Dictionnaire de théologie catholique/DOELLINGER (DE)

P. Godet
Dictionnaire de théologie catholique
Texte établi par Alfred Vacant et Eugène MangenotLetouzey et Ané (Tome 4.2 : DIEU - EMSERp. 122-127).
◄  ?
?  ►

DŒLLINGER (DE). - I. Vie. II. Ouvrages.

I. Vie.

Cn y peut distinguer trois périodes : la première, qui s’étend de 1799 à 1861 et se clôt avec les Conférences de l’Odéon ; la deuxième, qui va de 1861 au 17 avril 1871 ; la troisième, qui comprend les dernières années de Dœllinger, à dater de son excommunication jusqu’à sa mort.

I. Première période, 1799-5 et 9 avril 1861. — Jean-Joseph-Ignace de Dœllinger, le prince des savants catholiques de l’Allemagne au XIXe siècle, et le chef, avec Mœhler, de l’école historique allemande, naquit â Bamberg, le 28 février 1799, dans une vieille et honorable famille de médecins, où le zèle de la science était, ce semble, héréditaire. Ignace de Dœllinger, son père, mourra en 1841, membre de l’Académie des sciences de Bavière et professeur â l’université de Munich ; physiologiste éminent, son nom et son souvenir n’ont pas péri. L’enfant, au foyer paternel, sentira s’éveiller en lui de bonne heure une curiosité universelle et insatiable ; il y sera déjà possédé de la passion des livres, qui se confondait avec le désir de savoir et d’apprendre, comme aussi de la religion, autant dire, de la superstition de la science ; il y déploiera une rare variété d’aptitudes, et restera jusqu’au terme de sa longue carrière, animé des mêmes goûts, empressé aux mêmes travaux. La littérature, la philosophie, l’histoire, la théologie, les mathématiques, les sciences naturelles et, en particulier, l’entomologie, le préoccuperont â la fois ou tour â tour. Mais c’est l’un des traits de cette curieuse physionomie, que Dœllinger, satisfait de son champ primitif d’études, gardera toujours le souci de le creuser et de s’y fortifier, non de l’étendre et d’y annexer de nouvelles provinces. Les progrès de l’archéologie sacrée, de l’épigraphie, de l’histoire de l’art depuis plus d’un demi-siècle, seront presque pour lui chose non avenue ; il n’y prendra point de part et point d’intérêt. En somme, Dœllinger sera l’homme du passé bien plus que l’homme du présent. Dans l’ordre politique, les remaniements contemporains de la carte de l’Europe n’entameront pas ses idées conservatrices, voire particularisles. de 1848 ; et, dans l’ordre religieux, les impressions de la légende d’un portrait de saint Bernard, qui lui tombera sous les eux â l’âge de dix ans : l’linam mihi licerel videra Ecelesiam sicut in diebus antiquis, ne s’ellaceront jamais,

L’éruilion classique de Dœllinger sera donc immense ; on peut dire, sous la réserve indiquée, que Dœllinger lira tout et connaîtra tout. Par malheur, il ne connaîtra pas les hommes. Faute de les connaître, il s’en laissera gouverner et trop souvent exploiter. Dans toutes les phases de sa vie, l’influence heureuse ou fâcheuse de ses entours sur ses productions littéraires comme sur ses opinions et ses résolutions, saute aux yeux. La fermeté du caractère n’était pas le fait du grand savant et contrastait crûment avec l’élévation et l’envergure de son esprit ; on dirait de lui un roseau peint en fer. Simple, gai, bienveillant, caressant même dans son intimité, ami fidèle, causeur charmant et presque sans rival, Dœllinger sera surtout un cerveau. Le culte de la science remplira seul et dirigera sa vie.

