Dictionnaire de théologie catholique/ESPRIT-SAINT. II. PROCESSION DU PÈRE ET DU FILS I. D'après l'Ecriture sainte

Dictionnaire de théologie catholique
Letouzey et Ané (Tome 5.1 : ENCHANTEMENT - EUCHARISTIEp. 395-401).

II. LA PROCESSION DU SAINT-ESPRIT DU PÈRE ET DU FILS. —

Il n’est pas nécessaire de prouver que le Saint-Esprit procède du Père. Cette vérité de foi est contenue de la manière la plus explicite dans l’Écriture sainte. Le Saint-Esprit napix to-j IlaTpô ; èxttopsjêTsti. Joa., XV, 26. Si le Père est le principe, la source de la divinité, source primordiale, si le Saint-Esprit est une personne distincte du Père, une personne qui participe à l’essence du Père, il est évident que le Père communique son essence au Saint-Esprit, c’est-i^-dire que le Saint-Esprit procède du Père. Mais procède-t-il en même temps du Fils ? A ce sujet, de longues discussions théologiques se sont produites et les Églises orthodoxes se sont séparées de la communion de l’Église romaine. L’Église romaine croit que le Snint-Esprit procède du Fi’s aus-i bien que du Père. Cette vérité de foi n’est pas admise par les Églises d’Orient. Nous n’aborderons pas ici l’histoire de la controverse théologique entre les grecs et les latins au sujet du mot Filioque. Nous ne montrerons pas non plus la légitimité de l’insertion du Filioque au symbole de Nicée. Voir Filioque. Nous nous proposons seulement de mettre en relief la vérité de l’enseignement dogmatique de l’Église romaine touchant la procession du Saint-Esprit du Fils, en prouvant qu’elle est appuyée :
1° sur l’Écriture sainte ;
2° sur la tradition des Pères ;
3° sur les conciles ;
4° sur la spéculation théologique. Il en ressortira qu’elle appartient au trésor des dogmes de l’Église catholique.

I. D’après l’Écriture sainte.

1° L’Écriture déclare que le Saint-Esprit est l’Esprit du Père, Matth., X, 20, et qu’il est en même temps l’Esprit du Fils, Gal., IV, G ; l’Esprit du Christ, Rom., viii, 9 ; l’Esprit de Jésus-Christ. Phil., r, 19. Ces textes alTirment donc que les rapports du Saint-Esprit vis-à-vis du Fils ne dilTèrent pas des rapports vis-à-vis du Père. Le Saintlisprit est distinct à la fois du Père et du Fils, puisqu’il est l’Esprit du Père et du Fils. Cette distinction ne découle pas de l’essence divine qui est commune aux trois personnes divines. Elle repose donc sur l’opposition des relations divines. Si le Saint-Esprit c-st rp : sprit du Père, parce qu’il procède du Père, il est aussi l’Esprit du Fils, parce qu’il procède du Fils. Si l’on n’admettait pas que le Saint-Esprit procède du Fils, la dénomination d’Esiirit du Fils donnée au Saint-Esprit serait fausse ; bien i)Ins, le Saint-lisprit s’identifierait avec le I-’ils. Les iiersonnes divines, en effet, ne se distinguent que par l ?ur origine. Ratramne de Corbie explique ainsi les textes précédemment cités : « L’apôtre n’a pas dit : Dieu a emioiié son Esprit. Alême s’il avait dit cela, il n’aurait pas exclu le Fils, parce que le Fils aussi est Dieu, de même que le Père est Dieu, et l’un et l’autre ne soiù pas deux dieux, mais un seul Dieu, car la substance joint ce que la personne sépare. Mais, pour écarter toute objection, saint Paul insiste sur la personne du Fils. Dieu a envoyé dans nos cnrurs t’Esprit du Fils. Est-ce que l’Esprit du Fils est autre que l’E.sprit du Père ? Si l’I-^sprit du Père et l’Esprit du Fils ne sont qu’un seul et même lîsprit. Il est évident que l’Esprit-Saint procède à la fois du Père et du Fils. On ne dit pas que l’Esprit du Fils soit n|>pelé ainsi, parce qu’il est inférieur au Fils. Il s’ensuit donc que le Saint-Esprit est dit l’Esprit du Fils, parce qu’il procède du Fils, de même qu’on dit l’I^sprit du l’ère, parce qu’il procède du Père… Il est dit l’Esprit du Christ, parce qu’il procède du (-lirisl. S’il ne iirocédail pas du Christ, il ne serait pas l’Esprit du Christ.

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Il procède donc du Christ, non pas en ce sens qu’il soit soumis au Christ, détaché du Christ comme une portion de son être, mais en ce sens qu’il dérive substantiellement de la substance du Fils. » Contra yrœcorum opposita, i, 4, 7, P. L., t. cxxi, col. 232, 238. Et plus loin : « Le Saint-Esprit est l’Esprit du Père, parce qu’il procède du Père. Il est donc l’Esprit du Fils, parce qu’il procède du Fils. Car nous n’avons pas deux esprits, mais un seul esprit. L’Esprit du Père n’est pas autre que l’Esprit du Fils, mais il est le même pour le Père et le Fils. Il procède donc du Père et du Fils. » Ibid., ii, 4, col. 254.

Cette interprétation est confirmée par le témoignage des Pères qui, de ces dénominations du Saint-Esprit, concluent à sa procession du Fils, d’autant que le mot Esprit, lorsqu’il se rapporte au Père et au Fils, a un sens passif et signifie le terme de la spi-ation du Père et du Fils, spiraliim. Scheeben, La dogmatique, t. II, n. 1016, p. 684, 685 ; Franzelin, De Deo trino, p. 365, 419. « Le Saint-Esprit, remarque le cardinal Bessarion, est un nom relatif. Il se rapporte à celui qui est principe de spiration : il est l’esprit de celui duquel il dérive par voie de spiration. Personne n’ignore, en effet, que les noms des personnes divines sont des noms relatifs. Le nom hypostatique de l’Esprit de Dieu est donc celui d’Esprit, de même que les noms de Père et Fils sont hypostatiques par rapport au Père et au Fils. Il n’exprime pas l’essence, mais la personne. De même donc que nous n’osons pas dire le Fils de l’Esprit, parce que le Fils est un nom relatif qui se rapporte au Père, et nous ne le disons pas, de crainte qu’on ne croie que l’Esprit scit le Père du Fils, ainsi le nom d’Esprit, qui est relatif et qui se rapporte au principe de spiration, est le terme de la spiration de celui dont il est dit l’Esprit. » Oraïio dogmalica, 6, P. G., t. clxi, col. 570. Cf. Georges de Trébi/onde, De processione Sancti Spiritius ad Creienses, 3, 4, ibid., col. 832. 833 ; Constantin Méliténiot, Orat., I, De process. Spirilus Sancti, 37, P. G., t. cxli, col. 1121-1124 ; Démétrius Cydonius, De processione Sancti Spiritus, 10, P. G., t. ci.iv, col. 913 ; Id., Epist. ad Barlaamuw, P. G., t. cli, col. 1285, 1286 ; Calécas, Contra græcos, i, P. G., t. clii, col..56, 57 ; Hugues Etherianus, De hæresibus quas græci in latinos devolvunt, ii, 19, P. L., t. ccii, col. 329, 330.

