Dictionnaire de théologie catholique/DOGMATIQUE II. Méthode

Dictionnaire de théologie catholique
Texte établi par Alfred Vacant et Eugène MangenotLetouzey et Ané (Tome 4.2 : DIEU - EMSERp. 132-136).

II. Méthode

Nous examinerons particulièrement pour la dogmatique :
1o le rôle que doit y avoir la méthode positive ;
2o le rôle que l’on doit assigner à la méthode scolastique ;
3oà laquelle de ces deux méthodes on doit donner la préférence.

I. MÉTHODE POSITIVE.

1o En quoi elle consiste.


1. L’expression de théologie positive, employée pour la première fois à fin du xvie siècle, fut usitée dans des sens assez divers pendant le xviie et le xvili*. Tandis qu’elle signifie, pour Becanus († 1624), la théologie oratorio stylo ulens, par opposition à la scolastique avec ses procédés dialectiques, sen style simple, précis et didactique, Summa theologiie scholaslicse, disp. promu., q. i et il, Lyon, 1690, p. 1, 3, sens encore adopté par Gonet ([-'1681), Clypetis theologiie lliomistiese, disp. proœm., Anvers, 174-4, t. i, p. 1 ; elle est pour Sylvius (-j- 1648), la théologie qui s’attache à l’explication de l’Ecriture, pour en découvrir le sens ex sernwnis contexlu, vocum proprietate, sanctorum Patrum aliorumque interpretum auctoritale et qui, après avoir trouvé ce sens, pose et établit comme principes les vérités ainsi contenues dans l’Ecriture. Commentarius inSum. theol., in I am, q. i, a. 1, quær. iii, Anvers, 1698, t. i, p. 5. Philippe de la Sainte-Trinité (y 1671j restreint la théologie positive à une exposition de l'Écriture per humilias, sermones, etc., et fait dériver le nom de positive de ce que cette science point aliquid supra Scripluram. Uisputationes l/ieologicse, in l a " disp. I, dub. i, Lyon, 1653, t. 1, p. 5. Ilenno (y 1713) reproduit simplement la notion de Becanus et de Gonet. Theologia dogmatica morali ri scholaslica, disp. proœm., q. i, concl. ii, Venise 1719, t. i, p. 1. Frassen (y 1711), réunissant dans une même définition le concept de Iîecanus et celui de Sslvius, enseigne que, dans la théologie positive, les vérités île foi sont posées comme des principes d’où la scolastique, avec ses procédés philosophiques et syllogistiques, déduit ses conclusions, et que d’ailleurs la positive est entièrement consacrée à l’exposé du droit divin positif comprenant la loi divine, les saintes Écritures et les traditions divines ainsi que les décrets de l’Eglise. Scotus aeademicus, disp. proœm., a. 1, q. i et ii, Home, 1720, t. i, p. 7, 14.

Les deux concepts de Becanus et de Sylvius sont pareillement unis par Tournely († 1729), Prxlectiones île Dm iiiio et trino, Paris, 1725, t. i, p. 6, par le cardinal Gotli (y 1742), Theologia scolastico-dogmatica, tr. I, q. i, dub. I, Venise, 1750, t. i, p. 2, et par Billuart (y 1757), Summa sancti Thomas, disp. proœm., a. 1, Paris, 1886, t. i, p. 3. Enfin au XIXe siècle, écartant définitivement la question toute secondaire du style et voulant marquer plus nettement le rôle prépondérant de la tradition toujours vivante dans l’Eglise, on définit communément la méthode positive : celle qui, avec l’appui de l’Ecriture, de la tradition et de l’enseignement de l'Église, recherche ce qui est contenu dans la révélation divine et comment il y est contenu. Eranzelin, De divina tradilione, 4e édit., Home, 1896, p. 672 ; Hurter, Théologies dogmatiese compendium, 4e édit., Inspruck, 1883, p. 2 sq. ; Pesch, Prælectiones dogmatiese, 'réélit., Fribourg-en-Brisgau, 1909. 1. 1, p. 9 ; Th. Coconnier, Revue thomiste, 1902, p. 630 ; M. Jacquin, Revue des sciences philosophiques <'t théologiques, janvier 1907, p. 99 sq. C’est encore ce que l’on a souvent désigné sous le nom de théologie historique, consistant principalement en une démonstration et une exposition historique des dogmes révélés, appuyées uniquement sur le témoignage historique de l'Écriture et de la tradition. Th. Coconnier, Revue thomiste, 1902, p. 630.

