Dictionnaire de théologie catholique/GLOIRE DE DIEU

Dictionnaire de théologie catholique
Texte établi par Alfred Vacant et Eugène MangenotLetouzey et Ané (Tome 6.2 : GÉORGIE - HIZLERp. 75-79).

GLOIRE. On appelle gloire l’éclat qui s’attache à quelqu’un à cause de l’excellence bien connue de son élat, de ses mérites, de ses actions. De là. cette définition empruntée par saint Thomas à saint Augustin : clara cum lande nolilia de bono alicujus, ou encore cette autre, empruntée par saint Augustin à Cicéron, De invenlionc, 1. II, c. i.v : frequens de aliquo fama cum liude. Cf. S. Augustin, Cont. Maximinum, 1. II, c. xiii, P. L., t. xlii, col. 770 ; In Joannis evangelium, tr. C, n. 1 ; CV, n. 2, P. L, t. xxxv, col. 1891, 1905 ; De diversis quæstionibus, q. xxxi, n. 3, P. L., t. xl, col. 22 ; S. Thomas, Sum. theol., I » IF, q. ii, a. 3 ; P IF, q. ciii, a. 1, ad 3°" ; q. cxxxii, a. 1 ; Cont. gentes, 1. III, c. xxix ; De malo, q. ix, a. 1. Lcssius, In /"" /F Sum. S. Thomæ, q. i, deullimo fine. a. 8, ne fait que reproduire la définition de saint Thomas, en faisant toutefois ressortir l’élément spécifique, la connaissance. La gloire, dit-il, est NOT1T1A de alicujus excellentia pamens amorem, venerationem el laudem.

La gloire peut être tout d’abord interne, gloria inlrinscca, ou extérieure, gloria exlrinseca. La gloire est interne, quand elle résulte de la connaissance et de l’estime que l’être intelligent a de lui-même, de sa propre excellence. Elle est extérieure, quand elle résulte de la manifestation faite a autrui des dites perfections.

De plus, gloire interne et gloire extérieure peuvent être envisagées sous leur aspect objectif ou fondamental ou sous leur aspect formel. La gloire objective ou fondamentale est constituée, comme l’indique le nom, par l’objet lui-même, fondement de la gloire formelle. Cet objet, fondement de la gloire formelle, c’est l’excellence même de l’être glorifié, excellence qui, une fois connue, lui attire louanges, honneur, amour, soit de lui-même, soit des autres êtres. La gloire est formelle lorsqu’elle procède de l’intelligence, c’est-à-dire lorsqu’à la gloire fondamentale s’ajoute la connaissance qui entraîne à sa suite louanges et honneur. Clara cum laude nolilia se rapporte donc à la gloire formelle, de bono alicujus indique le fondement de cette gloire. Lessius, loc. cit., et De perfectionibus moribusque divinis, 1. XIV, c. i, n. 7.

Ces principes généraux rappelés, il faut examiner successivement :

I. La gloire de Dieu. II. La gloire des élus. III. La gloire humaine.

I. GLOIRE DE DIEU.

I. Dans la théologie. II. Dans l’Écriture et chez les juifs.

I. Dans la théologie.

La théologie s’occupe de la gloire interne et de la gloire extérieure de Dieu.

Gloire interne de Dieu. — Le fondement de cette gloire, c’est l’essence même divine, laquelle est la peifec’tion absolue. La connaissance que Dieu a de lui-même et de ses perfections in Unies engendre la gloire divine interne, prise dans son acception formelle. Et comme tout est un en Dieu, Dieu est sa gloire, il est la Gloire, comme il est l’Être, la Vérité, l’Éternité. Il est la gloire à l’exclusion de tout autre être, parce que seul il est le bien absolu et que seul il peut avoir de ce bien absolu une connaissance parfaite qui entraîne une louange et un honneur adéquats. S. Thomas, Expositio omnes S. Pauli epistolas, in Epist. ad Hebneos, c. i, lecl. ii,

