Dictionnaire apologétique de la foi catholique/Immunité ecclésiastiques

Dictionnaire apologétique de la foi catholique
Texte établi par Adhémar d’AlèsG. Beauchesne (Tome 2 – de « Fin justifie les moyens » à « Loi divine »p. 312-320).

IMMUNITÉS ECCLÉSIASTIQUES. — I. Définition. — II. Division. — III. Histoire. — IV. Origine. — V. Immunités locales (Eglises et autres lieux sacrés. Droit d’asile). — VI. Immunités réelles (Biens ecclésiastiques…). — VIL Immunités personnelles (Privilège du for ecclésiastique, exemption du service militaire, privilège du canon).

I. Définition. — L’Immunité, en général, est l’exemption d’une charge. L’immunité ecclésiastique est un droit en vertu duquel les éi^/Zscî et autres /i>(/.>sacrés, les chosesellcs personnes ecclésiastiques sont libres et exemptesde certaines charges ou obligations communes. 613

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H. Division. — Comme on le voit par la définition, on ilislingue trois sortes d’immunités : immunité locale, réelle, personnelle.

L’immunité /ucu/e concerneles églises et les autres lieux sacrés, ou réputés tels.

L’immunité réelle concerne les choses (res), tels les biens ecclésiastiques.

L’immunité /)er.soHne//eest un droit en vertu duquel la personne des clercs est exempte de la juritliclion du pouvoir civil. Elle comprend principalement le privilège du fur ecclésiastique, qui rend la personne des clercs inviolable et sacrée, de telle sorte qu’ils doivent être régulièrement jugés parleurs pairs et non par des laïques, le privilège du carton^ et l’exemption des charges personnelles et publiques, et spécialement de la milice.

m. Histoire. — Dans les premiers siècles de l’Eglise, il n’était pas question de privilèges, de faveurs pour les clercs, mais bien de persécutions. La situation changea complètement avec la conversion de Constantin. L’empereur, devenuchréticn, non seulement reconnut l’Eglise, ses droits, mais la combla de bienfaits et de privilèges. Les clercs, à l’instar des prêtres païens, étaient déclarés i)ar les lois civiles personnellement exempts des charges publiques et des imiiots, afin qu’ils pussent vaquer librement au service religieux.

C’est à partir de celle époque que les clercs furent exemptés du service mililaire, des charges basses, regardées comme viles, de l’obligation d’assumer certaines fonctions civiles, comme celles de curateur, de tuteur’.

L’Eglise, de son côté, pour être plus libre de travailler aux choses spirituelles par une sage législation, chercha à dégager le plus possible le clergé de tous les embarras que procure le soin des choses temporelles. Ainsi, elle interdit les ordres aux soldats, à ceux qui exerçaient certaines fonctions civiles, comme celles de curateur, de tuteur, et, d’une manière générale, à tous ceux qui étaient engagés dans les affaires temporelles.

C’est ce que témoigne déjà le concile de Carthage, tenu entre 345 et 3^8. D’après le 6’canon, les clercs ne doivent pas se mêler d’affaires temporelles. Le 8’canon défend de conférer les ordres à un tuteur ; le 9* étend celle défense à tous ceux qui s’occupent des affaires des autres ; le iS" interdit aux clercs de faire l’usure 2… C’est un cas de l’irrégularité ex defeclu libertatis.

Au moyen âge, les peuples chrétiens reconnurent sans i)eine cette immunité personnelle des clercs 3. L’Eglise, dans le cours des âges, consacra ces privilèges par ses lois’.

1. Cf. Ug. 1, 2, 7. 9, iii, 11, 13, 14, 2’», 40, Cod. Thcod., de Episc, Eccl., et c/er., 1. XVI, tit. 2 ; — el Leg. 1, 2, cum authenl. Frid. ii, Cod. Just., de Epitc, 1. 1, lit", i ; Ver.nz, Jus Dtcreial., t. ii, n. 167.

