Dictionnaire apologétique de la foi catholique/Lieux saints (Authenticité des)

Dictionnaire apologétique de la foi catholique
Texte établi par Adhémar d’AlèsG. Beauchesne (Tome 2 – de « Fin justifie les moyens » à « Loi divine »p. 937-946).

LIEUX SAINTS (AUTHENTICITÉ DES). — 1. Portée apologétique delà question. — II. Inventaire et critique des sources. — III. Le Calvaire et le Saint.Sépulcre. — IV. Le Cénacle. — V. Le Prétoire et la Voie Douloureuse. — VI. Bethléem,

— Vn. Xazareth. — VIll. Conclusion*.

I. Portée apologétique de la question. — Au pèlerin qui visite le pays où écut Jésus, on montre aujourd’hui le site précis d’un bon nombre des événements de la vie du Sauveur. L’authenticité de ces /.leujr 5ain ; lfs cour.nnts : pour les Reiæs, « B = Rrvuc Biblique : PEF= Palestine Exploration Fund, Quarterly Statement ; ZDPV = Zeitschrift des deutschen Palæstina-Vereim. 1863

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adresser les actes de culte ou de respect. Rattacher les souvenirs à des lieux précis n’est à ses yeux qu’un moyen^’aviver la pitié ; moyen d’autant plus efficace que le site sera plus certainement aulbentique et mieux conservé ; mais, quant à juger historiquement cette authenticité, l’Eglise sait que c’est là chose humaine, dont peut se désintéresser son magistère divin. Elle accepte les conclusions raisonnables des sciences, mais sans prétendre en définir ou en sanctionner la valeur, et sans rougir d’abandonner, quand il le faut, des positions nettement démontrées intenables. Ainsi comprise, selon le vrai sens de l’Eglise, la vénération d’un lieu saint, même inauthentique, n’implique pas plus d’idolâtrie que celle d’une image du Sauvem’, évidemment dilïérente de l’original. L’Encyclique Pascendi l’a excellemment montré en parlant des apparitions et des reliques :

«.Ypparitionis cujusvis religio, prout factum ipsum

spectat et relativa dicitur, conditionem semper habet implicitam de verilale facli ; prout vero absoluta est, semper in veritale nititur ; ferlur enim in personas ipsas Sanctorum qui honorantur. Similiter de Reliquiis dicendum. d Que si les âmes trop simples l’entendent autrement, et semblent vénérer matériellement les pierres elles-mêmes, la faute en est, non à l’Eglise, mais à leur manque d’instruction.

La principale cause de confusion et de scandale dans la question présente est l’abus ou l’emploi équivoque du mot tradition. Il ne faut pas oublier que la tradition, en matière religieuse, est de deux sortes : dogmatique ou historique. La première, appelée souvent par antonomase la Tradition, est garantie par l’assistance divine et le magistère de l’Eglise, la seconde ne l’est pas ; mais la similitude du nom lui fait parfois attribuer par inattention une autorité qui n’appartient qu’à la Tradition dogmatique. L’Eglise, elle, maintient la distinction : « Quum autem de piis tradilionilms judicium fuerit, illud meminisse oportet : Ecclesiani tanta in hac re uli pi’udentia, ut tradiliones bujusraodi ne scripto narrari permiltat nisi cautione multa adbibita præmissaque declaralione ab Urbano Vlll sancita ; quod etsi rite liât, non tamen facti veritalem adserit, sed, nisi humana ad credendum argumenta dcsint, credi modo non prohibet. » (Encrrl. Pascendi.) Quand donc, en considération d’une tradition historique respectable, elle permet la vénération d’une relique, concède une fête commémorative, jittachc des Indulgences à la visite d’un lieu saint, elle ne réclame, en faveur du fait qui fonde sa concession, qu’un acte de foi purement humaine, proportionné à la valeur des arguments fournis : « Pie credenda, lide tantum humana, juxta piam, uti perhibent, Iraditionem etiam idoneis testimoniis ac nionumentis conlirraatam. » (Décréta aiithentica S. C. Jiitiium, lll, 3336 ; cf. ib. 3419 ; et J.-V. Bainvbl, De Magisteriu vivo et Traditione, ujoS, n° 107, ])p. I14-i 15 ; n" 121, p. 129).

Au sujet des Lieux Saints, il ne peut être question de tradition dogmatique ; même à supposer démontrée en bloc leur inauthenticité, ni le dogme ni l’autorité doctrinale de l’Eglise ne seraient compromis. Du point de vue apologétique, la question se réduit donc à savoir si l’Eglise a agi sagement en encourageant par des faveurs spirituelles la vénération des sites en (luestiou. Nous sommes en présence, non de la Tradition, comme on le dit parfois, mais de traditions humaines, à examiner selon les règles de la critique historique. On verra du reste que de cet examen la sagesse de l’Eglise ne sort nullement diminuée.

II. Inventaire et critique des sources. (Cf. : P. II. Vincent : Jérusalem, t. 1, fasc. i, introd..

pp. 1-37.) — Avant de discuter en détail les traditions relatives aux principaux Lieux Saints, nous dresserons une sorte d’inventaire sommaire des sources, en donnant quelques principes généraux sur leur valeur relative et leur utilisation.

1° Les Livres Saints.

2* Les Apocryphes, qui ne doivent être cités ici que pour mémoire. Le peu d’historicité des faits qu’ils racontent serait presque suffisamment prouvé par l’absence totale de localisations : tout se passe en pays de fantaisie, non en terrain réel. La contribution est donc ici pratiquement nulle.

3° Les écrivains, spéaialement Eusède, saint

JÉRÙME et JOSÉPHB.

4° Les pèlerins, itinéraires, descriptions et récits.

5° Les traditions juives et populaires.

C° Les monuments et les fouilles. ^ Outre les édilices et les ruines situés sur l’emplacement même des Lieux Saints, il faut citer encore les monuments ligiiratifs, tels que les ampoules du Trésor de Monza, la mosaïque de Sainte-Pudenlienne à Rome, et surtout la grande mosaïque géographique de Madaba.

Ces sources une fois énumérées, quels principes généraux de critique peuvent guider dans leur utilisation ?


Deux grandes catégories se distinguent au premier coup d’oeil : les sources monumentales et les sources écrites. Deux méthodes défectueuses consisteraient à se servir exclusivement soit des unes soit des autres.

Les monuments ont une valeur de tout premier ordre, celle de témoins souvent très anciens, parfois contemporains des faits. Le malheur est qu’ils ne portent d’ordinaire ni leur désignation ni leur date ; et l’exiguïté des fragments retrouvés, le remploi des matériaux, la persistance de certains procédés de technique architecturale, feront parfois hésiter les meilleurs juges, comme c’est le cas pour l’enceinte du Temple de Jérusalem, entre des extrêmes aussi distants que Salomon et Justinien ! L’antériorité de telle ou telle construction par rapport à l’époque de I.-C. sera donc un problème toujours délicat, souvent insoluble par la seule arcliéologie. Il faudra d’ordinaire interpréter les monuments d’après les sources écrites, mais sans oublier qu’il y a des cas d’évidence où les résultats d’une fouille priment toutes les théories et tontes les relations de témoins non oculaires.

Nous avons mentionné parmi les monuments figuratifs la carte mosaïiiue découverte en 1897 àMadaba en Transjordane. Datant probablement de la première moitié du vi’siècle, elle représente, outre une partie de la Basse Egypte, la Palestine méridionale avec Jérusalem. Les noms de lieux sont indiqués, avec de brèves notices historiques ou des textes d’Ecriture ; les édifices eux-mêmes sont figurés avec un souci d’exactitude qui a en bien des cas éclairé l’histoire des sanctuaires chrétiens.

Quant aux sources écrites, la première est l’Ecriture. Abstraction faite de l’inspiration et de l’inerrance, et supposant seulement dcmonlrée l’historicité des Evangiles, c’est à eux qu’il faudra avant tout recourir ; et leur témoignage, malheureusement fort rare, devra avoir, au regard même de la critique, une valeur souveraine et éliminatoire.