Les Pères reconnaissent que le Saint-Esprit est l’Esprit du Fils, parce qu’il est le terme de la spiration du Fils. « L’Esprit, dit saint Athanase, est le souffle et la bonne odeur du Fils. » Epist. ad Serapionem, i, 23 ; m, 3, P. G., t. xxvi, col. 584, 585, 628, 629.

L’Esprit n’est pas engendré par le Fils, parce qu’il n’est pas son Verbe. Mais nous savons par l’Écriture qu’il est le terme de la spiration du Fils de Ditu et que le Fils est la source du Saint-Esprit. De Trinitate et SpiriluSancto, 19, ibid., col. 1212, 1213. L’Esprit est propre au Fils selon la substance. Epist., i, ad Serapionem, 25, ibid., col. 588, 589. L’auteur du V^ livre contre Eunomius, attribué à saint Basile, dit : « L’apôtre manifeste que le Saint-Esprit rayonne par le Fils, parce qu’il l’appelle l’Esprit du Fils au même titre que l’Esprit de Dieu. » Aduersiis Eunomiiim. 1. V, P. G., t. XXIX, col. 733. Jésus-Christ appelle le Saint-Esprit, Esprit de vérité, c’est-à-dire l’Esprit qui est à lui. En effet, le Saint-Esprit n’est pas étran’.^er à la substance du Fils, mais procède physiquement d’elle. Il est le Fils même au point de vue de l’identité de nature, bien qu’il subsiste personnellement. In Joa., X, 16, P. G., t. 1.XXIV, col. 444. Le Saint-Esprit est l’Esprit propre du Fils, parce qu’il existe dans le Fils et procède par le Fils. Ibid., col. 444. Notre foi, dit saint Augustin, nous oblige à croire au Père, au Fils et au Saint-Esprit, un seul Dieu. Nous ne pouvons pas appeler Père celui qui est Fils, ni Fils celui q ! ii est

Père, et ni Père ni Fils, celui qui est l’Esprit du Père et du Fils. Par ces dénominations, on entend que les personnes divines ont des relations nmtuelles ; mais on ne désigne pas par elles la substance qui est une. Parce que, si on dit Père, il y a un Fils dont il est Père ; si on dit Fils, il y a un Père dont il est Fils : r’il y a un Esprit, il y a aussi celui qui le j^oduit (spirans). Epist., ccxxxviii, 14, 15, P. /.., t. xxxiii, col. 1043. Par conséquent, nous ne pouvons pas dire que le Saint-Esprit ne procède pas du Fils. Car ce n’est pas en vain qu’il est appelé l’Esprit du Père et du Fils. De Trinitate, iv, 20, 29, P. L., t. xi.ii, col. 908. Voir aussi ibid., v, 11, 12 ; xv, 26, 47, col. 919, 1094 ; Contra Maximinum, ii, 14, 1, ibid., col. 771.

Dans sa Mystagogie, Photius s’acharne à montrer que la théologie latine se trompe, en tirant des textes cités un argument en faveur de la procession du Saint-Esprit ex Filio. L’Esprit-Saint est nommé l’Esprit du Fils, parce qu’il est consubstantiel au Fils, parce qu’il partage avec le Fils la même nature, gloire, dignité et majesté. Mystagogia, 51, P. G., t. cil, col. 329. L’Esprit, dit Macaire Boulgakov, métropolite de Moscou, est appelé l’Esprit du Père, parce qu’il est consubstantiel au Père et qu’il en est inséparable, soit aussi peut-être parce qu’il procède de lui. Mais il est appelé l’Esprit du Fils uniquement parce que, consubstantiel avec lui et toujours inséparable de lui, il demeure constamment avec lui, et la parok de Dieu ne nous autorise point à croire qu’il soit aussi désigné comme procédant aussi du Fils. Thi’ologie dogmatique orthodoxe (en russe), Saint-Pétersbourg, 1895, t. I, p. 281. Il cite, à l’appui de son interprétation, plusieurs textes, en particulier, un texte de saint Cyrille d’Alexandrie, où l’on affirme que le Saint-Esprit est l’Esprit du Christ parce qu’il y a identité de nature et de gloire entre le Christ et le Saint-Esprit. De Trinitate, dial. vii, P. G., t. lxxv, col. 1121. Voir Malinovsky, Théologie dogmatique orthodoxe (en russe), Charkov, 1895, t. i, p. 326.

Nous croyons avoir déjà répondu à l’objection de Macaire. Le mot Esprit a un sens passif, spiratum, et s’il est appliqué en ce sens au Père, nous devons lui attacher le même sens, lorsqu’il est attribué au Fils. Car l’Écriture ne spécifie pas que le Saint-Esprit est l’Esprit du Fils dune manière différ, .nte de celle dont il est l’Esprit du Père. Le Saint-Esprit est, sans doute, consubstantiel ou Père, mais puisqu’il procède du Père, il est appelé l’Esprit du Père. Le Saint-Esprit est aussi consubstantiel au Fils, mais puisqu’il est l’Esprit du Fils, il s’ensuit qu’il procède du Fils. S’il n’en procédait pas, il n’y aurait pbis, entre le Fils et le Saint Esprit, cette opposition do relation d’origine qui distingue lî Fils du Saint-Esprit ; en d’autres termes, le Saint-Esprit serait identique avec le Fils. Les Pères de l’Église admettent bien la consubstantialité divine du Père, du Fils et du Saint-Esprit, mais ils déclarent que la substance du Saint-Esprit est donnée au Saint-Esprit par le Fils : Neque alla substantia est Spiritus Sancti præter id quod datur ei a Filio. DidjTne, LUer de Spirilu Sancto, P. G., t. xxxix, col. 1065, 1066 ; Georges Pachymère, De processione Spiritus Sancti, P. G., t. cxLiv, col. 928 ; Franzelin, Examen doctrinse Makarii, Prato, 1894, p. 60 ; lA., De Deo trino, p. 41942t. De même que Père et Fils, remarque Georges de Trébizonde, sont des noms qui désignent la subsistance hypostatique, ainsi Saint-Esprit est un nom hypostatique, qui désigne la subsistance personnelle de la troisième personne divine. Le Saint-Esprit, qui est l’Esprit du Père et du Fils, procède donc du Père et du Fils. Op. cit., c. ii, P. G., t. ci.xi, col. 833.

