Dictionnaire apologétique de la foi catholique/Investitures (Querelle des)

Dictionnaire apologétique de la foi catholique
Texte établi par Adhémar d’AlèsG. Beauchesne (Tome 2 – de « Fin justifie les moyens » à « Loi divine »p. 551-558).

INVESTITURES (QUERELLE DES). — Notion de l’investiture. — Origine de l’investiture laïque.

— Conséquences de l’investiture laïque. — Préludes de la réforme. — Condamnation de l’investiture laïque. — Opposition aux décrets condamnant

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l’investiture. — Solutions de la querelle des investitures en France et en Angleterre. — Solution de la querelle dans te Saint Empire. — Bibliographie.

Notion de l’investiture. — Très usité dans la langue courante du ix= au xii" siècle, le terme iViiestire signitie « mettre en possession » et s’applique à tout ce qui peut être possédé. Quiconque vend, donne, restitue une propriété déclare s’en dessaisir (se exire, guerpire, devestire) et en faire la remise (vestitura) au nouveau propriétaire. Du bien cédé non en propriété mais en bénélice ou en précaire, le bénéficier ou précariste est dit lui aussi « investi » (testitus).

Presque toujours une cérémonie symbolique exprime la traililion du bien. Il est représenté par un objet quelconque, couteau (culleltus). gant (maiiica), morceau de bois (festiicu), dont le bailleur fait livraison matérielle à celui qu’il investit. Souvent ce gage est en rapport avec la nature du bien cédé. Ainsi une jiropriété foncière sera figurée par une touffe de gazon arrachée de terre (cespes), un arbuste qu’on remet sur place aux mains du nouveau détenteur. A cette époque où la plupart des églises rurales sont tenues pour une propriété j>rivée, le don ou la vente d’une de ces églises s’exprime ainsi : les deux parties se rendent dans l’église, l’ancien propriétaire en fait ouvrir la porte par le nouveau (lestitus per ostium, per ctaves, postes), et enroule autour de ses mains la corde de la cloche (per signum, per corda signi hærentia).

Origines de l’investiture laïque. — Conformément à ces habitudes, tout jiropriétaire d’église, quand il en accorde la jouissance bénéficiaire à un clerc ou à un laïque, l’en investit par une cérémonie symbolique. Le grand propriétaire cède en bénéfice l’église de son domaine à un clerc qu’il a fait ordonner par l’évêque diocésain ; de cette église dont il devient le desservant, le clerc reçoit investiture des mains du propriétaire laïque. Cet usage fut aussi étendu, au cours des ix » et x’siècles par les rois et dès la fin du x" siècle par certains seigneurs usurpateurs des droits régaliens, aux évèchés et aux abbayes dont ils se considéraient comme propriétaires.

Au ix’siècle, les évêehés sont en fait sous le haut domaine (dominium) du roi. La charge pastorale n’est pas distinguée du temporel dont la libéralité des rois et des fidèles a enrichi les églises épiscopales. Outre des biens fonciers très étendus dont une part provient du fisc royal, le patrimoine ecclésiastique comprend des droits de douane, de marché, de monnayage, de justice, des chàteau.x, territoires, parfois le comté de la cité épiscopale, qui sont des droits régaliens (regalia), cédés par le souverain à l’église. En vertu de l’immunité qui soustrait les domaines ecclésiastiques à toute ingérence des agents royaux, l’évêque en est le seul administrateur et ne relève que du roi. Un évoque a donc, au point de vue temporel, une autorité égale à celle d’un comte ou d’un gran<l seigneur. Aussi le roi considère l’évêelié comme un honneur (honor), un bénéfice (hene/icium), analogue aux comtés et bénéfices qu’il accorde à ses fidèles.

En raison de la richesse, de l’influence sociale et religieuse des évê<iues, et parce que le roi est le principal bienfaiteur des églises, le pouvoir royal s’arrogea le droit de disposer des évèchés. Passant outre aux règles canoniques qui prescrivent une libre élection par le clergé et le peuple, le roi nomme le plus souvent directement l’évêque. Quand il a i>ermis une libre élection, elle n’est souvent qu’un

simulacre, l’assemblée électorale se contentant d’approuver le choix du roi. Celui-ci remet à l’élu l’évêché qui, pendant la vacance, est resté en ses mains, a été administré par lui et dont il percevait les revenus.

De même au ix* siècle, les monastères exempts de l’autorité épiscopale sont dits monastères royaux et sont tenus pour propriété du roi. Il les donne en bénéfice à des fidèles, souvent à des laïques, au mépi-is des règles prescrivant l’élection de l’abbé par la comumnauté des religieux. Quand il autorise l’éleclion, c’est encore lui qui donne l’abbaye au moine élu.

Le souverain s’étant ainsi saisi du haut domaine des évèchés et abbayes et du droit d’en disposer à son gré, en fit tradition suivant les formes usitées pour la cession à titre de bénéfice d’un bien quelconque. L’évêque ou l’abbé fut mis en possession de son évèché ou de son abbaye comme il l’eût été d’un bénéfice ordinaire, par la remise d’un objet symbolique. Le coUateur île l’évèché investit le nouvel évêque par la crosse et l’anneau. Ces insignes sacrés, que d’autre part l’évêque recevait à son sacre des mains du |u-élat consécrateur, furent le signe matériel représentant l’évèché dans la cérémonie d’investiture laïque. Peut-être cette formalité apparut-elle déjà au IX’siècle. Elle devint sans doute d’usage courant seulement au cours du x=. Au xi’siècle, l’investiture laïque est usitée dans tous les pays chrétiens. L’empereur dans les pajs d’Empire (Germanie, Lorraine, royaume de Bourgogne et de Provence, Italie du Nord), le roi de France dans le domaine capétien et hors du domaine dans quelques régions du royaume, les seigneurs locaux dans d’autres régions fi-ançaises, les rois normands en Angleterre et en Normandie, investissent par la crosse et l’anneau les évêques régulièrement élus ou plus souvent désignés par eux.