Ainsi, ses préoccupations intellectuelles décideront pour une bonne part de sa vocation sacerdotale. Nulle trace en lui, dans aucun moment, ni d’aspirations mystiques ni de ferveur ascétique. Dès 1818, à moins de vingt ans, la science lui tient lieu de tout ; il avait la faculté indéfinie de s’absorber dans l’étude ; c’est avec les armes de la science qu’il rêvait de servir l’Église, d’en défendre la liberté contre les ingérences du dehors et de ramener dans son sein les Églises séparées. Lorsque, ses classes terminées avec éclat, Dœllinger fera sa théologie, d’abord à l’université di.’Wurzbourg trois ans durant, puis au séminaire de Bamberg, il n’y échappera pas à la contagion de l’air ambiant. Le souftle de la réaction des premières années du.ixe siècle contre la philosophie et l’incrédulité du siècle précédent, n’avait pas déraciné les vieilles méfiances de l’Allemagne contre Rome ; et la prédominance des thèses fébroniennes comme des pratiques joséphistes au delà du Rhin, n’était pas sans y affaiblir singulièrement l’idée de la catholicité ; l’idée d’une Église nationale flottait dans l’air, n’eflrayant à peu près personne ; et, pour préparer le retour des protestants au bercail, on parlait beaucoup plus d’union que d’unité. Les études théologiques du jeune Dœllinger ne le défendront pas assez des préjugés et des erreurs de son temps. A Wurzbourg, l’enseignement de ses professeurs, terne, peu sûr, sans vie, le rebutera de prime abord et il délaissera les bancs de l’université, pour fréquenter les bibliothèques ou s’enfermer dans sa chambre avec ses livres. Il s’y plongera dans la lecture des Annales de Raronius et dans celle des Dogmes du P. Petau, à qui saint Thomas devra céder le pas ; il s’y familiarisera avec saint Vincent de Lérins, non sans forcer le sens de la fameuse règle du Conintonitorium jusqu’à paralyser l’évolution et la vie du dogme catholique. Dans le séminaire de Damberg, sans rien perdre de ses habitudes studieuses, il ne se retiendra pas de rogner la part de la théologie au profit de l’étude des langues orientales. Dœllinger est un autodidacte. Et de là les fentes inévitables de sa théologie ; de là ses méprises graves, étonnantes, sur la nature de la tradition, sur le magistère de l’Église, sur la liberté de la science, sur le rôle providentiel et l’autorité en dernier ressort des théologiens, des théologiens allemands au premier rang ; de là toutes les idées en cours et en vogue dans l’Allemagne catholique de 1820 à 1840, et qui, obstinément couvées dans l’esprit de Dœllinger, longtemps contenues et refoulées par ses meilleurs amis, réveillées à la fin et déchaînées, détermineront sa triste chute. Théologien, au grand sens du mot, Dœllinger ne le sera pas, quoique ses llatteurs ne se soient point fait faute de saluer en lui le premier théologien de l’Allemagne et que ce titre ait chatouillé de son cœur l’orgueilleuse faiblesse. Il sera un érudit, un écrivain, un historien hors de pair. Mais, à tout prendre, il n’aura qu’un brillant vernis de théologie, et nul doute que ce manque d° éducation théologique

n’ait été, entre les causes intellectuelles de sa chute, la plus active et la plus efficace.

Ordonné prêtre à Wurzbourg le 23 avril 1822, un peu contre le gré de son père, et vicaire pendant près d’un an de la paroisse de Scheinfeld, Dœllinger fut nommé, le 21 novembre 1823, professeur de droit canon et d’histoire ecclésiastique au lycée d’Aschaffenbourg ; il avait trouvé sa voie. Alors commencent, sous les auspices et à l’honneur de la science catholique, les relations de Dœllinger — relations affectueuses et confiantes, sans grandes effusions de tendresse — avec les coryphées de l’école de Mayence, les Henri Klée, les Nicolas Weiss, les André Ræss, qui réussiront longtemps à le maintenir dans les sentiers de l’orthodoxie et seront véritablement ses anges gardiens. Pareille fortune lui échut, quand il se vit appeler, en 1826, à l’université deLandshut, que le roi Louis I er venait de transférer dans sa capitale, pour faire de Munich le centre et le boulevard du catholicisme en Allemagne. Les amitiés douces et fortes que Dœllinger y noua, celles notamment de Joseph Gœrres et des membres « le son groupe, enlretiendront et aviveront en lui l’amour de l’Église, la haine du protestantisme et des entreprises de la bureaucratie bavaroise, l’intelligence du rôle et des conditions de la presse religieuse au XIXe siècle. En définitive, c’est à ses amis de Munich et à ceux de Mayence, que Dœllinger devra pour une large part les beaux jours et la gloire de son âge mûr.

Heureux et lier de son incorporation à l’université de Munich, le jeune professeur s’y vouera et dévouera sans relâche ; et. plutôt que de s’en séparer, il refusera les offres les plus flatteuses, d’où qu’elles viennent, de Fribourg-en-Brisgau, de Rrestau, d’Angleterre. Il ne servira pas seulement sa chère faculté de théologie de son nom et de ses talents ; il s’efforcera aussi de lui recruter un corps de professeurs très distingués. En 1835, afin de lui assurer le concours de Mœhler, il sacrifiera momentanément jusqu’à sa chaire d’histoire ecclésiastique, et, Mœhler mort, il obtiendra pour Henri Klée, après dix ans d’attente et de vives instances, une chaire de dogme et d’exégèse sacrée. Luimême, en contribuant à la réorganisation de la faculté » de théologie, et en continuant de prendre part à son enseignement, il en accroîtra le lustre. Il s’identifiera, pour ainsi parler, avec cette nouvelle institution, et deviendra peu à peu une sorte de personnage européen, une éminence européenne. A Munich, devenu comme le foyer d’une grande rénovation religieuse et artistique, Dœllinger restera une puissance ; mais partout, en Italie cependant bien moins qu’ailleurs à cause des divergences de sentiments et de vues, il comptera des admirateurs et des amis. Les Wiseman, les Newman, les Manning, les Gladstone, lui porteront à l’envi respect et confiance. En 1832, Lamennais et Montalembert, revenant de Rome par le Tyrol, iront lui demander conseil ; Montalembert se laissera même fasciner par le talent et l’affabilité de Dœllinger, et leur commerce épistolaire, demeuré inédit, ne cessera qu’en 1870, à la mort de Montalembert.