Les théologiens orthodoxes affirment que, dans le texte de saint Paul aux Galates, il n’est pas question du Saint-Esprit comme hypostase divine, mais des

dons de la grâce qu’il répand dans les co : urs des fidèles. Macaire, op. cit., t. i, p. 281, 282. Les Pères de l’Église ont bien déclaré, et cela suffit pour renverser l’argument de Macaire, qu’il est toujours question du Saint-Esprit, toutes les fois que l’Ecriture dit l’Eapril du Père, VEsprit du Fils. Ces dénominations désignent le Saint-Esprit comme personne divine. S. Athaiiase, Epist., i, ad Serapionem, 4, P. G., t. XXVI, col. 536, 537. Saint Basile déclare que l’Esprit du Christ est inséparable du Christ : s’il en est inséparable, il n’est pas un don. Episl.. xxxviii, 4, P. G., t. xxxii, col. 329. Cf. Alaxime. Quæstiones ad Timlassium, 63, P. G., t. xc. col. 672 ; Franzelin, De Deo trino, p. 424, 425 ; Kolling, Pneumalologie, Gutersloh, 1894, p. 320-323 ; Swete, The Holy Spiril in ihe Xew Testament, p. 204-206 ; Hcinrich, Dogmalische Théologie, t. IV, p. 243-244.

2° L’Évangile de saint Jean renferme un autre texte décisif pour la question qui nous occupe. Le voici ; « Le Saint-Esprit ne parlera pas de lui-même, mais il dira tout ce qu’il aura entendu et il vous annoncera les choses à venir. Celui-ci me glorifiera, parce qu’il recevra de ce qui est à moi, et il vous l’annoncera. Toul ce que le Pre a, e-.l à moi. C’est pour cela que j’ai dit qu’il recevra de ce qui est à moi et qu’il vous l’annoncera. » xvi, 13-15. Le sens de ce texte est si clair, son affirmation de la procession du Saint-Esprit du Fils est si évidente que, pour en amoindrir la portée, Photius a eu recours à la chicane et à une exégèse b17arre. Le Père donne au Fils et le Fils communique à l’Esprit, explique saint Cyrille de Jérusalem. En effet, ce n’est pas moi, c’est Jésus luiiiiênie qui a dit du Saint-Tisprit : Il recevra de moi. Cal., xvi, 24, P. G., t. xxxiii, col. 952

Le Saint-Esprit ne parle pas de lui-même, c’est-à-dire la sagesse qu’il possède n’est pas une sagesse principiclle, mais une sagesse communiquée. Quelle est la nature de cette sagesse ? Devons-nous dire que réellement le Saint-Esprit est plongé (hins l’ignorance et qu’il doit être éclairé par le Fils ? Si nous répondions alfirmativement, le Saint-Esprit ne serait plus Dieu. Nous (levons donc reconnaître que le Fils transmet au Saint-Esprit la sagesse divine, que celle sagesse est identique avec l’essence divine ; en d’autres termes, que le Fils transmet au Saint-Esprit la divinité qu’il reçoit du Père. Car on dit aussi du (Christ qu’il révèle au monde ce qu’il a entendu du Père. Joa., viir, 26 ; ce que le Père lui a enseigné, ibid., 28, que sa doctrine n’est pas à lui, ibid., vii, Ifi : que c’est le Père qui a révélé ce qu’il doit dire et enseigner, /bid., xii, 40. Puisque ces textes montrent que le Fils reçoit du Père la sagesse divine, identique avec l’essence divine, le texte semblable qui se rapporte au Saint-Esprit aflirme que le Saint-Esprit reçoit du Fils la sagesse divine, identique avec l’essence divine. Franzelin, De Deo trino, p. 413. Saint Fulgence donne un beau commentaire de ce texte pour prouver que le Saint-Esprit procède ab utroque : De Filiu crgo arccpit, et omniu quæ liabcl Pater, Filii sunt quæ Spiritus Sanclus accepit, quia non de solo Paire, ncc de solo Filio, sed simut de utroque procedit. In illa natura ubi est summa et ocra simplicilas, in ro Filius videt quod Patrr facil, et Spiritus Sanctus audit quod cum Paire Filius dicit, quia communiom : naturcdis cssentiee et Filius de Paire natus cxislil, et Spiritus Sanctus de Paire F iliaque procedit. Une est igitur Spirilui Sancto audire, quod est de natura Patris Filiique procederc. Contra Fabianum, xxv, /’. L., t. lxv, col. 781.

Les Pères sont unanimes à tirer de ce texte la preuve de la prorcssion du Saint-Esprit du I-’ils. Il recevra de moi, dit Terlullien. comme lui-même il reçoit de ce cjiii est au Père. Adversus Praxcam, 25, P. L., t. il, col. 211. Ce qu’il a reçu par l’unité de nature, par la

même unité, le Saint-Esprit le reçoit de lui. S.Ambroise, De Spiritu Sanclo, ii, 134, P. L., t. xvi, col. 803. Il reçoit du Fils, dit saint Hilaire, celui qui est envoyé par le Fils et procède du Père. Que s’il n’y a pas de différence entre recevoir du Fils et procéder du Père, ce serait la même chose que recevoir du Fils et recevoir du Père. Car le Seigneur lui-même nous dit : Il reçoit de moi. Ce qu’il recevra, que ce soit la puissance ou la vertu, ou la doctrine, le Fils déclare qu’il le recevra de lui. De Trinilate, viii, 20, P. L.. t. x. col. 251 La même doctrine est enseignée par les Pères grecs. Voir S. Cyrille de Jérusalem, Cal., xvi. 24, P. G., t. xxxiii, col. 952 ; S. Épiphane, Ancoralus, 07. 73, P. G., t. XLiii, col. 137. 153 ; U., Hær., lxxiv, 4, P. G., t. XLii, col. 430 ; S. Cvrille d’Alexandrie, In Joa., xii, 15, 26, P. G., t. Lxxiv, col. 427.

