Dictionnaire de théologie catholique/DIEU (CONNAISSANCE NATURELLE DE). VI. Le pseudo-mysticisme

Dictionnaire de théologie catholique
Texte établi par Alfred Vacant et Eugène MangenotLetouzey et Ané (Tome 4.1 : DABILLON - DIEU philosophie modernep. 401-408).

VI. Le pseudo-mysticisme.

La possibilité de la connaissance certaine de Dieu par la raison naturelle suppose qu’on admet la valeur des éléments intellectuels dans la connaissance religieuse. Les pseudomystiques l’ont souvent mise en question. Il y a pour toutes les âmes menées par les voies mystiques un danger contre lequel tous les directeurs orthodoxes les prémunissent, celui d’attacher trop d’imporlance au sentiment, à la vie émotive dans la vie spirituelle ; c’est de là que naît souvent la tentalion qu’elles ont de préférer leurs lumières ou leurs obscurités, en un mot la connaissance religieuse qui leur vient de leurs expériences intérieures, aux données de la foi. Poussée à la limite, l’exagération de la valeur religieuse du sentiment, de l’expérience intérieure, suflit à elle seule.i faire déclarer impossible et non valable toute connaissance rationnelle de Dieu. Deux exemples nous sufliront pour le montrer.

I. MOLINOS ET JACQUES BŒHME.

Le pseudo-mstique libidineux Molinos, dont M. William.James s’est constitué’le chevalier. Varieties of religious expérience, Londres. 1902, p. 130, était entiché de - foi obscure et universelle, » c’est-à-dire d’une certaine expérience mystique de l’Être illimité’. Il écrit d’un trait : « Celui qui dans l’oraison se sert d’images, de figures, de représentations et de conceptions propres, n’adore pas Dieu eu espril i t en vérité. Celui qui aime Dieu nivanl que la raison argumente ou que l’esprit comprend, n adore pas le vrai Dieu. Denzinger, n. 1 105 sq. En d’autres tenues, les représentations intellec tuelles, que nous pouvons avoir par le discours ou par les formules traditionnelles, en dehors de l’expé rience mystique de la « foi obscure et universelle -. sont tant valeur objective. On voit que, sans se perdra dans le dédale des philoaophies, Molinos aboutisticisme, relalivement i l’ordre de eption, au aotionnel. Donc, pour lui, sans expé1 ii ure urnaturelle, pa ibilit* di connaître le vrai Dieu, bien, v* leçon ; E. Xaville, Les philosophies négatives, Paris, 1900, p. 185-222.

Du mysticisme au panthéisme ou à la connaissance purement négative de Dieu des néoplatoniciens et du soufisme, il n’y a qu’un pas : et plus d’un mystique le franchit au moyen âge. Dans les deux cas, c’est encore l’impossibilité de toute connaissance rationnelle de Dieu. Le « Philosophe allemand », Jacques Boehme, et, après lui, les « enthousiastes » ou fanatiques tombèrent dans ces erreurs. Ils appelaient Dieu, considéré en lui-même et sans les créatures, un Rien, nihil.

Comme les vues de Boehme se rattachent à celles de Fichte, de Hegel et de Schelling, par l’intermédiaire de Geulincx, de Spinoza, de Malebranche et de Berkeley, cf. l’hégélien Schvvegler, Geschiclile der Philasopliie, tiré à part de la Neue Encyclopudie der Wissenschaften und Kûnste, Stutlgart, 1848, p. 90. la doctrine de l’immanence n’est pas sans lien avec lui. D’autre part, les dévots actuels de l’Inconnu ou de l’Inconnaissable s’inspirent souvent de Boehme ou de ses ancêtres. Cf. Thamiry, De ralionibus seminalibus el immanentia, Lille, 1905. Il est donc nécessaire de noter que, si certains mystiques orthodoxes ont autrefois employé l’expression de Boehme, ainsi que nous l’apprend M. Sertillanges, qui connaît mais ne nomme pas de « grands mystiques thomistes qui ont parlé avec une sorte d’épouvante religieuse du néant de Dieu, » dans la Revue de p/dlosophie, février 1900, p. lii. cette formule n’avait pas, sous leur plume, le même sens que chez Hoehme.

En ellet, les mystiques orlliodoxes : 1° faisaient une dill’érence entre Rien, niltil, et Néant, non ens. Cf. Denille, Chartularium universilatis Parisie)isis, t. il, pièce 1012, p. 506. 2° Ils admeltaient, à l’inverse des pseudo-mystiques comme maître Eckart, Denzinger. n. 428, et Boehme, qu’on peut se faire une idée de Dieu, lorsqu’on le considère en lui-même et sans rapport aux créatures. 3° Enfin, les mystiques orthodoxes n’appliquaient à Dieu considéré en lui-même, à la plénitude de l’Etre, l’épi thèle de nihil, que pour exprimer sa grandeur par l’apport à nos connaissances et à nos lumières et l’absolue incompréhensibilité de la nature divine, qu’une forme de pensée, tirée des créatures, ne peut pas adéquatement représenter et saisir. La question n’est pas ici de savoir si cette façon de s’exprimer de ces mystiques orthodoxes était heureuse. Tout le monde aujourd’hui la trouvera choquante, fondée sur une distinction à peine intelligible entre nihil et non ens, et de nature à induire en erreur : tous défauts qu’on ne lui fait pas perdre, en l’isolant des contextes oubliés où elle se trouve. Mais, heureuse ou non, Cette expression n’a pas, chez les mystiques orthodoxes, le sens purement négatif qu’elle a chez ceux qui, comme Boehme et les fanatiques, ne le sont pas.

Chez les mystiques orthodoxes qui l’emploient, ce nihil ne signifie pas que Dieu est l’indéterminé, ni que la connaissance mystique est purement négative. Elle vent dire que la connaissance)><isilire de la divinité donne à l’une la claire notion de l’incompréheusibililé divine, en sorte que par la l’âme si’forme de Dieu une idée 1res relevée, bien que confuse, et comprend qu’il a pour elle une grande intelligence de la nature divine < saisir que nul être fini n’a le pouvoir de la comprendre, de la pénétrer adéquatement Dans cii état, tous | eg termes de comparaison font défaut a elle écarte toutes les formes ordinaires de pensée ec w impropret trad.in ce qu elli i on ">i el, à n ell i I précisément qu’aucune foi me n’est adéquate < I ei i nce divine Les lignes suivantes de sainte tagéle de Poligno montrent que tel si le sens de nihil, dans la formule nihil videt, d’où est venue I, , que Dieu, sl uihd. Kl ulen r] ht in lenebra, quiae bonum, quod ne< poêtil

cogilari nec intelligi, et omne quod potest Cogitari rel intelligi non attingit ad illud… Et nihil videt omnino cuiinia quod narrari jiossit ore, nec etiam concipi corde ; et nihil videt et omnia videt. Cf. Acla sanctorum, Anvers, 1643, t. i januarii, p. 197, n. 72 ; cf. ri. 148, 207 ; S. Thomas, In IV Sent., 1. I, dist. VIII, q. i, a., 1, ad 5um ; De potentia, q. vii, a. 5, ad 13 W| " sq. ; Suarez, Disi>. metaph., disp. XXX, sect. xii, n. 12.

