Dictionnaire de théologie catholique/CALVIN Jean

Dictionnaire de théologie catholique
Texte établi par Alfred Vacant et Eugène MangenotLetouzey et Ané (Tome 2.2 : CAJETAN - CISTERCIENSp. 32-42).

CALVIN Jean, chef de la secte religieuse appelée « le son nom calviniste. Sa vie, bien que souvent étudiée, soulève encore aujourd’hui un certain nombre de problèmes. Réservant pour l’article Calvinisme l’étude de sa doctrine, nous nous occuperons uniquement ici de sa biographie, en rattachant ses œuvres à chacune des époques de sa vie à laquelle elles appartiennent. —
I. Jeunesse de Calvin.
II. Vie, voyages et œuvres de Calvin de 1533 à 1536.
III. Premier séjour de Calvin à Genève de 1536 à 1538.
IV. Calvin à Strasbourg, 1538-1541.
V. Calvin a Genève de 1541 à 1555 ; organisation de l’Église et de la cité ; luttes politiques et religieuses ; triomphe de Calvin.
VI. Le rôle de Calvin en Europe et ses œuvres de 1541 à 1555.
VII. Dernières années de Calvin : son intervention dans les affaires religieuse la France ; ses dernières œuvres ; sa mort (1555-1564).

I. Jeunesse de Calvin. 1509-1533. — C’est le 10 juillet 1509, vingt-cinq ans après Luther, que naquit, à Noyon, l’homme destiné à exercer sur la Réforme française une influence plus profonde, et, sur le protestantisme en général, une action aussi puissante que celle de Luther : Jean Calvin (forme tirée du latin), Cauvin (forme picarde), ou Chauvin. Ses étaient bateliers sur la rivière d’Oise et habitaient au village de Pont-l’Évêque, près Noyon. Son père, Gérard, fut successivement notaire du chapitre, greffier de l’officialité. promoteur du chapitre. Sa mère, Jeanne Le Franc, était de famille riche. C’est à Noyon, au collège des Capettes. que le jeune Calvin reçut « la première discipline de la vie et des lettres », et, suivant le témoignage de Jacques Desmay, docteur de Sorbonne, auteur de Remarques sur la vie de Calvin (1621), s’y montra « de bon esprit, d’une promptitude naturelle à concevoir, et inventif en l’étude des lettres humaines ». À douze ans, il fut pourvu, grâce à son père, d’un petit bénéfice (une des quatre portions de la chapelle de Gésine) et à cette occasion reçut la tonsure. Il ne devait jamais aller plus loin dans la carrière des saints ordres.

En 1523, Jean, âgé de 14 ans, partit pour Paris et suivit les cours du collège de La Marche, où il eut pour maître le grammairien Cordier qui devait être plus tard son disciple et mourir à Genève. C’était l’année où le compatriote de Calvin, Louis Berquin, était jeté pour la première fois en prison comme suspect d’hérésie, et où le parlement faisait faire une recherche exacte des livres luthériens pour en poursuivre les auteurs. Au même moment, la famille de Calvin, pour une question d’intérêt, se brouillait avec le chapitre de Noyon. En 1526, Jean Calvin passa au collège de Montaigu, alors sous la direction de Noël Beda, le pesant adversaire d’Érasme et des humanistes. Il étudia la philosophie et la théologie, lut Duns Scot, saint Bonaventure et saint Thomas. En 1527, son père obtint pour lui la cure de Saint-Martin de Martheville, qu’il échangea en 1539 contre celle de Pont-l’Évêque.

Jusqu’en 1526, aucun trouble ne paraît s’être élevé dans l’esprit de Calvin ; il était travailleur, d’humeur sévère, suivant les uns, sombre, suivant d’autres, d’ailleurs, s’il faut en croire son propre témoignage (Préface au commentaire des Psaumes), « si obstinément adonné aux superstitions de la papauté qu’il était bien mal aisé qu’on le pût tirer de ce bourbier si profond. »

Alors, au dire de beaucoup d’historiens protestants, déjà anciens, se serait passé dans l’âme de Calvin un drame intime analogue à celui qui avait révélé à Luther le grand mystère de la justification par la foi seule. Mais le premier et le mieux informé des historiens de Calvin, son ami et son disciple, Théodore de Bèze, nous montre que la première cause de la transformation de Calvin fut une influence extérieure, celle de son cousin Pierre-Robert Olivétan, qui lui fit connaître la nouvelle doctrine. Il se peut aussi que le spectacle d’hommes mourant pour leur foi, en 1526 et 1527, lors de la réaction anti-luthérienne qui suivit la bataille de Pavie, ait fait grande impression sur l’âme du jeune homme. Toujours est-il qu’il est probable que, vers la fin de 1527, Calvin se sentait déjà ébranlé non seulement sur sa vocation ecclésiastique, mais sur certains principes catholiques. Fut-ce pour cette raison que, d’accord son père, au commencement de 1528, il quitta Paris pour Orléans et la théologie pour le droit qu’il étudia sous le célèbre Pierre de l’Esloile ? Une maladie le rappela quelque temps à Noyon, où précisément les opinions nouvelles commençaient à agiter les esprits et à compter des partisans. A Orléans, Calvin fit la connaissance du professeur luthérien Melchior Wolmar qu’il devait retrouver peu après à Bourges, où leur amitié se forma. Licencié, Calvin passa d’Orléans à Bourges, où enseignait l’émule de Pierre de l’Estoile, Alciat, de Milan, le réformateur de la science du droit qu’il vivifiait par l’histoire et la philologie. A Bourges, Calvin trouvait un centre luthérien : des professeurs de l’université, entre autres Wolma. (chez qui il rencontrait Théodore de Bèze enfant), et des docteurs en théologie, comme Jean Chaponneau, de l’abbaye de Saint-Ambroise, et le bénédictin Jean Michel. Les grandes scènes qui se passaient alors en Allemagne (diète de Spire de 1529) intéressaient au plus haut point maîtres et étudiants. Wolmar, qui perfectionna Calvin dans l’étude des lettres, paraît avoir été son principal initiateur religieux. Au témoignage de Th. de Bèze, Calvin aurait même déjà exercé une sorte d’apostolat, notamment chez le seigneur de Lignière. Cependant, il ne se croyait pas encore et n’était pas de fait détaché de l’Église catholique. En 1531, au moment où son père meurt excommunié, par suite de ses démêlés avec le chapitre de Noyon, sa correspondance ne trahit aucun trouble de conscience ; il abandonne la jurisprudence ; on songe pour lui à une dignité ecclésiastique ; mais il préfère revenir à Paris prendre part au mouvement humaniste, suivre les cours de Danès et de Vatable, et publier lui-même, en 1532, un commentaire du De clementia de Sénèque, qui ne dépasse guère la portée d’un bon exercice de rhétorique.

Autant qu’on en peut juger, c’est de 1531 à 1533 que se place ce que les historiens protestants appellent la conversion de Calvin, conversion à ses propres idées, dit spirituellement M. Brunetière. Elle ne se fit pas sans combat, ni déchirement intérieur, s’il faut en croire la fameuse lettre de Calvin à Sadolet (1er septembre 1539). Opera, t. v, p. 385. Malgré cette lettre, qui est un manifeste destiné au public, les motifs du changement de Calvin sont encore mal connus ; il semble, toujours d’après le même document, que les considérations d’ordre intellectuel aient été les premières à agir sur lui. Il s’élève avec force contre la scolastique, puis il prend à partie toute la tradition ; tout l’enseignement et toute la discipline de l’Église lui semblent corrompus ; Dieu lui parle et lui donne une mission qu’il compare lui-même à celle des prophètes en face du sacerdoce régulier d’Israël ; il est chargé de ramener l’Église à sa pureté primitive. Ce n’est pas le spectacle des mœurs du clergé qui l’a poussé à abandonner l’Église catholique ; sans doute il en parle avec une certaine véhémence, mais incidemment et sans paraître y attacher une importance très grande ; le respect de l’Église l’a même arrêté un certain temps : Una præsertim res animum ab illis meum avertebat : Ecclesiæ reverentia. Il n’a cédé que quand il a été convaincu que l’idée de la véritable Église lui avait été révélée et il a tout sacrifié à l’appel de Jésus-Christ. Voilà ce qu’il affirme dans sa lettre à Sadolet ; mais, dans la Préface au commentaire des Psaumes, il dit que sa conversion fut subite.

Bans le courant de 1532, pour une cause que l’on ne peut préciser, Calvin se décida à aller de nouveau à Orléans et y fut procureur de la « nation picarde ». Cette période de sa vie est obscure. Au mois d’août 1533, nous le trouvons à Noyon, en septembre, à Paris, chez son compatriote Étienne de La Forge, riche marchand, qui recevait alors les réformés et devait en 1535 monter sur le bûcher ; à la fin d’octobre, de nouveau à Paris, au collège Fortet.

A ce moment, les novateurs, enhardis par la protection de Marguerite de Valois et par la politique que suivait François Ier depuis deux ans, croyaient pouvoir affirmer leur doctrine en plein Paris. Ce fut Calvin qui, par l’intermédiaire du recteur Cop, s’en chargea. Il écrivit le discours que, le jour de la Toussaint de 1533, Cop prononça (d’ailleurs après l’avoir modifié) dans l’église des Mathurins, en présence du corps universitaire. Vers la fin, après diverses attaques, se trouvait le passage décisif : « Hérétiques, séducteurs, imposteurs maudits, c’est ainsi que le monde et les méchants ont l’habitude d’appeler ceux qui purement et sincèrement s’efforcent d’insinuer l’Évangile dans l’âme des fidèles, etc. » Corpus reformatorum, Correspondance de Calvin, n. 19 bis.

Quoique le discours fût somme toute modéré, le scandale fut immense. Cop s’enfuit et se réfugia à Bâle. Calvin de son côté n’attendit pas la venue des gens de justice. Il prit, sous un déguisement, le chemin de Noyon, disant, au témoignage de Desmay, à un chanoine qu’il rencontra : « Puisque je suis engagé, je poursuivray tout outre. Toutefois, si j’avois à recommencer, je ne m’y engagerois jamais. »

Cet événement marque la fin de la jeunesse de Calvin ; il était dans sa 25e année ; admirablement muni de tout ce qui pouvait faire de lui un chef d’école redoutable ; il savait le latin, le grec et passablement l’hébreu ; il avait beaucoup lu ; il était versé dans le droit et la théologie et ces deux études avaient développé en lui la puissance dialectique ; sa parole était vigoureuse ; il avait grande confiance en son esprit et était persuadé que nul ne pouvait avoir raison contre lui. Sa jeunesse avait été celle d’un étudiant laborieux, intelligent, énergique, mais sans passion, sans héroïsme, sans flamme ; il n’avait le tempérament ni d’un apôtre, ni surtout d’un martyr ; quant à ses mœurs, elles paraissent avoir été régulières ; l’acte honteux qu’on lui a reproché appartiendrait aux mois qui ont suivi son départ de Paris. Après cette fuite, allait commencer pour Calvin une période de pérégrinations qui est une des moins claires de son existence.