2. Cf. Hefele-Leclercq, Hist. des Conciles, t. I, 2 « partie, p. sua sqq. ; traduction Goschler et Delarc, t. H, p. 10.

3. Cf..iiilhent. Frider. II, a. 1220, posi Leg. 2, Cod., de Episc., L. I, tit. 3 : « NuUus laicus, dit le sommaire, potest imponere collectam vel onera cleiicis, ecclesiis, vel piis locis ; nec iiivadere bona ecclesiarum vel clericorum : et si requisiti negliguiit enieiidaïc, siibjacent banno imperiali : de que non cxiroanlur nisi débita satisfactione præmissa. »

4. Cf. c. Ecclesiarum 69, G. II, q. 2. in décréta Gral., = c. 21 Concil. Toi. III, a. 589 : « Servi ecclesiorum publicisanagriis non fatipentur » (sommaire^, éd. Friedberg, col. 709, Lipsiae, 1879 ; et suitout L. III, lit. 49, De immunitate ecclesiarum, coemeterii et rerum ad eas periincnlium, in decretalibus Greg. I.Y : cap. Quanquam 4, De Censibus…, L. III, tit. 20, in Sexto ; et ibid., tit. 23,

Le concile de Trente confirma de son autorité cette immunité des clercs, établie par une disposition divine et par les lois ecclésiastiques. Il recommanda de nouveau aux princes séculiers de la respecter et de la protéger’. Dans les siècles suivants, cette immunité des clercs subsista toujours plus ou moins ; elle ne fut jamais entièrement abolie.

Mais depuis la révolution française la législation civile, dans les différents pays, devient de plus en plus contraire aux droits de l’Eglise, de sorte qu’aujourd’hui, dans la pratique, il ne reste presque plus rien de ces anciens privilèges des clercs. Ils étaient assurément très légitimes, et il ne sera pas bien difficile de les justifier. En tout cas, l’Etat était absolument incompétent pour les supprimer de son autorité propre, sans le consentement de l’Eglise. Mais, en fait, tenant compte des temps, des circonstances, le Saint-Siège lui-même a fait des concessions dans la plupart des concordats particuliers, qu’il a conclus avec les différentes nations.

Sans vouloir donc ressusciter un passé qui n’est plus, et qui, senible-t-il, n’est pas près de revenir, sans vouloir, en fait, revendiquer sous ce rapport, pour l’Eglise, une situation privilégiée comme aux beaux jours du moyen âge, gardons-nous cependant de condanmer le passé en bloc, sans discrétion, sans discernement : ridicule travers de ceux qui, sous prétexte de progrès, cherchent moins la vérité qu’à se mettre à l’unisson des voix du jour. C’est pourquoi, plus que jamais, il importe de connaître la doctrine catholique sur ce point. Il faut affirmer les principes. Pour la pratique, nous nous en remettons à la sagesse de l’Eglise, qui sait parfaitement accommoder sa discipline aux besoins des temps.

IV. Origine — Avant tout, s’il s’agit de causes spirituelle.’^, qui regardent la foi, les sacrements, le culte divin, le salut des âmes, la Un surnaturelle, non seulement les clercs, mais encore les laïques sont de droit diiin exempts de la juridiction du pouvoir civil : pour connaître, en effet, de ces causes, et les juger, il faut un pouvoir spirituel, d’ordre surnaturel, accordé par Xotre-Seigneur Jésus-Christ à Pierre et à ses successeurs, et non au pouvoir civil.

Ce point est hors de controverse ; c’est la doctrine catholique.

Toute la difficulté est relative aux causes temporelles des clercs.

Les légistes et les gallicans affirmaient volontiers que les immunités ecclésiastiques tiraient leur origine du droit civil. Cette opinion est formellement condamnée, en tant qu’elle prétend que la raison formelle de l’immunité ecclésiastique est le droit civil lui-même. Pie IX a expressément réprouvé la proposition suivante : « Ecclesiæ et personarum ecclesiasticarum imnmnilasa jureciviliortum haljuit. w 30’prop. du Syllabus ; cl. CuoiPix, Valeur des décisions du Saint-Siège ; Srllabus…, prop. 30", Paris, Beauchesne.

.u point de vue catholique, il y a sur ce sujet trois ojjinions probables :

Première opinion : Vimmunité est formellement de droit dii’in naturel ou positif. — La première opinion soutient que l’exemption des clercs est formellement de droit di^-in. naturel ou positif, ou même pour quelques-uns, naturel et positif, au moins en thèse (in génère), quoique, pour les cas particuliers, Xotre De Immunit, eccl. ; cap. Præsenti 3, L. III, tit. 13 in Clem : et c. Quoniam unie. De immunitate eccl., L. III, tit. 17, in Clem.