Parmi les écrivains, le plus ancien est Josf : pnB : la Guerre Juive parut entre 7.1 et 79, les Antiquilis Juives en gj. Josèphe ne parle directement de Jésus qu’une fois (A. J., XVIU, iii, 3’) ; mais les nombreuses indications topographiques fournies par ses deux

1. La capitulation de Josi’phe est donnée d’après l’édition de (j. Dindorf, Parts 1865.

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ouvrages sont indirectement une aide i)i’ccieiise pour la question des Lieux Saints. Wallieureusemeiit la valeur des renseignements qu il fournit est très inégale, et à vouloir le suivre trop exclusivement, on se heurte à des impossibilités et à des invraisemblances. Exact, semble-t-il, quand il utilise des documents, il contredit parfois entièrement ces premières données quand il veut ajouter de mémoire des descriptions et des mesures, (Cf. P. Aucler, Le Temple de Jérusalem au temps Je J. C, H. [ !., 18g8, pp.19 ; -200.)

Xous n’avons pas à apprécier la valeur historique et critique d’ErsKDiî et de saint Jkhômiî. Ce qu’Euscbe nous fournit de plus précieux, c’est le récit complet de la découverte des Lieux Saints sous Constantin, l’événement sans contredit le plus important de toute l’histoire qui nous occupe.

Estimer à sa juste valeur le témoignng-e des pèlerins est chose beaucoup plus dillicile. Le seul princi [)ç évident est que, d’une manière générale, cette valeur croit en raison directe de leur anti(iuilé. Or une quinzaine des Itinéraires connus sont antérieurs aux Croisades, et le plus ancien, celui du PKLi ; ni. ne lîouDK.xux, remonte à 333. Mais il faudrait parfois tenir compte aussi d’autres données, qui souvent nous échappent. Un voyasjeur ne raconte pas toujours et uniquement ce qu’il a vu : il rapporte parfois sans examen les indications de ses j^^uides. C’est ainsi, nous le savons positivement, ([ue les traditions locales, les traditions juives spécialement, ont inllué sur certains pèlerins. Jacquhs dk Viîroxf, en 1335, écrit : a Si aliquis peregrinus vellet inquirere civitates et castra antiqua in Terra sancla, nonpossetinvenire iinum lnisi|per aliquem bonum ductorem cognoscenteni terras, velperaliquemJvideunihabilantem in iilis partibus, cum Judei sciant optime omnia loca antiqua demonstracione… Et ideo quum volui inquirere loca ultramarina, fréquenter et sepissime interrojjavi a.Judeis ibidem habitantibus, et bonum ductorem habui. » (Re^’ue de l’Orient Latin, 1895, p. 224.) Et ces racontars de eiceroni embarrassent souvent de détails fabuleux ou puérils un récit, où il devient dès lors diflicile de discerner l’information personnelle et le témoignage oculaire.

Parfois aussi les pèlerins copient leurs devanciers. Ainsi, deux d’entre eux, Bkunard de Brrydenbacu (1486) etMARiNo Saxuto (1321), semblentà première lecture avoir une vraie valeur objective et critique ; à y regarder de plus près, tous les passages les plus typiques, sur Nazareth, les sanctuaires-grottes, le Saint-Sépulcre, le Calvaire, Gethsémani, sont transcrits, souvent mot à mot, du récit de leir prédécesseur Bi-rohard du Mont Siox (i 283). Ce n’est pas à dire que les pèlerins manquent totalement de sens historique et critique (cf. des exemples dans : Ant. Bai : mstark, Abendlændische Palæslinapilger des ersten Jahrtausends, Cologne, 190^, pp. 74-77) ; mais il faudra toujours examiner, discuter, surtout comparer.

Si nous considérons toute la suite de nos traditions historiques, nous voyons dans la série deux points critiques : l’époque des Croisades et celle de Constantin ; ces deux grandes poussées de foi ont pu et dû entraîner une certaine crédulité historique. On peut poser en principe, sans injustice, qu’une tradition qui n’est pas antérieure aux Croisades doit être tenue pour suspecte jusqu’à bonne preuve du contraire. Par contre, une tradition préconstantinienne a pour elle une forte présomption de vérité.

Mais existe-t-il en fait, au sujet des Lieux Saints, des traditions antérieures à (Constantin ? La question est de conséquence : nous le verrons quand nous la reprendrons plus à fond au sujet du Saint Sépulcre. La constance des voyages aux L. S. durant les premiers siècles nous est aflirmée en termes généraux par la lettre de J’aule et d’Ettstochiitm (9-10, P. /.., XXII, 48y), et par saint Jhax Damascknh (I)e Lmng., 1. xxiii, P. C »’., XCIV, i 206 C). Mais d’autres textes plus précis nous fournissent des témoignages personnels, garants d’une tradition historicpie et religieuse.

Entre 281 et 235, OnicèNE nous dit avoir visité les lieux (-/îvoyevsi h rat : totioi ;) « à la recherche des traces de Jésus, de ses disciples et des Prophètes » (ht /o., vr, XXIV, P. G, , XIV, 269.). Nous y trouvons presque en même temps Fir.mime.v de Césarée, « occasione sanctorum locorum Palæstinam veniens » (S. Jk-KùiiE, De yir, ill., liv, P. /,., XX1II, 665 A). Vers 212, nous voyons Alexandbk, qui allait être élevé sur le siège de Jértisalem, venir de Cappadoce, où il était déjà évêque, « pour prier et visiter les lieux » (sùyf, i

X’xi Tftv Tc’nu-J hror.iy.i hsy.s-j (Eus., //. E., VI, XI, P. G.,

XX, 541 C). Enfin, vers 160, Méliton de Sardes, voulant recueillir à sa source la véritable tradition touchant les livres de l’.Vncien Testament et la personne de J. C, se rendit « jusqu’au lieu où furent écrits ces livres et où se passèrent ces faits » (Eus., //. £’., IV, XXVI, /’. G., XX, 396 C). Si l’on se souvient que Siraéon, successeur immédiat de saint Jacques sur le siège de Jérusalem, ne mourut qu’en 107, à l’âge de cent vingt ans, on voit que ces jalons, bien qu’un peu espacés, font au moins concevoir comme possible la constance de traditions reliantConstantin à J.C.

Il est donc injuste, comme l’a fait par exemple RoBiNsoN (Bihlical researclies in Palestine^, t. I, sect. VII, pp. 251-267), de représenter les traditions relatives aux L. S. comme « une vaste masse d’éléments de provenance étrangère et de caractère douteux », et de poser en axiome le principe suivant : a Toute tradition ecclésiastique relative aux sites antiques de Jérusalem, des environs, et de toute la Palestine, est sans valeur, tant qu’elle ne s’appuie pas sur des données fournies par les Ecritures ou d’autres témoignages contemporains. » II faudrait, pour être dans le vrai, , ajouler : ou tant que nous ne l)ouvons faire remonter cette tradition, d’unemanière sullisarament certaine et continue, jusqu’à une date assez rapprochée des événements pour rendre une erreur moralement impossible.

On pourrait se demander à quelle époque remonte l’appellation même de Lien v Saints ? Plusieurs des célèbres ampoules du Trésor de Monza, à la lin du VI’siècle, portent la légende : é’/y.m X-jjk,-j Çw> ;  ; tvv cîyitov X1517Toi r ! s’r : t.)v (cf. Dom Leclbrcq. Dict.d’Arch. chrét.ei de Liturgie, I, 1737 sq.). La formule est déjà courante dans saint Jérôme et Eusèbe ; l’appellation absolue oî ToTTst semble se trouver pour la première fois dans le passage cité d’Origène.

Parmi les Lieux Saints traditionnels, nous n’étudierons en détail que les principaux : le Saint Sépulcre et le Calvaire, le Cénacle, le Prétoire et la Voie douloureuse, Bethléem et Nazareth.

m. Le Saint Sépulcre et le Calvaire. — D’après l’Ecriture, Jésus fut crucifié : a) hors de la ville : , Io., XIX, 20 ; ffeh., xiii, 12 ; — b) proche de la ville : Jo, , XIX, 20 ; — c) à un endroit fréquenté, probablement près d’une route :.^/^, xxv^, 89 ; Mc, xv, 29. Les quatre Evangélisles parlent manifestement d’un site bien connu, portant encore de leur tenqis le même nom qu’au temps de Jésus, le lieu du crâne, K ; 5’/v(îv (Ac, xxiii, 33), Kpmioj romi (.’/<., xxvii, 33 ; Me, XV, 22 ; /o., XIX, 17).