II. Vie, voyages et œuvres de Calvin de 1533 à 1536. — Il est très difficile — et il n’est pas nécessaire ici — de chercher à établir tout à fait exactement l’ordre chronologique des voyages de Calvin durant ces trois années. Théodore de Bèze nous assure qu’il revint à Paris quelque temps après en être sorti et qu’il fut même reçu très honorablement par Marguerite de Valois. Puis il céda aux invitations réitérées de son ami Louis du Tillet, curé de Claix et chanoine d’Angoulême, et se mit en route pour la Saintonge. C’est là qu’il commença à s’occuper de la Psychopannychia contre l’erreur de ceux qui pensent que les âmes dorment de la mort au jugement dernier, et aussi des travaux préparatoires du plus important de ses ouvrages : l’Institution chrétienne : « Voilà, dit l’historien catholique contemporain de Calvin, Florimond de Ræmond, de qui M. Doumergue admet le témoignage (l. VII, c. ix), voilà la forge où ce nouveau Vulcain a préparé sur l’enclume les foudres qu’il a lancées dès lors de toutes parts. » Encouragé et protégé par du Tillet qui entendait, quant à lui, rester dans l’Église, Calvin faisait en outre une propagande discrète et prudente. D’Angoulême (en avril 1534), il alla à Nérac, où la reine Marguerite se trouvait avec Lefèvre d’Étaples, qui, dit Théodore de Bèze, salua en lui le futur restaurateur du royaume de Dieu en France.

En mars 1534, Calvin se rendit à Noyon, où l’on avait commencé à lutter sérieusement contre l’hérésie, et résigna ses bénéfices. Il provoqua dans la cathédrale, la veille de la Trinité, une manifestation tumultueuse qui lui valut d’être incarcéré dans la prison du chapitre. Élargi le 3 juin, il fut réincarcéré le 5, et pendant un temps qui ne nous est pas connu ; on suit qu’il était encore à Noyon en septembre.

Cet emprisonnement serait-il l’origine de la tradition relative à la condamnation de Calvin pour un crime honteux ? M. Abel Lefranc croit pouvoir l’affirmer. La dissertation que M. Lefranc a consacrée à cette fameuse accusation nous paraît décisive. En tant qu’accusation précise, elle ne repose que sur l’affirmation justement suspecte du médecin Bolsec dans sa Vie de Calvin. Nous croyons qu’elle doit être absolument rejetée. Au surplus, on ne s’expliquerait pas l’autorité morale qu’a eue Calvin si des dires aussi infamants avaient eu quelque fondement.

Les revirements politiques qui marquèrent l’année 1534, et les démarches autorisées par François Ier auprès de Bucer et de Mélanchthon, permirent-ils à Calvin de se rendre à Paris dans l’été ou au commencement de l’automne de 1534 ? C’est probable, en tout cas il ne fit qu’y passer.

À Poitiers, où nous le rencontrons ensuite, Calvin, sous le pseudonyme de Charles d’Espeville, paraît avoir fait une propagande assez active, notamment à l’abbaye de Trois-Moutiers ; plusieurs des nouveaux adeptes de Calvin furent envoyés, comme missionnaires, dans le Poitou, l’Angoumois, la Saintonge, la Guienne et le Languedoc. À Orléans, Calvin écrivit la première préface de sa Psychopannychia (1534), ouvrage exclusivement théologique, en latin, et qui ne devait paraître qu’en 1542. La fameuse affaire des placards affichés contre la messe, dans la nuit du 18 octobre, détermina la colère du roi contre les novateurs, alluma les bûchers et entraîna la fuite des réformés les plus en vue. Calvin ne se sentit plus en sûreté en France ; accompagné de du Tillet, il prit le chemin de l’exil.

L’asile le plus naturel, surtout pour qui voulait écrire, c’était une ville des bords du Rhin. Calvin se rendit à Bâle, en passant par la Lorraine et en s’arrêtant à Strasbourg. Dans cette dernière ville, il étudia l’organisation de l’Église réformée et s’entretint avec Bucer qui vraisemblablement le mit au courant des projets d’union agités avec François Ier. Peut-être fût-ce ce projet mieux connu qui détermina Calvin à hâter la publication de son livre. Caché sous le nom de Martianus Lucanius, fuyant le monde, il composa et acheva l’œuvre qu’il avait commencée, l’Institution chrétienne, qu’il écrivit d’abord en latin ; le 23 août 1535, l’Épitre dédicatoire à François Ier était terminée et faisait de ce jeune homme de 26 ans, son auteur, le chef de la Réforme française.

L’Institution chrétienne a été, on peut le dire, l’œuvre de toute la vie de Calvin ; il n’a pas cessé de la retravailler. La 1re édition, celle de mars 1536, ne comptait que six chapitres, et celle de 1559, rédaction définitive et dernière, en compte quatre-vingts, divisés en quatre livres. La 1re édition française fut faite sur l’édition latine de 1539 et publiée en 1541 à Strasbourg ; la dernière que Calvin ait revue est celle de 1560. On en trouvera l’analyse à l’article Calvinisme. L’Épitre dédicatoire nous révèle l’intention de l’auteur ; il veut réfuter les reproches adressés à ses coreligionnaires, montrer qu’ils sont les vrais interprètes et possesseurs de la doctrine de Jésus-Christ, faire appel en leur faveur à la conscience de François Ier et l’inviter à prendre en main la défense de la vérité.

Ce travail achevé, Calvin alla à Ferrare, chez la fille de Louis XII, l’émule plus hardie de Marguerite de Navarre, cette duchesse Renée avec laquelle il devait entretenir désormais une correspondance spirituelle. Malgré l’autorité de Muratori, qui l’affirme sur un simple ouï-dire, il ne semble pas que Calvin ait eu maille à partir avec l’Inquisition, et c’est plutôt par la volonté du duc de Ferrare qu’il dut quitter la cour.

Au printemps de 1536, sans doute à la faveur de l’édit de Lyon, Calvin retourna en France, y prit avec lui son frère Antoine, sa sœur Marie, quelques amis. régla ses affaires, et résolut de s’établir à Strasbourg ou à Bâle. Les dangers de la route de Lorraine, au cours de la guerre entre Charles-Quint et François Ier, le déterminèrent à passer par Genève ; dans les derniers jours de juillet 1536, il entrait dans cette ville sur les destinées de laquelle il allait exercer, sans s’y être attendu, une si prodigieuse influence.

III. Premier séjour de Calvin a Genève, 1536-1538. — Genève ! Calvin ! ces deux noms sont si étroitement liés l’un à l’autre qu’il semble que la cité libre et protestante, dont le rôle a été si considérable en Europe depuis le xvie siècle, soit tout entière l’œuvre de Calvin. Et cependant, Genève était libre avant Calvin ; Genève avait embrassé la Réforme avant Calvin ; ce n’est pas le protestantisme qui a donné la liberté a Genève ; pas plus qu’en nul autre lieu, la Réforme ne s’est établie à Genève pour des causes purement, ni même surtout religieuses ; là comme partout, les circonstances politiques ont tenu une place principale ; le désir de secouer le joug du duc de Savoie, puis celui de son prince-évêque, l’alliance, puis la violente intervention des Bernois, ont amené peu à peu les Genevois à accepter la réforme religieuse que Guillaume Farel leur prêcha clandestinement dès 1532, publiquement en 1534. On ne peut nier d’ailleurs que le désordre et la démoralisation de Genève — y compris son clergé — dans la première partie du xvie siècle, n’aient fait sentir vivement le besoin d’une réforme. Le 29 novembre 1535, les conseils de Genève avaient décrété l’abolition de la messe et, le 21 mai 1536, les citoyens réunis en conseil généra) avaient ratifié ce vote et déclaré vouloir vivre sous la loi évangélique : « Tout était en apparence consommé dans Genève, dit Mignet, dans son célèbre mémoire sur l’Établissement de la Réforme à Genève, lorsque parut sur ce théâtre, où venaient de s’accomplir plusieurs révolutions, un acteur qui devait y en opérer une nouvelle, et s’illustrer lui-même en rendant Genève la capitale d’une grande opinion. Cet acteur fut Calvin. »

Calvin a raconté lui-même, dans sa Préface au commentaire des Psaumes, cette scène solennelle, récemment contestée, mais à tort, qui se passa dans l’hôtellerie de Genève où il s’était arrêté pour une nuit avant de poursuivre rapidement sa course jusqu’à Bâle. « Peu de temps auparavant, dit-il, par les soins de l’excellent Farel et de Pierre Viret, le papisme avait été vaincu ; mais la ville était encore en désordre et en proie à de méchantes et funestes factions. » Farel, averti par du Tillet, accourt trouver Calvin et le supplie de rester à Genève pour l’aider ; statim ad me retinendum obnixe nervos omnes intendit. Et, comme Calvin résiste, Farel appelle sur sa tête la malédiction divine : Ubi se vidit rogando nihil proficere, usque ad exsecrationem descendit ut Deus otio meo malediceret, si me a ferendis subsidiis in tanta necessitate subducerem.

Calvin fut vaincu, régla ses affaires à Bâle, et, vers la fin d’août, commença d’exercer les fonctions de prédicateur et professeur de théologie, en donnant dans la cathédrale de Saint-Pierre des leçons sur l’Écriture.

Il était à peine entré en fonctions que commençaient les luttes qui devaient, à travers diverses vicissitudes, durer plus de vingt ans à Genève, avant que l’autorité de Calvin et son système eussent enfin triomphé de tous les obstacles. La cause de ces luttes, Calvin l’indique en quelques mots : « Nous ne pensons pas que nos fonctions soient renfermées dans des limites si étroites que, une fois le sermon prêché, noire tâche soit finie et que nous n’ayons plus qu’à nous reposer. » Opera, t. v, p. 319. Ce qu’il veut, c’est une réforme complète de Genève, reforme qui atteindra les institutions ecclésiastiques et les institutions politiques, la doctrine religieuse et les mœurs privées ; au fond, ce qu’il tend à établir, c’est un régime théocratique ; il lui faudra longtemps pour le réaliser, mais enfin il le réalisera, ou à peu près, dans les neuf dernières années de sa vie, de 1555 à 1561. Ou s’est souvent élevé, non seulement parmi les libres-penseurs, mais parmi les catholiques, contre une pareille conception ; tout subordonner à la doctrine et à la morale, ce n’est contraire ni à l’esprit du christianisme, ni à celui de l’Église catholique ; que les catholiques reprochent à Calvin d’avoir mis ce principe au service d’une fausse doctrine, ils ont raison ; mais ont-ils le droit de s’élever contre le principe même ?