Photius a consacré les § 20-30 de sa Mijslagogie à torturerle sens si clair de ce texte pour entireruneconclusion qui, remarque justement le P. de Régnon, op. cit., t. iii, p. 253, rompt avec toute l’ancienne exégèse. P. G., t. en, col. 297-312. Il alfirme que, dans le texte iy. toj ij.rji), r|’]/£rai, on sous-entend le mot Ilaipo ;. Le sens du texte serait alors : // recevra de mon Père, P. G., t. en, col. 312. Cette interprétation est acceptée même de nos jours par les théologiens orthodoxes. Il n’a pas été difficile h la théologie catholique de montrer combien elle est fausse. Saint.Jean Chrysostome explique le sens du 7 : ap’é[j.oj. // recevra de ma science. In Joa.. homil. lxxviii. 2, P. G., t. Lix, col. 423. Le Saint-Esprit reçoit donc du Fils la science qui est au Fils. Manuel Calécas. Advcrsus Grœcos, i, P. G., t. CLii, col. 59, a bien mis en relief qu’au point de vue grammatical, l’adjectif possessif è|j.oj ne peut pas être du genre masculin. Il est du neutre, et, par conséquent, il ne se rapporte ]ias au Père. Si le Saint-Esprit reçoit du Fils, si tout ce qui est au Père est commun aussi au Fils, il est évident que le Fils est un seul Dieu avec le Père et que le Saint-Esprit dérive, vrai Dieu, de l’essence du Père et du Fils. Ce texte donc : // recevra de moi, ou ne signifie rien, ou ne signifie pas ce qu’on voudrait qu’il signifie. Ibid., i, col. 159. Cf. Hugues Etherianus, op. cit., II, 18, P. L., t. cil, col. 325-328 ; Bessarion, De processione Spiritus Sancli ad Loscarin, P. G., t. clxi col. 381 ; Petau. De Trinilate, vii, 9, 11, L iii, p. 330, 331 ; Swete, op. cit., p. 163-164.S

Les théologiens orthodoxes cliicanent sur le temps futur du verbe recevoir. Si l’expression : Il recevra de ce qui est à moi, signifie : C’est de moi qu’il tient l’éternité d’existence, de moi qu’il procède. ]K)urquoi le verbe recevra est-il au futur, ainsi que celui qui le précède immédiatement, glitriftcral » Macaire, op. cit., t. I. p. 279. L’objction a été déjà réfutée par saint Augj « tin : iVec moveat quod verbum futuri teniporis positum est… Illa quippe audicnlia sempilcrna est, quia scmpiterna scientiu.In co autem quod sempitcrnum est sine initio et sine fine, cujuslibel lemporis verbum punatur, sive prietcriti, sive prirsentis, sive fuUiri, non mend’icilcr ponitur. In Joa., Ir. XCIX, 5, P. I.., t. xxxv, col. 1888 ; Id.. Co ; i/r(( sermonem arianorunj. 24, P. L., t. xi.ii, col. 700 ; Georges (le Trébizonde, op. cit., 4, P. G., t. ci-i, col. 833. Les opérations immanentes de la divinité sont éternelles en elles-mêmes, dans la vie intime de Dieu, mais elles ])cuvent avoir une relation à un terme extérieur. Si on le considère en lui-même, l’acte immanent par lequel le Saint-Iilsprit reçoit du Père et du Fils l’essence divine est éternel. Mais, si on considère cet acte en tant qu’il se rapporte à un eflet temporaire et extérieur, il n’est pas étonnant qu’on parle de lui au passé ou au futur. L’acte de la création est éternel de la part de Dieu, parce que Dieu est toujours en acte ; mais il est temiiorairc par rai)port au terme extérieur qui est créé dans le temps. De même.

ia communication de l’essence divine au Saint-Esprit par le Fils est éternelle ; mais le rôle que, par cette communication, le Saint-Esprit exerce dans l’œuvre de la rédemption est temporaire. Franzelin, De Deo trino, p. 418, 419.

Nous pouvons donc résumer l’argument qui nous est fourni par le texte : // recevra de moi, en ce syllogisme : Tout ce qui est au Père, excepte la paternité, est au Fils. Mais la propriété de produire le Saint-Esprit n’est pas la paternité, c’est-à-dire n’est pas la propriété hypostatique du Père. Donc, si le Père a la propriété de produire le Saint-Esprit, le Fils l’a aussi. En d’autres termes, si le Saint-Esprit reçoit du Père, il reçoit aussi du Fils. S. Athanase, Episl., i, ad Serapionem, 20, P. G., t. xxvi, col. 580. La théologie orthodoxe accepte la majeure du syllogisme, Macaire, op. cit., t. i, p. 280 ; mais elle refuse d’en accepter la conclusion. On oublie que, par rapport au Fils, la propriété personnelle du Père est celle d’engendrer ; que, par rapport au Père, la propriété personnelle du Fils est celle d’être engendré. Il y a une réelle opposition entre la paternité et la filiation, et le Fils, en tant que Fils, ne peut pas avoir ce qui est au Père en tant que Père. Mais la spiration du Saint-Esprit ne s’oppose ni à la paternité ni à la filiation. Elle est donc commune au Père et au Fils. 3° Il y a dans l’Évangile de saint Jean plusieurs textes qui se rapportent à la mission du Saint-Esprit par le Fils. » Je prierai le Père, et il vous donnera un autre consolateur, » xiv, 16. « Je vous enverrai le consolateur d’auprès du Père, » xv, 26. « Si je m’en vais, je vous enverrai le consolateur, » xvi, 7. Cf. Luc,

xxiv, 49 ; Act., ii, 33 ; Tit., iii, 6. Ces textes prouvent

qu’il y a une mission du Saint-Esprit et que le principe de cette mission est le Fils. La théologie orthodoxe n’hésite pas à le reconnaître. Mais est-ce que cette mission comporte la dépendance de celui qui est envoyé vis-à-vis de celui qui envoie ? La théologie orthodoxe, de même que la théologie catholique, répond négativement à cette question. La parfaite égalité des personnes divines ne comporte pas qu’il y ait une différence de pouvoir, une supériorité et une infériorité de nature entre celle qui envoie et celle qui est envoyée.