En réalité, la théologie positive ou historique a un double rôle : établir, par les preuves d’autorité, l’existence de tel dogme et en retracer en même temps le développement historique, tant dans les écrits inspirés de l’un et l’autre Testament que dans tout l’ensemble de la tradition des Pères et des théologiens. Bestreinte à l'étude de la doctrine effectivement contenue dans les écrits inspirés, elle prend le nom de théologie biblique de l’un et l’autre Testament. Appliquée à la recherche du témoignage de la tradition au cours des siècles sous toutes les formes où celle-ci se manifeste, assertions des Pères et des théologiens, attestations documentaires de toute sorte et définitions de l’autorité ecclésiastique, la théologie positive ou historique prend les divers noms particuliers de théologie patristique, théologie liturgique, symbolique ou conciliaire. Mais, quel que soit l’objet de ses investigations, elle doit, pour ce qui la concerne strictement, s’abstenir des déductions partiellement appuyées sur le raisonnement et avoir uniquement recours à l’autorité scripturaire, patristique ou ecclésiastique.

2o Nécessité de la méthode positive en dogmatique. —

1. Cette nécessité résulte du caractère même de la théologie dogmatique. Désireuse d’acquérir des vérités révélées une connaissance scientifique dans la mesure actuellement possible, la théologie dogmatique doit tout d’abord s’assurer de l’existence et de la vérité des principes révélés sur lesquels toutes ses conclusions ultérieures doivent être appuyées. Cette justification ne pouvant être faite que par la manifestation du témoignage divin, seule source authentique de la révélation, il est donc rigoureusement nécessaire de démontrer, en premier lieu, comment et dans quel sens ces vérités sont affirmées par l’enseignement divin contenu dans l'Écriture et dans la tradition et proposé par l’Eglise à notre croyance. C’est en ce sens que saint Thomas et après lui tous les théologiens scolastiques ont affirmé que la théologie repose principalement sur l’argument d’autorité' : argumentari ex auctoritale est maxime proprium hujus doctrines, eo quod principia hujut

doclrinx per revelationem habentur. Sain, theol., 1*, q. [, a. 8. Il est d’ailleurs évident que cette démonstration n’a point pour but de conduire à la foi qui est déjà possédée. C’est une démonstration simplement régressive, destinée à justifier, pour chaque vérité révélée, la foi déjà possédée, en montrant comment cette vérité est contenue dans la révélation et en quel sens on doit l’interpréter.

2. La nécessité d’une solide démonstration positive par la vérification régressive des sources authentiques de la révélation est particulièrement impérieuse à l'époque actuelle, en face des négations radicales et des multiples exigences de la critique historique ou biblique. C’est le seul moyen d'écarter efficacement les attaques des adversaires et de préserver suffisamment la foi des fidèles. C’est ce que proclament hautement les partisans les plus convaincus de la méthode scolastique. Th. Coconnier, Revue thomiste, 1002, p. 632. C’est surtout ce que recommande Pie X dans l’encyclique Pascendi, exigeant que l’on donne aujourd’hui plus d’imporlance qu’autrefois à la théologie positive, à la charge toutefois d’observer certaines conditions et restrictions : Addim us lac eos eliam nobis laude dignos videri qui incolumi reverentia evga tradilionem et Patres et ecclesiasticum magislerium, sapienti judicio catholicisque usi normis, quod non xque omnibus accidit, theologiam positivant, mutuato a ueri nominis historise lumine collustrare studeanl. Major profeclo quam anlehac positivée théologies ratio est habenda ; id lamen sic fiât, ut nihil scholastica detrimenti captât, iique reprehendantur, utpote gui modernistarum rem gérant, quicumque positiva))i sic extollunt ut scholaslicam theologiani despicere videantur.

Conditions à y observer.

1. Qu’il s’agisse de l’examen critique de la provenance des documenls employés, ou de l'étude critique du texte, ou de sa fidèle interprétation, on doit, dans tout ce qui est du domaine de la théologie positive, se garder avec soin, soit d’un recours exclusif ou excessif aux preuves internes aux dépens des preuves extrinsèques d’authenticité, soit d’une liberté répréhensible vis-à-vis du surnaturel, particulièrement vis-à-vis du miracle et de la révélation et en général vis-à-vis du dogme catholique : double excès blâmé par Léon XIII dans l’encyclique Providentissimus Deus du 18 novembre 1893 et par Pie X dans » l’encyclique Jucunda tune du 12 mars 1904 et dans l’encyclique Pascendi du 8 septembre 1907. On devra aussi se mettre en garde contre les suppositions ou interprétations souvent bien fantaisistes de l’hvpercritique. Voir Critique, t. iii, col. 2331.