Dès les premières leçons de Calvin, les murmures éclatèrent. Il était chargé, disait-on, d’expliquer l’Écriture : de quel droit se mettait-il à censurer les mœurs et à jouer le rôle de confesseur et de pénitencier de la cité ?

Pour arriver au but que se proposait le réformateur, il fallait d’abord déterminer avec précision les règles disciplinaires et les croyances de la nouvelle Église. Le 10 novembre 1536, les articuli de regimine Ecclesiæ étaient lus et examinés par le Conseil : leur rédacteur était Calvin. Les articles s’occupent avant tout de la cène et des conditions requises pour y participer : « Pour ceste cause, nostre Seigneur a mise en son Esglise la correction et discipline d’excommunication, par laquelle il az voullu que ceux qui seroyent de vie désordonnée et indigne d’ung crestien, et qui mespriseroyent, après avoyr esté admonestez de venir à amendement et se réduire à la droicte voye, fussent déjectéz du corps de l’Esglise et, quasi comme membre pourris, couppez jusques à ce qu’ils revinssent à résipiscence, recognoyssent leur faulte et paovreté. » Des personnes seront désignées dans chaque quartier de la ville pour avoir l’œil sur la vie de chacun et dénoncer ceux dont la conduite serait repréhensible. Le 16 janvier 1537, les articles étaient définitivement adoptés par les deux Conseils.

C’est au commencement de 1537 que parut, en français, le premier Catéchisme calviniste, réimprimé en 1878 : « Ce catéchisme, dit M. A. Rilliet, est, vu la brièveté et la netteté de l’exposition, la source où l’on peut le plus souvent puiser, sous une forme authentique, la connaissance de ce grand système religieux. C’est, pour ainsi dire, le calvinisme en raccourci. » Le premier catéchisme de Calvin était un bref résumé de l’Institution chrétienne ; l’auteur le publia l’année suivante, 1538, en latin, et en donna, en 1541, une nouvelle édition française, par questions et réponses, plus à la portée des enfants.

Les articles avaient décidé que les Genevois auraient à faire une profession de foi. Le Catéchisme fut donc suivi par un autre document rédigé par Farel ou par Calvin — la question n’est pas dirimée — et intitulé :

« Confession de la foy laquelle tous bourgeois et habitants de Genève et subjeetz du pays doyvent jurer de

garder et tenir, extraicte de l’Instruction dont on use en l’Église de la dite ville. » A Genève, dit M. Doumergue, t. ii, p. 237, « non seulement ceux qui n’ont pas la foi de l’Église n’en sont pas légitimement membres et devront être laissés en dehors : mais c’est le Conseil qui approuvera la confession de foi, qui commandera et recueillera les adhésions, c’est le secrétaire du Conseil qui montera dans la chaire de Saint-Pierre pour réclamer le serment, et les citoyens qui ne voudront pas le prêter seront punis par l’exil. » — « Pour produire une œuvre aussi exceptionnelle que la Genève nécessaire à la Réformation, ajoute le même auteur, p. 246, il fallait des moyens héroïques. »

Ainsi deux laïques, Farel et Calvin, sans autre mission que celle qu’ils s’attribuent à eux-mêmes, dictent à Genève ce qu’elle doit croire et ce qu’elle doit pratiquer ; ils requièrent de chaque Genevois une adhésion personnelle, sous peine de bannissement ; et Genève s’incline ; après quelques protestations du parti de la liberté, des Eidgenots, qui contribuèrent à retarder de plusieurs mois l’exécution de l’article relatif à la confession de foi, le 27 juillet 1537, « sur une grosse admonition » du Farel et de Calvin, le Conseil décida d’en finir. Le 29, les « prêcheurs » enlèvent le vote du Conseil des Deux-Cents. Les dizeniers sont appelés à rendre compte de leur croyance ; tous ceux qui ne feraient pas de réponse suffisante seraient révoqués ; les autres devraient exhorter les gens de leur dizaine à suivre les commandements de Dieu, avec commination de les dénoncer, s’ils ne se soumettent, et les amener à Saint-Pierre, dizaine par dizaine, pour déclarer s’ils veulent observer la confession. Les magistrats et une partie des habitants prêtent serment sans tarder. Mais l’opposition continue à agir : les abstentions sont nombreuses. Le 12 et le 15 novembre, le Conseil, puis le Conseil des Deux-Cents signifient aux récalcitrants que « s’ils ne veulent pas jurer la réformation, ils aient à vider la ville et aillent demeurer autre part, où ils vivront à leur plaisir ». Abandonnés par les Bernois, ils cèdent à peu d’exceptions près, au commencement de janvier 1538. Alors Farel et Calvin émettent de nouvelles exigences ; à la question de la confession de foi, ils font succéder celle de l’excommunication. De cette excommunication, c’est-à-dire de l’exclusion de la cène, les ministres entendent être juges ; à eux, la surveillance de la vie privée, et les conséquences qui en découlent. Cette sainte discipline de l’excommunication va devenir la cheville ouvrière du système de Calvin. Avec elle, il est le maître ; sans elle, il est réduit à l’impuissance. Aussi, livre-t-il à ce propos le combat décisif. Le Conseil des Deux-Cents décide d’abord (4 janvier) « qu’on ne refusera la cène à personne, même aux contrariants à l’union » ; le 3 et le 4 février 1538, les élections amènent au pouvoir quatre syndics et un grand nombre de conseillers du parti de la liberté ; alors commence une campagne du Conseil contre la prétention des prédicateurs de juger dans leurs sermons les actes du gouvernement et la conduite des particuliers ; puis les difficultés se doublent d’un conflit avec Berne, qui se croyait le droit d’exercer sur Genève une sorte de patronage spirituel. Déjà, en 1537, l’accusation d’arianisme portée par Caroli, premier pasteur de Lausanne, contre Farel et Calvin, la violente et grossière dispute qui s’ensuivit entre les novateurs, avaient rendu quelque peu suspecte aux Bernois la foi des prédicants français de Genève ; maintenant, ils incriminaient les innovations liturgiques de Farel et de Calvin. Ainsi Genève communiait avec du pain ordinaire, Berne avec du pain azyme ; Genève avait ôté les fonts baptismaux des églises, Berne les avait conservés ; Genève ne reconnaissait que le dimanche, Berne avait gardé plusieurs fêtes. Les Bernois réclamèrent la conformité. Le Conseil de Genève décida l’adoption des cérémonies bernoises. Calvin, pour détendre l’indépendance de l’Église et celle de son Église, réclama la réunion d’un grand synode. Berne avait convoqué un synode à Lausanne pour le 31 mars, mais les prédicateurs genevois n’y devaient être admis que s’ils avaient au préalable

« accordé de se conformer aux usages bernois touchant

les cérémonies ». Farel et Calvin allèrent au synode et n’y parlèrent pas ; les sessions closes, ils entrèrent en pourparlers et demandèrent l’ajournement jusqu’au prochain synode de Zurich. Berne refusa et notifia le 15 avril sa décision au Conseil de Genève ; l’approche de la fête de Pâques, qui tombait le 21 avril, rendait la crise imminente.

Le 19, le Conseil fit demander à Farel et à Calvin s’ils voulaient se conformer au cérémonial de Berne, c’est-à-dire distribuer la cène avec du pain sans levain. Ils déclarèrent que non. Le jour de Pâques, ils prêchent malgré la défense, Farel à Saint-Gervais et Calvin à Saint-Pierre ; ils refusent de distribuer la cène. Des troubles éclatent. Le 22 avril, le Conseil des Deux-Cents, le 23, le Conseil général prononcent le bannissement de Couraud, de Farel et de Calvin ; le Conseil général avait ajouté immédiat. Calvin sortit de Genève le jour même ou le lendemain.

Après un court séjour à Berne pour expliquer à leur point de vue ce qui s’était passé, Farel et Calvin se rendirent à Zurich ; et le synode de cette ville décida qu’il interviendrait auprès de Conseil de Berne pour qu’à son tour celui-ci s’entendit avec celui de Genève Cette démarche eut lieu ; mais, malgré les efforts des députés bernois qui essayèrent de faire rentrer dans la ville Calvin et Farel, le Conseil général confirma la sentence d’exil rendue le mois précédent.

Le courage et l’intransigeance dont il faisait preuve à Genève, Calvin l’exigeait de ses coreligionnaires de France persécutés. Quelques-uns d’entre eux croyaient pouvoir par prudence assister aux cérémonies papistes ; des prêtres, comme Gérard Roussel, qui avaient

« connu l’Évangile », conservaient ou acceptaient des

dignités ecclésiastiques. Calvin les traite les uns et les autres de nicodémites, et leur adresse ces deux lettres-traités, de 1537, en latin : De fugiendis impiorum illicitis sacris et De papisticis sacerdotiis vel administrandis vel abjiciendis.

IV. Calvin à Strasbourg, 1538-1541. — Farel et Calvin se rendirent à Bâle ; Calvin y séjourna deux mois et demi ; puis il alla à Strasbourg, où l’appelaient Bucer, Capiton et Sturm. Le Conseil de la ville l’autorisa à donner des leçons publiques sur l’Écriture sainte, puis à organiser en Église les réfugiés français, au nombre d’environ 1500, que la persécution avait jetés dans Strasbourg. Il en fut le premier pasteur.

Calvin n’oubliait pas d’ailleurs son Église de Genève, comme en témoigne sa lettre du 1er octobre 1538 : A mes bien aimés frères en N.-S. qui sont les reliques de la dissipation de l’Église de Genève, où il exhorte les Genevois demeurés fidèles à persévérer malgré les efforts des méchants. Après son départ, les Conseils de Genève s’étaient empressés d’établir le rite bernois et avaient profité de leur victoire pour administrer plus que jamais, sans ou contre les ministres, les affaires de l’Église. C’est par l’autorité et par la force qu’eux aussi entreprenaient d’implanter la réforme religieuse telle qu’ils l’entendaient. Cependant, les catholiques cachés, un peu moins opprimés, reprenaient quelque espérance, d’autant qu’ils se sentaient soutenus par les partisans de la liberté. C’est cet état d’esprit qui détermina la fameuse démarche du cardinal Sadolet, sa lettre aux Genevois du 18 mars 1539. Calvin y opposa une fort longue réponse, en date du 1er septembre, où, malgré trop de vivacités et d’attaques personnelles, il traita avec une grande richesse de connaissances théologiques et une forte éloquence toutes les questions agitées entre la Réforme et le catholicisme. Cette lettre ne pouvait que grandir encore l’importance de Calvin dans le camp réformé. Aussi fut-il député par l’Église de Strasbourg à la conférence de Francfort, en 1539, aux colloques de Haguenau en 1540, de Worms et de Ratisbonne en 1541. C’est alors qu’il entra en contact avec les hommes et les choses de l’Allemagne, avec Mélanchthon en particulier (Calvin et Luther ne se sont jamais vus) et qu’il s’initia au mouvement général de la Réforme. Il est inutile de faire remarquer l’importance de ce fait, au moment où Calvin allait être rappelé à Genève et en faire cette fois, comme on l’a dit, la Rome du protestantisme.

