Dictionnaire apologétique de la foi catholique/Jésuites

Dictionnaire apologétique de la foi catholique
Texte établi par Adhémar d’AlèsG. Beauchesne (Tome 2 – de « Fin justifie les moyens » à « Loi divine »p. 642-650).

JÉSUITES. — La Compagnie de Jésus a été si souvent identifiée, par les ennemis de l’Eglise, avec l’Eglise elle-même, qu’il convient de lui faire ici une petite place. Depuis trois cent cinquante ans qu’elle existe, toutes les fois qu’une campagne violente ou sournoise a été menée contre Rome, la campagne contre les Jésuites a précédé ou suivi, dissimulant, parfois très mal, le véritable objectif de la lutte. Et, chaque fois, des traits nouveaux étaient ajoutés au portrait légendaire des disciplesd’lgnace. Nous dirons un mot rapide sur l’histoire de cette légende populaire, nous réservant d’insister un peu plus sur la façon dont les historiens hostiles à l’Eglise expli((uenl l’action et l’influence des Jésuites pendant les quatre derniers siècles.

I.

Histoire de la légende

I. En pays protestants. — Du premier coup, dans l’Allemagne luthérienne et calviniste, les Jésuites eurent la réputation d'être assassins, empoisonneurs, incendiaires, régicides. Leur livre des E.i ercices spirituels devint un livre de magie, et la « retraite » une série de pratiques occultes ù base de sorcellerie. Leur supérieur, le bienheureux Canisius, était un apostat, son catéchisme l’ordure du diable, leurs caves des arsenaux, leurs collèges des ollîcines de luxure et IJellarmin, leur grand controversiste, un monstre. Tous les crimes qui se commettaient par le monde, tous les malheurs <)ui frap|)aient les rois, leur étaient imputés. 13ref, disait le père Beeanus, encore un peu on va nous accuser d'être les auteurs du péché originel.

La cause de ces calomnies ? Les Jésuites étaient papistes convaincus ; ils soutenaient partout de leur micu.x les grandes thèses ultiamontaines. Pour les attaquer plus aisément, ou diforma ces thèses ; on leur ilonna un tour anarchiste ou révolutionnaire. S’ils <lisaient <(ue le pape est infaillible en matière de 1273

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foi, on traduisait en style protestant : » Tout homme qu’il est, le pape, eu tant que vicaire de Dieu sur terre, a droit à des honneurs divins. Il ne peut errer dans ses décisions, eùt-il contre lui tout l’ordre ecclésiastique et les conciles eux-mêmes. U peut, à son caprice, disposer de l’autorité des Ecritures, interpréter et modifier le droit, etc. » — S’ils disaient avec Bellarmin que la juridiction du pape est universelle et souveraine dans le domaine spirituel, qu’il a un pouvoir a indirect » sur le temporel en matière mixte, jusque-là qu’en certains cas très rares, pour des motifs exceptionnellement graves, et quand le salut des âmes l’exige impérieusement, il pourrait déposer le prince, les prolestants traduisaient : « Le pape a toute [luissaiice temporelle et spirituelle ; il peut à son gré déposer, instituer, princes, rois, empereurs. Il est maître des territoires et peut, comme il le veut, les faire passer des hérétiques aux papistes. Et cela est de foi. » — S’ils enseignaient avec toute l’école catholique de ce temps-là, beaucoup plus modérée que l’école protestante illuminée et fanatique, que la vie d’un usurpateur (/irrtHH » s ustirpalionis), dans l’acte de l’usurpation, n’est i>as plus sacrée que celle de n’imporle quel ennemi public, et que le tyran d’administration, légitimement déposé, qui défend son pouvoir par la guerre, n’est plus qu’un usurpateur (voir article TvR.t.N.iciDE) ; cette doctrine se transposait comme il suit : « Que les sujets d’un prince le déclarent tyran et le déposent, ils sont déliés de tous leurs devoirs envers lui : à défaut de congrès, diète ou comices, il sulFira, pour cette déposition, de la décision d’un Jésuite grave. Dés lors ce sera faire œuvre louable que de tuer ce prince. On y pourra employer le fer ou le poison, et le p^ipc pourra ensuite, comme il lui plaira, distribuer à de bons catholiques et donner en toute propriété les biens de l’hérétique, » (Becanus, Aphnrismi doctrinæ Cah’inistarnni. ex enruin lihris et fuel is (1608). Opiiscul. théologie, Paris, 1633.) A ces aphorismes, s’en ajoutèrent deux ou trois autres ; — que « la Un justilie les moyens », — « qu’il estloisibleàun catholique de ne pas tenir la parole donnée à un hérétique a, — t qu’il est permis d’user et d’abuser des équivoques et restrictions mentales ». — que tous les moyens sont bons pour se débarrasser des hétérodoxes, etc. Principes qui n’étaient pas simples défaillances pratiques de la moralité ou entraînements de passion, mais formaient uii système suivi, longuement élaboré par les supérieurs et passé à l’étal de règles. Kègles occultes, bien entendu ; car. à côté des Constitutions avouées, il y avait chez les Jésuites un code secret. Et justement, ne venait-on pas d’en découvrir la partie relative aux accaparements des fortuneset des influences, les fameux Munita sécréta ? (Voir l’article Moxir.i

SECRETA.)

L’Angleterre accueillit ces fables et y ajouta du sien. Les crimes publics des Jésuites s’accrurent d’un nombre incalculable de conspirations, d’incendies, de meurtres et de tentatives de meurtres. L’accusation de mensonge fut accentuée et systématisée.

II. En France. Gallicanisme et Jansénisme. — Une bonne partie de ces calomnies fut exploitée en France par les grands ennemis gallicans des Jésuites, ! comme Etienne Pascjuiku et l’avocat…Vrnaui.d. Ils se donnèrent le ridicule de les propager sans discussion. Or d’où venait l’opposition que, dès le prcuiier, jour, la Compagnie rencontra dans le monde parle mentaire, non pas de la France, mais de Paris’.' Aux yeux des régalistes, elle avait le tort, toujours le même, d’être « papiste i.. Avant d’avoir rien fait qui put provoquer la réprobation populaire, elle était condamnée parce qu’elle seprésentaitcomme dévouée aux droits ultramontains. Delà dans le Parlement

l’Université, chez les curés, chez quelques évêques, une répulsion irréductible et des procès sans Un. Les rois acceptaient les nouveaux religieux. Mais, plus royalistes que les rois, les gallicans voulurent voir dans l’institut des Jésuites une opposition formelle avec les lois fondamentales du royaume. Dans ses Hecherches de la France, Pasquier écrivit un chapitre intitulé : « Quelle compatibilité il y a entre la profession des Jésuites et les règles tant de nostre Eglise gallicane que de nostre Etat.^ » (L. 111, eh. xlv.) Et il concluait naturellement à l’incompatibilité. Inutile de dire que, pour en venir à cette conclusion, l’honnête l)arlementaire faisait subir aux règles et aux constilutions de la Compagnie les déformations les plus grotesques. De plus, aux yeux de Pasquier, les approbations pontilîcales étaient subreptices et non avenues. On avait aveuglé les papes. Les Jansénistes chanteront indéliniment la même antienne. A ces préjugés gallicans, ajoutez les accusations relatives au tyrannicide, et nombre de faits divers, à faire dresser les cheveux sur la tête, empruntés aux pamphlétaires d’Outre-Manche et d’Outre-Rhin, et vous aurez une idée de l’antijésuitisnie français au temps d’Henri IV et de Louis XUl.

.vecleJansénisme, ils’enrichit d’un nouveau ettrès important chapitre. Les Jésuites dénonçaient chez les novateurs un calvinisme honteux. Dans cette doctrine soi-disant inspirée de saint Augustin, ils montraient la liberté humaine anéantie, et le fatalisme réinstallé sous le nom de grâce. Les Jansénistes répliquèrent par unecampagnemenéependantcent ans, avec une suite obstinée, pour discréditer et détruire la trop ultramontaine Compagnie. Ce long duel, commencé en 1631 par la publication de VAurelius de l’abbé de Saint-Cyran, se terminera en 1773 i)ar la destruction des Jésuites. On y peut discerner cinq grands assauts, résumés chacun dans un livre.

