Dictionnaire de Trévoux/6e édition, 1771/ADJECTIF

Jésuites et imprimeurs de Trévoux
(1p. 110-111).

ADJECTIF. adj. Souvent employé substantivement. Terme de Grammaire. C’est un nom qui est toujours joint avec un substantif exprimé, ou sous-entendu, pour en marquer la manière d’être ; c’est-à-dire, les accidens ou les qualités ; ou, suivant les principes généraux & raisonnés de la Grammaire Françoise, c’est un nom qui exprime un objet vague, considéré comme revêtu de quelque qualité. Ainsi quand on prononce le mot grand, on veut parler d’une chose, quelle qu’elle puisse être, qui a la qualité de grandeur. Adjectivum nomen. Le P. Buffier, dans sa Grammaire Françoise, définit autrement l’adjectif, & prend les choses d’une manière nouvelle & différente du commun des Grammairiens. Les noms, selon lui, sont substantifs, quand les objets qu’ils désignent, sont considérés simplement en eux-mêmes, & sans rapport à leurs qualités. Ils sont dits au contraire noms adjectifs, quand ils désignent la qualité d’un objet. Ainsi quand je dis simplement le cœur, ce mot cœur, est dit nom substantif, parce qu’on n’exprime aucune de ses qualités : mais si je dis, le cœur généreux, ou le cœur perfide, ces noms généreux, & perfide, sont dits adjectifs, parce qu’ils ajoutent une qualité à l’objet. Ainsi, selon cet Auteur, les adjectifs ne sont que des modificatifs ; & les Grammairiens auroient mieux fait connoître la nature de ces noms, s’ils les avoient considérés sous cette qualité. En effet, dit le P. Buffier dans ses principes, la nature du nom adjectif étant d’exprimer la qualité d’un objet si cette qualité est l’objet même dont on parle, alors ce sera un nom substantif. Si je dis, un principe vrai, ce mot vrai, est ici adjectif, mais si je dis, le vrai est toujours agréable, il est évident que vrai est ici le sujet dont je parle, autant que si je disois, la vérité est toujours agréable; & par conséquent vrai est, dans cet endroit, nom substantif. Souvent aussi, selon le P. Buffier, le nom qu’on nomme substantif, devient adjectif. Par exemple, on demande si le nom Roi est substantif ou adjectif. Il est l’un & l’autre, selon l’emploi qu’on en fait. Dans cette phrase : Le Roi est un modèle pour ses Sujets, le mot Roi est substantif. Dans cette autre phrase : Un Prince vainqueur & Roi, comme Alexandre, le mot Roi est adjectif, aussi-bien que le mot vainqueur. Au reste, dans ce nouveau plan de Grammaire, tous les noms, qui d’eux-mêmes sont adjectifs, ne sont pas censés tels dans l’usage commun de la Grammaire, qui dépend en ce point, comme en une infinité d’autres, d’un usage arbitraire ; car elle n’appelle ordinairement adjectifs que ceux qui sans changer, ou presque changer, se joignent indifféremment à des noms substantifs de divers genres. Ainsi, fidèle, grand, &c. sont adjectifs, & censés tels dans la Grammaire. Au contraire, les mots Roi, Vainqueur, Magistrat, &c. ne sont jamais censés adjectifs dans l’usage de la Grammaire, quoiqu’ils le soient en effet très-souvent. Souvent il se tourne en substantif, comme blanc, sage, vertueux. Nous avons trois adjectifs qui ont deux terminaisons pour le masculin : vieux & vieil, beau & bel, nouveau & nouvel.

Ce terme de Grammaire vient du Latin adjicio, ajouter, parce qu’on le joint au substantif, sans lequel il ne peut faire un sens fixe & positif. C’est pourquoi, à proprement parler, les adjectifs n’ont point de genre : ils ont seulement une propriété & une terminaison différente pour se joindre avec les divers genres. Il n’est pas aisé de décider en quel genre doit être mis l’adjectif, lorsqu’il est mis après deux substantifs qui sont de différent genre. Par exemple, faut-il dire, il avoit les pieds & la tête nue, ou nus ? Selon la Grammaire Latine, le dernier doit l’emporter, parce que le masculin prédomine toujours, lorsqu’il se rencontre avec le féminin. Cependant l’usage s’est déclaré pour le féminin, lorsqu’il touche immédiatement le substantif féminin : il a le nez & la vue courte. Mais lorsqu’ils sont séparés par un verbe, & qu’ils régissent un pluriel, il faut mettre l’adjectif au masculin, quoiqu’il soit plus proche du substantif féminin. Le mari & la femme sont importuns. Vaug. Corn.

Observez qu’en matière d’outrages, les adjectifs sont beaucoup plus offensans que les substantifs. Par exemple, c’est un fourbe, est plus injurieux que si l’on disoit, il a fait une fourberie. La raison est que l’adjectif marque une habitude ; & le substantif seulement un acte. Cependant il est bon de remarquer que souvent le substantif est plus fort, & plus significatif que l’adjectif, & presque toujours on y ajoutent même. Ce n’est point un fourbe, c’est la fourberie même. C’est la paresse même que cet homme-là ; pour dire, c’est un paresseux achevé, c’est la négligence même, c’est-à-dire, un homme très-négligent. Alors on personnifie en quelque sorte ces substantifs, & ils ont bien plus d’énergie que l’adjectif. Il en est de même en Grec & en Latin. Appeler un homme scelus, slagitium, perjurium, c’est plus que de l’appeler scelerate, slagitiose, perjure. La raison est qu’un fourbe, un scélérat, un paresseux, &c. peut changer & devenir homme de bonne foi, homme de bien, diligent, &c. mais la fourberie, le crime, la paresse, ne peut pas ne pas être fourberie, crime, paresse, il lui est essentiel d’être telle ; & de même dans le bien. M. de Balzac n’a osé décider la question, si l’adjectif doit suivre ou précéder le substantif. En effet, il n’y a point de règle fixe ; il faut s’attacher à l’usage, pour donner la préséance à l’un ou à l’autre : ☞ Il y a des adjectifs qui ne vont qu’après leurs substantifs. Habit rouge. Accent gascon. Air indolent. Beauté Romaine. Coutume abusive, &c.

☞ Il y en a d’autres qui précèdent toujours les substantifs qu’ils qualifient. Grand Général. Brave Soldat. Profond respect. Dernière misère, &c.

☞ D’autres enfin se placent également bien devant ou après leurs substantifs. C’est un savant homme, c’est un homme savant. Ami véritable, véritable ami. Regards tendres, tendres regards.

☞ Quelquefois même la position de l’adjectif avant ou après le substantif, change entièrement la valeur du substantif. Honnête homme, homme honnête, gentilhomme, homme gentil. Sage-femme, femme sage, Galant homme, homme galant. Homme plaisant, plaisant homme.

☞ Nous n’avons sur ce point de la position de l’adjectif, soit avant, soit après son substantif, d’autre règle que le seul bon usage, c’est-à-dire, le commerce des personnes qui font le bon usage. C’est une règle générale, & très-commune, que l’adjectif doit s’accorder avec le substantif en nombre, en genre, & en cas. On dit cependant des Lettres-Royaux. Voyez au mot Lettre. Quand certains noms sont suivis du génitif, on fait accorder l’adjectif pour le genre avec ce second nom qui est au génitif, & non pas avec le nom collectif. Une troupe de gens étourdis. Un grand nombre de soldats y furent tués.