Calvin ne devait pas rentrer seul à Genève ; il s’était marié au mois de septembre 1540. Son mariage n’est pas un scandale comme celui d’autres réformateurs, de Luther et de Bucer par exemple, puisqu’en le contractant Calvin ne violait aucun engagement sacré. Sa femme, Idelette de Bure, veuve d’un anabaptiste de Strasbourg, que Calvin avait converti, paraît avoir été une fort honnête personne ; Calvin eut la douleur de la perdre au bout de neuf ans (1549) ; il n’avait eu d’elle qu’un fils qui vécut seulement quelques jours.

Cependant le parti au pouvoir à Genève avait sacrifié en partie aux Bernois l’indépendance politique de la ville comme son indépendance religieuse ; aussi plusieurs membres du parti national revinrent-ils à Calvin ; des divisions se produisirent parmi ses adversaires ; l’anarchie où tomba Genève acheva leur défaite. Les élections du commencement de 1540 furent favorables aux amis des ministres bannis. À partir du mois de septembre, ils négocièrent le retour de Calvin ; celui-ci ne céda qu’au bout d’un an (août 1541) à leurs appels réitérés. Le 13 septembre 1541, les registres du Conseil nous apprennent que « Maistre Jehan Calvin est arrivé de Strasbourg ».

V. Calvin à Genève de 1541 a 1555 ; organisation de l’Église et de la cité ; luttes politiques et religieuses ; triomphe de Calvin. — Au moment où Calvin rentrait à Genève, ses idées étaient nettement arrêtées ; âgé de 32 ans, malgré des infirmités prématurées, il se sentait l’avenir devant lui ; il avait compris qu’après tant de révolutions Genève accepterait une sorte de despotisme, pourvu qu’il ne rappelât en rien celui des autorités contre lesquelles elle avait lutté ; il sentait que, par réaction contre les mœurs faciles de l’époque précédente, on accepterait aussi que ce despotisme eût des allures puritaines ; avec cela, il pouvait constituer la cité modèle du protestantisme, non pas sans se heurter encore à de très grandes résistances, mais, de ces résistances, il triomphera.

La première de toutes les œuvres pour lui devait être, en rentrant à Genève, de procéder à la constitution de la nouvelle Église. Il n’y perdit pas de temps ; il était rentré le 10 septembre 1541 ; le 13, il demandait que l’on rédigeât par écrit les ordonnances destinées à régler l’organisation de l’Église réformée de Genève et à assurer la pratique de la vie chrétienne de la part des habitants de la république. Le 16, cette proposition était adoptée par le grand et le petit Conseils et il était convenu que six membres du Conseil s’entendraient avec les ministres ou seigneurs prédicants pour rédiger

« les ordonnances sur l’ordre de l’Église, avec un mode

de vivre, afin de savoir comment un chacun se devra conduire selon Dieu et justice ». Le 20 novembre, le travail était achevé et sanctionné.

« Il y a, dit l’ordonnance, quatre ordres ou espèces

de charges que N.-S. a institués pour le gouvernement ordinaire de son Église, assavoir les pasteurs, puis les docteurs, après les anciens, quartement les diacres. » L’ordonnance détermine les fonctions de ces quatre ordres et spécifie l’appel « au magistrat » pour mettre lin aux controverses doctrinales.

À côté, en dehors, et peut-être faudrait-il dire au-dessus de ces fonctions régulières, Calvin établit une institution qui porte plus spécialement encore l’empreinte de son esprit, et qui était destinée à tenir une grande place dans la société religieuse inaugurée à Genève : c’est le Consistoire.

Le Consistoire, qui n’est plus aujourd’hui que le corps administratif de l’Église, était, sous Calvin, le gardien des ordonnances et particulièrement un tribunal des mœurs. Composé de six pasteurs et des douze anciens. il s’assemblait chaque semaine ; il mandait à sa barre les pécheurs publics ; quant aux fautes cachées « que nul n’amène son prochain au Consistoire » avant d’avoir taché, selon l’ordre de Jésus-Christ, de « l’amener en secret à repentance ». Sera excommunié, c’est-à-dire exclu de la cène, quiconque refusera de se reconnaître coupable et de s’amender ; seront bannis ceux que l’excommunication n’aura pu vaincre ; chaque année, en compagnie d’un ministre, les anciens devaient aller dans les familles exiger des formulaires de foi ; des délateurs subalternes, gardiens de ville ou gardiens de campagne, devaient prendre note des péchés commis contre Dieu ou contre le prochain pour les dénoncer à l’autorité ; les peines prononcées par le Consistoire étaient la réprimande, des amendes, dont une partie servait à payer les membres du Consistoire, la censure, en certains cas le renvoi devant le Conseil qui pouvait condamner à un emprisonnement d’une courte durée. Les membres du Consistoire étaient obligés par serment de dénoncer les faits venus à leur connaissance, de sorte qu’ils cumulaient souvent le rôle de délateurs et celui de juges.

Ce n’était pas du reste une sinécure que d’être membre de ce tribunal : en une seule année, plus de deux cents affaires intentées pour blasphèmes, calomnies, paroles libertines, attentats aux mœurs, outrages à Calvin, offenses aux ministres, propos contre les exilés français, furent portées devant le Conseil à l’instigation du Consistoire. On juge aisément ce qu’avec de tels procédés purent devenir dans une petite ville — et Genève alors n’était qu’une petite ville de vingt mille âmes — la liberté et la sécurité de la vie privée.

La publication des ordonnances de 1541 et la formation du Consistoire furent bientôt suivies d’un code de lois, formé en partie des anciens usages de la cité et d’un grand nombre d’édits nouveaux, pour la rédaction desquels Calvin trouva un précieux concours dans Colladon, jurisconsulte du Berry, venu à Genève pour embrasser la Réforme, qui se montra l’impitoyable interprète des pensées de Calvin. C’est de cette législation de 1543 qu’un des historiens réformés les plus franchement admirateurs de la personne et de l’œuvre de Calvin. Paul Henry, ne craint pas de dire que « ces lois n’ont pas été écrites seulement avec du sang comme les lois de Dracon, mais avec un fer rouge ». La peine de mort y est prononcée contre l’idolâtre, contre le blasphémateur, contre le fils qui frappe ou maudit son père, contre l’adultère, contre l’hérétique. La torture occupe une grande place dans la procédure.

C’est cette législation que tant d’auteurs protestants, et entre autres Bungener dans sa Vie de Calvin, p. 253, appellent « l’instrument de la régénération de Genève ». Encore une fois n’y contredisons pas — tout en ajoutant qu’elle a eu pour résultat, et c’était fatal, un singulier développement de l’hypocrisie — mais alors pourquoi les mêmes écrivains s’indignent-ils quand des États catholiques usèrent de moyens analogues pour découvrir et réprimer l’hérésie protestante ? En fin de compte, le régime de Calvin n’est qu’un régime inquisitorial permanent et perfectionné.

Il s’agissait maintenant de faire fonctionner l’instrument, comme dit encore M. Bungener, ce qui exigeait beaucoup de courage et de persévérance. Calvin ne manqua ni de l’un ni de l’autre.

Les premiers temps qui suivirent son retour furent relativement paisibles ; mais le parti des libertins, comme les appelait le réformateur, ne devait pas tarder à se réveiller et à s’agiter, fort du mécontentement qu’excitait chez les vieux Genevois l’inquisition du Consistoire :

« Si je voulais, dit Calvin, dans son autobiographie, raconter tous les combats que j’ai soutenus, le récit en serait

bien long. Mais quelle douce consolation pour moi de voir que David m’a montré le chemin ! C’est mon guide et mon modèle. Les Philistins avaient fait à ce saint roi une guerre cruelle ; mais la méchanceté de ses ennemi domestiques avait plus cruellement déchiré son cœur. Et moi aussi, j’ai été assailli de toutes parts, et sans relâche, par des luttes intestines et extérieures. Satan avait couru le projet de renverser cette Église ; je fus obligé de le combattre corps à corps et jusqu’au sang, moi faible, inaguerri et timide. Pendant cinq ans, je fus sur la brèche pour le salut de la discipline et des mœurs. Les méchants étaient forts et puissants, et ils avaient réussi à corrompre et à séduire une partie du peuple. À ces êtres pervers qu’importait la saine doctrine ? Ils n’aspiraient qu’à la domination ; ils ne travaillaient qu’à la conquête d’une liberté factieuse. Les uns leur servaient d’auxiliaires, mus par le besoin et par la faim ; les autres poussés par la honteuse passion d’un intérêt terrestre : tous marchaient en aveugles aux flots de leurs caprices et décidés à se jeter avec nous dans l’abîme, plutôt que de courber la tête sous le joug de la discipline. Je crois que toutes les armes forgées dans le royaume de Satan ont été par eux essayées et mises en usage, projets infâmes qui devaient tourner à la ruine de nos ennemis. »

Pour justifier ses inexorables rigueurs contre les libertins, Calvin les a souvent accusés de toutes sortes d’hérésies. Cela est vrai pour un certain nombre, encore que la plupart n’aient jamais formulé d’une manière bien précise leurs doctrines. Mais beaucoup étaient très sincèrement les adversaires du régime établi par Calvin, de l’influence de plus en plus grande des réfugiés étrangers, de ces étrangers qui, à peine échappés aux recherches et aux poursuites, se faisaient les pourvoyeurs les plus convaincus du Consistoire inquisitorial et les plus ardents soutiens de Calvin contre les vrais Genevois.