2. Pour ce qui concerne particulièrement la théologie biblique : a) il y a pour tout catholique obligation stricle de se soumettre intégralement aux définitions de l'Église, déclarant authentiquement l’interprétation qui doit être donnée à tel texte scripturaire. C’est l’enseignement formel du concile de Trente, sess. IV, et du concile du Vatican : tjuoniam vero quæ sancta Tridentina synodus de. interpretatione divinee Scripturse ad coercenda petulantia ingénia salubriler derrevit, a ijuibusdam hominibus prave exponuntur, nos idem decretum rénovantes, hanc illius menlem esse déclarant us, ut in rébus fidei et morum ad œdificationem doctrinx. christianee pertinentium, is pro vero sensu sacrse Scripturx habendus sil, quem tenuit ac lenet sancta mater Ecclesia, cujus est judicare de vero sensu et interpretatione Seriplurarum sanctarum ; algue ideo nemini licere contra hune sensum aul eliam contra utianimem sensum Palruni ipsani Scripluram sacram interpretari, sess. III, c. II. Parmi les quelques textes dont le sens est ainsi

authentiqueinonl défini, nous citerons particulièrement : a) Joa., xx, 23, qui selon l’enseignement du concile de Trente, sess. XIV, c. i et can. 3, doit s’entendre de potestate remittendi et retinendi peccala in sacramento pxiiitenlix : b) les paroles de l’institution de la sainte eucharistie, signifiant certainement le dogme de la présence réelle, selon la déclaration du concile de Trente, sess. XIII, c. i ; c) Luc, xxii, 19, qui, selon l’interprétation du concile de Trente, sess. XX II, c. i et can. 2, manifeste l’institution du sacerdoce chrétien ; d) Matth., XVI, 18, et Joa., xxt, 15 sq., exprimant certainement la primauté elfective, accordée à Pierre et à ses successeurs jusqu'à la consommation des siècles, au jugement du concile du Vatican, sess. IV, c. i.

En demandant au théologien biblique de se soumettre à ces définitions, l'Église ne veut aucunement le contrarier ou le gêner dans sa démonstration biblique. En lui donnant l’assurance que telle vérité est véritablement enseignée par le texte inspiré, elle n’empêche point l’exégète catholique de prouver, d’une manière régressive et par des arguments strictement bibliques, l’appartenance elfective de telle vérité à l’enseignement scripturaire. Car c’est un principe très assuré que l'Église laisse aux diverses sciences la liberté de suivre leur méthode particulière, pourvu que celles-ci rejettent les erreurs opposées à l’enseignement divin et qu’elles ne dépassent aucunement leurs propres attributions : Nec sane ipsa vetat ne hujusmodi disciplinas tu suo quæque ambitu propriis utantur principiis et propria methodo ; sed juslam hanc liberlatem agnoscens, id sedulo caret ne divinse doctrinx repugnando errores in se suscipiant, aut

1 fines proprios transgressée, ea quæ sunt fidei occupent et perturbent. Concile du Vatican, sess. 111, c. iv. Enseignement particulièrement appliqué à la théologie biblique par Léon XIII dans l’encyclique Provideutis

! simus Deus d » 18 novembre 1893 : Qua plena sapientise

lege nequaquam Ecclesia pervestigationem scientix biblicx retardât aut coercet : sed vain potiusab errore integram præstat, plurimumque ad veram adjuvat progressionem. Nam pnvato cuique doclori magnus palet campus, in quo, tutis vestigiis, sua interpretandi industria prxdare certet Ecclesixque militer.

b) Quand l’Eglise n’a pas défini l’interprétation que l’on doit donner à un texte particulier, il y a toujours obligation stricte pour le théologien biblique de se conformera l’analogie de la foi, en n’admettant jamais,

' comme interprétation légitime du texte sacré, un sens qui soit en désaccord avec l’enseignement catholique tel qu’il est proposé par l'Église : In ceteris analogia fidei sequenda est, et doctrina catholica qualis ex auctontate Ecclesia accepta, tanquam summa nornta est ad/iibenda : nam cum et sacrorum lihrorum et doctrinx apud Eeclesiam depositx idem sit auctor Deus, profeclo fieri nequit ut sensus ex illis qui ab hac quoquo modo discrepet, légitima interpretatione eruatur. E.r quo apparet eam interpretationem vt ineplamet faisant rejidendam esse (iitæ rel inspiratos auctores in se quodammodo pugnantes faciat, vel doctrinx Ecclesix adversetur. Encyclique Providentissimus Deus du 18 novembre 1893.