Conséquences de l’investiture laïque. — Le fait que l’investiture de l’évèché est donnée par des emblèmes sacrés, la crosse et l’anneau, n’est que secondaire, encore que plus tard les réformistes aient eu beau jeu de montrer le caractère sacrilège de cette cérémonie. L’abus le plus grave, c’est qu’un laïque maître de l’évèché en fasse le don que symbolise la tradition des insignes sacrés. Par là est supprimée en fait l’élection, seul mode régulier que les canons aient jusqu’alors prévu pour la désignation des évêques. C’en est fait aussi du contrôle exercé par l’épiscopat sur le choix des nouveaux prélats. L’archevêque de la province est tenu d’obéir au roi qui lui envoie l’ordre de sacrer le clerc à qui il a donné investiture de l’évèché. A supposer qu’une élection régulière ait eu lieu, le métropolitain ne peut procéder à la consécration avant que le roi ait, de son plein gré, consenti à investir l’élu et à permettre de le sacrer. L’investiture supprime donc toutes les garanties prévues par les canons pour que de dignes évêques président aux églises. Le souci de la charge pastorale s’éclipse devant les préoccupations séculières. Au lieu de voir d’abord en la personne de l’évêque le chef d’une église et le pasteur d’un troupeau, le souverain laïque aperçoit surtout en lui le détenteur d’un lot considérable de domaines, d’une importante seigneurie, et se [)réoccupe avant tout de procurer l’évèché à un fidèle serviteur.

L’investiture laïque engendre d’autres abus, dont le plus criant est la simonie. Les rois, les seigneurs propriétaires d’évècliés en firent souvent trafic. Il ne manqua pas de clercs, appartenant à de riches familles, pi’êtsàacheter un évèché, des abbayes. Les rois et seigneurs sont bien aise d’avoir une occa1003

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sion lie réaliser quelques prolits, en délivrant l’évêclié moyennant de l’ar^’ent ou des liiens-fonds. Au conmienceiuent du xi « siècle, llenaud, évéquo d’Angers, déclare qu’il n’est pas vrai que son père iiit acheté pour lui l’évèché en livrant le patrimoine familial au comte d’Anjou, Geoll’roi Grisegonelle. L’Iiistoriograiilie de l’église du Mans célèbre comme une sorte de prodige l’avèneiuent de l’évêque Mainard, alors que tant de candidats, dit-il, étaient prcls à acheter le siège cpiscopal. Son successeur, Scgeiifride, a livré un domaine important, appartenant à l’église, à Koulques d’Anjou alin qu’il lui procure l’évèclic. L’empereur Henri 1Il tenait en plein synode ce langage aux évêques allemands :

« Corrompus par l’avarice, vous avez acheté et

vendu la grâce divine. Et mon père lui aussi (Conrad 1^, pour l’âme duipiel j’ai de grandes imiuiéludes, a succombé à l’avarice. » Les évcques, dit Kaoul Gi.abbk V, XXV, édit. Prol’, p. l’ili), étaient saisis d’ell’roi à ces reproches, car ils n’avaient rien à y répondre. Ces prélats, qui avaient acheté leur ééché. vendaient à leur tour les chaiges inférieures. Le même chroniqueur dit qu’en Italie, les charges ecclésiastiques se négociaient comme les marchandises sur la place publifjue a qtuisi in foro seciilaiiii mercitnonid » (ilncl.). temps des conciles réformateurs de la cli’uxième moitié du xi* siècle, un grand nombre d’évêques seront déposés comme simoniaqnes, et souvent les coupables arguaient de leur bonne foi. Il se serait rencontré même un clerc romain, l’archidiacre Jean, que Haoul Glaber appelle « vir religiosissimiis ac saiictitate perspicuus « V, xxvi, p. 135), et qui, pour arracher le siège de saint Pierre aux indignes poutil’es qu’y établissaient les barons romains, aurait fait lui-même un marché simoniaque et ne serait devenu pape, sous le nom de GnKGOinB VI, qu’à [irix d’argent.

Les prélats, qui devaient leur charge au caprice ou à l’avarice des rois ou des seigneurs, étaient malaisément de bons évêques. L investiture laïque procurait la charge pastorale à maints prélats indignes. Ils avaient ])lutot les goûts, les mœurs d’un séculier, d’un baron féodal, que les qualités d’un pasteur d’àmes. Les membres des grandes familles seigneuriales peuvent seuls prétendre à ces dignités. Le roi souhaite avoir des évêques qui remplissent bien leurs devoirs de vassaux, qui soient prêts à l’assister dans ses expéditions ; il n’a pas toujours égard aux vertus, à Li science des candidats. Sans doute, parmi les évêques investis par les rois et empereurs, il se rencontre de dignes et saints prélats. Ceux que choisissent les empereurs sortent fréquemment de l’école du palais, sont souvent des clercs instruits et pieux. Mais d’autres prélats sont inaptes à remplir leur charge et mènent une vie peu édifiante.

Ceux-là naturellement ont peu souci des mœurs de leur clergé. Un grand nondtre de clercs, chanoines des chapitres, prêtres des paroisses, ont cessé de pratiquer le célibat. Le mariage des clercs est sur le point de passer dans les mœurs, dans l’église d’Occident.

Préludes de la réforme. — L’investiture laïque des charges ecclésiastiques est le signe le plus sensible de l’envahissement de l’Eglise par la société séculière, la cause profonde des vices, simonie, incontinence du clergé, contre lesquels se dessine dès le commencement du xi’siècle un puissant courant de réforme. Longtemps les réformateurs ont combattu les diverses manifestations du mal avant de s’en prendre à la racine. Les moines de Cluny se sont faits, avec l’appui des souverains qu’ils s’ellorcent d’intéresser à leur campagne, les agents de la

réforme des mœurs dans les cloîtres et hors des cloîtres ; mais ils ne combattent que la simonie et le nicolaïsme, c’est-à-dire l’incontinence des clercs. Aussi longtemps en ellel rjue la réforme ne pouvait être entreprise qu’avec l’appui des rois et des seigneurs, il ne fallait pas songer à leur disputer le droit de disposer des évêchés. Les réformistes se bornent à demander aux souverains de permettre une élection canonique et n’élèvent aucune protestation contre l’investiture laïque.