La lutte éclata en 1546 à l’occasion d’une femme, Benoîte Ameaux, mandée en consistoire « à cause de plusieurs propos énormes », qui sentaient l’anabaptisme, puis de la grande amende honorable infligée à Pierre Ameaux, qui s’était exprimé en termes un peu vifs sur Calvin. Celui-ci, dans la circonstance, se montra impitoyable et fit plier le Conseil devant ses exigences. Quelques libertins, peu de jours après, ayant troublé un sermon de Calvin, une potence fut dressée sur la place Saint-Gervais. Puis vint le tour de deux des familles les plus anciennes de la bourgeoisie genevoise, humiliées et condamnées dans la personne de François Favre, d’Ami Perrin et de sa femme laquelle fut mise en prison pour avoir donné un bal à l’occasion d’une noce. La même année 1547, le sang coule. Jacques Gruet, ami, paraît-il, d’Étienne Dolet, fut mis à mort comme impie et traître, après avoir été longtemps et cruellement torturé ; l’occasion avait été un billet injurieux contre Calvin trouvé dans la chaire de Saint-Pierre. Deux mois auparavant, le 16 mai 1547, Calvin avait obtenu du Conseil la confirmation et la promulgation définitive des ordonnances ecclésiastiques. En 1549, Raoul Monnet fut condamné à mort pour avoir travesti dans d’ignobles gravures certaines scènes de la Bible. En 1551, le médecin Jérôme Bolsec, après un procès qui fit grand bruit et un long séjour en prison, fut banni pour avoir soutenu que la doctrine de la prédestination, telle que l’enseignait Calvin, était contraire à l’Écriture. Redevenu catholique, Bolsec devait se venger de Calvin par une biographie haineuse et, sur certains points, calomnieuse. En 1553 enfin, Michel Servet fut arrêté, jugé et brûlé. L’importance du personnage et l’originalité de son système, les circonstances qui entourèrent sa condamnation, la question du droit de mettre à mort l’hérétique posée à son occasion devant l’Europe réformée, tout contribua à donner à l’affaire de Servet un singulier retentissement. Voir Servet. On sait quel acharnement Calvin déploya contre Servet ; dés 1546, il avait déclaré que, si Servet venait à Genève, il ne souffrirait pas qu’il en sortit vivant ; il le dénonça et le fit arrêter en France (avril 1553) par l’inquisiteur Mathieu Ory et le cardinal de Tournon ; puis, Servet s’étant échappé et étant venu à Genève, il le fit appréhender ; l’accusateur (qui devait se constituer prisonnier en même temps que l’accusé) fut un secrétaire de Calvin, Nicolas de La Fontaine ; l’avoué de l’accusateur fut son ami intime, le légiste Colladon : Calvin lui-même conduisit tout le procès ; les Églises suisses ayant été consultées, il leur écrivit pour les exciter ; enfin, après avoir obtenu la condamnation et l’exécution de Servet, il essaya de déshonorer sa mort. L’impression fut fâcheuse, sinon sur les théologiens qui approuvèrent Calvin, du moins chez un certain nombre de laïques protestants. C’est pourquoi, un mois après la mort de Servet, Calvin publia, en latin et en français, sa : « Déclaration pour maintenir la vraie foy… contre les erreurs détestables de Michel Servet, Espagnol, où il est montré qu’il est licite de punir les hérétiques et qu’à bon droit ce meschant a esté persécuté par justice en la ville de Genève. » Sébastien Castellion qui, lui-même, en 1545, avait dû s’exiler de Genève et souffrir plusieurs années d’une noire misère, pour expier ses divergences d’opinion d’avec Calvin, lui répondit, de Bâle, également en latin et en français par son « Traicté des hérétiques, à savoir si on les doit persécuter… De hæreticis an sint persequendi ». Comme toutes les victimes, il se faisait l’apôtre de la tolérance ; les circonstances ne lui ayant pas permis, comme à Calvin, de devenir le plus fort, nous ignorons ce que, dans la pratique, il eût fait de ses principes.

Cependant une nouvelle crise politique menaçait la suprématie de Calvin. En 1551 et 1552, le parti des libertins avait repris l’avantage ; ils avaient refusé la bourgeoisie à un grand nombre de réfugiés ; obtenu le désarmement des habitants qui n’étaient pas citoyens et l’exclusion des ministres du Conseil général. Ces succès enhardirent outre mesure Philibert Berthelier, le fils de celui qui avait été jadis le premier martyr de la liberté politique de Genève. Depuis deux ans il était excommunié par le Consistoire « pour n’avoir pas voulu convenir qu’il avait mal fait de soutenir qu’il était aussi homme de bien que Calvin ». Le 1er septembre 1553, il obtient du Conseil une déclaration lui permettant de communier ; Calvin n’en refuse pas moins la cène, avec la dernière énergie, aux libertins qui se présentent ; l’intervention des Églises suisses, la venue de Farel, apaisent un instant le conflit. Mais les libertins portent la lutte sur le terrain politique et accusent les réfugiés de vouloir livrer Genève à la France, chose bien invraisemblable ! Aux élections de 1555, ils sont battus et le parti calviniste triomphe entièrement ; pour rendre sa victoire définitive, celui-ci donne le droit de bourgeoisie à 70 réfugiés en avril, à 300 en mai. C’était pousser au désespoir le parti national genevois. Dans la nuit du 18 mai, Berthelier et Perrin essaient de provoquer une émeute ; les troubles sont vite réprimés, mais Calvin tenait le prétexte cherché ; 60 rebelles, qui heureusement avaient réussi à passer la frontière, sont condamnés à mort et exécutés en effigie. Le plus jeune des frères de Berthelier et un de ses amis, après avoir été torturés, sont réellement exécutés : « Ce procès, dit M. Buisson, au jugement même des contemporains, fut un simple coup d’État judiciaire. Il commence par les dénonciations que la torture arrache à de malheureux bateliers que l’on se hâte d’écarteler. Il se poursuit par une série de procédures que le gouvernement de Berne qualifie assez par cette remarque que « les témoins et rapporteurs y sont en même temps juges ». Il se termine par l’exécution sans pitié des deux principaux adversaires de Calvin. » — « Le parti calviniste, usant de sa victoire, ajoute le même M. Buisson, fit décider en assemblée générale, « par édit exprès que nul, quelqu’il soyt, n’ait à parler de remettre ny laisser venir de dans ceste cité les dits fugitifs séditieux, à cause que celuy qui en parlera, avancera ou procurera, aura la teste coupée « (8 septembre). Cette fois Calvin était le maître. De son vivant, les fugitifs ne rentrèrent pas à Genève. Vingt fois, Berne intercéda pour eux, toujours en vain. Elle ne cessa de les protéger ouvertement et de les traiter, non comme des coupables, mais comme des vaincus. Puis le temps lit son œuvre : les intérêts supérieurs de la cause protestante en Europe commandèrent de jeter un voile sur des souvenirs qui n’intéressaient que Genève. Et l’histoire elle-même, toujours complice du sucres, flétrit cette poignée de patriotes, qui avaient tenu tête à la seconde tyrannie comme à la première, du nom de parti des libertins. » Histoire générale, t. iv, p. 521.

Per quæ peccat quis, per hæc et torquetur ; les libertins avaient jadis contraint une partie de leurs concitoyens à suivre sur le sol étranger la foi de leurs pères proscrite au lieu de leur naissance ; le même sort les atteignait ; ils étaient dominés par un étranger, assisté d’étrangers, qui les traitait dans leur propre ville comme, à l’aide des Bernois, ils y avaient jadis traité une partie de leurs concitoyens ; les ministres s’interposaient entre Dieu et les nouveaux fidèles, tout comme jadis le clergé catholique, mais avec de bien autres instruments de domination : un homme érigeait en dogmes les conceptions de son esprit et traitait en blasphémateur et en impie quiconque refusait de s’y soumettre ; tel était l’aboutissement d’une révolution commencée au nom de la liberté.

VI. Le rôle de Cm. vin en Europe et ses œcvp.es de l.V ! a 1555. — Les dernières années de Calvin appartiennent à l’Europe protestante plus qu’à Genève. Mais ce rôle universel, Calvin le jouait depuis longtemps : « .le me reconnais, écrivait-il à Mélanchthon, de beaucoup au-dessous de vous ; mais néanmoins je n’ignore pas en quel degré de son théâtre Dieu m’a élevé’. »

A la mort d’Henri VIII, en 1517. le régent d’Angleterre, duc de Somerset, entreprend de faire triompher le protestantisme en Angleterre ; Calvin lui adresse en octobre 1518 une lettre qui renferme un exposé complet des vues du réformateur sur les changements à opérer en ce pays. Il ne manque pas de lui rappeler que, dépositaire de l’autorité royale, il peut i réprimer par le glaive » ceux qui s’opposeraient à ses projets. Au jeune Edouard VI, l’espoir de la Réforme, il dédie le^’mentaire sur Isaïe et le Commentaire sur les Épi 1res catholiques ; il en accompagne l’envoi d’une lettre où il revient plus brièvement sur ce qu’il y aurait à faire dans son royaume. Calvin est aussi en correspondance avec Cranmer, le primat d’Angleterre ; il voudrait que la Réforme serrât les rangs de son armée et tint son concile en face de celui de Rome (1552). En 1553, la mort d’Edouard VI renverse les espérances de Calvin. En 1555, il fait donner un temple à Genève aux réf anglais ; le réformateur de l’Ecosse, John Knox, y ei les fonctions de ministre. L’avènement d’Elisabeth ramena les réfugiés dans leur patrie ; Calvin donna un pasteur à l’Eglise française de Londl

Il encourage et fortifie les protestants de France ; il leur envoie des missionnaires ; par — il console

et soutient ceux qui vont mourir dans les supplices.

Calvin a eu souvent maille à partir avec les pi tants italiens réfugiés a Genève et dont il n’entendait pas tolérer les hardiesses doctrin’u soutire

pourtant, dit l’historien protestant, son admirateur convaincu, Bungener, à le voir s : impératif, si âpre, avec des gens qui avaient bravé Borne de si près t quitté pour l’Évangile, i Le procès de Valenlin Gentilis marque le point culminant de ces débats avec la colonie italienne. Eue prompte rétractation sauva la vie de Gentilis ; mais, tourmenté par ses regrets, Gentilis devait quelques années plus tard attaquer de nouveau les idées (lu réformateur ; les Bernois le mirent à mort, tandis que ses amis de Genève étaient condamnés i l’exil.

La période qui s’écoule de 1511 à 1555 est, dans la vie de Calvin, singulièrement féconde en écrits. En I5U, est imprimé’à Genève, en français, le Petil traité de la sainte cène.’en 1542, le Catéchisme de i’Église de t’.enive par questions et réponses (en français et en la tin 1 ; en 1513, Y Humble exhortation d l’empereur CharlesQuint et d la diète de Spire pour qu’Ut veuillent bi("ti mettre sérieusement la main d la restauration île l’Église (en latin) ; un traité dogmatique contre Albert Pighius, Défentede la s. : hodoxe doctrine sur

la servitude et l’affranchissement de la volonté humaine (en latin) ; V Avertissement très utile du grand profit ijui reviendrait d la chrétienté s’Use faisait inventaire

de tous les corps saints et reliques qui sont tant en Italie qu’en France, etc. (on français, puis en latin) ; le Petit traité montrant que c’est que doit faire un homme fidèle connaissant la vérité de l’Evangile quand il est entre les papistes (en français) ; en 1544, l’Excuse à Messieurs les nicodemites sur la complainte qu’ils font de sa trop grande rigueur (en français, puis en latin, 1545) ; la Driève instruction pour armer tous bons fidèles contre les erreurs de la secte commune des anabaptistes (en français) ; en 15H et 1515, l'écrit intitulé : Aux ministres de Neufchdtel contre la secte fanatique (dans l'édition de 1515 fanatique devient fantastique) et furieuse des libertins qui se disent spirituels (en français) ; en 1515, les Scholies sur l’admonition paternelle de Paul III à l’empereur Charles-Quint (en latin) ; la Défense de Farel et de ses collègues contre les calomnies du théologastre Caroli (en latin).

