Dictionnaire de théologie catholique/2. VALENTIN, gnostique II. Doctrine

Dictionnaire de théologie catholique
Texte établi par Alfred Vacant, Eugène Mangenot, Émile AmannLetouzey et Ané (Tome 15.2 : TRINITÉ - ZWINGLIANISMEp. 485-490).

II. Doctrine. —

Les sources.

Il est difficile de connaître exactement la doctrine de Valentin. Déjà de son temps, cette difficulté existait. Les valentiniens n’exposaient pas ouvertement leurs croyances qu’ils réservaient aux initiés. Devant le commun, ils se couvraient volontiers des apparences de l’orthodoxie. « Quand les valentiniens, dit Irénée, rencontrent des gens de la grande Église, ils les attirent en parlant comme nous parlons ; ils se plaignent de ce que nous les traitions en excommuniés, alors que, de part et d’autre, disent-ils, les doctrines sont les mêmes ; et puis, ils ébranlent peu à peu la foi par leurs questions ; de ceux qui ne résistent pas, ils font leurs disciples ; ils les prennent à part pour leur exposer le mystère inénarrable de leur plérôme. » Cont. hær., III, xv, 2, col. 918. Tertullien ajoute : « Si vous leurdemandeztout simplement de vous exposer ces mystères, ils répondent, les traits tendus : C’est bien profond ! Si vous les pressez davantage, ils énoncent la foi commune par des formules équivoques. Ils ne confient pas leurs mystères même à leurs disciples avant de les avoir tout à fait gagnés ; ils ont le secret de persuader avant d’instruire. » Adv. Valent., 1. Il y a peut-être quelque exagération dans ces formules. Mais, dans l’ensemble, on ne saurait en suspecter l’exactitude. Par définition en quelque sorte, le gnosticisme est une doctrine secrète, et plus l’enseignement de la gnose qui doit assurer le salut est compliqué, plus il est nécessaire de ne pas en révéler le secret aux initiés. Valentin, nous allons le voir, n’exposait pas un système simple, et il prétendait bien en avoir reçu la connaissance par une révélation. Hippolyte nous a conservé le début d’un psaume dans lequel il rapporte une de ses visions, Philosoph., VI, 37, 7 ; il rappelle ailleurs une autre vision de Valentin à qui le Verbe est apparu sous la forme d’un enfant nouveau-né. Ibid., VI, 43. Évidemment, on ne peut livrer de tels secrets à tout le monde et il est probable que, même dans ses ouvrages authentiques, le maitre était loin d’exposer clairement toute sa doctrine.

Il y a plus. Ses ouvrages ont presque complètement disparu. Les fragments certainement authentiques qui nous restent de lui sont trop peu considérables pour nous permettre une reconstruction complète et surtout ils n’intéressent guère que la morale. Ils sont en effet, presque tous, cités par les Stromates, et l’on sait que, dans cet ouvrage, Clément d’Alexandrie s’intéresse beaucoup plus aux problèmes moraux qu’aux questions proprement dogmatiques. Nous sommes cependant certains que Valentin, comme les autres gnostiques, appuyait sa morale sur des fondements métaphysiques et qu’il commençait par rappeler les origines du monde et du mal avant d’exposer la manière dont on pouvait parvenir à la libération. Or, sur ses constructions métaphysiques, nous ne sommes renseignés que par les hérésiologues. Le premier de tous est saint Irénée, qui écrivait son Contra hæreses aux environs de 180. Dès ce moment, Valentin avait eu des disciples qui avaient plus ou moins transformé sa théologie : sommes-nous assurés que saint Irénée, en dépit de sa bonne volonté évidente et du souci avec lequel il a cherché à se renseigner, a toujours distingué, comme il l’aurait fallu, la doctrine originale du maître et les modifications introduites par ses continuateurs ? E. de Faye, op. cit., p. 23-32, se montre délibérément sévère pour les hérésiologues et en particulier pour l’évêque de Lyon, qui était à la fois un curieux et un homme loyal. Il reste vrai cependant qu’on doit faire avec tout le discernement possible l’examen des doctrines rapportées par lui à Valentin et à ses disciples. Cf. E. de Faye, op. cit., p. 108 sq. Le Syntagma d’Hippolyte est perdu. Nous en connaissons à peu près le contenu grâce au petit traité Adversus omnes hæreses du pseudo-Tertullien, à saint Épiphane et à Filastrius de Brescia. Il semble que, pour exposer le système des valentiniens, Épiphane n’ait pas utilisé le Syntagma,

peut-être trouvé par lui un peu bref et qu’en dehors de saint Irénée, cité par lui avec abondance, il ait surtout recouru à des sources valentiniennes d’origine incertaine. Nous avons déjà remarqué que E. de Faye, op. cit., p. 66, 67, se montre disposé à faire largement crédit à l’évêque de Salamine ; je n’oserais pour ma part avoir autant de confiance dans ses sources. Pseudo-Tertullien et Filastrius suivent au contraire leur modèle ordinaire, bien que Filastrius dépende parfois de saint Épiphane, mais ils ajoutent chacun au texte qu’ils ont sous les yeux et la critique de leur témoignage reste délicat.