c) Sans ignorer ni, à plus forte raison, désapprouver les conclusions légitimement déduites du texte scripturaire, conclusions dont la connaissance et l’intelligence lui sont d’ailleurs, le plus souvent, très utiles, le théologien biblique, pour ce qui concerne sa spécialité, doit se borner à la recherche de l’enseignement réel de l'écrivain sacré. Pour atteindre convenablement ce but, il doit recourir à une fidèle analyse de tous les textes particuliers et à une complète synthèse de tous ces mêmes textes rapprochés, comparés el

i replacés dans leur cadre historique intégral, pour que

les développements ou compléments successifs de l’enseignement sacré puissent être plus facilement saisis. F. Prat, La théologie de saint Paul, Paris, 1908, p. 1 sq. ; E. Tobac, Le problème de la justification dans saint Paul, Louvain, 1900, préface, p. ix sq.

Sans ce travail de synthèse on court souvent le risque de ne point saisir l’exacte teneur du dogme scripturaire. Ainsi le terme Fils de Dieu, bien qu’il n’ait peut-être pas nécessairement, dans chacun des textes évangéliques, le sens très déterminé de Fils consubstantiel de Dieu le l'ère, le possède très certainement dans l’ensemble des textes, ainsi qu’il résulte de la condamnation formelle portée par le décret Lamentabili contre cette proposition 30e : In omnibus textibus evangelicis nomen Filius Dei œquivalet lantum nomini Messias, minime vero signifiait Christum esse verum et naturalem Dei Filium. De même, l’expression évangélique du dogme de la rédemption dans Matth., xxvi, 28 ; xx, 28, et dans les endroits parallèles des autres évangélistes, doit être prise conjointement avec les passages où saint Paul formule explicitement cet enseignement. Rom., ni, 2ï sq. ; v, Il sq. ; II Cor., v, 21 ; Eph., v, 2 ; Colos., n. 13 sq. ; Heb., v, 1 sq. ; vii, 27 ; ix, I i sq.

d) Si l’on ne peut exiger du théologien biblique qu’il poursuive habituellement dans ses investigations un but apologétique ou dogmatique, on ne peut non plus le lui interdire. Car tout ce qu’on est en droit d’exiger au point de vue scientifique, c’est que la méthode propre à la science exégétique et à la science historique soit rigoureusement observée, en tenant particulièrement compte du caractère des livres sacrés. D’ailleurs, selon l’encyclique Providentissimus Deus, la préoccupation dogmatique doit exister chez l’exégèle catholique, au moins pour les textes dont le sens est défini par les écrivains sacrés ou par l’autorité de l'Église, et dont il doit, selon ses forces, justifier scientifiquement l’interprétation authentique : Quapropter præcipuum sanctunicjue sit catholico interpreli, ut Ma Scripturse testimonia, quorum sensus authentice dcclaralus est, aut per sacros auctores, Spirilu Sanclo af/lanle, uti mullis in locis Novi Testament ! , aut per Ecclesiam, eodem sancto adsistente Spiritu, sive solemni judicio, sive ordinario et universali magisterio, eadem ipse ratione interprète/ ur : atque ex adjumentis disciplinée sua convincat, eam solam interprelationeni, ad sanse licrmeneuticse leges, posse recle probari.

e) Puisque selon l’encyclique Providentissimus Deus, bien que l’on doive tenir en grande estime l’interprétation des Pères, considérés même comme docteurs particuliers, il est permis, ubi jusla causa adfuerit, de recourir à une explication autre que la leur, rien n’empêche le théologien biblique de préférer des auteurs plus récents, toutes les fois que la question est actuellement posée d’une manière bien différente, comme il arrive souvent dans ces éludes encore nouvelles. F. Tobac, op. cit., préface, p. x.

