Dictionnaire de théologie catholique/DOGME IV. Sources théologiques des dogmes chrétiens

Dictionnaire de théologie catholique
Texte établi par Alfred Vacant et Eugène MangenotLetouzey et Ané (Tome 4.2 : DIEU - EMSERp. 164-166).

IV. Sources théologiques des dogmes chrétiens.

1° Les sources théologiques des dogmes chrétiens sont les organes par lesquels la révélation se manifeste à nous avec son autorité divine toujours obligatoirement digne de foi. Ces organes de transmission sont les divines Écritures contenant l’enseignement divin puisqu’elles sont inspirées par Dieu lui-même, et les traditions divines que l’Eglise nous garantit commeayant été communiquées par Jésus-Christ à ses apôtres et fidèlement transmises jusqu'à nous. Ces deux sources fondamentales des dogmes chrétiens dépendent pratiquement du magistère infaillible de l'Église qui nous garantit leur indéfectible vérité et interprète leur véritable sens.

2° En théologie dogmatique, ces deux sources peuvent être étudiées à un double point de vue : 1. dans le but de reconnaître, par la méthode régressive, les fondements théologiques d’une vérité que le magistère ecclésiastique enseigne manifestement comme révélée ; c’est le travail le plus habituel des investigations théologiques ; 2. pour rechercher dans ces sources, à la lumière des enseignements de l'Église et sous sa direction, les indications scripturaires et traditionnelles en faveur de la révélation d’une vérité non encore définie par l'Église, avec l’intention d'établir, s’il y a lieu, le fait de la révélation et d’en préparer la définition.

A ce double point de vue, nous devons esquisser ici, clans une courte synthèse, l’enseignement théologique sur les deux sources théologiques du dogme révélé, en nous bornant strictement à ce qui relevé du présent article.

1. L'ÉCRITURE SAINTE SOURCE DU DOGME RÉVÉLÉ.

1° Pour que l’enseignement divin contenu dans l'Écriture inspirée soit vraiment un dogme révélé, deux conditions sont nécessaires. — 1. Le sens doit en être suffisamment manifeste. Car l’obligation stricte à la ferme croyance de ce dogme doit supposer son absolue certitude, et l’infaillibilité divine s’oppose formellement à ce que le moindre doute ou la plus légère incertitude puisse jamais exister sur la vérité proposée à notre croyance. Condition assez rarement réalisée en dehors d’unedéfinition dogmatique de l'Église déclarant, avec la plénitude de son autorité, le sens d’un passage de l'Écriture, pour lequel elle demande noire adhésion. Car, sans ce moyen, il est le plus souvent très difficile de posséder la certitude strictement nécessaire sur ces trois points : authenticité' indiscutable du texte de l’auteur sacré, détermination très claire du sens grammatical des mots, el précision indubitable de l’enseignement que Dieu a voulu nous communiquer par ce moyen. Christian l’esch. De inspiratione sacra Scripturæ, p. 119.

2. L’enseignement certainement manifesté par l'Écriture doit être proposé par l'Église comme révélé et

c ie tel impose à notre croyance, ainsi que l’exige

la définition du dogme catholique. Condition réel le me ni absente dans beaucoup d’affirmations scripturaires qui

ne se rapportent que très incidemment ou très accessoirement à notre fin surnaturelle et qui ne sont point par elles-mêmes proposées à notre croyance. C’est en ce sens que saint Thomas répond : Dicendum estergo quod fidei objectum per se est id per quod liomo beatus efficitur, ut supra dicLum est ; per accidens autem aut secundario se habent ad objectum /idei omnia quæ in sacra Scriplura divinitus tradita continentur : sicut quod Abraham habuil duos /ilios, quod David fuit filius lsaï et alia liujusmodi. Quantum ergoad prima credibiliaquæsunt articuli (idei, teneturhomo explicite credere, sicut et tenetur haberefidem : quant uni autem ad alia credibilia, non tenetur ltomo explicite credere quidquid divina Scriptura continet : sed lune soluni hujusmodi tenetur explicite credere quando hoc ei constiteril in doclrina fidei contineri. Sum. theol., II a II, q. ii, a. 5. Cette doctrine est également soutenue par le P. liillot, De virtutibus infusis, Rome, 1901, p. 231.

