Dictionnaire de théologie catholique/ANIMATION

Dictionnaire de théologie catholique
Texte établi par Alfred Vacant et Eugène MangenotLetouzey et Ané (Tome 1.1 : AARON — APOLLINAIREp. 671-678).

ANIMATION.
I. Position de la question.
II. Historique de la question.
III. Arguments en faveur de l’animation médiate et réponses des adversaires.
IV. Arguments en faveur de l’animation immédiate et réponses des adversaires.
V. Conclusions.

I. Position de la question.

1° Les vivants sont composés d’un corps organisé et d’une âme. L’animation chez les vivants est donc le fait de l’union de l’âme à un corps organisé. Le corps est animé dès que l’âme vient en lui. Pour l’homme, l’animation a lieu quand l’âme créée par Dieu est unie aux éléments matériels organisés, aptes à la recevoir et à lui fournir les conditions de sa vie et de ses fonctions.

L’animation a lieu en un instant. — « En effet, si l’on considère le principe vital comme constituant l’être qui est propre à une substance vivante, on ne peut pas plus le faire naître successivement qu’aucun autre principe substantiel. Un corps peut bien grandir et diminuer peu à peu, mais il ne peut pas devenir peu à peu minéral, plante ou animal… La préparation de la matière peut bien progresser successivement, mais la naissance de l’être nouveau, c’est-à-dire la vivification (l’animation) ne peut être qu’instantanée, au moins pour que cet être soit substantiel. » Kleutgen, La philosophie scolastique, diss. VII, c. vi, n. 744, trad. C. Sierp, t. iii, p. 455, Paris, 1870. Cf. S. Thomas, Quæst. disp., De potentia, q. iii, a. 9, ad 9um ; a. 12. — Cet instant précis de l’animation, quel est-il ?

3° Évidemment on ne saurait le placer avant la conception, alors que l’âme n’a pas encore été créée et que le corps humain n’existe pas dans son individualité propre. — Nous n’indiquons ici que pour mémoire les philosophes et les naturalistes, comme Bonnet, Swammerdam, Leibniz, Buffon, Malebranche, Haller et Cuvier, qui ont voulu faire remonter toute animation à la création même du monde. Leur théorie de la préexistence ou de l’emboîtement des germes a vécu. Saint Thomas l’avait réfutée d’avance. Sum. theol., I a, q. cxix, a.

2° Les observations de la science expérimentale et le raisonnement lui ont porté le dernier coup. Cf. A. Flourens, De la longévité humaine, IIe part., c. iii, § 2, Paris, 1860, p. 166 sq. ; A. Farges, La vie et l’évolution des espèces, c. vi, Paris, 1888, p. 146 sq.

4° On ne saurait davantage placer l’instant de l’animation pendant ou après la naissance sans encourir l’anathème lancé par Innocent XI contre ceux qui considéraient comme probable que tout enfant, tant qu’il est dans le sein de sa mère, n’a pas d’âme raisonnable, et commence seulement à la posséder lorsqu’il est enfanté, en sorte qu’aucun avortement ne serait un crime d’homicide. Videtur probabile omnem fœtum, quamdiu in utero est, carere anima rationali et tune primum incipere eamdem liabere, cum paritur ; ac consequenter dicendum erit, in nullo abortu homicidium committi. Propositio XXXV inter LXV ab Innoce.ntio XI, die 2 niarlii 1610, damnatas, Denzinger, Enchiridion, n. 1052.

5° Mais entre le temps qui précède la conception et la naissance, il y a un intervalle considérable au cours duquel il est difficile d’indiquer le moment précis où l’âme sortie des mains du créateur s’est emparée du corps humain. — Les partisans de Yanimation immédiate affirment que c’est au moment même de la conception que l’âme est créée et unie au corps. — Les partisans de Yanimation médiate retardent l’entrée de l’âme dans le corps et la fixent à l’époque — variable pour les deux sexes, suivant les uns — où le corps est construit, du moins dans ses organes principaux.

II. Historique de la question.

L’animation et Aristote.

Le problème de l’animation tel qu’il vient d’être posé n’a été envisagé, dans l’antiquité, que par Aristote, en particulier dans le Traité de la génération des animaux, l. II, c. iv, trad. Barthélémy Saint-Hilaire, Paris, 1887, t. ii, p. 35 sq. Le philosophe de Stagyre est assez obscur. Cependant il paraît défendre la succession des âmes telle que la soutiendront pluj tard la plupart des scolastiques. On peut donc le considérer à juste titre comme le premier défenseur de l’animation médiate.

— 1. Pour lui toutes les âmes sont d’abord en puissance dans la matière destinée à devenir un corps humain. « Évidemment, dit-il, il faut supposer que les spermes et les embryons qui ne sont pas encore séparés (des parents) possèdent l’âme nutritive en puissance, mais qu’ils ne l’ont pas en fait avant que, comme les germes qui sont une fois séparés, ils ne prennent leur nourriture et ne fassent acte de cette espèce d’âme… Il est, du reste, bien entendu qu’après cette première âme, nous aurons à parler de l’âme sensible et de l’âme douée d’entendement, car il faut nécessairement que les êtres aient toutes ces sortes d’âmes en puissance avant de les avoir en réalité. »

— 2. C’est l’âme nutritive qui sort la première de la puissance à l’acte. « Au premier moment tous ces êtres ne semblent avoir que la vie de la plante. » Elle passe à l’acte dè3 l’instant de la conception. « Il est impossible, en effet, de considérer l’embryon comme étant sans âme et absolument privé de toute espèce de vie, car les spermes et les embryons des animaux vivent tout aussi bien que les graines des plantes… Il est donc évident qu’ils ont l’âme nutritive. »

— 3. L’âme sensitive lui succède peu après, mais ne vient pas en même temps. « Bientôt aussi ils ont l’âme sensible qui fait l’animal. Que l’âme nutritive soit de toute nécessité celle qu’on doit supposer la première, c’est ce qu’on voit clairement de ce que nous avons ailleurs dit de l’âme. Ce n’est pas d’un seul coup que l’être devient animal et homme, animal et cheval ; et ceci s’étend à toutes les espèces également. »

— 4. Enfin l’intelligence, c’est-à-dire l’âme humaine, arrive après l’âme végétative et l’âme sensitive. « D’où vient l’intelligence, à quel moment, de quelle manière vient-elle dans les êtres qui participent à cette sorte d’âme, c’est là une question des plus difflciles. » Cf. Barthélémy Saint-Hilaire, Préface au traité de la génération des animaux, d’Aristote, Paris, 1887 ; Ed. Chaignet, Essai sur la psychologie d’Aristote, Paris, 1883.

