Dictionnaire de Trévoux/6e édition, 1771/ANGE

Jésuites et imprimeurs de Trévoux
(1p. 348-349).
◄  ANGASMAIO
ANGEINE  ►

ANGE. s. m. Substance spirituelle & intelligente, qui tient le premier rang entre les créatures de Dieu. Angelus. Ange n’est point proprement un nom de nature, ou qui signifie la nature, selon la remarque de Saint Hilaire, Liv. V. de la Trin. mais un nom d’office, qui signifie, Nuntius, Messager, celui dont on se sert pour porter ses ordres, pour expliquer ses volontés. C’est ce que Saint Paul a exprimé par ces paroles, Hébr. I, 14. Les Anges ne sont-ils pas tous des esprits qui lui servent, & qu’il envoie travailler au bien de ceux qui recevront l’héritage du salut ? C’est pour cela que ce nom se donne aux Prêtres dans Malachie II, 7, à Saint Jean-Baptiste, Malach. IIII, 1. Matt. XI, 10. Car, comme dit Tertullien, dans son ouvrage contre les Juifs, ch. 4. Dieu a coutume d’appeler Anges, ceux qu’il constitue les ministres de sa puissance. Jésus-Christ lui-même, Isaïe IX, 6, est appelé par les Septante, l’Ange du Grand Conseil ; nom, dit Tertullien, Liv. de carne Christi, C. 14, qui marque son emploi, & non pas sa nature. Le nom que l’Ecriture donne en hébreu aux Anges est aussi un nom d’office, & non pas un nom de nature, מלאך qui signifie, Legatus, Nuncius, un Légat, un Envoyé, un Ministre. Cependant l’usage a prévalu, & ce nom d’Ange se prend communément pour un nom de nature, même dans l’Ecole & dans l’Ecriture. Voyez Act. XXIII. Les Saducéens ont nié autrefois qu’il y eût des Anges ou des esprits. Ç’a été aussi l’erreur de quelques Philosophes, au rapport d’Aristote ; mais il n’est pas permis à un Chrétien d’en douter. L’Ecriture est formelle en cent endroits sur cet article ; & la tradition, les Peres, tout conspire à prouver cette vérité. Dans toutes les Religions on a cru l’existence des Anges. Les Samaritains mêmes & les Caraïtes, que les Juifs traitent de Saducéens, les reconnoissent. Abusaïde, de la secte des Samaritains, qui est l’auteur d’une version arabe du Pentateuque, en parle dans ses notes ; Aaron, Juif Caraïte, en fait aussi mention dans son Commentaire sur les cinq livres de Moyse. Ces deux ouvrages, qui sont fort rares, se trouvent en manuscrit dans la Bibliothèque du Roi. Il est souvent parlé des Anges dans l’Alcoran. Les Mahométans croient qu’ils sont les exécuteurs des commandemens de Dieu : qu’ils sont différens en dignité ; qu’ils sont destinés à de certains offices, tant dans le ciel que sur la terre, & qu’ils écrivent les actions des hommes. Ils attribuent une très-grande puissance à l’Ange Gabriel ; savoir, de descendre dans l’espace d’une heure du ciel en terre, & de renverser une montagne avec une seule plume de son aile. L’office de l’Ange Asrail est de prendre les ames de ceux qui meurent. Un autre Ange, nommé Esraphil, tient toujours à sa bouche une corne ou une trompette, pour en sonner au jour du jugement. En un mot, les Anges sont d’un grand secours aux Mahométans, dans toutes les fables dont leur Religion est remplie. Ils en ont emprunté une partie des Medrascim, ou livres allégoriques des Juifs. Voyez de Moni, au chap. 15 de l’Histoire de la créance, & des coutumes des nations du Levant. Les Philosophies & les Poëtes payens ont aussi reconnu des substances intelligentes supérieures à l’homme. Saint Cyprien le prouve, dans son Livre de la vanité des Idoles, par le témoignage de Platon, de Socrate, de Trismégiste, & des Poëtes. Les Energumènes & les opérations de la magie en sont des preuves convaincantes, dont Lactance se sert au Livre premier de ses Institutions, chap. 15. Voyez encore les raisons de S. Thomas, Liv. II contr. Gent. ch. 46.