D’Hippolyte, nous possédons une autre description du système de "Valentin dans les Philosophoumena, VI, 29-37. On peut laisser de côté l’affirmation toute gratuite qui fait du système de Valentin une copie, plus ou moins modifiée, du pythagorisme et du platonisme : cette idée est propre à Hippolyte et ne repose sur aucune preuve. La notice qui expose le système se laisse diviser en trois parties, ou plus exactement combine trois éléments d’origine différente : d’abord un document que saint Hippolyte prétend analyser d’une manière fidèle, puis des renseignements oraux, intoduits par le pluriel Xéyouaiv ; enfin certaines affirmations ou jugements qui remontent à l’auteur même du livre. Suivant E. de Faye, op. cit., p. 254-256, suivi par A. Siouville, Hippolyte de Rome, Philosophoumena ou Réfutation de toutes tes hérésies, Paris, s. d., t. ii, p. 45, note, le document analysé par Hippolyte est l’œuvre d’un valentinien de la troisième ou quatrième génération. Le système qui y est exposé est relativement simple et il a grande chance de se rapprocher davantage de la doctrine du maître que celui que rapporte saint Irénée : « On n’y remarque, écrit E. de Faye, op. cit., p. 253, aucune de ces excroissances qui déparent celui qu’a décrit saint Irénée dans sa notice. Pas de figure qui fasse double emploi. Pas de rôle parasite. Rien qui donne à supposer qu’on ait mêlé des éléments disparates et d’origine différente pour en composer un système unique. Celui-ci reproduit avec une fidélité rarement en défaut le système primitif de Valentin. » Tant d’assurance n’est pas sans nous déconcerter quelque peu. En réalité, E. de Faye n’a guère, pour discerner ce qui appartient en propre à Valentin, qu’un seul critère : l’idée qu’il se fait du génie propre de Valentin d’après des fragments presque insignifiants et il le déclare lui-même avec candeur : « À la fois philosophe et poète, tel a été Valentin. On dirait qu’il a été formé par Platon. Non par le Platon dialecticien, mais par le Platon créateur incomparable de mythes philosophiques. Demandons-nous si les mythes qu’on attribue à Valentin sont tout ensemble idée et symbole, abstraits et plastiques ; s’ils le sont, il ne faut pas hésiter, ce sont les créations de sa pensée. Les vrais mythes de Valentin ont une originalité particulière qui les distingue aussitôt de toutes les autres productions. » Op. cit., p. 118. Cela est bien vite dit. En fait, si l’on n’a pas d’idée préconçue sur le soidisant génie de Valentin, on sera plus modeste et moins afflrmatif, lorsqu’il s’agira de reconnaître son apport original et de le distinguer de celui de ses dis ciples. On essaiera, certes, de faire cette distinction, mais on procédera avec réserve, sauf sur les points trop rares où nous renseignent les passages cités par Clément. Pour le reste, on essaiera de tenir compte des données cpie mettent à notre disposition les auteurs ecclésiastiques, surtout Irénée et Hippolyte. A Tertullien, nous devons sans doute un Advenus ValentinianoB, qui doit être, signalé, mais qui n’apporte pas de renseignement nouveau, parce qu’il se borne, à peu de choses près, à reproduire la notice de saint Irénée.

Des documents que nous venons de signaler, quelle est l’idée d’ensemble qui se dégage, touchant la doctrine de Valentin ?

2° Dieu, les éons et le monde. — Au-dessus de tout est le Dieu suprême et éternel, le Père : « Il n’existait absolument aucun être engendré. Seul existait le Père inengendré sans lieu ni temps, sans conseiller, sans aucun autre être qu’on puisse concevoir de n’importe quelle manière… Mais, comme il était fécond, il voulut enfin engendrer ce qu’il avait en lui-même de plus beau et de plus parfait et le produire au dehors, car il n’aimait pas la solitude. Il était tout amour. Or l’amour n’est pas de l’amour s’il n’y a pas d’objet aimé. » Philosoph., VI, 29. Il faut conclure de ce texte que Valentin professait le monothéisme le plus strict. Irénée, Cont. hær., i, i, 1, place au contraire au point de départ de la théorie un couple primitif, formé de Bythos, l’abîme, et de Sigè, le silence. II est d’ailleurs assuré par Hippolyte lui-même, que telle était bien la croyance de certains valentiniens, mais l’on peut tenir pour probable que le maître faisait dériver tout le reste d’un unique principe.

Le Père inengendré donne donc naissance à un couple, Nous et Alétheia, l’Intellect et la Vérité. Ce couple, cette dyade devient le principe de tous les êtres qui constituent le plérôme. De lui procèdent Logos et Zoé, le Verbe et la Vie et de ce deuxième couple naît un troisième, Anthropos et Ecclesia, l’Homme et l’Église. Tels sont les six grands éons, ceux qui forment l’élément supérieur. Les auteurs pour qui le Dieu inengendré, Bythos, au lieu d’engendrer seul le premier couple, a à côté de lui une épouse Sigè, appelée aussi Ennoia ou Charis, parlent ici de l’Ogdoade et il est certain que l’Ogdoade tient une place importante dans la spéculation des valentiniens, sinon dans celle de Valentin lui-même.