La papauté a été ad’ianchie du joug des seigneurs de la campagne romaine par Heishi 111, qui prétend dès lors choisir lui-même les papes. Liio.v IX dénie ce droit à l’empereur, et Nicolas II j)romulgue le décret qui réserve l’élection du pape aux cardinaux. La papauté ainsi libérée ju-end la direction du mouvement réformiste ; mais elle se contente aussi d’abord de combattre les deux hérésies du temps, la simonie et le nicolaïsme.

En I074) au premier synode romain qu’il ait présidé, GnKGoiiiE VU renouvelle simplement les décrets de réforme rendus par ses prédécesseurs : « Quicon([ue a obtenu à prix d’argent une charge ecclésiastique, la perdra. Quiconque est coupable de fornication, s’abstiendra de remplir les fonctions sacrées. » Tel est encore au début de son pontilicat le programme d’Hildebrand, exactement semblable à celui de tous les pontifes réformateurs dont il avait été le conseiller depuis l’avènement de Léon I..

Les dillicultés inattendues qu’il rencontra obligèrent Grégoire VII à transporter le débat sur un autre terrain, celui de l’investiture. En Allemagne, Hbnhi IV, en dépit de ses promesses, pratique couramment la simonie ; les évêchés sont mis par lui à l’encan. Au reste, la libre élection, ijuand elle est concédée parle souverain, n’empêche pas les marchés simoniaqucs, car le roi ne donne l’investiture de l’évêclié à l’élu que moyennant tinances. Grégoire VU, instruit ])ar l’expérience tant des années où il inspirait la i)olilique de ses prédéeesseurs, que des premiers temps deson propre pontilicat, s’aperçut que l’investiture laïque était le principal obstacle à la liberté deséglises et à l’épuration des mœurs du clergé. hedominium des rois sur les évêchés et la concession qu’ils en font à des clercs choisis par eux parurent dès lors au pontife incompatibles avec son i)lan de réforme. C’est ainsi que Grégoire VU fut amené à s’en prendre à l’investiture, signe de la possession des églises par le pouvoir laïque et symbole du don fait de l’évèché aux mains de l’évêque par Pautorité séculière.

Condamnation de l’investiture laïque. — Au synode romain tenu du 2/4 au u8 IV rier 1076, Grégoire VU promulgue le célèbre décret qui va soulever le grandiose conllit qu’on appelle la qucrelle des investitures.

« Quiconque à l’avenir recevra Je la main d’un laïque

un évéché ou une abbaye, ne sera pas comjilé parmi les évêques et les abbés. Nous lui interdisons la communion du Ijienheureux Pierre et l’entrée de l’Eglise tant qu’il ne renoncera pas à sa dignité. Nous faisons la même défense relativement aux charges inférieures. De même si un empereur, duc, marquis, comte ou quelque povivoir ou personne laïque ose donner l’investiture d’un évéché ou de quelque avitre dignité ecclésiastique, qu’il sache qu’il est atteint par la même condamnation, n Telle est bien la portée, sinon la lettre du décret, car il semble qu’HiGUES db F1.AVIGNY dans sa chronique (Monamenta Germaniae, Scriptures, t. VllI, p. 4 12) ne nous en ait pas conservé le texte authentique.

A plusieurs reprises, Grégoire VII et ses successeurs 1095

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renouvelèrent l’interdiclion faite aTix princes de donner, aux clercs de recevoir l’investiture. Au concile de Clermont, Urbain II ajouta à ces deux décrets un nouveau canon qui défendait aux évêques et aux prêtres de prêter à un souverain l’Lommage lige.

Les polémistes du parti pontilical ne manquèrent pas de représenter qu’un laïque ne peut toucher la crosse et l’anneau et faire tradition par ces insigrnes sacrés d’une charge spirituelle. Ce n’est pas seulement, au reste, le mode sacrilège de l’investiture qui est proscrit, mais aussi toute investiture séculière d’une cliarge ecclésiastique, c’est-à-dire le don l’ait par un laïque à un clerc, à un moine, de l’église rurale, de l’évèché, de l’abbaye. Le pape dénie aux souverains le dominium qu’ils ont usurpé sur les églises. Elles ne sont pas la chose d’un roi ou d’un seigneur. Non seulement elles ne doivent pas être achetées ou vendues, mais elles ne peuvent être données par un prétendu propriétaire. Elles sont libres ; l’élection faite suivant les règles canoniques peut seule, avec la consécration, conférer à un clerc la charge épiscopale.

Les papes, on le voit, n’ont nullement songé à c inQsquer pour le siège romain le droit qu’ils refus ; ntaux souverains. Grégoire Vllne revendique pour la papauté ni le dominium des évêchés ni la nomination des évêques. L’investiture est condamnée parce qu’elle fait obstacle au libre jeu des règles canoniques et asservit les églises aux laïques. Grégoire VII et ses successeurs se sont proposé de rétablir l’ancienne discipline, de restaurer la liberté des élections épiscopales, d’affranchir les églises du pouvoir séculier par pur sentiment des devoirs de leur charge, sans rien prétendre poiu* eux-mêmes et sans la moindre arrière-pensée de domination.

(1 n’est pas douteux que le droit ecclésiastique et aussi l’équité et la logique ne soient d’accord avec ces décisions ponliiicales. Les souverains ont fait un abus évident de leur autorité, en saisissant le dominium desabbayeset évccliés, sous prétexte que ce temporel constitue de véritables seigneuries, qu’il provient en partie de libéralités royales et d’une sorte de démembrement de l’autorité publique. Les biens ecclésiastiques, si considérables qu’ils soient, encore qu’ils comprennent des droits régaliens, ont été cédés au clergé et aux moines en toute propriété, par une irrévocable donation et sans aucune réserve. La charge spirituelle est l’essentiel de l’évèché et par conséquent la discipline ecclésiastique en doit régler la collation : le patrimoine attaché à cette charge en est une simple dépendance. Il n’est pas équitable de renverser les termes, de donner à la seigneurie la préférence sur la charge pastorale, de régler le spirituel en fonction du temporel, comme le fait l’investiture laïque. C’est ce qu’exprime nettement, dès io58, le cardinal Humbbbt : a La dignité épiscopala réclame le temporel (pussessio) ; ce n’est pas le temporel qui entraîne à sa suite la dignité épiscopale. » III, 2, Libelli, t. : , p. aoo.)