On objecte que saint Thomas, après saint, Jean Damascène, parle de « l'être indéterminé de Dieu » , Sum. theol., I a, q. xi, a. 4 ; q. xiii, a. 14 ; De potentia, q.vii, a. 5 ; que par conséquent pour lui comme pour l’iotin, IIIe Ennéade, 1. VIII, c. IX, et pour Spinoza, omnis determinatio est limitatio seu negalio ; d’où il suit que tous les noms de Dieu sont purement négatifs. Cf. de Munninck, Prælectiones de Dei exislentia, Louvain, 1901, p. 96, 99 ; Sertillanges, dans La quinzaine, 1 « juin 1905, p. 412 sq., et dans la Revue du clergé français, 1 er octobre 1905, p. 317. — Réponse. — La formule de saint Jean Darnascène estclassique pour exprimer la plénitude de l'être divin ; si nous appelonscette plénitude « indéterminée » , ce n’est pas qu’elle n’est pas saisissante en soi, c’est parce que nous savons que la simplicité de sa nature parfaite et certains de ses modes d’opérer que nous connaissons, sont absolument incommunicables à tout être fini ; de plus, ce terme négatif connole l’impossibilité où nous serons toujours d'épuiser la richesse de la simplicité divine et l’impossibilité d’une représentation adéquate de l’infinie perfection par des perfections créées. D’ailleurs, pour saint Thomas, qui suit en ce point le pseudo-Denys, De potentia, q. vii, a. 2, ad 9° m ; Sum. Iheol., Ia-IIæ, q. il, a. 5, ad 2 om, les déterminations dans les êtres finis ne sont pas des négations, mais bien des additions. L'être infini, au contraire, est le seul à qui ontologiquement rien ne peut s’ajouter, parce que, tous les êtres finis étant limités à une perfection déterminée, liieu est au contraire en soi et par soi toute perfection, in se inclv.dit omnem modum perfeclionis ; c’est en cela que consiste son infinité positive. De verilate, q. XXIX, a. 3. Cf. Penzinger, n. 1631. Pans ce sens, saint Thomas répète souvent que l'être divin est l'être sans addition, esse sine additione est esse divinum, parce qu’il est de son concept d’exister, et de ne rien pouvoir recevoir, vu qu’il est l’infinie perfection, Sum. Iheol., I a, q. iii, a. 4, ad l" ra ; et il se sert souvent de cette considération pour rejeter le panthéisme de Plotin et des Arabes, De potentia, q. VII, a. 2, ad 6um, pour écarter du pseudo-Denys tout soupçon de panthéisme. Cont. génies, 1. 1, c. xxvi. Dieu est donc, pour saint Thomas, distinct du monde, bien qu’immanent, c’est-à-dire bien qu’omniprésent, ibid. ; et il est absolument déterminé en soi. Cette dernière formule est fréquente chez saint Thomas et il signale les inconvénients de penser autrement. In IV Sent., 1. I, dist. XXIV, q. i, a. 1, ad 3°"' ; dist. VIII, q. iv, a. 1, ad l" m ; 1. II, dist. III, q. i, a. 2 ; De potentia, q. i, a. 2, ad 7° 1 " ; q. vii, a. 2, ad 6 i, m ; Cont. génies, 1. I, c..vi ; Quodlibet., q. vii, a. 1, ad I" » ; a. 6. Cf. In IV Sent., 1. I, dist. XIX, q.i, a. 1, ad l um ; Sum. theol., I 1, q. xiii, a. 11, ad 2 UI ". D’où il suit que nos jugements sur Dieu, sans avoir une valeur de définition, nos concepts appliqués à Dieu laissant rem incomprehensam et excedentem nominis signi/icationem (analogie ontologique), ibid., a, 5, portent cependant sur l’essence divine considérée en soi, subslanlialilcr. Ibid., a. 2. Et nous pouvons parler de la perfection divine « absolument » et aussi de l'être divin « au sens absolu » . Sum. theol., I » , q. xiii, a. 11, ad 3°. æ ; In IV Sent., 1. I, dist. XXII, q. i, a. 2, ad 2 llm. Au point de vue absolu, tout ce qu’on peut dire de Dieu n’est donc pas faux, ibid., ad 4um ; et si tout cela n’est pas faux, les formules ne sont pas indifférentes, De potentia, q. vil, a. i, ad 8° m ; Penzin Lfv, n. 155 ; et nous » savons au vrai ce que nous disons de Dieu, » lorsque nous disons, par exemple, que Dieu est personnel. De potentia, q. vii, a. 2, ad I"" ; Cont. génies, 1. I, c. xii ; Sum. theol., I. q. iii, a. ' » . ad 2° m ; q. XIII, a. 8, ad 2um ; a. 12. On sait d’ailleurs que dans cette dernière question de la Somme saint Thomas a réfuté ex professa la théorie de la connaissance purement négative d Avicenne et de Maimonide. Cf. les censures de l’inquisition, dans Eymericus, Directorium inquisitorum, II*, q. i.viii, q. IV, Krrores Avicennæ, prop. 13 ; Alchindi, prop. 5 ; Maimonidis, prop. 1-3, Rome, 1585. p. 254 sq., Saint Thomas ne favorise donc en aucune façon l’agnosticisme des pseudo-mystiques. Mais il se rendait si bien compte des dangers des voies mystiques qu’il écrivit un article de la Somme pour proposer de faire passer les contemplatifs par des maisons d'études. S llteol., IIa-IIæ, q. clxxxii, a. 5.

II. 1.1 : PSBVDO-MYSTIC18MB DES PROTESTANTS ET LA CONNAISSANCE NATURELLE blC DIEU. — On distingue deux sortes d’agnosticisme, l’agnosticisme pur — agnoslicism of unbelief — qui est celui de Comte et de Huxley, pour lequel l’absolu est totalement inconnaissable ; l’agnosticisme dogmatique ou croyant — agnosticism nf belief — qui concède à l’agnosticisme pur qu’il n’y a pas et ne peut pas y avoir de preuves rationnelles de l’existence de Dieu, mais qui fait profession de croire en Dieu pour des raisons purement subjectives, sans toutefois reconnaître aucune valeur objective aux diverses formes de pensée par lesquelles il pense Dieu ; tel est l’agnosticisme de Kant, Hamilton, Mansel, Spencer et des modernistes. Ce que nous avons dit de la doctrine luthérienne des suites de la chute originelle et du nominalisme explique assez pourquoi beaucoup de prolestants abandonnent les preuves de l’existence de Dieu, et comment ils arrivent à désigner Dieu, auquel ils croient encore, seulement par des dénominations extrinsèques. Le fait de la persistance de quelque croyance en Dieu, dans des conditions aussi défavorables, s’explique aussi par la connaissance naturelle et spontanée de la divinité qu’ont tous les hommes et par l’influence du milieu chrétien. Mais les constructions systématiques que l’on voit se multiplier ne se comprennent pas, si l’on ne tient pas compte de l'élément pseudo-mystique qui gît au fond des doctrines de la Réforme sur la connaissance religieuse.