La tradition actuelle touchant le Calvaire et le Sépulcre remonte sans déviation ni hésitation 1867

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aucune jusqu’à Constantin. Reste à recUercher si les lieux consacrés alors étaient vraiment le Calvaire et le Sépulcre de l’Evangile.

La première négation semble remonter à Jonas KoRTE, dans sa Beise niicli dent ^elohten l.ande, publiée à Altona en l’jii (pp. 158 à 17^, et Suppl., pp. 1 1 à 32). Le Golgotlia actuel étant à l’intérieur delà ville, il concluait à son inaullienticité. Il n’y a eu depuis que deux essais pour substituer positivement au site traditionnel une localisation nouvelle. James Fbugusson (An essa on the ancient topogrtiphy of Jérusalem, Londres, 1847, — The Iloly Septilfhre nnd tlie Temple nt Jérusalem, Londres, 1865), raisonnant uniquement d’après les données architecturales, prétendit identifier la Basilique de Constantin avec la mosquée d’Omar ; sur le plan inséré dans son Essay, il localise le Gol^^otlia au S. de la Porte Dorée, tout contre le mur E. du Haram, Cette o[)inion, par trop aberrante, trouva peu de crédit ; on ne peut guère en citer qu’un autre partisan sérieux : F. V. Unger (Die Baulen Constanlins des Gros%en am kg. Grabe zii Jérusalem, floellingen, 1863). Warren s’est cependant donné la peine de la réfuter en soixante-trois points, dans : Tlie Temple or the Tomh, Londres, 1880.

Plus heureuse a été l’hypothèse qui situe le Golgotha et le Sépulcre au N. de la ville, entre la Porte de Damas et la Grotte de Jérémie, où un escarpement rocheux, percé de plusieurs cavités, dessine de fait assez bien un crâne. Proposée déjà parTuB-Nius en 1842, puifi en 1882 par le Général Gordon lors d’un voyage à Jérusalem, elle a rencontré, spécialement en Angleterre, d’assez nombreux adhérents. On trouvera leurs arguments exposés avec chaleur et conviction, comme « le résultat de dix années d’étude », par Conder : Ilandhook to the Bible, Londres, 185g, pp. 356 sq ; cf. l’EF, 1883, pp. 69-78.

Moins hardis, bon nombre d’auteurs ne proposent aucune localisation, mais déclarent simplement la question insoluble. Roiunson (Hihlical researches, t. 1, sect. VIII, p. 4’7), niant l’aulhenticité du Calvaire et du Sépulcre traditionnels, ajoute : « Si l’on me demande où chercher l’emplacement véritable du Golgotha et du Sépulcre, je dois répondre que prob.iblement toute recherche sera vaine. » Aussi découragée est la conclusion de G. A. Smith (Jérusalem, Londres, 1907, t. I, pp. 2^8-249). AVilson (Golgotha and the Hoir Sepiilclire, Londres, 1906. p. 120) cite, en la faisant sienne, la ]>hrase de Robinson. LoisY (/.es Synoptif/ues, t. II, p. 663) reproduit une déclaration de Rknan : « Il n’y a pas de raison décisive pour i)lacer le Golgotha à l’endroit précis où depuis Constantin la chrétienté tout entière Ta vénéré ; mais il n’j' a pas non plus d’objection capitale qui oblige de troubler à cet égard les souvenirs chrétiens. » (Vie de Jésus’^, 1867, cli. xxv, p. f{^).)

Est-il critiquement i)ossible de sortir de cet agnosticisme ? Avant de le tenter, une question ju’éalable se pose : le Saint Sépulcre actuel était-il au temps de J. C. à l’intérieur ou à l’extérieur de la ville ? S’il était à l’intérieur, la question est tranchée contre l’authenticité du site traditionnel. — Ici s’insérerait la longue et délicate discussion du tracé du Second Mur, qui, au temps de N. S., protégeait toute la partieN. et N. O. de la ille. Nous nous contenterons de renvoyer à un excellent article du P. II. Vinchnt : La deuxième enceinte de Jérusalem, Hli, 1902, pp. 81-57.’^'^ détinilive, la non-inclusion du Calvaire et du Sépulcre actuels peut être considérée, du sinqite point de viu^ archéologique, comme très l)robabIe, surtout depuis les fouilles exécutées à plusieurs reprises en ces trente dernières années, à l’E. de

l’église du Saint-Sépulcre. (Voir pour le détail : P. P. H. Vincent, et F. M. Abel : Jérusalem, t. II, fasc. 1-2, ch. Il et iit, pp. /|0-88 ; — i>k Vogiik, Le Temple de Jérusalem, Paris, 1864, pp. 119-120 ; — Clermont-Ganneau, Archæological researches in Palestine, Londres, 1899, t. I, pp. 85-ioo ; — SciiicK, The second »’all of Jérusalem, l’EF, 1898, pp. igi-ig3 ; 1888, pp. 67-68 ; — GuTHE et ScHicK, Die zieite Mauer Jerusalems und die Baulen Constantins am hl. Grabe, y.DI’V, VIII, 1885, spéc. pp. 266-278. — Sur le confirmo / » /- tiré de l’authenticité du tombeau dit de Joseph d’Arimathie, cf. de Vogiié, Le Temple de Jér., Append., p. 115 ; Clermont-Ganneau, ^rc/i. /^es., I, p. 101.)

Nous pouvons donc passer outre aux dillicultés archéologiques et examiner historiquement la valeur de la tradition constantinienne et préconstantinienne.

Plusieurs auteurs nous ont raconté la découverte du Golgotha et du Sépulcre, et nous ont décrit les travaux exécutés par Constantin. Voici ceux de ces récils qui peuvent offrir un intérêt au point de vue de la discussion historique : vers 838, EusÈiiR, Vita Constant., 111, xxv-xl, A’.' »’., XX, io85 sq ; De laudib. Cnuslant., ix, F. G., XX, 18O9C ; — v. 450, Socrate, //. Eccl.. l.xvii, P. G., LXVll, 117 ; — après 450, Sozo-MÈNE, IL. Eccl., II, I. II. XXVI, P. G., LXVII, 929 sq. 1008 ; — V. /|50, Thkodoret, //..Fcc ?., I, xv-xvii, P. G., LXXXII, 9.56 sq ; — auvi’" siècle, Alexandre le Moine, De Inveniione.S". Crucis, P. G., LXXXVIl, 4037, 404.5, 4061 sq ; — V. 61 5-620, SoiMiuoNK i)E, lKnusALEM, Ana-- reo « /Hrt, xx, 7-54, /’.fi., LXXXVII, 8817 sq ; — en 818, TuiiopiiANE, Chronographie, ann. 816-817, Z-". 1 GVIII, io4-io5, 109-112 ; — V. 865, Georges IIamartolos, Chronicon, lV, 183, P. G., CX, 620-621 ; — V. 1380, NiCKPHORE Calliste, //. EccL, VIII, XXVlII-XXX. L,

p. G., CXLVI, io5-112, 200 ; — en 402, Rm’iN, U.Eccl., I, vii-viit, P. L, XXI, 475 sq ; — v. 403, Paulin de NoLE, Ep. XXXI, 3-6, P. /,., LXI, 826 sq ; — v. 576, Grégoire de Tours, llist. Franc, I, xxxiv, P. L., LXXI, 179.

Ainsi qu’il fallait s’y attendre, à mesure que l’on descend dans l’ordre des dates, le récit s’enrichit de traits nouveaux. Comme généralement nous en ignorons la source, il est malaisé de faire le départ de l’histoire et de la légende. Si l’on veut voir jusqu’à quel luxe d’inventions et d’invraisemblances peut aller celle-ci, on pourra lire les deux récits que renferment les Actes apocryphes de saint Judas Quiria-CH

« , évêque de Jérusalem (, 4r7rt.S’.S., Mai, 1. 1, pp. 445448) et la Doctrine d’.tddai (Ed. G. Piiillii-s, Londres, 

1876, texte syriaque, fol. 7 b-ii a, trad., pj). 10-16) ; cf. L. J. TixERoNT : Les origines de l’Eglise d’Edesse et la légende d’Abgar, Paris, 1888, pp. 161-191, et J. Straubinger : Die Kreuzauffindungslegende, Paderborn, 1912.