L’animation et les Pères grecs. — Parmi les Pères grecs, on rencontre des partisans de l’animation médiate et des partisans de l’animation immédiate. — 1. Saint Grégoire deNysse avait cependant traité la question avec une telle netteté et une telle force, qu’il semble avoir conquis le plus de suffrages à la thèse de l’animation immédiate. Il avait en face de lui deux doctrines opposées : l’une qui soutenait que l’âme existe avant le corps, l’autre qui défendait la préexistence du corps par rapport à l’âme. Contre les deux doctrines, il affirme catégoriquement la simultanéité des deux origines : le corps et l’àme, dit-il, commencent d’exister en même temps. Ils se développent insensiblement, mais dès le premier instant de la conception l’âme est là tout entière, pour manifester successivement, à mesure que le corps grandit, ses diverses facultés. De hominis opi/icio, c. xxviii, P. G., t. xliv, col. 230 ; De anima et resurrectione, P. G., t. xlvi, col. 125. Cf. Passaglia, Z)e immaculato Deiparæ virginis conceptu, Rome 1855, part. III, p. 1879. — Saint Basile semble bien tenir pour l’opinion de son frère, quand il veut que l’on considère comme coupables d’assassinat ceux qui provoquent l’avortement d’un fœtus, qu’il soit formé ou non. Ad Amphilochium, epist. ii, dans Balsamon, Opéra, P. G., t. cxxxviii, col. 587. — Saint Maxime, abbé, en appelle au raisonnement pour démontrer que le corps ne saurait exister avant l’âme. S’il existe avant toute âme, il est mort, car il n’y a de vivant que ce qui est animé. S’il existe avant l’àme raisonnable seulement, mais avec une âme végétative ou une âme sensitive, l’homme engendre une plante ou un animal, ce qui paraît impossible, car la plante procède de la plante et non pas de l’homme, pareillement l’animal naît de l’animal et non pas de l’homme. De variis difficilibus locis sanctornm Dionysii et Gregorii seu <imbiguorum liber, P. G., t. xci, col. 1335 sq. — Mélétius ne peut pas davantage accepter que l’âme vienne après le corps, car de même qu’un cachet ne saurait s’adapter à l’effigie faite sur la cire par un cachet différent, ainsi l’âme, image et sceau de la divinité, ne saurait s’adapter à un corps marqué du sceau d’une autre âme et organisé par elle. Elucubratio synoptica de natura hominis, P. G., t. lxiv, col. 1087. —2. Le principal représentant de l’animation médiate, chez les Grecs, est Théodoret. Il invoque Moïse et Job. Le premier atteste que Dieu a formé d’abord le corps de l’homme et qu’il ne lui a donné une âme qu’après l’avoir pétri du limon de la terre. Le second décrit ses origines de la même façon cl reconnaît n’avoir reçu la vie humaine qu’après que Dieu oui formé ses os et ses nerfs. Donc, conclut Théodoret, l’âme n’est créée que dans un corps déjà organisé, c’est-à-dire après la conception. De grsecorum affect. curandis. Sermo de natura hominis, P. G., t. lxxxiii, col. 912.

L’animation et les Pères latins. —Tandis que, chez les grecs, Grégoire de Nysse fait école et décide le plus grand nombre en faveur de l’animation immédiate, chez les latins, au contraire, Tertullien en soutenant la même animation immédiate suscite des partisans à l’animation médiate. La cause en est dans l’erreur du traducianisme (voir ce mot) qu’il mêle à sa théorie. Selon lui, de même que l’homme perd l’âme humaine en perdant la vie, ainsi il reçoit cette âme humaine en prenant vie. La vie et l’animation sont donc deux faits simultanés, et comme la vie est contemporaine de la conception, il en résulte que l’animation est immédiate. Jusque-là il n’y -avait rien à redire au langage de Tertullien. Mais il ajoute que l’àme est donnée on ce moment-là par les parents. « L’âme comme le corps est le fruit de la génération : des âmes du père et de la mère se détache le germe d’une âme nouvelle, un rejeton pour ainsi dire de la race d’Adam, velut siirculus quidam ex matrice Adam. » De anima, c. xix, P. L., t. ii, col. 682. Cf. c. xxvii et xxxvi, P. L., _i. ii, col. 694, 712. 0. Bardenbewer, Les Pères <’<' l’Eglise, première période, l. II, § 36, trad. P. Godet et C. Verschaffel, Paris, 1898, t. i, p. 323 ; Esser, Die Seelenlehre Tertuilians, Paderborn, 1893. — Pour mieux combattre cette hérésie, les Pères latins distinguèrent entre la conception et l’animation ; la conception est l’œuvre des parents, l’animation est le résultat de la création de l’âme par Dieu. Ils firent plus que les distinguer, ils les séparèrent chronologiquement, ils fixèrent à l’animation une date postérieure à la conception et ainsi disparaissait toute possibilité de traducianisme, lequel n’est conciliable qu’avec l’animation immédiate. Ainsi, selon Gennade de Marseille, l’âme n’est créée et unie au corps qu’après que celui-ci est déjà formé : formato jam corpore animant creari et infundi. De ccclesiasticis dogmatibus, c. xiv, P. L., t. lviii, col. 984. — L’auteur du livre De spiritu et anima, faussement attribué à saint Augustin, écrit que le corps humain vit de la vie végétative, se meut, grandit et acquiert la forme humaine dans le sein de la mère avant de recevoir l’âme raisonnable : Vegetatur tamen et movetur et crescit et humanam formam in utero recipit, priusquam animant rationalem recipiat, c. ix. S. Augustin, Opéra, P. L., t. xl, col. 784-785. — Un autre auteur, également confondu avec saint Augustin, compare la formation de chaque homme à celle d’Adam et dit que Dieu ne donne une âme immortelle au corps humain qu’après qu’il est formé, ainsi qu’il fit pour Adam, Ouæst. ex Vet. Testant., c. xxiii. S. Augustin, Opéra, P. L., t. xxxv, col. 2229. Cf. Gralien, Decretum, II part., caus. XXXII, q. il, c. 9, où ce texte est rapporté. — Cassiodore raisonne de la même façon et invoque en outre le témoignage des médecins qui fixent l’animation au quarantième jour après la conception. De anima, c. vii, P. L., t. lxx, col. 1292. Le même auteur observe toutefois fort justement que, dans des questions aussi obscures, il vaut mieux avouer son ignorance que se prononcer avec une audace dangereuse : Melius est in lam occidtis causis confiteri ignorantiam quant periculosam nssumere fortassis audaciam. Cf. Eschbach, Dispulationes physiologico-theologicse, disp. II, part. I, c. i, a. 1, Paris, 1884.

L’animation et la scolàstique.
1. Le courant créé par les Pères latins en faveur de l’animation médiate se continua au moyen âge dans la théologie et surtout dans la philosophie scolàstique. Il fut suivi par saint Anselme, De conceptu virginali, c. vii, P. L., t. clviii, col. 440 ; Pierre Lombard, Sent., l. II, dist. XVIII, P. L., t. excu, col. 689, où il répète les propres paroles de Gennade ; Hugues de Saint-Victor, Explanatio in Cant. B. M. Virginis, P. L., t. clxxv, col. 418 (cf. Mignon, Les origines de la scolàstique et Httgues de Saint-Victor, c. iii, Paris, sans date, t. I, p. 105). Il y fut renforcé par l’arrivée des œuvres psychologiques d’Aristote. Quand on connut le philosophe de Stagyre, son De anima et plus particulièrement le De generalione animalium, on y vit des textes favorables à la succession dés âmes et à l’animation médiate et l’École presque tout entière se rallia à l’opinion de Gennade et d’Aristote. Saint Thomas, Qusest. disp., De potentia, q. iii, a. 9, ad 9um ; Sum. theol., I a, q. cxviii, a. 2, ad 2um ; In IV Sent., l. II, dist. XVIII, q. ii, a. 3 ; Cont. ge.nl., l. II, c. i-xxxvii, i. xxxvin et i.xxxix, les commentateurs du De anima, ceux de Pierre Lombard, ceux de saint Thomas, professent à l’envi que l’âme raisonnable n’est créée par Dieu et n’est unie au corps que lorsque celui-ci est suffisamment constitué. —
2. Ils ne sont plus aussi unanimes quand il s’agit (le fixer la date où le corps est assez organisé pour être habitable par l’àme raisonnable. On conçoit, en effet, la difficulté de celle question et les hésitations qu’elle engendre. Cependant la plupart des auteurs scolastiques fixaient l’animation vers le quarantième jour pour les enfants du sexe masculin, vers le quatre-vingtième pour les enfants du sexe féminin. Navarrus, Manuale, c. xv, n. 14, Rome, 1588 ; Sylvius, In j/am 77 æ, q.Lxiv, a. 7, qua ?sito4, Opéra, 1714, p.418 ; Naldus, Summa, °Abortus, n. 2, Bologne, 1630 ; Marchant, Tribunal sacramentelle, t. II, tr. VI, tit. i, q. III, Gand, 1643 ; Sporer, Theologia moralis sacramentalis, part. IV, c. iv, n. 698, Venise, 1731, p. 378 ; Pauwels, De casibns reservatis, c. I, De abortu, q. vi, n. 169, Migne, Theologiee cursus completus, t. xviii, col. 995. — Pour s’autoriser davantage encore, ils pensaient trouver dans certaines prescriptions de la loi mosaïque un symbole de ce fait naturel. Selon eux, c’était pour rappeler cette différence de durée dans l’animation des deux sexes que Dieu avait fixé la purification des mères à quarante jours après la naissance des garçons et à quatre-vingts jours après la naissance des filles. Cf. Maldonat, In Luc., Il, 22, Pont-à-Mousson, 1596 ; Cornélius à Lapide, In Levit., xii, 5, Paris, 1859 ; Covarruvias, In Clément., Si furiosis, part. II, § 3, n. 1, Genève, 1762 ; Dicastillo, De justifia et jure, l. II, tr. I, disp. X, dub. xiii, n. 161, Anvers, 1641. Quelques auteurs, s’inspirant d’un passage d’Hippocrate, De natura fœtus, n. 10, Genève, 1657, avançaient l’époque de l’animation et la reportaient au trentième jour pour les enfants mâles, et au quarantième pour les enfants du sexe féminin. Herinckx, Summa theologiee scholasticae et moralis, part. III, tr. II, disp. VI, q. iii, n. 28, Anvers, 1704 ; Lessius, De justifia et jure, l. II, c. ix, dub. x, n. 65, Louvain, 1605, p. 87. Il est bien évident que, de part et d’autre, ces auteurs n’entendaient pas donner une date certaine, mais fixer seulement une époque vers laquelle ils pensaient que l’âme était unie au corps. —
3. Enfin les auteurs étaient divisés en deux camps à peu près égaux sur la question de savoir si, avant l’arrivée de l’âme humaine, il y avait eu succession d’âmes. Les uns affirmaient que le corps humain est successivement animé par trois âmes différentes, cf. Conimbricenses, In II De anima, Cologne, 1599, c. i, q. iv, a. 1, et même plus, Sylvester Maurus, Quæst. philosoph. de anima, q. xxix, ad 2um, Le Mans, 1875 et 1876, t. iii, p. 96, et passe ainsi par des corruptions et générations multiples, ordonnées les unes aux autres, avant d’être définitivement la possession de l’âme raisonnable. S. Thomas, Sum. theol., I a, q. cxviii, a. 2, ad 2um. L’âme végétative arrivait dès le moment de la conception et présidait aux actes vitaux qui se remarquent dès cet instant dans l’embryon ; elle permettait à celui-ci de se nourrir, de se développer, de s’organiser, de construire les organes de la sensation. Ceux-ci étant formés, l’âme végétative disparaissait, et l’âme sensitive pouvait venir, puisqu’un corps apte à ses fonctions lui était fourni. Dans ce corps, elle remplissait à la fois les fonctions de la vie végétative et celles de la vie sensitive, continuait le développement organique de l’ensemble et préparait l’avènement de l’âme raisonnable qui n’était donnée par le créateur qu’à un corps complètement formé. Dans Le purgatoire, Dante fait exprimer cette théorie par Stace :

