Dictionnaire de Trévoux/6e édition, 1771/ANATHÈME

Jésuites et imprimeurs de Trévoux
(1p. 329).

ANATHÈME. s. m. Excommunication, qui se dit proprement chez les Auteurs ecclésiastiques, de celle qui est faite par un Evêque, par le Pape, ou par un Concile, avec exécrations & malédictions, qu’on ne prononce que contre ceux qui ont commis quelques grand crime, ou qui sont incorrigibles : & en cela il differe de la simple excommunication, qui défend seulement l’entrée de l’Eglise, & la communion avec les Fidèles ; au lieu que l’anathème sépare du corps de la société & du commerce des Fidèles. Anathema, detestatio, execratio. On a fulminé anathème contre cet hérétique relaps. Il y a deux sortes d’anathèmes, les uns judiciaires, les autres abjuratoires. Les judiciaires ne peuvent être faits que par personnes fondées en juridiction. Les abjuratoires le peuvent être même par des Laïques : comme quand quelqu’un revient de l’hérésie à l’Eglise Catholique, on lui fait toujours anathématiser l’hérésie qu’il abjure : mais ces anathèmes ne sont que simples exécutions, & applications des anathèmes. Ainsi le mot d’anathématiser hors des cas judiciaires, ne veut dire autre chose, sinon, abjurer, abhorrer, tenir pour anathématisé. Ces opiniâtres furent frappés d’un anathème éternel, dont ils furent plutôt abattus que convertis. Boss.

Anathème, se prend aussi figurément pour des exclusions & des malédictions prononcées par des particuliers qui chassent ou qui détestent quelqu’un.

Loin de ceux à qui du mal l’apparence douteuse,
A fait contre un ami coupable ou malheureux,
Lancer d’un saint mépris l’anathème orgueilleux.

Anathème, se dit aussi de celui qui est excommunié par le Pape, par un Evêque, ou par un Concile. A piorum societate seclusus. Si quelqu’un soutient que les causes de mariage n’appartiennent point aux Ecclésiastiques, qu’il soit anathème, dit le Concile.

Anathème, se dit encore figurément d’un homme qui s’est rendu l’horreur de tous les gens de bien, & avec lequel personne ne peut avoir de commerce. Il est l’anathème de tout le monde. Ils ont mieux aimé abandonner la religion de leurs peres, passer pour des anathèmes dans le monde, que de relâcher d’un sentiment erroné & nouveau dont ils étoient préoccupés. Bourdal. Exhort. II, p. 392.

Le plûpart des Ecrivains Grecs distinguent anathème écrit avec un e bref, ἀναθεμα, d’anathème écrit avec un e long, ἀναθημα. Pollux, dans son Lexicon, l’écrit de cette dernière manière, & il dit qu’il signifie pour l’ordinaire les dons qui étoient dédiées aux Dieux ; ☞ les présens qu’on suspend dans les temples, soit à l’occasion d’un vœu, soit des dépouilles des ennemis. Hésychius confirme cette interprétation dans son Dictionnaire, où il explique le mot d’anathème par celui d’ornemens, parce que ces dons étoient comme des ornemens dans les temples. Saumaise appuie dans ses exercitations sur Pline, cette distinction du mot d’anathème écrit différemment ; mais Bèze la rejette dans son Commentaire sur le ch. 9 de l’Epître aux Romains, v. 3, où S. Paul souhaite d’être anathème pour ses freres. De quelque manière qu’on écrive ce mot, il a différentes significations. Il se prend en bonne part, & en mauvaise part.

A l’égard du mot d’anathème dans ce passage de S. Paul, où il est écrit avec un e bref, il se prend en mauvaise part. On est cependant fort partagé sur l’explication des paroles de l’Apôtre, pour savoir en quel sens il souhaite d’être anathème. Messieurs de Port-Royal ont traduit : J’eusse désiré devenir moi-même anathème, & être séparé de Jésus-Christ pour mes Freres. Ils ont conservé le mot d’anathème, & l’ont en même temps expliqué par celui d’être séparé, conformément aux Commentateurs Grecs, qui lui ont donné ce sens, à cause de la particule ἀπὸ qui est dans le grec, auquel répond le latin de notre Vulgate, où il y a à Christo. M. Simon a traduit ce même passage de Saint Paul de cette manière ; je souhaiterois d’être anathème à cause de Jésus-Christ pour mes Freres. Il remarque en même temps dans sa note, que dans toute l’écriture, quand ce mot se prend en mauvaise part, il ne signifie autre chose, qu’être dévoué, être traité comme un scélérat, être exterminé. En effet, S. Jérôme a suivi ce sens-là. A l’égard de la préposition grecque ἀπὸ, & de la latine à, M. Simon ajoute qu’on la doit prendre en ce lieu-ci pour propter, parce qu’elle a quelquefois cette signification dans la langue hébraïque. Cet hébraïsme, qui n’a point été connu à S. Chrysostôme & aux autres Commentateurs Grecs, apport un grand éclaircissement aux paroles de S. Paul. Voyez sur l’anathème, Baronius à l’an de Jésus-Christ 57, n. 169. M. de Laubespine, Liv. II de ses Observ. ch. 4 ; le P. Petau dans ses notes sur Julien, ch. 13, 14, 15, 16. Saumaise sur Solin ; Filesac sur Vincent de Lerins, Lindenbroch, &c.