Dictionnaire de théologie catholique/AME chez les Arméniens

J. Lamy
Texte établi par Alfred Vacant et Eugène MangenotLetouzey et Ané (Tome 1.1 : AARON — APOLLINAIREp. 524-525).

VII. AME chez les Arméniens. — I. Génératianisme. II. Préexistentianisme.

Le pape Benoîl XII écrivit en 1341, au roi de Cilicie Léon IV et au patriarche d’Arménie, des lettres ou il reproche aux Arméniens diverses erreurs, dont il avait dressé la liste en 117 articles.

I. Génératianisme. — Le cinquième article est relatif à l’origine de l’âme. Il accuse certains Arméniens de traducianisme : 1° un certain Mechitar, y lisons-nous, a introduit et enseigné l’erreur suivant laquelle l’âme humaine du fils serait engendrée de l’âme de son père, comme le corps est engendré par le corps, et un ange par un autre ange ; parce que l’âme raisonnable de l’homme et la nature intellectuelle de l’ange étant des lumières spirituelles, produisent d’elles-mêmes d’autres lumières spirituelles. Cette erreur, suivant Benoit XII, avait été adoptée par toute une province d’Arménie, tandis que les autres Arméniens admettaient la création des âmes par Dieu. Raynaldus, Annales ecclesiastici, an. 1341, n. 50, édit. Mansi, Lucques, 1750, t. vi, p. 263. Le roi Léon IV, qui demandait alors des secours aux Latins contre les Turcs, fut très ému des plaintes du souverain pontife. Il fit réunir en 1344 ou 1345 (Raynaldus, ibid., p. 262), un concile où l’Église d’Arménie répondrait à ces accusations et affirmerait sa foi sur tous les points signalés par Benoit XII. Nous en possédons les actes. Les Pères du concile disent qu’ils n’ont jamais entendu parler jusque-là de l’erreur que le pape attribue au susdit Mechitar, que cette erreur a toujours été frappée d’excommunication chez les Arméniens. La foi de leur Église, assurent-ils, est comme elle a toujours été « que les âmes sont créées de Dieu par de nouvelles créations, au moment où elles sont mises dans le corps qu’elles doivent animer, les âmes des hommes quarante jours, celles des femmes quatre-vingts jours après la conception, suivant l’enseignement de saint Grégoire de Nysse. Ils ajoutent qu’ils ont ouï dire qu’à sa mort Mechitar avait averti qu’on n’adoptât pas cette erreur, et que si elle était restée dans quelqu’un de ses livres, on le brûlât. Mansi, Concil. collect., t. xxv, Venise, 1782, col. 1193. Cette dernière observation montre bien que les Arméniens cherchaient à se justifier par tous les moyens et que l’accusation de Benoît XII n’était pas aussi dénuée de fondement qu’ils le prétendaient. L’auteur qui avait soutenu cette erreur du génératianisme est Mechitar de Schirvaz.

II. Préexistentianisme. — On a remarqué que dans leur concile de 1312, les Arméniens rejettent aussi le préexistentianisme ou la préexistence des âmes. Benoit XII ne les avait pas accusés expressément de cette erreur. Il leur avait seulement reproché d’attribuer au Christ d’avoir tiré toutes les âmes de l’enfer après sa résurrection (nous étudierons ailleurs cette erreur), de les avoir conduites quelque temps au paradis terrestre en leur disant : « Voilà le lieu où vous avez été, » Raynaldus, ibid., n. 22, p. 265 : ce qui supposait le préexistentianisme. Le successeur de Benoit XII, Clément VI, s’explique plus clairement au sujet de cette erreur, dans une lettre écrite en 1351 à Consolator, patriarche d’Arménie, qui lui avait adressé une seconde justification. Clément VI disait : « Nous voulons savoir si vous et les Arméniens qui vous obéissent, vous croyiez et croyez encore que les âmes de tous les hommes ont été créées au même moment par Dieu. » Raynaldus, ibid., n. 4, p. 530.

Vartan, regardé comme un maître par les Arméniens et suivi dans ses hérésies par un bon nombre d’habitants de la Petite-Arménie, a en effet soutenu que Dieu ne créait pas chaque âme au moment de la génération, mais qu’il les avait créées toutes ensemble en une seule fois, sinon que Moïse nous aurait trompes en disant, tien., ii, 2, qu’il s’est reposé le septième jour. Galanus, Conciliat. Ecclesiæ Armemæ cum Romana, part. II, t. ii, p. 7 sq. C’est lui et ses disciples que Clément VI condamne dans sa lettre au patriarche Consolator. Mais nous avons vu par les déclarations du concile des Arméniens de 1342 que sa doctrine était rejetée par l’Église d’Arménie. D’ailleurs les Pères grecs, que reçoit et qu’a toujours reçus l’Église arménienne, saint Grégoire de Nazianze, saint Grégoire de Nysse et les autres enseignent que l’âme est créée au moment de son union avec le corps et ils traitent d’absurde l’opinion de ceux qui veulent qu’elle ait existé auparavant et qu’elle ait été emprisonnée dans le corps pour des fautes antérieures. Il y a longtemps qu’ils ont répondu à Vartan que Dieu s’est reposé le septième jour en ce sens qu’il n’a plus produit de nouveaux ouvrages, mais qu’il n’a cessé d’agir, et de multiplier les individus selon leurs espèces et de gouverner le monde selon les lois qu’il lui a données ; Dieu en créant les âmes successivement ne fait pas une nouvelle création ; il ne fait que multiplier l’espèce humaine conformément à la loi qu’il lui a.imposée en disant : « Croissez (hébreu : engendrez) et multipliez-vous. »

Richard d’Armagh (Armacanus), Summa in questionibus Armenorum, l. VIII, c. xxv, in-4°, Paris, 1511, fol. 60, 61, ouvrage écrit sous le pape Clément VI, pour ramener les Arméniens à l’orthodoxie ; Galanus, Conciliatio Ecclesiæ Armenæ cum Romana, Rome, 1661, part. II, t. i, p. 1-35 ; Nève, L’Arménie chrétienne, Louvain, 1880, p. 214 sq.

J. Lamy.