Dans VAurelius, nous avons l’assaut gallican. C’est là qu’on trouvera les attaches du jansénisme avec le gallicanisme le plus avancé. Car, en même temps qu’on y attaque les religieux dont les privilèges sont l’expression vivante de l’universelle juridiction du Saint-Siège, on y exalte les curés aux dépens des évêques, et les évêques aux dépens du pape. Là est la clef du rôle joué par le clergé paroissial de Paris et autres grandes villes de France, dans les luttes jansénistes. « Querelle de confessionnaux », diront avec méi)ris les libertins, Saint-Evrkmond en tête ; en réalité, lutte de principes. Oui ou non, la juridiction ponlilicale, s’exerce-t-elle de façon elfective et pleine dans toute l’Eglise ?

VAugustinus, publié en 16/|0, commence l’assaut doctrinal. jANSÉxius.enexattant saint Augustin, » met en parallèle et examine l’erreur des Marseillais et de quelques modernes ». Les Marseillais sont les Semi-Pélagiens et les modernes sont les Jésuites, Suarbz, Vasqukz et MoLiNA. Dès lors, les théologiens de la Compagnie, pour avoir repoussé les interprétations de l’évêque d’Ypres sur la doctrine du grand docteur, seront taxés de semi-pélagianisme. « Ils rejettent, diront les Jansénistes, ou énervent l’autorité de saint Augustin, ils exaltent la liberté aux dépens de la grâce : ils sont les ennemis hypocrites de la grâce souveraine, et par suite de tout l’ordre surnaturel. » Cette campagne devait aboutir à la condamnation, non des Jésuites, mais des « cinq propositions ». Là-dessus, par une lactique habile qui ne pouvait que dérouter le public, changement de front et nouvel assaut sur un autre point (1656-1657).

Pascal était déjà entré en ligne. Trois de ses lettres avaient paru, où il n’était encore question que <ie la grâce et des propositions condamnées, <|uand tout à coup, quatrième lettre : II n’est rien de tel 1275

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que les Jésuites. » Les vraies Provinciales coiumençaieiit. Morale relâchée, casuisles, iirobabilisme, en allaient faire les frais. Adversaires de la grâce divine cl de saint Augustin, les Jésuites l’étaient plus encore de l’austérité évangélique et de la morale chrétienne. Cela, prouvé d’après une méthode d’inlormation dont le moins que nous puissions dire est qu’elle manquait de critique.

Les Jésuites vivant toujours et ne se convertissant pas, le grand Arkauld, la mort dans l’àme, par pur esprit de charité, revint à la charge. Ce l’ut le quatrième assaut. Dans la Morale pratique (166y-16g5), on montrait que les abominables principes des Pères ne restaient pas théoriques ; ils s’en inspiraient dans leur vie. Arnauld et ses collaborateurs accaparèrent la querelle des « rites », et toutes les autres ditlicultés menues ou grandes que les Jésuites pouvaient avoir de par le monde. On les montrait idolâtres en Chine, hérétiques au Japon, juifs à Gènes, généraux d’armée au Paraguay, négociants partout, accapareurs des biens monastiques en Allemagne, souvent banqueroutiers, persécuteurs acharnés de leurs rivaux en pays de mission, etc., etc. — Arnauld, qui en avait copié d’autres, eut d’innombrables copistes pendant tout le xviii" siècle. Un journal se fonda, les Nouvelles ecclésiastiques, dont le but semblait cire de dénoncer au jour le jour tous les crimes, péchés et peccadilles des « ennemis de saint Augustin ».

Restait à s’en prendre aux Constitutions mêmes des Jésuites. A vrai dire, il y avait longtemps que les gallicans avaient épluché l’Institut. Le travail fut repris en 1762 par les parlementaires, et aboutit à d’innombrables réquisitoires et com|)les rendus, l)armi lesquels il sullit de signaler celui de La Cha-LOTAis. On attaqua surtout l’obéissance, la fameuse obéissance aveugle qui lie des Français à uu chef étranger. Impossible à un état moderne, conscient de ses droits, de su|q)orter une telle intrusion. Est-il nécessaire de faire remarquer que, pour en venir à celle conclusion, l’on avait commencé par faire du supérieur des Jésuites, de son autorité, cl de l’obéissance qu’il exige, la description la plus extravagante ?


111. Anliiésiiilisme moderne. — Les Jésuites disparus, l’antijésuitisme s’assoupk un peu. U se réveilla dès que la Com])agnie fut rétablie.

U y eut dans le courant du xix’siècle quatre ou cinq grandes crises de jésuitophobie, aboutissant à des exils, des dispersions et même à des massacres.

Sous la Uestauration, campagne de Mo.ntlosier, avec création de la légende de Montroiigi- cl de la Congrégation, lin 1834, massacres de Madriil, sur une accusation d’empoisonnement des fontaines. En iSti’i. levons de Quinet et de Michei.kt au Collège de France. En 1871, 1e Culturhampf jirussien. En 1880, l’article 7. (^es crises ont prooqué l’éclosion d’une littérature considérable, mais dont probablement il ne survivra que deux pampliUls, le Juif Errant d’FIugéne Sus et les Jésuites de Wicuklkt.

Cet antijésuitisme moderne ne s’est refusé aucune des fantaisies qui avaient rendu grotescpie celui d’il y a trois cents ans. Il s’est trouvé des « Hevercnds «  anglais jiour décrire l’u Eglise » établie comme absolument minée |iar les Jésuites. Ils sont dans les églises, dans les presbytères, dans les couvents : ils sont l’âme du mouvement ritualistc. Combien de n nurses » ne sont que des jèsuitesses ! — De même en Allemagne, His.mauck disait voirjiartout leur action. Son ami, l’étrange calholicpie prince de Houen-LOHE. les montrait maîtres de la paix et de la guerre, responsables de la chute des Bourbons de Naples, directeurs de l’inlernationale monopolisant le

commercedesmodesàParisetcclui du guano, opposés au rapprochement de Rome et de la Prusse, tenant sous leur inlluence Bismarck en personne et l’impératrice Eugénie et, bien entendu, le concile du Vatican, entravant Windlhorsl, etc. Il enregistrait sans broncher les imaginations du prêtre vieuxcatholique Michaud, assurant tpie le massacre des otages par la Commune avait vraisemblablement été combiné par la fraction ultramoiitaine de la Compagnie, qui voulait se débarrasser de Mgr Darboy et des Jésuites libéraux comme le Père Olivaint. {Memoirs of prince Chludtvig of IIoiiKNLonii, traduction anglaise, 190O, t. I, p. 276, 365, II, p. 56, 140, 147, etc., etc.)

Récemment encore, un candidat catholique à la députation s’étant fait un honneur d’être un ancien élève dcî Jésuites, le journal Toumon lléputilicain (16 mars 1912), répliqua par une énumération des forfaits attribués à la Conq)agnie. Elle a fait assassiner des hommes réputés saints » comme Jean de la Croix, Ribera, Philippe de Meri (sic), Borromée, Savonarole…

On voit le genre : au point de vue de l’apologétique générale, il est à noter. C’est un bon spécimen des procédés anticléricaux. A qui hait l’Eglise, tout est peruiis, jusqu’au mensonge le plus absurde. Est-ce que « la lin ne juslilie pas les moyens » ?