Opposition aux décrets condamnant l’investitare. — Si les décrets pontificaux sont appliqués dans toute leur rigueur, ils entraînent la dépossession des rois ou seigneiu-s, maîtres par l’investiture des évêchés ou abbayes. Un brusque retoiu- en arrière ramène le droit ecclésiastique à ses sources. Grégoire Vil, au nom des libertés imprescriptibles de l’Eglise, refuse de tenir compte d’une évolution deux fois séculaire ; il déclare nuls des droits dont les princes ont possession elTeclive et qu’une longue usurpation faisait tenir pour légitimes aux yeux mêmes de certains clercs savants et pieux. Le patrimoine des églises en terres, châteaux, territoires.

comtés, constitue en fait une sorte de flef à la disposition des princes ; or ces seigneuries ecclésiastiques, le pape prétend les arracher à l’organisation féodale et monarchique avec laquelle elles font corps. Grégoire VII interdit au roi de donner, au clerc de recevoir l’évèché comme si c’était un ûef séculier, et Urbain II achève de dégager la portée de la réforme en interdisant au clerc de prêter l’hommage lige, que doivent à leur suzerain les vassaux lorsqu’ils reçoivent un fief.

Une révolution aussi soudaine, aussi désastreuse pour l’autorité temporelle des souverains, devait soulever de leur part une opposition formidable. Si l’on songe au nombre et à l’importance des évêchés, abbayes, considérés comme seigneuries ecclésiastiques, on conçoit que les rois n’aient pu accepter de bonne grâce une décision qui les privait de 1# part la plus considérable de leur autorité et de leurs revenvis. Les seigneuries laïques, détenues héréditairement parles puissantes familles féodales, leur échapr peut. Seule, et grâce à l’investiture, la féodalité ecclésiastique des évêques et abbés est maintenue dans la dépendance du souverain qui les a pour^nis lui-même de leur charge et seigneurie.

Le plus puissant des souverains du temps, l’empereur du Saint Empire, est précisément le plus atteint par la condamnation portée contre l’investiture laïque. C’est en Allemagne que l’édifice temporel des églises est le plus développé. Les prélats allemands, plus riches qu’en aucun autre pays, gratifiés par les empereurs de domaines étendus sur d’immenses territoires, investis presque toujours du comté de la ville épiscopale, font largement contrepoids aux vassaux laïques fort indisciplinés. Si en Allemagne la royauté perd la disposition des évêchés et abbayes, c’en est fait en ce pays du pouvoir monarchique.

Aussi, c’est de la part des empereurs d’Allemagne que la résistance a été la plus vive. Henri IV s’obstinant à donner l’investiture des églises vacantes, Grégoire VII jette sur lui l’anathème..-abandonné des siens, l’empereur désarme à Canossa le pontife par l’appareil extérieur de son repentir ; mais sitôt qu’il a vaincu l’insurrection des seigneurs saxons, il se dégage de ses promesses, distribue de nouveau à sa guise abbayes et évêchés..Vu second nuathème qui le frappe et à une nouvelle sentencededéposition, Henri IV répond, comme il l’avait voulu faire d’ailleurs déjà avant l’entre^Tie de Canossa, en prétendant, lui aussi, déposer le pape, auteur de cet outrage à la dignité d’un roi qui ne relève que de Dieu. Il lui oppose un antipape, Guibert de Ravenne. Dès lors aux questions débattues s’ajoutait celle du droit auquel prétend le roi de créer les papes et du droit des papes à déposer les rois. Grégoire VU est assiégé dans Rome ; délivré par les Normands, il s’enfuit et meurt à Salerne (20 mai io85). Le schisme se perpétue sous Victor III (1086-87) et Urbain II (1088-99), et no prend fin que sous Pascal II.

Les papes, menacés dans Home par les armées impériales et la féodalité italienne, alliée des Césars germaniques, sont à la merci d’un coup de main, et plusieurs pontifes, Pascai. Il (i 099-1 1 18), Gélasb II (11 18-19) °’^' ^’^ obligés de fuir jusqu’en France, qui devient pour la papauté véritable terre d’asile.

La lutte ne se poursuit pas seulement en Italie autour de la personne du pape. Elle met aux prises, en tous pays, en.llemagne surtout, les défenseurs de la doctrine pontificale et ceux de la prérogative des souverains. Les tenants et les adversaires de l’investiture laïque se donnent la réplique dans d’innombrables écrits de controverse. Les papes, qui ne peuvent se soutenir à Rome, disposent partout de partisans très zélés. La lutte sévit dans nombre de 1097

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cités cpiscopales de Germanie et de Lorraine, à l’occasion de la vacance du sièf, ’e, entre les tenants de l’empereur et ceux du pape. Il n’est pas rare que deux compétiteurs se disputent la même église ; l’un a demandé l’investiture à l’empereur, l’autre s’appuie sur le parti pontifical et se lait le chamjiion des décrets de réforme. Les papes ont aussi pour alliés les sujets indisciplinés des empereurs. A plusieurs reprises, Henri IV a été réduit [)ar la révolte de ses sujets, par les rébellions successives de deux de ses fils, à la dernière extrémité.

Solutions de la querelle des investitures en France et en Angleterre. — Le conilit, qui s’est perpétué en Alleiuaf ; ue et en Italie jusqu’en 1122, s’est assoupi beaucoup plus vite dans les autres parties de la clirétienlé. Les solutions qui ont été appliquées dans l’Empire à la querelle des investitures, ont été préparées par l’entente faite beaucoup plus tôt entre le pape et les souverains en France et en Angleterre.

I » En France. — En ce paj’s, la lutte a été moins irdenle qu’en Allemagne. L’investiture des évccliés et des abbayes était en fait partagée entre le roi capétien et un certain nombre de grands seigneurs, ducs il’.Xquitaine, de Normandie, comtes de Champagne, d’.

jou, de Toulouse, etc. La papauté ne trouva en face d’elle que des Etats morcelés, hostiles les uns aux autres. Lesévèqucs français possèdent rarement l’aulorilé publique sur un vaste territoire ou sur la ville cpiscopale. Il n’y a pas dans le royaume de seigneuries ecclésiastiques aussi considérables que celles des pays allemands. En France, les détenteurs de l’investiture eurent donc moins à perdre en l’abandonnant et ils n’étaient pas de force à la défendre.