La vertu active (du sperme) devient une âme semblable à cette d’une plante, différente seulement en ce qu’elle est en voie et l’autre déjà au rivage (au terme de son évolution).

Tant opère-t-elle ensuite que déjà elle se meut et sent comme une anémone marine (qui est, d’après Dante, au degré le plus bas de l’animalité) ; puis elle se prend à organiser les puissances dont elle est la semence…

Mais comment d’animal on devient enfant ?…

…Sache qu’aussitôt que du cerveau la structure est parfaite dans le fœtus,

Le premier moteur vers lui se tourne et, joyeux d’un si grand art de nature, y souffle un esprit nouveau plein de vertu,

Qui, attirant dans sa substance ce qu’il trouve d’actif, devient une seule âme qui vit et sent et se réfléchit sur elle-même. Pur gatoire, c. xxv, terz. 18-25, trad. Lamennais, Paris, 1883, t. ii, p. 189-190.

D’autres à la suite d’Alexandre de Halès supprimaient la présence de toute âme propre à l’embryon avant l’infusion de l’âme humaine. Dans la période qui suivait la conception et qui précédait l’animation, les mouvements, les opérations, les fonctions de l’embryon procédaient ou de l’âme de la mère, ou d’une vertu, force morphoplastique inhérente au germe vital. Bientôt arrivait l’âme humaine qui, d’abord, organisait la vie nutritive, puis petit à petit manifestait ses puissances sensilives et finalement mettait en activité ses facultés immatérielles. L’ordre des phénomènes était donc le suivant : à l’origine, mouvements produits par l’âme de la mère, ou par la force plastique interne ; puis création de l’âme ; ensuite opérations de la vie nutritive, opérations de la vie sensitive ; enfin opérations intellectuelles et volontaires.

L’animation et la science moderne. — Telle était la pensée humaine sur cette question jusqu’en plein xvii c siècle : l’animation médiate partout soutenue d’une façon incontestée. —
1. Pendant le xviie siècle, plusieurs voix commencèrent à protester contre l’opinion régnante, principalement dans le monde médical. Une étude plus approfondie de l’embryologie, l’observation scientifique substituée au raisonnement a priori, ramenèrent des sympathies à l’animation immédiate. Un professeur de médecine de Louvain, Thomas Fienus, dans son De formatione et animalione fœtus liber in quo ostenditur animant rationalem infundi terlia die, 1620, et dans son Apologia pro libro précédente, in-8°, 1629 ; le docteur Vincent Robin, dans sa Synopsis rationum Fieni et adversariorum « De terlia fœtus animalione » ex quibus clare constabit celebratam antiquilate opinionem de fœtus formatione deserendam esse, Fieni novam amplectendam, Dijon, 1632 ; le Père Florentinius, dans son livre De hominibus dubiis baptizandis, seu de baplismo abortivorum, Lyon, 1658, ouvrage accepté par la S. C. de l’Index, approuvé par plusieurs universités, par des évêques, des savants illustres et par des religieux des principaux ordres alors existants ; le célèbre Zaccbias, médecin d’Innocent X, dans son ouvrage demeuré classique : Quæstiones medico-legales, Lyon, 1661, se posèrent nettement en défenseurs de l’animation immédiate. Plus tard Cangiamila se joignit à eux dans sa fameuse Embryologia sacra sive de officio sacerdotum, medicorum et aliorum, circa seternam parvulorum in utero existentium salutem, Païenne, 1758. — La théorie scientifique de l’ovulation multiplia bientôt les partisans de cette opinion devenue aujourd’hui la plus commune. Dans un discours prononcé le 10 février 1852 devant l’Académie de médecine de Paris, le docteur Cazeaux pouvait dire : « Nous ne sommes plus au temps où théologiens, philosophes et médecins disputaient à l’envi De animalione fœtus. Les progrès de la science ont mis un terme à toutes ces discussions. Le germe reçoit, au moment de la conception, le principe vital, le souffle de vie, et il n’est pas possible, sous ce rapport, d’assigner aucune différence entre l’enfant qui vient de naître et celui qui est encore renfermé dans le sein maternel, entre le fœtus de neuf mois, et l’œuf fécondé depuis quelques heures. » Cf. Frédaull, Traité d’anthropologie physiologique et philosophique, l. VI, c. I, § 2, n. 1, Paris, 1863, p. 729 sq. —
2. L’animation médiate a cependant gardé de sérieux partisans. Il y en a d’orthodoxes, comme le P. Liberatore, Du composé humain, c. vi, a. 7, Lyon, 1865, p. 274 sq. ; Cornoldi, Filosofia scolastica, lezione lxii, 2e édit., Ferrare, 1875, p. 482 sq. ; le docteur Vincent Santi, Délia forma, genesi, corso naturalee modi dei viventi, Pérouse, 1858 ; Vincent Liverani, Sui principi del moderno Ippocratismo, Fano, 1859. — Il y en a d’hétérodoxes comme Rosmini et ses disciples, qui prétendent que les parenls engendrent immédiatement une âme sensitive laquelle graduellement va de l’imparfait, c’est-à-dire du degré sensitif, au parfait, c’est-à-dire au degré intellectuel. Ce passage a lieu quand l’être se manifeste par intuition au principe sensitif. En vertu de cette union avec l’être, l’âme sensitive commence à comprendre ? est élevée à un état meilleur, change de nature et devient intellective, subsistante et immortelle. Cette doctrine a été condamnée dans les propositions suivantes : Propositio xx. Nonrepugnat ut anima humana generalione multiplicetur, ila ut condpiatur eam ab imperfecto, nempe a gradusensilivo, ad perfectum, nempe ad gradum intelleclivum procedere. — Propositio XXI. Cum sensitivo principio inluibile fil esse, /toc solo tactu, hac sui unione, principium illud anlea solum sentiens, nunc simul intelligens, ad meliorem slatum evehitur, naturam mutât, ac fit intelligens, subsistons atque immortale. XL Propos iliones Anton ii Rosmini Serbati a S. Officiodamnatse die 14 decembris 1881. Il faut remarquer cependant que ce qui est condamné chez Rosmini, ce n’est pas la thèse de l’animation médiate, mais celles de l’évolution de l’àme sensitive en âme intellective et de la vision intuitive de l’être. — Les partisans de l’animation médiate et de la succession des âmes ont habituellement eu grand soin de noter que, si l’àme sensitive procédait de l’âme végétative et celle-ci de la vertu générative des parents, l’évolution vitale s’en tenait là, et que l’àme intellective ne résultait pas du développement spontané de l’être. en formation, mais était donnée par un acte créateur de Dieu ; enfin, qu’en arrivant dans le corps, elle se substituait immédiatement à l’àme sensitive pour remplir, en même temps que les fonctions intellectuelles, les fonctions sensitives et physiologiques, à elle seule tenir lieu de trois âmes et fournir à l’homme l’être, la vie, le mouvement, le sens et la pensée.