Il est impossible de répondre ici, même en courant, à toutes les accusations. La plui)art d’entre elles, si elles étaient aussi fondées qu’elles sont populaires, prouveraient contre les individus, contre l’Ordre tout entier, si l’on veut, mais ne prouveraient contre l’Eglise que dans le cas où l’Eglise se serait soliilarisée avec les Jésuites. Que ces religieux ait été aussi farouches ligueurs qu’on le prétend, que l’un d’eux ail violé le secret des confessions de l’impératrice Marie-Thérèse, qu’ils aient pratiqué le commerce malgré les défenses des papes, et qu’ils aient l’ait de la politique et de la mauvaise, à supjioser même que les faits soient élal)lis, cela ne i)rouvera qu’une chose : ils ont manqué à leurs règles qui leur interdisaient tout cela, (iela n’établira aucunement que l’Eglise soit une institution humaine. (La réfutation d’un grand nombre de ces fables se trouve dans notre livre sur les Jésuites de ht légende, et plus en détail dans celui de P. B, DuuH, Jesuitenfabelii. )

Il n’en va plus tout à fait ainsi de certaines synthèses historiques, stéréotypées dans le monde savant des prolestants et des rationalistes. Chez ces docles ennemis de l’Eglise romaine, s’est déveloi>pé ce cpie nous sommes obligés d’appeler la légende scicnlitique. Eliminant tout ce qui, dans la légende populaire, était par trop invraisemblable, ces écriains ont donné aux vieilles accusations un tour plus moderne, plus critique, plus acceptable. Us se sont fait de la Compagnie de Jésus, de son rôle, de son influence, une idée qui, si elle était fondée, ne laisserait pasque d’élrecomprometlante pour l’Eglise. C’est elle qu’il nous faut discuter.

II. — La légende savante

I. L’Eglise romaine esclave des Jésuites. — a) Un premier préjugé, d’origine nettement protestante, consiste à tout expliquer dans l’histoire de l’Eglise, de]>uis trois cents ans, par l’action des Jésuites. Ce sont eux qui ont fait l’Eglise catholique moderne ce qu’elle est. L’œuvre de saint Ignace, écrit un rédacteur de la Hevue critique, M. R. Rkuss (1896, t. 1, p. 152), « est à la fois la plus formidable machine de guerre imaginée pour écraser un ennemi, et le i>lus puissant contrefort qui ait jamais été dressé 1277

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pour soutenir et consolider un édilice qui paraissait menacer ruir.e. A quclque point do vue qu’on se place pour juger la société de Jésus et ce qu’elle a l’ait dans le monde, on ne peut nier une chose… c’est que c’est elle, et elle seule, qui a maintenu cl sauvé le catliolicisnic en Euroiie au xvi’et au xvu* siècle. Elle ne l’a pas seulement sauvé, elle l’a refait à son ima-fe et lui a imprimé le cachet qu’il portera désormais. Toutes les métamorphoses par lesquelles il a passé depuis, toutes celles que l’avenir peut lui réserver encore ont été préligurées déjà par les doctrines et les enseignements des disciples de saint Ignace depuis l’étroite alliance du trône et de l’autel, jusqu’aux excitations à la révolte de la démagogie cléricale. »

Cette manière de voir est classique. On lit dans un ouvrage récent : l’Eglise attaquée par Luther, s’est réformée, fortifiée, mais elle s’est enfermée dans une bastille bien close, où ne pcnèlre plus la vie el l’air du dehors. « L’ordre règne partout, mais partout aussi s’installe la routine el se perd le sens de la vie. C’est aux Jésuites qu’il faut attribuer ce grand changement. » (G. Desdevisks du Dbzeht, L’Eglise et l’Etat en Fiance, t. I. 1907, p. 10.) Ces simplifications étonnent, à une cjjoque où, dans l’étude des courants de la pensée, on apporte tant de subtilité à distinguer les inlluences. Routine et manque d’air mis de côté, les Jésuites ne pourraient qu’être flattés qu’on leur fasse la part si large : mais est-il possible d’admettre cette synthèse préliminaire ?

Sans doute, leurs nombreux collèges el universités, leurs cougrégalions, leurs missions d’Europe et des nouveaux mondes, leurs théologiens, ont fortement travaillé à rétablir partout l’autorité du Saint-.Siège et la vie chrétienne. Us ont reconquis plus d’une province au catholicisme en Allemagne. Sur les bords du Rhin et du Danube, en France et dans les Pays-Bas. ils ont eni-ayé le mouvement séparatiste, et arrêté les défections. Mais sont-ils les seuls ? Xe voir qu’eux, c’est faire tort à des hommes comme saint Pie V, saint Chai-les Borromée, saint François de Sales, saint Vincent de Paul el bien d’autres, dont l’action a été parallèle, identique à la leur, mais absolument indépendante. Que ne poiu-rait-on dire à la louange d’autres sociétés religieuses, qui ont ti-availlé près des Jésuites, à la même œuvre et avec le même zèle ! Les Capucins, pour ne nommer que ceux-là, sont bien pour quelque chose dans les missions d’Allemagne, et les Sulpieiens dans la lutte contre le Jansénisme. Il est vrai, dans ces guerres, où il ne s’agissait pas seulement d’arrêter la propagande hérétique, mais de réagir énergiquement contre les troubles luoraux, disciplinaires, doctrinaux, qui avaient agité les deux siècles précédents, les Jésuites ont fourni un régiment noml)reux, compact, obéissant, portant vile et sûrement jusqu’aux extrémités du champ de l>alaille les ordres et les impulsions de Rome. Ils ont été [lour les papes modernes, ce que les Clunistes avaient été pour Grégoire Vil. Mais enfin, il n’y a pas qu’eux dans la mêlée, et ne voir qu’eux, c’est une simplification commode pour le pamphlétaire, mais indigne de l’histoire.

On va plus loin. Ils n’ont été instrument qu’en apparence : en réalité, ils ont mené la papauté. Le vrai chef de l’Eglise n’a pas été le pape blanc, mais le a jiape noir ». C’est lui, disaient les protestants des environs de 1600, c’est ce « Vieux de la Montagne » qui, par toute l’Euro|)e, arme le poignard des régicides. C’est lui, disent les Jansénistes, qui a imposé la condamnation des cinq propositions et la bulle Unigenitus. ("est lui qui, sous Pie IX, a dicté le Srllabus. Il avait dirige le concile de Trente, et il a fait la loi

à celui du Vatican. « Directions pontificales », entendez n directions jésuitiques »,

Puie légende. Qu’on explique comment ces a maîtres du pape ii, qui font la loi au Vatican, n’ont pu arriver à se tirer plus glorieusement de certaines grosses difiicullés. La congrégation De auxiliis, l’afifaire du probabilisme, celle des rites chinois et malabars : autant d’occasions d’allirmer leur omnipotence, d’iuqioser leurs vues, au moins de réduire leurs opposants au silence. On sait ce qui en fut. L’histoire de ces controverses montre que leur domination était discutée. Très appuyés quand ils n’étaient que défenseurs du Saint-Siège, théologiens de son infaillibilité, polémistes el apologistes de ses décisions ; beaucoup moins soutenus quand il ne s’agissait que de leurs intérêts de corj>s, de doctrines restées à l’état de systèmes ou de mélhodesparliculières. Après tout, c’était dans l’ordre.

Aucun pape ne leur a clé proprement hostile, pas même CLiiMK.>r XIV ; mais plusiems ont été froids. Aucun, sauf Clément XIV, ne leur a refusé de se servir d’eux, seule marque de confiance dont la privation les eût humiliés. Plusieurs, et non des moindres, qui n’étaient d’humeur à se laisser mener par qui que ce soit, tout en les employant, les écoutaient peu : tel I>xocENT XI. Et, même aux jours de plus grande faveur, il s’en fallait que l’amitié du ])ape entraînai toujours celle des cardinaux ou les bonnes grâces des congrégations.

Reste que les Jésuites ont toujours été, le plus qu’ils ont pu, selon le mot des Encyclopédistes, les u grenadiers du Pape ». Ils n’ont point inventé les doctrines ultramontaines. Depuis plusieurs siècles déjà, elles étaient formulées, discutées, enseignées. Us les ont adoptées, el volontiers se glorifient d’avoir lutté pour elles pendant trois cents ans. Us les ont précisées peul-ètre sur quelques points, mais n’y ont rien ajouté d’essentiel. Que si vraiment c’est mener le pape que de diriger l’opinion catholique dans le sens le plus favorable aux droits du pape ; alors, en quelque façon, ils ont mené le pape. Us ont, de leur mieux, préparé les voies à certaines grandes décisions. Us y ont collaboré de tout leur pouvoir. Us ont suivi de très près, accéléré même, si l’on y tient, un mouvement qui avait conuuencé avant eux, et qui eût abouti sans eux. C’est tout ce que l’histoire peut conclure de leur action générale dans l’Eglise, depuis trois cents ans.