Cela fait, l’Intellect et la Vérité, désireux de rendre gloire au Père inengendré donnent naissance à dix éons : tel est le nombre parfait que seuls ils peuvent lui offrir. De leur côté, Logos et Zoè émettent douze éons, nombre supérieur à dix, certes, mais moins parfait que lui. On obtient ainsi vingt-huit éons, ce sont eux dont l’ensemble constitue le plérôme. Il est évident, bien que toute précision fasse ici défaut, que les éons sont de moins en moins parfaits. Seuls les membres de la première syzygie, du premier couple, connaissent exactement le Père ; ce sont eux, et tout particulièrement Nous, qui le révèlent aux autres éons.

Arrive à ce moment l’événement décisif qui trouble la paix du plérôme. I.e dernier des éons, Sophia, en dépit de son nom, conçoit l’idée insensée d’imiter le Père inengendré et de donner elle-même naissance à un être nouveau, sans s’unir à son pendant, Theleios. Elle ignorait ou voulait ignorer que seul le Père possède un pareil pouvoir. Elle conçoit cependant, et met au monde une substance sans forme et sans organisation, quelque chose d’analogue à la matière première dont parle Aristote. La vue de cet être informe suffit à épouvanter les éons et tout aussi bien à inspirer à Sophia le plus amer des regrets. Pour les rassurer le Père donne à Nous et à Alétheia l’ordre de procéder à une nouvelle émission : le Christ et l’Esprit-Saint se présentent alors, ce dernier jouant le rôle d’élément féminin, car on sait que dans les langues sémitiques le nom qui désigne l’Esprit est du genre féminin. Il y a ainsi trente éons, ce qui est le nombre définitif. Aussitôt émis, le Christ chasse du plérôme l’avorton de Sophia. mais il lui donne en même temps la forme qui lui manquait. Pour l’empêcher à tout jamais de rentrer dans le plérôme, le Père émet de lui-même un nouvel éon appelé Slauros (palissade, pieu), ou Horos (limite) ou Participant 2 503

VA LE N TIN. LA REDEMPTION

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(Metocheus). Il y a désormais deux mondes, le monde supérieur ou plérôme et le monde inférieur 0UÛarép7][jLa, dont l’unique habitant est jusqu’ici la Sagesse extérieure. Pour remercier le Père d’avoir rétabli l’ordre, tous les membres du Plérôme s’unissent et émettent ensemble Jésus, le fruit commun du plérôme. Cependant la Sagesse extérieure ne peut se consoler d'être séparée du Christ et de l’Esprit par Horos. Elle est saisie de quatre passions : la crainte, la tristesse, l’anxiété et la prière. C’est alors que les éons lui envoient leur fruit commun, Jésus, pour la délivrer des passions qui l’agitent. Jésus sépare en effet les passions de la Sagesse extérieure ; il en fait des êtres substantiels et c’est ainsi que le monde semble prendre naissance.

La cosmogonie telle que l’indiquent les Philosophoumena cesse ici d'être claire. On voit en effet apparaître brusquement une hebdomade, dont le démiurge, créateur de ce monde, est le roi. La production de cette hebdomade est obscure. Ce qui paraît assuré, c’est que les êtres qui la constituent sont de plus en plus imparfaits et qu’on peut les répartir en trois groupes ; selon leur degré de perfection, les pneumatiques, les psychiques qui possèdent un esprit inférieur, une psyché, et les hyliques, qui sont purement matériels. Tous ont d’ailleurs besoin de salut pour que la paix et l’ordre régnent d’une façon définitive dans le monde d’en bas. Telle est l'œuvre assignée à Jésus, un Jésus différent, semble-t-il, à la fois du premier Christ, conjoint de l’Esprit, qui a rétabli la paix dans le plérôme et du premier Jésus, fruit commun du plérôme qui a délivré de ses passions la Sagesse extérieure. Ce Jésus n’est pas né du TrèsHaut seul, c’est-à-dire du démiurge comme les autres hommes, mais d’un Esprit-Saint, à savoir Sophia et du démiurge et il a passé à travers Marie qui lui a donné naissance, sans être proprement sa mère.

Hippolyte ajoute : « Sur ce point, il s’est élevé entre les valentiniens une grande question, cause de schismes et de différends. De là est venue la division de leur hérésie en deux écoles qu’ils appellent l'école orientale et l'école italique. L'école italique à laquelle appartiennent Héracléon et Ptolémée soutient que le corps de Jésus est né psychique : c’est pour cela qu’au moment de son baptême, l’Esprit, c’est-à-dire le Verbe de la mère d’en haut, descendit sur lui sous la forme d’une colombe, créa un corps psychique et l'éveilla d’entre les morts… L'école orientale, à laquelle appartiennent Axionicos et Bardesane, enseigne au contraire que le corps de Jésus était spirituel, car l’Esprit-Saint, c’est-à-dire Sophia, est descendu sur Marie et la vertu du Très-Haut, l’art du Démiurge, est venu modeler ce que l’Esprit avait donné à Marie. » Philosoph., VI, 35.

