Dictionnaire apologétique de la foi catholique/Louis XVI

Dictionnaire apologétique de la foi catholique

LOUIS XVI. — Louis-Auguste, ducdeBerry, qui devait porter dans l’histoire le nom de Louis XVI, naquit le 2 3 août I '354 : 11 était le troisième lils du Dauphin, lils de Louis XV, et de Marie-Josèphe de Saxe. Sa naissance, arrivée subitement à Versailles, n’avait pas été entourée de l’appareil solennel, ordinaire aux Enfants de France, et le courrier, charge d’en porter la nouvelle au Roi, s'était tué d’une chute de cheval. LesK imaginations ombrageuses » en avaient été frappées, et le bruit s'était répandu dans le peuple que « le nouveau prince ne naissait pas pour le bonheur ».

Sept ans après, le 22 mars 1761, par la mort de son frère aîné, le duc de Bourgogne, il devenait Thérilier du trône, et, le 20 décembre 1765, la mort de son père le faisait Dauphin de France.

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L’inslruction du jeune prince fut sérieuse et solide ; son père l’avait voulu et les instructions du l)cre furent lidèlerænt suivies. Le Dauphin possédait à fond la littérature latine, parlait plusieurs langues, savait d’une manière rare l’histoire et la géographie, au point de rédiger lui-ra’.Mne les instructions données à La Pérouse, lorsqu’il entreprit son voyage autfuir du monde. Sa science religieuse n’était pas moins profonde, son attachement au catholicisme inébranlable, sa piété sérieuse, sa purelé de mœurs rare dans un siècle comme ie xviii’et à une cour comme celle de Louis XV. Malheureusement, le caraclère n’était pas à la hauteur de la vertu. Nature molle et engourdie, volonté llottante et irrésolue, timide, renfermé en lui-mome, un peu sauvage, le Dauphin avait beaucoup de qualités sérieuses, mais peu de qualités aimables ou fortes. Il avait le goût de la justice, la passion du bien, l’ardent amour du peuple ; mais il n’avait ni la netteté d’esprit qui dicte les résolutions à prendre, ni la fermeté qui les impose. Il possédaitla plupart des vertus d’un saint ; il n’en possédait guère d’un roi. La charmante princesse qu’il épousa le 16 mai 1770, la fille de la grande Marie-Thérèse, Marie-Antoinelte, n’avait pu lui communiquer ni sa grâce ni son énergie. Tenu à l’écart jjar l’ombrageuse autorité de son grand-iJcre, délaissé par les courtisans, il avait pu voir les abus et former le projet de les corriger ; mais il manquait de l’expérience de la vie, qui lui eût fait discerner le remède, et de la fermeté qui lui eût permis de l’appliquer. Et lorsque, le 10 mai 1774, la mort de Louis XV, emporté par la petite vérole, eut fait de lui, à vingt ans, un roi de France, il ne put s’empêcher de s’écrier, en tombant à genoux avec sa femme : « Mon Dieu I gardez-nous, protégez-nous I Nous régnons trop jeunes I »

C’était le cri du coeur et le cri de la raison. L’avenir était sombre, et les dilTicultés étaient grandes. Néanmoins un enthousiasme indescriptible accueillit l’avènement du jeune souverain. On gravait sur le socle de la statue de Henri IV : Resurrexil ! « Tout est en extase, tout est fou de vous, écrivait Marie-Thérèse à sa lille, vous faites revivre une nation qui était aux abois. « De premières satisfactions étaient données à l’opinion puljlique : Mme du Barry était exilée à Pont-aux-Dames et l’on prévoyait le renvoi prochain des ministres du feu roi, qui étaient honnis du pays. Mais qui les remplacerait ? Louis XVI hésitait ; l’influence de sa tante, Mme Adélaïde, lui lit prendre Maurepas et la décision ne fut pas heureuse. Pour guider un jeune prince timide et sans expérience, il eût fallu un autre mentor que ce vieillard insouciant et frivole.

Les autres choix furent meilleurs. Vergennes eut les affaires étrangères ; un vieil ami du dauphin, le comte du Muy, la guerre ; Malesherbcs, la Maison du roi ; Turgot, la marine et bientôt les finances. C’était ce dernier nom qui symbolisait l’esprit du nouveau régime. Intendant du Limousin, Turgot avait acquis, dans cette charge, une réputation d’honnête homme et d’administrateur modèle ; il semblait indiqué pour réaliser les réformes que rêvait le jeune roi.