2° Quand l'Église définit qu’un texte scripturaire contient un dogme révélé dont elle détermine le sens précis, c’est un devoir strict pour les exégètes catholiques d’adhérer à cette délinition irréformahle. C’est ce qu’enseignent formellement le concile de Trente, sess. IV, Decretum de editione et usu sacrorum librorum, le concile du Vatican, sess. III, c. ii, l’encyclique Providentissimus Deus de Léon XIII du 18 novembre 1893, et le décret LamentabiH du 3 juillet 1907 réprouvant les propositions 2-4 : Ecclesise interprelatio sacrorum librorum non est guident spernenda, subjacet tamen accuraliuri exegetarum judicio et correctioni. — Ex judiciis et censuris ecclesiaslicis contra libérant et cultiorem exegesim latis colligi potest /idem ab Ecclesia propositam cunlradicere historiée, et dogmata catholica cum verioribus Christian ee religionis originibus componi reipsa non posse. — Magisteriuiu Ecclesise, ne per dogmaticas qu’idem definiliones, genuinum sacrarum Scripturarum sensum determittare potest. Il est d’ailleurs évident que cette soumission au magistère ecclésiastique n’entrave d’aucune manière la démonstration exégétique qui reste toujours libre de se développer sur le terrain scientifique avec sa méthode propre et ses ressources particulières : Nec sane ipsa Ecclesia vetat ne liujusmodi disciplinai in suo quæque ambitupropriis ulantur principiis et propria melhodo ; sed juslam hanc libertatem agnoscens, id sedulo cavel ne divins doctrinse repugnando errores in se suscipiant, aut fines proprios transgressai, ea quiu sunt /idei occupent et perturbent. Concile du Vatican, sess. III, c. IV.

Il est non moins évident qu’une délinition dogmatique d’un sens scripturaire ne comporte pas toujours nécessairement la réalité historique de tous les détails d’un fait dogmatique défini par l'Église. Ainsi la définition du concile de Trente relative a la transgression du commandement divin par Adam, sess. V, De peccalo original ! , can. 1 sq., n’oblige pas nécessairement à admettre la réalité historique intégrale de toutes les circonstances du fait rapporté' dans la Cenèse. Car il n’est pas invraisemblable que ce récit transmis oralement puisse, au moins pour quelques détails, appartenir à la catégorie des traditions orales, dont l’interprétation historique doit èlre moins stricte, parcequ’elles abondent habituellement en tours imagés et en expressions métaphoriques. Christian Pesch, De inspiratione sacrée Swipturse, p. 548 sq.

3° En dehors des textes définis par l'Église, on ne devra apporter comme preuves théologiques d’un dogme proposé par l'Église à noire croyance, que les textes dont la démonstration répond aux légitimes exigences de la critique biblique. La grave remarque de saint Thomas sur l’emploi abusif de preuves rationnelles insuflisantes pour démontrer une vérité de foi, ne forte

aliquis quod fidei est demonstrare prsssumens, raliones non necessarias inducat quæ praibeanl materiam irridendi infidelibus existimantibus nos propter hujus modi rationes credere quæ /idei sunt, Sum. theol., ! >, q. xi. vi, a. 2, doit, avec non moins de raison, s’appliquer à l’a bus des textes insuflisa m ment démonstratifs en faveur d’un dogme proposé par l’Eglise comme révélé. Leur emploi n’est pas moins nuisible à la cause catholique dans des démonstrations qui doivent être probantes. Il n’y a d’ailleurs aucun inconvénient à ce que plusieurs vérités de foi ne puissent point être démontrées par les Écritures ; car celles-ci n’ont point été composées pour nous communiquer toute la révélation. Ce rôle appartient au seul magistère infaillible de l'Église. Quant à la détermination des légitimes exigences de la critique biblique, elle sera indiquée aux articles spéciaux.

4° Il est hors de doute que l’usage dogmatique des textes scripturaires chez les Pères et chez les théologiens n’a pas toujours été exempt de tout défaut. L’histoire de la théologie ne manque pas d’exemples de textes en eux-mêmes non démonstratifs, apportés sans garantie suffisante en faveur de tel ou tel dogme révélé, puis éliminés par le travail critique des théologiens, comme le texte de saint Jacijues : Confilemini ergo allrrutrum peccala vestra, Jac, v, 16, employé par plusieurs théologiens scolastiques pour prouver la nécessité du sacrement de pénitence qu’ils supposaient n'êlrepointprouvée par le texte : Quorum remiseritis. Joa., xx, 23. Ce fut notamment la pensée de Hugues de SaintVictor, De sacramentis christianx fidei, I. II, part. XIV, c. i, /'. L., t. CI.XXVI, col. 552 ; de Pierre Lombard, Sent., l. IV, dist. XVII, n. 4, P. L., t. CXCII, col. 882 ; el de Richard de Saint-Victor, Traclalus de potestate ligandi et solvendi, c. v, P. L., t. exevi, col. 11(53. Voir Confession dans LA Bible, t. iii, col. 834 sq.