On n’a pas été si bien d’accord sur la nature des Anges que sur leur existence. Saint Clément d’Aléxandrie a cru que les Anges avoient un corps. C’étoit aussi l’opinion d’Origène, de Césarius, de Jean de Thessalonique, de Tertullien, & de quelques autres, à qui on l’attribue. Aujourd’hui on convient généralement que ce sont des Intelligences spirituelles. Le Concile de Latran, sous Innocent III. C. firmiter de sum. Trin. décide que Dieu est créateur des deux natures, la spirituelle & la corporelle ; c’est-à-dire, ainsi qu’il s’explique lui-même, des Anges & de ce monde. C’est aussi le sentiment général des Peres, Saint Athanase, Saint Basile, Saint Grégoire de Nice, Saint Jean Chrysostôme, &c. Enfin l’Ecriture appele les Anges, des esprits, & ne se sert du même mot, que dans elle parle de Dieu, & qu’elle dit que Dieu est esprit, pour marquer qu’il est immatériel. Voyez Act. XXIII, 8, & en Saint Luc, III, 36, VI, 18, VII, 21, VIII, 2, & souvent ailleurs elle nomme les Démons, Esprits immondes, Esprits malins, &c.

Saint Paul parle de cette sorte des Anges, au ch. I. de l’Epître aux Hébr. v. 7. L’Ecriture dit touchant les Anges : Dieu se sert des esprits pour en faire ses Ambassadeurs & ses Anges, & des flammes ardentes pour en faire ses Ministres. C’est ce qu’on lit dans la version de Port-R. M. Simon a traduit plus à sa lettre : à l’égard des Anges, Dieu dit qu’il fait les esprits ses Anges & ses Ministres, des flammes de feu. Puis il ajoute dans sa note : l’article qui est dans le grec devant le mot d’Anges insinue qu’il faudroit traduire à la lettre, que Dieu fait ses Anges des esprits ; mais le sens est, que les esprits lui servent d’Anges, c’est-à-dire, de ministres, ou envoyés, pour exécuter ses volontés.

Comme S. Paul cite en cet endroit le verset 4 du Pseaume 103, où le Prophète semble plutôt parler des vents que des Anges, M. Simon y fait cette remarque : le mot qui est dans l’hébreu est équivoque, signifiant également vent & esprit. La plûpart des Rabbins entendent ce passage du Pseaume, des vents & des tonnerres, dont Dieu se sert comme de ministres. Mais S. Paul a suivi le sens que lui présentoit la Version des Septante, & qui est même appuyée sur les plus anciens Rabbins. On pourroit aussi traduire à la lettre, en donnant au mot d’esprit la signification de vent ; qu’il fait ses Anges, comme des vents, c’est-à-dire, ses envoyés prompts comme le vent, étant certain que les Hébreux sous-entendent en une infinité d’endroits la particule comme.

Sur ces autres mots, & ses Ministres, des flammes de feu, M. Simon ajoute cette autre remarque : c’est ainsi qu’il faut traduire à la lettre, & cela signifie, que ceux dont Dieu se sert pour être ses Ministres, sont légers & actifs comme le feu. Selon l’interprétation des Rabbins, il faudroit traduire de cette manière les paroles du Pseaume, que les flammes ardentes lui servent de Ministres ; ce qui se voit par l’exemple de Sodome & de Gomorrhe.