Malheureusement il manquait d’habileté et de souplesse ; c’était ce qu’on nomme aujourd’hui un intransigeant. Il allait droit au but sans s’inquiéter des obstacles et des réclamations, et ses réformes, même les plus légitimes, soulevaient une opposition formidable des habitudes qu’elles dérangeaient et surtout des intérêts qu’elles lésaient : l’édit sur la liberté de circulation des grains provoquait une véritable révolte ; l’abolition des corvées, si souhaitée pourtant, la suppression des jurandes, moins heureuse — car là il eûtmieuxTalu améliorer que détruire

— rencontraient une vive résistance dans le Parlement, rétabli par le jeune roi à son avènement et qui se montra l’adversaire acharné de tout changement. L’hostilité devint telle que Louis XVI dut se séparer de son ministre ; il ne le lit pas sans un profond serrement de cœur : « Il n’y avait que M.’î'urgot et moi ipii aimions le peuple », répétait-il tristement.

Le I 1 mai 17^5, il s’était fait sacrer à Reims. C’était la vieille tradition monarchique, et la cérémonie avait été splendide. Lorsque, au sortir de la cathédrale, le Koi et la Reine s’étaient promenés dans la galerie qui séparait l’église de l’archevêché, les gardes avaient voulu écarter la foule ; le Roi s’y était opposé ; il s’était laissé approcher par tous, avait serré toutes les mains qui se tendaient vers lui, et des larmes de joie et d’amour avaient coulé de tous les yeux, de ceux du monarque et de ceux des sujets.

Mais cet amour ne supprimait pas les didicultcs et la chute de Turgot les aggravait encore. Les linances surtout étaient en mauvais état ; après un inté rim de quelques mois, elles furent conliées à un étranger protestant qui, à ce double titre, ne pouvait avoir le titre de contrôleur général, mais seulement de directeur général. Riche banquier, jouissant dans toute l’Europe d’un crédit bien établi, Necker réussit à remettre l’ordre dans les finances et à remplir le trésor, grâce à des emprunts fructueux.il réalisait en même temps une innovation heureuse, en créant, comme spécimen, des assemblées provinciales dans deux provinces, le Berry et la Haute-Guyenne. C’était un excellent essai de décentralisation, une tentative féconde pour apprendre aux provinces à s’administrer elles-mêmes. Si ces essais avaient été poursuivis et multipliés, qui sait si l’on n’eût j>as pu éviter la réunion des Etats Généraux et faire ainsi l’économie d’une révolution ?

Sous la direction de Vergennes, la politique extérieure était sage, prudente, et la France avait repris une haute situation dans le monde. Dans l’afl’aire de la succession de Bavière, malgré les instances de Marie-Thérèse et de Joseph II, qui harcelaient la Reine, elle était restée neutre et sa médiation avait amené la paix de Teschen. Hors d’Europe, c’était mieux encore. En 1776, le Congrès de Philadelphie proclama l’indépendance des colonies anglaises d’Amérique, et ses délégués, Franklin en tête, vinrent solliciter l’appui de la France. C’était une belle occasion de déchirer l’humiliant traité de Versailles et de rendre à l’ennemi héréditaire un peu du mal qu’il nous avait fait. Vergennes, par pudeur, attendit quelque temps ; mais il laissa la jeune noblesse française, La Fayette en tête, s’enrôler sous le drapeau américain ; le 6 février 1778, un traité était signé avec les insurgents. Et, tandis que Rochambeau allait avec Washington forcer Lord Cornwallis à capituler dans Yorktown, le pavillon français reparaissait glorieux sur les mers, d’où, depuis vingt ans, il était presque exilé : d’Orvillien, d’Estaing, Bouille, La Motte Picquet, Sulfren surtout, portaient haut la réputation de la marine française, reconstituée par Sartines et Castries. Et la paix de 1788 venait enlin consacrer l’indépendance des Etats-Unis et le relèvement de la France.