La gloire, ayant sa raison formelle dans la connaissancefqui procède de l’intelligence, c’est au Fils, qui procède du Père selon l’intelligence, que l’on rapporte plus spécialement la gloire dans la Trinité. Il est le rayonnement de la gloire du Père, Heb., i, 2 ; cf. Sap., vu ; 26, et le ps. messianique xxiii, 7, 10. Voir F. Prat, La théologie de saint Paul, Paris, 1908, t. i, p. 520 ; J. Lebreton, Les origines du dogme de la Trinité, Paris, 1910, t. i, p. 346 sq.

Cette gloire interne de Dieu est nécessaire : Dieu ne peut pas ne pas la vouloir ni la chercher, puisque cette gloire, c’est lui-même, nécessairement connu et aimé de lui-même. Cf. S. Thomas, Sum. Iheol, I » , q. xix, a. 3 ; De veritate, q. xxiii, a. 4.

2° Gloire extérieure de Dieu. --La gloire interne eût pu suffire à Dieu, car, comme Dieu, elle est infime et on ne lui peut rien ajouter. Lessius, De perlectionibus moribusque divinis, loc. cit. Mais cependant, sans rien ajouter au bonheur de Dieu, la gloire peut se manifester à l’extérieur par des créatures qui rendent témoignage à la bonté du créateur. Cette gloire extérieure n’est pas nécessaire d’une nécessité absolue, la création étant un acte essentiellement libre, voir Création, t. iii, col. 2139-2150 ; mais elle est nécessaire d’une nécessité hypothétique. Voir Absolument, 1. 1, col. 137138. Étant donné qu’il existe des créatures, ces dernières ne peuvent pas ne pas être ordonnées à la gloire extérieure de Dieu comme à leur fin dernière. Voir Création, t. iii, col. 2167 sq. ; Fin dernière, t. v, col. 2485. C’est là une vérité de foi, définie par le concile du Vatican, sess. iii, De Deo, rerum omnium creatore, can. 5, Denzinger-Bannwart, n. 1805.

1. Gloire extérieure objective ou fondamentale. — Les créatures inintelligentes ne peuvent être ordonnées qu’à la gloire extérieure fondamentale ou objective, puisqu’elles resteront toujours un simple reflet des perfections divines et ne pourront apporter par elles-mêmes à Dieu le tribut d’une louange ou d’un amour voulus et conscients. Elle manifesteront donc simplement la bonté et l’excellence de Dieu au regard des créatures intelligentes.

2. Gloire formelle extérieure. Les créatures intelligentes — il faut se rappeler que leur existence, même dans l’hypothèse de créatures intelligentes déjà existantes, n’est pas certainement nécessaire, voir Création, t. iii, col. 2168 — sont données à la gloire extérieure formelle de Dieu, parce qu’étant douées de raison, elles peuvent et doivent reconnaître la bonté du créateur, reflétée dans les créatures, et en exprimer à Dieu leurs louanges et leur gratitude. Cf. I Cor., xi, 7. Voir les textes des Pères, t. iii, col. 2165-2166. Citons toutefois ou rappelons, comme se rapportant plus directement à la question présente, S. Grégoire de Nazianze, Orat., xxxviii, c. ix, P. G., t. xxxvi, col. 320 ; Tertullien, Apologeticus, c. xvii, /’. L., t. i, col. 375 sq. ; S. Théophile, Ad Aulol., 1. I, c iv sq., P. G., t. vi, col. 1029 sq. ; S. Jean Chrysostome, In Epist. 1 ad Cor., homil. v, n. 2, P. G., t. lxi,

co !. 41-42 ; S. Grégoire de Nysse. In verba : Faciamus homincm, homil. ii, P. G., t. xliv, col. 277 sq. ; surtout Athénagore, voir Création, t. iii, col. 2165-2166, et Lactance, De via Dei, c. xiv, P. L., t. vii, col. 122 sq.

