur per modum illum quo substantiæ per se subsislenles ercantur. Infusio tamen gratiæ accedit ad rationem creationis in quantum yralia non habet causam in subjecto, nec efficientem, nec lalem materialem in qua sit hoc modo in potentia, quod per agens naturale educi passif in actum, sicut est de aliis formis naturalibus. La grâce sanctifiante n’est pas une forme subsistante, c’est-à-dire une forme qui existe en elle-même (elle n’est qu’un accident) ; c’est pourquoi il ne lui convient pas, à proprement parler, d’exister ou de devenir ; par conséquent il ne lui convient pas, à proprement parler, d’être créée ; les substances seules, les êtres existants en eux-mêmes sont, à proprement parler, créés. La grâce cependant est produite, et Dieu seul peut être la cause efficiente principale de cette production comme le dit explicitement saint Thomas, Sum. theol.. III » , q. lxii, a. 1 : Hoc modo (lanquam causa principalis) nihil potest causare graliam nisi Deus quia

VI. — 5> gratia nihil est ciluul quant quædam paiticipata simililudo divins natures. La « race, qui est produite immédiatement par Dieu, est ainsi, et au même instant. infuse dans l’âme : cette production-infusion est une opération qui doit être rapportée au genre de l’opération créatrice, parce que la grâce n’a pas, dans lesujel où elle est infuse (c’est-à-dire dans l’âme), sa cause efficiente, ni la cause matérielle d’où elle est tirée ou extraite ; la grâce ne peut pas être produite de l’âme, comme les formes naturelles peuvent sortir de leur (anse matérielle par l’action d’un agent naturel. Saint Thomas oppose ici l’action divine, qui produit la grâce et l’infuse à l’âme, à l’action d’une cause naturelle qui l’ait sortir une forme d’un sujet où elle était en puissance : parce que ce dernier point ne se réalise pas dans la production de la grâce, celle-ci n’est pas educlio jormse ex potentiel materiæ, mais appartient au genre de la création. Suarez, De gratta, 1. VIII, c. ii, n. 16, Opéra, t. ix, p. 318, dit aussi que la production de la grâce n’est pas de même espèce ou de même ordre que réduction d’une forme faite par un agent naturel, et, quant à la manière réelle dont est produite la grâce, il n’y a pas de différence entre cet auteur et saint Thomas. Mais il y a divergence quant à la terminologie : d’après saint Thomas, la production de la grâce doit être rapportée au genre de l’opération créatrice ; d’après Suarez, au contraire, elle doit être rapportée au genre de l’opération qui fait sortir la forme de la matière : gratia educitur de potentia obedientiali animée seu subjecti in quo immédiate fit. Op. cit., n. 13, p. 317. Cette manière de parler est inexacte ; en effet, la grâce est bien produite dans l’âme et y est inhérente ; mais l’âme humaine n’est par elle-même aucunement ordonnée à recevoir la grâce, celle-ci n’est pas contenue en puissance dans l’âme, n’en sort point et n’est pas faite de l’âme : la grâce, étant essentiellement surnaturelle, est tout simplement surajoutée à l’âme, qui par elle-même n’a aucun rapport avec la grâce et n’a que la possibilité de la recevoir ; cette possibilité n’est pas distincte de l’essence de l’âme et se réalise tout entière dans la seule immatérialité de l’âme. Saint Bonaventure, Inl V Sent, I. Il.dist. XXVI. q. m ; dist. XXVIII, dub. i, Opéra, t. n. p. 638 sq., 690, fait bien ressortir que la grâce est dans l’âme, comme dans son sujet, mais qu’elle vient de Dieu comme de sa cause : elle ne tire pas son origine des principes de l’âme. Il expose aussi qu’il y a deux sortes d’habilus : les uns ont leur origine dans la faculté opérative et sont produits par la répétition des actes ; ils donnent à la faculté, dans laquelle ils se trouvent, une aptitude à agir. Mais il y a un habitas qui nous vient du ciel ; qui ne dépend pas uniquement du sujet dans lequel il se trouve, mais beaucoup plus de celui d’où il vient. Cet liabilus, la grâce, ennoblit la faculté et l’élève au-dessus d’elle-même.