Les années 15't6-1555 virent publier tous les commentaires de Calvin sur le Nouveau Testament ; en 1546 et 1547, les deux Épitres aux Corinthiens ; en 1518, Épitres aux Galates, aux Ephésiens, aux Philipçiens, aux Colossiens, et les deux à Timothée ; en 1549, Épitre à Tite et Épitre aux Hébreux ; en 1550, Epitre de saint Jacques et les deux aux Tbessaloniciens ; en 1551, Épitres de saint Jean et de saint Jude, et nouvelle édition de toutes les Épitres de saint Paul ; en 1552, les Actes ; en 1553, les Évangiles. L’Ancien Testament ne vint qu’après, sauf Isaïe, en 1551, et la Genèse en 1554.

La publication des commentaires fut plusieurs fois interrompue par des écrits que réclamaient les circonstances ; en 1547, il écrit, en français, à l’Eglise de Rouen contre un franciscain de la secte des libertins ; en 1517, contre le concile de Trente, Acta stjnodi Tridentinæ cun> antidoto (en latin) ; en 1549 contre l’Intérim, qu’il attaque dans son Intérim adultero-germanum, publié ensuite en français sous le titre de : Deux traités louchant la réformalion de l'Église, et le vrai moyen d’appointer les différens qui sont en icelle ; la même année, en français, Avertissement contre l’astrologie qu’on appelle judiciaire, et autres curiosités qui lignent aujourd’hui dans le monde ; en 1550, Traité des scandales qui empêchent aujourd’hui beaucoup de gens de venir à la pure doctrine de l’Evangile et en débauchent d’autres (en latin) ; en 1552, Quatre sermons traitant des matières fort utiles pour noire temps (en français) ; Traité sur l'éternelle prédestination, et Traité sur la vie chrétienne (en latin) ; en 1554, Défense de la foi orthodoxe sur la sainte Trinité contre les monstrueuses erreurs de Michel Servet, où il est montré qu’il est licite de punir les hérétiques (en latin, puis en français) ; Brève réponse aux calomnies d’un certain brouillon (Castellion) sur la doctrine de la prédestination (en latin) ; en 1555, Défense de la saine et orthodoxe doctrine sur les sacrements, leur valeur, leur efficace, etc., contre Westphal (en latin).

VII. Dernières années de Calvin ; son intervention

DANS LES AFFAIRES RELIGIEUSES DE LA FRANCE ; SES derMÊRES œuvres ; sa mort (1555-1564). — L’autorité de Calvin à Genève ne fut plus contestée après la défaite des libertins ; on le consulte sur toutes choses, affaires civiles, affaires criminelles, affaires politiques, commerciales, industrielles ; aucune loi ne se fait, aucune décision ne se prend sans lui. Sûr de sa citadelle de Genève, Calvin put d’autant plus s’appliquer aux soins que bs autres I.Jises réformées réclamaient de lui. Notons cependant qu’avant de mourir Calvin vit par deux fois, en 1560 et en 150.'}, Genève menacée. Pie IV s'était entendu, pour abattre Genève, avec le roi de France, le roi il l spagne et le duc de Savoie. Les ambitions rivales dis princes empêchèrent l’exécution de leur projet. En 1563, les libertins exilés négocièrent avec le duc de Savoie une nouvelle entreprise ; Genève, aussitôt mise eu élat de défense, ne fut pas attaquée.

Cette situation critique n’empêchait pas Genève et Calvin de troubler leurs voisins. En janvier 1561, Charles IX se plaint vivement des troubles semés dans son royaume par les prédicants venus de Genève et somme le Conseil de les rappeler. Calvin répond, au nom du gouvernement, par une lettre humble de ton, mais ferme et presque insolente dans le fond ; il se borne à dire que les prédicants sont étrangers aux émeutes et laisse entendre que l’on continuera à les envoyer. Une lettre de Calvin à Bullinger (mai 1561) nous montre comment s’organisait cette active propagande. Calvin, dans la période qui précéda l’explosion des guerres civiles, exerça la direction spirituelle des Églises de France. En 1557, il félicite l’Eglise de Paris de ce qu’elle poursuit sa marche « au milieu des craintes et des assauts » ; il la console après l’arrestation de plusieurs des membres de l’assemblée de la rue Saint-Jacques ; à son instigation, les cantons suisses et les princes protestants d’Allemagne intercèdent pour eux auprès d’Henri II ; il fait remettre au roi, au nom des protestants de France, une confession de foi destinée à réfuter les calomniée dont on les accable ; en janvier 1558, nouvelle lettre à l'Église de Paris et nouvel envoi de ministres. C’est sous l’inspiration de Calvin que se réunit à Paris, en mai 1559, l’humble et courageuse assemblée que les Églises réformées de France appellent leur premier synode national. Là furent adoptées leur confession de foi et leur constitution disciplinaire. En juin et en novembre 1559, Calvin adresse encore deux importantes épîtres aux fidèles de France.

Aussitôt après la mort d’Henri II, les progrès du protestantisme furent rapides et le protestantisme politique s’organisa avec ses chefs aristocratiques. Ceux-ci n'étaient pas d’humeur à pratiquer la patience évangélique ; au surplus, la plupart d’entre eux n'étaient mus que par leurs ambitions ; ils virent venir à eux beaucoup de mécontents, en particulier de la besogneuse et turbulente noblesse du Sud-Ouest. Les réformés allaient, à leur suite, entrer dans la voie de la violence et de la rébellion. Sur la ligne de conduite à suivre, leurs pasteurs se divisaient. L’Eglise calviniste de Strasbourg préconisait l’emploi de la force, et un banni parisien, le jurisconsulte Hotman, se llattait que tous les Guises seraient mis à mort et qu’il ne survivrait pas un rejeton mâle de cette race maudite. Jusque-là Calvin avait dissuadé les protestants français de recourir à la violence ; mais alors il ('lait évident qu’ils étaient les plus faibles. Quelle allait être maintenant son attitude ? Il n’a pas approuvé formellement la conjuration d’Amboise, en 1560 ; mais il parait impossible que Théodore de Bèz.e et les autres docteurs qui l’approuvèrent aient agi contre l’avis de Calvin. Le désaveu qu’il lit du complot après l'événement ne prouve rien : les (luises étaient vainqueurs et pouvaient l'être pour longtemps. C’est alors que Calvin écrivit à Coligny qui, lui aussi, s'était réservé : « S’il s’espandoit une seule goutte de sang, les rivières en découlleroient. Il vaut mieux que nous périssions tous cent fois que d’estre cause que le nom de chrestienté et l’Evangile soient exposés à tel opprobre. » Cependant il admettait la légitimité de la révolte, si tous les princes du sang et les parlements se prononçaient contre le gouvernement des ('uiscs. Cette concession ouvrit, comme on l’a dit, la voie aux casuistes de l’insurrection qui se contentèrent bientôt de l’approbation d’un seul prince du sang ; ils y ajoutèrent une distinction entre leurs droits comme opposants politiques et leurs droits comme chrétiens désireux de faire avancer l'Évangile ; bientôt, surtout dans les provinces du Midi, les passions déchali firent rage.

Calvin encourageail les chefs du parti ; il écrivait à Coligny ; il lui avait adressé une première lettre après

la bataille de S : i i n l-(, )ii. n I i n ; il le loua lorsque à I B8 emblée de Fontainebleau il eut ose remettre au roi la 1393

CALVIN

Supplication de ceux </ » i, m diverses province », invoquent le nom de Dieu suivant la règle de la piété. En revanche, les variations religieuses et les mœurs du roi de Navarre, Antoine de Bourbon, lui causent mille souci*, el Bnissent par provoquer bob indignation ; il écril il<' lui qu’il est toul à Vénus, totus est venereus.

Calvin n’assista point en personne au fameux colloque de Poissy, en 1561 ; le Conseil de Genève refusa de le laisser partir, « soit, dit Bossuet, Bitt. des variations, I. IX, ii. 91, qu’on craignit d’exposer & la haine publique le chef d’un parti si odieux ; soit qu’il crût ..h honneur fût mieux conservé en envoyant pies, el conduisant secrètement l’assemblée de Geu M-, où il dominait, que s’il se fût commis lui-même. » A la sollicitation de Coligny, du roi de Navarre et de Catherine de Médicis, il envoya celui que l’on commençait à considérer comme son futur successeur, Théodore de Bèze. Ce fut Calvin qui rédigea la réponse du Conseil de Genève au roi de Navarre.

Dans une lettre à Coligny, il l’incite à profiter des dispositions favorables que manifestait alors la régente Catherine de Médicis pour la déterminer à protester contre le concile de Trente avec la reine d’Angleterre, les princes d’Allemagne et les Suisses. Le plan de Calvin échoua ; mais la tolérance de la reine mère assura de nouveaux succès à la propagande protestante ; le prince de Condé put alors réclamer, au nom de deux mille cent cinquante Églises, le droit de bâtir des temples ; l'édit de janvier 1562 accorda en fait aux protestants la liberté de conscience et de culte.

Cependant les violences se multipliaient et tout annonçait la guerre civile ; quand elle eut éclaté, Calvin cette fois approuva la résistance armée ; lorsque le prince de Condé, menacé dans Orléans, sollicita le secours des protestants d’Allemagne et de Suisse, Calvin appuva vivement cette demande ; il soutint non moins vivement une demande des protestants de Lyon ; il écrivit aux Églises du Midi pour les presser de trouver l’argent nécessaire à la solde des Allemands recrutés par d’Andelot. Notons à son honneur que Calvin blâma les horribles excès du baron des Adrets (15(12).

Aprela bataille de Dreux, 19 décembre 1562, Calvin dut prêcher aux protestants français la soumission à la volonté de Dieu, et il écrivit à ce sujet une lettre au gouverneur de Lyon, M. de Soubise. L'édit de pacification d’Amboise (19 mars 1503), qui garantissait à tous les réformés la liberté de conscience, mais à la haute noblesse seule et en certains lieux la liberté du culte, excita son vif mécontentement. Il traita le prince de Condé de misérable qui avait « trahi Dieu en sa vanité ». La Réforme ainsi cantonnée devait n’avoir plus qu’un rayonnement restreint et apparaître de plus en plus au peuple comme la religion de l’aristocratie. L’année suivant ! '. 1564, Condé, oubliant son parti dans les délices de la cour, s’attirait de nouveau les admonestations de Calvin.