Ce n’est pas ici le lieu de comparer ces récits enireeux quant aux détails, d’examiner par exemple pourquoi Eusèbe, le i)lns ancien de tous, ne met pas en scène sainte Hélène, ni ne parle de l’invention de la Croix. Ce que nous demanderons à ces auteurs, c’est la réponse à une question qui pour nous est capitale : quelle raison a porté Constantin à fouiller en ce lieu plutôt qu’en un autre ? Les recherches se guidaient-elles, oui ou non, d’après une tradition préexistanle ? Or tous les récits sont unanimes à répondre : on savait que là étaient le (Calvaire cl le Sr|)ulcre, parce qu’ils y avaient clé intintionnellement enfouis sous une masse considérable de terre ra]>[iortée.

Quand, [lar qui et pourquoi avait été pratiqué cet enfouissement ? Les travaux avaient eu pour but immédiat l’établissement d’un sanctuaire de Vénus ; 1869

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et les écrivains, qui allirment unanimement ce fait, l’interprètent, par une pente assez naturelle, comme une tentative volontaire pour détruire les souvenirs de la Passion et de la Résurrection du Sauveur. Quant aux auteurs de cette impiété, Eusèbe, suivi par tous les historiens grecs les plus anciens, ne les désigne que d’une manière vague : y.dtot rtvsç v.v.i o-j-jzt-Ctf : . Saint Jérôme (Ep., Lviii, 3, P. I.., XXII, 581) fait remonter les travaux au temps d’Hadrien, et c’est cet empereur qui aux yeux de la tradition en a gardé la responsabilité. Bien que le relief du terrain ait déjà pu cire modifie lors du siège de 90 (cf..Tosk-PHE, B, J., V, ^^I, 3), il est de fait assez naturel que le Veneraiium du Golgotlia ait été élevé lors de la reconstruction et des embellissements d’Aelia Capitolina, à l’époque d’Hadrien. S’il était démontré que l’emplacement fut choisi tout exprès pour faire pièce aux chrétiens, nous posséderions du coup une chaîne de tradition moralement ininterrompue, puisque le sanctuaire d’Hadrien existait encore au temps de Constantin, et que la persistance du culte ou des souvenirs chrétiens en 136 ne pouvait se fonder que sur une tradition apostolique.

Malheureusement, le fait d’une intention antich ré tienne de la part d’Hadrien n’est pas sullisamment démontré. De VooiiÉ (Aoiice archéologique sur tes monumenls encore existants en Terre Sainte et qui iint r » les événements racontés dans les Evangiles, en append. à l’éd. de 1870 de : Les Eiang. et la crilir /iie au A/X" siècle, par Mgr Meignan. pp. 463-464) attribue à Hadrien une intention politique : voulant, suivant la pratique romaine, absorber le culte local au lieu de le détruire, il aurait substitué au culte du Christ mort et ressuscité le culte analogue d’Adonis-Tammouz. Wilson (Golgotlia, p. g3) en appelle même à la similitude de nom entre le Golgotlia et Golgos, fils d’.starte et d’Adonis, fondateur de la ville de Golgoi en Chypre, où se trouvait un grand temple d’-Vslarte. Pour notre part, nous inclinerions à croire que le choix de l’emplacement du grand sanctuaire eut des raisons purement topographiques. Un coup d’ail jeté sur un plan hypsométrique de Jérusalem, par exemple celui de Kuemmel, montrera que l’église actuelle du Saint Sépulcre occupe une sorte de plate-forme en bordure de la grande rue à colonnades qui traversait la ville du N. au S., et au point le plus élevé de la partie centrale de cette rue, entre les deux tétrapj-les C’est exactement la situation du grand temple de Djérach, presque contemporain d Aelia. Le choix de remplacement aurait donc été commandé par le relief du terrain, et la superposition du sanctuaire d’Hadrien aux souvenirs chrétiens aurait été purement fortuite.

Comment rejoignons-nous alors la tradition de l’âge apostolique ? La continuité des traditions chrétiennes, bien qu’on ne la trouve affirmée d’une manière explicite que chez des écrivains postérieurs, reste possible etmème probable. C’est ce qu’accordent par exemple Gitbk (Art. Grah dans la lieulencycl., VII, 48), ÂViLsox (Golgotlia, p. 69), Sanday (Sacred sites, p. 77). Mais par bonheur, l’emplacement du Golgotlia était consacré en outre par une tradition juive très ferme. Xous avons vu les Evangélistes appeler le Calvaire le lieu du crâne, comme d’un crâne déterminé et connu. Cette appellation ne peut venir de l’aspect du rocher : saint Epiphane nous le dit positivement (ffær., XLVI, v, P. G., XLI, 8’14 C) ; elle fait allusion à la tradition juive qui mettait au Golgotlia le lieu de la sépulture d’Adam. Ce rapprochement n’est pas une rêverie de la mystique chrétienne ; il nous est rapporté par un bon nombre d’écrivains anciens qui, quoique chrétiens, en allirment l’origine judaïque : le Poema contra Marcionem (11, 4, P. L., II,

io6-C), OnK ; KNB(/H Jif<., ser., 126, / ». C, XIII, 1777 C), Ambhoise (£/ ;. Lxxi, 10, P. t., XVI, I243), In Lc, s., 1 14, P. L., XV, 1832), Epiphane (l.c), Athanase ( ?) (In Passionem et Crucem liomini, xii, I’. G., XXVIII, 208 A), lÎASiLE DE Césarée (In /s., V, 141, P. G., XXX, 348 C), Basile de Skleucie (Orat. xxxviii, 3, P. G., LXXXV, 409 A) ; cf. aussi : Ad. Sculatter, Der Clironograph nus dem 10’"^ Jahre Antonins, Leipzig, 1894, pp. 83-86. Si l’on a peine à admettre que la petite communauté chrétienne de Jérusalem ait gardé l’exact souvenir des lieux témoins de la Passion et de la Résurrection du Sauveur, on admettra peut-être plus facilement que les Juifs n’aient i)as oublié le site assigné par leurs traditions ou leur folklore à la sépulture d’Adam. Du reste, dans leur récit de la découverte, Rufin, Paulin de Nole, Sozomène, Grégoire de Tours et XicÉPHORE Calliste nous disent ijositivement que des Juifs aidèrent par leurs indications à retrouver le site cherché.

La tradition chrétienne et la tradition juive s’appuient donc et se confirment l’une l’autre. Il est difficile de les rejeter toutes deux en bloc ; il est difficile d’expliquer, sans leur permanence jusqu’à l’époque de Constantin, sur quels indices on choisit l’emplacement à fouiller. Car, enfin, on dut bien avoir quelque motif pour chercher là plutôt qu’ailleurs, malgré les objections que l’inclusion dans la ville devait faire naître à première vue contre l’authenticité du lieu.

Une dernière objection reste à résoudre : n’est-ce pas justement, et uniquement, la présence d’un sanctuaire païen qui a fait choisir, pour y fixer la tradition chrétienne, le site actuel ? Ce serait un cas déplus à ajouter à d’autres déjà connus ; plus d’une fois, en effet, pour l’établissement de ses fêtes ou de ses sanctuaires, l’Eglise sut profiter des habitudes de dévotion païennes en se contentant d’en modifier l’objet. Dans le cas présent, auquel il faudrait ajouter du reste celui de Bethléem, aucune considération apologétique ne nous contraindrait à rejeter à priori cette hypothèse..Mais elle a contre elle deux choses : d’abord la préexistence très probable d’une tradition chrétienne antérieure au temple païen ; ensuite, le silence universel et complet de tous les auteurs ; il serait vraiment curieux que, dans un cas aussi illustre et aussi topique, la pieuse prestidigitation n’eût soulevé ni protestation ni critique dont l’écho ou la réfutation soit parvenu jusqu’à nous.