La distinction entre la gloire fondamentale, fin des créatures inintelligentes, et la gloire formelle, fin des créatures intelligentes, est esquissée par saint Thomas, Sum. theol., I", q. lxv, a. 2, et mieux marquée par Lessius, loc. cil. Cf. A. Ferretti, Institutiones philosophie moralis, Rome, 1899, t. i, th. m ; D. Palmieri, Traclatus de creatione, Prato, 1910, th. xi.

A. Michel.

IL Dans l’Écriture et chez les juifs. — Un coup d’œil même rapide sur une concordance montre la grande place qu’occupe l’expression gloire de Dieu dans la littérature biblique. Peu de mots se trouvent aussi souvent répétés dans les saints Livres, surtout dans l’Ancien Testament. Il en est peu aussi qui aient une valeur comparable pour qui veut approfondir l’histoire de la théodicée dans la religion d’Israël. C’est à ce point de vue que nous nous placerons de préférence, sans négliger toutefois l’usage parallèle qu’en ont fait les auteurs du Nouveau Testament. D’une façon générale, le mot gloire de Dieu, tel qu’on le trouve dans la Bible, peut se ramener à deux significations principales, l’une sortant de l’autre par voie d’analogie d’attribution. Le premier sens, Vanalogue principal, s’identifie avec la manifestation de Dieu à ses créatures, dans la nature et dans l’histoire ; le second, analogue dérivé, avec la manifestation de la créature à l’égard de Dieu. Les deux sens s’appellent et se répondent ainsi d’une manière symétrique. L’intérêt se porte, de toute évidence, vers la première signification, l’autre n’étant qu’accessoire. On va en suivre les diverses vicissitudes à travers l’Ancien Testament, la théologie juive postexilienne et le Nouveau Testament.

Dans l’Ancien Testament.