Mais cette mission divine, faut-il l’entendre d’une mission temporelle, c’est-à-dire d’une mission qui n’implique pas une priorité d’origine de la part de celui qi i envoie, ou même est-elle un corollaire, une conséquence nécessaire de la procession d’origine, de telle manière que, celle-ci exclue, la mission ne soit plus possible ? La réponse que la théologie catho81que donne à cette question diffère de la réponse que îui donne la théologie orthodoxe.

La théologie catholique soutient que la procession éternelle est le fondement nécessaire de la mission du Saint-Esprit, que le concept de procession n’est pas inséparable du concept de mission, mais que le concept de mission présuppose nécessairement une procession divine, sans laquelle il n’y aurait plus d’égalité parfaite entre les personnes divines. Toute mission, en effet, emporte une distinction réelle entre celui qui envoie et celui qui est envoyé. Le Fils, qui envoie le Saint-Esprit, se distingue donc réellement du Saint-Esprit, qu’il envoie et qu’il répand sur les apôtres. Or la mission, de la part de celui qui envoie, suppose une supériorité morale ou une priorité d’origine. II serait impie de parler d’une supériorité morale du Fils par rapport au Saint-Esprit, car, alors, le Saint-Esprit serait inférieur en perfection au Fils, et, partant, n’aurait pas la nature divine du Fils. La mission du Saint-Esprit par le Fils implique donc, dans le Fils, une priorité d’origine, la procession divine de celui qui envoie.

Le Saint-Esprit, argumente Georges de Trébizonde, est envoyé par le Père et le Fils. Il s’ensuit que l’Esprit-Saint procède du Père et du Fils, parce que l’Esprit-Saint procède de ceux qui l’envoient. Ceux qui mettent en Dieu des progressions temporelles tombent dans l’erreur. Ils expriment ce qui est éternel parce qui est temporaire. Mais, dans la sainte Trinité, il y a seulement l’ordre d’origine. On ne peut pas concevoir qu’une personne divine soit supérieure en dignité et une autre inférieure. A cause de l’ordre d’origine, nous lisons dans l’Écriture sainte que le Père n’est pas envoyé par le Fils et que le Fils n’est pas envoyé par le Saint-Esprit, excepté le cas où il est question de l’humanité sainte du Fils. Op. cit., P. G., t. clxi, col. 832. Ratramne de Corbie remarque justement que la théorie grecque des missions conduit en dernière analyse à l’arianisme, à la différence de nature entre les personnes divines : Aut ergo missionem hanc confitemini missionem, aut, quod est impium, obseqiiium. Op. cit., i, 3, P. L., t. cxxi, col. 229. Cf. S. Thomas, Sum. theol., P, q. xliii, a. 1 ; Contra gentiles, 1. IV, c. XXIV ; Contra errores græcorum, ii, 2 ; Georges Métochite, Contra Manuelem Cretensem, 9, P. G., t. CXLI, col. 1333-1337 ; Heinrich, op. cit., t. iv, p. 244246 ; Franzelin, De Deo trino, p. 432-438 ; Kolllng, op. cit., p. 311-316.

Photius et les théologiens orthodoxes s’efforcent d’amoindrir la valeur démonstrative des textes où il est question de l’envoi du Saint-Esprit par le Fils. Amphiloch., q. clxxxviii, 2, P. G., t. ci, col. 909-912. « Cette idée, dit Macaire, que, dans le mystère de la sainte Trinité, l’envoi d’une personne par une autre suppose nécessairement que la seconde procède de la première, cette idée-là, loin d’avoir le moindre fondement dans la sainte Écriture, est tout à fait en opposition avec elle, car l’Écriture dit que même le Fils est envoyé par le Saint-Esprit et non point par le Père, dans Is., xlviii, 16 ; lxi, 1 ; Luc, xv, 18. Op. cit., t. i, p. 273, 274. Cf. Innocent, Théologie polémique (en russe), Kazan, 1859, t. ii, p. 31-34 ; Malinovsky, op. cit., p. 324, 325 ; Androutzos, Ao-xi|j.iov (j-ji.fir>'/.’.Y.’r, : i ? Ètiô’Iew ; opOoSûJo-j, Athènes, 1901, p. 132 ; Rhosi, S’jarvjaot So- ; |j.aTty.r, ç tti ; 6p608ôço-j’Exy.), v-|.Tt’a ;, Athènes, 1903, p. 255 ; Procopovitch, Tractalus de processione Spiritus Sancli, Gotha, 1772, p. 15, 16.

L’objection orthodoxe n’est pas difficile à résoudre. La mission du Fils ne présente pas les mêmes caractères que la mission du Saint-Esprit. Cette différence dépend de ce que le Saint-Esprit a l’unique nature divine, tandis que la personne divine du Fils incarné a la double nature divine et humaine. Ces deux natures ne se confondent pas et, partant, elles autorisent, à l’égard du Fils, l’emploi réciproque de dénominations qui se rapportent à la nature divine ou à la nature humaine. Eu égard à sa double nature, nous pouvons considérer le Fils, ou comme Verbe de Dieu que le Père engendre de toute éternité, ou comme Verbe revêtu de notre chair. S. Augustin, De Trinitate, iv, 20, 27, P. L., t. XLii, col. 906. Dans le premier cas, il est évident que le Fils ne peut pas être envoyé par le Saint-Esprit : ab illo mittitur de quo natum est. Ibid., col. 907. Cette mission du Verbe qui se prépare à l’œuvre de la rédemption, mais qui ne s’est pas encore incarné, ne suppose pas une supériorité morale de la première personne sur la seconde, parce qu’il y a la plus parfaite égalité entre les personnes divines. Le Saint-Esprit est donc envoyé par le Père uniquement parce qu’il y a, de la part du Père, une priorité logique d’origine. Mais le Verbe de Dieu s’est fait chair, et par rapport à sa nature humaine, il est devenu obéissant jusqu’à la mort : le Christ est soumis au vouloir de Dieu. Par son humanité, le Verbe incarné est envoyé