La foi fiduciale et le mysticisme.

On sait que

Luther en appelait aux mystiques contre les théologiens. Une de ses propositions censurées par la Sorbonne portait : In sermonibus Joannis Tauleri lingua teutonica conscriptis plus reperio tlteologise syncerm et solidm quam in omnibus omnium universitatum scolasticis docloribus repertum aul reperiri possit in omnibus suis sententiis. Cf. [Mélanchthon], Confutatio determinationis doctorum parrhisiensium contra M. L., etc., Bàle, 1523, p. 241-252. On sait aussi que de nos jours les protestants libéraux, qui en sont à la croyance en Dieu « sans preuves » , et qui ne conçoivent Dieu qu’en fonction des états subjectifs de leur conscience religieuse, se réclament des mystiques et du mysticisme de la doctrine protestante de la foi. Cet appel n’est pas sans fondement.

Les mystiques parlent tous d’une connaissance expérimentale de Dieu. Theologia mystica, dit Gerson, est expérimentales cognitio habita de Deo per conjunclionem a/fectus spiritualis. Opéra, s. I.. 1 488, t. iii, De mystica theologia spéculai ira, consid. xxvii, n. ï. verso. Pour faire entendre le mot experimentalis, les mystiques, spécialement saint Bernard, parlent de sens spirituels dans notre âme, analogues à nos sens intérieurs et extérieurs. Sermo de cita et quinque sensibus animse, P. L., t. CLXXXIII, col. 567. « De même que par les sens corporels nous avons l’expérience des objets

sensibles, de même par les sens spirituels nous pouvons avoir l’expérience des choses spirituelles. » Pierre d’Ailly, Spéculum considerationis, part. III, De spirilualibus scnsibus, c. ni. Ces sens, sous une action spéciale du Saint-Esprit, qui n’est ni nécessaire au salut ni donnée à tous les fidèles, goûtent, aiment Dieu, présent dans l'âme ; et, remarque Gerson, comme il n’y a pas d’all’ection sans quelque connaissance expérimentale, on dit quedans cet état l'âme connaît expérimentalement les choses divines. Sur ces points l’accord existe entre les mystiques orthodoxes.

Le débat commence, lorsqu’on se demande : Dans la contemplation affective dont nous parlons, la connaissance intellectuelle précède-t-elle l’amour ou le suit-elle '? Tous conviennent — il s’agit toujours des orthodoxes — qu’ordinairement une connaissance intellectuelle, au moins confuse, de Dieu précède le mouvement affectif d’où résulte la connaissance dite expérimentale, suivant l’adage : nihilvoliiuni nisi prsecognilum. Mais Gerson, quelques franciscains, Alvarez de Paz, Oviedo et quelques autres soutiennent, contre les thomistes, Suarez, Vazquez, Lossada et la plupart des auteurs, qu’il peut y avoir une contemplation affective, surnaturelle et en somme miraculeuse, sans connaissance réfléchie ou même directe, antécédente ou concomitante. Dans ce cas, la connaissance est donc subséquente à l'état all’ectif.

Gerson lui-même a fort bien vu les dangers de l’opinion qu’il soulient et en particulier celui de l’agnosticisme : nec i <lalis cognitio fit per solam abnegationem, car la voie de négation doit inclure celle d’excellence et de causalité ; propterea damnât us est arliculus parisiensis dicens quod m.u cognoscimus de Dec hacin vita nisi quod non est. Alphabetum i.xxxvi, o, et passim ; De elucidatione scholaslica mysticee théologies, consid. xi. Cf. de Munnynck, Prxlecliones de foi existentia, Louvain, 1904, p. 25-31. Cette erreur et d’autres écartées, il reste que quelques mystiques orthodoxes ont admis la possibilité et même le l’ail, non pas seulement d’une aperception, nouvelle au moins quant à ses modalités, par voie de réllexion, de souvenir le raisonnement, à la suite d’un état affectif — ce que tout le monde accorde — mais bien d’une fonction de représentation issue d’une fonction du vouloir. l’riminn tangitur supremus apex affectus, ndum quem movetur Deuni, el ex ixio eontactu relinquitur in mente verissima cognitio intellectus ; namgue illudsolum quod sentit, de divinis verUtime apprehendil intellectus. Pseudo-Bonaventure, Opéra, édit. Vaticane, q. unie, t. vii, p. 729, Vue Sion lugent, à la fin des solutions.

Si l’on définit la connaissance fidéiste, subjectiviste .i ri lativiste, celle qui : I. consiste en un sentiment meun jugement préalable, nulle prævertente menculiarem quemdam commovet sensuni, ilii l’encycliqui Pascendi, HU tamen agnosticismus ; J. qui tire -"ii origine du sujet, sans que l’objet lui oit intellectuellement représenté avant qu’il réagisse sentimentalement ; 3. qui n’exprime son objet qu’en fonction de l’opération par lequel elle le constitue

eu t objet, la connaissance expérimentale de Dieu

équente, dont Gerson admet la possibiliti

unie ni lld u^si.

h. parlant d’elle, ne trouve aucun argument de ii pour montrer qu’elle n « il pat purement i de la difficulté en recourant à I

il d’autorité, condt mnatui > il artit

, ir. ii ni a propot que li - Pères et les tl - n’admet) trois voiei

h n' dans l’hypothèse qu’il soutient on i wlement, Pe fait, dans cette b] po

'in, i t., —, iaion en he, ,

telque lie celle

de l’inclusion des choses dans les monades, on ne voie pas comment on pourrait parvenir à dépasser le stade où Dieu est désigné uniquement par des dénominations extrinsèques, et à porter des jugements déterminés sur la nature intrinsèque de Dieu.

Voir Gerson, Opcra. 1488, outre les passages cités dans le texte, Magnificat, tr. V, alphabetum i.xxxiv, n. I, o ; alphabetum i.xvi, consid. xil ; tr. VII, alphabetum i.xxxvi, j ; Alvarez de l’az, De inquisitione pacis. l. IV, part. III, c. viii, Opéra. Paris, 1876, t. vi, p. 299 sq. ; Oviedo, Integer cursus philosophicus, t. II, De anima, cont. viii, p. nr. En sens contraire, Suarez, De religioue. tr. IV, de oratione, l. II, c. xiii, Opéra, édit. Vives, t. xiv, p. 176 ; Disput. metaphys., disp. XXI II, sect. vii ; Vasquez, In Sum. theol., " II", q. IX, a. 1, disp. XXXV ; Lossada, Cursus philosophicus. Animastica, disp. VII. c. IV, n. 74, Barcelone, 1883, t. IX, p. 127 ; Gravina, Lapis lydius, l. II, e. xiir, Naples, 1638, p. 150.