Les variantes que présente par rapport à celui d’Hippolyte l’exposé de saint Irénée sont loin d’avoir l’importance que leur attribue E. de Faye, op. cit., p. 108 sq. Saint Irénée, après avoir exposé de la même manière que le fait Hippolyte l’origine du plérôme, donne à la Sagesse extérieure le nom d’Enthymésis. Cette Enthymésis n’est autre chose que le désir de Sophia, sa passion personnifiée qui ne peut pas rester dans le plérôme une fois que la paix y a été rétablie par l’intervention du Christ. Une fois personnifiée, Enthymésis prend le nom hébreu d’Achamoth. Évidemment ce nom ne figure pas dans la notice d’Hippolyte, mais il faut une volonté bien arrêtée de prendre l'évêque de Lyon en défaut pour déclarer qu’il y a chez lui comme trois histoires qui sont les variantes d’un même récit, que les deux dernières, l’histoire d’Enthymésis et celle d’Achamoth ont manifestement été calquées sur' le mythe de Sophia et qu’elles ont été introduites après coup dans

le système. E. de Faye, op. cit., p. 111. En réalité saint Irénée se borne à attribuer à la Sophia extérieure des noms qui, ne figurent pas ailleurs, mais qui peuvent fort bien être primitifs, car nous avons vii, à propos de l’Esprit, qu’il devait être désigné par un nom féminin, donc sans doute d’origine et de forme sémitique. Saint Irénée précise encore que la Sagesse extérieure, en essayant de s'élever vers le plérôme et d’en forcer l’entrée, est écartée par Horos, à qui il suffit pour cela de prononcer le nom magique Jao. De nouveau, nous trouvons ici la marque des influences judaïques, mais il n’est pas du tout assuré que ces influences se soient exercées directement sur Valentin. Le nom de Jahvé était, en ce temps là, utilisé comme un prophylactique dans tout le monde oriental ; son emploi par Horos est plutôt un signe de syncrétisme que de toute autre chose.

D’autre part, saint Irénée précise la manière dont est né le monde matériel. Celui-ci a pour origine les passions de la Sagesse extérieure ou Achamoth : Hinc dicunt primum initium habuisse subslantiam materiæ de ignoranlia et tsedio et timoré et slupore. Cont. hær., I, ii, 3, col. 458 ; cf. Ps.-Tertullien, Adv. omn. hæres., 4. Des larmes et de la tristesse est né l'élément humide, Cont. hær., i, iv, 2, col. 483, de son sourire, ce qui est lumineux, des deux autres passions, les deux derniers éléments. Ici encore, notre curiosité n’est pas satisfaite et nous voudrions savoir comment Valentin concevait le passage des passions de Sophia au monde matériel. Mais nous avons peut-être tort de nous poser une semblable question à laquelle l’hérésiarque lui-même n’attachait sans doute aucune importance.

La rédemption.

L’homme, formé par le démiurge, est composé d’un corps et d’une âme, c’està-dire de matière et de souffle vital (psyché). À son

insu, Achamoth sème la substance pneumatique, née d’elle, dans l'âme de certains hommes qu’elle prépare ainsi à recevoir le salut. Il faut en effet que le monde visible soit sauvé et que se renouvellent pour lui des péripéties analogues à celles dont la Sagesse supérieure et Achamoth ont déjà été les héroïnes. Ce salut consiste essentiellement dans la libération de l'élément pneumatique qui aspire vers Dieu et qui doit être séparé des éléments inférieurs auxquels il a été uni. Il est l'œuvre de Jésus.

LTn texte de Valentin, cité par Clément, nous renseigne d’abord sur l’origine de l’homme : « Une sorte d'épouvante survint aux anges en présence de cet être qu’ils venaient de former lorsqu’il proféra des paroles hors de proportion avec ses origines. Cela lui venait de celui qui, sans se laisser voir, avait déposé en lui une semence de la substance d’en haut et parlait avec cette hardiesse en lui. C’est ainsi que, parmi les hommes éphémères, leurs ouvrages sont un objet d’effroi pour ceux qui les ont faits, tels que des statues, des images, bref tout ce que font leurs mains pour représenter la divinité. Car Adam ayant été fait au nom de l’Homme, inspirait la crainte de l’Homme préexistant, lequel était en lui et les anges furent stupéfaits et altérèrent leur image. » Stromal., II, viii, t. viii, col 972. L’homme apparaît donc comme l'œuvre des anges. Mais la présence en lui d’un élément spirituel inspire une sorte d’effroi à ses auteurs euxmêmes et ceux-ci s’efforcent d’effacer, de supprimer de l’homme tout ce qu’il y a en lui de supérieur.