De bonne heure aussi, les papes, qui soutiennent, contre les empereurs, une lutte inégale au point de vue des seulesforees matérielles, ontrccherché l’ajipui de la France. Plusieurs sont originaires du royaume, ont été moines à Cluny. Urbain II, Pascal H, Gélase II, Calixte II ont résidé en France à des heures où le séjour à Rome et en Italie eut été pour eux plein de péril. Pascal II cherche manifestement un point d’appui auprès du roi de France, Louis YI, contre Henri V. La papauté, qui trouvait en France des amis et des alliés en la personne des princes, y montra des dispositions plus conciliantes et accueillit les solutions modérées qui y furent imaginées.

Voici quel en fui le principe. Dans les deux camps, celui qui défendait ^in^estilu^e laïque et celui qui la condamnait, on envisageait la charge pastorale et le patrimoine ecclésiastique comme formant un tout indivis, l’évéché. En France, on s’avisa qiie l’évéché comprenait des éléments distincts. Yves, cvêque de CiivnTHES, qui par sa science et ses nombreux écrits de polémique jouissait d’une grande autorité, distingua le premier deux sortes d’investitures, celle qui confère le spirituel et celle qui remet le temporel. Un contemporain, Geoifroi de YknnùME, précise mieux encore cette pensée. « Autre, écrit-il, est l’investiture qui fait lévcque, autre celle qui le nourrit. La première est de droit divin, la seconde de droit humain. » (P. Z., CLVII, 21g, 220 ; i.ihelli de tile, t. lî. p. 6g i.) Ce sont ces idées qui ont amené la fin du eondil.

En France, l’accord se lit dans la pratique, sans qu’on puisse assigner une date précise à la solution qui intervint et sans qu’elle ait jamais été formulée dans un acte i)ublic. En fait, le roi et les seigneurs, qui disposaient jadis des évèchés.ont cessé d’en donner l’investiture par la crosse et l’anneau et d’exiger l’hommage du nouveau prélat. Sur ce point, au temps de Pascal II, les décrets deGrégoire VU et d’Urbain II

sont appliqués et ne soulèvent plus de protestation.

Mais l’investiture s’estseulement modifiée. Au lieu de conférer l’cvêché (rfa/e (’/(iscn^rt^Hm), les rois et seigneurs délivrent les régales de l’évèclié (regalia dimitleie). A la mort d’un évèipie, en qualité de patron de l’église et de souverain du pa38, le roi ou le seigneur prend en main l’administration du leraj)©rel de l’église vacante. Quand le siège est pourvu, il remet les biens et droits régaliens, qu’il détenait, aux mains du prélat, qui lui prèle serment de fidélité. La concession du prince ne porte plus que sur le temporel. Le serment de fidélité prêté par l’évcque à son souverain à titre de sujet, remplace l’hommage lige qui jadis assimilait le prélat à un vassal et l’évéché à un fief.

Tandis qu’autrefois le roi ou le seigneur investissait l’évêque avant qu’il fut sacre, désormais il ne délivre les régales qu’après le sacre. Le prélat est déjà revêtu du caractère épiscopal quand, par le don du roi, il entre en possession des biens de l’évéché. Il s’ensuit que le roi ne peut délivrer les régales à qui bon lui semble, qu’il est tenu de les remettre à l’évêque élu et sacré suivant les règles canoniques. Jadis l’investiture laïqru- donnait droit à la charge ainsi qu’au temporel ecclésiastique ; désormais l’élection et le sacre donnent droit à la délivrance des régales.

Les élections canoniques sont rétablies. La forme s’en est peu à peu modifiée. On a cessé d’admettre l’intervention des laïques et même celle du clergé inférieur. Jadis l’élection était faite par le clergé et le peuple ; désormais elle est réservée au chapitre de la cathédrale. Mais ici aussi, une part est laissée en fait au souverain. Le roi autorise l’élection, il la surveille. Quand l’élection est faite, le chapitre la lui notifie ; le roi la confirme par lettre après enquête ; la consécrationde l’élu ne peut avoir lieu que surson ordre.

La papauté, sans jamais approuver officiellement ces pratiques, les a en fait tolérées. Des conflits se produisent encore, au xii° siècle, entre les papes et les rois de France, mais c’est en raison d’interventions abusives des rois dans les élections. Sauf au cas où lesCapétiens, sous prétexte de surveiller l’élection, la confisquent purement et simplement, la papauté leur laisse, ainsi qu’aux grands feudataires du royaume, le contrôle des opérations électorales, la jouissance des régales pendant la vacance du siège et la faculté de les conférer à l’élu après son sacre, moyennant le serment de fidélité. Far égard pour les souverains laïques, les papes consentirent à distinguer le temporel du spirituel, et quoique les biens d’Eglise fussent la propriété légitime et exclusive de l’Eglise, ils admirent que le roi en fit la tradition ; ils lui reconnurent un patronat qui lui permettait de surveiller les élections et de remettre à l’élu le temporel dont il avait la garde.

A la collation du bénéfice que constitue la jouissance de l’église rurale, de sa dotation, de ses dîmes et revenus, les mêmes principes ont été appliqués. Us ont peu à peu substitué les droits du patronat à ceux qu’exerçaient précédemment les propriétaires des églises privées.

2° En Angleterre. — En France, la pacification se fait dans les esprits et se traduit parla pratique, sans qu’il en soit dressé acte public. En Angleterre, la lutte aboutit à un compromis qui est un véritable concordat. Le conflit devenu très aigu an temps du roi Henri I>"’et du pape Pascal II, s’aplanit grâce à l’attitude conciliatrice prise par l’archevêque de Cantorbery. .XSELME. En 1107, on en int à une entente dont les bases furent très semblables aux habitudes 1099

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qui avaien", prévalu déjà en France. Dans une assemblée d’cvêques et de grands tenue à Londres, Henri 1" déclara qu’à l’avenir, ni le roi, ni aucun laïque en Angleterre n’iuvesUrait plus d’un cvèclié ou d’une ahbaje par le bàlon pastoral et l’anneau. Anselme répondit en donnant lecture d’une lettre du pape, jiar laquelle Pascal consentait à ne plus inquiéter les prélats qui auraient fait hommage au roi, jusqu’au jour où l’arclievêque aurait pu décider le roi par ses exhortations à renoncer de lui-mime à cet usage (P. L., CLXIII, col. 187). En Angleterre, le pape a donc formellement consenti à tolérer l’iiommage, à condition que le roi renonce à l’investiture et que désormais la liberté des élections soit rétablie.