Pendant que Dœllinger, par ses expositions lucides, patientes et presque affectueuses, attirait les élèves en foule au pied de sa chaire, et que ses livres, monuments de science, modèles de style, étendaient au loin sa renommée, depuis 1828 il guerroyait aussi dans le journal l’£'os, l’organe attitré du groupe de Gœrres, pour la liberté et l’honneur de l’Église. Dœllinger avait du journaliste les qualités maîtresses, la promptitude, le trait, la clarté, sans apparat, non pas, le cas échéant, sans explosions d’indignation et sans envolées d’éloquence. Avec son immense lecture, il est toujours prêt sur tout ; avec sa dialectique vigoureuse et sans diversion, comme la llèche, son ironie hautaine et mordante, sa langue nerveuse, limpide et correcte, if.ir »

DŒLLINGER (DE)

151 G

c’est un terrible jouteur, etses adversaires, protestants, francs-maçons ou bureaucrates, sortent de ses mains tout meurtris. Peut-être que les habitudes du polémiste ont trop influé sur l’historien, en provoquant l’attitude et le ton agressif de Dœllinger à l’égard des protestants durant la première phase de sa carrière. Ge qu’il y a de sûr, c’est que Dœllinger était alors la hète noire et le point de mire de la presse protestante ou libre-penseuse ; peu de publicistes catholiques ont été plus haïs et plus insultés que lui ; au seul nom de Dœllinger, Henri Heine, démasqué, bien et dûment convaincu de n’avoir ni foi chrétienne ni patriotisme, écumait de rage.

Professeur, écrivain et polémiste de premier ordre, Dœllinger enfin descendra dans L’arène politique-L’université, dont il était le bibliothécaire en chef depuis 1837, l’envoya siéger en 1815, un peu contre son gré, parait-il, à la Chambre des députés. Sur les bancs de la seconde chambre bavaroise comme dans sa chaire d’histoire et dans les colonnes de VEos, partout Dœllinger fut l’habile et ardent champion de la cause de l’Eglise. Le 1 er janvier 1847, il était nommé prévôt de la collégiale royale de Saint-Gaétan, et, dans le courant de l’année, il forçait, si je puis ainsi parler, les portes, trop lentes à s’ouvrir, de l’Académie des sciences de Munich. L’université l’avait élevé, cette année-là même, à la dignité de recteur magnifique. Dœllinger perdra son siège de député le 27 août 1817, lorsqu’à la suite du scandale Lola Montés, le roi Louis I er le mettra en congé temporaire et dispersera du même coup le corps professoral. Mais, l’année d’après, à la vive surprise et au plus vif déplaisir de la presse dite libérale, il entrera, plein d’espérances, dans le parlement de Francfort et ira s’y asseoir au côté droit ; l’émeute démagogique du 18 septembre 1848 faillit lui coûter la vie. En même temps qu’il combat au sein du parlement pour l’indépendance de l’Église en Allemagne, qu’il y rêve à la constitution d’une Eglise nationale et qu’il y proteste avec la dernière énergie contre l’abolition du célibat ecclésiastique, on le voit prendre une part importante à la fameuse conférence épiscopale de Wurzbonrg, novembre 1818, promouvoir infatigablement ces congrès généraux qui, de nos jours, exercent jusque sur l’épiscopat allemand leur puissante influence, travailler à l’organisation et à la diffusion de la presse catholique, dont il proclame plus que personne la nécessité. Dans toutes les alfaires de l’Église, sur le terrain politique comme sur le terrain religieux, on reconnaît la main de Dœllinger. Il est un des chefs vénérés des catholiques de l’Allemagne ; avec la renommée, il a l’autorité.

Néanmoins, à y regarder de près, un sourd travail se fait dans la pensée de Dœllinger, et ses convictions primitives ont déjà subi quelques accrocs ; ainsi, ses anciennes sympathies pour les jésuites se sont tournées depuis 1812 en froideur, avant de se tourner en haine. Un incident d’apparence très ordinaire aura pour lui les conséquences les plus graves. Dès 1849, Dœllinger a admis en pension, sous son toit, le jeune Acton, venu d’Angleterre à Munich pour achever ses études ; et l’élève aura vile fait, avec ses rares qualités d’esprit et sa connaissance des hommes, de gagner l’alfection et la confiance du maître. Affection sans éclipse, influence surprenante, que lord Acton conservera jusqu’à la fin, et qui acheminera le vieux savant à sa chute ; comme le professeur Huber, un ami d’enfance de Dœllinger, lord Acton sera son mauvais génie.

En 1850, on sent percer l’humeur de Dœllinger contre le Saint-Siège ; tandis que le monde catholique se serre avec un redoublement de vénération et de dévouement autour de la chaire de Pierre, Dœllinger, par chauvinisme et préjugé théologique, s’en éloigne chagrin, en attendant qu’il se retourne haineusement contre elle.

En 1854, il blâme, sans oser se déclarer, la promulgation du dogme de l’immaculée conception, qu’il tient pour inconnu de l’antiquité chrétienne ; et l’on colportera, pendant le concile de 1870 à Rome, le mot dont Marie Gœrres, en cette occasion, l’aurait souffleté : « Vous mourrez dans la peau d’un hérétique. » En 1857, Dœllinger revient de son voyage d’Italie, la vanité blessée, l’esprit et le cœur aigris, et la claire prévision qu’il rapporte de la ruine prochaine du pouvoir temporel des papes, n’est pas pour le troubler ni l’aflliger. Le Set le 9 avril 1861, les deux célèbres Conférences de l’Odéon, en dépeignant le gouvernement pontifical sous les plus noires couleurs et en légitimant de la sorte l’usurpation piémontaise des Romagnes, provoqueront dans toute la catholicité un long cri de surprise et de colère ; c’était, au fond, l’acte d’un mauvais lils, c’était le crime de Cham.