III. Arguments en faveur de l’animation médiate et réponses des adversaires.

I. Arguments tirés de l’écriture sainte. —

1° Exod., xxi, 22, 23. D’après les Septante, Moïse punit l’homme imprudent qui frappe une femme enceinte et amène par ses coups un avortement. Le principe du châtiment est « mort pour mort ». Si la femme succombe ou si son fruit était formé, le châtiment sera la mort. Au contraire, il n’y aura qu’une amende, si la femme ne meurt pas et si son fruit n’était pas encore formé. L’Ecriture sainte distingue donc entre ce qui est formé et ce qui ne l’est pas. La perte du premier entraîne la peine de mort, donc il y a eu homicide et ce fœtus était doué d’âme humaine. La perte du second n’expose le coupable qu’à une amende, parce que, faute d’animation humaine, il n’y a pas eu d’homicide.

— Du reste, saint Augustin InHeptateuch., 1. II, c. lxxx ; Exod., xxi, 22, 23, P. L., t. xxxiv, col. 626 ; Origène, In i, ’a ; od., homil. x, P. G., t. xii, col. 370, 371 ; les Constitutions apostoliques, 1. VII, c. iii, P. G., 1. 1, col. 1002 ; Théodoret, De grxcorum affeclibus curandis, serm. v, P. G., t. lxxxiii, col. 941, et In Exod., interrog. xlviii, P. G., t. lxxx, col. 273, et d’autres s’appuient sur ce texte pour soutenir l’animation médiate. Cf. Revue des sciences ecclésiastiques, juin 1886, L’animation immédiate réfutée, par le R. P. Hilaire, de Paris. —Réponse. Il y a lieu de douter de l’exactitude de la version des Septante ; ni l’hébreu, ni la Vulgate, ni le texte samaritain, ni le syriaque, ni l’arabe, ne font cette distinction, et l’interprétation rationnelle doit être celle-ci : s’il y a eu avortement, mais sans mort, ni de l’enfant ni de la mère, la peine sera l’amende ; le coupable sera mis à mort s’il a causé la mort de la mère, celle de l’enfant, ou celle des deux. — D’autre part, le texte des Septante lui-même prête à discussion, car la distinction entre h’fœtus formé et le fœtus informe ne coïncide pas nécessairement avec les deux périodes d’animation et de nonanirnation. Le législateur a pu parfaitement établir cette distinction parce que le fœtus informe (tant plus difficile à reconnaître, dans ce cas, il y a doute sur l’homicide, et partant mitigation dans la peine. — Quant aux Pères qui se seraient basés sur ce texte pour établir l’animation immédiate, leur autorité d’interprétation ne vaut que dans la mesure même de l’authenticité du texte. Cf. P. Hummelauer, In Exod., xxi, 22, 23, Paris, 1897.

2° Lev., xii, 2-5. Dieu impose aux mères quarante jours de purification pour les enfants mâles et quatrevingts pour les filles. Cette loi, prise dans son sens direct, n’a aucun rapport avec l’animation, soit ; mais elle a toujours été considérée par la tradition comme un symbole de périodes diverses d’animation. Les quarante jours de purification après la naissance des enfants mâles symbolisent les quarante jours écoulés entre la conception de ces enfants et leur animation ; pour les filles, l’animation a eu lieu après quatre-vingts jours, d’où nécessité d’un nombre égal de jours de purification. Cf. Revxte des sciences ecclésiastiques, loc. cit. — Réponse. En effet, ce texte directement n’a aucune valeur au sujet de l’animation. Symbole n’est pas preuve. Quand ils voient, dans une parole ou dans un fait scripturaire, le symbole d’une doctrine, les Pères n’affirment pas pour cela que Dieu a voulu, par cette parole ou par ce fait, établir cette doctrine. Saint Augustin qui voit, par exemple, dans le nombre de quarante années employées à construire le temple, une image des quarante jours qui seraient exigés par la nature pour former le corps humain avant l’arrivée de l’âme, n’a certainement pas prétendu y trouver une démonstration de l’animation médiate. Liber LXXXIII qvœstionum, q. lvi, P. L., t. XL, col. 39. Dans le cas présent, le texte prouverait trop puisqu’il faudrait en déduire, non seulement que la sainte Écriture admet l’animation médiate, mais encore qu’elle en fixe l’époque au quarantième et au quatrevingtième jour suivant les sexes, ce que personne aujourd’hui ne voudrait raisonnablement soutenir.

3° Job, x, 9-12, décrit de la façon suivante la formation de l’homme : « Souvenez-vous, je vous prie, que vous m’avez fait comme un vase d’argile et que vous me réduirez en poussière. Ne m’avez-vous pas trait comme le lait et coagulé comme le fromage ? Vous m’avez revêtu de peau et de chairs, et avec des os et des nerfs, vous avez fait un tout de moi. Vous m’avez donné vie et miséricorde et vos soins ont conservé mon souffle vital. » Dans cette description l’auteur sacré met en premier lieu la formation du corps, en dernier lieu le don de la vie et l’exercice de la miséricorde divine. Donc l’âme n’est pas contemporaine du corps. — Ce qui le confirme, c’est le parallélisme insinué par Job, j^. 9, entre sa formation et celle d’Adam, Gen., ri, 7 ; or, dans celle-ci l’animation a été postérieure à l’organisation du corps. — Réponse. Il y a là une description dans laquelle l’auteur inspiré va du moins important, le corps, au plus important, l’àme. Il n’y a pas nécessairement un récit par ordre chronologique des stades parcourus par la formation humaine, puisque, manifestement, l’animation et surtout la vie, vilam, est antérieure au moment où Dieu a revêtu Job « de peau et de chairs, et avec des os et des nerfs a fait un tout » en lui. —D’autre part, il est certain que l’auteur sacré n’a pas entendu donner une analyse totale et absolument scientifique des phénomènes qui se passent à notre origine, mais qu’il a parlé comme on parlaitcouramnientalors.il n’y a donc pas lieu de chercher là un accord parfait avec la réalité, pas plus qu’avec les données actuelles de l’embryologie.

— Enfin, le parallélisme avec la création du premier homme porte sur la similitude de providence divine plutôt que sur la ressemblance des procédés par lesquels Adam et Job ont été formés. D’ailleurs, on dispute même sur la question de savoir si Adam a été réellement formé dans son corps avant l’infusion de son âme, ou si 1rs deux choses, quoique racontées successivement, ont été simultanées. S. Thomas, Sum. theol., I a, . q.xci, a. 4, ad l ura ; Suarez, De opère sex dierum, l. III, c i, n. 13, Paris, 1856, t. iii, p. 175 ; Grégoire de Nysse, De opificio hominis, c. xxviii, xxix, P. G., t. xuv, col. 230, 234 ; S. Jean Uamascène, De fide orthod., l. II, c. xii, P. G., t. xciv, col. 918 ; Augustin, De Genesi contra manich., l. II, c. viii, P. L., t. xxxiv, col. 205. Cf. Eschbach, op. cit., p. 186.