C’est sur le modèle de la connaissance subséquente des mystiques que Luther calqua sa théorie de la foi fiduciale qu’il appelle expressément agnitio experimentalis. Cf. Calvin, Institution chrétienne, l. III, c. ii, 14, Genève, 1562, p. 335. On sait que les anciens protestants distinguaient la foi des histoires ou des dogmes et la foi justifiante. Cf. Harent, Expérience et foi, dans les Éludes, 20 octobre 1907 et avril 19(18. La foi justifiante considérée précisément, c’est-à-dire comme distincte de la foi des dogmes, dont Luther ne l’avait pas complètement purgée comme font les protestants libéraux, est une expérience intérieure. L'Évangile proposait la promesse générale de la rémission des péchés ; comment passer à la certitude de la justification personnelle 1 ? Par le sentiment, répondit Luther, par l’expérience intérieure. Tamisée par le sentiment, la promesse générale se réalisait en certitude du salut personnel. Cette certitude, on le voit, est nettement fidéiste, puisqu’elle ne se légitime pas par un motif qui puisse intellectuellement se formuler par un jugement qui la précède, niais seulement par le goût intérieur, par la certitude immédiate du contact ou de l’action divine, parle témoignage de l’Esprit, etc. Voir Crédibilité, t. tu, col. 2299, et Foi. Les théologiens protestants ont fait subir à la doctrine primitive bien des retouches. Mais, pour tous ceux qui ne sont pis de purs rationalistes, comme Wegscheider, la foi justifiante est restée fidéiste. On y croit, comme les mystiques de Gerson aiment, sans raisons intellectuelles. La foi fiduciale est de même subjectiviste. En effet, l’objet précis de cette foi se réduit au contenu des états i iprésentatifs issus de l’expérience. Les protestants ne s’accordent pas sur cet objet ni sur la genèse de ces états : les opinions vont de l’orthodoxie à l’Inconnaissable, du mysticisme le plus outré au voisinage du rationalisme. Mais tons s’accordent à dire que l’objet de cette foi est déterminé par l’expérience intérieure et qu’il se réduit à ce qui est expérimenté, senti, goùlé. Seule la connaissance expérimentale il' 1 cel objel est pour eux un véritable connaissance religieuse, de même que l'état de celui qui est justifié par la foi. est ni i religieux ». Cel exclusivisme suit, soit de la thèse fondamentale de l’impuissance de la raison naturelle de l’homme déchu en matière religieuse ; soit qu’avant la foi et même avec la loi. tout ce qui n’est pas la foi est péché, suivant le sen-. donné par le libre examen an texte de saint l’aul. Onuic iiiilem

quod mm est ex flde, peccatum est, Rom., xiv, 23 ; soit enfin « le ce qu’il n’j a de vraie connaissance religieuse

Celle qui lerl BU MIuI et qui' sans la fol on ne

saurait plaire., lion. 1 n pa B( 1 de Kanl indique bien leur pensée. Parlant « le la croyance en Dieu. Kant

o ! pal que DOUS disions : « Il Bel moralement certain que Dieu existe, I liens seul, ne ni !

moralement certain, i lanl M se défie de la certitude

rationnelle, il tanl il donne de prix.1 la 1 onnai

qui naît de la certitude qu’il appelle morale et définit :

celle qui s’appuie sur des causes subjectives. Critique de la raison pure, Méthodologie transcendantale, c.w, sect. iii, trad. Born, t. i, p. 569. Tel est le sens pour eux de ces expressions : la religion est une vie ; une impression précède les formules religieuses qui en fournissent une expression extérieure et formelle ; Dieu est le résumé de nos expériences religieuses, etc. Si on veut les entendre dans le sens où ils les emploient — et qui est tout différent de celui qu’elles pourraient avoir sur des lèvres catholiques — il faut se souvenir que, de même que la connaissance subséquente à l’amour des mystiques, la foi justifiante est une connaissance qui, par déiinition, manque de fondement rationnel, objectivement adéquat soit à la représenlation produite, soit à l’adhésion donnée ; dont l’objet, comme tel, ne vient pas du dehors (extrinsécisme), mais est constitué exclusivement par l’action ou parla réaction du sujet ; et où la vérité objective et la certitude subjective ne se résolvent en aucun cas, soit à des raisons logiques, soit à l’autorité du témoignage divin garantissant la vérité de la pensée divine contenue dans la révélation générale.

Fidéiste et subjectiviste, la foi fiduciale est nécessairement relativiste. Car, puisque seule elle constitue l’objet religieux comme objet, elle l’exprime nécessairement en fonction de l’opération par laquelle elle le saisit et s’en tient pour assurée. La conséquence est nécessaire, puisque, d’une part, la foi justifiante comme connaissance religieuse valable se distingue adéquatement de la foi des dogmes ou des histoires ; puisque, d’autre part, l'éclosion dans l'âme de cette foi est indépendante de tout motif rationnel adéquat et reste un fait impénétrable à l’analyse. La « bonne nouvelle » à laquelle doit répondre le « oui » de l'âme, pour être justifiée, se réduit, on le sait, à peu de chose pour la plupart des protestants. Or, quanu on examine de près, dans les meetings de la rue, au temple, dans la conscience ouverte des néophytes aussi bien que dans les livres, cet acte de foi, on observe que rien n’y est affirmé de Dieu objectivement. L’idée de Dieu n’y intervient qu’indirectement, soit comme cause, soit comme terme d’un état actuel ou futur de la conscience subjective du croyant : on croit non quee vera, mais seulement quee promissa sunt. Ce fut la raison pour laquelle le concile de Trente, que le concile du Vatican n’a fait que développer sur ce point, inséra ces mots : credenles vera esse quai divinilus revelalct. Denzinger, n. 680. Les anciens protestants disaient que dans la foi fiduciale tout se passe comme dans la foi des miracles. Or le thaumaturge qui affirme avec certitude que dans un quart d’heure il opérera un prodige, n'énonce directement et explicitement rien de la toute-puissance divine ; ce qu’il affirme objectivement, c’est l'œuvre merveilleuse. De même, la foi fiduciale qui se tient pour assurée de la rémission actuelle des péchés ou de la réalité future et définitive du salut, n’affirme directement rien de la bienveillance divine considérée en elle-même. Dans la foi des miracles et dans la foi justifiante, l’idée de Dieu et de ses attributs n’est impliquée dans le phénomène subjectif de la certitude que par manière de postulat. Sans doute, il est possible dans certaines conditions de désigner l’objet religieux, Dieu lui-même, à l’aille d'étals subjectifs. Cf. Dictionnaire apologétique, Paris, 1909, t. i, col. 13 sq. Mais, enfermé dans le subjectivisme, si l’on ne se donne pas par ailleurs l’idée de l’Infini — et comment se la donner si, faisant abstraction de la révélation extérieure et tenant pour nulles les connaissances rationnelles, on ne tient pour vrai en matière religieuse que ce qui est vécu, donné par l’expérience intérieure — on n’arrivera jamais par des formules construites rigoureusement avec des états subjectifs

à exprimer rien d’intrinsèque a la nature divine.

