Dictionnaire de théologie catholique/DIEU (CONNAISSANCE NATURELLE DE). XII. Justification et sources de la doctrine

Dictionnaire de théologie catholique
Texte établi par Alfred Vacant et Eugène MangenotLetouzey et Ané (Tome 4.1 : DABILLON - DIEU philosophie modernep. 444-445).

XII. Justification et sources de la doctrine.

La méthode que nous avons suivie pour exposer le sens précis de la définition conciliaire, et qui a consisté à déterminer ce sens à l’aide des arguments sur lesquels le concile s’est appuyé, nous dispense d’entrer ici dans de longues études scripturaires et patristiques. Tout ce que nous pouvions faire dans un sujet qui touche à tant de points, c'était d’orienter le lecteur à travers ce fouillis de faits et de doctrines, qui encombrent aujourd’hui, comme a dit M. Piat, les abords de l’idée de Dieu. Les détails trouveront place dans les différents articles de ce dictionnaire, spécialement en ce qui concerne la doctrine des Pères. Esquisser cette question nous a paru inutile ; car elle est elle-même, si on veut la traiter scientifiquement, très complexe. Mieux vaut ne rien dire sur un pareil sujet que de paraître écourlé et de rester insuffisant. Nous préférons nous borner à quelques références utiles.

Ecriture.

Les commentaires de Corneille de la Pierre sur Sap., xiii, et Rom., i, sont à lire ainsi que le commentaire de saint Thomas sur l'Épitre aux Romains. Pour le livre de la Sagesse, Lorin, Comment, in Sapientiam, Lyon, 1607 ; dom Calmet ajoute à son commentaire du même livre une intéressante étude sur l’origine de l’idolâtrie ; C. L. Grimm, Das Buch der Weislieit, dans Kurzgefasstes exegetisches Handbuch zu den Apocnjphen des A. T., Leipzig, 1860 ; C. Gutberlet, Das Buch der Weislieit ïtbersetzt und erklàrt, Munster, 1874. Sur Rom., i, 19 sq., les meilleurs théologiens renvoient à Tolet, Commentarii et annotât, in Epist. B. Pauli ad Romanos, Rome, 1602 ; Cornely, Epist. ad Rom., dans le Cursus Seripturse sacrse, Paris, 18?6 ; VVieser, Pauli Apostoli doctrina de justificatione, Trente, 1874 ; Prat, La théologie de saint Paul, Paris, 1908 ; Schæfer, Erklàrung des Briefes an die Rômer, Munster, 1891 ; Quirmbacb, Die Lehre des lil. Paulus von der naturlichen Gotteserkenntniss und dem natûrlichem Sittengesetz, Fribourg, dans Strassburg. theolog. Studien, t. vu. Parmi les travaux protestants citons Sanday. A critical and exeg. commentary on the Epistle to the Romans, 4e édit., Edimbourg. 1900, p. 43, et comparaison avec Sap., xiii, p. 53 sq. ; Rogge, Die Anschauungen des Ap. Paulus von dem religids-sittlichen Character des Heidenthums, 1888 ; Klopper, Die durch naturliche Offenbarung vermitlelle Gotteserkenntniss der Heiden bei Paulus, Rom., i, 18 sq., dans Zeilschrift fur iviss. Théologie, 1904, p. 169. Ceux qui ne pourront pas aborder ces commentaires et travaux trouveront l’essentiel dans Corluy, Spicilegium, t. i, p. 75-96, et dans les premières thèses du De Deo uno de Franzelin.

2* Patristique. — Petau et Thomassin ont recueilli beaucoup de textes. A mesure que les discussions sont nées ou se sont renouvelées sur le sens des textes, les théologiens en ont repris l'étude ; le mouvement traditionaliste et l’ontologisme ont occasionné de bons travaux. Consulter spécialement Heinrich, Dogmatische Théologie, 2e édit., Mayence, 1883, qui est très riche au t. i et m ; Kleutgen, Théologie der Vorzeit, t. il ; Stentrup. Prxlect. dogmat. de Deo uno, Inspruck, 1879, explique surtout les textes cités par le D' Kuhn. L’Histoire de la philosophie de Stôckl et aussi son Lehrbuch der Geschichte der Philosophie, Mayence, 1875, indiquent nettement les positions des Pères en face des erreurs sur la connaissance de Dieu. Il en faut dire autant de la Dugmengeschichte de Schwane, 2e édit., Fribourg, 1892, 1895, t. i, n ; trad. franc., 2e édit., Paris, 1903, t. i, il. L’opuscule de Cari van l'.ndert. Der Gottesbewris m der potristischen Zeit mil beaond. Beriiksicht. Augustins, Fribourg, 1869, est encore utile et souvent employé. Le Itr Deo uno de Franzelin et le t. il de la Dogmatique de Scheeben donneront une vue synthétique des résultats acquis. Le t. I de l’excellent Lehrbuch der Dogmatik de Pohle, Paderborn, 1902, dont la traduction en français serait très utile, donne la bibliographie des principales monographies récentes à consulter.

Conclusion.