II. Ee^prii de seitilité. — Alors, dira-ton, c’est leur action lente et occulte qui est à examiner. Qu’ont fait les Jésuites dejjuis qu’ils existent ? Us ont consolidé le romanisme, uiais à quel prix ? En détruisant dans les volontés et les intelligences tout ce qu’il y avait de vital. Qu’on examine ce qui est à eux, bien à eux, l’on constatera que Michelet avait raison quand il résumait leurs systèmes d’un seul mol, le

« machinisme ». Ce sont eux qui ont comme naturalisé

dans le catholicisme la notion déprimante de l’obéissance allant jusqu’à l’immolation du jugement. Mais il le fallait ; ce qui avait enlevé au pape les pays allemands, anglais, suédois, c’étaiU’esprit de liberté : il importait d’y substituer l’esprit de servitude, seul moyen d’empêcher les pays latins d’entrer par la voie libre qu’ouvrait Luther.

Cet esprit de servitude », ils ont commencé par l’organiser chez eux, dans leur gouvernement intérieur, d’une façon absolument nouvelle jusque-là. Leur général est un véritable despote, disait-on jadis dans les pamphlets allemands, disaient encore les comptes rendus parlementaires de 17C2, et répètent à leur suite nos auteurs (voir l’article Jésuites, dans l’Encyclopédie des sciences religieuses). Ce « Vieux de la Montagne », maître des consciences, peut 1279

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commanJer jusqu’au péché mortel inclusivement. Il règne par la délation, fjouverne par la crainte, fait et défailles lois, échappe à tout contrôle, même à celui du pape qui croit le diriger. Il est considéré comme l’organe mêaie de Uieu ; il tient ici-bas devant ses inférieurs la place de Dieu ; pratiquement il supprime Dieu. Aussi lui doit-on, comme à Dieu, soumission absolue, sans réserve. Il a droit à un acte de foi radicale. Il faut être entre ses mains « pennde ac cadiiver ». Obéissance cadavérique ; et aussi obéissance aveugle, car il faut supprimer toute intelligence, tout raisonnement.

« Avec cela, chose curieuse, ils croient être libres.

C’est qu’ils ont été matés par les Exercices, cette terrible machine qui fascine la volonté, l’anéantit, tout en laissant l’illusion d’une liberté plus ou moins complète. » (Heviie critique, 1906, II, p. ^58.)

Or, cet esprit d’obéissance contre nature, les Jésuites ne l’ont pas restreint à leur gouvernement intérieur : ils en ont fait l’esprit de l’Eglise catholique moderne. Par leurs innombrables collèges, ils l’ont, trois cents ans durant, insinué à des multitudes d’enfants. Us ont organisé pour eux une éducation superficielle, qui endort les volontés et dont le seul idéal est l’obéissance aveugle. Beaucoup d’ordre à l’extérieur, discipline rigoureuse, suppression de tout ce qui méritait aux collèges universitaires leur renommée de turbulence. Mais, sous ces beaux dehors, énervement de toute virilité.

« Des collèges, ces tendances ont passé dans les

masses catholiques. La conquête du monde par la servilité a eu son dernier aboutissement dans la définition de l’infaillibilité pontilicale. On peut dire que, depuis trois cents ans, du concile de Trente à celui du Vatican, ce sont les Jésuites qui ont fait l’Eglise romaine cequ’elle est aujourd’hui, obéissante, réglée, mécanique, mais sans vie, sans élan, sans pensée, sans progrès, solide uniquement parce qu’elle est immobile. »

a) (Icllp synthèse est-elle beaucoup plus résistante que la première ? D’abord la peinture du gouvernement de la Compagnie est une pure caricature. Ce gouvernement est fort et concentré, cela est vrai. Mais il est d’autant plus doux dans son exercice qu’il est plus ferme et plus sur de lui. Kn croira-t-on ceux qui en ont l’expérience ? L’obéissance qu’il exige dirige les initiatives généreuses, mais leur laisse un libre jeu.

De bonne foi, est-ce une vie d’hommes déprimés que celle de gens comme Canisius et Campion, Posse/in, Edmond Auger, Vieyra ? ou encore celle de missionnaires comme Iticci, Alexandre de Uhodes, Itolfcrt de Xobili, Brébeuf, Marquette, deSmcl ? Pour des automates, ces parfaits obéissants ont eu, ce semble, une existence d’une assez belle fécondité.

La discipline est forte chez les Jésuites. A-t-elle arrêté dans son essor quelque génie inconnu’? Oui le dira ? Mais qui dira aussi combien d’autres, dans l’apostolat ou sur le terrain de la pensée, eussent gagné en force à être tenus de jilus court par une autorité sévère ? Génies éloulTés par la discipline, génies brisés par abus de liberté, qui déterminera jamais de quel côté en définitive sont les plus grosses pertes ?

La conception de l’obéissance jésuitique n’est pas moins fantaisiste. On oublie que le « pcrinde ac cadnver » est une formule classique, déjà vieille quand saint Ignace l’a ramassée : on la trouve sur les lèvres de saint François d’Assise, et elle pourrait bien être plus ancienne encore, ("est une métaphore, entre beaucoup d’autres, qu’il faut interpréter.tvpc intelligence. — La fameuse lettre du saint sur l’obéissance a pu de même être commentée par Bbllahmin

avec des textes nombreux pris aux anciens ascètes et aux Saints Pères. Elle n’a rien que de traditionnel. De tout temps, l’obéissance a été considérée comme un élément capital de lu vie religieuse. Tout ce que l’on peut dire, c’est qu’Ignace a été amené par les circonstances à insister [)lus que d’autres sur ce point. Circonstances extérieures : l’esprit d’indépendance et de révolte qui souillait partout. Circonstances intérieures : la vocation si)éciale de ses religieux, obligés de beaucoup vivre au dehors et d’autant plus tenus à suivre les impulsions de l’autorité centrale que cette autorité leur laissait plus d’initiative.

— L’obéissance « jusqu’au péché mortel inclusivement w est une pure ànerie. Les Constitutions disent juste le contraire : il faut obéir « iibi peccatum non cerneretur » (P. 111, ch. i ; VI, ch. i).

A parler en général, rien ne fait mieux comprendre cette obéissance telle qu’elle ressort des documents, constitutions et lettres de saint Ignace, ou des commentaires ascétiques (IIodriguez, Perfection diretienne, eic), que l’obéissance militaire sur un champ de bataille, ou celle d’un marin sur son vaisseau : soumission exacte, scrupuleuse, mais en même temps joyeuse et intelligente.

Loin d’être un despote, le supérieur es un père quiconnaitses sujets pouravoir eu leurs confidences, pouravoir vécu de leur vie, près d’eux. Hier leur égal, aujourd’hui leur commensal, leur compagnon de toutes les heures, et qui demain rentrera joyeux dans le rang. Obéissance par laquelle on tâche d’identilier sa volonté avec celle de celui qui commande, d’entrer dans ses vues, de faire ce qu’il ferait si les rôles étaient renversés. Obéissance pleine de cœur et d’amour. Le soldat entend la voix de la patrie dans la voix du capitaine et le religieux celle de Dieu dans la voix du supérieur. C’est l’obéissance de volonté.

— Quant à l’obéissanee de jugement, elle consiste surtout à chercher de bonne foi par où le supérieur peut et doit avoir raison. Elle demande un effort de l’intelligence et aussi un effort de la volonté pour se mettre dans le calme et regarder les choses bien en face. Si, après examen sérieux, il semble que le supérieur .lit tort, rien n’empêche de lui faire ses observations : le cas est prévu. S’il n’en tient pas compte, le recours est toujours ouvert aux autorités majeures, et, en ce cas, le secret des correspondances est absolu. (Jue si l’ordre est maintenu, dans la vie religieuse comme dans la vie militaire, comme dans toute société bien réglée, il ne reste plus qu’à obéir. Obéissance aveugle alors, parce qu’on exécute le commandement du supérieur sans en voir le bien fondé, mais obéissance clairvoyante, paroe que l’on discerne les principes d’ordre supérieur qui exigent ce sacrifice des vues personnelles. Le soldat à qui une consigne malencontreuse serait donnée se dira : « Le bien de la discipline générale exige que j’obéisse. J’obéis non à mon ollicier qui se trompe, mais à la patrie. « Le religieux dira de même : « Je n’obéis pas à l’homme, dont l’illusion me [tarait évidente, mais à Dieu, qui exige que j’immole dans ce cas mes évidences à l’illusion du supérieur.)> Et les cas sont-ils rares, où, ex[)érience faite, l’illusion n’était pas là où l’on croyait ?