2 » lié percussion de la doctrine de la foi justifiante sur la doctrine de la connaissance naturelle de Dieu. — .Nous avons vu que la doctrine luthérienne des suites du péché originel, le nominalisme de la dogmatique protestante poussaient la Réforme a se délier des moyens rationnels de connaître Dieu. La théorie de la foi justifiante, commune à tous les protestants, mais développée surtout chez les sectes mystiques et piétistes. a puissamment contribué à les confirmer dans cette défiance. On se souvient que le pseudo-mysticNne de Molinos l’amena à nier la valeur de la connaissance intellectuelle de Dieu, et que Boehme réduit a rien notre connaissance de Dieu considéré en lui-même et indépendamment des créatures. Il s’est passé quelque chose de semblable dans le monde protestant, par suite du rôle prépondérant, exclusif, attribut' à la foi justifiante dans la constitution de nos idées véritablement religieuses, et par suite du relativisme du mode de représentation de l’objet religieux impliqué dans ce prétendu acte de foi. Cf. Le Bachelet, art. Apologétique, dans le Dictionnaire apologétique, Paris, 1909, t. i. col. 207. C’est sur le modèle des diverses théories pseudomystiques de la foi fiduciale qu’ont été construits, depuis la fin du wiiie siècle, tous les systèmes protestants — doctrines de la foi et philosophies de la religion — qui, prenant pour base la distinction du connaître et du croire, ont nié que nous connaissions Dieu rationnellement et pourtant gardé la croyance en Dieu. A défaut d’une histoire, qui ne saurait trouver place ici, voici quelques faits, qui serviront d’indications.

1. Le flottement doctrinal du protestantisme permettait de ramener toute la religion â l’idée de Dieu ; en d’autres termes, les « essences du christianisme », puis « l’unité des religions sous la diversité des théologii étaient dans la logique et partant dans la psychologie du système des articles fondamentaux. Le protestantisme manque de règle de foi objective ; car ni la Bible, ni les formulaires ecclésiastiques, livrés aussi bien que les décisions du prince, à l’interprétation privée, ne sont des règles de foi extérieures. Intérieurement, chacun réduit le dogme à ce qu’il expérimente. De là, l’indifférentisme, le rationalisme, puis le latitudinarisme. Cf. Herzog. Realencijclopiidie, 3e édit., v » Adiaphora : Wetzer el Welte, Kirchenlexikon, 2e édit.. v° Adiaphora.

2. Même pour les protestants qui admettent encore la révélation positive, il est à remarquer que dans la foi fiduciale l’autorité du témoignage divin n’est pas le motif de l’assentiment et la base de la certitude. Denzinger, n. 1638. Car l’objet de cette foi renferme toujours quelque chose de personnel, qui n’a pas été révélé, qui n’est pas contenu dans la révélation extérieure. Etant donné que dans le système est valablement religieux seulement ce qui est donné par et dans l’expérience intérieure, on crut depuis Lessing pouvoir se passer de la révélation proprement dite, tout en restant protestant, le protestantisme étant réduit à l’idée de Dieu et à la connaissance par h' sentiment moral et religieux. On en est venu à confondre tellement la foi et la connaissance naturelle de Dieu que certains protestants, conscients de la dureté de la prédestination luthérienne et calviniste, admettent la justification des païens par la première idée de Dieu. Cf. Hastings, Dietionary of the Bible, Edimbourg, 1899, t. ii, art. Justification, p. 828 ; Denzinger, n. L040.

3. La théorie de la foi justifiante fournissait un cas typique de connaissance religieuse tenue pour valable sans connaissance intellectuelle antécédente, de croyance « sans raisons intellectuelles ». comme dit M. Payot. Voir Croyance. Pour accorder le dogme luthérien de l’impuissance de la raison en matière morale et religieuse et le privilège de vérité que Ion attribuait à l’expérience religieuse, on imagina d’abord que, s’il y a des preuves rationnelles de l’existence de Dieu, elles ne sont point suffisantes. « Ce sont les preuves de sentiment » qui donnent la vraie persuasion ; « ce sont elles qui font le véritable fidèle, » disait déjà un des traducteurs de la Vraie religion de Grotius, Amsterdam, 1728, p. xv. Et l’on retrouve cette même théorie fort nettement exposée dans Hastings, Encyclopædia of religion and ethics, Édimbourg, 1908, t. I, art. Apologetics, p. 612, 622. L’auteur de l’article, M. Crafer, professeur à Cambridge, ne veut pas être agnostique et il admet les preuves de l’existence de Dieu ; « mais aucune d’elles ne va jusqu’à être une preuve positive. » L’expérience personnelle du chrétien peut seule être la preuve finale. « La preuve rationnelle s’achève dans la région de l’Esprit (Spirit) par la faculté spirituelle de la foi. » Pour la raison, le mot « infini » est purement négatif ; mais, pour la foi, il est entièrement réel et positif. La foi est un moyen ou organe de connaissance « distinct de nos autres moyens de connaissance, en sorte qu’elle doit être ajoutée à nos sens et à notre raison pour compléter notre être cognoscitif. » Car « l’essentiel de la vraie religion est l’exercice de la foi (faith) ; » or Dieu fait appel non à la raison, mais au cœur. M. Crafer voit bien que ce fidéisme choquera ; il répond que « la raison ne doit pas se moquer de la faculté spirituelle de la foi, mais doit l’accepter comme supérieure à elle. » Denzinger, n. 1639, 1643.

On est allé bien plus loin. Jacobi recommanda le salta mortale du fidéisme aveugle. Kant écrivit la Critique de la raison pure pour ruiner les preuves rationnelles de l’existence de Dieu. Le premier en appelait directement à l’expérience religieuse, à celle-là même que l’ensemble des protestants admet dans la justification. Le second déguisa savamment sa pensée, qui pourtant n’échappa pas à ses contemporains, qui parlèrent de son mysticisme et dirent tout haut que le système n’était autre que la doctrine piétiste « de la foi qui opère par la charité. » C’est bien en effet ce que veut dire Kant, lorsqu’il fait reposer la croyance sur des causes subjectives, c’est-à-dire sur des raisons morales. Son habileté fut de profiter du fait que le sentiment de l’obligation morale n’est jamais absent de la conscience et qu’il est lié à l’idée de Dieu. Sænger, Kants Lehre vom Glauben, 1903. Cependant la doctrine de Kant parut trop rationaliste à Schleiermacher ; qui s’appliqua à rendre au sentiment, à l’expérience religieuse proprement dite, son importance. Pas de connaissance religieuse sans l’expérience de la foi : rien de plus conforme au luthéranisme primitif. Ce qui explique l’énorme influence de Schleiermacher dans les milieux protestants, c’est qu’en se réfugiant dans l’expérience intérieure on croyait trouver contre l’athéisme un asile imprenable, une forteresse inattaquable : c’est aussi qu’on se débarrassait par ce moyen du poids mort des dogmes, qu’avaient retenus les premiers protestants, tout en n’ayant pas l’air de tomber dans le pur rationalisme d’un Wegscheider. Cf. T. Parker. Discourse of matters pertaining to religion, 1846 ; Morell, Philosophy of religion, 1849 ; Ferrier, Institutes of metaphysic, Édimbourg, 1854. Le pasteur Coquerel écrivit Le christianisme expérimental, Paris, 1847, « pour les esprits doués d’un juste instinct religieux, » dans le but « de remplacer la foi objective puisée dans les dehors de la vérité par une foi subjective puisée dans l’homme en lui-même, p. xiii. Pour cette foi subjective, disait Coquerel, « se confier en Dieu, c’est se confier en soi-même. Par exemple, se confier en Dieu comme un être aimant et bon, c’est se confier en l’idée que nous nous faisons de son amour et de sa bonté » p. 23 Cf. Newman, encore protestant, Discours sur le développement, 1843 ; trad. Saleilles, La foi et la raison, Paris, 1905, passim et p. 235, n. 28 ; p. 257, n. 41.