4° La cause méritoire de la grâce est le Verbe incarné : par les œuvres faites dans son humanité en l’honneur de Dieu, surtout par sa passion et par sa mort, il a obtenu une nouvelle concession de la grâce en faveur du genre humain. Voir S. Thomas, Sum. theol., III*, q. xi.vni, a. 1 ; card. Billot, De sacramentis, Rome, 1893, l. i, p. 49. L’homme ne peut pas mériter de condigno la grâce sanctifiante ; voici ce que dit le concile de Trente, sess. vi, c. viii, Denzinger-Bannwart, n. 809 : « C’est gratuitement que nous sommes justifiés, parce que rien de ce qui précède la justificat ion, soit la foi, soit les œuvres, ne peut mériter la grâce de la justification. » L’acte de charité parfaite surnaturel, qui est, comme nous l’avons exposé, la disposition ultime à la justification, ne peut être la cause méritoire de la justification, bien qu’il puisse être cause méritoire de la vie éternelle. L’homme qui, avant d’être justifié, coopère aux grâces actuelles, et par elles se dispose positivement a la justification, peut la mériter de congruo. Ces questions bavent être traitées à l’article Mérite.


III. GRACE ACTUELLE.

I. Existence. IL Essence. III. Division. IV. Efficacité. V. Nécessité de la grâce actuelle pour l’homme justifié.

I. Existence.

Dans la première partie de cet article nous avons démontré l’existence de la grâce considérée en général, en entendant par là tout don interne et surnaturel, par lequel l’homme est rendu capable de faire des œuvres salutaires et de mettre en pratique les préceptes divins, dont l’observation est requise à l’obtention de la béatitude éternelle. Dans la seconde partie nous avons considéré en particulier ce don, qui est appelé la grâce sanctifiante : elle est habitat Ile et permanente, elle est pour l’homme à l’instar d’une nouvelle nature, d’où dérive, au moyen des vertus infuses, l’activité surnaturelle. Nous recherchons maintenant s’il existe des influences surnaturelles qui sont des impulsions dont toute la raison d’être consiste à mouvoir l’homme immédiatement et exclusivement à des actions salutaires.

1° L’Écriture sainte nous fait connaître l’existence de telles entités. —

1. Le Christ, parlant des adultes et de leur adhésion à son œuvre, dit : « Nul ne peut venir à moi, si le Père qui m’envoie ne l’attire. » Joa., vi, 44. Venir au Christ signifie ici croire, comme le Sauveur l’explique : « Il y en a parmi vous quelques-uns qui ne croient pas… C’est pourquoi je vous ai dit que nul ne peut venir à moi, si cela ne lui a pas été donné par mon Père. » Joa., vi, 64, 65. Donc pour que l’homme croie au Christ il ne lui suffit pas d’entendre la prédication de la doctrine chrétienne, ni d’avoir cette connaissance et ces désirs qui peuvent résulter naturellement de cette audition, mais il faut que le Père l’attire. Il y a donc ici une influence divine, qui s’exerce dans l’intérieur de l’homme. Elle est expliquée par Jésus : « Quiconque a entendu le Père et qui a reçu son enseignement vient à moi. » Joa., vi, 45. L’influence divine, qui attire l’homme à la foi, comporte un effet produit dans son intelligence et l’éclairant sur la vérité. Cette conclusion est confirmée par cette parole : « Il est écrit dans les prophètes : Ils seront tous enseignés par Dieu. Quiconque a entendu le Père et reçu son enseignement vient à moi. » Joa., vi, 45. Les assertions prophétiques, auxquelles Jésus fait allusion, se trouvent dans Isaïe, liv, 13, et dans Jérémie, xxxi, 34, et elles enseignent que l’économie messianique aura pour prérogative l’influence immédiate de Dieu, éclairant les intelligences humaines sur la vérité.

Cette même influence est affirmée encore dans les Actes, xvi, 13 sq. : « Le jour du sabbat, nous nous rendîmes hors de la porte, sur le bord d’une rivière, où nous pensions qu’était le lieu de la prière. Nous étant assis, nous parlâmes aux femmes qui s’étaient assemblées. Or, dans l’auditoire était une femme nommée Lydie : c’était une marchande de pourpre…. craignant Dieu, et le Seigneur lui ouvrit le cœur pour qu’elle fût attentive à ce que disait Paul. » Ici donc aussi la prédication est nettement distinguée de l’influence produite immédiatement par Dieu sur l’âme de Lydie : c’est cette influence qui la rend efficacement attentive et fait qu’elle comprend ce qui lui est prêché. Sans examiner à fond l’essence de cette influence divine, nous pouvons dire qu’elle est surnaturelle, d’abord pane qu’il s’agit d’une communication spéciale et d’un secours spécial de Dieu, secours qui n’est pas compris dans le concours général que Dieu doit à sa créature, ensuite parce que ce secours interne et spécial est donné précisément pour un acte salutaire et par conséquent appartient à l’ordre des dons surnaturels, comme nous l’avons démontré en établissant la nécessité de la grâce pour tout acte salutaire. Remarquons enfin cpie lin