Le réformateur touchait alors au terme de sa vie. Les grandis affaires du protestantisme français ne l’avaient pas absorbé' tout entier. Il avait beaucoup écrit. Quelques-uns de ses ouvrages sont encore des cris de guerre : Réformation pour imposer silence <i un certain belistre nommé Ant. Cathelan /ml, s tard, -lier d’Albigeou français, 1556) ; '-' défense contre Westphal (1556, en latin) ; Dernier avertissement nu même (1557, en latin) ; Réponse aux questions de Georges Blandrata (1558, en latin) ; Félicitation à Gabriel de Saconay[ 1560, en latin : Réponse aux invectives de Baudoin (1561, en latin) ; L’impiété de Valentin Gentilis découverte, etc. (1561, en latin). Outre les œuvres de polémique, on doit citer les commentaires sur l’Ancien Testament ; m 1557, les Psaumes et le prophète Osée ; en 1559, les douze petits prophètes ; m 1561, Daniel ; en 1563, l’Exode, le Lévitique, les Nombres, le Dtutérouome. Jérémie ; eu 1501,

Jo-ué. Plusieursdeeeseornmentaircsne furent p : i<= écrits par lui, mais recueillis dans ses leçons pu iliquea par Charles de Jonvillien taire, et Jean Budé i

mêmes années virent aussi paraître plusi sermons, également recueillis par les disciples de vin, mais publiés so > Une pn mi< sur l'Épltre aux Calâtes, avait déjà paru en 1558 ; la deuxième, sur deux chapitres de la D’aux Corinthiens, est de 1558, ainsi que la troisième, recueil de discours sur divers sujet- ; en 1562, cinq série<. dont une de soixante-cinq discours sur les trois premii ilesj

en 1563, une série sur les deux 1. pitres à Timothée et une sur h ? livre de.lob. Ces dernierdiscours ont eu une grande réputation ; Colignv se les faisait lire et relire.

Dans ses Commentaires et dans -es Sermons, Calvin se trouvait avoir commenté et traduit, vei une grande partie de la Bible ; il se servait du texte d’Olivétan et le corrigeait ; il n’avait cependant jamais pulitié de traduction française nouvelle ou revisée du texte de la Bible ; l’idée vint à l’un des éditeurs des Opéra Calvini, M. Reuss. de rapprocher tous les passagetraduits par Calvin et d’en faire ce qu’il a appelé la Bible française de Calvin ; le travail que Reuss avait préparé fut publié par H. Erichson dans les t. lvi et i.vn des Opéra Calvini, du Corpus reformatorum. La Bible française de Calvin comprend : les cinq livres de Moïse et le livre de.losué. les Psaumes, Job, Isaïe, les Évangiles, les Actes et les Épitrea.

Calvin avait voulu assurer après lui la perpétuité de son enseignement ; à cet effet, il avait fondé, leôjuin ' l’Académie de Genève, composée de cinq professeurs, deux de théologie, un d’hébreu, un de grec, un de philosophie. Au même moment, il ouvrait le collège de Genève.

La santé de Calvin était depuis longtemps mil en 1559, il fut gravement malade ; vers le milieu de 1563, il commença de décliner rapidement ; le 6 février 1564, un vomissement de sang le fit descendre de chaire pour n’y plus remonter ; le 2 avril, il se fit porter au temple et reçut la cène des mains de Théodore de Bèze ; le 27 et le 28 avril, il fit ses adieux aux magistratet aux teurs de la cité ; Farci, âgé de près de quatre-vingts ans. vint à Genève au commencement de mai pour le revoir encore une fois ; Calvin rendit le dernier soupir le 27 mai 156I ; il n’avait pas cinquante-cinq an-. « C’est une faiblesse, dit Bossuet, Histoire des variations, l. X, n. 57, de vouloir trouver quelque chose d’extraordinaire dans la mort de telles gens. Dieu ne demie pas toujours de ces exemples. Puisqu’il permet lc< I sies pour l'épreuve des siens, il ne faut nner

que, pour achever cette épreuve, il laisse dominer en eux jusqu'à la fin l’esprit de séduction avec touti bi lies apparences dont il se couvre ; et. sans m’informer davantage de la vie et de la mort de Calvin, c’en est asseï d’avoir allumé dans sa patrie une Damme que tant de sang répandu n’a pu éteindre, et d'être allé comparaître devant le jugement de Dieu sans aucun remords d’un si grand crime. »

Bien des jugements ont été portés sur Calvin qu’il serait intéressant de reproduire ici. Les uns. parmi les catholiques, ont cru devoir, malgré le sage avis d< -net, charger celui qui a fait tant de mal à l'Église de tous les péchés d’Israël et accepter, les yeux fernv calomnies dont on était si prodigue au svP siècle.t qui n’ont épargné peu pus aucun des personnages mêlés aux grandes luttes de l'époque ; Audin en est le type fâcheux ; d’autres, parmi les protestants, et en particulier le dernier historien de Calvin, M. Donmergue, si érudit qu’il soit, sont tombés dans de l'école légendaire et naïvement admirative qu’ils reprochent justement à certains hagiographes catholiques : tel un dévot franciscain parlant de saint François d’Assise. Parmi ceux que ne dominent point les

préoccupations confessionnelles, Renan, dans ses Etudes religieuses, M. r’aguet, dans ses Eludes sur le XVIe siècle, M. Rrunetière, dans sa Conférence de Genève et dans son Histoire de la littérature française classique, ont exprimé sur Calvin des opinions très libres et très dignes d'être méditées. Indépendamment des historiens de Calvin dont on trouvera les noms à la bibliographie, nous devons signaler un intéressant article de M. Rosseuw Saint-Hilaire dans la Revue chrétienne du 15 décembre 1862 et un discours de M. de Félice, doyen de la faculté de théologie de Montauban, pour le troiscentième anniversaire de la mort de Calvin, en 1861. En rapprochant et en comparant ces divers jugements, on arrive à se faire une idée assez complète et assez exacte du chef de la Réforme française.

A nos yeux, Calvin fut un homme de réaction ; il ne chercha point à concilier avec la doctrine chrétienne les tendances de son époque pour lesquelles l’Eglise catholique lui semblait avoir une complaisance coupable ; il ne sut pas voir dans l'Église un organisme vivant, appelé par conséquent à se transformer au cours des siècles, suivant une loi ; il se borna à remonter aux origines telles qu’elles lui apparaissaient et prétendit réformer la doctrine et la discipline de l’Eglise sur le modèle antique ; il modifia sous ce prétexte, sur quelques points essentiels, et la doctrine et la discipline catholiques ; puis, sûr de l’infaillibilité de son jugement et de l’excellence de son œuvre, pour cette doctrine et cette discipline réformées, il réclama tous les droits et toutes les prérogatives qui avaient appartenu à l’ancienne Église ; substituer l'Église de Calvin à l’Eglise du pape, il n’eut pas d’autre but. Au fond, son tempérament fut précisément celui que nos adversaires ont coutume d’imputer à ceux des catholiques qu’ils tiennent pour les plus intransigeants et les plus étroits ; jamais contemporain d’Innocent III, jamais interprète le plus outré du Syllabus ne proclama de façon plus absolue les droits exclusifs de la vérité et de ses interprètes authentiques ; pour Calvin, l'État est au service de l'Église et de la vérité religieuse, dogmatique et morale ; sa mission principale est de la faire triompher.

Calvin fut un homme d’une volonté énergique et d’une rare puissance de travail ; il n’eut pas la fougue entraînante de Luther et, venu le premier, il n’eût pas sans doute déchaîné comme lui la révolution religieuse en Europe ; mais il se montra plus pénétrant, plus logique, plus organisateur que le réformateur allemand. Il n’eut pas non plus ce côté humain et passionné qui fait que, tout en condamnant Luther, on ne peut refuser à sa physionomie quelque chose de sympathique. Ce n’est pas à dire que Calvin fut totalement inaccessible aux sentiments humains, affections de famille, amitié ; on a prouvé le contraire ; mais il faut reconnaître que ces sentiments chez lui furent rares et exercèrent peu d’action sur sa vie. Au surplus, faut-il lui en faire un reproche ? Un homme qui joue un rôle public de l’importance du sien a autre chose à faire qu'à s’abandonner aux sentiments même les plus légitimes. Il fut désintéressé, simple, sobre et sévère dans sa vie privée ; les quelques cadeaux que lui firent à la fin de sa vie les magistrats de Genève et à propos desquels on a échafaudé d’assez sottes accusations, prouvent au contraire qu’il avait pratiqué ces vertus, qu’au surplus Pie IV et Sadolet lui ont reconnues. En revanche, il fut orgueilleux, colère et vindicatif, a Je ne sais 'li' Renan, si l’on trouverait un type plus complet de l’ambitieux, jaloux de faire dominer --a pensée parce qu’il la croit vraie, … tout (est) sacrifié à l’envie de former les autres à son image, Je ne vois guère qu’Ignace de Loyola qui puisse lui disputer la palme de ces terribles emportements ; mais Loyola y mettait une ardeur espagnole et un entraînement d’imagination qui ont leur beauté, … tandis que Calvin a toutes les duretés il" la passion sans en avoir l’enthousiasme. On dirait un inter prète juré s’arrogeant un droit divin pour définir ce qui est chrétien ou anti-chrétien. » Et on demeure confondu, ajouterojis-nous, de l’audace orgueilleuse de cet homme qui se substitue ainsi, tranquillement et sans remords, à une Église tant de fois séculaire, aux Pères, aux conciles, aux papes, et qui, au nom de son autorité d’hier, condamne, tue, déchaîne la guerre, en la rendant inévitable, et meurt enfin en se rendant témoignage à luimême devant les ministres assemblés. Voilà qui assurément est plus grave qu’une aventure scabreuse ou un goût trop prononcé pour le bon vin.

Calvin eut l'âme d’un sectaire, plus que celle d’un apôtre. Comme penseur, nous nous efforcerons de montrer ce qu’il fut, en exposant sa doctrine à l’article Calvinisme. Comme écrivain, il tient une place distinguée dans notre littérature ; on a pu dire avec raison de son chef-d'œuvre, l’Institution chrétienne, qu’avec ce livre la langue française avait appris à raisonner et à exprimer des idées générales. Ses œuvres françaises, en dehors des lettres et des sermons, sont d’ailleurs peu nombreuses. En latin ou en français, le stle de Calvin a de la fermeté et de la vigueur ; mais il est souvent embarrassé, sec, sans couleur et sans vie, triste, comme l’a dit justement Rossuet. Pourtant, dans certains écrits, ceux surtout de pure polémique, Calvin ne manque pas de verve, de mouvement, et même de pittoresque ; il est alors aussi grossier que Luther ; les invectives personnelles et les ordures abondent sous la plume de cet homme grave. Il accueille et répète toutes les calomnies, en particulier celles qui touchent aux mœurs ; ses panégyristes, qui s’indignent si fort contre ceux qui lui ont rendu la pareille, feraient bien de lui réserver à lui-même une part de leur sévérité. Dans ses écrits, pas plus que dans la pratique de sa vie, la charité et la bonté ne sont le fort de Calvin.