4. Nous avons dit que le nominalisme rigoureux, s’il garde la croyance en Dieu, ne peut le désigner que par de pures périphrases, par des dénominations extrinsèques, sans arriver à porter sur Dieu en soi des jugements valables. Nous avons dit aussi que l’objet religieux, dans l’expérience intérieure sans connaissance antécédente de la foi fiduciale, est nécessairement désigné de la même manière. Dès qu’on eut réduit l’objet de la foi à la croyance en Dieu par l’expérience religieuse, il était donc naturel de ramener notre connaissance de Dieu à ce qu’elle est dans l’hypothèse nominaliste, et de nier la portée ontologique de nos jugements sur la nature divine. Kant le fit, on le sait. Schleiermacher, bien que fort peu dogmatique, ne déduisit pas lui-même nettement cette conclusion agnostique, du moins en ce qui regarde Dieu en soi. Mais il se rencontra bientôt des esprits qui tentèrent l’aventure. Cela se fit, soit par réaction contre les prétentions outrées de l’intellectualisme de Cousin et de la philosophie spéculative de Hegel, et tel est le cas de sir Hamilton, Discussions on philosophy and literature, 1852 ; Lectures on metaphysics and logic, édit. Mansel et Veitch, Edimbourg, 1866, et aussi de Mansel, The limits of religions Thought, 1859 ; soit dans un esprit plus rationaliste, et tel est le cas de Parker et de Coquerel qui, dès ces temps lointains, parlent, l’un, de la « vérité mobile » et de « l’unité des religions, sous la diversité des théologies, » Denzinger, 10e édit., n. 2058, 2082, parce que l’expérience religieuse « ne nous renseigne pas plus sur son objet que ne le font nos sens sur la nature intime des choses, » Parker, op. cit., p. 14 sq. ; l’autre, du principe « que la nature de Dieu n’est connue que de lui, que Dieu n’est pas matière à raisonnement. » Coquerel, op. cit., passim. Le moyen terme employé fut simplement l’adjonction de l’hypothèse nominaliste à l’interprétation de l’expérience religieuse sentimentale. On sait que le c. v, Réconciliation, des Premiers principes de Spencer est le résultat de cette manœuvre. L’agnosticisme empiriste a été l’issue de ces spéculations.

En Allemagne, on est arrivé au même résultat de l’agnosticisme, mais idéaliste, avec Albert Ritschl. Celui-ci, pour bien marquer les origines protestantes de son système, l’a exposé dans un livre qui a pour titre, Die christliche Lehre der Rechtfertigung und Versöhnung, édition modifiée de 1888. Il faut analyser cette doctrine, parce que c’est de Ritschl que dépendent Harnack, Sabatier, etc., et par suite ceux des modernistes qui ne sont pas simplement spencériens ou positivistes. La théorie de la connaissance religieuse de Ritschl est fondée sur la théorie kantienne de la connaissance, bornée au seul phénomène, bien que Ritschl accepte la formule de Lotze : « Nous connaissons les choses dans les phénomènes. » Car il semble bien, malgré des flottements, que « les choses » sont pour lui un produit de notre activité mentale, une image, résidu de plusieurs perceptions sensibles ; et sur ce point, le système confine à l’idéalisme phénoméniste. Quoi qu’il en soit, Ritschl distingue expressément une connaissance religieuse et une connaissance théorique, — fonctions distinctes, qui, même appliquées au même objet, ne coïncident sur aucun point, mais divergent entièrement. » L’esprit peut, en effet, se référer de deux façons à ses perceptions : ou, les regardant comme des données objectives, il cherche à les organiser en un système cohérent de la nature, au moyen du lien causal, et porte à leur sujet des jugements théoriques, scientifiques, d’existence ; ou il les considère comme agissant sur le sujet sensible et porte à leur sujet des jugements de valeur (Werturteile), caractérisés par ce fait qu’ils font abstraction de la nature objective et des relations des choses entre elles, et apprécient seulement leur aptitude à satisfaire les besoins (esthétiques,

moraux, religieux) du sujet. Ainsi est établie la distinction entre la connaissance religieuse, exclusivement relative au sujet, intéressée, s’exprimant par des < jugements de valeur indépendants » — et la connaissance théorique. Par exemple, l’homme religieux n’a pas à se prononcer sur ce jugement : Jésus est-il Dieu ? — mais sur celui-ci : Jésus a-t-il pour moi, pour ma vie religieuse et morale, la valeur d’un Dieu'.' Et le second, pour Ritschl, ni n’implique le premier, ni n’en dépend. La théorie, de la religion est faite pour s’accorder avec celle théorie de la connaissance religieuse. La religion n’a pas pour objet les rapports de Dieu avec l’homme ou l’union de l'âme avec Dieu. Son but est de donner une solution au problème que voici : l’homme, jugeant qu’il est un être spirituel et personnel, voit qu’il est né pour dominer le monde ; d’autre part, il se sent dépendant du monde, opprimé par lui. Il trouve une solution de ce problème pratique dans l’idée d’un pouvoir supérieur au monde, qui le gouverne pour les fins de la vie spirituelle. Cette idée de Dieu n’est ni une intuition, ni une inférence rationnelle, mais un postulat de l’homme qui en a besoin pour exercer sa maîtrise personnelle et spirituelle sur le monde. Ce postulat s’exprime sous une forme symbolique, par exemple, Dieu est amour. Par là, on voit ce que signifie la célèbre phrase de Ritschl : « Dieu n’est qu’un simple nom qu’emploie le chrétien pour résumer ses impressions religieuses. » Mais toute intrusion du jugement théorique en matière religieuse est nulle et sans valeur : exemples, dogmes de la Trinité, des deux natures dans le Christ. Tout ce que nous pouvons dire est que Jésus est Dieu pour nous, a pour nous une valeur divine, parce qu’il nous révèle Dieu, c’est-à-dire parce qu’il nous manifeste une maîtrise complète sur le monde matériel (rédemption, justification, vie éternelle), un dévouement absolu au royaume de Dieu (communauté de personnes agissant d’après les lois de la vertu). Donc notre religion, notre christianisme, conclut Ritschl, sont indépendants de ce que nous pensons comme philosophes, de ce que nous tenons comme historiens.