II. Arguments tirés de la traditions. —

1° On invoque le témoignage de Pères nombreux qui ont professé, nous l’avons dit plus haut, l’animation médiate.

— Réponse. Des Pères latins surtout ont professé cette doctrine comme l’opinion courante de leur temps, non comme un point de foi ou de morale ; ils ne sont pas unanimes, puisque d’autres Pères, particulièrement chez les Grecs, défendent en grand nombre l’animation immédiate.

2° Le Catéchisme romain se prononce formellement en faveur de l’animation médiate. « Selon l’ordre naturel des choses, dit-il, aucun corps ne peut être informé par une âme humaine qu’après un certain laps de temps. Cum servato naturæ ordine nullum corpus, nisi intra prsescriptum temporis spatium, hominis anima informari queat. » Catech. roman., part. I, in 3° symboli articulo, n. 7. — Réponse. Le Catéchisme romain a certes une grande autorité, mais il ne touche la question de l’animation humaine que d’une façon transitoire et n’a pas l’intention de la résoudre ex professo : il exprime sur ce point l’opinion courante sans vouloir l’imposer comme une vérité doctrinale et nécessaire.

II. Arguments tirés de la théologie. —

1° En 1588, Sixte V, par la bulle Effrœnatam (Bullarium romanum, Turin, 1865, t. ix, p. 39), porte l’excommunication contre tous ceux qui sciemment procurent l’avortement d’un fœtus qu’il soit animé ou inanimé. En 1591, Grégoire XIV, par la bulle Sedes apostolica (Bullar. rom., t. ix, p. 430), enlève l’excommunication portée contre l’avortement d’un fœtus inanimé et la restreint au seul avortement du fœtus animé. Le Saint-Siège suppose donc l’animation médiate. L’avortement du fœtus animé seul est frappé d’excommunication par Grégoire XIV, parce que seul il est homicide. Quant à Sixte V, s’il punit d’excommunication les deux avortements, il a soin de distinguer le fœtus animé et le fœtus inanimé, et l’avortement du second n’est pas puni parce qu’il est homicide, mais parce qu’il empêche un homme de naître, ce qui équivaut à un homicide. Cf. Propositions damnatas ab Innocentio XI, die 2 martii 1079, prop. xxxiv. — Réponse. Les souverains pontifes ne décident nullement la question de l’animation, ils la supposent telle que la résolvaient communément les philosophes et les médecins de leur temps, et ils établissent sagement une législation sur ces idées courantes de la science d’abord. Leges enim soient in rébus ad philosophiam vel medicinam aliasque facilitâtes pertinentibus communiori sensui doctorum, qui cas profitentur sese accommodare. Cangiamila, Embryologia sacra, l. I, c. ix.

2° Le Rituel romain, De sacramento baptismi rite administrandS, dit : Nemo in utero matris clausus baplizari débet. Sed si infans caput emiserit et periculum mortis immineat, baptizetur in capite… At si aliud membrum emiserit, quod vitalem indicetmolum, in Mo, si periculum impendeat, baptizetur. On le voit, pour que le baptême puisse être donné, c’est-à-dire pour que l’Église juge qu’il y a là une âme humaine, il faut des membres, un mouvement vital, choses qui n’existent pas de sitôt. — Réponse. Les prescriptions du Rituel ont été un peu tempérées depuis leur rédaction, et le baptême intra-utérin, par exemple, qui y est défendu, est aujourd’hui communément admis. — Les prescriptions suivantes détruisent l’argument que nous venons d’entendre. Il est dit, en effet, dans ces prescriptions : Si maler prsegnans morlua fuerit, fœtus quamprirnum exlrahatur ac, si vivus fuerit, baptizetur. L’Église n’exige pas ici des membres ni une organisation, mais simplement la vie : or la vie existe dès le premier instant. — Si l’Église s’est montrée réservée, jadis surtout, sur la question du baptême intra-utérin, la raison en est, non dans l’absence de l’âme, mais dans la difficulté pratique d’atteindre le fœtus et d’administrer un sacrement valide. Cf. Plazza, Causa immaculalæ canceptionis SS. Matris Dei Mariée, actio ni, a. 2, Païenne, 1747, p. 314.

IV. Arguments de raison. —

1° Dans l’ordre génératif, le sujet qui doit recevoir une forme en approche par degrés et ne devient capable de cette forme qu’en vertu de ses dernières dispositions. C’est pourquoi, dans la production de l’homme, le corps n’est pas apte à recevoir l’âme intellective tant qu’il n’est pas encore convenablement organisé. C’est ici le cas de dire : « L’hôte n’arrive pas que l’hôtellerie ne soit préparée. » Cf. Liberatore, Du composé humain, c. vi, a. 7, n. 288, Lyon, 1865, p. 277, 278. — Réponse. Dans l’ordre génératif, le sujet doit être préparé sans doute, mais affirmer que le germe au moment de la conception n’est pas préparé, que le corps n’est prêt à recevoir l’âme que formé et organisé, c’est postuler précisément ce qui est à démontrer et faire une pétition de principe. Les partisans de l’animation immédiate trouvent, au moment de la conception, le corps suffisamment disposé, parce que, pour cela, il n’est pas requis, disent-ils, que l’âme puisse exercer toutes ses puissances, mais seulement sa vertu nutritive et sa vertu augmentative dont le rôle est de construire le corps, de lui donner son volume et ses membres. Or, dans l’ovule fécondé, cette vertu nutritive et d’accroissement peut immédiatement s’exercer.

2° La matière première doit passer par tous les degrés de formes substantielles, être matière de plante, puis d’animal, avant d’arriver à la forme supérieure qui est l’âme humaine. — Réponse. Cette affirmation est gratuite et suppose résolu le problème lui-même qu’il s’agit de résoudre. — L’expérience montre le contraire puisque, par la nutrition, des éléments non vivants ou des plantes deviennent de la chair humaine animée par une âme raisonnable, sans que leur matière première ait parcouru tous les stades exigés par la nature de l’embryon. — Enfin, l’on suppose cette matière de l’embryon comme partant du point le plus éloigné, alors qu’au contraire elle a été organisée et préparée par les parents et a commencé par vivre en eux de la vie humaine.

3° La notion même de génération exige l’animation médiate. La génération, suivant saint Thomas, ne suit pas, mais précède la forme substantielle. Elle mène à l’être, lequel est donné par la forme substantielle. Celleci est le terme vers lequel la génération conduit ; sa venue, c’est-à-dire l’animation, est donc postérieure à l’œuvre de la génération, c’est-à-dire de la préparation et de l’organisation du corps. — Réponse. Il ne faut pas confondre la génération avec l’accroissement. L’accroissement commence au moment de la conception. Il se poursuit jusqu’à la naissance et même après sans discontinuer. La génération a précédé la conception qui en est le dernier instant. Elle consiste dans la formation des éléments générateurs de part et d’autre, c’est sur eux que s’exerce la puissance génératrice des reproducteurs et non sur l’ovule fécondé et déjà doué d’une vie propre.

— Vouloir identifier « génération » avec « accroissement » serait trop prouver, puisque alors la génération durerait plus de quarante jours et se prolongerait longtemps après l’heure où, de l’aveu de tous, a certainement eu lieu l’animation. — Enfin, l’œuvre de la génération est totale à la conception, puisque alors le germe fécondé possède, sinon en acte, du moins virtuellement, tout son organisme et toutes ses puissances.