Telle nous apparaît, après une consciencieuse étude, cette personnalité du chef de la Réforme française ; à la considérer humainement, elle est grande, et, si elle n’est jamais aimable, elle est par certains cotés digne d'être admirée. Ajoutons qu’en face de la Renaissance et de ses tendances païennes, Calvin a eu le sens chrétien ; il a contribué à remettre en lumière parmi ses contemporains l’idée des droits de Dieu et de la misère originelle de l’homme ; ses excès et ses écarts doctrinaux, comme ceux de Luther, ont amené l'Église catholique à affirmer et à préciserjson enseignement sur ces points fondamentaux du dogme chrétien. N’est-ce point pour de tels motifs que Dieu permet l’erreur et ne refuse pas toujours le génie à ceux qui la représentent'.' Il se réserve de les juger et d’autant plus sévèrement qu’ils auront mésusé de dons plus précieux. Necesse est ut veniant scandata ; verumlanien. v : v liomini illi per quem scandalum vend. Matth., XVIII, 7.

La bibliographie de la vie de Calvin est très riche ; nous ne voulons di nner ici que les indications 1rs plus utiles ; ceux qui voudraient avoir une bibliographie complète devraient consulter : Henry, Dus Lcben Calvin' 8, Hambourg, ls35 ; Albert Rilliet, Bibliographie de la vie de Calvin, Paris, 1864 ; E. Doumergue, .Iran Calvin, les hommes et les choses de son temps ; " dices et notes, '2 in-4 Lausanne et Paris, lH'.t'.l et 1902 ; enfin et surtout le Catalogue systématique qui termine le t. i.ix di i Œuvres de Calvin dans le Corpus reformatorum et qui compta K80 numéros. Nous laisserons de côté dans cette bibliograpb qui touche le calvinisme en général, En dehors des b ! générales de l'Église, il n’y a malheureusement que très peu de travaux catholiques sur Calvin, ils sont ici marqués d’un ' distinguerons dans cette bibliographie : l" les recueils ; 2° les premières et ancienm raphies de Calvin ;

8' les biographies moderne I iux concerni

et Calvin ; S* les principales études m i alvln.

1* Collections et recueils.— Corpu annis

Col n ni opéra qum supersunt omnia, éd t, G. Baum, i d. r.unltz,

Ed. Reuss, 50 in-'r. Brunswick, 1863 II Hi rm n

met drs réformateur » dans les pays de langue française^ in-8-, Gencva et Paris, lstn Jean Calvin, publiées par Jules B< nnet, 2 in-’--. 1854 Le catéchisme fronçait de Calvin, avec deux notices bUrtorlqui blbliographlqnef par EUUiel et Dutour, Genève, 1878 : Calvin Calvin, extraits de u vigne) et Tisaot, in-K, 1864 ; l.o France protestante, dei frères Haag, >..lu., par Henri Bordier, 10 vol., 1877-4892 ; ’Migne, Dictionnaire <iu protestantisme, Paris, 1858 ; Lichtenberger, Em pédie des sciences relt i alvin, Calvinisme, France protestante, Genève ; Bulletin de la Société d’histoire du protestantisme français (un volume pur an il puis 1852 ; un très grand nombre d’articles à consulter).

Premières et anciennes biographies de Calvin.


Théodi re de Bèze, Discours contenant en bref C histoire de la vie et de lu mort de maltie Jean Calvin, In-8’, Genève, 1564, en tête du Commentaire de i ! ah In bot Josué : 2’édit. en 1565, foil augmentée par Nicolas Collad n e..11. unde Th. de Bèze et ami de Calvin) ; 3e édit. en latin, Vita Calvini, avec des additions et des suppressions, 1575 (en t.te du t. m des Œuvres de Bèze, choix des lettres latines de Calvin) ; [’Histoire ecclésiastique, dite de Th. de Bèze, qui parut en 1580, édit. Baum et Cunitz, 1883-1889, ajoute de nouveaux renseignements à la biographie ; ’Rolsec, Histoire de la vie de Calvin, Paris, 1577 (écrite en partie pour se venger de Calvin et, par conséquent, source suspecte) ; Tlorimond de Racmorid, Histoire de lu naissance, progrez et décadence de l’hérésie de ce siècle, Paris, 1605 (œuvre posthume éditée par le fils de l’auteur ; celui-ci est instruit et généralement digne de fui ; M. Doumergue relève son autorité) ; ’Jacques He-inny, Remarques sur lu vie de Jean Calvin, Rouen, 1021 ; réimprimé, moins une trentaine de pages de début, dans les Archives curieuses de Cimber et Danjou, t. v ; ces remarques sont fines en partie des registres de chapitre de Noyon ; ’Le Vasseur. Annales de l’église cathédrale de Xoyon, etc., Paris, 1633 (comme Desmay, a extrait des registres de Noyon ce qu’ils disent de Calvin ; il est passionné et peu critique) ; ’Papire Masson, Vita Joannis Calvini, 2 in-8°, Paris, 1038 (on en a souvent contesté l’authenticité ; M. Doumergue nous paraît l’établir par de bons arguments) ; Drelincourt, La défense de Calvin contre l’outrage fait à sa mémoire, etc., Genève, 1607 (c’est une réponse du célèbre ministre protestant de Paris au traité du cardinal de Richelieu sur le moyen le plus court de convertir les hérétiques).

Biographies modernes.


Henry, Dus Leben Calvin’s des grossen Reformators, 3 vol., Hambourg, 1835-1844 (avec une bibliographie) ; ’Audin, Histoire de Calvin, 1 in-1’2, Paris, 1K41 (n’aaucune valeur) ; Stæbelin, .1. Calvin’s Leben und ausgew&tte Schriften, 2 in-8-, Elberfeld, 1861-1803 ; ’Kampschulte et V aller Goetz, Johann Calvin, seine Kirche und sein Staat in Gcnf, vol., Leipzig, 1869-1899 (Kampschulte est mort vieux-catholique, à la fin de Is72 ; les matériaux du t. Il presque achevé et du t. m furent remis entre les mains du professeur Cornélius, qui a publié dans les Mémoires de l’Académie royale de Hunicb plusieurs savantes monographies sur Calvin ; Cornélius, également vieux-catholique, après avoir achevé ses études préparatoires, fut frappé d’une attaque et ne put achever l’ouvrage, il remit les papiers de Kampschulte et les siens a Walter Gœtz qui, en Is’. 1’. », publia les t. u et m ; c’est le meilleur ouvrage catholique qui existe sur Calvin (voir sur le 1° volume un important article de M. Baguenault de Puchesse dans la Revue des questions historiques, t. ii, p 442) ; Bungener, Calvin, sa Vie, 80 » œuvre et ses écrits, in-12, Paris. 1H03 (ouvrage Intéressant, inexact sur un certain nombre de points, admire Calvin sans restriction) ; Merle d’Aubigné, Histoire de la Réformation en Europe uu temps de Calvin, 8 in-8°, Paris, 1863-1*78 (ouvrage considérable, mais appartient à l’école légendaire ; beaucoup d’erreurs) ; Gui-ZOt, La vie de quatre grands chrétiens (Calvin, p. 149-376), Paris, 1873 ; Abel Lefranc, La jeunesse de Calvin, in-8°, Paris, 1 88 (savant et critique) ; A. Pierson, Studien overJohannes hoir, in (15$7-1586), xs ; Xn’iiwe studien over Johannes hfiirtjn (1536-15âi), lus :) ; Studien over Johannes Kalvijn, dénie Hceks (iSéO-iSiS}, 3 vol., Amsterdam, 181>1 (histoire critique et originale, qualifiée uhypercritique par M. Doumergue, Jugements personnels et souvent peu favorables à Calvin) ; E. Doumergue, Jean Calvin. Les hommes et les choses de son temps, t. i, La feunesse de Calvin ; t. n. Les premiers essais,

2 in-v. Lausanne et Paris. 1899 et 1802 (l’ouvrage complet comptera cinq volumes ; véritable encyclopédie calvinlenne ; l’auteur sait tout ce qui a été dit muCalvin ; mais le culte de M. Doumergue pour Calvin lui enlève tout esprit critique, dès qu’il d’un reproche quele pie à l’adresse de son saint. il y a de trop nombreuses digressions et de fréquentes invectives contre les catholiques ; ces défauts atténuent la portée scientifique d’un ouvrage qui rend cependant de grands t une mine Ignements).

4* Travaux concernant Genève et Calvin. —

Jean-Aï PG de 170 » a 1713), six volumes sur i 1908, a < i 3 voL, Genève, U Roget H depuis la Réforme iusqu 1870-1888 ; Pleur] Hist tfi TÉgllst de G Us te » temps les plus an u’en 1803, 3 v Mignet, Mémoire sut < -t de la Réformée Genève, dans le- */< i Cboisy, l.u théocratie o 1897 ; Dunant, Les relations politiques de G , -t les Suisses de 1536 u t564, G litTe, Quelques pages d’histoire ejracle, soit les proci’ « intentes à c. Ami Perrin, 1862 ; Nouvelles i d’histoire exacte, soit le procès de Pierre Ameaur, ’II. l’azy. Procédures et documents de xr siècle (Gruet, Kavre, Pcrvln, Bolsec, Gentilis, Gallo), danc -tttut national genevois, 1866, 187*. 1886 ; Emile S d’histoire, de morale et de critique. Michel Servit, su trine philosophique et religieuse. Nou : * sur son procès et sa mort, Paris, 1859 ; Tollin, Dos I ht njsU m Michæl Servets, 3 in-8°, 1876-1898 ; W’iilis. Servetus and Ca Londres, 1878 ; Buisson, Sébastien Castellion (1515-1 i étiole sur les origines du protestantisme libéral en France, 2 in-8°. Paris, 1k ! M ; Charles B. r^eaud. Histoire de l’unir de Genève, L’Académie de Cale », (1550-1798), Genève, 1900.— Pour les années passées par Calvin à Strasbourg, on devra surtout consulter : Erichson, L’Église française de Strasbourg, Strasbourg, 1886.

5 Unîtes morales et littéraires sur Calvin. —

Renan, Éludes d’histoire religieuse. Calvin, Paris, ls.", 7 ; Béaume, La Réforme et les réformateurs. Paris, l s’8 ; Nisard, Histoire de la littérature française, 5- édit. Paris, 1874, t. i, p. 306-340 : Sayous, Études littéraires sur les écrivains français de la Réforma lion, 2’édit., 2 in-12, ls-s) : Philippe Gadet, Histoire littéraire de lu Suisse française, in-8°. Paris, 18 e.’I.tudes sur le.ver siècle, in-12, Paris, 1894 (Calvin, p. 127-197) ; Petit de Julleville, Histoire de la longue et de la littérature fean t. iii, Théologiens et prédicateurs, par Petit de Julleville 1 1 belliau, Paris, 1897, p. 319-354 : Brunetière. Histoire de la littérature française classique, L’œuvre littéraire de Calvin, Paris, 1904, t. I, p. 193-290. A. BaUjrillart.