Comment cela ? Sans doute par l’introduction des passions qui l’agitent et le troublent. De nouveau, nous pouvons faire appel à un fragment authentique de Valentin : « Un seul est bon, qui se révèle à nous par l’intermédiaire du Fils, et par lui seul le cœur peut devenir pur, tout esprit mauvais étant expulsé du cœur. Car beaucoup d’esprits y résident, qui ne lui permettent pas de rester pur, et chacun d’eux

opère ses propres œuvres en s’abandonnant à la licence de passions inconvenantes. À mon sentiment, le cœur peut se comparer à une auberge ouverte à tout venant, qui souvent est percée, fouillée, remplie de l’ordure d’hommes qui s’y conduisent sans retenue, sans aucun ménagement pour le lieu où ils sont et j qu’ils considèrent comme étranger. Pareillement le cœur, tant qu’il reste hors de l’action de la Providence, demeure impur et sert de résidence à une foule de démons ; mais, lorsque le Père, qui seul est bon, a jeté un regard sur lui, il se trouve sanctifié et resplendit de lumière, et c’est ainsi que celui qui a un tel cœur est bien heureux, car il verra Dieu. » Stromat.. II, xx, P. G., t. viii, col. 1057.

Les anges travaillent à souiller l’homme par les mauvaises passions. Le salut consiste donc dans la libération de ces passions. Mais il est atteint de diverses manières suivant ceux à qui il est proposé. Les parfaits, les pneumatiques, sont presque sauvés naturellement, puisqu’ils possèdent déjà l'élément spirituel. Il leur suffira donc de prendre conscience de cet élément spirituel par la gnose, c’est-à-dire par la connaissance des mystères. Dans une homélie qu’il adresse aux initiés de la secte, Valentin s’exprime ainsi : « Vous êtes immortels dès l’origine ; vous êtes fils de la vie éternelle et vous vouliez partager la mort entre vous-mêmes, afin de la consommer et de la ruiner, afin que la mort meure en vous et par vous. Car lorsque vous dissolvez le monde, sans être vous-mêmes dissous, vous êtes maîtres de la création et de toute la corruption. » Stromat., IV, xiii, col. 1297. Quelques lignes plus bas, Clément cite un autre fragment, qui provient peut-être de la même homélie : « Autant une image est inférieure à un visage vivant, autant le monde est au-dessous de l'éternité vivante. Quelle est donc la cause de l’image ? C’est la majesté du visage qui a fourni le modèle au peintre pour qu’elle soit honorée en son nom. car la forme n’a pas été douée d’une existence Indépendante : c’est le nom qui a fourni sa plénitude à la déficience dans le modelage de la forme. L'être invisible de Dieu contribue à garantir ce qui est formé. » Stromat., IV, xiii, ibid. Ces dernières lignes ont un accent platonicien très prononcé. Le monde visible est en quelque sorte l’image du monde invisible et il est autant au-dessous de lui que l’image est au-dessous du modèle vivant. Spécialement les initiés, les justes, les pneumatiques sont les enfants de la vie éternelle ; ils apparaissent ainsi supérieurs à la matière, à la corruption, à la mort elle-même dont ils triomphent en quelque sorte par droit de nature.

Cependant, et ceci est capital, la rédemption ne peut être opérée que par l’intermédiaire de Jésus-Christ. Dans le fragment d’une lettre à Agathopous, Valentin s’exprime ainsi au sujet du Sauveur : « Tout en s’assujettissant à toutes les nécessités de la vie, il les a dominées. C’est ainsi qu’il a réalisé la divinité. Il mangeait et buvait d’une manière particulière sans évacuer. Si grande était sa force de tempérance que les aliments ne se dissolvaient pas en lui, puisque lui-même ne devait pas connaître la dissolution. » Stromat., III, vii, col. 1161. Cette christologie est franchement docète. Cela n’est pas pour nous étonner puisque, nous l’avons déjà dit, la chair de Jésus n’est pas d’origine humaine et qu’en entrant dans le monde. Jésus a passé par Marie sans rien lui emprunter. Il est inutile de se demander si ce corps était réel

ou était une simple apparence. Étranger à toutes les exigences, > toutes les conditions de la vie ordinaire, il ne pouvait en tout Cal être comparé à celui des aul res hommes.

Il suffit aux pneumatiques, pour participer au salut, de connaître la doctrine enseignée par Jésus.

DIC1. Dl I MI ni i M MOI..

Épiphane, Hseres., xxxi, 7, t. xli, col. 488, dit explicitement qu’ils doivent être initiés aux mystères, ce qui d’ailleurs ne signifie pas qu’ils sont obligés de connaître les mots de passe grâce auxquels ils seront autorisés à franchir les passages dangereux et à pénétrer dans le monde supérieur. On trouve ces mots de passe chez les gnostiques postérieurs et les ouvrages conservés en langue copte en fourniront de nombreux exemples. Nous n’avons pas la preuve que Valentin lui-même leur ait accordé une place.