Exemple. Abrités derrière une permission des papes, les Jésuites de l’Inde et de Chine ont toléré chez leurs néophytes certaines coutumes où ils ne parviennent pas à voir d’idolâtrie. Après une prali ()ue déjà longue, ils reçoivent l’ordre de supprimer ces tolérances. Us sont liés envers le pape par nu vœu d’obéissance très spécial. Ce vœu leur défend-il. en des cas graves, de faire des représentations et < ! < solliciter des délais ? Ils ne le pensent pas, et ils poussent très loin l’usage de ce droit : car il leur 1281

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seinl)le évident que, dans le cas présent, il y va de la ruine de leurs niissii)ns. Home entin leur l’ait entendre qu’elle n’admet [las leurs raisons, et que la eause est Unie. Ils ne voient |)as. Ils ne [)ar iennent pas à voir. Ils croient avoir pour eux l’évidenee eonlraire. C’est le cas de l’aire de l’obéissance meugle, et ils obéissent aveuglément. (Voir Dictionnaire de théologie calliolique, article Jliles Chinois par J. Brucker.) h) L’obéissance, ascétique et disciplinaire, ainsi conqirise, l’onl-ils transportée du cloître dans l’éducation ? L’eussent-ils souhaité, ils ne l’auraient pu, car sous l’Ancien ré} ; ime ils avaient surtout des externats. C’est assez dire que leur surveillance, quelque active qu’elle fût, trouvait assez vite ses limites. Quand des circonstances qu’ils n’avaient pas créées eurent introduit partout le régime des internats, il est certain qu’ils eurent un grand souci de la discipline. Ils y virent la sauvegarde des études et de la moralité. Cette rigueur dans l’ordre, cette obéissance si l’on veut, devait devenir entre leurs mains un instrument pour la formalion des caractèies. (Voir, sur leurs principes en pareille matière, la vie de quelques-uns de leurs grands éducateurs, comme celle de P. Olivaint par le P. Cli. Clair et l’ouvrage de E. Barbier, De la Discipline, Poussielgue). Sur les résultats, on peut consulter les notices consacrées à quelques-uns des anciens élèves des Jésuites comme CiiAUVKAi’, Souvenirs de l’Ecole Sainte-Geneviève, 3 vol., Paris, 187-2-1 8^15 ; Uwiv.rjbaj^. Elèves des Jésuites, Paris, 1882, 2 vol. ; Lorujuet, Souvenirs de Saint » Acheul, Amiens, 1828, etc. Ouvrages d’édilicalion, mais qu’on pourra compléter par l’article du P. V. TAMPii : Nos anciens élèves ; Etudes, 1900, t. IV.)

c) « Du moins, dira-t-on, l’esprit d’obéissance a toujours été leur trait caractéristique, beaucoup plus que le développement en liberté de toute l’activité Lumaine. Jusque sur le terrain intangible de l’intelligence et des idées, n’est-ce pas toujours le principe d’autorité qu’ils ont cherché à faire prévaloir ? Alors que tout, dans le monde moderne, s’orientait vers la libre recherche, ils ont imposé à l’Eglise une direction diamétralement opposée, celle de la soumission, racceptation aveugle des dogmes imposés du dehors. »

Il est exact que les disciples de saint Ignace ont toujours été dans l’Eglise, et de propos délibéré, les B tenants et les théoriciens du princi|)e d’autorité : de " là leur opposition constante au protestantisme, au jansénisme, au gallicanisme, au libéralisme, au modernisme. C’est leur faire trop d’honneur que de ne voir qu’eux en cette affaire, mais surtout c’est commellre un vrai sophisme historique. Défenseurs-nés de l’Eglise romaine, ils l’ont défendue telle qu’elle est, religion d’autorité, se disant infaillible dans son ordre. Toute la question est desavoir si elle se trompe. Kl ce serait ici tout le traité De Eçclesia et De Summo ponti/ice qu’il faudrait résumer. Quand les protestants et leurs copistes les attaquent sur ce terrain, de bonne foi est-ce à eux, n’est-ce pas plutôt à l’Eglise que les coups s’adressent ? Car ce ne sont pas leurs prétentions personnelles que les Jésuites défendent, mais les prétentions de l’Eglise.

Ont-ils été plus loin, poussant ainsi l’Eglise à l’intransigeance sur des domaines qui n’étaient déjà plus celui de la stricte infaillibilité dogmatique ? En d’autres termes, sur des terrains mixtes ou neutres, ont-ils fait preuve d’une juste etlarge liberté d’esprit, ou au contraire d’un soumissionnisme aveugle et facile ? C’est aux faits de répondre. Pour nous en tenir aux siècles passés, les théologiens comme Bellarmin et Sl’arkz nefonlpas l’impression d’intelligences entravées par l’obéissance de jugement. Mai.donat est

Tome II.

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un des exégèles les plus consultés aujourd’hui de l’ancienne école, un de ceux auxquels nos contemporains ont le plus volontiers recours, chez lequel ils trouvent le plus de leurs idées et les i)his fécondes. Dans l’ordre de l’iiisloire et du dogme, il en faut dire autant de pp. lAU, de.SiRMO.VD.desBollandistes. Autant de patrons pour un progressisme retenu, le seul qui fasse besogne durable. Et par ailleurs, ce que l’on reprochait à Molina et aux théoriciens du probabilisme, était-ce rattachement aveugle aux formes anciennes de la pensée ? N’nvaient-ils pas à se défendre précisément du reproche de nouveauté ?

Cette vie intellectuelle fut arrêtée au milieu du XVII » siècle. A qui la faute ? Aux controverses jansénistes, qui, pendant cent ans, allaient forcer le théologien à piétiner sur place, et les jésuites à répéter sur tous les tons qu’il fallait, dès lors qu’on se disait catholique, obéir à Itome. La controverse protestante avait en quelque sorte agrandi les horizons, excité les intelligences et secoué les torpeurs. La controverse janséniste eut juste un elïet contraire.

111. La morale relâchée. — On poursuit le réquisitoire. Il Les Jésuites, en même temps qu ils rétrécissaient le dogme, donnaient du large à la morale. La façon dont ils accentuaient le principe d’autorité risquait d’écarter de Home bien des esprits. Ils imaginèrent de retenir les foules en abaissant l’idéal et en facilitant la vie chrétienne. Maintenant, on pourra être excellent catholique et mauvais chrétien : bon catholique par la soumission d’esprit et l’attache aux Il œuvres », pratiques, dévotions, gestes extérieurs ; chrétien faible par la vie morale facile, mondaine, accommodée à l’esprit de siècle. » On le voit, c’est le fond des Provinciales, traduit en langage moderne.

Il Le Jansénisme, nous dit-on à ce propos, était une belle et grande réforme catholique, qui allait ramener l’Eglise et la foi à leur pureté primitive. La vie chrétienne en effet déclinait. Quelleen était la cause ? La casuistique moderne avec tous ses ressorts, probabilisme, direction d’intention, et le reste. Le mouvement général allait à diminuer la rigueur de la règle, à mettre la conscience en repos par une prati(iue facile et un minimumd’observances. Elle allait à établir une morale humaine et raisonnable qui ilattela nature au lieu de la combattre. Il serait injuste de s’en prendre aux seuls Jésuites. Ils n’ont ]>as, quoi qu’en dise Pascal, inventé la casuistirpie ni même le probabilisme. Ils ontélé cependant par leur nombre, leur mérite, leur intelligence, leur activité, les plus déterminés ouvriers de la transformation qui était seule capable de maintenir l’empire de l’Eglise sur le siècle. Et voilà pourquoi les Jansénistes, qui ne voulaient pas rompre avec l’Eglise, avaient tort de les séparer de l’Kglise et raison de leur imputer le relâchement. » (Voir l’article Pascal, de M. G. Lanson, dans la Grande Encyclopédie.)