par le Père et le Saint-Esprit, non pas en vertu de la priorité d’origine du Père, mais en vertu de cette autorité suprême que la nature divine exerce sur la nature humaine. Quant à son humanité, le Verbe fait chair est inférieur, non seulement à la première et à la troisième personnes, mais en quelque sorte à lui-même, en tant qu’il est une hypostase divine. Il s’ensuit donc que le Père et le Saint-Espiit envoient le Fils, en tant que celui-ci s’est revêtu de la nature humaine et que, par cette nature humaine, il diffère du Père et du Saint-Esprit. Dans un sens moins rigoureux, on pourrait dire aussi qu’il est envoyé par lui-même, car la nature humaine qu’il a adoptée est soumise à la nature divine. Bref, par sa participation à l’unité de la nature divine, le Saint-Esprit est envoyé par le Père et le Fils, parce qu’il procède éternellement du Père et du Fils. Mais le Fils peut être considéré ou comme Verbe de Dieu qui participe à la nature divine communiquée par le Père de toute éternité, ou comme Verbe fait chair. Dans le premier cas, la mission du Verbe est réservée exclusivement au Père, et le fondement de cette mission est la génération éternelle. Dans le second cas, la mission du Verbe appartient aux trois personnes divines, au Père et au Saint-Esprit dans un sens rigoureux, au Fils dans un sens moins rigoureux. Lorsque la théologie orthodoxe objecte que l’Iisprit-Saint envoie le Fils, nous répondons qu’il l’envoie en tant que le Fils s’est fait homme.

Le texte d’Isa’ie : Le Seigneur Jéhovah m’envoie avec son Esprit, xlviii, 16, de l’aveu des exégètes orthodoxes, se rapporte à Isaïc lui-même. Commentaire sur le livre d’haïe (en russe), Khristianskoc Tchlenie, 1893, t. I, p. 765, 76(). Voir Knabenbauer, Commentarius in Isaiam proplwlam, Paris, 1887, t. ii, p. 223-225. Isa’ie est le type du Messie, en tant que le Messie descend sur la terre pour remplir sa mission divine, c’est-à-dire le type du Verbe fait chair. Il ne répugne donc pas d’admettre que, d’après ce texte, le Verbe fait chair soit envoyé par le Saint-Esprit. Franzelin Examen Macarii, p. 30. De même, le texte d’Isa’i’e : L’Esprit du Seigneur est sur moi : il m’a oint pour porter la bonne nouvelle aux malheureux, lxj, 1 ; cf. Luc, IV, 18, se rapporte, d’après les Pères, à la nature humaine du Christ. C’est l’onction de l’humanité sainte du Sauveur, dit saint Grégoire de Xazianzc. Oral., XXX, 21, P. G., t. xxxvi, col. 132. Elle s’accomplit dans la nature humaine ((ue le Verbe a adoptée pour nous racheter. S. Cyrille d’Alexandrie, J)e recta fide ad reginas, 13, P. G., t. lxxvi, col. 1220 ; S. Jean Damascènc, De fide orlliodoxa, iv, 6, P. G., t. xciv, col. 1112 ; Schanz, Commentar iiber dus Evungelium des lil. Lulius, Tubingue, 1883, p. 185 ; Knabenbauer, Commentarium in Evangelium secundum Lucam, Paris, 1896, ]). 185 : Palmieri, La missione délie divine persanee la proccssione dellu Spirilo Sanio, Rome, 190n, p. 21-29.

Nous pouvons donc conclure par les belles paroles de saint Fulgencc : « Le Fils est envoyé par le Père, mais le Père n’est pas envoyé par le l’ils. parce que le Fils est né du Père, non pas le Père du l-’ils. Pareillement, nous lisons dans llicriture sainte que le Saint-Esprit est envoyé par h ? Père et le Fils, parce qu’il procède du Père et du Fils. Mais, puisque l’Écriture sainte donne plusieurs sens au mot mission, dans le mystère de l’incarnation, le I-’ils est présenté comme envoyé non seulement par le Père, nuiis aussi par le Saint-Esprit, parce que le médiateur entre Dieu et les hommes, Jésus-( ; iirisl, homme lui-niéiue, est le produit de l’opération divine de toute la Trinité. Il y a une différence entre la manière dont le Saint-Esprit, qui procède naturalilcr du Père et du Fils, est « nvoyé par le l’ère et le Fils, et la manière dont le

DICT. I)i : TIIKOI.. CATIIOI, .

I Fils est envoyé par le Père et le Saint-Esprit. » Contra Fahianum, xxix, P. L., t. lxv, col. 797.

4° Après sa résurrection, Jésus-Christ se manifesta à ses apôtres, souffla sur eux et leur dit : « Recevez l’Esprit-Saint. » Joa., xx, 22. Ce texte est cité par les théologiens catholiques à l’appui de la doctrin «  catholique du Filioque. Heinrich, op. cit., t. iv, p. 246. Le métropolite Macaire affirme que les Pères de l’Église n’y ont jamais trouvé l’idée de la procession éternelle du Saint-Esprit. Op. cil., t. i, p. 283. On pourrait, à la rigueur, considérer ce texte comme n’exprimant pas clairement la procession du Saint-Esprit du Fils ; mais il est absolument faux que les Pères ne lui aient pas attaché le sens que la théologie catholique lui donne. « Pourquoi ne croyons-nous pas, dit saint Augustin, que le Saint-Esprit procède du t^ils, étant doimé que ! e Saint-Esprit est l’Esprit du Fils ? Si le Saint-Esprit ne procédait pas du Fils, avant sa résurrection, Jésus-Christ, en se montrant à ses disciples, n’aurait pas soufflé sur eux et ne leur aurait pas dit : « Recevez le Saint-Esprit. » L’action de souffler ne signifie pas autre chose que la procession du Saint-Esprit du Fils. » In Joa., tr. XCIX, 7, P. L., t. xxxv, col. 1889. Par conséquent, ce texte est denwnslralio pcr congruam significationem, non lantum a Paire, sed et a Filio procedere Spirilum Sanctum. De Trinilale, iv, 20, 29, P. L., t. xlii, col. 908 ; xv, 26, 45, col. 1093 ; Contra Maximinum, ii, 14, 1, ibid., col. 770. Cf. S. Fulgence, De flde ad Pelrum, xi, 52, P. L., t. lxv, col. 696 ; S. Athanase, De incarnalione et contra arianos, 9, P. G., t. xxvi, col.997 ; Franzelin, Examen Macarii, p. 62-66.