L’expression gloire

de Dieu correspond à ce que les anciens Hébreux appelaient kâbôd Yehôvâh, c’est-à-dire la lumière éblouissante qui, dans les théophanies, révélait la présence de Jahvé. Cette conception fut empruntée, dès l’origine, aux éclairs et aux traits de feu de l’orage. La tradition israélite, aussi loin qu’on puisse la saisir, a coutume d’associer les apparitions divines aux phénomènes météréologiques. Jahvé est essentiellement, pour les Hébreux, un Dieu de flamme, Exod., xix, 19 ; le tonnerre est sa voix, à ce point que l’hébreu n’a pas, pour désigner la foudre, d’autre mot que celui de qôl lahvê, voix de Jahvé. Ce Dieu a pour vêtement la nuée sombre, Ps. cxvi, 21, pour armes de vengeance, la grêle et les traits de la foudre. Exod., ix, 23, 24, 29 ; Ps. xvii, 13. Il n’apparaît jamais sans orage et sans tremblement de terre. Sa demeure principale, même après le séjour des Israélites dans le désert, est toujours le Sinaï. Jud., v, 5. Là, il réside au sein de la foudre ; de là, il accourt avec fracas quand son peuple a besoin de lui. Il vient du sud, du côté de Séïr et de Pharan, Deut., xxxiii, 2 ; il éclate comme une aurore boréale ; la terre tremble, c’est le signal des jugements qu’il va exercer pour venger Israël. Cf. Jud., v, 4 ; Ps. lxvii. Deux psaumes, xvii et xxviii, d’une très haute antiquité, réunissent à merveille toutes ces images et ces conceptions ; les lire in extenso dans la belle traduction de M. Pannier, Le nouveau psautier du bréviaire romain, Lille, 1913, p. 70, 82. On les retrouve éparses, mais toujours les mêmes, dans tout le cours de l’histoire sacrée. Ainsi, sur le seuil du paradis terrestre, c’est un feu vengeur qui en interdit l’accès à Adam et Eve après leur faute. Geu., ni, 24. C’est sous l’apparence d’une flamme que Dieu se révèle à Abraham. Act, vii, 2 ; Gen., xv, 17. Au temps des patriarches, on se représente Jahvé mangeant le sacrifice, au moment où la flamme dévore la victime, humant la fumée de l’holocauste, y prenant plaisir. Gen., viii, 21. Parfois, on voit Dieu monter dans la flamme du sacrifice et disparaître avec la langue de feu qui s’élève de l’autel. Jud., xiii, 15 sq. C’est peut-être parce que Dieu apparaissait comme un feu dévorant et un Dieu de foudre, qu’on craignait de mourir si l’on venait à le voir ou à s’approcher de lui. Exod., iii, G ; xix, 12 ; xxiv, 2 ; Jud., vii, 22 ; xiii, 22. Sa lumière est si vive qu’on n’osait pas regarder sa face, Exod., xxxiii, 20-23 ; Is., vi, 2 ; III Reg., xix, 13 ; et que ceux qui, comme Moïse, avaient vu seulement une partie de sa gloire, en gardaient un reflet qui éblouissait les autres mortels. Exod., xxxiv, 29, 35. C’est surtout à l’époque sinaïtique que se multiplie ce genre d’apparitions, toutes qualifiées de gloire de Dieu. Le Dieu du Sinaï est un Dieu de foudre. Les théophanies se font dans l’orage au milieu des vives et fulgurantes clartés de l’éclair. La première fois qu’il apparaît à Moïse, c’est sous la forme d’un feu. Exod., iii, 1 sq. Quand Moïse voulut le voir, Dieu la prit, le plaça dans un trou de rocher, où il le fit tenir debout, le couvrit de sa large main ouverte et passa ; il retira alors sa main, si bien que Moïse le vit par derrière. Exod., xxxiii, 18-23. D’autre fois, la gloire de Dieu produisait l’éblouissement de l’azur. Un joui-Moïse, Aaron et les principaux d’Israël gravirent la montagne et virent Dieu. Sous ses pieds, c’était comme un dallage de saphir, comme l’éclat du ciel même. Exod., xxiv, 1, 2. 