II. MÉTBODE SCOLASTIQDE.

1° /'.'// quoi consiste cette méthode ? — Il importe souverainement de distinguer ce qui constitue essentiellement la méthode scolastique et ce qui est seulement son habituel accompagnement. — 1. Ce qui constitue essentiellement la méthode scolastique, indépendamment des circonstances accidentelles d'écoles et de systèmes, c’est l’emploi habituel de la raison subordonnée à l’autorité de la révélation chrétienne, telle qu’elle est enseignée par le magistère de l'Église ; non pour prouver les dogmes toujours inaccessibles à toute preuve rationnelle, même après l’adhésion de la foi, mais pour écarter les objections de raison contre les vérités révélées, pour montrer les harmonies intimes des dogmes avec les vérités rationnelles ou avec les

autres vérités révélées, et surtout pour déduire des vérités révélées des conclusions aussi étendues que possible sur la nature des enseignements divins. C’est en ce sens que Léon XIII déclare dans son encyclique A’Aerni Palris que ce qui est propre et particulier aux théologiens scolastiques, c’est d’unir par un lien très étroit la science humaine et la science divine. C’est d’ailleurs un fait évident pour quiconque étudie attentivement l’histoire de la scolastique.

2. Ce qui constitue simplement l’habituel accompagnement de la méthode scolastique, c’est la forme didactique, simple, brève, le plus souvent syllogistique, où domine la constante préoccupation de la clarté et de la précision, où tout est soigneusement dirigé vers l’unique fin immédiate de l’instruction ou de l'éducation de l’intelligence. C’est la forme adoptée par saint Thomas selon l’indication qu’il donne lui-même dans le prologue de sa Somme théologique : propositum nostræ intentionis in hoc opère est, ea quæ ad christianam religionem pertinent, eo modo tradere secundum quod congruii ad erudilionem incipienlium. D’où sa sollicitude que son exposition soit courte et lucide, breviter ac dilucide. Cette méthode n’est d’ailleurs qu’une application de ce qu’enseigne le saint docteur, expliquant comment le maître doit aider le travail de son disciple, en se servant de ce qui est déjà connu pour conduire à la connaissance de ce qui est encore ignoré et en montrant au disciple comment il doit se guider lui-même dans sa marche progressive des principes aux conclusions. Suri}, theol., D, q, CXVII, a. 1. Ce procédé qui a pour l’intelligence une haute valeur éducative, produit d’excellents résultats si on en restreint l’usage à l’enseignement technique qui est toute sa raison d'être et son unique but. T. Richard, Elude critique sur le but et la nature de la scolastique, dans la Revue thomiste, 1904, p. 179 sq. Universaliser ce procédé en l’employant pour d’autres lins, s’en servir par exemple dans la chaire ou dans des compositions littéraires ou liturgiques, est une application défectueuse de la scolastique ; si, à l'époque de la décadence, de tels abus ont été réellement commis, la scolastique elle-même ne doit point en être rendue responsable.

3. A la méthode scolastique est en fait intimement associée la doctrine communément appelée scolastique, parce qu’elle a été habituellement admise par les meilleurs auteurs scolastiques. Cette doctrine spécialement louée en saint Thomas par le saint-siège, notamment par Pie IX, Léon XIII et Pie X, doit être pour tous les catholiques l’objet d’une profonde estime et d’une préférence toute particulière. C’est ce qui résulte de la condamnation portée par Pie IX contre cette proposition 15e du Si/llabus : Met/iodus et priucipia quibus antiqui doctores scolastici theologiam excoluerunt, temporum nostrorum necessitatibus scientiarumque ptogressui minime congruunt. C’est aussi l’enseignement fréquemment répété par Léon XIII et par l’ie X, insistant sur la restauration de la doctrine de saint Thomas en tout ce qui n’est point infirmé par des documents postérieurs ou n’est aucunement répréhensible, sans toutefois désapprouver les doctes travailleurs qui emploient leur talent, leur érudition, ainsi que toutes les ressources des inventions nouvelles pour développer l’acquis philosophique déjà possédé.

Ces recommandations pontificales sont d’autant plus impérieuses que, selon les documents précités, la défense de la foi catholique contre les erreurs rationalistes ou modernistes y est gravement intéressée : Deinde plurimi ex Us hominibus qui abalienalo a fi.de animo instituta catholica oderunt, solam sibi esse magistram ac ducem rationem profitentur. A' 1 hos autem sanandos et in gratiam cum fide catholica

restituendos, praater supematurale Dei auxilium nihil

esse opporlunius arbitramur quant solidarn Patrum et scholasticorum doctrinam qui firmissima fidei fundamenta, divinam illius originem, certani veritatem argumenta qtiibus suadetur, bénéficia in humanum genus collata, perfeclamque cum ralione concordiam tanla evidenlia et vi commonstrant quanta fieclendis menlibus vel maxime invitis et repugnantibus abunde sufficiat. Encyclique AL’terni Patris. Dans le même sens, Pie X indique, comme premier remède contre l’invasion et les funestes ravages du modernisme, l’étude et l’enseignement de la philosophie scolastique, qu’il dit formellement être celle de saint Thomas : Primo igitur ad studia quod altinet, volumus probeque mandamus ut philosophia scholaslica studiorum sacrorum fundamentum ponatur. Quod rei caput est, philosopliiam scliolaslicam quam sequendam prœscribimus, eam præcipue ititelligimus quæ a sancto T/ioma Aquinate est tradita : de qua //uidquid a decessore nostro sancilum est, id omne ingère volumus et qua sit opus instauramus et cotifirmamus, stricteque ab universis servari jubemus. Encyclique Pascendi.