5° On lit ilans l’Évangile de saint Jean : « ; L’Esprit de vérité qui procède du Père, » xv, 26. Ce texte est cité par Photius comme un dard acéré et inévitable contre les latins. Mijslagogia, 2, P. G., t. eu, col. 280. Le Saint-Esprit procède du Père, objectent les théologiens orthodoxes ; donc il ne procède pas du Fils. Et bien souvent, ils ne se bornent pas à cette fausse déduction. L’Évangile de saint Jean déclare que le Saint-Esprit procède du Père. La théologie orthodoxe n’hésite pas à ajouter au texte un mot qui tranche nettement la question en sa faveur. Au lieu de lire : ’Ky. toO îta-pbç èxTropE-jETat, elle lit : èx to-j TiaTp’o ; (xcivou. Mesoloras, ^jlJ.fjo’/'.y.r Tr, ; od605’JEo-j àvaTo/.iy.f, ; ’l']x/.), r|iTia ;, Athènes, 1901, t. I, p. 120 ; i]ûvTrilJ.o ; à7 : api’Û[jiTi(Ti ; y.a’i àv ; tTpo7CTi T(i)v xaivoTotJLiôjv TT, ; TzxTAY.fii’Kxy.>, /-, 17[aç, Constantinople, 1900, p. 5. Les controversistes latins ont maintes fois reproché aux grecs leur acharnement contre l’insertion du Filioque dans le symbole de Nicée, tandis qu’ils ne se faisaient pas scrupule, pour les besoins de leur cause, d’altérer le texte de saint Jean. Pierre Chrysolan, Oralio de Spirilu Sancio, I, 6, P. G., t. cxxvii, col. 915 ; Allatius, ’Ef/eiûiSiov Tzec’i Tf|î ây.uopE’JTco) ; toj à-ci’j lIvE’JaaTo ;, Rome, 1658, p. 16.

Tout d’abord, la théologie ortiiodoxe se livre à de longs commentaires sur ce texte i)()ur prouver que le Saint-I^sprit procède du Père. Cette démonstration est de tout point inutile, puisque la théologie latine est absolument du même avis. Mais est-il vrai que ce texte exclut aussi la procession divine du Saint-Esprit du I-’ils ? La théologie orthodoxe ré))ond allirmativemenl, parce cpie la spiration est une proj )riété personnelle exclusive du Père. « Quand on dit que le Père engendre le Fils et fait procéder le Saint-Esprit, on parle proprcment du Père comme ayant un attribut personnel qui le distingue du I-’ils et du Saint-Esprit. Par conséquent aussi, lorsqu’il est dit que le Saint-Esprit procède du Père, sous le nom du Père, on ne saurait comprendre en même temps le Fils, qui est un avec le Père par essence et non point en personnalité. » Macaire, op. cit., t. i, p. 271. Cf.

V. - 2.".

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ESPRIT-SAINT

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Malinovsky, op. cit., 1. 1, p. 326 ; Prokopovitcli, op. cit., p. 27-29 ; Innocent, op. cit., t. ii, p. 36-37. On voit bien Cque la tliéologie ortliodoxe confond ici deux notions différentes des attributs personnels divins. La paternité est, sans doute, [un attribut personnel qui distinfîue le Père du Fils ; la spiration est aussi un attribut personnel qui distingue le Père du Saint-Esprit. Sur ces deux points, il y a parfait accord entre théologiens catholiques et théologiens orthodoxes. Mais est-ce que la spiration active, l’attribut personnel qui distingue le Père du Saint-Esprit est commune, en même temps, au Fils, et distingue-t-elle le Filsdu Saint-Esprit ? C’est ici qu’il y a divergence de doctrine entre le catholicisme et l’orthodoxie. Par la spiration active, le Père n’a aucune relation d’origine à l’égard du Fils, c’est-à-dire que, par la spiration, il ne se distingue pas du Fils. Or, tout est commun entre les personnes divines, hors les relations d’origine. Si le Fils n’est donc pas opposé au Père par la spiration active, cette spiration, qui est dans le Père comme dans sa source primordiale, est commune aussi au Fils. De même que le Père et le Fils, qui se distinguent entre eux par les seules relations de paternité et de fdiation, participent à la même essence et aux mêmes attributs divins, ils participent aussi à la même spiration active du Saint-Esprit, à une spiration qui n’établit pas entre eux l’opposition des relations d’origine. Franzelin, Examen Macarii, p. 14-18. « Si l’on admet, insistent les théologiens orthodoxes, que l’expression : procède du Père sxippose, loin de l’exclure, l’idée que le Saint-Esprit procède également du Fils, le Fils étant un par essence avec le Père, on devra pareillement admettre que ces paroles : engendré par le Père, n’excluent point, mais supposent que le Fils est aussi engendré par le Saint-Esprit, l’Esprit n’étant un qu’avec le Père. » Macaire, op. cit., t. I, p. 271, 272. Cf. Procopovitch, op. cit., p..33. L’hypothèse est absurde, même en vertu des principes de la théologie orthodoxe. En effet, la théologie orthodoxe, aussi bien que la théologie catholique, admet qu’il y a un ordre d’origine entre les trois personnes divines. La troisième personne ne peut être mentionnée au rang de la seconde, ni la seconde au rang de la troisième. Cet ordre nécessaire n’est pas attesté seulement par l’Écriture dans la formule du baptême, ou par la tradition des Pères. La raison éclairée par la foi montre qu’il est nécessaire. Le Père est la première personne, parce qu’il est la source primordiale de la divinité ; le Fils est la seconde personne, parce qu’il est le terme consubstantiel de l’intellection divine, qui, en Dieu, a une priorité logique sur l’acte de la volonté. Le Saint-Esprit est le troisième, parce qu’il est le terme de l’acte de la volonté. Cet ordre est nécessaire. Si l’on suppose, en effet, que le Saint-Esprit pourrait prendre le rang de la seconde personne, il faudrait aussi supposer que l’acte de la volonté qui tend vers le bien précède l’acte de l’intelligence qui connaît le bien, c’est-à-dire, puisqu’il est question de Dieu, que la volonté divine agit sans sagesse. Nous pouvons donc dire que le Père et le Fils produisent le Saint-Esprit, parce qu’ils précèdent le Saint-Esprit en vertu d’une priorité logique de l’acte de l’intelligence divine sur la volonté divine. Mais nous ne pouvons pas dire que le Père et le Saint-Esprit engendrent le Verbe, parce que le Saint-Esprit, qui est nécessairement troisième dans l’ordre des relations divines, ne peut pas devenir le second. Franzelin, Examen Macarii, p. 20, 21.