9-11, Dans la marche des Israélites à travers le désert, .lahvé accompagne son peuple sous la forme d’une colonne, sombre pendant le jour, comme la colonne de fumée des caravanes, lumineuse pendant la nuit, comme les falots enflammés qui servent de signe de ralliement aux tribus qui voyagent de nuit dans ces immensités. Exod., xiii, 21 ; cf. xxxiii, 9. A plusieurs reprises, durant ce voyage, la gloire de Dieu apparut pour réprimer les murmures du peuple et punir ses rébellions. Exod., xvi, 7-10 ; Num., xiv, 10 ; xvi, 19-42. Après la construction du tabernacle, Jahvé, ou plutôt sa gloire, siège sur l’arche, entre les ailes des deux chérubins, formant socle et lui servant de trône. I Reg., iv, 4 ; II Reg., vi, 2 ; Ps. lxxix, 2 ; xcviii, 1. Au temps des juges, Jahvé se révèle de préférence par une sorte de double qu’on appelle le male’âk Jahvé, sans doute l’ange chargé de porter ses ordres. Souvent il est difficile de savoir si ce male’âk se distingue de Jahvé lui-même. Voir vision de Manuel. Jud., xiii. Le male’âk Jahvé, en tous cas, était alors l’agent divin, toutes les fois que Dieu entrait en rapport avec l’homme. Ce mode de révélation n’était pas tout à fait nouveau et s’élait produit, mais plus rarement peut-être, au temps des patriarches. Gen., xxii, 15-18. A partir de la construction du temple par Salomon, Jahvé est dit demeurer dans le debir, assis entre les ailes des anciens chérubins de l’arche : là siégeait, dans une ombre mystérieuse, la gloire de Jahvé ; une nuée permanente remplissait le sanctuaire et rappelait ceDe du tabernacle. Lev., xvi, 2. Jahvé résidait là ; aucun œil humain ne le voyait. Plus tard, il ne fut permis qu’au grand-prêtre d’entrer dans le debir, une fois l’an. Les prophètes, dans le récit de leurs visions, décrivent la gloire de Dieu, telle qu’elle leur est apparue, avec un appareil d’images à peu près le même : lumière éclatante, gerbes de flammes, chars de feu, nuées, orages, éclairs. Isaïe et Ézéchiel surtout fournissent ces descriptions : qu’on relise, par exemple, la vision inaugurale d’Isaïe, vi, ?, , et celle de l’annonce du jugement, ii, 10-21. Une mise en scène analogue se retrouve dans la première vision d’Lzéchiel, i, 28 ; iii, 23. La gloire de Dieu s’y présente, sur les bords du fleuve Chobar, avec l’éclat de l’arc-en-ciel. Le prophète la vit ensuite se diriger vers le temple sous forme de nuée, viii, 4 ; x, 4, 18. Plus tard, il en reparle à propos des plans de restauration du nouveau temple : la gloire de Dieu s’avance du levant et elle entre par la porte orientale pour remplir tout l’édifice de sa splendeur, xliii, 45. Aggée fait à peu près la même prédiction, ii, 8. De là, chez les juifs, les expressions classiques : le temple de la gloire, Dan., iii, 53 ; la gloire du temple. Esther, xiv, 9. Un des derniers chapitres d’Isaïe, îx, 1, 2, prédit enfin que la gloire de Dieu se lèvera sur Jérusalem restaurée. Le livre des Psaumes et l’Ecclésiastique comptent aussi parmi les livres de l’Ancien Testament où l’expression gloire de Dieu se retrouve le plus grand nombre de fois, mais, la plupart du temps, avec le sens dérivé, par exemple, quand ils exhortent toutes les créatures à louer Dieu, à l’honorer, à le remercier, Ps. xxviii, 2, 9 ; lxvii, 35 ; lxx, 8 ; xcv, 3, 8 ; ciii, 31, etc. ; quand ils parlent de la gloire des saints, reflet et participation de celle de Dieu, Ps. xx, 6 ; lxxxiii, 12 ; cxlix, 5 ; Eccl., xlv, 2, 8 ; li, 23 ; ou quand ils montrent, dans les perfections des créatures, un effet et une image de lagloiremêmedeDieu.Ps. viii, 6 ; xviii, 1, 2 ; cvii, 6.