4° L’expérience montre que l’embryon est d’abord plante, puis animal, puis homme. Dans les premiers temps de la vie utérine, il ne manifeste, en effet, que des phénomènes de nutrition, la sensation n’apparaît que plus tard, et la raison n’éclôt qu’après un laps de temps beaucoup plus considérable. Cette succession des phénomènes nutritifs, sensitifs, rationnels prouve bien la succession des âmes. — Réponse. La succession de ces phénomènes ne prouve pas la succession des âmes, parce qu’une même âme, rationnelle de sa nature dès le commencement, peut très bien ne manifester ses puissances que successivement. A mesure que l’organisme se construit et se développe, l’âme fait passer de la puissance à l’acte les multiples facultés qu’elle possédait dès le commencement. Ainsi les phénomènes de la vie nutritive, de la vie sensitive et de la vie intellectuelle, en apparaissant les uns après les autres, ne prouvent pas plus la multiplicité des âmes successives que les sens, le toucher, la vue, l’imagination, la mémoire, en s’éveillant les uns après les autres, ne prouvent la multiplicité et une succession graduelle d’âmes sensitives. Si l’âme sensitive existe tout entière même avant l’épanouissement de tous les sens, pourquoi l’âme intellectuelle n’existerait-elle pas tout entière même quand une seule de ses puissances, la nutrition, est en acte ? — Cette succession ne petit rien prouver, car si elle prouvait quelque chose, il faudrait faire dater de l’éveil des sens l’apparition de l’ânie sensitive, et de l’éveil de la raison qui n’a lieu qu’après la naissance, la création de l’âme intellectuelle : conclusion impossible et condamnée.

5° L’animation immédiate est impuissante à expliquer le fait de l’hérédité qui perpétue dans les fils les particularités physiologiques, anatomiques, pathologiques et même intellectuelles ou morales qui caractérisent les parents. Si, en effet, une âme toute neuve est créée par Dieu et unie au corps dès la conception, cette âme est incapable de construire le corps à la ressemblance des parents ; il faut, pour expliquer cette ressemblance, une âme qui procède des parents et qui, portant leur empreinte, imprime celle-ci dans le corps qu’elle prépare â l’âme raisonnable. — Réponse. La ressemblance héréditaire est un fait mystérieux difficile à expliquer dans les deux opinions. Elle n’apparaît qu’après le quarantième ou même le quatre-vingtième jour, alors que les partisans de l’animation médiate accordent déjà la présence de l’âme humaine. — L’âme en arrivant dans l’ovule fécondé y trouve l’empreinte des parents et une espèce de force plastique qui persévère avec elle comme certaines propriétés des aliments persistent dans le corps vivant qui s’en est nourri. — Enfin, la mère en nourrissant son fruit continue à exercer sur lui une inlluence qui peut transmettre avec son sang propre les particularités qui la distinguent.

6° N’est-il pas immoral et effrayant de penser que Dieu crée autant d’âmes qu’il y a de conceptions humaines, et que, chaque fois qu’un fœtus, même de quelques jours, disparaîtra, une âme sombrera dans les limbes sans jamais avoir pu arriver à la vie surnaturelle ? D’autre part, un tel état de choses ferait de Dieu l’esclave des passions humaines, puisqu’il devrait créer des âmes suivant le caprice de la volupté. — Réponse. Raison de sentiment qui paraît insuffisante à résoudre le problème.

— Dieu est magnifique, prodigue même dans ses œuvres. C’est par milliards qu’il faut compter les graines semées par lui pour arriver à la production d’une plante ; à cuti d’un animal qui naît et grandit, des quantités innombrables de germes ne sont jamais fécondés et périssent sans avoir donné le jour â un être vivant ; le nombre des hommes est infime â côté des ressources séminales que possède la nature ; il ne paraît donc ni impossible, ni improbable que Dieu ait ainsi prodigué les créations d’âmes humaines pour permettre à quelques-unes d’atteindre â la pensée, comme il a multiplié les âmes.{(luîtes pour permettre à un nombre inférieur d’aboutir à la grâce. — Qu’il n’y ait là aucune injustice, ni aucune cruauté, puisque Dieu ne doit pas la vie surnaturelle ni même la vie rationnelle aux âmes créées si libéralement par lui, c’est chose certaine : ajoutons à cela que les limbes, où les âmes ravies prématurément séjournent, sont un lieu où l’on jouit d’un bonheur naturel. — Quant à l’objection qui prétend que Dieu serait ainsi au service de la passion humaine, elle est plus inconvenante que raisonnable. Dans ce cas, Dieu n’obéit qu’à une loi posée par lui-même pour le bien et la propagation de la race humaine ; il n’est pas plus souillé en cela qu’il ne l’est en concourant, comme cause première, à tous les actes mauvais des pécheurs.

IV. Arguments en faveur de l’animation immédiate et réponses des adversaires.

I. Arguments tirés l’écriture sainte. —

1° Job, iii, 3, s’écrie : « Périsse le jour où je suis né et la nuit où il fut dit : un homme a été conçu ! » Ces paroles ne prouvent-elles pas que la conception et l’existence de l’homme sont deux choses synchroniques ? Être conçu et être homme se rapportent au même instant. — Réponse. « Toutes les opinions sont obligées de reconnaître, dans les paroles de Job, une expression figurée qui montre l’effet dans la cause et l’œuvre dans son commencement, l’homme dans son germe initial et dans les auteurs de son existence… C’est donc par anticipation que Job a placé la conception (l’animation ) de l’homme dans l’œuvre antérieure qui en est la cause. » P. Hilaire de Paris, L’animation immédiate réfutée, dans Revue des sciences ecclésiastiques, juillet 1886, p. 57-59.

2° Luc., i, 31, 36. L’ange dit à Marie : « Voici que vous concevrez dans votre sein et que vous enfanterez un fils, » et plus loin : « Voilà que votre cousine Elisabeth a elle-même conçu un fils dans sa vieillesse, et celle qu’on appelait stérile est maintenant dans son sixième mois. » Il y a un parallélisme entre ces deux textes, et la conception de saint Jean-Baptiste est racontée dans les mêmes termes que celle de Notre-Seigneur. Or, on sait que, chez Notre-Seigneur, l’animation eut lieu en même temps que la conception. Donc, il en fut de même pour saint Jean-Baptiste. — Réponse. Il y a parallélisme dans les termes, soit ; mais l’ange n’a pas entendu exprimer que les deux conceptions, celle de Notre-Seigneur et celle de saint Jean-Baptiste, avaient eu lieu de la même façon. Notre-Seigneur a pris possession de son corps dès le premier instant et l’animation fut, dès lors, , un fait accompli, mais miraculeux ; ce que l’on ne peut dire de l’animation de saint Jean-Baptiste.

II. argument tiré de la théologie.

L’Église vénère, le 8 décembre, la conception immaculée de Marie, c’est-à-dire le mystère de la sanctification de son âme au moment où elle était créée et unie au corps. L’Église, qui célèbre la naissance de Marie, neuf mois après le 8 décembre, c’est-à-dire le 8 septembre, considère donc l’animation de Marie comme ayant eu lieu dès sa conception, c’est-à-dire comme immédiate. — Réponse. Par le dogme de l’Immaculée-Conceplion, l’Église entend que l’âme de Marie a été sainte dans l’instant même de sa création et de son union au corps. Si elle ordonne la célébration de ce mystère au 8 décembre,’cela peut s’entendre en ces deux sens ou qu’elle considère l’animation de Marie comme miraculeusement immédiate, à l’image de celle de son Fils, ou, qu’ignorant la date de cette animation, elle en a fixé la mémoire par anticipation au jour de la conception charnelle. Cf. Plazza, op. cit., p. 301 ; Passaglia, De immaadalo Deiparee virginis conceptu, part. III, sect. vu ; Zacchias, Qusestioncs médico-légales, 1. IX, tit. i, quæst. ult., n. 135 ; Florentinius, De homi/nibus dubiis baptizandis, disp. III, sect. il ; Jacobus (uanado, In III parlem, t. i, controv. ii, 1-2, i, disp. III, sect. i, § 2 ; J.-B. Pozn, Elucidatorium Deipara>, l. III, tr. II, c. IV, Lyon, 1627, p. 857 ; Franciscus Guerra, Majestas (jraliarum, Séville, 1659, t. i, l. I, diseurs, ii, fragm. v, punc. ii, p. lOi ; fragm. vi, punc. i, p. 109.