2° Deuxième période, 5 et 9 avril 1861-17 avril 1871.

— Avec ou presque aussitôt après les Conférences de l’Odéon, s’ouvre la deuxième étape de la vie et de la pensée de Dœllinger. La guerre à la papauté, une guerre sournoise et généralement anonyme, caractérise et remplit la période que nous abordons. Il n’y eut point pour le vieux savant un jour, une heure, un moment solennel où ses yeux se dessillèrent, et où, désabusé, il se vit transforme. Pas d’orage, pas de déchirement, pas de coup de tonnerre, comme cela est arrivé peut-être pour Lamennais et pour.loulfroy ; Dœllinger a eu son évolution, non sa révolution. « Il ne lui manque rien pour être un hérétique, disait de lui ilès 1858 son ancien secrétaire Joœg, que d’avoir ses derrières assurés. » Qu’il estimât ou non ne les avoir point assez assurés en 1861, Dœllinger ne fit pas d’abord au Saint-Siège une guerre ouverte et sans ménagements Mais, éloigné par les circonstances ou privé par la mort des anges gardiens de son âge mûr ; entouré et dominé par un groupe d’admirateurs de toute provenance et de toute croyance qui n’avaient entre eux rien de commun que l’aversion de Rome ; entraîné sans un contrepoids suffisant par les préjugés de son éducation et de sa jeunesse, plus ou moins longtemps assoupis, jamais étouffés ; victime surtout d’une infatuation scientifique qui croît avec les années, Dœllinger descendra peu à peu et prudemment la pente au bout de laquelle il trouvera l’apostasie. On dirait un de ces villages, au penchant des montagnes, qui glissent insensiblement du rocher sans secousse avec leur fonds de terrain tout entier et se réveillent un matin dans la plaine.

Entre temps, l’évolution mentale de Dœllinger se poursuit sans fracas et son âme va s’ulcérant. Car, à mesure que le roi Maxirnilien II, qui lui a déjà rendu sa chaire au mois de novembre 1849, se rapproche de lui, et que la science officielle, tout imprégnée de l’esprit protestant et rationaliste, comble ses désirs, en l’appelant, octobre 1863, au sein de la Commission historique, Rome laisse percer de plus en plus ses défiances et ses appréhensions. Quand Dœllinger, de concert avec l’orientaliste Haneberg et l’historien Alzog, projettera de convoquer à Munich, au mois de septembre 1863, un congrès de théologiens et de savants catholiques d’Allemagne, Rome en prendra naturellement de l’ombrage ; mais elle s’inquiétera moins du caractère général de l’entreprise que du nom et des idées du prévôt de Saint-Gaétan, et la preuve en est que les mesures édictées, juillet 1864, contre les futurs congrès scientifiques sont devenues lettre morte, sitôt que Dœllinger eut disparu. Pie IX, d’ailleurs, se montra satisfait de l’adresse des congressistes de Munich au Saint-Siège. Lettre apostol. du 21 décembre 1863 à l’archevêque de Munich. Le Sylîabus du 8 décembre 1864, par son texte même et par les prévisions auxquelles ce texte donn ; ra lieu, exaspérera le vieux savant bavarois ; il se sentira direc

tement atteint dans ses théories ultralibérales ainsi que dans son chauvinisme aveugle, et verra poindre à l’horizon, comme un fantôme odieux, le dogme abhorré de l’infaillibilité pontificale. Dans le pamphlet où il exhalera ses colères, et qui restera de son vivant inédit, mais qu’un imprudentami, H. Reusch, publiera plus tard, Kleinere Schriften gedruckte u. ungedruckte von J.-J. Ign. vonDœllinger, Stuttgart, 1892, p. 197-227, Fauteur contestera la force obligatoire du Syllabus en même temps que sa valeur historique et théologique. Devant les soupçons qui grossissent et se changeront bientôt en certitudes, la popularité européenne de Dœllinger baisse ; l’isolement moral — un isolement douloureux et inattendu — commence pour lui. Cependant, sans se rendre compte encore nettement des craintes et des plaintes que son attitude soulève un peu partout, il lancera, sous le voile de l’anonyme, en 1867 et en 1868, dans VAllgemeine Zeilung et dans la Nette freie Presse, une série de quinze articles haineux contre l’Inquisition. Défait, sa foi est déjà entachée des plus graves erreurs, et quant à la constitution de l’Église et quant au rôle de l’opinion publique dans l’élaboration des dogmes ; bien avant le concile, Dœllinger, catholique de nom, n’était après tout qu’un rationaliste.