Solution de la querelle des investitures dans le Saint Empire. — La révolte du prince Henri contre son père Henri IV, la déposition, puis la mort à Liège de l’empereur excommunié (iio5), les promesses du nouveau roi tirent croire au pape Pascal l que dans l’Empire la partie était gagnée et que l’investiture laïque allait disparaître. Mais il s’aperçut bientôt qu’HENRi V élevait exactement les mêmes prélenlionsqueson prédécesseur. Dès lors, la papauté cherche un terrain de conciliation, et la période des négociations est ouverte.

i* Les pourparlers de Chûlons. — Pascal H, s’étant rendu en France, convoqua un concile à Troyes pour examiner le différend qui renaissait en Allemagne au sujet de l’investiture. Henri V lui envoya une ambassade dont le chef exposa en présence du pape, à Chàlons, les prétentions impériales : « Au temps des anciens pontifes, dit-il, les droits impériaux ont été ainsi Uxés. Avant l’élection, on demande l’assentiment de l’empereur, puis l’évéque est élu suivant les règles canoniques et consacré. Il se présente alors devant l’empereur / ; oHr /es régales, afin d’en être (hyesti par la crusse et l’anneau, prr’ter serment et liommage. Il convient en effet que les cités, châteaux, marquisats, lonlieux et tout ce qui relève du pouvoir de l’empereur ne soit pas occupé autrement. » (Sugkm, Vie de Louis le Gros, éd. Moliniku, p. 27.) Henri V, qui s’inspire déjà ici de la distinction entre les régales et l’évéché, maintient pourtant les prétentions essentielles de son père, relativement au droit du roi de s’ingérer dans l’élection, de donner l’investiture des régales par la crosse et l’anneau et d’exiger des évêques l’hommage. Le pape fit rc[)ondre que l’Eglise a été établie libre et qu’elle serait esclave si elle ne pouvait élire un évêque sans l’aveu du roi. Investir par la crosse et l’anneau, ajouta-t-il, c’est usurper contre Dieu même, attendu que de tels insignes sont du domaine de l’autel. L’évéque dérogerait à son caractère sacré en plaçant ses mains consacrées par le corps et le sang du Seigneur dans les mains du laïque que le glaive a teintes de sang. Pascal II maintient donc à cette heure toutes les revendications de Grégoire VII et d’Urbain II ; aussi les négociations furent rompueset le pape reprit le chemin de l’Italie.

2° La convention de Sutri. — En 1109, Henri V parut en Italie avec une formidable escorte de seigneurs allemands, annonçant l’intention de se faire couronner empereur à Rome. Son dessein était nianifestcuient d’exercer contrainte sur Pascal II pour lui arracher l’abandon des investitures. De nouveaux pourparlers furent engagés à Sutri entre Pascal et les députés dont le roi se faisait précéder sur la roule de Rome. Le pape reconnut que la prétention de l’empereur relativement aux regalia avait quelque fondement, et il lit à ses messagers cette ])roposition inattendue. Le clergé se contentera désormais des dîmes et des offrandes ; il rendra au roi les régales que les églises ont reçues de Charte-’magne. En conséquence, les églises garderont les biens fonciers qu’elles doivent à la libéralité des particuliers et les dinies que les lidèles acquittent, biens et revenus qui manifestement n’ap|)artiennent pas à la royauté. Mais le pape exigera des prélats qu’ils se dessaisissent en faveur du roi de tous les regulia, c’est-à-dire des villes, châteaux, duchés, comtés, territoires, droit de frapper monnaie, droits de douane et de marché, etc. A ce compte, le roi s’engage à renoncer à l’investiture, à laisser libre les églises (voir les textes dans AVkiland, Conslitul : ones imperatorum, t. I, p. 137-141) Telle l’ut la célèbre convention de Sutri, qui à la question tant débattue donnait une solution radicale. La distinction entre les régales et le spirituel, le désir de mettre un terme à une si longue agitation en reconnaisstint ce que peuvent avoir de fondé les prétentions impériales, ont induit Pascal II à sacrifier au pouvoir laïque toute la part du temporel ecclésiastique qui relève du roi.

Le clergé allemand ne consentit pas à se laisser dépouiller. Les regalia n’appartiennent-ils pas aussi légitimement aux églises que leurs biens privés ? Les prélats estimèrent qu’une telle solution abandonnait au roi non seulement son droit mais aussi le droit de l’Eglise. Rompre, au prix des biens terrestres, les liens qui attachent le clergé à la société séculière et féodale, ce fut un instant le beau vère d’un pontife qui avait été moine. L’exécution de ce programme, si elle avait clé possible au xii’siècle, aurait exposé l’Eglise à des dangers nouveaux. La perle de leur pouvoir temporel eut laissé les prélats sans défense au sein d’une société anarchique. Au reste, la féodalité laïque elle-même n’admet jias que l’Eglise soit dépossédée au profit du roi, déjà trop puissant au gré de ses barons. Les nombreux laïques qui détiennent à titre de fiefs des terres appartenant aux évèchés, ne veulent pas s’exposer à les perdre et sont intéressés au maintien des grandes seigneuries ecclésiastiques. Aussi quand, dans la basilique de Saint-Pierre, le pape eut fait connaître ses engagemenls, des murmures éclatèrent. Non seulement les prélats, mais les seigneurs laïques s’écrièrent qu’ils rejetaient de telles conditions. Pascal, se croyant pris dans un piège, refusa de couronner l’empereur. Une bagarre s’ensuivit dans la basilique. Romains et.llemands s’entretuaient dans les rues de la ville. Henri V cpiilta Rome, emmenant le pape et les cardinaux prisonniers.