Nous sommes donc sérieusement fondés à admettre comme historiquement authentique l’emplacement traditionnel du Golgotlia et du Saint Sépulcre. Que si l’on veut descendre dans le détail des localisations, il est clair que la certitude diminuera d’autant. La saillie rocheuse du Golgotha, bien que peu accentuée (cf. Epiphane, 1. c), dut être facilement reconnue lors du déblaiement ; le trou actuel de la Croix est évidemment d’une authenticité beaucoup plus douteuse. Xous ne savons pas non plus, il faut l’avouer, sur quels indices précis on retrouva le Sépulcre de Jésus ; mais le souvenir de son emplacement avait pu rester assez présent pour qu’on le reconnût parmi les quelques tombes contemporaines du voisinage ; nous nevojons pas que de fait on ait hésité à l’identifier (cf. Gcthe, I ! ealencycl., U, 48) Quant aux autres endroits actuellement vénérés, pierre de l’onction, prison du Christ, etc., ils appartiennent, selon toute vraisemblance, à la catégorie des Lieux Saints commémoratifs. C’a été un besoin naturel de la piété de localiser autour des sites vraiment historiques les scènes environnantes de l’Evangile ; mais l’exactitude de ces identifications de détail ne peut s’élever au-dessus d’une pieuse vraisem-I blance.

1871

LIEUX SAINTS (AUTHENTICITE DES)

1872

Il y aurait encore un mot à ajouter sur ce qui subsiste encore au juste du terrain ou du rocher contemporain de Jésus. Le petit massif du Golgotha est encore facilement reconnaissable. Constantin, en l’isolant, en accentua plutôt la saillie, tout en nivelant sans doute le sommet pour obtenir une plateforme (cf. DE VooiiÉ, Eglises Je Terre Sainte, p. 135). Quant au Sépulcre lui-même, il a subi des remaniements beaucoup plus considérables (de VoGiiii, Oj>. cit., p. 12^ sq.) ; et il faut avouer que peu de chose en a subsisté jusqu’à nous (P. P. H. Vincent et F. M. Abel :.lérusalem, t. 11, fasc. 1-2 ; pp. 181-189). Sbfp (Jérusalem, t. I, p. 501) nous rapporte le témoignage du P. Paul de Moketa, Franciscain, qui, un des derniers, put se rendre compte de l’état exact des lieux en 18 ]0, avant la dernière reconstruction de l’édicule : « Du roc primitif, dit-il, il ne reste plus aujourd’hui qu’un morceau dans la Chapelle de l’Ange (vestibule du S. Sépulcre), plus la saillie, haute d’à peine deux pieds, que cache le revêtement de marbre du sépulcre lui-même et où le roc présente un creux d’un pouce de profondeur. Toute la chapelle du sépulcre, avec la porte où se lit la date de 1810, est en maçonnerie, et n’a gardé que la forme de la caverne primitive taillée dans le roc. »

IV. Le Cénacle. — De Vogué dit en parlant du Cénacle : « La tradition qui fixe sur le mont Sion l’emplacement du Saint Cénacle est une des plus anciennes et des plus authentiques de toutes celles qui donnent un nom à chacun des points de la Ville Sainte. (Eglises de T. S., p. 822.) Et Sanday, qui, au sujet du Saint Sépulcre, ne concluait qu’à une grande probabilité, écrit en parlant du Cénacle : « Je crois que, de tous les Lieux Saints, c’est celui qui possède en sa faveur les plus forts arguments, à tel point que, pour ma part, je me sens disposé à y donner une adhésion sans réserve. » (Sacred sites, p. 77). Et il ajoute plus loin fort justement (p. 81) :

« Il faut nous rappeler qu’il ne s’agit pas ici d’un site

enfoui ou caché, mais d’un lieu bien visible, et fréquenté d’une manière constante par les chrétiens. »

De fait, il n’y a pas à proprement parler à démontrer l’authenticité du Cénacle, mais plutôt à la préciser.

Une critique tant soit peu maussade commencerait peut-être par dire que l’accumulation des souvenirs est une présomption contre leur authenticité. En fait, à en croire les pèlerins, on a vénéré dans la basilique de Sion, à un moment ou à l’autre, les reliques les plus diverses : colonne de la flagellation, couronne d’épines, pierre angulaire, tombeau de saint Etienne et pierres de sa lapidation, tombeaux de David, des Rois, de Siméon, de Gamaliel, de Nicodcme, etc. Nous laisserons de côté ces points secondaires, du reste oubliés aujourd’hui, et qui n’ont jamais eu pour eux aucune tradition ecclésiastique officielle. Tenons-nousen aux trois grands souvenirs : la Cène, la Pentecôte, la mort de Marie.

D’après l’Evangile, Jésus célébra la dernière Cène et institua l’Eucharistie dans la salle haute (md-/ « i^-j /U/v., Me., XIV, 15 ; te., XXII, 12) de la maison d’un de ses disciples : c’est aussi dans une salle haute (ri Cmp’Zo-j, Act., I, 13)quese retirèrent les disciples après l’Ascension, et que descendit l’Esprit Saint le jour de la Pentecôte (Act., ii, i). L’Ecriture afTirme-t-elle l’identité de ces deux salles ? Le texte des Actes semble l’insinuer, en appelant le lieu de la Pentecôte To ÛTTî^wwavec l’article, comme un endroit précédemment connu. L’argument est sérieux, sans être péremptoire, car il se peut que saint Luc veuille indiquer, par l’article, non un lieu connu des Apôtres, mais le lieu de la Pentecôte, connu de ses lecteurs.

Que la maison où était descendu l’Esprit Saint, appartenant à un disciple et à un ami, ait continué à être le premier sanctuaire chrétien, rien de plus vraisemblable. Saint Epiru.XB (De mensuris et ponderihiis, xiv, P. C.XLIII, 260) nous atteste qu’au temps d’Hadrien, parmi les rares édifices restés debout sur le Sion, était « une petite église chrétienne, bâtie sur le lieu où les disciples, après lvsccnsion du Sauveur, s’étaient retirés dans le Cénacle ». Saint CvHiLLE nous dit (Caiech., : syi, ! , P, G., XXXUI, 92^^ que la Pentecôte eut lieu à Jérusalem, iv -zf, muzifiv 7ÛV à-o3To>cov l/./’/r, <t(y., qui existe encore de son temps, vers 350. Après ces deux premiers témoignages, la tradition donnant le Cénacle comme lieu de la Pentecôte se laisse suivre sans interruption.

La tradition touchant la Cène est moins ancienne et moins ferme. Le plus ancien témoignage est peut-. être celui de la Didascalie d’Addai, syriaque : « De là (après l’Ascension), les disciples revinrent et se j rendirent à la salle haute, celle dans laquelle N. S. avait célébré la Pàque avec eux. Il (C. i, p. aaij, trad. Naii, Paris, 191a.) Pierbe de Sébaste, mort en 892, donne la « chambre haute de Sion » comme celle où Jésus avait célébré la Pàque et était apparu ressuscité à ses Apôtres (édité par J. Marta, Témoignages arabes sur les Lieux Saints de Palestine, dans Al Machriq, Juin 1902, p. 481). Hésychius, vers 420, place à Sion, sans préciser beaucoup, la Cène et l’institution de l’Eucharistie (/ « Ps. cix, 2, P. G., XCIll, 1324 ; Serm., viii, ibid. 1^80). Témoignages non sans valeur, mais qui sont contrebalancés par le silence de Cyrille, de Jérôme dans VEpitaphium Paulae, et de la Pcregrinatio Silviae, d’après laquelle (xxxix, 5, éd. Geyer, p. 92 ; — xLiii. a. 3, p. 98) les offices commémoratifs des apparitions de Jésus el de la Pentecôte se faisaient à Sion, mais l’office du Jeudi Saint à r.