L’Apôtre dit encore, parlant des Anges au même endroit, v. 14. Tous les Anges ne sont-ils pas des Esprits qui tiennent lieu de Serviteurs & de Ministres ? Version de Mons. Il y a dans la version de M. Simon : Ces Anges ne sont-ils pas tous des Esprits faisant les fonctions de Ministres : & dans la note : les Anges sont, à l’égard de Dieu, comme les Ministres d’un grand Roi, & Jésus-Christ, qui est le Fils unique de Dieu, est à l’égard des Anges, comme le fils de ce grand Roi, lequel fils est au-dessus de tous ces Ministres.

L’Eglise grecque fait la Fête des SS. Anges, l’onzième de Janvier, Bollandus, T. I, p. 665, & l’Eglise latine, le second d’Octobre. On compte dans l’Ecriture neuf Hiérarchies des Anges. Nous avons la ridicule fantaisie de nous faire accroire que les cieux ne roulent que pour nous, & que les Anges mêmes qui composent ces grandes Hiérarchies, n’ont été créés que pour avoir soin de nos commodités. Moth. Vay. Nous peignons les Anges en figure humaine, dit Jean de Thessalonique, parce qu’ils ont souvent ainsi apparu à ceux à qui Dieu les a envoyés. Fleur.

Ange, se prend spécifiquement pour une des créatures, qui est du neuvième & du plus bas cœur de la Hiérarchie céleste : les Anges, Archanges, &c. L’Ange exterminateur. Un Ange de lumière, c’est un bon Ange. L’Ange de ténèbres, c’est le Diable. La première de ces expressions est prise de S. Paul, II, Cor. XI, 14, & signifie un bon Ange, un saint Ange. La seconde est faite par l’usage, à l’imitation de celle de S. Paul, & signifie un mauvais Ange. Sathan même se transforme en Ange de lumière. S. Paul, à l’endroit cité. Se garantir des illusions de l’Ange de ténèbres, & se mettre à couvert de ses prestiges. Bourdal. Exh. T. I, p. 327. Cet esprit de ténèbres, qui se transforme quelquefois en Ange de lumière. Bouh. L’Ecriture fait mention de Satan, & de ses Anges. L’Ange gardien, ou le bon Ange, est celui que Dieu a commis à la garde de chaque personne. Angelus custos, tutelaris. Les Platoniciens tenoient de même, que chacun étoit sous la protection d’un Génie particulier. Toutes les prières des Turcs finissent par le salut qu’ils rendent à leurs Anges gardiens. Du Loir Voyage du Lev. p. 147.

Ange, se dit figurément en parlant de celui qui a une qualité extraordinaire. Cet Auteur écrit comme un Ange. Cet homme peint comme un Ange, c’est-à-dire, très-bien. Il a la voix d’un Ange. Cette fille est un Ange, un Ange mortel ; elle a le visage d’un Ange. On dit qu’un homme vit en Ange, quand il vit dans une grande pureté ; & pour cette raison on a donné autrefois aux Papes & aux Evêques le nom d’Ange, comme témoigne Du Cange. Ces façons de parler s’expriment en latin par les adverbes, pulchrè, mirificè, mirabiliter. Dans l’Apocalypse ce nom est donné aux Pasteurs de plusieurs Eglises : l’Ange de l’Eglise d’Ephese : l’Ange de l’Eglise de Smyrne. On l’a donné à plusieurs autres hommes par excellence, à cause de leurs qualités extraordinaires : Saint Thomas est l’Ange de l’Ecole. Pasc. Pour faire entendre qu’il excelle entre les Scholastiques. C’est une société d’hommes ou plutôt d’Anges. Id. Mais, Madame, après tout, je ne suis pas un Ange. Mol. C’est-à-dire, je n’ai pas la sagesse d’un Ange, pour résister à vos charmes. On appelle des manches d’Anges, certaines manches de femmes qui sont fort larges, & qui ne vont qu’à la moitié du bras, parce qu’on habille ainsi les Anges quand on les peint. Un lit d’Ange, est celui dont les rideaux sont faits en pavillon, retroussés & suspendus au plancher, & sans quenouille. De l’eau d’Ange, est une eau odoriférante, faite de plusieurs fleurs & aromates, qui est extrêmement agréable.