III. Arguments de raison.

1° Pour informer le corps, l’âme humaine exige seulement de pouvoir y exercer quelqu’une de ses opérations vitales. Or, dès la conception, l’âme peut exercer, dans le germe, ses facultés de nutrition et d’accroissement. Elle peut donc venir dès cet instant. — Réponse. S’il en était ainsi, l’âme pourrait rester dans le corps humain tant que quelqu’une de ses fonctions pourrait s’y exercer. Or l’expérience montre le contraire. L’âme fuit souvent le corps alors qu’il prête encore à sa vie un théâtre autrement organisé et favorable que l’ovule simplement fécondé. Cf. Sylvester Maurus, op. cit., q. xxix, ad l um.

2° L’organisme exige une âme pour se former ; il exige une âme humaine quand il doit être humain ; car cette âme seule est compétente pour organiser la matière et construire un corps humain. La restauration de certaines portions du corps, par exemple des côtes amputées dont le périoste a été conservé, montre que l’âme humaine a le pouvoir d’organiser ainsi convenablement la matière. — Réponse. La raison étant tout à fait transcendante par rapport à la matière, l’âme raisonnable n’est pas requise et ne saurait l’être, comme telle, pour la construction du corps humain. Il suffit donc qu’il y ait là une âme animale, d’un genre spécial, procédant des parents et ayant reçu de l’âme de ceux-ci la puissance d’animer provisoirement et déformer un animal humain, lequel, une fois organisé, recevra de Dieu une âme raisonnable, à la place de celle qu’il avait et par laquelle il a été formé Cf. Élie Blanc, Traité de philosophie scolastique, t. ir, n. 755-760 ; Farges et Barbedette, Philosophia scholastica, Paris, 1895, t. ii, n. 219, p. 248.

3° On ne comprend pas bien la succession de plusieurs cimes, surtout de trois âmes dans un même corps. Il y a dans cette thèse un réel danger de transformisme. — Réponse. Il est certain qu’il y a succession d’âmes, car les éléments de la génération avant la fécondation sont animés, et doués d’une vie distincte de la vie des parents. Ils ont donc une âme qui n’est pas une âme humaine. A supposer que l’âme humaine arrive dans la conception, elle succède, même alors, nécessairement à une âme non rationnelle. Il n’est pas plus difficile de comprendre la succession de plusieurs âmes après la fécondation, qu’il n’est impossible de l’admettre dans la fécondation même. Quant au transformisme, il est écarté par l’affirmation nette et précise de la création de l’âme humaine au moment où le corps est suffisamment organisé. D’autre part, il est certain qu’il y a une évolution du corps : la sensibilité n’apparaît qu’après la vie et la raison ne vient qu’après la sensibilité et la vie. Les phénomènes de la vie intra-utérine sont des métamorphoses comparables à celles qu’on trouve chez certains animaux, comme les papillons. Cf. Sylvester Maurus, ibid., ad 4um ; Tilmann Pesch, Institutiones psychologicæ, n.331, Fribourg-en-Brisgau, 1896, t. i, p. 429.

V. Conclusions.

I. conclusions physiologiques.

1° Les éléments qui concourent à la génération humaine sont le spermatozoïde ou élément mâle ; l’ovule mûr ou élément femelle. — Le spermatozoïde renfermé en grand nombre dans le sperme est un petit filament formé d’une tête et d’un long llagellum ou queue. A la jonction de la tête et de la queue, est une masse de protoplasma appelée « segment intermédiaire ». Comparé à la cellule qui est considérée aujourd’hui par les biologistes comme l’élément originel de la vie, le spermatozoïde en représente le noyau par sa tête, le corps protoplasmique par le segment intermédiaire, les cils vibratiles par sa queue. « Le spermatozoïde est une cellule vibratile devenue libre et transformée de manière à aller porter et faire pénétrer son noyau dans l’élément femelle ou ovule. » Mathias Duval, Cours de physiologie, XII, ii, §1, A, Paris, 1892, p. 665. Le spermatozoïde, grâce aux mouvements vibratiles de sa queue, est très agile. Il a une vie propre distincte de celle des spermatozoïdes voisins et de celle du générateur, puisqu’il peut continuer à se mouvoir séparément des autres spermatozoïdes et en dehors du générateur. — L’ovule mùr est composé d’une enveloppe cellulaire ou zone pellucide, contenant une masse protoplasmique, appelée vitellus, au centre de laquelle se trouve un petit noyau sphérique, le pronucléus femelle. L’ovule mûr a une vie à part, comme le spermatozoïde. Séparés l’un de l’autre, le spermatozoïde et l’ovule sont incapables de se développer de façon à former un vivant complet. Il leur faut pour cela s’unir et se compléter ainsi mutuellement : c’est le phénomène de la fécondation.

2° La fécondation a lieu quand un spermatozoïde rencontre un ovule : le spermatozoïde s’engage dans la zone pellucide et y est prisonnier. Le vitellus s’avance alors sur la tête du spermatozoïde, et l’englobe pendant que le llagellum se détache. Aussitôt que le vitellus a pris contact avec la tête du spermatozoïde, la zone pellucide se double d’une membrane nouvelle à contours très nets et qui s’oppose à l’entrée de nouveaux spermatozoïdes. Pendant ce temps, la tête, absorbée par le vitellus, s’avance vers le pronucléus femelle, l’atteint, se confond avec lui. La fusion des deux constitue le noyau vitellin. L’ovule est devenu un œuf dont le développement va produire un être semblable aux parents. Cf. Mathias Duval, op. cit., E. Aubert et C. Houard, Histoire naturelle des êtres vivants, t. ii, fasc. 1, Reproduction chez les animaux, Paris, 1897, p. 33 sq. ; Le Dantec, La sexualité, Paris, s. d. ; Yves Delage et A. Labbé, La fécondation chez les animaux, Paris, s. d. ; Paul Busquet, Les êtres vivants, organisation, évolution, Paris, 1899.

3° A partir de l’instant de la fécondation, l’œuf prend une vie nouvelle. Comme mû par une impulsion puissante, il se segmente, forme le blastoderme, se divise en trois couches ou feuillets distincts et entreprend la construction de chaque membre d’un corps humain. Le travail qui commence alors a, dès l’origine, une orientation déterminée. C’est le point initial de l’organisation et du développement du corps humain. Ce travail est continu, sans arrêt, sans solution de continuité : « c’est le même être vivant qui est conçu, qui se développe et qui vient au monde. C’est une évolution unique, sans interruptions et sans lacunes. La vie végétative qui se manifeste dans l’embryon animal est déjà spécifiée par la vie animale, car elle n’est pas la vie d’un végétal, mais celle d’un animal. Ainsi, par exemple, l’embryon se nourrit déjà comme un animal, avec des matières organiques ; il est incapable de se nourrir, comme le végétal, aux dépens de tluides inorganiques. Et dès que la vie sensible paraît, elle n’est pas une vie animale quelconque, mais la vie d’un animal supérieur et bientôt d’un homme. Les organes de la vie nutritive et ceux de la vie sensible, tels que le cœur et le cerveau, par exemple, ne sont jamais identiques à ceux des êtres inférieurs ; ils sont, dès l’origine, des organes humains. » A. Farges, La vie et l’évolution des espèces, c. vi, Paris, 1888, p. 161. Cf. Milne Edwards, Rapport sur les progrès de la pliysiologie, p. 443.

II. Conclusions philosophiques.

1° Dès avant la fécondation, il y a dans chaque élément générateur une vie individuelle, donc un principe propre de vie, une âme. On ne peut, avec certains philosophes, appeler ce principe « force plastique, vertu formative ou séminale » il est plus qu’une force spécifique, il est un principe d’être substantiel et d’activité immanente. Il est donc une âme.