Les psychiques sont plus difficilement sauvés. Grâce au libre arbitre, ils peuvent cependant parvenir au salut. Leur destinée dépend de leur propre choix. Sont-ils tenus de pratiquer la justice ? d’accomplir de bonnes œuvres ? Saint Irénée et saint Épiphane l’assurent également. On serait même tenté de croire qu’ils diffèrent en ce point des pneumatiques dont le salut est en quelque sorte nécessaire, car saint Irénée écrit au sujet de ces derniers : « Les hommes spirituels ne peuvent périr, quels que soient les actes qu’ils commettent. Même enseveli dans un bourbier, l’or ne perd pas sa beauté. » Cont. hær., i, vi, 2, t. vii, col. 507. L’indifférence des actes est incluse dans ces formules et les hérésiologues ont reproché aux gnostiques de toute secte leur amoralisme. Les psychiques tout au moins ne semblent pas tomber sous un tel grief. Si, pour eux aussi, le salut est essentiellement une gnose, il n’exclut pas, bien loin de là, la pratique de la vertu. La connaissance de Jésus, l’imitation de Jésus, telles paraissent les deux conditions de la rédemption. Le salut lui-même dépend-il de la croix ? Il ne le semble pas. La croix joue certes un rôle dans la doctrine de Valentin. Ce n’est pas sans raison que la limite entre les deux mondes, le plérôme et le monde d’en bas porte le nom de Stauros. Ce mot signifie pieu ; mais, dans le langage chrétien, il a surtout la signification de croix. Cependant, il n’est pas question du sacrifice du Christ et de sa mort sanglante et, si Jésus n’a pas eu un corps soumis aux nécessités de la vie physique, on ne voit même pas comment il aurait pu mourir et répandre son sang. Il s’est contenté en réalité d’enseigner une doctrine : les psychiques peuvent l’accepter ou la refuser. S’ils l’acceptent et s’ils agissent en conséquence, ils participent au salut.

Restent les hyliques, les hommes purement matériels. Il n’y a rien à espérer pour eux. Faits de matière, exclus de toute participation à l'élément spirituel, ils sont incapables d'être sauvés et le mot de salut n’a même aucun sens lorsqu’il s’applique à eux. Ils retourneront purement et simplement à la matière, sans que rien puisse empêcher leur sort de s’accomplir.

Eschatologie.

Nous sommes fort mal renseignés

sur l’eschatologie de Valentin. Déjà l’ordre et la paix ont été rétablis dans le plérôme. Seul, le monde d’en bas reste sujet au trouble. Sera-t-il sauvé lui-même en tant que tel et finira-t-il par trouver un état définitif de repos ? ou bien seuls les hommes. pneumatiques on psychiques, auront-ils part au salut ? D’après les Philosophotunena, la substance psychique est de feu, car elle est de même nature que le démiurge et celui-ci est de nature ignée selon le témoignage de l'Écriture : « Le Seigneur ton Dieu est un feu qui brûle et qui consume.. il suit de là que l'âme est de sa

nature mortelle en qualité d'être intermédiaire. » Elle est en elîel hchdnmade et repos. Elle est au dessous de l’ogdoade résidence de Sophia. [le jour] qui a revu une forme, et de Jésus, le fruit commun du plérôme ; d’autre part, elle est au-dessus de la matière, séjour du démiurge. Si elle se rend parfaitement semblable aux choses d’eu haut, à l’ogdoade. elle devient immortelle et monte dans l’ogdoade qui, dit Valentin, est la

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Jérusalem céleste. Mais si elle se rend semblable à la matière, c’est-à-dire aux passions charnelles, elle est corruptible et elle périt. » Philosoph., VI, 32. Il n’est pas question de l’univers dans tout cela et il ne semble pas que Valentin se soit beaucoup préoccupé de son sort définitif.

Jugement sur Valentin.

E. de Faye ne tarit

pas d’éloges sur Valentin. « Valentin, écrit-il, paraît avoir été un esprit fort cultivé, familiarisé depuis longtemps avec Platon, obsédé par les plus profondes aspirations religieuses de son temps, hanté par le problème du mal et du salut, qui est venu au christianisme parce qu’il a cru y trouver la satisfaction des besoins de sa conscience et la solution des problèmes qui le préoccupaient. Devenu chrétien, il a continué de méditer et de creuser. Bien loin d’arrêter son essor, le christianisme n’a fait que stimuler encore sa pensée. C’est ainsi qu’il est devenu le spéculatif le plus hardi du iie siècle. » Op. cit., p. 74. Ces appréciations n’ont qu’un défaut, c’est d’être proprement en l’air. Nous ne savons rien de Valentin avant sa conversion ni des motifs qui ont pu le pousser au christianisme. Quant à la hardiesse et à la profondeur de ses constructions dialectiques, il est permis de les trouver plutôt douteuses. Bien plus nuancé et plus exact est le jugement de A. Puech, Littérature grecque chrétienne, Paris, 1928, t. ii, p. 246 : « Valentin est essentiellement platonicien, disait Tertullien ; mais c’est un platonicien qui n’a guère gardé des procédés de Platon que le mythe, et il ne présente point ses mythes, ainsi que Platon, comme le symbole de vérités dont l’intelligence humaine ne saurait donner une expression directe ; il en fait des réalités religieuses, qui deviennent matière de croyance. C’est ce qu’il ne faut pas oublier. Ses conceptions ont parfois une apparence de grandeur ; ce n’est qu’une apparence et ce plérôme que peuplent trente abstractions, qui ne sont que des fantômes, reste en réalité bien vide et bien insignifiant. L’histoire de Sophia est plus mélodramatique que vraiment tragique. Dans sa christologie, Valentin est nettement docète et il n’y a rien de moins religieux que le docétisme. La distinction des trois catégories d’âmes est tout ce qu’il y a de plus contraire à l’esprit de Jésus. »