Le texte de saint Jean : a Pâtre procedit, contient donc une preuve implicite de la procession du Saint-Esprit du Fils. Tout d’abord, il n’exclut pas le Fils de la spiration du Saint-Esprit par cela même qu’il

attribue cette spiration au Père. Ensuite, il doit être expliqué à la lumière d’autres textes qui déclarent que le Père et le Fils sont un, Joa., x, 30 ; que tout ce que le Père a, est au Fils., Joa., xvi, 15 ;.xvii, 10 ; Matth., XI, 17. Le Père a donc donné au Fils tout ce qui est à lui, hors la paternité. Tout est commun entre le Père et le Fils, déclare saint Athanase, excepté que le Père n’est pas le Fils et le Fils n’est pas le Père. Orat., iii, contra arianos, 4, P. G., t. xxvi, col. 328. La même doctrine est énoncée par saint Cyrille d’Alexandrie. Thésaurus, xiv, P. G., t. lxxv, col. 244 ; Apologeticus pro duodecim capilibus, ix, t. lxxvi, col. 357. Cf. Costanzi, Opuscuta ad revocandos ad sanctam matrem calholicam Ecclesiam dissidentes græcos, Rome, 1807, t I, p. 10-12.

On pourrait, à la rigueur, se demander pourquoi .Jésus-Christ, « après avoir parlé si clairement de lui-même et attribué à lui-même ainsi qu’au Père l’envoi du Saint-Esprit, n’a pas différalement de la procession : Le Saint-Esprit procède de nous. » Macaire, op. rit., p. 272. Marc d’Éphèse posait cette question aux Pères du concile de Florence. Mansi, Concil., t. xxxi, col. 848. Il est inutile de remarquer qu’un théologien n’a pas le droit de demander à Dieu compte des expressions qu’il emploie pour révéler les mystères de la vie divine. Si la question, posée par les théologiens orthodoxes, était légitime, ne pourrions-nous pas aussi demander pourquoi l’Écriture sainte n’a pas employé le mot consubstantiel, qui aurait épargne à l’Église toutes les calamités de l’arianisme ? Dieu est le maître absolu de ses actes et de sa science, et nous n’avons aucun droit de lui faire des remontrances, de ce qu’il n’a pas dissipé tous Us brouillards de notre raison par un ensc ignement plus explicite des vérités révélées. Mais, s’il y a dans l’Écriture des textes qui concluent nécessairement à la procession ah utroque, le silence d’un autre texte n’autorise pas à rejeter cette conclusion. S. Anselme, De processione Spiritus Sancii, xx, P. L., t. ci.viii, col. 314.

D’ailleurs, saint Augustin a prévenu et réfuté l’objection photienne. « Le Fils, en parlant du Saint-Esprit, dit qu’il procède du Père, parce que le Père est l’auteur (la source primordiale) de cette procession. Il a engendré un fils, et en l’engendrant, il a fait en sorte que le Saint-Esprit procède même du Fils. » Contra Maximinum, ii, 14, 1, P. L., t. xur, col. 770. Si le Saint-Esprit procède du Père et du Fils, pourquoi le Fils a-t-il dit : Il procède du Père ? Il l’a fait, parce qu’il a co’atume de rapporter au Père ce qui est à lui, parce qu’il est lui-même du Père. Celui qui donne au Fils l’être divin, lui donne aussi d’être le principe de la spiration du Saint-Esprit. In Joa., tr. XCIX, 8, P.L., t. XXXV, col. 1880, 1890. Le Saint-Esprit est mentionné comme procédant du Père sansqu’on mentionne le Fils, parce que le Père principaliter est l’auteur de cette procession ; mais cela n’implique pas que le Saint-Esprit ne procède pas du Fils. De Trinilale, xv, 17, 29, P. L., t. XLii. col. 1081. Même, si on disait que le Saint-Esprit procède du Père seul, le Fils ne serait pas exclu de cette procession. Car, pour ce qui concerne la production du Saint-Esprit, le Père et le Fils ne s’opposent pas. Ils s’opposent seulement en tant que l’un est Père et l’autre est Fils. S. Thomas, Sum. theoL, 1% q. xxxvi, a. 2, ad 1°™ ; Pierre Chrysolan, op. cit., 1, 6, S, P. G., t. cxxvii, col. 912, 915-919 ; Georges Métochite, op. cit., 19, P. G., t. cxli, col. 1368-1372 ; Blemmydes, De proceisione Spiritus Sancti. orat. I, 19-21, P. G., t. cxi.n, col. 553-556 ; Hugues Etherianus, op. cit., ii, 15, P. L., t. ccii, col. 315-319 ; Franzelin, Examen Macarii, p. 22-24 ; Costanzi, op. cit., p. 12-14 ; rieinrich, op. cit., t. iv, p. 241-243.

Conclusion. — Ce que nous avons dit jusqu’ici met en relief la fausseté de l’assertion suivante du métro773 ESPRIT-SAINT 774

polite Macaire : « La sainte Écriture enseigne bien clairement et même littéralement que le Saint-Esprit procède du Père, mais elle n’enseigne point, ni selon la lettre, ni même selon l’esprit, qu’il procède également du Fils. » Op. cit., p. 28.’}. Les textes que nous avons cités plus haut montrent, au contraire, que la pro cession du Saint-Esprit du Fils est une conséquence logique de la doctrine révélée sur la sainte Trinité. Si on admet cette doctrine, on ne peut pas ne pas admettre les conséquences légitimes qui en découlent ; en d’autres termes, si le Saint-Esprit ne procédait pas du Fils, il n’aurait pas tout ce qu’a le Père, hors la paternité ; il serait et ne seraitpas iaseconde personne ; il ne se distingueri.it pas du Fils. Il n’est donc pas étonni.nt que Mgr Sylvestre Malévanslcy, un des meilleurs théologiens russes modernes, ait préféré ne pas attaquer le dogme latin sur le terrain scripturaire, jugeant qu’il était inutile de commenter les textes qui attestent la procession du Saint-Esprit du Père. Essai de théologie dogmatique orthodoxe (en russe), Kiev, 1892. t. II, p. 137.

Exégèse biblique