3° Le Praiilegium d’Henri V. — Après deux mois de captivité et d’angoisse, Pascal II eut un instant de faiblesse. Craignant pour la vie de ses cardinaux et de ses clercs, alin d’éviter à l’Eglise de nouveaux schismes, le pape, sous le coup de la contrainte, consentit à délivrer au roi le privilège qu’il réclamait. A condition que les élections fussent libres et non simoniaques, Henri V était autorisé, comme ses prédécesseurs, à conférer l’investiture des évèchés par la crosse et l’anneau. A ce ])rix, le pape et les membres de la curie romaine furent relâchés et l’empereur, après avoir clé couronné par Pascal, reprit la roule de l’Allemagne.

Mais les idées de réforme et de liberté, dont la papauté s’était faite le chaïupion, avaient si bien pénétré toute la clirétienlc que l’acte d’un pape a[qu’ouvant l’investiture fut immédialemenl tenu pour entaché de violence et radicalement nul. Au printemps de 11 12, Pascal II conlirma à nouveau dans un synode romain les décrets de ses prédécesseurs. Le synode déclara sans valeur « m ])rivilège extorqué par la force. C’était non pas un priyilegiunt mais un praiilegium. Le pape refusa toutefois de lancer l’analhéme contre l’empereur, comme l’eussent 1101

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voulu les plus zélés. Il avait prêté serment à Henri de ne pas lui demander raison du passé ; en rapportant ce qui dans les concessions faites à l’empereur était contraire aux droits de l’Eglise, le pape se croyait pour le reste tenu à ses engagements.

4° Le concile de lieims. — A la mort de Pascal II (il janvier iiiS), la solution du conflit semble plus lointaine que jamais, toutes les tentatives faites l)Our concilier les droits et intérêts en jeu ayant tour à tour échoué. Henri V, qui a cru remporter grâce à une défaillance du pape tléfunt, marche vers Kome dans l’espoir d’imposer au nouveau pontife, GhlaseII, les mêmes conditions qu’à son prédécesseur. Mais le pape nel’attend pas et s’enfuit. Henri Vlui oppose un antipape, Maurice Bourdin, comme son père avait ])iétendu substituer Guiberl de Ravenne à Grégoire VII. Gélase chercha, comme précédemment Pascal, un refuge en France. Arrivé à Cluny, il y mourut (29 janvier 1 1 19). Les cardinaux lirentchoix pour lui succéder de l’archevêque de Vienne, Guy, apparenté aux Capétiens, qui jouissait en Bourgogne et en France d’une grande autorité. L’un des premiers actes du nouveau pape, qui prit le nom de Calixte II, fut de convoquer un concile à Reiras, où Henri V promit de paraître en personne, mar(ji : anl ainsi que l’antipapequ’il avait créé ne comptait pour rien à ses propres yeux.

Deux grands personnages du royaume de France, l’abbé de Cluny, Pons, et l’évêque de Châlons, Guillaume de Champeaux, furent députés par le pape à l’empereur pour négocier les bases d’un accommodi-meut. La paix n’était possible, déclara Guillaume à Henri, que s’il renonçait à l’investiture. Le prélat ajouta que l’autorité royale pouvait n’en recevoir aucune atteinte : « Quand j’ai été élu évcque, dit-il, je n ai rien reçu du roi de France ni avant ni après mon sacre, et cependant par les tributs, le service militaire, les impôts et les autres droits qui appartiennent à l’Etat, je le sers aussi fidèlement que les évêques de votre royaume vous servent en vertu de l’investiture. » (Ilessotiis scliolastici relatio de concitio Bliemensi, Mon. Germ., Scriptores, t. XII, p. 423.)

L’empereur ayant paruacquiescerà ces ouvertures, des instruments de paix furent préparés. Henri V déclarait renoncer à toute investiture de toutes les églises. Mais quand on voulut préciser le sens de cette formule, on s’aperçut que l’empereur entendait donner 1 investiture des régales.. la vérité, les papes tolèrent qu’en France elles soient délivrées par le roi ou le seigneur à l’évêque après son sacre, mais la papauté, qui n’a pas sanctionné cet usage, n’a fait accord avec le roi d’Angleterre qu’au jour où il renonça purement et simplement à investir les évêques. La même exigence fut maintenue vis-à-vis d’Henri V, dont on se déliait, et les négociations furent rompues. Au concile de Reims, Calixte II renouvela les décrets de ses prédécesseurs qui prohibaient toute investiture, puis le pontife et les 427 évêques ou abbés présents jetèrent l’anathème sur l’enqiereur et l’antipape, déliant les sujets d’Henri V de leur serment de lidélité.

5* Le concordat de W^orms. — Soutenu par l’adhésion de toute la chrétienté, Calixte II rentre en Italie, où l’antipape lui est livré. Le schisme est éteint. Au même moment, l’Allemagne se soulève, la féodalité laïque et ecclésiastique du royaume fait entendre à Henri V qu’on est las du conllit et qu’il ne sera plus obéi s’il n’obtient d’être relevé de l’anathème. Calixte Il manifeste d’ailleurs les dispositions les plus conciliantes ; il écrit au roi excommunié : « L’Eglise ne cherche pas à revendiquer rien de ce qui vous appartient : que l’Eglise possède ce qui est à Jésus-Christ, que l’empereur garde ce qui est à lui : que

chacunedes deux parties se contente de son ofliee. » {liullaire,. ii, p. 6.) Des négociateurs envoyés par le pape et par l’empereur s’abouchèrent à Worms.De part et d’autre, de nouvelles concessions furent faites.

En vertu d’un premier instrument de paix, l’empereur non seulement renonce à investir de l’évèché, mais abandonne toute investiture par la crosse et l’anneau. L’élection et le sacre seront lil)res :.( Dimitto oinnein ifiyesliiuram peranuliim et baciitum et concedo in uninihiis ecclesiis que in vegno vel iinperio meo sunt, canonicam fien electioneni cl liberam consecralioneni. » (Weiland, p. 159.)

Un second acte renferme les concessions pontificales qui constituent un privilège accordé non pas aux empereurs, mais à Henri empereur ; c’est une faveur qui lui est faite personnellement « iibi dilecto filii) lleinrico concéda ». En Allemagne, les élections se feront en présence du roi, mais sans simonie et sans violence. Si un différend s’élève, le roi soutiendra la partie la plus saine du corps électoral..-Vvant de se faii-e sacrer, l’élu recevra du roi les régales par le sceptre. Il remplira à l’égard du roi tous les devoirs qui lui sont dus en raison des régales. Dans le reste de l’empire, c’est-à-dire en Italie, en Bourgogne et Provence, le roi conférera aussi les régales par le sceptre, mais seulement après le sacre, et il n’aura aucune part dans l’élection.