Ange, pris absolument, est un nom que les Poëtes & les amans donnent quelquefois à leurs maîtresses.

À la fin mes yeux sont contens,
Amour a ramené mon Ange. Theoph.

Ange bouffi. Terme populaire. On donne communément ce nom aux enfans qui ont le visage fort plein & de grosses joues qui avancent, apparemment parce que les Peintres représentent communément ainsi les Anges, & sur-tout les Chérubins & les Séraphins. Angelus tumens, timidus.

Ange. s. m. Espèce de monnoie sous Philippe de Valois. Dans l’édit qui en ordonne la fabrication, ces anges sont nommés Angelots. Voyez ce nom. On discontinua de les fabriquer l’an 1342. Ils furent toujours d’or fin, mais ils ne furent pas toujours de même poids : les premiers pesoient 5 deniers 16 grains, & on les appeloit Premiers Anges. On en fit dans la suite qui ne pesoient seulement que 4 deniers, 13 grains, & c’étoient les troisièmes anges. L’écusson que l’ange tient de la main droite n’est rempli que de trois fleurs-de-lys. Le Blanc. Le même Auteur, dans ses tables du poids & de la valeur des monnoies, distingue sous Philippe de Valois en 1340, 1341, & 1342, des anges & demi-anges, d’or fin les uns & les autres. Ceux-ci à la taille de 67 au marc, & ceux-là à la taille de 33 au marc en 1340, & de 38 en 1342, & de 42, en 1342. Il dit aussi dans sa préface p. 6. que ange & angelot sont la même chose. L’ange qui est sur cette monnoie, lui fit donner son nom. Id.

Ange, en termes d’Artillerie, est un boulet de canon fendu en deux, dont les deux moitiés sont attachées par une chaîne ou barre de fer. On en tire sur la mer pour désemparer les vaisseaux, & pour rompre les cordages, mâts & manœuvres des ennemis.

Ange, est aussi le nom du principal étendard de l’armée. Dans les commencemens de l’Empire d’Occident, on portoit l’ange devant l’Empereur. Voyez Witikind, Liv. I.

Ange, est aussi un poisson de mer, qu’on fait passer pour de la raie, parce qu’il lui ressemble ; mais il est plus gros, & il a la chair plus dure. Squatina.

Ange, est employé par le peuple dans quelques provinces, pour signifier un Sergent. A Dijon, envoyer un ange, c’est envoyer un Sergent, ce qui dans le temps de l’introduction du papier timbré, donna lieu à un pauvre homme que son créancier avoit fait assigner, de dire, Ai m’é anvié trois ainges, par où il entendoit le Sergent & l’assignation, où pour timbre la figure de deux anges étoit marquée. Glossaire Bourguignon, au mot Ainge.

On dit proverbialement, rire aux anges quand on rit seul & sans sujet : boire aux anges, quand on ne sait plus quelle santé on peut boire. On appelle par raillerie les crocheteurs, des anges de grève, à cause de leurs crochets qui tiennent lieu d’ailes. On dit aussi d’un visionnaire, ou d’un homme qui a reçu quelque coup violent dans les yeux, qu’il a vu des anges violets.

Ce mot vient du grec ἄγγελος, qui signifie, messager, envoyé.

Ange. Les montagnes d’Ange. Quoi qu’il en soit du mot Ange, que l’on n’a point entendu jusqu’ici, les montagnes d’Ange sont celles, ou plutôt une partie de celles qui bordent la Cilicie du côté de l’orient, & la séparent de la Syrie. C’est le mot Amanus.

S. ANGE. Une des Îles Mariannes. Angelonesus. Elle se nomme en langue du pays Aguignan. Voyez ce mot. P. Morales, Jés.