astasis et au mont des Oliviers

(xxxv, p. 85). Des itinéraires du vi’S., Thkodose (x, éd. Geyer, p. 1^2), le Breviarius de Iliernsolyma (p. 155), Antonin de Plaisance (xvii, p. 170), localisent eux aussi la Cène au mont des Oliviers ; erreur évidente d’après l’Evangile, mais qui témoigne au moins d’un flottement dans la tradition. Nous ne trouvons celle-ci délinitivement fixée à Sion que depuis.Vrculfk, en 670 (éd. Geyer, p. 244) Quant à la mort de Marie, les données historiques sont plus rares encore et plus tardives. On sait que les témoignages authentiques et anciens sur ses dernières années font défaut. Les premiers qui placent sa mort à Sion semblent être quelques apocryphes, de date douteuse, peutêlre du v" siècle (cf. C. Burdo, La Ste Vierge et les apocryphes. Eludes, CVIII, 1906, pp. 620, Caà). Il faut descendre ensuite jusqu’à Slo-DKSTE, patriarche de Jérusalem de 61 1 à 634 (Tnconi. in fi. V., IV. IX, P. 6’., LXXXVI, 3288, 3300), et à son successeur saint Sophuone (Anacreontica, xx, 63-66, P. G., LXKXVIl, 38ai). Parmi les pèlerins, c’est encore Arculfe qui, en 670, unit le premier la Dormition de Marie à la Cène et à la Pentecôte ; et, depuis le vin’siècle, la tradition semble établie. Que conclure ? L’authenticité du Cénacle comme lieu de la Pentecôte semble indubitable ; comme lieu de la Cène, elle est traditionnellement moins certaine, mais semble assez probable, d’après Acl., i, 13, et d’après la vraisemblance intrinsèque. Quant à la Dormition de Marie, rien de sérieux ne s’y oppose, mais rien ne permet de l’affirmer. La fixation de ce souvenir au Cénacle peut être due à la confusion entre Marie mère de Jésus et Jean l’Apôtre d’une part, et Marie mère de Jean Marc et Jean Marc, que l’on a souvent désigné comme le disci[)le propriétaire du (Cénacle. Le P. Lagrangr (La Dormition de ta S. J’. et la maison de Jean Marc, /JBjiSgg, p-Sg^) suppose. 1873

LIEUX SAINTS (AUTHENTICITÉ DES)

1874

avec une ingéniosité peul-olre excessive, que le lit sur lequel était morte Marie aurait été conservé dans une sorte de « musée religieux » annexé à l’église de Sion, et aurait fait attacher à la salle elle-niême le souvenir de la mort de la Vierge.

V. Le Prétoire et la Voie douloureuse. — L’exercice du CUemin de laOoixest aujourd’hui, de toutes les pratiques de dévotion en l’honneur de la Passion, la plus répandue et la plus olliciellement consacrée par 1 Eglise. Mais c’est à son sujet surtout qu’il faut rappeler la distinction capitale que nous taisions plus haut entre l’approbation donnée à la pratique pieuse et l’approbation de la tradition historique qui la fonde. Aucun document quelconque ne prouve que l’Eglise ait entendu engager son autorité au sujet de cette dernière.

La discussion historique touchant le Prétoire et la Voie douloureuse est la plus délicate et la plus compliquée de la question des Lieux Saints. Il nous est impossible de l’entreprendre ici dans tous ses détails ; dans le Dictionnaire de la Bible de Vigouroux, Mgr Lkgendre a résumé en un excellent article l’état de la question et les principales données documentaires. (T.V., col. 621-63g.) Nous nous bornerons ici à suivre l’évolution de la tradition, en indiquant les sources auxquelles on devrait se reporter pour une discussion plus minutieuse.

Pendant toute la scène du jugement chez Pilate, les Juifs restent hors du Prétoire (/o., xviii, 28.38 ; XIX, 4) ; c’est hors du Prétoire aussi que se trouve le tribunal du Procurateur,.^ij/ja (Jo., xix, 13 ; Mt., XXVII, ig), en un lieu élevé (Gabbatha), et dallé (Lithoslrotos ) (fo., XIX, 13). C’est à l’intérieur du Prétoire au contraire que Pilate entre par deux fois avec Jésus pour l’interroger (./o., xviii, 33 ; xix, g) ; c’est également à l’intérieur du Prétoire, éîw t/ ; ç aù/ » ï ; , 5 imiv T.pyAT’Sipio’j (Me, XV, 16 ; cf. jW/., xxvii, 27), que les soldats emmènent Jésus pour le couronnement d’épines.

L’Evangile nous raconte dans un grand détail les scènes qui se sont déroulées au Prétoire, mais ne nous donne aucune indication pour situer celui-ci dans Jérusalem. On sait que la tradition actuelle le localise à l’angle N.-O. du Temple, à la forteresse Antonia. D’autres auteurs désignent l’ancien palais d’Hérode, sur la colline occidentale ; d’autres enfin placent le Prétoire quehiue part sur le versantE.de la vallée centrale de Jérusalem.

L’opinion qui le place au palais d’Hérode s’appuie surtout sur ce fait que celui-ci a été en réalité plusieurs fois la résidence des procurateurs Homains : Sabinus, en l’an 4 (Josûpiie. B. J., Il, 11, 2 ; A. /., XVII, IX, 3), Gessius t’Iorus en 66 (fi. J., II, xiv, 8). Mais il resterait à prouver que l’habitation de Pilate à Jérusalem doit être nécessairement identifiée avec le Prétoire oii il jugeait : de plus, nous savons par Josèphe (B. J., V, v, 8) qu’IIérode avait fait si magnifiquement aménager l’Antonia, qu’elle était à la fois palais et forteresse. Enfin et surtout, la tradition ancienne tout entière est contre la localisation du Prétoire au palais de la colline occidentale.

En 333, le Pèlerin de Bordeaux écrit : « Inde ut eas foris ruurum de Sion, euntibus ad porta Neapolitana, ad partem dextram deorsum in valle sunt parietes, ubi domus fuit sive prætorium Ponti Pilati. » (Ed. Geyer, p. 22.) Quinze ans après, saint Cyrille connaissait encore l’emplacement ; mais, sans le désigner topographiquement, il nous le représente comme désert et abandonné (Catech, , xiii, 39, P. G., XXXIll, Sao A).

Une église pourtant y fut bfttie dès le v’siècle

(cf. la Vie de Pierre libérien.

488, éd. R. Raabe,

Leipzig, 1895, texte syriaque, p. gg, trad. p. g4. — ou trad. CiiADOT, /{. de l’Ur. lai., 1896, p. 381-382). Elle était sous le vocable de l’Ilagia Sopliia. Théo-DosK, vers 530, la vil, et la place à rai-route entre la maison de Caïplie et la Prol)atique(vii-viii, éd. Geyer, pp. 141-142). La basilique disparut, sans Ijiisser de traces, au vii^ siècle, lors des invasions persane et arabe : l’itinéraire d’ANTONiN la signalait encore vers 570 (xxiii, éd. Geyer, p. 176) ; un siècle plus lard, Arculfe ne semble plus l’avoir vue, non plus que WiLLiBALD d’Eiciistabtï vcrs 726. Puis, le souvenir même de son emplacement se perd si bien qu’on ne l’a pas encore retrouvé. Après le Conimemoratorium de casis Dei, au début du ix" s. (éd. Tobler-Molinier, p. 301), un bon nombre des pèlerins des siècles suivants placent le Prétoire à Sion, près du Cénacle et de la maison de Caiphe : ainsi Vlnnoininatus VII, vers 1140 (éd. Tobler, p. io3-io4), Jean de WlkzisoURG, vers 1165 (ih., p. 138-141), Epipuane l’Haqioi-oLiTE, à la fin du xii" s. (P. G., CXX, 261), et d’autres encore.

Quelle fut la raison de cette localisation bizarre ? Fut-ce, dans Ju., xviii, 28, la leçon « ad Caïpham in prætorium », qui tourmentait déjà saint Augustin (In Jo., cxiv, I, P. /,., XXXV, ig36 ; — De consens. Etang., lii, VII, 27, P. L., XXXIV, 1174), et subsistait encore au temps de saint Thomas (In Jo., xviu, g) ? Peut-être, mais probablement aussi la tendance à grouper commémorativement autour de l’église de Sion des souvenirs dont la localisation précise s’était perdue.