(’e tableau d’ensemble soulève, lui aussi, bien des dillicultés.

a) D’abord il est injuste de ne voir dans les quatre derniers siècles qu’un mouvement de fléchissement moral. Les faits ne se prêtent pas à cette siinplilication. Si l’on compare l’élat de l’Eglise dans les cent ans qui ont suivi le concile de Trente, et dans les cent ans qui l’ont précédé, comment ne pas reconnaître un magnifique relèvement ? Or, il n’est que juste d’en faire honneur en partie aux Jésuites. Us sont pour beaucoup, en particulier, dans la réforme du clergé. Ils ont dirigé une foule de séminaires, organisés sur le prototype du Collège germani que, et si, en Allemagne spécialement, il y a eu de ce chef une réforme profonde, c’est à leurs collèges, séminaires, congrégations qu’on le doit. En France le mouvement fui retardé par les guerres de

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religion, et rejeté jusqu’au règne de Henri IV et de Louis XIII. U y eut alors une belle tloraison de vertus sacerdotales. Or, beaucoup parmi ceux qui furent la gloire du clergé de France avaient été les élèves des Jésuites, ainsi S. François de Sales, S. Pierre Focrikr, M. Olier. Berllle. Bovdon l’archidiacre d’Evreux, le B. Jean Eudes. Bénigne Joly le père des Pauvres, François db Montmorency Laval, premier évêque de Québec, etc. etc. Le mouvement s’arrêta, mais une fois Je plus, à qui la faute ? S’il est vrai que la vie sacramentelle est dans l’Eglise catholique la grande source des hautes vertus, qui l’a tarie ? Il faut encore répondre : le Jansénisme. Et ce n’est pas l’avis des seuls Jésuites. Saint Vincent DE Paul le disait dès 1 648 (Sainte-Beuve, A’or/-Borat, II, p. 191), et en 165ô, Mme de Choisv nous représente les mondains s’autorisant du fatalisme janséniste pour abandonner toute vie chrétienne (t. V, p. 72).

h) Il est vrai, il y eut vers ce temps-là une sorte d’épidémie de laxisme. Le mal était réel, puisque les papes ont dû condamner. Mais quels en sont les auteurs responsables, quelles en sont les causes ?

Notons d’abord que le laxisme est de tous les temps, comme le rigorisme. De plus, il sera toujours possible de trouver chez les moralistes des erreurs et des défaillances tenant aux préjugés locaux ; et, par exemple, que certains théologiens espagnols aient élé imlulgents à l’excès en matière de duel, ou les allemands en matière de jeiine, cela prouvera seulement que l’on ne cesse jamais absolument d’être de son pays.

Mais d’où vient que, dans le second quart du XVII* siècle, les défaillances se multiplient chez les casuistes ? Cela lient, a-t-on dit, à une réaction contre le jansénisme. <i Quelques adversaires de l’hérésie fameuse, dans leur zèle à combattre les sévérités outrées de ses conséquences pratiques, s’étaient laissé entraîner au delà des limites d’une sage réaction. ..ux tendances étroites de la secte, ils se trouvèrent amenés àopposer la tendance toute contraire d’un laxisme périlleux : de là certaines propositions hardies, inspirées par les exagérations d’un probabilisme mal entendu. » (Deshayes, art. Alexandre 17/, dans le Dict. de théol. calhol.. t. I, col. ^30.) Cette explication n’est fondée qu’en partie ; car un certain laxisme était antérieur à Jansénius. La Somme des péchés du P. Bauny fut condamnée dès 1630. Mais cette date nous marque justement le temps où disparaissent presque tous les grands moralistes jésuites. <^hez des auteurs comme Lrssius, L*YMNN, SUAHRZ.MoLiNA. l’on pourra bien Souligner des solutions contestables. Mai » aucune tendance générale au laxisme. Eux disparus, se lève une génération de compilateur^ ; , de vulgarisateurs, parmi lesquels le célèbre EscoB.vn(VoirD’K. Wkiss, P. Antonio de Escohar, … Fribourg, iiji 1, cfr. ^<H(/es, 10 février 1912, p. 553).. peine maintenant si, de loin en loin, apparaît un esprit vraiment original. La grande sève théologique est pour le moment tarie. Entre les mains de ces écrivains simplement estimables, laborieux, mais sans élan, que pouvait devenir la casuistique ?

Elle devait subir les lois inhérentes à sa nature. Comme toute chose ici-bas. elle portait en elle-même ses germes de décadence. Dans l’examen qu’elle est .amenée à faire des actes humains pour distinguer le permis et l’interdit, l’interdit siib gra^’i et l’interdit sub le.i’i, il lui faut diviser ce qui de prime abord apparaît confondu. C’est sa manière à elle de progresser. Elle ne vit que de distinctions. Il lui faut regarder les faits au microscope, et étiqueter avec une précision de plus en plus line les espèces morales.

Entre les mains d’un docteur éminent. elle anra peine à éviter l’apparence de la subtilité. En évitera-t-elle toujours la réalité, maniée par un théologien de fermeté moindre ? Et c’est ce qui est arrivé. Mais en pareille matière, la subtilité risque de mener aux solutions relâchées.

Il parut donc vers ce temps-là plusieurs écrits de théologie morale gâtés par plus de propositions erronées qu’on ne le voudrait, assez pour que les adversaires de la Compagnie pussent mener contre elle un bruit d’enfer, pas assez cependant pour qu’on put en conclure, comme on le faisait, à un système, et le P. G. Daniel écrivait très justement (Recueil de diters ourûges, Paris, i^i^. t. II. p. j^. Seconde lettre au P. Alexandre) : « U y a trois sortes (de décisions ) pour lesquelles on a prétendu convaincre les Jésuites de relâchement. Premièrement il y en a qu’on leur objecte comme relâchées, et qui ne le sont point en elTet, parce qu’elles sont conformes au sentiment général de tous les docteurs et de toutes les écoles catholiques et seulement opposées aux idées particulières de quelque théologien qui se fait un honneur et un mérite de se distinguer dans ses livres par l’atTectation d’une extrême sévérité… La seconde espèce de décisions… sont des extraits de leurs auteurs faits avec inlidélité. soit en retranchant des circonstances, soit en y ajoutant d’autresqui changent l’espèce, ou qui, détachés d’un article ou d’un chapitre, font une tout autre idée que lorsqu’on le lit dans l’endroit même d’où on les a tirés… Enlin l.i troisième espèce… sont quelques décisions tirées véritablement de quelqu’un de leurs théologiens qui, en effet, ne sont pas exactes… Sur ce dernier point, voici trois propositions que l’adversaire peut contredire s’il le veut, mais sur lesquelles on est prêt à lui apporter toutes les preuves qu’il désirera. Première proposition : Quand il est arrivé qu’un docteur jésuite a donné dans ses livres une décision évideraluenl mauvaise… le sentiment contraire a été aussi le sentiment commun des théologiens de la société. .Seconde proposition : quand un théologien jésuite a donné une décision de cette nature, ordinairement il a eu pour guide ou pour compagnon quelque docteur thomiste. Troisième proposition : Si en matière de morale, ou d’autres dogmes théologiques, on supputait les erreurs bien avérées qui sont échappées aux théologiens thomistes et aux théologiens jésuites dans leurs livres, la liste de celles des Jésuites serait plus courte notablement. »

Aussi S. Alphonse DR Liguori pouvait-il, en 1756, rendre aux victimes de Pascal le témoignage suivant : u D’ordinaire, j’ai suivi le sentiment des Jésuites, et non celui des Dominicains, car les opinions des Jésuites ne sont ni larges, ni rigides, mais de juste milieu. Et si je soutiens quelque opinion rigide contre tel ou tel écrivain jésuite, je le fais presque toujours en m’appuyant sur l’aulorité d’antres écrivains de cette Compagnie. C’est d’ailleurs d’eux, je l’avoue, que j’ai appris le peu que j’ai mis dans mes livres ; c^r, en fait de morale, je ne cesserai de le répéter, ils ont été, et ils sont encore les maîtres n (.’<omars i-56).