Pie IX, le 1 er juillet 1867, avait annoncé la convocation du concile du Vatican, et l’on avait institué à Rome, vers la fin de la même année, des commissions de théologiens tant romains qu’étrangers, pour préparer les travaux du futur concile. Malgré l’intervention décidée du cardinal de Schvvarzenberg, et quoiqu’un infaillibilisle ardent, Ma’Dechamps, archevêque de Malines, eût déclaré net à Rome qu’uon ne pouvait pas ne pas écouter Dœllinger, » les passions de parti eurent le dessus et le professeur de Munich fut laissé délinitivement à l’écart. Faute de conduite fâcheuse, qu’on a cherché vainement depuis à pallier, et dont aussi bien personne n’a voulu endosser la responsabilité. Tout en affectant de paraître insensible à cette exclusion, Dœllinger en sera blessé au cœur. Le roi Louis II, en le nommant, au mois de novembre 1868, conseiller d’État à vie et pair de Bavière, bâtera l’explosion de sa rupture avec l’Église. Dœllinger, « ses derrières assurés, » fera contre le Saint-Siège et le concile du Vatican le serment d’Annibal ; il y sera, hélas ! lidèle jusqu’à son dernier soupir.

Durant les préliminaires du concile, on le voit en appeler sans cesse à l’opinion publique comme à la puissance suprême de ce monde, et réussir à créer partout, dans les divers cabinets européens, dans les universités, dans le clergé de l’Allemagne, un courant d’opinion contre le dogme de l’infaillibilité, qu’il ne manque pas, soit artilice de polémique, soit peut-être ignorance, de travestir. Sous sa plume, en effet, l’infaillibilité du pape et sa domination de droit divin sur tout l’ordre temporel sont liées entre elles indissolublement et, en définitive, ne font qu’un. Ce n’est donc pas derrière l’inopportunité de la définition qu’il se retranche. L’inopportunité, cet unique argument de l’opposition conciliaire à quelques voix près, d’un mot dédaigneux il l’écarté et la condamne. « Peut-il jamais être inopportun, dit-il, de donner aux croyants la clef de tout l° édifice de la foi, de promulguer l’article fondamental d’où dépendent tous les autres ? » C’est le dogme lui-même que Dœllinger prend à partie et repousse. Em. Olivier, L’Eglise et L’Elal au concile du Vatican, t. il, p. 386.

De cette époque datent les cinq articles de VAllgemeine Zeilung, 10-15 mars 1869, où Dœllinger traça le canevas de ses publications postérieures, menaçant l’Europe chrétienne des pires catastrophes, si la grande adulation du concile du Vatican faisait dans l’histoire le pendant du Brigandage d’Epltese ; le célèbre Janus ou, selon le titre complet, le livre Du pape et du con cile par Janus, pamphlet âpre et d’une insigne mauvaise foi, concerté entre Dœllinger et le professeur Iluber, son conseiller néfaste, mais dont Dœllinger doit porter seul toute la responsabilité ; les Réflexions, octobre 1869, destinées aux Pères du concile, et qui ne diffèrent du Janus que par le ton et la forme adoucie du langage. L’adresse des laïques de Coblentz àl’évêque de Trêves, œuvre au fond de deux prêtres de ce même diocèse, mi-mai 1869 ; l’adresse des laïques de Bonn à l’archevêque de Cologne, 14 août ; l’instruction collective des évoques allemands réunis à Eu Ida, 6 septembre ; le mandement de Ma 1 Ketteler, évêque de Mayence, avril 1870, font aussi ressortir, dans leurs dissemblances d’idées et de style, la puissance de Faction du grand historien allemand.

Le concile ouvert, 8 décembre 1869, si visibles que soient dès le premier jour les désirs personnels de Pie IX et les dispositions de la majorité des Pères du concile, Dœllinger, loin de se décourager, redoubla de haine et d’efforts contre l’infaillibilité pontificale. Ce qu’il inspire ou écrit lui-même, en se nommant ou sans se nommer, d’articles de journaux, de lettres, de brochures, passe toute idée. De cette plume étonnamment alerte je ne citerai que les Lettres romaines, publiées dans VAllgemeine Zeilung, sous le pseudonyme de (Juirinus, du 17 au 27 décembre 1869, et deux articles virulents parus dans le même journal, l’un, Quehjues mots sur l’adresse de l’infaillibilité, le 19 janvier 1870, l’autre, Sur le nouveau règlement du concile et sa valeur, le Il mars suivant. Tandis qu’en Allemagne, on votait bruyamment des adresses de félicitations à Dœllinger, l’indignation à Rome fut extrême ; on y éclata en menaces contre le polémiste scandaleux qui jonglait avec l’histoire et trahissait l’Eglise, llefele, pour prévenir les effets de cette indignation, conjura tendrement, 2 avril 1870, l’opiniâtre lutteur de quitter provisoirement le champ de bataille et de se taire. Dœllinger s’y résigna et se tut. Mais sommé, le 15 février 1871, d’adhérer à la définition conciliaire du 18 juillet précédent, il commença d’instinct par biaiser ; enfin, après maints expédients dilatoires qui firent plus d’honneur à son esprit et à sa science qu’à sa candeur et à sa loyauté, fort du concours de l’opinion à Munich et de la faveur du roi Louis II qui se plaisait à l’appeler son Rossuet, le cauteleux vieillard jettera le masque et refusera, le 29 mars, « comme chrétien, comme théologien, comme citoyen, » de]reconnaitre le dogme de l’infaillibilité du pape. Le 17 avril 1871, l’archevêque de Munich se verra obligé de fulminer contre lui l’excommunication. L’université de Munich ne laissera pas de lui confier encore une fois le rectorat pour l’année scolaire 1871-1872 ; après quoi, le vieux professeur descendra définitivement de sa chaire d’histoire.