A l’intérieur, de graves événements s’étaient passés. La Reine, dont les espérances de maternité avaient été si longtemps retardées, avait eu enfin, le 18 décembre 1778, après des couches dramatiques, une lille, et, le 22 octobre 1781, un garçon. Cette naissance d’un garçon, si désiré, avait comblé de joie le cœur de Louis XVi et de Marie- Antoinette, et, on peut le dire, le oœur de Ja France entière, où le 31

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senliment monarchique était si profondément ancré. A Paris, c’était un délire : « Je ne connais pas en vérité, écrivait une dame de la Cour, de nation plus aiuial)le que la nôtre. » Le trône semblait consolidé et la dynastie assurée d’un long avenir.

A cette date, Necker était ministre. Grisé par ses succès, infatué de ses mérites, et désireux d’initier le public aux secrets de sa gestion.il avait publié en janvier 1781 un Compte rendu au Roi, pour exposer la situation linancièi’e, et demandé, comme récompense, son entrée au Conseil. Le Roi, qui, au fond, n’aimait pas Necker, avait refusé, à l’instigation de Maurepas, jaloux de son collègue, et Necker, froissé, donnait sa démission le 19 mars. Quelques mois après, le 21 novembre, Maurepas mourait. Les Unances, très obérées par la guerre d’Amérique, restaient la grosse préoccupation. Un moment, Joly de Fleury, puis d’Ormesson en furent chargés : celui-ci, que son grand renom d’intégrité avait désigné à la conliance de Louis XVI, voulut en vain s’excuser. Le Roi lui imposa le poste ; mais quelques mois après, il dut le résigner. Galonné lui succéda, avec une réputation d’habileté, mais aussi de frivolité et de prodigalité. Au bout de trois ans, n’ayant plus de ressources, et ne sachant comment remplir le trésor de plus en plus vide, rêvant de remplacer une partie de l’impôt indirect par un impôt territorial, auquel seraient soumis les trois ordres, mais n’osant le décréter d’office, il proposa au Roi une assemblée des Notables, par laquelle il ferait ratilier ses projets. Le Roi, qui n’aimait rien tant que se rapprocher de ses sujets, accepta l’idée avec enthousiasme. Lesnotables furentconvoquéspourle 21 février 1787, et la veille Louis XVI écrivait à Calonne : « Je n’ai pas dormi celle nuit, mais c’était de plaisir. »

Malheureusement, quelques jours avant laréunion des Notables, Vergennes, dont la grande expérience et la froide raison eussent eu de l’autorité sur l’assemblée, mourut. Calonne, livré à lui-même, décrié, attaqué par Necker, mal vu des privilégiés dont il lésait les intérêts, peu soutenu par le Roi qui n’aimait pas la lutte, dut se retirer au bout de peu de temps. L’archevêque de Toulouse, Loménie de Brienne, lui succéda. Malgré la légèreté de ses mœurs et son scepticisme religieux, il jouissait dans le monde politique d’une grande réputation. On avait une haute opinion de ses mérites. L’opinion était surfaite. Ses projets mal digérés soulevèrent une opposition formidable. Brienne voulut lutter, imposer au Parlement l’enregistrement de ses édits. Le Parlement refusa, réclama des éclaircissements sur lasituation financière. « Vousdemandez des états de recettes et de dépenses, s’écria un conseiller, l’abbé Saliaticr ; ce sont des Etats Généraux qu’il vous faut ! »

La redoutable question était posée : elle l’était dans un jeu de mots ; mais il était désormais impossible de s’y soustraire. Brienne tomba à son tour ; Necker fut rappelé. L’enthousiasme fut énorme : on crut tout sauvé. Mais les difficultés restaient les mêmes, aggravées par toutes ces agitations. Le Roi, si populaire naguère, si acclamé pendant son récentvoyage en Normandie, avait perdu son prestige. La Reine, malgré lapartqu’elle avait prise au rappel de Necker, portait toujours le poids des calomnies et des haines de la Cour, ravivées par le malheureux procès du Collier. La province s’agitait, des soulèvements éclataient en Bretagne et dans le Daupliiné. Necker, financier habile, n’était qu’un médiocre politique. On ne pouvait échapper aux Etats Généraux ; mais on eût peut-être pu les diriger. Au lieu d’arrêter un plan, d’avoir un programme net pour la tenue des Etats, le ministre soumit au public les questions