Pour faciliter au lecteur une vue synthétique du sujet, indiquons la place que le dogme défini au concile du Vatican occupe dans la théologie catholique, et aussi quelle situation il nous fait au point de vue philosophique. La doctrine que nous avons exposée occupe une place importante dans la théologie systématique catholique. Car
1° elle consacre la distinction des deux ordres de vérités religieuses et morales, celles auxquelles la raison et la conscience peuvent parvenir par leur fonctionnement naturel, et celles que nous ne connaissons que par la révélation, Denzinger, n. 1643 ; et l’on sait que, s’il s’agit des préliminaires de la foi, sans cette distinction aucune apologétique rationnelle n’est possible.
2° Si l’on n’admet pas la doctrine définie sur la cognoscibilité de Dieu, on est forcé, ou bien de nier la possibilité de l’état de nature pure, ou de dire que dans l’ordre présent la révélation est absolument nécessaire, ou de soutenir que le péché originel, non seulement — ce qui est de foi — nous a fait déchoir de l’état historique d’Adam, mais a corrompu dans leur fond nos puissances naturelles, les constitutifs de l’homme. Or, la première conséquence est contre tous les théologiens de l’École, qui enseignent, comme théologiquement certaine, la possibilité de l’état de nature pure ; il s’ensuit d’ailleurs cette absurdité que l’homme n’est pas nécessairement dirigé à Dieu comme à sa fin et qu’il est incapable, tel qu’il est, de loi et de religion naturelles. La seconde conséquence est contre le concile : non absolute necessaria dicencia est revelatio. Denzinger, n. 1635. Elle suit d’ailleurs de la première, car l’homme, sans destination à Dieu comme à sa fin, sans loi et sans religion naturelles, est une monstruosité que Dieu ne peut pas faire. Donc, la révélation devient nécessaire, exigée, debita, c’est-à-dire naturelle. L’adversaire a une échappatoire : Je ne soutiens pas en thèse que la révélation est debita, mais seulement dans l’hypothèse de la chute. On lui répond en lui faisant remarquer qu’alors il admet la troisième conséquence, c’est-à-dire la ruine de nos constitutifs naturels par le péché d’Adam. En effet, si l’homme déchu est incapable de connaître Dieu, c’est que sa tendance nécessaire, naturelle, à Dieu comme (in, sa capacité de loi et de religion naturelles sont détruites ; c’est que le péché originel a totalement corrompu les éléments de notre nature philosophique et éteint notre libre arbitre, ce qui a été condamné chez les premiers protestants par le concile de Trente. Cf. Piccirelli, De Deo uno et (rino, Naples, 1902, n. 38, p. 42. Cet aperçu montre la cohérence de la doctrine théologique.

Quant à la philosophie, nous avons vu que le concile n’a pas exclu l’argument de saint Anselme, c’est-à-dire tout le mode de philosopher qui se rattache ordinairement à Platon et aux Pères platonisants. Ce fait seul réduit anéanties accusations de « thomisme » outré et de « médiévalisme » absurde que le Programma des modernistes italiens et M. Tyrrell adressent à l’Église, dont ils n’écoutent plus la voix. Les faits sont les faits. En réalité, toutes les philosophies qui admettent que l’homme a le pouvoir de connaître les principes de causalité, efficiente et finale, et de raison suffisante, et que ces principes ont une valeur universelle, comme le principe de contradiction, admettent le minimum nécessaire pour que l’homme puisse par le moyen des créatures et par les lumières naturelle de sa raison l’élever à la connaissance certaine de Dieu. Ne peuvent donc avoir des difficultés contre le dogme que nous venons d’exposer, que les philosophies qui, ou bien d’une façon générale rejettent la valeur objective universelle de tous les principes de la raison, ou bien rejettent les principes de causalité et de raison suffisante ou leur emploi hors de l’ordre phénoménal. D’où il suit que le dogme défini nous met philosophiquement en très bonne posture. La métaphysique scolaslique, que le magistère ordinaire nous recommande, et qui se réduit en sommes à la connaissance des substances, des causes, des relations objectives et des formes absolues, peut d’ailleurs se construire à l’aide de ces seuls principes. Enseignons donc une philosophie sagement objectiviste, comme celle de l’Ecole. Et si nous avons des préoccupations apologétiques, souvenons-nous — l’encyclique vient de le rappeler à tous avec autorité — qu’en fin de compte notre néophyte doit aboutir à une dogmatique et par suite à une philosophie objectivistes. Sans doute, comme le fait remarquer saint Thomas, Sum. theol., I a, q. i, a. 8, on ne peut discuter avec quelqu’un qu’en se mettant d’accord avec lui sur quelques principes, et par conséquent en se plaçant ad hominem à son point de vue. Mais il est certaines concessions qu’on ne peut pas faire, puisque les accorder, c’est s’enlever tout moyen de conclure. Dans ce cas, saint Thomas nous dit encore ce qu’il reste à faire et ce qui est utile : Si l’adversaire ne concède aucun des principes nécessaires pour aboutir à la conclusion que l’on a en vue, on ne peut pas discuter avec lui, si autem nihil concedit, non potest cum eo disputari. Les kantistes et les positivistes sont-ils donc à abandonner ? Non, car nous pouvons dans nos principes, et souvent dans les leurs, résoudre leurs difficultés et leur faire comprendre qu’elles ne sont que la duperie de leur imagination, le résultat d’un manque de méthode, le fruit d’un abus de la réflexion philosophique : potest tamen solvere rationes ipsius. C’est plus utile et moins dangereux que de construire de soi-disant nouveaux systèmes.

M. CHOSSAT.