Les idées de Grégoire VII ont donc triomphé : l’investiture laïque de l’cvêché est supprimée ; l’élection et le sacre font seuls l’évêque ; il est élu selon les régies et consacré librement. D’autre part, la papauté, ayant obtenu gain de cause sur l’article essentiel, a admis que le roi investisse les évêques de leur seigneurie. Sans doute, en droit, le temporel entier est la propriété de l’Eglise seule ; en fait, la papauté a reconnu qu’elle ne peut déposséder le roi du droit de conférer les régales. Pascal II avait songé même un instant, on l’a vii, à dépouiller les prélats des regatia. C’eut été sacrifier le droit des églises. La concession faite à Worms consacrant une pratique déjà établie et tolérée en France, laisse au roi l’investiture du temporel, à condition que l’investiture du spirituel soit nettement abolie. Calixte H, qui d’abord avait refusé de laisser auome investiture au roi, s’est contenté d’en obtenir l’abandon de toute investiture par les insignes sacrés ; il admet que le roi investisse des régales par un symbole qui caractérise la souveraineté temporelle, le sceptre. Enfin les concessions faites à Henri constituent un privilège, et bien qu’en fait ses successeurs en aient aussi joui, il laisse intact le droit ecclésiastique dont la papauté consent à relâcher pratiquement la rigueur.

Dans tous les pays qu’elle avait agités, la querelle des investitures se termina donc d’une part par le triomphe des idées grégoriennes et de la doctrine que les églises sont libres, — difautre part par une transaction dans le domaine des faits. La solution donnée par la papauté à ce grand conflit est une application de l’attitude prise par le pouoir ecclésiastique dans toutes les questions qui relèvent à la fois du spirituel et du temporel : maintien des conditions essentielles à la liberté de l’Eglise, tolérance de pratiques qui répugnent au droit ecclésiastique strict, mais que l’ordre politique et social ne permet pas d’abroger.

pales. — Pour la

vera dans la Patrologie latine (t. CXLVIII), publiées par jAKFii avec l’œuvre d’un des partisans 1103

IRAN (RELIGION DE L")

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du pontife, Bonitho, dans les ilonumenta Gregofjafia,

! 865. Le huUaire du pape Calixte II a été

édité par U. Robert, 2 v., 18gt. — On trouvera le texte des conventions et concordats passés entre les papes et les empereurs dans L. ^^’EILA^r>, Constituliones et acia publica imperatorum et regum, t.I, 1893 (série in li" Ae ?> Monumenta Germaniae). — Dans la même série des Moniimenta, sous le titre de LiheUi de lile imperatorum et pontijicuin sæculis XI et XII conscripti, 3 vol., 1891-’^, sont réunis les ouvrages de polémique, traités, pamphlets, composés par les tenants des deux partis, en particulier le « Li’ber gratissimus » et la « Diseeptatio synodalis » de Pierre Damien (aussi MiGNE, t. CXLV), les LibrillI adversus siinoniacos du cardinal Humbert (aussi t. CXLIII), le De persecutione Ecclesiæ OM Ad amicum de Bonitlio (aussi Jaffé, Mon. Gregor.), les livres d’Ives de Chartres (Migne, t. GLXIl) et les opuscules de GeofTroi de Vendôme (t. GLYl) relatifs aux investitures, etc.

— Les sources de l’histoire de Henri IV et de Henri V, qui intéressent la querelle des investitures, sont réunies dans la série in-f " des Scriptores des Montimenta Germaniue : voir en particulier les An nales de Lambert de Hersfeld (t. V), les Chroniques d’Ekkehard, deSigebertdeGembloux (t. VI). La vie de Louis le Gros, par Suger (édit. Molinier, iSS’j), renferme, au point de vue pontifical et français, bien des renseignements intéressants sur le conflit allemand. Les notices du Liber Ponlipcalis de Pierre Guillaume, sans grand intérêt jusqu’à Pascal II, sont d’un contemporain à partir de ce pontificat (édit. L. DrcHESNE, t. II, 1892).

2° Omn-ages à consulter. — A. Scharnagl, Der llegriff der Investitur in den Quellen und der Litteraiur des Investiturstreiies, 1908 ; Imdart de la Tour, La polémique religieuse à l’époque de Grégoire VII, dans les Questions d’histoire sociale et religieuse, 1907 ; — Les élections épiscopales dans l’Eglise de France, du txe au-au’siècle, 1891 ; MiRRT, Die Publizistik im Zeitalter Gregors VU, 18918 ; A. SoLMi, Statoe chiesa secondo gli scritti politicidn Carlomagno fino al concordato di li^orms. igoi ; J. DE GuELLiNCK, La littérature polémique durant la querelle des Infestitures (R. des Questions hist., igiS) ; EsMEiN, I.a question des investitures dans les lettres d’Yves de Chartres, 1889 ; Hepelk, Histoire des conciles, trad. nouvelle avec commentaires de dom Leclercq, t. IV, 2" partie, 191 I et t. V, i’ « partie, 1912 ; W. Maktens, Ileiurich IV und Gregor VU, 188’j ; abbé O. Delarc, Saint Grégoire VII et la réforme de l’Eglise au XI’siècle, 3 vol., 1889 ; U. Robert, Histoire du pape Calixte If, 1891 ; W. LSIke, Hugo von Die und I-yon, 1898 ; L. CoMP.viN, Etude sur Geoffroi de Vendôme. 1891 ; Gauchie, La querelle des investitures dans les diocèses de Liège et de Cambrai, 2 vol. I 890-1 ; Dantzer, La querelle des investitures dans les évéchés de Metz, Toul et Verdun, dans les Annales de l’Est, 1902 ; Zeller, Histoire d’Allemagne, t. III, 18’ ; 6 ; Meyer von Knonau, Jahrbiicher, unter Heinrich IV und V, 1 8go-4 ; M. Schmitz, Der englisch Investiturstreit, 18815.

E. Lbsnb.