Il est d’ailleurs bien avéré que l’emploi de ces texti s non démonstratifs n’a eu aucune répercussion sur le dogme lui-même.

II. LA TRADITION SOURCE DU DOGME RÉVÉLÉ.

Pour

que la tradition trans ttant l’enseignement divin non

consigné dans l'Écriture et promulgue par les apôtres comme révélé au moins implicitement par Jésus-Christ, soit une source certaine du dogme révélé, elle doit, avec une succession constante et une suffisante unanimité, affirmer une vérité comme révélée et comme obligatoirement imposée à notre croyance.

1° La délinition du dogme exige que la vérité à laquelle la tradition rend témoignage, soit enseignée par elle comme vérité au moins implicitement révélée et comme obligatoirement imposée à l’adhésion de tous les fidèles. Ainsi sont écartées les traditions, si unanimes qu’elles soient du moins à une époque, relatant simplement des opinions tout humaines telles que les anciennes interprétations de la cosmogonie mosaïque, ou relatant même des conclusions théologiques très certaines mais non proposées comme révélées, telles que l’existence de la grâce habituelle dans l’humanité du Verbe incarne ou l’existence d’une grâce sacramentelle distincte dans chacun des sacrements.

2° Le fait du témoignage constant et universel en faveur de cet enseignement révélé et évidemment obligatoire, doit être certainement démontré ou par l’argument de prescription ou par la discussion des textes ou documents appartenant aux diverses périodes de l’histoire de la théologie. — 1. L’argument de prescription inauguré par saint Irénée, Contra hær., 1. 111, pra ?f. et c. i-v, P. G., t. vii, col. 843 sq., et Tertullien, De prsescriptionibus, c. xxi sq. ; xxxvisq., P. L., t. ii, col. 33 sq., 37 sq., 49., et depuis communément adopté par les Pères, S. Rasile, Adv. Eunomium, l. II, n. 8, P. G., t. xxix, col. 586 ; S. Augustin, Episl., liv, ad Januarium, n. 1, P. L., t. xxxui, col. 200 ; S. Vincent de Lérins, Commoniluriinn primum, n. 2 sq., P.L.,

t. l, col. 610 sq., est d’une constatation facile et d’un fondement très sûr ; mais il ne possède point une valeur scientifique considérable, parce qu’il ne fournit aucune preuve critique immédiate et qu’il ne résout point directement les objections adverses. Bainvel, De magisterio vivo et traditione, p. 64.

2. Quant à la discussion scientifique des textes ou documents appartenant aux diverses périodes de l’histoire, on doit particulièrement observer qu’elle relève à la fois de la critique historique et de l’autorité de l'Église. Tributaire de la critique historique, elle doit en suivre toutes les règles légitimes ; mais elle doit en même temps être soumise à l’autorité de l'Église au moins quant à l’acceptation intime des vérités proposées par elle comme révélées ou comme certainement connexes à la doctrine révélée ; et pour remplir ce devoir elle est tenue d'éviter les excès réprouvés par l’encyclique Pasccndi dans la description du moderniste considéré comme critique, excès que Léon XIII avait déjà condamnés dans l’encyclique Providentissimus Deus du 18 novembre 1893.

3. Observons enfin que certains défauts de critique, historiquement constatés chez les Pères ou les théologiens dans l’emploi dogmatique des témoignages traditionnels, ne compromettent aucunement ni la preuve traditionnelle ni le dogme catholique, soit parce que d’autres preuves valables ne font point défaut, soit parce qu’aucun développement dogmatique postérieurement approuvé par l’Eglise n’est résulté de ces erreurs. Il n’est point nécessaire de rappeler ici des faits universellement connus, comme de nombreux documents ou textes faussement attribués à Denys l’Aréopagite, à saint Augustin, à saint Jérôme ou à d’autres Pères et sur lesquels on s’appuyait souvent en majeure partie.

Nous ne parlerons point ici de la raison comme source du dogme révélé. Car selon l’enseignement du concile du Vatican, sess. III, c. ii, ni, il est certain que, même après la manifestation du fait de la révélation, la raison est totalement impuissante à démontrer le dogme révélé, puisque celui-ci dans sa nature intime reste inaccessible à la raison humaine. Tout ce dont la raison est alors capable, est de montrer la non-valeur démonstrative des objections de raison dirigées contre la vérité révélée, S. Thomas, Cont. gent., l. I, c. vii, ou de faire ressortir pour les croyants toutes les raisons de convenance qui nourrissent et fortifient la piété et l’amour de Dieu. Cont. gent., l. I, c. ix. On sait d’ailleurs le rôle que joue la raison dans la perception des motifs de crédibilité' qui précède l’acte de foi. Voir Crédibilité.