3° Troisième et dernière période, 1871-1890. — Dœllinger, nommément excommunié, s’abstient aussitôt et à jamais de toute fonction ecclésiastique. Il se plaira dorénavant, avec une sincérité plus que suspecte, ; i contester la légitimité de l’anathème qui pèse sur lui ; mais il ne s’avisera pas de l’enfreindre. Il ne s’avisera pas davantage de dresser autel contre autel ; le rôle d’un Luther ne le tentait point. A la veille de son excommunication, dans nne maison tierce, il avait certifié au comte Rray qu’en aucun cas, il ne prendrait l’initiative d’un « schisme ». Dans le premier congrès vieuxcatholique de Munich, 22-21 septembre 1871, il réprouvera la motion d’établir une Fglise autonome, en opposition directe à l’Église romaine ; et lorsque les sectaires, passant outre le 4 juillet 1873, choisiront pour évêque le professeur Reinkens, c’est Dœllinger qui décidera le ministre bavarois de Lutz à ne pas reconnaître officiellement le nouvel élu. L’attitude des vieux-catholiques inquiétera, mécontentera, irritera de plus en plus Dœllinger. Dès 1878, écœuré de l’abolition

du célibat ecclésiastique, il désespérera de l’avenir du vieux-catholicisme. La secte continuera de se parer de son nom. Mais, l>ien qu’en 18715 et en 1874, les sectaires eussent célébré avec un enthousiasme de commande deux dates de la vie de leur maître, le cinquantenaire de son entrée dans le professorat et le cinquantenaire de son doctorat en théologie, Dœllinger, en somme, se retirera du vieux-catholicisme, et, reniant lout has son œuvre, vivra dans l’isolement. « Je ne veux pas être membre d’une Église schismatique, écrira-t-il au nonce de Munich, le 12 octobre 1887 ; je suis seul. » On incline à redire de Dœllinger, comme on l’a dit de Jansénius, « qu’il avait fondé une secte dont peut-être il n’était pas. »

Ni le poids de l’âge, ni les tristesses des mécomptes ne ralentissaient son ardeur au travail ; et, dans sa retraite, il portait à toutes les branches du savoir humain un vif et sérieux intérêt ; il publiait encore, à la veille de sa mort, son histoire des hérésies du moyen âge, Gescliichte (1er gnostisch-manichàischen Sekten im fruheren Mitteialter, Munich, 1890, avec un second volume de documents ; il n’a jamais aimé, jamais compris, jamais connu le repos. Ce qui toutefois caractérise la troisième phase de la carrière de Dodlinger, c’est sa haine de la papauté. Elle sera de plus en plus l’âme de sa vie ; on retrouve en lui la monomania sine delirio qu’il avait autrefois lui-même signalée et stigmatisée dans Luther. Cette haine de la papauté l’enracinera dans un projet caressé longtemps ou mieux, de tout temps, celui de poursuivre la réunion des Eglises séparées. Réunion sans fusion véritable, et qui n’exigeait d’aucune famille religieuse le sacrifice de ses croyances particulières, pourvu que la substance du symbole primitif fût sauvegardée. Dœllinger, pour en préparer les voies, prononcera là-dessus à Munich sept discours, au commencement de 1872. Les deux conférences de lîonn, tenues à cet effet en 1874 et en 1875, mirent en pleine lumière la science, l’éloquence, la prodigieuse activité et les ressources d’esprit de Dœllinger, mais aussi son manque d’esprit pratique et, plus encore, les déchets successifs de sa foi. Elles demeurèrent l’une et l’autre stériles. Une troisième conférence, ardemment désirée par Dœllinger, n’eut cependant pas lieu, à cause de l’opposition des Russes et des Anglais ; le fameux projet de réunion ne se releva pas de sa chute.

Diellinger, au lendemain du concile, avait senti le besoin, parait-il, et en tout cas manifesté l’intention « de soumettre son savoir historique et patristique à une revision attentive, minutieuse, et de passer au crible, les yeux fixés sur les sources, les principales conclusions de ses études antérieures. » De fait, il ira toujours perdant le sens catholique et se laissera de plus en plus gagner à l’esprit rationaliste et protestant. L’idolâtrie de la science et de l’opinion oblitérera sa foi ; la haine et le mépris du saint-siège inspireront tous ses écrits. Nommé par le roi Louis II, en 1873, président de l’Académie des sciences de Munich, Du’llinger profitera de son discours annuel pour essayer de répandre ses idées et de satisfaire ses rancunes. D’une rare perfection de forme et de style, les Discours iiiiniriiiiijues de Dœllinger, 3 vol., Munich, 1889-1891, trahissent, jusque dans le choix des sujets, les préoccupations religieuses et les préventions nationales de l’auteur ; Dœllinger, soucieux avant tout de flatter les préjugés et d’obtenir les applaudissements de la classe lettrée qui lui fournit son auditoire, y a fait œuvre de passion et de parti. Le tact de l’historien et la probité di’l’érudit en ont grandement souffert.