Nécessité de cette méthode en dogmatique.


1. Cette nécessité résulte de ce que la dogmatique serait autrement incapable d’accomplir deux fonctions qui lui appartiennent essentiellement : réaliser, dans la mesure actuellement possible, la connaissance scientifique des vérités révélées, et défendre efficacement contre les objections rationnelles chacun des enseignements divins. Ces deux fonctions ne peuvent être accomplies sans un fréquent emploi de la raison philosophique, empruntant surtout aux analogies créées les lumières nécessaires pour établir de solides déductions théologiques ou pour montrer la non-valeur démonstrative des objections adverses. C’est ce qu’enseigne le coçcile du Vatican, quand il déiinit que la raison éclairée par la foi peut, avec une recherche attentive et pieusement discrète, obtenir des mystères divins une très fructueuse intelligence, par l’analogie des choses créées et par la comparaison des mystères entre eux et avec leur liii, sess. III. c. iv. C’est particulièrement aussi l’enseignement de Léon XIII, dans l’encyclique AUterni Patris du 4 août 1879, mentionnant la philosophie chrétienne comme étant vraiment ce qui constitue la théologie comme science, par l’ordre et la cohésion qu’elle établit dans ses preuves et dans ses conclusions, par la puissance qu’elle lui donne de répondre aux objections adverses empruntées principalement à la philosophie antichrétienne, et par la fructueuse intelligence des mystères qu’elle retire surtout de la connaissance des analogies créées et de la comparaison des mystères entre eux et avec leur fin. C’est d’ailleurs ce que recommandait déjà saint Thomas, quand il enseignait dans ses Quod li bel a que les preuves d’autorité suffisent pour établir le fait de la révélation de telle vérité divinement enseignée, mais que le recours à la raison est nécessaire pour donner l’intelligence de cette vérité : Queedam vero disputatio est magistral is in scliolis non ad removendum errorem, sed ad instruendum auditores ut inducantur ad intelleclum veritatis quam intendit ; et lune oportet rationibus inniti ivvestigantibus veritatis radicem et facientibus scire quomodo sit verum quod dicitur ; alioquiit si nullis auctorilatibus magister quæstionem determinel, certificabitur guident auditor quod ita est ; sed nihil scientise vel intellectus acquiret, sed vacuus abscedet. Quodlibet., IX, q. ix, a. 18.

Or, suivant la délinition précédemment indiquée, cet usage de la raison philosophique au service de la foi et sous la direction de l’Église, c’est précisément ce qui constitue essentiellement la méthode scolastique. Seule d’ailleurs, comme l’enseignent Léon XIII dans l’encyclique Au terni Pal ri s et Pie X dans l’encyclique Pascendi, la scolastique possède la solidité et la cohésion nécessaires pour accomplir le grand œuvre désiré. Il est donc impérieusement nécessaire de la joindre à la théologie positive dont nous avons précédemment montré la nécessité non moins rigoureuse.

2. La méthode scolastique est particulièrement requise à notre époque pour lutter efficacement contre les multiples et dangereuses attaques de la critique contemporaine. Car si la méthode positive peut donner à la critique une réponse péremptoire sur telle donnée scientifique, sur tel texte ou tel document, elle est par elle-même incapable de combattre victorieusement les faux principes philosophiques, qui le plus souvent accompagnent et dirigent les procédés de la critique actuelle. C’est la conclusion que tout lecteur attentif devra particulièrement retirer de l’encyclique Pascendi de Pie X. Puisque, selon l’enseignement pontifical, la critique dont s’inspirent le plus souvent les ennemis de notre foi en matière historique ou exégétique, s’appuie généralement sur des idées philosophiques préconçues et très nettement arrêtées, il est souverainement nécessaire que l’on combatte efficacement ces fausses conceptions philosophiques si l’on veut sérieusement pourvoir à la défense religieuse. Or la philosophie scolastique peut seule opposer une résistance logique et effective à ces faux principes philosophiques sur lesquels s’appuie la critique moderniste : principe de l’agnosticisme, principe de la transfiguration des choses par la foi et principe de défiguration. Seule la philosophie scolastique peut combattre victorieusement toutes les objections adverses et établir solidement les vérités attaquées jusque dans leurs fondements rationnels. Enfin la méthode scolastique peut seule aider à satisfaire pleinement les intelligences travaillées par le rationalisme ou préoccupées de répondre à ses questions ou à ses objections. C’est en ce sens surtout que Léon XIII, dans le texte déjà cité de l’encyclique .Kterni Patris, signale la philosophie scolastique comme étant, après le secours divin, le moyen le plus opportun de combattre le rationalisme contemporain.