IV. l.a vie chrétienne. — On poursuit, i L’esprit catholique a été misa l’élroit par le dogmatisme jésuitique, et s’est atrophié. L’àine s’est atrophiée aussi, pour avoir élé mise au large par la morale facile. Car ce qu’il faut à l’être humain pour se développer normalement, c’est précisément ce que les Jésuites lui refusent, les larges espaces devant l’intelligence, et, devant le creur. une discipline sévère. Reste maintenant à nourrir cet être amoindri qu’est le catholique jésuitisé, et c’est à quoi sort la dévotion et les dévolions nouvelles, dont la formule est dans les Exercices de saint Ignace et dont Pascal 1285

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s’est moqué si à propos diius sa JA' provinciale. » Après la llK-oIogie <ies Jésuites, « iprès leur morale, après leur discipline, c’est leur ascétisme qui est en cause.

« ) II était assez de mode, aux débuts de la Conipa

jïnie, de voir dans les Exercices un manuel d’illuniiiiisme ou de magie. De nos jours, ils ont été l’objet <le crili(iues contradictoires. Des catholifiues leur reproclient de faire trop larye part à la raison, à la surveillance sur soi-même, à la niélliode, à l’cITort de ^ ulonle, i)as assez large au cœur et à l'élan de l'àrae, d'être exclusivement ascétisme, d’avoir contribué, par cet excès de rationalisme pieux, à enrayer, pendant trois siècles, le progrès delà n contemplation ». D’autres, des rationalistes, à la suite de Michelet. n’y trouvent que quiétisme. anéantissement de la volonté sous l’imagination mystique. Ce petit livre n’aboutit qu'à faire des rêveurs qui croient vouloir et qui sont menés par le dehors. C’est un manuel il’haUucination spontanée, oii tout est organisé pour conduire l’homme jusqu'à l’extase.

On nous montre ensuite les Pères organisant une petite religion mondaine au goût du siècle. Ils amusent les âmes, éprises d’idéal, en la nourrissant de bonbons pieux, de pratiques extérieures, d’une morale toute en surface ; et, grâce à eux, dans l’Eglise, les dévotions (.Mariolalrie, Sacré-Cœur, etc.) sont en train de tuer la religion. Lcvir arrhiteeture, le « style jésuite », exubérant et frivole, est le sj’uibole parl^ail de la vie chrétienne telle qu’ils la réalisent. Ainsi MicHBLKT, Taine et leurs copistes.

Une fois de plus, nous sommes en face d’une synthèse où entrent quelques faits mal observés et beaucoup d'à priori.

Et d’abord les E.rercices de saint Ignace ne sont un manuel d’extase, ou d’hallucination, ou d’imagination mj’stique, que pour ceux qui les lisent avec les yeux de Michelet. D’un bout à l’autre, au contraire, ils sont un appel instant et intense à la rcllexion et à la volonté. Bien loin de tout orienter vers l’imagination, Ignace, au début de chaque méditation, endigue cette faculté envahissante et capricieuse par ce qu’il appelle la « composition de lieu ». Il l’exploite aussi, car. toute dangereuse qu’elle est. cette l’acuité est une force qu’il ne faut pas laisser perilre : il l’amène à travailler au perfectionnement surnaturel de l’hoinnie au moj’en des applications lies sens. Tout, dans ce petit manuel dévie parfaite, et même la sensibilité et l’imagination, contribue à raffermir le vouloir et la résolution, en attaquant la mauvaise nature et les alTections déréglées. Un critique protestant l’a reconnu naguère. « les Exercices sont liien un dressage spirituel, mais où les multiples prescriptions et la contrainte imposée au retraitant.iboulissent à fortilier la volonté, à lui donner à la fois élasticité et résistance, à la rendre capable de dominer ses impressions et ses imaginations. Bien loin de déprimer l’esprit et d’amoindrir la personnalité, elles accroissent la liberté et la force moi-ale)) (K. HoLL, /)ie geistlichen Uehiingen des I. von L.. Tiibingen, igo.5, 8° ; cf. Analecta Bolland., t. XXVI.

p. |52).

Ou’on fasse maintenant ce que Pascal aurait dû faire.ivant de bâcler sa IX « Provinciale, où il juge toute la dévotion jésuitique sur deux ou trois opuscules ; qu’on inventorie la littér.iture ascétique de la Compagnie, laquelle, en grande partie, commente les Exercices, ou s’en inspire, qu’on lise en particulier les ascètes français à peu près contemporains du premier Jansénisme, , Saint-Jire, Surin, Caussin.BaLiN’c.uiîM, Haymkui-viî, Suffren. Lb GArpiER, sans parler des Espagnols, Locisdela PLKNTR(Dni)ont), da Palma. Nierembbrg, Rodrigcb/., etc., tous gens dont

l’austérité ne saurait être atlrilmée à une infdtration janséniste. On pourra çà et là discuter le style ; car on n’est pas impunément contemporain des Précieuses. Mais, dans son ensemble, l'école ascétique de la Compagnie n’a point attendu l’exemple de PortRoyal, pour être austère. Elle pousse à l’action, à la lutte méthodique contre les défauts, revient sans cesse à l’examen particulier, cette méthode de perfectionnement intérieur dont Franklin se trouvait bien, et qui suppose une vigilance singulièrement active sur soi-même. A coup sur, des auteurs comme ceux que nous avons cités, ou encore comme BelleCIUS, JUDDB, BoURDAt-OlE, La Colombièrb, Nouet, Grou, Berthier, Caussade. Chaignon, Uavignan, Meschlkr, et vingt autres, ne donnent aucunement l’idée de gens rêveurs déshabitués de la lutte. Us la donnent même si peu qu’actuellement des catholiques leur reprochent d’exagérer le « combat spirituel ».

//) Dans le même ordre d’idées, les protestants ont beaucoup reproché aux Jésuites d’avoir développé dans l’Eglise les « dévotions », les petites pratiques, d’avoir inventé l’Immaculée Conception, le SacréCœur, etc. (^Encyclopédie des sciences religieuses, au mot Jésuites'). On va répétant par exemple : « Il y a dans leur conception de la religion et dans les formes de dévotion qu’ils ont préconisées, quelque chose de radicalement contraire au véritable esprit chrétien évangélique » (Hevue historique, igio, p. 167, tome CIV). On a parfaitement raison, si ce « véritable esprit chrétien évangélique » s’identilie avec le protestantisme. Mais qu’en est-il, si l’identiCcation est fausse ?

Il y. a dans cette assertion courante un point de fait et un point de droit. En droit, la forme « dévotionnelle ') delapiété est-elleconformeà l’espritchrétien ? C’est toute la question du culte extérieur, du culte de la Vierge, du culte des Saints, qui est soulevée, et par surcroit toute celle de l’utilité des bonnes œuvres. Xous la supposons résolue par ailleurs. (Huby, Christus, p. 8.'55-855, 898-908, ga^-gSS.) Mais, en fait, quel a été sur ce terrain le rôle des Jésuites ?

D’abord, ils n’ont rien inventé du tout. Ils ont trouvé la dévotion à la Sainte Vierge florissante dans l’Eglise, de temps immémorial ; mais ils l’ont propagée.. quoi leur ont servi leurs innombrables congrégations. Ils l’ont défendue en théologiens contre les attaques protestantes et les insinuations jansénistes. Pour leur en faire un crime, il faudrait prouver : 1" que cette dévotion est sans fondement doctrinal ; 2" qu’elle entrave le développement normal de la vie chrétienne, faite de sacrifice vrai et de dévouement ; — et, cette preuve, l’a-ton jamais fournie ? (Sur le rôle des congrégations et leur iniluence morale, voir Delplacb, S. J., Hist. des f^ongr. de la S. Vierge, Lille, 1884 ; de Grakdmaison, /. » Congrégation, Paris, 1889.)