2° L’impulsion évidente, les énergies nouvelles, l’orientation déterminée et unique qui apparaissent dès l’instant de la fécondation montrent qu’il y a, dans l’œuf fécondé, un principe unique de vie. Cf. S. Thomas, Sum. Iheol., I q. cxviii, a. 2. Les uns, les ovistes, affirment que c’est l’âme de l’ovule dans lequel préexistait l’organisme entier et à laquelle le spermatozoïde aurait communiqué, avec l’impulsion motrice, la faculté de se développer ; les autres, les spermalistes, disent que c’est l’âme du spermatozoïde, dans lequel préexistait également tout l’organisme et qui aurait pris une énergie nouvelle et le pouvoir de s’accroître en se nourrissant de la substance renfermée dans l’ovule. Cf. T. Pesch, Jnstitutiones psychologicse, n. 445, t. il, p. 72. Les partisans de Yépigénèse nient que, dans l’œuf, existe la moindre trace des organes futurs. Pour eux, l’œuf fécondé construit lui-même les organes humains. L’âme qui commence cette œuvre est-elle la résultante de la transformation des deux âmes et des deux substances de l’ovule et du spermatozoïde ? Et alors est-elle une pure âme végétative, ou plutôt une âme déjà animale et sensitive ? La seconde hypothèse serait plus pausible. Est-elle autre chose que la résultante des deux âmes de l’ovule et du spermatozoïde ; est-elle déjà l’âme humaine créée par Dieu au moment de la fécondation et unie à l’œuf fécondé pour y poursuivre l’impulsion vitale qu’elle y trouve ? La chose est possible. — Dans l’état actuel de la question, il semble qu’il n’y ait, ni dans la sainte Écriture, ni dans la tradition, ni dans les documents pontificaux, ni dans la théologie, ni dans la philosophie, ni entin dans la biologie, aucun argument décisif en faveur de l’une des deux animations. La question reste donc libre ; cependant on doit reconnaître que la biologie et les biologistes s’accommodent mieux, de jour en jour, de la théorie de l’animation immédiate.

III. conclusions théologiques.

La question de l’animation intéresse la théologie dogmatique, la théologie morale et la théologie sacramentaire.

La théologie dogmatique étudie les mystères de la conception de Notre -Seigneur et de celle de Marie. — 1. Au sujet de la première de ces conceptions, elle enseigne que l’âme humaine du Christ a été créée par Dieu et unie hypostatiquement au Verbe, dès l’instant même de la conception. Les partisans de l’animation médiate sont obligés de recourir à de nombreux miracles pour expliquer la prise de possession anticipée d’un corps dans le sein de Marie par l’âme humaine du Christ. Cf. Suarez, In Il Impartent, q.vi, disp. VI, Paris, 1866, t. xvii, p. 271 ; q. xxxmi, disp. XI, sect. I, Paris, 1866, t. XIX, p. 180. Les partisans de l’animation immédiate restreignent l’intervention de l’Esprit-Saint dans l’ordre physiologique à l’œuvre d’une fécondation miraculeuse faite par le Tout-Puissant. A partir de cet instant l’âme du Christ est apparue et a organisé le corps adorable de l’Homme-Dieu, suivant les lois communes à toute génération humaine. — 2. Au sujet de la conception immaculée de Marie, les théologiens attestent : a) que la puissance de procréer ayant été donnée miraculeusement à sainte Anne jusque-là stérile, la conception de Marie se fil suivant les lois ordinaires ;  ! >) ce que l’Église célèbre, sous le titre d’Immaculée Conception, c’est la sainteté surnaturelle de l’âme de Marie et sa préservation du péché originel, au moment précis où cette âme fut créée par Dieu et unie à son corps virginal ; c) quoique l’Église célèbre ce mystère le 8 décembre, cependant elle n’a jamais voulu délinir par là que l’âme de Marie ait été créée et unie au corps au moment même de l’acte de la fécondation.

La théologie morale s’occupe de l’animation au sujet de l’avortement. Quoi qu’il en soit de la législation ancienne sur ce point, cf. Salmanticenses, tr. XIII, De viliis et peccalis, disp. X, dub. vi, n. 225, Paris, 1877, p. 391 ; Diana, Résolut, moral., part. VII, tr. V, De aborlu, résolut. 6, Venise, 1652 ; la constitution Aposlollcie Sedis, c. ni, § 2, frappe d’excommunication tous ceux — sauf la mère — qui intentionnellement provoquent l’avortement de quelque fœtus vivant que ce soit. La distinction entre le fœtus formé et le fœtus informe n’existe plus. La suppression voulue de l’un comme de l’autre l’ait encourir la même peine. Cf. Gury, Compendium t/ieol. moralis, De præceplis decalogi, n. 402 ; Lehmkubl, Theologia moralis, t. il, n. 970.

La théologie sacramentaire envisage le problème de l’animation relativement au baptême. Quand un fijetus est mis au jour prématurément, doit-on le baptiser toujours ? ou faut-il ne le baptiser que s’il aalleint un certain degré de développement ? Quelque opinion que l’on suive par rapport à l’époque de l’animation, le doute doit profiter à l’âme, et la solution la plus sûre doit être admise. Par conséquent le fœtus, pourvu qu’il soit vivant, sera baptisé sous condition à n’importe quelle période de son développement.

Outre les auteurs cités dans le corps de l’article, consulter Aristote, De anima, et ses commentateurs sur ce livre et sur le De generatione animalium, l. II, c. iv ; spécialement j. Dandini. De cor pore animato libri VII, seu in Aristotelis très de anima libros commentarius peripateticus, l. II, Cesène, 1651 ; Jean Philoponos, De anima, ad text., 1Il et XXIV, Vienne, -1536 ; Galien, De formatione fœtus, Bàle, 1529 ; Alexandre de Halès, Summa, part. II, q. lxii, ræmbr. ii, Venise, 1575, t. n ; Albertle Grand, Summu de homine, q. vi et vii, Lyon, 1651, t. xix ; S. Bnnaventure, /n IV Sent., l. II, dist. XXXI, a. 1, q. i, Quaracchi, 1885, t. Il ; Cosmas Alamannus, Summa philosophix exvariis libris D. Thomæ Aquinatis, Physicae III pars, q. lxxxix, a. 2, édit. Ehrle, Paris, 18’JO, t. n.sect. iv ; Goudin, Phitosophia thoi istica, Physicae IV pars, disp. unica, q. I, a. 3, 1° conclusio, ad 2°, Civitta-Vecchia, 1859, t. III, p. 362 ; Nouvelle revue théologique, 1879, t. xi, p. 164, De animatiune fœtus ; Palmeri, Instituliones philosophiez, Anthropologia, c. iii, th. xvii, Rome, 1875 ; t. n ; Zigliara, Summa philosophica, Psychologia, l. II, c. H, a. 3, n. 9, 10, Rome, 1886, t. il, p. 165, 166 ; Tongorg, Inslitutiones philosophicæ, Psychologia, n. 213, Bruxelle*s, 1869, t. iii, p. 109 ; Zeph. Gonzalès, Philosophia elementaris, 1868, 1. 1, p. 479 ; La Scicnza italiana, an. III, 1878, t. i, p. 347 ; an. I, t. ii, p. 338 ; an. III, t. I, p. 227 ; Debreyne, Physiologie catholique et philosophique, Paris, 1872, p. 291 ; P. Hilaire de Paris, Notre-Dame de Lourdes et l’Immaculée Conception, Dissertation sur le moment de la création des âmes, Lyon, 1880 ; S. Alphonse de Liguori, Theologia moralis, l. III, tr. IV, c. I, dub. iv, n. 394 sq. ; Revue des sciences ecclésiastiques, janvier 1870, Étude sur l’animation du fœtus, par le docteur Dunot de Saint-Maclou ; D. Mercier, La psychologie, IIP part., c. H, n. 244, 5’édit., Louvain, 1899, p. 540 sq. ; P. Hertwig, Traité d’embryologie, trad. Julin, Paris, 1891, I" part, c. i-vu ; W. Preyer, Plnjsiologie spéciale de l’embryon, trad. Wiet, Paris, 1887, IX’part, et append. i-h ; H. Lebrun, La reproduction, dans Revue néo-scolastique, février et mai 1899, février 1900, Louvain ; Edm. Perrier, La philosophie zoologique avant Darwin, Paris, 1884, c. xviii-xix.

A. CHOLLET.