On ne si’défend pas d’un sentiment d’étonnement ci de tristesse au spectacle de la tranquillité d’esprit et de l’assurance du malheureux vieillard dura ni se s dernières années. Celle fermeté et ce calme, qu’était-ce ? pure appa rence ? ou réalité ? Mystère qu’on ne saurait éclaircir. Il ne nous est resté de Dœllinger aucun de ces mots â la Luther qui, brusquement, déchirent les voiles et mettent le fond de l’âme à nu ; il a enseveli avec un soin jaloux les secrets de son âme et s’est toujours gardé de toute expansion. Les elforts tentés par Pie IX et par Léon XIII, directement ou indirectement, pour ramener Dœllinger au giron de l’Église, échouèrent devant l’orgueilleuse obstination du savant, non sans provoquer parfois ses sarcasmes ; les touchantes instances de ses anciens amis, dont l’affection pour lui avait survécu aux dissidences religieuses et dont il avait lui-même conservé fidèlement le souvenir, n’eurent pas un meilleur succès. L’adversaire irréconciliable de l’infaillibilité pontificale n’a jamais douté de son infaillibilité personnelle. Comment espérer d’ailleurs qu’un tel homme se rétractât publiquement, au risque de se perdre de réputation dans le monde de la cour et de la science officielle, et renonçât dès lors à vivre, ainsi qu’il s’y était accoutumé, au milieu d’un nuage d’encens ? On a parlé en sens très divers d’une dernière tentative de conversion, faite en 1880, et dont les véritables amis de Dœllinger avaient, ont-ils dit. beaucoup attendu. Le sphinx a emporte’son secret dans la tombe. La vieillesse pendant si longtemps n’avait pas osé le toucher ; la mort le frappa tout à coup, en pleine possession de son esprit et de ses forces. Une crise d’influenza le surprit le 1° janvier 1890 et se compliqua le 9 d’une attaque d’apoplexie qui le foudroya. Dœllinger, dont la vigoureuse intelligence avait aussitôt et complètement défailli, expira le lendemain soir, sans inquiétude comme sans douleur, dans la 91e année de son âge. Prêtre rebelle et infidèle, savant dévoyé’et diminué.

IL OUVRAGES. — Publiciste, homme politique, théologien, et surtout historien, Do-llinger étonne par le nombre, la variété’, l’importance de ses productions. Articles de journaux et de revues, brochures, livrer de longue haleine, sa plume a tout abordé, et l’on peut dire qu’il a excellé dans tous les genres. Sans relever ici les publications du journaliste et du polémiste, je ne citerai que les œuvres de l’historien, et celles-là seulement qui ont illustré la période catholique de sa vie. Mais je rappellerai d’abord la description des portraits ébauchés à Rome par le peintre Cornélius d’après la Divine Comédie, et donnés par lui, avril 1829, a la rédaction de l’Eos. Ce texte explicatif, Leipzig, 1830, qui honora les premiers pas de la littérature dantesque de l’Allemagne et qui conserve sa valeur primitive, n’a pas été réimprimé, non plus que la traduction franeaise qui en avait paru.

1° Dès 1826, en même temps que Mœhler fait paraitre son essai sur l’unité de l’Église, Dœllinger publie à Ratisbonne son livre de l’Eucharistie dans les trois premiers siècles : dissertation hislorico-tbéologique, d’un style facile et lumineux, d’une logique pénétrante et pressante, d’une science étendue et solide, mais où l’auleur, aux prises avec les théories de Luther et de Calvin, prend souvent le ton agressif de la polémique, au lieu de garder la gravité du ton de l’histoire.

2° En 1827, Ilortig confiait à son jeune successeur le soin de continuer son Histoire de l’Église. Un an après, Dœllinger avail refondu le travail d’IIorlig, en le poursuivant jusqu’à l’année 1789. L’ouvrage fut publié en deux volumes qui contiennent, le premier et la première partie du second l’œuvre d’ilortig, la seconde partie du second l’œuvre de Dœllinger. Le succès en fut grand. Mais une méfiance bien allemande à l’égard du Saint-Siège, la peur du progrès et de l’excès de la centralisation dans l’Église, une sympathie au moins imprudente pour les débuts de Luther, et la fascination de l’antiquité chrétienne se reflètent dans l’ouvrage et le déparent.

30 Le même talent d’écrivain et le même art de la

composition se retrouvent, avec le même esprit, dans deux abrégés d’histoire ecclésiastique, qui se rattachent, en dépassant la valeur, au livre dllortig, et que Dœllinger a publiés successivement sous les titres modestes de Handbuch et àeLehrbuch, le premier à Landshut, 18331835, 3 vol., le second à Hatishonne, 1836, 2 vol. ; malheureusement ils sont restés tous les deux inachevés. Celui-là s’arrête à l’an 680 ; celui-ci ne va pas au delà de 1517. Le Handbuch et le Lehrbuch ont été traduits en français, l’un par M. Léon Bore sous le titre d’Origines du christianisme, Paris, 1843, 2 vol. ; l’autre par AI. Bernard, Bruxelles, 2 vol.

4° L’ouvrage sur la Réforme, vaste recueil de documents où les coryphées du protestantisme sont peints, tantôt de leurs propres mains, tantôt de la main de leurs contemporains, et d’où ressort un tableau fidèle des ravages de l’hérésie dans les intelligences, dans les mœurs, dans l’état social, est une réplique décisive à l’apologie que L. de Ranke, Deutsche Geschic/tle im Zeitalter der Reformation, 1839, avait présentée des idées et de l’œuvre de Luther. La Reforme comprend 3 vol., qui ont paru, le t. I, en 1846, le t. il, en 1847, le t. iii, au fort des orages de 1848 ; il y en a une traduction française de l’errot, Paris, 1847 sq. Les protestants, désespérant de répondre, adoptèrent la tactique de ne pas parler. Uœllinger, dépité de leur silence et inquiet de l’avenir, interrompit son ouvrage et ne le reprit jamais.