Reste qu’il a été un homme intelligent et cela nous aurions mauvaise grâce à le nier. Les fragments insignifiants qui nous restent de lui permettent à peine de nous faire une idée de son talent littéraire. Il n’est pas sans intérêt de souligner qu’il a, un des premiers, écrit des hymnes et contribué ainsi à la formation de la poésie chrétienne ; mais les sept vers que les Philosophoumena, VI, 36, citent d’une de ses hymnes sont, au demeurant, assez médiocres. Comme Hermas, il a eu recours aux visions pour exposer ses idées ; mais le seul fragment que nous ayons de ses visions est bien loin de valoir même les constructions imaginatives du Pasteur. Il semble avoir eu un style clair et s’être élevé jusqu’à l’éloquence dans les passages où il avait à traduire des idées qui lui tenaient profondément à cœur. Ses adversaires eux-mêmes, comme Tertullien, Adv. Valent., 4, lui ont reconnu un vrai talent : nous aurions mauvaise grâce à ne pas leur donner raison sur ce point.

Nous contesterons davantage son originalité. Nul doute qu’il ne doive beaucoup au milieu dans lequel il a vécu. Les fantaisies sur le plérôme, les généalogies d’éons dans lesquelles il se complaît ont pour nous quelque chose de surprenant et nous comprenons mal l’attrait qu’elles exerçaient sur des intelligences du iie siècle. Cet attrait est réel. Valentin n’a pas été le seul, loin de là, à développer de telles spéculations et le succès qu’elles ont rencontré, les discussions qu’elles ont soulevées, les formes variées

qu’elles ont prises parmi ses disciples témoignent assez de l’intérêt qu’elles offraient à un grand nombre. Même ceux qui se montrent le plus disposés aujourd’hui à insister sur le caractère proprement philosophique de la doctrine de Valentin, E. de Faye, par exemple, sont obligés de reconnaître qu’il est bien l’auteur des constructions relatives au plérôme et qu’il mettait toute sa complaisance à les échafauder. Nous ne saurions ici revenir sur la question difficile et depuis longtemps débattue des origines de la gnose. Il nous suffît de rappeler que c’est en Orient, surtout en Egypte et en Syrie, que la gnose a pris naissance et a commencé à s’affirmer comme un système indépendant. L’Egypte et la Syrie sont les deux terres classiques du syncrétisme : c’est là que la pensée grecque rencontre toutes les formes de la pensée orientale et essaie de s’unir à elles en les combinant de diverses manières. Nous n’avons pas trouvé trace dans l’exposé du système de Valentin, de spéculations magiques ou astrologiques et de ce point de vue, la gnose qu’il enseigne est plutôt d’ordre rationaliste. À la sagesse grecque, elle doit peut-être l’idée de l’image qui reproduit, en l’affaiblissant, la perfection du modèle, c’est-à-dire qu’elle s’inspire de Platon ; mais, quoi qu’en dise Hippolyte, elle n’emprunte rien à Pythagore et ce sont plutôt les disciples de Valentin qui ont cherché la signification mystique de l’hebdomade, de l’ogdoade, de la décade, etc. Mais les idées d’origine grecque sont, en quelque sorte, noyées dans une mythologie dont l’élément chrétien ne saurait être exclu ou minimisé.

C’est sur ce point qu’il est nécessaire d’insister. La gnose de Valentin est essentiellement une gnose chrétienne. Quoi qu’on pense de l’existence d’une gnose préchrétienne, le système valentinien doit au christianisme ses aspects caractéristiques. Dans le plérôme, l’Homme et l’Église tiennent une place de choix. Plus importante encore est la place tenue par l’Intellect (voOç) et la Vérité, par le Logos et la Vie, puisque ces deux couples sont au point de départ de toutes les autres syzygies du plérôme. Or, il semble incontestable que trois au moins de ces quatre termes, le Logos, la Vie et la Vérité dérivent en droite ligne du quatrième Évangile. Sans doute, ces termes ne sont pas propres à saint Jean et celui-ci ne spécule pas sur le voûç qui a, au contraire, une place de choix dans les livres hermétiques. Mais il était nécessaire de trouver un correspondant masculin de la Vérité, capable d’ailleurs d’engendrer le Verbe, et celui-ci ne pouvait guère être que le voijç.