Us n’ont pas davantage inventé l’Immaculée Conception, depuis des siècles déjà formellement enseignée dans les Universités ; mais ils se sont fait un honneur de la défendre, et ont par là contribué à hâter la déflnition de 185/|.

Quant au Sacré-Cœur, s’ils en ont été, au xyiii" et au XIX' siècle, les hérauts convaincus, ils n’en ont pas le moins du monde été les inventeurs : i" parce que la dévotion, à l'état privé et individuel, existait bien avant eux (Bainvel, f.a Dévotion au Sacré-Cœur de Jésus. Doctrine. Histoire, 3* édit., 1911) ; a" parce que, lorsqu’ils voulurent en faire une dévotion publique et populaire, leurs supérieurs s’y opposèrent énergiquenienl. (A. IIamon, Vie de la Bienheureuse Afarguerite-Marie. "Paris, 1907, p. 432.) Mais quand la dévotion commença d'être agréée à Rome, leur grand souci fut de prouver que, nouvelle en apparence, 1287

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elle n’était au fond qu’un développement très légitime de l’indispensable dévotion au Verbe incarné.

D’une façon générale, on peut dire que, lorsque les Jésuites ont paru dans l’Eglise, la grande ellloreseence de ce qu’on appelle les « désotions » durait déjà depi’is trois cents ans.

La piété chrétienne, immuable dans son fonds, n’est pas immuable dans ses formes extérieures. Purement liturgique et symbolique dans le Laut moyen âge, elle était devenue auxin* siècle plus scolastique et plus doctrinale. Mais bientôt, sous l’influence des ordres mendiants, les cultes affectifs et mystiques de la Passion, de l’Eucharistie, de la Sainte Vierge, sans rompre leurs attaches tra<litionnelles, liturgiques, dogmatiques, avaient tendu à se développer à pari. Et, à chaque tournant de la piété, l’art avait pris une orientation nouvelle (Voir E. Mâle, L’art religieux du XIII’siccle, Paris, 1898 ; L’art religieux de ta fui du moyen tige, 1908).

Il y eut des exagérations, par où cette piété du moyen âge finissant prêta le flanc aux accusations des novateurs. L’ignorance aidant, les « dévotions » coururent le risque d’être noyées dans la superstition. Le rôle des Jésuites (et des autres) fut alors de les défeiidre dans ce qu’elles avaient de légitime, de mettre plus en lumière leurs bases dogmatiques (SuAREz, sur la Sainte Vierge, dans son De Mysteriis i’iiæ Christi), de les présenter pour ce qu’elles sont, la fleur vivante et féconde de la doctrine, d’en faire les auxiliaires de la vie chrétienne et de les protéger contre les exagérations compromettantes. Si, dans l’action des Jésuites, en pareille matière, les protestants et les copistes de Miebelet voient outre chose, c’est qu’ils ont des « dévotions catlioliqucs » une notion absolument inexacte.

En un mot, l’action des Jésuites dans l’Eglise a été. par les historiens, exagérée et dénaturée. Exagérée, car on les a faits plus puissants et plus influents qu’ils n’étaient. Dénaturée, car on leur a prêté l’iniliative de mouvements qui avaient coumicncé bien avant eux. Ce qui est vrai, c’est que, le plus qu’ils ont pu, ils ont suivi l’imimlsion venue de Rome. Ils ont cherché à y subordonner leur action. C’est là ce qui fait la véritable unité de leur histoire. C’est ce qui donne la clef de presque toutes les attaques dont ils ont été l’objet.

BiBLioGRAi-niE SOMMAIHE. — Les ouvragcs marqués d’une astérisque sont en cours de publication.

I. — Aug. cl.. de Backer, S. J., Bibliothèque des écrivains de la C. de J., 3 in-f°, iSOg-iSyG ; C. Sommervogel, S. J., Hihliothi’que delà C. deJ., loin-^ », 1890-1909 ; A. Carayon, S. }., Bibliographie historique de la C. de J., in-’i", 186/1.

II. — Tkxtiîs. — * Monumenta hislorica Societatis Jesu, Madrid, 18y^ ; S. Ignace, Exercitia spiritualia, édit. du P. lioothaan, 1831 ; Constitutiones Soc. Jesu, hispanice et latine, f, Madrid, 1893 ; Epislolae, 12 vol. (.Vo «. hist. Soc. Jesu), 1903-1912 ; fnstifulum Soc. Jesu, 2 in- : î°, Rome, 18C9-1870 ; Pæhtler, Hatio studiorum et Institutiones scholasticae Soc. Jesu, 4 in-8°, dans les Monumenta Germaniæ pædagogica, Berlin, 188, ’)-189.5.

III. — Histoire. — D. Bartoli, S.J., Histoire de S. Ignace (1650). traduction J. Terrien, 2 in-S", Lille, 1893 ; A. Brou, Saint François-Xavier, 2 in-S", Paris, 191a ; P. Suau. Saint Vrançols de Borgia, in-80, Paris, 1910 ; Orlandini,.Sncchini, Jouvancy, Cordara, Ilistiiriæ Socictatis Jesu, Pars prima… part secunda, etc., I()15, 1620, 1622, |652, 1661, 1710, i^-’io, 1899, in-folio ;.V. Carayon, S. J., Documents inédits surla C. c/e./., 1 863- 1886, 23 vol. ; Cretineau-Joly, Hist. de la C. de J., 1861, 6 vol. in-S" ;

  • A. Astrain, Ilistoria de la C. de J. en la Asistencia

de Espana, Madrid, 1902, etc. ; ’B. Duhr, Gescliichte (ter Jesuiten in den Landen deutscher Z » n^e, Fribourg, 1907, in-8° ; ’H. Fouqueray, H. de ta C. de J. en France, Paris, 1910, in-S" ; *ï. Hugues, Ilistory of tite Soc. of Jésus in Aorth America, Londres, 1907, in-8° ; Tacchi Venluri, Storia delta C. di J. in y< « /ia, Rome 1909, in-80 ; ’A. Kroess, Geschichte der Bôliniischen Provinz… Opiz. 1910, in-8° ;

  • J. Burnichon, La Compagnie de Jésus en France,

Histoire d’un siècle, 1811-t9li, t. I", Paris, 191/1, in-8°.

Sur le livre de Boehmer, Le.s yés » ifes, traduction de C. Monod (1909). voir les articles de Castillon (Etudes, 20 janvier 1910)et J. Brucker (20 déc. 19 10. 20 août 1912).

IV. — Antijésuitisme. — Voir dans la Bibliographie de Carayon, pp. 387-587. la liste des satires jésuitiques et celle des apologies. Les plus célèbres de ces pamphlets, parmi ceux qui ont été écrits en fiançais, sont les suivants : Plaidoyé (sic) de M. Antoine Arnauld… 169/4 ; Et. Pasquier, Le Catéchisme des Jésuites, 1602 ; B. Pascal, Les Provinciales. 1656-1657 (voir les éditions U. Maynawi et Molinier) ; La morale pratique des Jésuites (16691695) dans les œuvres d’Arnauld, Lausanne. 1776. t. 82 ; [Gazaignes]. Annales de ta Société des soidisant Jésuites, Paris, i-^ûti-i’j&ij.ltin-li ; LaChalotais, Compte rendu des Constitutions des Jésuites. 1762 ; Miclielet et Quinet, Les Jésuites, in-8°, 1843.

. — Dih’ENSE DES JÉSUITES. — Cr.DanJel, Entretien S de Cléandre et d’Eudoxe sur les Lettres du provincial, lôy/i ; de Ravignan, de l’Existence et de l’Institut des Jésuites, Paris, 1844. in-S" ; A. Cahour, Des Jésuites, par un Jésuite, 2 in-12, Paris, 1844 ; B. Duhr, Jesuiten fahetn, Fribourg, 4’édit. 1904, " A. Brou, La Compagnie de Jésus (collection Science et Uetigion, Paris, 1903) et Les Jésuites de ta Légende, 2 in-12, Paris, 1906-1907 ; U. Maynard, Les Provinciales et leur réfutation, 2 in-8°, 1851 ; Pilatus (Naumann), Der Jesuilismus, Ratisbonne, 1905, in-8’ ; etc. Alexandre Brou, S. J.