Conditions à observer.

Pour que les avantages que l’on attend de la scolastique puissent être pleinement réalisés, on doit soigneusement éviter certains excès ou abus, desquels beaucoup de scolastiques ne se sont pas toujours assez préservés.

1. La déduction scolastique ne doit jamais se substituer à la démonstration positive, scripturaire ou patristique dans les matières qui exigent cette démonstration, ni servir d’occasion ou de prétexte pour diminuer le rôle qui appartient légitimement à la méthode positive. En faisant cette remarque, nous ne voudrions point qu’elle fût considérée comme s’appliquant à l’ensemble de la scolastique du moyen âge. Si l’on y a fait presque toujours une place assez restreinte à la méthode positive, ce ne fut point par manque d’estime pour elle, mais plutôt à cause de la pauvreté des ressources documentaires, et à cause des préoccupations qui dominèrent toute cette époque et dirigèrent l’attention presque exclusivement vers la question fondamentale de l’accord entre les données de la philosophie et les dogmes chrétiens. Qu’il nous soit encore permis d’observer que, si les scolastiques ont été le plus souvent très brefs dans leurs démonstrations exégétiques, on doit reconnaître que leur interprétation a été habituellement juste. Au lieu d’insister sur les inévitables lacunes de leur documentation critique, il serait plus sage de nous adonner au travail vraiment fécond de vérification régressive de ce qu’ils ont eux-mêmes accompli, en nous servant de leurs conclusions théologiques en ce qu’elles ont de légitime et en y ajoutant tout ce que la critique actuelle peut fournir.

IV. - 49

2. Dans la démonstration des vérités révélées et des faits surnaturels dépendant de la libre volonté de Dieu, l’on ne devra accorder aucune valeur probante aux arguments de simple raison qui sont, tout au plus, de simples convenances contribuant à faire aimer et apprécier l’enseignement déjà connu par la foi, comme l’enseigne saint Thomas : Sitnt lamen ad hujusmodi veritatem manifestandam raliones aliquae verisimiles inducendse, adfidelium quidem exercitium et solatium, non autem ad adversarios convincendos ; quia ipsa rationum insufficientia eos magis in sno errore con/irmaret, dum œslimarent nos propler tam débiles rationes verilati fidei consentir e. Cont. geut., l. I, c. ix ; Sum. theol., i a, q. xxxii, a. I. Enseignement toujours fidèlement appliqué par l’angélique docteur par exemple, Sum. theol., I a, q. xxxv, a. 2, ad l" iii, mais auquel beaucoup de scolastiques ne se conformèrent pas toujours suffisamment. Ainsi en discutant la réalisation éventuelle de l’incarnation du Verbe au cas où l’humanité eut persévéré dans la justice originelle, il n’a point été rare d’étayer des affirmations absolues sur des preuves a priori, qui ne pouvaient pas elles-mêmes déterminer un fait dépendant uniquement de la libre volonté de Dieu insuffisamment manifestée en l’occurrence. L’abus, devenu plus accentué et plus général au xve siècle, est vigoureusement flagellé au siècle suivant par Melchior Cano qui refuse à de tels auteurs le nom de théologiens scolastiques. Delocis theologicis, l. VII, c. i, Venise, 1759, p. 188. Mais quels qu’aient été ces abus à l’époque de la décadence, ils ne sont que des excès individuels dont la méthode scolastique elle-même ne peut être rendue responsable.

3. Dans la réfutation des objections rationnelles, l’on ne doit point exagérer la valeur démonstrative des raisons employées pour les combattre. Il serait souverainement imprudent, en si grave matière, d’exposer les vérités de foi aux risques d’une opinion philosophique en elle-même discutable. D’ailleurs, il suffit que l’on prouve le manque de preuve solide chez, les adversaires de notre foi, selon cette conclusion nettement posée par saint Thomas : Ex quo evidenter colligitur quæcunique argumenta contra fidei documenta ponantur, hsec ex principiis primis natures inditis per se nolis non recte procedere. Unde nec demonslrationis vim habenl, sed vel sunt rationes probabiles, vel sophisticæ ; et sic ad ea solvenda locus relinquitur. Prudente réserve à laquelle plusieurs scolastiques ne se sont point assez assujettis, comme le déplore aussi Cano dans le passage précédemment indiqué.