5° Le livre à’Hippolyte et Calliste ou l’Église romaine dans la seconde moitié du IIIe siècle, fia lisbonne, 1853, a résolu, aux yeux du moins de la science allemande, le problème de l’origine des Philosophumena, en y reconnaissant la main du célèbre docteur et martyr, saint llippolyte, et vengé, avec l’orthodoxie du pape saint Calliste, les droits et l’autorité du pontife romain. De Smedt, Dissertaiiones selcclse, diss. III, p. 89 sq.

6° En 1857, un nouveau chef-d’œuvre mit le sceau à la réputation de Uœllinger. Dans Paganisme et Judaïsme, ce « vestibule de l’histoire de l’Église, » cet incomparable résumé de la vie et de la pensée du monde avant l’ère chrétienne, on ne peut qu’admirer l’érudition, la sagacité, le style et l’art de l’auteur. Il y en a une traduction française peu correcte, 4 vol.. Bruxelles, 1858. La science des religions comparées n’avait pas encore pris son essor. Dœllinger, dans Paganisme et Judaïsme, n’a pas étudié les vieux cultes de l’Inde ri de l’Extrême-Orient ; il a même relégué à l’arrièrevplan les religionsde l’Asie centrale et de l’Egypte, pour envisager avant tout le polythéisme gréco-romain. Cependant, quelques progrès qu’ait faits depuis lois la science de l’histoire des religions, les conclusions générales de Dœllinger restent hors d’atteinte et l’origine divine du christianisme hors de conteste.

7° En 1860, Le christianisme de l’Eglise à l’époque de sa fondation clôt la maturité de Dœllinger, la grande phase catholique de sa carrière, et, avec elle, la série de ses livres d’un caractère éminemment positif et objectif, écrits pour la défense et l’honneur de l’Église ; traduction de.M. l’abbé Bayle, Paris, 1863. Dœllinger y établit le fait de la douhle primauté du Saint-Siège, primauté d’honneur, primauté de juridiction, et y pose avec éclat les prémisses d’où l’infaillibilité pontificale découle, sinon nécessairement, du moins naturellement. Plus tard, en 1868, dans la deuxième édition de l’ouvrage, il mutilera ou biffera sournoisement, sans crier gare, les passages qui militent en faveur du domine de l’infaillibilité.

8° En dehors de la première et glorieuse phase de la vie de Dœllinger, deux autres de ses ouvrages méritent d’être ici rappelés : l’un, L’Église et les Églises, la papauté et le pouvoir temporel, Munich, 1861, chefd’œuvre traduit en français par M. l’abbé Bayle, Paris, 1862 ; l’autre, Les fables papales du moyen âge,

-Munich, 1863, traduit, sous le titre d’Études critiques sur quelques papes du moyen âge, par Ch. Reinhard, Nancy et Paris, 1865. Dans le premier de ces ouvrages, qui contient deux parties de valeur très inégale, Dœllinger relève d’abord l’autorité souveraine du Saint-Siège et dépeint de main de maître l’irrémédiable décadence des Églises séparées ; mais il se plaît ensuite à puiser à des sources suspectes l’histoire de l’Etat pontifical depuis 181’t et semble vouloir excuser l’invasion piémontaise en 1860 des Marches et de l’Ombrie. Dans Les fables papales du moyen âge, prélude d’une histoire des papes que Dœllinger a projetée, mais jamais écrite, l’auteur passe au crible d’une critique pénétrante et puissante, non toutefois sans laisser percer ici et là ses préoccupations religieuses du moment, quelques détails particulièrement importants de cette histoire des papes, le fait par exemple de la papesse Jeanne, la donation de Constantin, le cas de Libère etd’Honorius I er. Les publications postérieures de Dœllinger ne seront généralement, après tout, que des pamphlets, des œuvres de passion et non de science.

Ad. Huhn, Dœllinger’s aile tout nette Hoffnungen, discours. Munich, 1874 ; Egelhaaf, Deutsche Rundschau, 5 février 1890, p. 287-291 ; Reusch, Briefe und Erklarungen von J. von Dœllinger uber die Vatikanischen Dekrete, 1869-1887, .Munich, 1898 ; L. von Kobell, Erinnerungen, Munich, 1891 ; Michæl, S. J., Ignnz von Dœllinger, eine Charakteristik, Inspruck, 1892 ; 3- édit., iMd., 1894 : H.Hurter.S. 3., Nomenclature° édit., Inspruck, 1895, t. iii, col. 1312-1313 ; Friedrich, Ignaz von Dœllinger, 3 vol., Munich, 1899-1900 ; Fr. X. Kraus, Deutsche Litteraturzeitung, 1899, n. 1, col. 25-30 ; 1901, n. 31, col. 19501958 ; .M » 1 Ceccuni, Histoire du concile du Vatican, édit. liane, i vol., Paris, 1887 ; E. OUivier, L’Église et l’État au concile du Vatican. 2 vol., Paris, 1879.

P. Godet.