Dans la théologie juive poslexilienne.


On sait qu’à partir de l’exil, la notion de Dieu revêtit, dans les targums et, plus tard, dans l’enseignement oral des rabbins, un caractère plus prononcé de transcen dance et de spiritualisation. Dieu n’a plus les formes et les passions humaines. A Alexandrie d’abord, en Palestine ensuite, on aime à se représenter en Dieu un être transcendant, vivant au-dessus du monde, agissant du haut du ciel, inaccessible à l’œil humain. Chez Philon, ce mouvement aboutit à son point extrême et vient remplacer, par d’ingénieux sens allégoriques, ce que les anthropomorphismes et les théophanies avaient de choquant pour des esprits grecs, habitués au spiritualisme de Platon ou d’Aristote. La version des Septante porte elle-même des traces évidentes et nombreuses de ce soin à faire disparaître ou à atténuer le plus possible, dans le texte sacré, les théophanies et les images anthropomorphiques. La même préoccupation se fait jour dans les targums d’Onkelos et de Jonathan. Un des procédés auquel on eut recours, pour adoucir ce que les apparitions sensibles et les révélations de Jahvé avaient de trop matériel, fut de transformer en sortes d’hypostases, plus ou moins distinctes de Dieu, certains de ses al tributs qu’on détachait du Dieu inaccessible pour remplir, auprès des hommes, certaines missions. On personnifia ainsi, tour à tour, la Sagesse, la Parole, l’Esprit, la Demeure, enfin, la Gloire et la Splendeur de Dieu. Eux seuls étaient censés être entrés en contact direct avec le monde extérieur. Parmi tous ces représentants de la divinité, la gloire de Dieu fut un de ceux dont le rôle eut le plus d’action : c’est, en effet, un de ceux dont le nom revenait le plus souvent dans les théophanies. Seulement, les targumistes se mirent à l’appeler d’un nouveau nom ; ils créèrent, à cet effet, une expression araméenne : la gloire de Dieu, ou plutôt sa présence, fut désignée par le mot Sekînâh, tiré du verbe sâkan, habiter, sans doute en raison des nombreux textes de l’Ancien Testament, qui faisaient résider la gloire de Jahvé dans le temple, et qui, dans l’hébreu, repèrent chaque fois le mol Sâkan. Cf. Exod., xxv, 8 ; xxix, 45 ; Num., v, 3 ; Ps. lxxiv, 2, etc. Cependant on ne susbtitua pas purement et simplement le mot sekînâh au mol kâbôd ; ce dernier, à part une exception, Zæh., il, 9, servit encore à désigner l’éclat de la présence divine. Les targumistes, en effet, se mirent à distinguer ht majesté de Dieu d’avec la lumière éblouissante qui l’accompagne ; la première s’appela sekînâh ; la seconde retint le nom primitif de kâbôd. Cf. Buxtorf, Lexicon chald. talmud., au mot Sekînâh. Les targums abondent en interprétations de ce genre. Ainsi, à propos du passage si connu, Is., lx, 2, là où l’hébreu lit : le Seigneur se lèvera sur toi et on verra sa gloire sur toi, le targum traduit : la Sekînâli ilu Seigneur résidera en toi et sa gloire (kâbôd) brillera sur toi. Là où l’hébreu semblerait localiser Dieu, les targuais remplacent le mot Dieu par l’expression Sekînâh. Dans le Ps. lxxiii, 2, au lieu de : le mont Sion où lu habites, les targums écrivent : où ta Sekînâh habite. Ce n’est pas Dieu, ainsi que le porte l’hébreu, Deut., xxiii, 14, qui se promène dans le camp d’Israël, comme une sentinelle vigilante ; c’est, d’après Onkelos, sa sekînâh qui est chargée de ce soin. Lorsque Jacob, Gen., xxviii. l(i, s’écrie : Dieu est dans ce lieu, le targum lit : la gloire de la sekînâh est dans ce lieu. Quand l’Éternel ordonne aux Israélites de lui dresser un sanctuaire, c’est, d’après l’hébreu, Exod., xxv, 8, pour qu’il puisse résider au milieu d’eux, tandis que, d’après le targum, c’est pour que sa sekînâh y réside. C’est la sekînâh qui siège sur les chérubins. I Reg., iv, 4 ; II Reg., vi, 2. Les targums, obéissant toujours aux mêmes scrupules, n’osent même pas dire que Dieu habite dans les cieux ; au lieu de : Dieu liabite dans les hauteurs des cieux, Is., xxxiii, 53, ils préfèrent : Dieu a placé sa sekînâh dans les cieux. Cf. Is., xxxii, 15 ; xxxviii, 14. Même procédé là où le texte hébreu dit qu’on a vu Dieu, qu’il est apparu à quelqu’un. Ce n’est pas Dieu qu’on a vii, ou qui est apparu, c’est sa sekînâh. Is., vi, 5 ; Exod.. ni, G ; Ezech., i, 1 ; Lev., ix. 4. Les juifs voisins de l’ère chrétienne croyaient que la gloire de Dieu n’habiterait le second temple qu’à la venue du Messie. Ezech., xliii, 7, 9 ; Agg., i, 8 ; il, 9 ; Zach., ii, 10. Le Talmud, Yoma, 9b, l’explique par ce fait que ce second temple a été bâti sous Cyrus, descendant de Japheth, alors que Dieu n’habite que sous la tente de Sem. En somme, la sekînâh sert aux targumistes chaque fois qu’il y a une théophanie réaliste à atténuer, un anthropomorphisme à supprimer. Elle semble avoir remplacé, dans le Talmud, la Memra (le verbe) des targums et remplir à peu près, dans la théologie palestinienne, les mêmes fonctions que le Logos de Philon. Toutefois, alors que la Memra des targums et le Logos alexandrin sont actifs, la sekînâh est presque réduite à un r<">le passif. Mais, quand on passe des targums aux Midraschim et au Talmud, il en est autrement : la sekînâh cesse d’être inactive et elle agit comme le Logos ou le Rûah (l’Esprit). Ainsi, le passage du Lev., xxvi, 12 : « Je marcherai au milieu de vous et je serai votre Dieu » devenait dans le targum : « Je placerai la gloire de ma sekînâh parmi vous ; et ma Memra (parole) sera avec vous. » Pour les Midraschim et le Talmud, la Memra disparait complètement : il ne reste que la sekînâh qui hérite de son emploi et de ses attributions. C’est elle qui parle à Amos et aux prophètes, Pcsæhim, 73, et l’expression mizmôr ledavid laisse entendre que la sekînâh est, dans le Talmud, la source régulière de l’inspiration divine. Si le grand-prêtre Élie s’est mépris sur Anne, mère de Samuel, c’est que la ëekînâh s’était retirée de lui. La Mischna a été donnée par Moise sous les auspices de la sekînâh. Le Pirké Aboth, ni, 3, dit que, si deux ou plusieurs hommes se réunissent pour s’occuper de la Loi, la sekînâh est au milieu d’eux, sentence qui rappelle Matth., xviii, 20. Les rabbins enseignaient que la sekînâh était toujours présente dans les synagogues, dans les écoles, dans les maisons des hommes pieux. Sota, 17 a. On croyait généralement fine la sekînâh n’habitait point le second temple, mais on disait qu’elle était partout inséparable d’Israël ; elle avait accompagné les tribus dans l’exil à Babylone et elle était présente dans la Diaspora, partout où il y avait une colonie d’enfants d’Israël. Les juifs croient encore aujourd’hui que la sekînâh, après la destruction du temple par Titus, ne s’est pas retirée de Jérusalem et qu’elle continue à couvrir le mur ouest. Cf. Weber, Altsyn. Theol., 2e édit., p. (12.