qu’il aurait du résoudre lui-même sur leur constitution, surle nombre des députés, surlemodedê votation. Des Ilots de brochures virent le jour, remuant tous les problèmes, agitant les esprits, montant les têtes, émettant les idées les plus étranges, conmie si la France était une terre neuve, oùl’on n’avaità compter ni avec les traditions ni avec les mœurs, où il fallait tout détruire et tout reconstruire. Un Conseil du 27 décembre i’j88 décida la double représentation du Tiers, et quand il eût été sage de fixer le siège de l’Assemblée à quelque distance de Paris, où l’elTervescence était à redouter, à Tours ou à Orléans par exemple, Necker, pour une raison d’économie imprudente et mesquine, le fit placer à Versailles.

C’est là qu’ils se réunirent en elTet le."> mai 1789. La veille, une grande procession avait parcouru la ville. Le silence glacial qui avait accueilli la Reine, les applaudissements qui avaient salué le duc d’Orléans, ennemi affiché de la Cour, ne révélaient que trop l’esprit qui animait la population. Aussitôt les difficultés commencèrent. Necker avait laissé indécise la question du vote par ordre ou par tête et celle de la vérification des pouvoirs. Des négociations s’engagèrent entre les trois ordres ; mais au bout d’un mois, le 17 juin, le Tiers, impatient de ces lenteurs, se proclama seul Assemblée nationale, A la suite de cette « scission désastreuse » — le mot est de Malouet — le Roi, ayant fait annoncer une séance royale pour le 22 et fermer en conséquence la salle des Menus, où se tenaient des séances, le Tiers se réunit dans la salle du Jeu de paume, et là, irrité contre la Cour, exaspéré par les bruits de coup d’état qu’on répandait, lit serment de ne pas se séparer, avant d’avoir donné, avec ou sans le Itoi, une Constitution à la France. Prétention audacieuse, que n’autorisaient ni les mandats des députés ni les principes constitutifs des Etats Généraux, et que ne lardaient pas à regretter ceux mêmes qui, comme Mounier, en avaient été les initiateurs.

Le Ilot était déchaîné. Le Roi, dans son discours du 28 juin, eut beau annoncer la plupart des réformes réclamées par les Cahiers ; on tint moins compte de ce qu’il accordait que du silence qu’il gardait sur certains points. Les prétentions avaient grandi et s’étaient exaspérées de toutes les fluctuations du prince et de son ministre, de toutes les faiblesses qu’on sentait sous le ton, ferme en apparence, et même en quelques endroits cassant, de son discours.

Dès lors, les événements se précipitent. Le 1 1 juillet, Necker était invité à donner sa démission, et un ministère était constitué, sous la présidence du baron de Breteuil. La nouvelle, répandue à Paris, y produisait une émotion extraordinaire. La foule s’assemblait au Palais Royal, brûlait les barrières, pillait le couvent des Lazaristes. Le 14, après avoir enlevé les armes des Invalides, elle s’emparait de la Bastille, qui n’était pas défendue, massacrait le gouverneur, de Launay, et le prévôt des marchands, Flesselles. « C’est donc une révolte ? » demandait Louis XVI au duc de Liancourt, qui lui annonçait les événements. — « Non, Sire, c’est une révolution », répondait le duc.

Le 17, le prince se rendait à Paris pour calmer l’elTervescence ; il y était reçu en vaincu plutôt qu’en roi. Necker était rappelé, mais ne ramenait ni la paix ni la confiance. L’agitation delà capitale gagnait les provinces ; des bruits sinistres, propagés on ne sait par qui, mais avec toutes les apparences d’un mot d’ordre, y répandaient la terreur et l’effervescence ; on pillait les châteaux ; on massacrait les châtelains soupçonnés être hostiles à la Révolution ; on parlait d’envahir Versailles. Le gouvernement, 33

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inquiet, y appela le régiment de Flandres. Un banquet, offert aux officiers de ce régiment par les gardes du corps, servit de prétexte à une nouvelle insurrection : on prétendit que, à ce banquet, la cocarde tricolore, adoptée après la prise de la Bastille, avait été insultée. Le 5 octobre, une liorde de femmes et d’hommes déguisés enfemmes, conduite parl’liuissier Maillard, se porta sur Versailles. Il eût été facile de l’arrêter ; on n’y songea même pas : ministres et prince paraissaient frappés d’aveuglement. Le soir, la garde nationale parisienne arrive à son tour ; La Fayette, qui la commandait, rassura la famille royale, mais ne prit aucune mesure sérieuse de protection.