Il y a plus. Tous les thèmes de salut développés par Valentin accordent la première place au Christ. Le premier Christ et sa compagne l’Esprit-Saint procèdent directement de l’Intellect et de la Vérité : ils restaurent l’harmonie du plérôme dont ils expulsent l’avorton de Sophia. Le fruit commun du plérôme. Jésus, délivre de ses passions la Sagesse extérieure et s’unit à elle pour régner dans l’ogdoade. Enfin un troisième Christ est proprement le Sauveur du monde sensible ; c’est celui qui est apparu à l’humanité en passant par Marie et qui lui a enseigné les mystères du salut. Ces fantaisies n’ont qu’un rapport lointain avec l’histoire évangélique, mais elles ne pouvaient prendre naissance que dans un milieu où cette histoire était connue, tout au moins dans un milieu où l’on savait l’importance unique attribuée à Jésus par les chrétiens orthodoxes.

Allons plus loin encore. La gnose valentinienne est pleine de réminiscences scripturaires qui en font partie intégrante. L’Ancien Testament est mis parfois à contribution : comment la Crainte ne serait-elle pas rapprochée de la Sagesse, alors qu’il est

écrit : « Le principe de la Sagesse est la crainte du Seigneur » ? Ps., ex, 10. Le Démiurge est de nature ignée, puisqu’il est écrit : « Le Seigneur ton Dieu est un Dieu qui brûle et qui consume. » Deut., ix, 3. Le Démiurge s’imagine être le seul artisan du monde qu’il ne crée que sous l’inspiration de Sophia et voilà pourquoi il déclare avec forfanterie : « C’est moi qui suis Dieu et en dehors de moi, il n’y en a pasd’autre. » Deut., iv, 35 ; cf. Is., xlv, 5. Mais le Nouveau Testament est utilisé avec bien plus de fréquence et de subtilité. L’épître aux Éphésiens, iii, 14-19, parle de la profondeur, laquelle est le Père de l’univers, de la largeur, qui est Stauros ou Horos, la limite du plérôme, de la longueur, qui est le plérôme des éons lui-même. Saint Paul mentionne à plusieurs reprises l’homme psychique et l’homme pneumatique, et Valentin s’appuie sur ces textes pour justifier sa propre distinction. Les prophètes qui ont parlé sous l’inspiration du Démiurge étaient stupides : c’est pourquoi le Sauveur a dit : « Tous ceux qui sont venus avant moi sont voleurs et brigands. » Joa., x, 8. Ces textes et d’autres encore sont rapportés par les Philosophoumena, VI, 32-36, qui en attribuent expressément l’emploi à Valentin. Ses disciples ont pu, nous le savons, développer sa méthode et consacrer à l’exégèse le meilleur de leurs forces. Cf. K. Barth, Die Interprétation des neuen Testaments in der valentinianischen Gnosis, dans Texte und Untersuehungen, t. xxxvii, fasc. 3, Leipzig, 1911. Ils ne sont pas les inventeurs du procédé et c’est bien à Valentin qu’il faut remonter pour comprendre la place tenue dans le système par les Livres saints.

Ces remarques sont de la plus haute importance, lorsqu’il s’agit de déterminer la place de Valentin non seulement dans l’histoire de la gnose, mais dans celle du christianisme. Nous voudrions évidemment savoir si Valentin, venu à Rome un peu avant 140 selon saint Irénée, et par conséquent né aux environs de l’an 100, a commencé par appartenir à la grande Église avant d’inventer son système. Nous n’avons aucun moyen de nous en assurer, mais nous pouvons affirmer tout au moins qu’il a connu en Egypte le christianisme sous sa forme catholique et la place qu’il attribue à l’Église dans son système montre assez l’importance qu’il lui reconnaissait dans la pratique quotidienne de la vie. Autre chose est assurément un éon sans consistance, autre chose est une société vivante, gardienne d’une tradition autorisée. Mais Valentin n’est pas le seul chrétien du iie siècle à regarder l’Église idéale comme antérieure à la création et nous savons avec quel soin il s’est cherché des garants en rattachant son enseignement à celui de saint Paul par l’intermédiaire d’un certain Theudas. Une telle prétention, si mal appuyée qu’elle ait été, prouve en tout cas qu’une doctrine nouvelle n’avait dès lors aucune chance d’être reçue et que toute forme de christianisme devait pouvoir se recommander d’une apostolicité vraie ou supposée. Comme le personnage dont Valentin se recommandait était d’ailleurs inconnu, le nouveau docteur n’avait aucune chance de faire agréer ses doctrines par la communauté chrétienne. Alors même qu’il serait venu à Rome simplement pour y trouver un théâtre digne de sa prédication, et nombreux y furent à la même époque les maîtres orthodoxes ou hérétiques, il devait s’y heurter à des oppositions trop fortes pour qu’il lui fût possible d’en venir à bout. Nous ne savons même pas quel succès il y rencontra. Alors qui’v ; i i ? 1 1 Justin, dans les Apologies, parle de Marcion Comme d’un redoutable adversaire, il ne cite même pas le nom de Valentin, ce qui laisse supposer qu’il

ne voyait pas dans ses doctrines un véritable péril |i<mr la foi des si ni | îles.