Sous la phraséologie moderne de Ritschl, on reconnaît la vieille doctrine de la foi fiduciale, où tout en matière religieuse dépend de l’impression du sujet, où l’objet religieux se définit en fonction des besoins, des états, des émotions du sujet, sans qu’aucune donnée intellectuelle intervienne. Le système a été développé et appliqué à la connaissance de Dieu. On croit à l’existence de Dieu « sans raisons intellectuelles » ; ou bien, si l’on garde encore ces raisons, on déclare, comme Molinos, sans valeur la conclusion à laquelle on aboutit par le discours, sauf à déguiser le procédé par un appel à Kant ou à la philosophie positiviste. A la réllexion cependant, on concède, ou bien avec Kant que l’on croit à cause de nos besoins moraux, ou bien avec Rainquc la croyance est un « développement de la volonté à la poursuite de fins immédiates » et qu’elle « dépend de nos tendances actives et émotionnelles. » Mental science, l. IV, c. viii, l re et 3e édit. Toutes explications, d’apparence scientifique, que donnait déjà d’un mot le traducteur ancien de Grotius, quand il affirmait que la preuve qui fait le vrai fidèle est la preuve de sentiment « par les besoins de la conscience ». D’ailleurs, que pour éviter en apparence le pur sentiment, on ait recours à l’intuition immédiate, sans preuves, avecM. Monod, art. Foi, dans Lichtenherger, Encyclopédie des sciences religieuses, Paris, 1878, t. v, p. 1 ; qu’on fasse appel à une vue mystique et suprarationnelle, avec Rradley, Appearance and reality, 2e édit., 1902 ; au subconscient, avec William James ; à l’action de l’Esprit, avec Heard, The triparlite nature of man, 5e édit., Edimbourg, 1882 ; à un fait de conscience « impénétrable à l’analyse », avec Sabatier, Esquisse d’une phi loeophie religieuse, etc., Paris, 1898, p. in : c’est toujours à l’expérience intérieure, à l’exclusion de toute connaissance rationnelle, qu’on a recours. Le thème sur lequel on exécute toutes ces variations, n’est autre que la pseudo-mystique de la foi liduciale des premiei protestants.

Inutile d’ajouter que, ne reconnaissant aucune valeur aux preuves, à la connaissance intellectuelle en matière religieuse, on s’abstient, comme Locke ou connue Kant, de tout jugement sur la nature intrinsèque Dieu. Dieu reste aussi inconnu dans le système d Auguste Sabatier que dans celui de Spencer. Dans les deux cas, on le désigne par une dénomination extrinsèque et par de pures métaphores. Les métaphores binent, mais le procédé est identique. (Jue Spencer décrive le travail de la religion : « Construire sans fin des idées qui exigent l’effort le plus énergique de nos facultés, et découvrir perpétuellement que ces idées ne sont que de futiles imaginations et qu’il faut les abandonner, telle est la lâche, qui, plus que toute autre, nous fait comprendre la grandeur de ce que nous nous efforçons en vain de saisir, a Premiers principes, § 31 ; ou que Sabatier nous apprenne que « la définition de l’objet adoré se tire du culte et du bienfait qu’on en attend », Les religions d’autorité et la gion de l’esprit, Paris, 1904, p. 529, 534 ; c’est philosophiquement tout un. Nous n’avons dans les deux cas qu’une connaissance symbolique, et Dieu n’est désigné que par nos états subjectifs.

On pourrait s’imaginer que cet agnosticisme croyant était totalement étranger aux anciens protestants. Les protestants libéraux ici encore ont raison ; ils ont des ancêtres. La multiplicité des sectes, l’ambiguité voulue des formulaires ecclésiastiques, les variations perpétuelles sur les dogmes particuliers, l’unité extérieure sauvegardée, sans unité de pensée, par le soin de vider les formules de tout sens ferme et précis qui s’imposât, firent naître de bonne heure l’idée de la relativité de nos connaissances sur Dieu. On s’attacha surtout à ce qui répondait à un intérêt moral, à ce qui procédait des besoins de l'âme. De tout le reste, on fit des symboles, qui ne sont que des images subjectives, d’une vérité toute relative ; on considéra ces symboles, créés par les besoins de notre esprit et correspondant aux lois psychologiques de notre être spirituel, comme des produits de la réflexion, sans portée objective et métaphysique. Tel est le sens de l’apologétique d’aveugles adoptée par le D' Harris ; pour défendre la religion naturelle, il s’appuie sur ce que nous sommes dans une ignorance complète de la nature de tout ce qui nous entoure : il en est de même pour Dieu. Quoi de surprenant ? Cf. Rurnet, Défense de la religion tant naturelle que révélée (fondation Boylei, La Haye. 17'ii. t. il, p. 34 sq. Vers la même époque, et donc bien avant Mansel, Limits, etc., et M. Tyrrell, Through Scylla and Charybdis, Londres, 1907. c. Révélation, l’archevêque anglican de Dublin, King, Discoursc of predestinalion, 1709, réimprimé par Whately, dans ses Bantplon lectures, Appendix, p. 480. et l'évêque de Cork. Browne, Procédure, e.rtent and limits of human underslanding, 1728, soutinrent, dans des vues iréniques, à propos de la prédestination, que notre connaissance de Dieu est purement analogique au sens nominaliste, en sorte que nous « n’avons aucune conception directe et propre des attributs divins, pas plus que de quelque autre chose de ce monde. » Cf. S. Thomas. Sum. theol., 1 », q. xiii, a. 3. Voir Berkeley, Alciphron, dial. iv. c. xxi, et, en sens contraire, Spinoza. Ethica, pari. I. prop. xvii, scholion ; pari. II. prop. xi. v-xi. vu ; Copieston, Enquiry into the doctrines of necessity andpredestination, 1821 ; Grinfield, Vindiciiv analogies, 182-2 ; Ruchanan, Analogij considered as a guide la truth, 2e édit., 186."). Le rôi Jacques I er, pour écarter tout

blâme de l'Église anglicane, parle de sa « religieuse modération dans la curiosité aux mystères, » et pense résoudre les controverses par une solution agnostique. Cf. Du Perron, Réplique à la réponse du sérénissime roi de la Grande-Bretagne, Paris, 1620, p. 858 sq. Voir ïxrrell, op. cit., p. 95, 99 ; Denzinger, n. 1392, 1644 ; Le Roy, Dogme et critique, Paris, 1907, p. 32. Calvin, malgré son dogmatisme, pour résoudre les difficultés de la prédestination telle qu’il la conçoit, recourt à l'échappatoire de la « docle ignorance » pseudo-mvslique et agnostique de Nicolas de Cusa. Institution chrétienne, l. III, c. xxi, 3 ; c. xxiii, 8. D’ailleurs, d’après Calvin, « l’intelligence de la foi consiste plus en certitude qu’en appréhension. » Lobstein, Élude sur la doctrine chrétienne de Dieu, Lausanne, 1907, p. 115 sq. La position de Luther relativement à l’agnosticisme se manifeste par cette proposition : Istis novissimis trecenlis aunis multa perperam detcrminala sunt, quale est essentiam divinam nec generari nec generare. Pour détendre cet article, condamné par la Sorbonne, Mélanchtlion, après avoir parlé des stidtas et nugatorias quæstiones et de lana caprina logomacltias que, d’après lui, discutent les théologiens, cherche à légitimer l’agnosticisme de Luther par un texte de saint Augustin, souvent cité durant ces dernières années : Augustinus percutit vestram audaciam. Vis scire, inquit, naturam Dei'? Hoc scito, quod nescias. Confutatio, p. 71. Sans doute, ni Luther ni Mélanchtlion n’auraient admis, avec M. Simrnel, « que toutes les religions se valent théoriquement, puisque le contenu d’aucune n’est logiquement déterminable. » Simrnel, De la religion au point, de vue de la théorie de la connaissance, dans Bibliothèque du congres international de philosophie de 1900, Paris, t. il, p. 319. Mais s’ils auraient reculé devant les conclusions. M. Harnack n’a pas complètement tort de penser qu’ils posaient les prémisses.