Le 6 au matin, des bandes pénétraient dans le Cliàteau, envahissaient les appartements de la Reine, qui n’eut que le temps de fuir par un escalier dérobé, égorgeaient les gardes qui essayaient de la défendre, et, le soir, la famille royale devait rentrer à Paris, dans un triste cortège que précédaient les vainqueurs de la journée, portant au bout d’une pique les têtes des gardes ducorps assassinés. Quelques jours après, l’Assemblée nationale venait, à son tour, s’installer dans la capitale. Le Roi était prisonnier ; l’Assemblée ne l'était pas moins : dès lors, elle était condamnée à délibérer sous les yeux, et sous la pression, de la canaille, qui remplissait les tribunes et menaçait de la lanterne les députés suspects.

Il y evit cependant encore quelques jours de répit. L’Assemblée avait décidé que, le 14 juillet 1790, on célébrerait au Champ de Mars, en souvenir de la prise de la lîaslille, une grande fête, où les gardes nationales de tout le royaume formeraient comme une immense fédération. Les fédérés de province, encore imbus des vieilles traditions monarchiques, saluèrent d’acclamations enthousiastes la famille royale, et, un an plus tard, un des chefs du parti révolutionnaire, Barnave, avouait que si, ce jour-là, le Roi avait su proliter de la bonne volonté des gardes nationaux de province, il eût pu reconquérir son pouvoir. Mais le Roi ne sut pas : d’autant plus incapable de résolutions viriles que ses ennemis devenaient plus entreprenants, il n’avait que ce courage passif qui ne craint pas le danger, mais ne sait prendre aucune initiative pour s’en défendre. La Reine, plus ardente et plus intréjiide, s’efforçait en vain de communiquer à son mari quelque chose de la ûère énergie qui l’animait. Mirabeau, qui, après avoir détruit, s’efforçait de reconstruire et avait offert son concours, se décourageait lui-même devant les tluctuations du prince.

L’Assemblée continuait à discuter la Constitution, empiétant chaque jour un peu plus sur les prérogatives royales, enlevant au monarque ses droits les plus essentiels. Elle ne se bornait pas à faire des réformes politiques ; elle prétendait aussi faire des réformes religieuses. Après avoir déclaré que les biens de l’Eglise étaient à la disposition de la nation — formule polie de confiscation — elle avait bouleversé toutes les règles de la discipline ecclésiastique, usurpé sur les droits du Saint-Siège, supprimé des évêchés, créé de nouveaux sièges, rompu les liens entre l’Eglise gallicane et Rome. Profondément chrétien, ému de ces empiétements du pouvoir laïque, le Roi en référa secrètement au Pape, et, le 10 juillet 1790, Pie VI lui répondit en l’engageant à consulter les deux membres ecclésiastiques de son ministère, les archevêques de Vienne et de Bordeaux. Mais l’Assemblée s’impatientait ; elledevenait menaçante ; les deux prélats, effrayés, engagèrent le Roi à céder, et le 24 août 1790 il donna sa sanction à la nouvelle loi religieuse. Quelques jours après, le 22 septembre, le Pape lui écrivait sa douleur de cette

Tome III ;

faiblesse, et le 13 avril 1791 il condamnait la Constitution schismatique, ajoutant ainsi aux tourments du prince un tourment nou eau, le remords.

Mais si Louis XVI avait sanctionné la Constitution civile, il n’entendait pas s’y soumettre lui-même : tous les prêtres de sa chapelle étaient pris parmi ceux qui avaient refusé le serment exigé par r.ssemblée. Quand l'àques 1791 approcha, désireux d'éviter un contlil, il résolut d’aller passer les fêtes hors Paris, à Saint-Cloud. Mais quand il voulut partir, la garde nationale s’y opposa, et, le 24 avril, le Roi et la Reine durent assister aux offices de la paroisse des Tuileries, Saiut-Germain-l’Auxerrois, célébrés par le curé schismatique.