Même à celle époque, cependant, quelques auteurs continuent à placer le Prétoire dans la direction de l’Antonia : ainsi, v. Il 15, l’higoumène russe Daniel (éd. de Norofl’, p. 2g), v. 1281, Ernoul (xxii, éd. Michelanl-Raynaud, p. 49). Depuis la fin du xiii’s., c’est cette opinion qui a définitivement triomphé : cf. RicoLDo DE Monte Croce (vi, éd. Laurent, p. Il 1112), Marino Sanuto, etc.

Il faut donc avouer que la tradition actuelle du Prétoire à l’Antonia n’est vieille que de 600 ans ; les plus anciens témoignages lui semblent contraires ; du viiauxiii’s., la tradition est perdue ou s’égare ; et beaucoup des pèlerins de cette époque, attentifs aux moindres souvenirs, ne parlent même pas du Prétoire. Ajoutons que, même au moment où la localisation est approximativement fixée au N -O. du Temple, on place le Prétoire, non à l’Antonia actuelle, mais plus au N.. de l’autre côté de la rue : ainsi Ernoul, et, encore en 1486, Brbydknbach ; de même aussi, parmi les plans publiés par Roehrieht, ZDPV, XXI, II, 1898, les n" 4, 8, 10.

Resterait à discuter les données archéologiques. On les trouvera exposées dans Clermont-Ganneau, Archæological researches, I, pp. 49-77, — Wilson et Warren, Becoi’ery of Jerus., pp. ig8-203. que l’on pourra compléter, avec quelques précautions, par la première partie du livre du P. Barnabe d’ALSACB (Meistermaxn) : f.e Prétoire de Pilate et la forteresse Antonia, Paris, igoa. En somme, l’archéologie, pas plus que l’histoire, ne nous fournit une solution certaine. Il semble néanmoins plus probable qu’au temps de N.-S. la seconde enceinte suivait à peu près la Voie douloureuse actuelle pendant lés six premières stations. Il s’ensuivrait que l’Arc dit de l’A’cce Homo, s’il était contemporain de Jésus, se serait trouvé dans le fossé de la citadelle, dont la contrescarpe est encore nettement visible dans l’église des Dames de Sion ; par conséquent, il « est bien postérieur à la mort du Christ, et n’a pu jouer aucun r(Me dans les épisodes sanglants de sa Passion » (Db Vooiié. le Temple de Jérus., Append., p. 120 ; — cf. P. P. H. Vincent, et F. M. Abbl : Jérusalem, t. II, 1875

LIEUX SAINTS (AUTHENTICITE DES)

1876

fasc. 1-2, pp. a^-So). Il s’ensuit aussi que nous ne, pouvons plus situer non plus le couronnement dV-pines et la tlagellalion, dont l’emplacement du reste ne nous est guère indiqué d’une manière ferme que depuis le xv ! ’siècle.

Quant aux stations du Clierain de la Croix, il faut nous rappeler que neuf seulement (i, 2, 5, 8, lo, 1 1, 12, 13, 1^) se trouvent dans l’Evangile, sans autre indication topograpliique que les noms du Prétoire et du Golgotlia. La rencontre de.Viarie apparaît pour la première fois dans les Actes apocryphe^ île Pilale, sans doute au iv s. (Rédaction B, x, 2, éd. Tischendorf 2, p. 303), et l’épisode de Véronique dans la Mors Pilali, moins ancienne encore (ibid., pp. 456458). L’addition des trois chutes de Jésus est beaucoup plus tardive.

Ce qui est certain, c’est que notre Chemin de Croix de 14 stations s’est constitué en Occident, comme un exercice pieux et non comme un récit historique. On pourra en voir la genèse très bien résumée par M. Bou-DiNHON, dans la H. du Cl. Fr., t. XXVIlI, i<"nov. igoi, pp. 449-463. Cette dévotion a été transportée en Orient par les pèlerins ; la localisation des u stations B à Jérusalem s’ébaucha vers le xm" siècle, pour se fixer d’une façon à peu près définitive à la fin du xvi’Ceux qui accomplirent ce travail d’adaptation admirent l’opinion, de plus en plus courante, qui situait le Prétoire à l’Antonia, et c’est de la forteresse qu’ils firent partir la Voie douloureuse.

De l’incertitude où nous sommes sur le site exact du Prétoire, résulte Jonc aussi l’incertitude touchant la route réellement suivie par Jésus chargé de sa croix. Nous en connaissons certainement le terme, et c’est tout. Mais il eût été par trop fort que, faisant pàtir la piété des déficits de l’histoire, rien ne rappelât, à Jérusalem même, les grands souvenirs de la Passion..ux lieux destinés à la commémorer, comme aux croix de bois qui les représentent sur les murs de nos églises, les Papes ont attaché de précieuses Indulgences ; ils n’ont jamais entendu authentiquer historiquement des détails que ne contiennent pas le récit évangélique et la Tradition. Il y aurait certainement une consolation pour notre piété à pouvoir encore suivre avec certitude la vraie Voie douloureuse ; mais ne cherchons pas, en forçant les arguments, à nous persuader que, actuellement, cela nous soit encore possible.

VI. Bethléem. — Il est bien évident que l’authenticité de la grotte de la Nativité est subordonnée à l’historicité du récit évangélique..Si, comme Re : » an {Vie de Jésiis’^. ch. ii, p. io), ou l.ois (f^ynoptiq lies, t. I, pp. 206, 344), on fait naître Jésus à Nazareth, la question ne se pose même plus Mais, admettant l’historicité des récits de saint Matthieu et de saint Luc, avons-nous de bonnes raisons de croire à l’authenticité de la grotte traditionnelle ?

L’Evangile ne mentionne pas de grotte. Saint Matthieu (ii, 1 1) parle d’une maison, si’/i’a, au moment de l’iidoration des Mages ; saint f.iic (ii, )) dit que, ne trouvant point de place à l’hôtellerie, « arayjua, Marie dut coucher son enfant dans une crèche ou mangeoire, i « Tv> ;. Mais très souvent en Judée on abrite les animaux dans des grottes ; et, outre cette vraisemblance tirée des usages du pays, la désignation d’une grotte comme lieu de la Nativité remonte aune haute antiquité (P. P. H. Vincrnt et F. M..bbl : Ilethléem, pp. i-18).

On la trouve dans le Prolévangile de Jacques, (xvui-xix, éd. Tischendorf-, pp. 33-3’ ;), avec lequel nous atteignons peut-être le premier quart du II’siècle. Plus cerlainemcnt datée, vers 165, est la mention faite par saint Justi.n, originaire de Palestine :

(i Joseph, ne trouvant pas où se loger dans le bourg, se relira dans une grotte toute proche du bourg ; c’est tandis <iu’ils étaient là que Marie mit au monde le Christ et le déposa dans une crèche » (Oial. ai-. Trvphon. Lxxviii, P. G., VI, 607). Environ quatre-vingts ans plus tard.OniGÈXE écrit : » Conformément au récit de la naissance de Jésus dans l’Evangile, on montre encore la grotte de Bethléem où il naquit, et dans la grotte la crèche où il fut emmaillottc » (Contra Celsiini, I, li, P. G., xi, ^56 A). Saint JÉRÔME nous apprend qu’un sanctuaire de Tammouz, contemporain du Venerariiim du Golgotlia, subsista à Bethléem jusqu’au temps de Constantin : n Et in specuubi quondam Christus parvulus vagiit, Veneris amasius plangebatur » (Ep., lviii, 3, P. /.., XXII, 581). EusHBE enfin nous dit qu’au-dessus de la grotte, x^pc^, souterraine, ùtto yf/j, où était né le Sauveur, sainte Hélène fit élever une basilique magnifique (Vita Constant., 111, xli-xliii, P. G., XX, moi ; cf. De laiidil). Constant., ix, P. G., XX, 1869 C, et Demonstr. Evang., VII. 11, P. G. XXII, 540 B, où il faut lire, avec l’éd. Gaisford kvtsu et non K-/, ioû). Et, c’est encore, sauf agrandissements et remaniements, la basilique constantinienne qui subsiste aujourd’hui (cf. de Vogiié, Les églises de T. S., ch. II, p. 47).

Du point de vue historique, la tradition touchant le lieu de la Nativité est donc plus ferme encore que celle du Saint Sépulcre. Des témoignages certains nous mènent au ii" siècle ; et les auteurs de cette époque, moins crédules cependant que les pèlerins postérieurs, ne semblent pas hésiter sur l’authenticité du lieu.