Critique. — 1° Il ne manque pas de protestants qui voient clairement que « c’est abuser du langage de remplir ses pages des mots foi, vie spirituelle, quand on croitàl’Kcritnre comme on croit à Homère et à Platon. » MacCosh, The methodofthe divine government, 'redit., Edimbourg, 1855, p. 507. Il en est d’autres qui continuent rationaliste Wegscheider, que a la raison guider et juger le sentiment. < Institutiones theo 1844, p. 5 :  : . D’autres pensent avec saint Paul. I Église et ie concile du Vatican, Denzinger, n. 1643, Hi.". : i, 1658, qu’il est deux ordres de vérités moral*

ii uses, celui que la raison peut atteindre naturelle ni et celui don) la connaissance suppose la révélation, et ils regrettent que cette distinction soit méconnue par tanl d< réformés..Vaille. Les philosophie* négatives, Paris, > 13 il ». Il ne leur échappe pas que

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Buchanan, Faith ii, God, Edimbourg, 1855, t. il, p. 219. Enfin beaucoup combattent l’agnosticisme en généralel "1er" du pragmatisme. Oui ou non, saque Dieu i ! rémunérateur ' Si l’on admel alité objective du jugement et du juge, il m a plus

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religieuses et toute une épistémologie. Mais c’est prendre pour accordée une hypothèse psychologique et oublier de prendre pourpoint de départ un fait constaté. Ensuite, chez les mystiques orthodoxes qui la soutiennent, cette hypothèse est réservée à certains cas d'états mystiques ; aucun auteur orthodoxe ne confond, avec ces états, la foi surnaturelle proprement dite, et encore moins la simple connaissance naturelle de Dieu par la raison. D’ailleurs, cette hypothèse est contre l’adage : lgnoli nulla cupido, et contre le mot de saint Augustin : Invisa diligere possumus, incognila non valemus. Mot et adage qui expriment un fait d’expérience, parfaitement indépendant de l’opinion qu’on se fait sur la question de la distinction réelle des facultés Peut-on raisonnablement fonder toute la religion sur une hypothèse aussi branlante que celle de Gerson ? Est-ce là procéder scientifiquement ? Enfin, quand l’hypothèse de Gerson serait confirmée par les faits et, par suite, pourrait servir au théologien dans la théorie de l’inspiration ou de la révélation immédiate, c’est un saut de génère ad genus de transporter à notre foi qui est j médiate et non œuvre d’amour mystique, ce que Ger ! son et ses adhérents disent d’un certain état de l’amour | mystique..4 fortiori, ce saut est-il, comme celui de Jacobi, mortel, si on passe de l’amour mystique dont parle Gerson à la simple croyance à l’existence de Dieu.

Il serait illusoire d’essayer ici une bibliographie. Nous nous bornons de parti pris aux indications suivantes, où l’on trouvera les renseignements qu’il nous est impossible de donner. Beimannus, HistoriaUmversalisatheismietatheorum…apudJudwos christianos, muhamedanos.ordinechronologico descripta et à suis initiis usque ad nostra tempora deducta, Hildesheim 1725 ; Jean François Buddeus, Traité de l’athéisme et de la superstition avec des remarques historiques et philosophiques, trad. L. Philon, Amsterdam, 1740 ; J. Brucker, Historia critica philosophise… ad nostram usque tetatem deducta 2- édit., 6 vol., Leipzig, 1767. Ces trois ouvrages de main protestante donneront l’histoire et la bibliographie de toutes les anciennes controverses sur notre sujet. Pour la (in du xviii siècle et le début du xix-, le même service sera rendu, à un point de vue plus rationaliste que protestant, par G. Bretschneider, Systematische Entwickelung aller in der Dogmatik vorkommenden Begriffe, nach den symbolischen Schriften der evangeliscl.. lutherischen und reformirten Kirche, etc., 4- édit., Lei 1841 (ouvrage publié en 1803, mais tenu à jour) ; Wegscheider.' Institutions theologise christianm iogmaticæ, 8- édit., Leipzig, 1844. Depuis cette époque à nos jours, cette littérature pi ciale esi touffue plus que jamais. On trouvera des références suffisantes, pour l’Angleterre, dans le rationaliste (sens 8 actuel), Benn, The Mstory o) english rationalistn in the xix iry, 2 vol.. Londres, 1906 ; peur l’Allemagne, dans Uh ! mann (catholique), Die Peradnlichkeii Goltes und ihre modernen Gegner, 1906. D’une manière générale, la bibliographie abondante de Sabatier, Esquisse d’une philosophie de la reliV après la psychologie et l’histoire. Parle, 1896 ; celle de Morris Jastrov, The study of religion, Londres, 191 I

in, Études sur la doctrine chrétienne île Dieu, I ausanne, 1907, Indiqueront letravaux récentsà i… ii humaine m noug

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avoir lu qu’Une mince partie, en cherchant a choisir, P trôler les vues que nos études nouBavalent i avant de publie, . n té nos conclus ! '.

ouvrages elles dans le suivants, qui m

atlon du nominal rges Lyon, / « p » cs,

Parla, 1898 ; ] inglelcrre au wnr slàt I

1888 : D( me moral dont SptMi, /), , , Boutroux, Éludes d’histoire de la phii phie, P tines de iii,

aine, Lonvaln, 186 sophy of Immanuel Kant, 2 vol., 161, , /, , , .

pratique de Kant, Pari, I » Léon I a) hil tophie

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Parla, 1894 ; Maillet /, , , f /„

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Essence du christianisa, „„_' nés Duns Scotus, Leipzig, 1000 ; Pfleiderer, Geschichte der Religionsphilosophie, 3e édit., 1893 ; Balllie, Theorigin and ftcance of Hegel’s logic, 19CM : J. Caird, A « introduction to tl »’philosophy ofreligion, 1880 ; .i— Orr, llw Ritsehlian theology and the evangelical faith, 1897 ; Kattenbusch, VunSchleiermacher zu Ritachl, 2* « jdit., 1893 ; Ecke, Die theologische Schule .. RitschV », 1897 : Rébelliau, Boasuet historien du protestantisme, Paris, 1892.