C’en était trop. Le souverain avait pu accepter les sacrilices demandes à son autorité ; le chrétien regimba contre la violence faite à sa conscience et décida d’aller, non pas à l'étranger, mais sur la frontière, à INlontmédy, chercher, sous la protection de son armée, une liberté qu’il n’avait plus dans la capitale. Le plan, longuement et minutieusement combiné entre le général de Bouille etun chevaleresque Suédois, dévoué à la famille royale, le comte de Fersen, échoua par suitede contretemps fâcheux. Arrêtés à Varennes, les fugitifs furent ramenés à Paris et gardés à vue, dans le château des Tuileries, transformé en prison. Us ne recouvrèrent leur liberté que lorsque la Constitution fut achevée. Le 13 septembre, le Roi l’accepta, et le 30, l’Assemblée Constituante se sépara, cédant la place à l’Assemblée Législative, médiocre et violente, qui reprit et poussa vivement la lutte contre la Royauté.

Au dehors, l'émigration était en armes ; commencée le 16 juillet 1789, après la prise de la Bastille, augmentée de tous ceux que lésait le nouvel état de choses, de tous ceux qui étaient menacés dans leurs biens ou dans leur vie, devenue presque irrésistible après l'échec de Varennes, elle s'était constituée en parti, sousla direction politique des comtes de Provence et d’Artois, sousla directionmilitairc du prince de Condé. Elle irritait plus qu’elle n’effrayait ; elle servait surtout, par ses armenents et sesnégociations avec les puissances européennes, de prétexte à de nouveaux empiétements contre l’autorité royale et à des soulèvements populaires contre le souverain qu’on accusait de connivence avec elle et surtout avec l'étranger. Le Roi suppliait ses frères et leurs amis de rentrer en France ; ils refusaient. Le 20 avril 1792, sous la pression de l’Assemblée, il déclara la guerre à l’Autriche ; mal préparée, avec une armée décapitée de ses principaux chefs, la guerre débuta par des échecs ; Paris, un moment effrayé, s’agita et se souleva ; la presse révolutionnaire attaqua avec une violence inouïe la famille royale qu’elle rendait responsable de ces échecs.

L’Assemblée porta un décret qui condamnait à la déportation les prêtres insermentés, un autre qui formait sous les murs de Paris un camp de vingt mille hommes, véritable armée révolutionnaire à sa disposition. Louis XVI ayant refusé de sanctionner ces décrets, le 20 juin les Tuileries furent envahies ; le Roi et la Reine insultés et menacés ; le Dauphin coiffé d’un bonnet rouge. Devant le calme du Roi et la noble fermeté de la Reine, l’insurrection se retira, mais ce fut pour revenir six semaines plus tard : le 10 août, tout était emporté ; le Château incendié ; les Suisses, qui le défendaient, massacrés. Le Roi, retiré avec sa famille dans l’enceinte de l’Assemblée, entendait proclamer sa déchéance, et, le 13, il était enfermé au Temple.

Triste prison que celle-là, et qui ne pouvait être que le vestibule de l'échafaud, mais où Louis XVI fut plus roi qu'à Versailles et aux Tuileries. Aux 35

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tortures de chaque jour, aux insultes des geôliers il n’opposa que la plus admirable sérénité et la plus chrétienne résignation. Il souffrait plus que tout autre de cette réclusion, lui qui avait tant besoin d’air et de mouvement ; il souffrait de voir souffrir sa famille ; il souffrit plus encore, quand on le sépara de sa femme et de ses enfants. Il lisait beaucoup, donnait des leçons à son lils et jouait au trictrac avec Mme Elisabeth. Il priait beaucoup aussi et se montrait strict observateur des lois de l’Eglise. Les municipaux, qui le gardaient, étaient émerveillés de sa patience, de sa bonté, de son instruction solide et étendue. Les injures des journaux, que quelques-uns se faisaient un plaisir malsain de lui montrer, le laissaient froid : « Les Français, disait-il, sont malheureux de se laisser tromper ainsi. »