L’activité de la sekînâh s’étendait jusqu’au sehôl ; c’est elle, d’après certains rabbins, qui, au dernier jour, délivrera de la géhenne les Juifs que leurs fautes y auront tenus enchaînés ; ils sortiront de là ayant à leur tête la sekînâh. Weber, op. cit., p. 368. Voir t. v, col. 2374-2375.

Dans le Nouveau Testament.


En passant de l’hébreu ou de l’araméen au grec, la kâbôd Yehôvâh et la sekînâh deviennent la 30Ea tou 8eo3, avec les mêmes sens et les mêmes acceptions ; toutefois cette gloire de Dieu est mise en relation spéciale avec le Christ. Citons d’abord les passages où l’allusion à la sekînâh est à peu près certaine ou tout au moins transparente. Entre tous, le célèbre passage de saint Jean, i, 14 : Et il a habité parmi nous, èascïjvwMV, et nous avons vu sa gloire. Le rapprochement, du verbe grec Èffîsr[vto<TEv avec le verbe hébreu sâkân, habiter, racine de sekînâh, n’est pas purement fortuit, mais voulu ou du moins pensé par l’auteur. L’Épître de saint Jacques, ii, 1, identifie le Christ avec la sekînâh, evexs tt, v t : î<jxiv tou xupîou f, atôv’Iirjao’j XptoToQ [tt, ç î’Jçr, ; ] : ayez la foi de Noire-Seigneur Jésus-Christ, la gloire. On peut aussi mettre en parallèle les paroles du Pirké Aboth avec Matth., xviii, 20 ; Jésus serait la sekînâh. Cf. I Cor., ii, 8, tou x.’jo’.oj Tfjç oôEr, ;. Un autre texte, tiré de la I Pet., iv, 14, semble renfermer la même idée, mais son interprétation est plus contestable : to tïjç cdEr, ; /al to tou OsoC nvsû’[i.a : l’Esprit de gloire et l’Esprit de Dieu. L’Esprit de gloire serait ici le Christ. Toutefois ce sens est douteux. Ailleurs, Heb., i, 3, le Christ est donné comme la splendeur de la gloire du Père, à-a’j-faa ; j.a tv, ; 3d ?7jç et ici la 30’: a signifie la divinité, au sens de la sekînâh du Talmud. Il est probable qu’en plusieurs autres endroits du Nouveau Testament, les opinions des rabbins sur la sekînâh ont une répercussion sensible. Entre autres privilèges d’Israël, saint Paul énonce avec emphase, dans l’Épître aux Romains, ix, 4, ꝟ. 80 ?a, la gloire, évidemment la sekînâh. La voix qui rend témoignage au Christ, sur le Thabor, et qui émane ûtzÔ tt, ç [j.£ya).o^p ; j : oCi ; SoEr, :, voir II Pet., r, 17 ; Matth., xvii, 15, reproduit l’interprétation du targum de Jérusalem à propos de Gen., xxviii, 13 ; la gloire de Jahvé dit : Je suis le Dieu d’Abraham. Il y a peut-être comme un reflet des opinions d’écoles sur l’activité de la sekînâh dans Rom., vi, 4, où saint Paul dit que le Christ est ressuscité d’entre les morts, par (8tà) la gloire du Père. Les miracles sont, dans saint Jean, xi, 40, attribués à la gloire de Dieu. Tout ce qui se rapporte au Christ reçoit aussi en épilhète le mot gloire : l’évangile de gloire, II Cor., iv, 4 ; le ministère de gloire, II Cor., iii, 8 ; les richesses de sa gloire, Eph.. iii, 16 ; son royaume, le royaume de gloire. Marc, x, 37. Dans les apparitions, c’est encore la gloire de Dieu qui projette ses rayons éblouissants, Luc, il, 9, /.y. Sofa xupïou 7T£pi£Àajj.’|ev aùxo-jç ; c’est elle qui environne Paul sur la route de Damas, qui le jette à terre et lui parle. Act., ix, 3-5 ; xxii, 11. Noter à-ô rr, ç So’Çtiç tou ç<oto ; èxsîvou. C’est avec elle que le Christ réapparaîtra à la parousie quand il viendra juger le monde. Matth., xvi, 27 ; Marc, viii, 38 ; xiii, 26. Par cette énumération de textes, on a pu s’apercevoir que l’expression gloire de Dieu n’a pas, dans la littérature néo-testamentaire, un sens spécifiquement différent de celui de l’Ancien Testament et de la théologie juive des siècles qui précèdent immédiatement l’ère chrétienne.

Lesêtre, art. Gloire de Dieu, dans le Dictionnaire de lu Bible de M. Vigouroux ; Hastings, A dictionarij o/ the Bible, art. Shekinah ; Kitto, Biblical encyclopœdia, t. iii, p. 820 ; Hamburger. Beat-Encyctopàdie fur Bibel und Talmud, p. 1080 ; Weber, Jiid. Theol. ans Grund des Talmud, p. 182 ; Gfrorer, Urclirislenthum, t. i, p. 301 ; Skinner, Dissertation on the Shekinali ; Vatt, Ghry o/ Christ ; Lcxicons de Lcvy et de Buxtorf.

C. Toussaint.