On s’étonnera peut-être qu’après le très court séjour de la Sainte Famille à Bethléem, le souvenir de la grotte ait été ainsi conservé. Une solution qui paraît bien naturelle est de faire appel aux souvenirs de Marie : celle dont on croit retrouver l’inspiration dans les premiers chapitres de saint Luc a fort bien pu, durant son séjour à Jérusalem après l’Ascension, indiquer aux disciples la grotte de la Nativité, facile à retrouver aux environs du khan de Bethléem.

Nous soinmes mal renseignés sur les transformations que subit la grotte lors de son enchâssement dans la basilique (P. P. H. Vi>xbnt et F. M. Abkl : op. cit., pp. 99-83). Sa forme actuelle, avec portes latérales et absidiole au fond, accuse des remaniements certains. De plus, et ceci a fourni matière à objections, le plafond rocheux n’existe plus. II avait déjà sans doute disparu au vii= siècle, où Abculfb appelle la grotte » diniidia spelunca i>(ii. 2. éd.Geyer, p. 256)Maison sait que les chambres rocheuses du Saint Sépulcre avaient subi le même traitement, et, vers 726, WiLLiBALi) d’Eicustabtt relaie les travaux de déblaiement exécutés à Bethléem : Quondam fuit spelunca sub terra, et nunc est quadrangula doraus in petra excisa, et est terra circumquaque elTossa et inde projecta » (éd. Toblcr-Molinier, p. 266).

Il ne semble donc pas, en définitive, qu’il y ait d’objection sérieuse à éleA-er, en face de l’unanimité de la tradition, contre l’authenticité de la grotte de Bethléem.

VII. Nazareth. — Nous savons par saint Luc (i, 26) que Marie habitait Nazareth au moment de l’Incarnation. Les trois Synoptiques nous disent que c’est là aussi que Jésus passa sa jeunesse, charpentier lui-même comme Joseph son père (.V(., xiii, 54 ; -Vc, VI, 3 ; Lc, ii, Sij). Il y revint une fois ]>rêcher dans la synagogue au début de son ministère (/.c, IV, 16-30). Puis le silence se fait sur Nazareth.

Pour trouver un nouveau document, il nous faut 1877

LIEUX SAINTS (AUTHENTICITÉ DES)

1878

descendre jusqu’en S^S-Syâ. ^aint Epii’Han-b nous raconte longuement (//aères., XXX. iv-xii, P. G., XLI, liO’.ytfiii) riiisloire d’un certain Joseph de Tibériade, ([u’il a personnellement connu à Scytbopolis entre 355 et 360. Joseph, nommé comte par Constantin, avait reçu mission de construire des églises chrétiennes à Tibériade. Sepphoris, Capharnaiim et autres villes voisines (ch. iv. col. 409)- Ces localités étaient exclusivement hal)iti-cs par des Juifs, et n personne n’y avait jamais pu construire d’églises, parce qu’aucun Grec, ni Samaritain, ni chrétien n’y résidait. C’est spécialement à Tibériade, à Diocésaréc ou Sepphoris, à Nazareth et à Cnpharnaiim, que les Juifs ne laissaient habiter personne d’autre nationalité que la leur » (ch. ii. col. ! iib). De fait, Joseph construisit une église à Tibériade, puis

« à Diocésarée, et enfin dans quelques autres ailles » 

(ch. XII, col. 428).

Quelles furent ces n autres villes », que saint Epiphane a eu la malencontreuse idée de ne pas nommer ? On a découvert en 1900 dans I église de Kefr Keiina, le Cana traditionnel, une inscription dédicatoire en mosaïque, au nom d’un Joseph lils de Tanhoum, qui a immédiatement fait penser au comte Joseph (Clfrmont-Gaxnbau, Recueil d’arcli. or, IV, lyoi, pp. 345-860). Sans être prouvée, l’iilentiljcation est vraisemblable. Joseph réussit-il à construire une église à Xazareth ? Les textes des chapitres XI et XII de saint Epiphane 1 insinuent assez naturellement, mais ne permettent pas de l’aflirmer. NicépiioRE Callistk, au xiV siècle, est le premier qui fasse remonter au iv siècle la basilique de Nazareth, qu’il attribue même, par une erreur certaine, à sainte Hélène (//. Eccl., VIII, xxx, P. G., CXLVI, I13). Les auteurs du iv et du v « siècle n’accordent à Nazareth, quand ils en parlent, qu’une simple mention. Le premier, en 5 ; 0, l’itinéraire d’A>ToxiN de Plaisaxck parle d’une église à Nazareth : « Domus sanctæ Mariæ basilica est, et niulta ibi liunt benelicia de veslimentis eius » (v, éd. Geyer, p. 161). Le pèlerin avait aussi visité la synagogue. Un siècle après, Arci’i.fk vit deux grandes églises, l’une au milieu de la ville, <i ubi quondam illa fuerat domus aedilicata, Dominus in qua noster nutritus est Salvator n, et l’autre « ubi illa fuerat domus constructa, in qua Gabrihel arcliangelus ad beatam Mariam ingressus il)idem eadem hora solam est loculus inventam » (11, 16, éd. Geyer, p. i’ ; 4).

L’Eglise de la Nutrition disparut bientôt, sans qu’on puisse aujourd’hui ni retrouver son emplacement avec certiludc, ni fixer la date de sa destruction. Il paraît certain que le lieu de l’Annonciation continua à être montré là où la tradition le place encore de nos jours. Mais sur quels indices avait-on dès l’abord identifié la pauvre petite maison de Marie ? Nous sommes fort en peine de le dire, n’ayant ici aucun témoignage antérieur à la construction de la basilique, ni même contemporain, et sachant au contraire qu’aucun chrétien n’avait pu, pendant trois siècles, habiter Nazareth. Faireap])el à la haine même des Juifs comme leur ayant fait garder le souvenir de la maison de Marie (P. Babn. SIeistermanx, Guide de T. S., p. 368), nous semble un argument désespéré.

Le souvenir de la maison où Jésus avait vécu trente ans, si on la suppose distincte de la première, eût été un peu plus facile à conserver ; mais nous ne savons même plus où la plaçait la tradition durv’siècle. Quanta la synagogue où Jésus avait enseigné, elle eût pu être plus facile à identifier : mais la tradition qui la place actuellement chez les Grecs unis est trop récente pour avoir une valeur sérieuse.

Mieux vaut donc avouer franchement que dans ce

Nazareth, où sans aucun doute nous foulons à chaque pas la trace des pieds du Sauveur, nous sommes incapables de situer exactement les faits de l’histoire évangélique.

VIll. Conclusion. — Cet examen achevé, quatre conclusions s’en dégagent :

1° Nous n’y avons rencontré aucun jioint où des certitudes historiques ou archéologiques fassent mettre en doute la véracité et l’historicité des Evangiles.

a" Parmi les principaux Lieux Saints actuellement vénérés, plusieurs sont garantis par des traditions assez sérieuses et assez anciennes pour fonder une véritable certitude morale ; aucun ne repose évidemment sur des invraisemblances ou des absurdités.

3" Par conséquent l’Eglise, en acceptant les localisations traditionnelles, non seulement n’a pas engagé à faux son autorité dogmatique, qui n’avait pas à intervenir, mais elle ne peut même pas être accusée d’imprudence ou de puérilité.

4" Dans tous les cas. et spécialement pour ce qui est des localisations secondaires, elle nous laisse à juger sagement, suivant les lois humaines de la critique, s’il y faut voir des souvenirs proprement historiques, ou la simple conimémoraison pieuse des mystères qu’elle nous permet d’y vénérer.

Bibliographie. — Cette bibliographie est volontairement incomplète ; on y a seulement réuni les ouvrages ou articles plus facilement abordables, capables de fournir, avec des données précises et sûres, des indications bibliographiques plus complètes pour une étude ultérieure. On n’a pas indiquélesarticlesdeDictionnaires ou d’Encyclopédies.

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LIGUE CATHOLIQUE (LA SAINTE)

1880

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Christian Burdo.