Le 3 décembre 1792, la Convention, qui avait succédé à la Législative, décida que Louis XVI serait jugé et qu’il serait jugé par elle. Le 1 1. le maire de Paris, Chambon, vint donner lecture au prisonnier d’un décret portant que Louis Gapet serait jugé par la Convention nationale, « Capet n’est pas mon nom, dit le Roi, c’est celui d’un de mes ancêtres ». Il consentit cependant à se rendre à l’Assemblée et là discuta avec un rare sang-froid les griefs qui lui étaient imputés. Il choisit comme conseils Tronchet et Malesherbes, qui s’adjoignirent un jeune avocat de talent, de Sèze. En même temps, n’ayant aucune illusion sur le sort qui lui était réservé, il lit prévenir un prêtre dont sa sœur lui avait donné le nom, l’abbé Edgeworth de Firmonl. Le 25, jour de Noël, il lit son testament, cet admirable monument, a-t-on dit justement, « d’un cœur d’honnête liommeetde héros chrétien ». Le 26, il comparut devant la Convention ; de Sèze prononça un admirable discours, dont le Roi avait supprimé la péroraison. « J’espère peu les persuader, avait-il dit ; mais je ne veux pas les attendrir. » Le 16 janvier seulement, l’Assemblée prononça son arrêt ; l’appel nominal dura jusqu’au 17 au malin. Trois cent soixante-six députés, les uns par haine, les autres par peur, sous les menaces et les vociférations des tribunes, votèrent la mort. Quand Malesherbes vint l’annoncer au Roi : » Depuis" deux heures, dit-il, je cherche si j’ai donné volontairement à mes sujets quelque juste motif de plainte. Je vous le jure en toute sincérité, je ne mérite de la part des Français aucun reproche ; je n’ai jamais voulu que leur bonheur. » Le 20 janvier, à 3 heures du soir, la Convention rejeta toute demande de sursis, et le même jour, le ministre de la justice. Garât, vint le signifier au condamné.

Le soir, le Roi put voir sa famille ; ce fut une douceur, mais plus encore un supplice. Les princesses et les enfants éclataient en sanglots ; le Roi, cruellement atteint, mais se résignant et se raidissant, recommanda à son lils de ne jamais venger sa mortî puis, s’arrachant à cette déchirante entrevue, il se retira dans son cabinet avec l’abbé de Firmont. Il se jeta sur son lit et dormit paisiblement. Le 21, à cinq heures, son ûdèle domestique Cléry, l’éveilla. Il s’entretint encore avec son confesseur, entendit la messe et communia.

A 9 heures, Santerre parut : « Vous venez me chercher ! dit le Roi ; attendez. » Il rentra un instant dans la tourelle, demanda une dernière bénédiction au prêtre, puis revenant aux municipaux : c Partons », dit-il. Pendant le trajet du Temple à la place de la Révolution, il ne cessa de prier. Quand il fut arrivé à l’échafaud, il descendit tranquillement, enleva ses vêtements, voulut s’opposer à ce qu’on lui liât les mains, mais, sur une observation de l’abbé, se résigna à ce dernier outrage ; puis, s’avançant au bord de l’échafaud : Je meurs innocent, s’écria-t-il d’une

voix forte ; je pardonne aux auteurs de ma mort et je prie Dieu que mon sang ne retombe pas sur la France. » Santerre se précipita, donnant aux tambours l’ordre de battre pour étouffer cette voix importune. Les bourreaux s’emparèrent du condamné le poussèrent sous la guillotine, dont le couteau retomba. Le lils de saint Louis était monté au ciel ; il était dix heures vingt-deux minutes du matin.

Indications bibliographiques. — Louis A’VJ, par le Comte de Falloux ; Louis XVI, étude historique, par Marins Sepet ;.Ju couchant de la.Uonarc/ne, par le Marquis de Ségur ; les Correspondances de Marie-Antoinette, Marie-Thérèse, Joseph II et Léopold 11, publiées par M. le chevalier d’Arneth et MM. Geffroy et Flammermont ; le recueil du regretté Marquis de Beaucourt, sur la Captivité et les derniers moments de Louis AVI, les innombrables Mémoires sur le XVIII’siècle et la Nétolution, publiés dans les collections Barrière, Lescure, etc. On nous permettra d’y joindre l’Histoire de Marie- Antoinette, par Max de la Rocheterie et les belles études de M. P. de Nolhac sur Marie Antoinette, dauphine et reine.

Max de la Rocheterib.