4. On doit toujours se garder d’identifier avec l’enseignement de la foi ou avec la doctrine définie par l’Église, de simples opinions philosophiques ou des conclusions théologiques qui ne sont point strictement démontrées. L’inobservance de cette sage précaution pourrait facilement conduire aux plus fatales conséquences, soit en augmentant les préjugés contre la foi catholique ou contre la doctrine de l’Église, soit en exposant une vérité de foi au sort caduc d’une opinion philosophique ou théologique. Graves écueils que l’on n’a pas toujours su éviter ; témoin ces censures théologiques parfois prodiguées par des théologiens qui ont déployé trop d’ardeur contre des opinions unanimement reconnues indemnes de toute hétérodoxie à une époque postérieure ; témoin aussi ces qualifications de certa in fiile imprudemment données quelquefois à des propositions ne méritant point cette qualification théologique. Toutefois n’oublions point qu’il y a, de fait, des conclusions philosophiques certainement imposées a notre assentiment à cause d’une intime et évidente connexion avec un enseignement révélé. Nous voulons simplement affirmer ici que cette connexion ne dois pas être proclamée certaine sans motif suffisant, et que l’obligation de l’admettre ne doit pas être imposée sans raison légitime.

III. CONCLUSIONS RELATIVES A L’EMPLOI DE CES DEUX MÉTHODES.

1° Les considérations précédentes montrent que les deux méthodes doivent être nécessairement unies dans l’enseignement théologique élémentaire ou supérieur. Mais la proportion avec laquelle cette union doit s’accomplir n’est point nécessairement déterminée ; elle peut varier suivant les pressants besoins du moment et suivant le degré d’enseignement. Ainsi à notre époque en face des attaques multiples de la critique historique et exégétique, il est nécessaire d’accorder une plus large place qu’autrefois aux arguments critiques ou à l’exposition historique. C’est ce que recommande fortement Pie X dans l’encyclique Pascendi : Major profeclo quam antehac positiva theologise ratio est liabenda ; id lamen sic fiai ut nihil scholastica detrimenti capiat, iique reprehendanlm. ulpote qui modernistarum rem gerunt, guicumque positivant sic exlollunt ut sc/iolasticatn theologiatn despicere videantur.

Cette juste proportion peut encore varier selon le degré d’enseignement. Dans l’enseignement théologique élémentaire, où le jugement théologique des étudiants n’est point encore suffisamment formé, il peut être assez souvent préférable d’insister plutôt sur la méthode scolastique, qui est plus apte à donner une formation solide et qui est particulièrement nécessaire pour combattre efficacement, en soi et chez les autres, les excès et les abus de la critique positive. Mais il est toujours désirable que l’on fournisse, au moins pour les thèses les plus importantes ou les plus combattues, de larges indications historiques ou critiques, faisant bien connaître la méthode et prémunissant suffisamment contre les objections de la critique. Dans l’enseignement supérieur, où le jugement théologique îles élèves est plus mùr, où l’on doit d’ailleurs immédiatement préparer les spécialistes, une plus large culture positive devra être donnée en observant les précautions et conditions précédemment indiquées. Mais même dans cet enseignement, la méthode positive ne doit point, d’une manière générale, être prépondérante ; car elle ne pourrait l’être sans causer quelque détriment à la scolastique ; ce qu’elle ne doit cependant jamais faire, selon l’instante recommandation de Pie X.

2° En dehors de l’enseignement théologique élémentaire ou supérieur et des ouvrages qui y sont immédiatement destinés, il est très opportun que l’on s’affranchisse de la rigueur de la méthode scolastique et que l’on adopte une exposition plus large et plus moderne, apte à rendre l’enseignement scolastique plus attrayant et à le faire pénétrer dans des milieux qui lui restent encore défavorables. C’est surtout par ce rayonnement au dehors, plus nécessaire aujourd’hui que jamais, que l’on aidera le mouvement de restauration scolastique dont le succès importe tant au bien de la société chrétienne. Th. Richard, Étude critique sur te but et la nature de la scolastique, dans la llerue thomiste, 1901, p. 431 sq.