1. Concil. Trid. Sess. XXV, c. 20, de reformat., Edil. Richter, p. 467 sq. ; WER^Z, Jus décrétai., t. II, n. 107.

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Seigneur Jésus-Christ ait laissé au Souverain Pontife le pouvoir de déterminer dans quelle mesure il convenait de l’appliquer à raison des circonstances spéciales, de la dilliculté des temps…

L’exemiition des clercs est formellement de droit diiin naturel, en ce sensque, poséel’institution divine des ordres sacrés, cette exemption est exigée par la nature des choses ; elle en découle comme une conséquence nécessaire, qui s’impose à la raison.

L’exemption est formellement de droit divin positif en ce sens que la volonté du Christ, établissant ce droit, est clairement manifestée dans la révélation ou la tradition divine.

Les auteurs, dit Suarbz, qui soutiennent cette opinion ne disent pas toujours clairement s’ils appuient cette exemption sur le di-oit divin naturel ou seulement sur le droit divin positif (Z)e/’ens/o fidei, lib. IV, De immunitateecclesiastica, cap. viii, n. 9 sqq.). Les arguments qu’ils apportent feraient plutôt croire qu’ils font intervenir le droit divin naturel, le droit des gens, et le droit divin positif.

Evidemment, le droit ecclésiastique n’est pas exclu. Le droit canonique confirme le droit divin, le corrobore de ses sanctions, le précise, l’applique, en modère l’exercice suivant les temps, les circonstances particulières (Schmalzgrieber, 1. II, tit. 11, n. 96 ; Reiffesstdel, 1. 11, tit. ii, n. ig3 sqq.).

Deuxième opinion : l’immunité est formellement de droit ecclésiastique. — Au contraire, selon la deuxième opinion.l’exemplion des clercs est seulement de droit humain ecclésiastique. — C’est le sentiment

de COVARHOVIAS, de MOLINA (SCHMALZGnCBBEH, 1. II,

tit. 2, n. 97)

Troisième opinion : l immunité est originairement de droit divin positif ou naturel, mais formellement de droit ecclésiastique. — La troisième opinion tient un juste milieu entre les deux premières. Le droit divin, naturel ou positif, insinue la convenance de ce droit, de ce privilège, mais ne contient pas un précepte strict, proprement dit. Toutefois, si l’immunité des clercs est originairement de droit divin, positif ou même naturel, immédiatement et formellement elle est de droit humain ecclésiastique : la loi qui établit, consacre ce droit est une loi proprement ecclésiastique : ce sont les décrets des conciles œciunéniques oudespapes(/)ei orrfi’naf/’one et canonicis sanctionihus constitutam immunitatem personarum ecclesiaslicarum), dit le concile de Trente, sess. xxv, cap. 20, De réf., édition Richter p. 46^, ou selon l’explication des Docteurs : Ordinatione di-ina originaliter et initiative, seu fundaræntaliter ; et immédiate ac formaliler canonicis sanctionibus (cf. Sciimalzgrubbeb, 1. 11, tit. II, n. 98 sqq… Bbllarmin, De clericis, 1. I, cap. xxviii et xxix).

Cette opinion paraît la plus plausible et est appuyée sur les meilleures autorités (cf. Scu.MALZGRfKDEH, 1. II, tit. II, n. 98 ; WiESTNER, l. II, tit. II, n. 1^5 sqq. ; Goxzalbz-Tellez, in cap. 8, 1. II, tit. i. De Judiciis, n. 10 et 11 : Lessius, De Justitia et Jure…, lib. II, cap. xxxiii, Dub. IV, n. 30, Antuerpiae, 1617 ; Santi-Leitner, lib. II, tit. 11, n. aô sqq. ; Cavagnis, hist. jur. publ. eccl., t. II, n. 162 sqq., ]), 323 sqq. ; Webnz, Jus Décrétai., t. II, ii, 167 etnot. 12^, p 208).

Sans doute, à regarder la chose du point de vue historique, la loi civile, la concession du prince a pu précéder la loi canonique et être l’occasion de quelques privilèges (cf. MuHV, L’Eglise, ses biens, ses immunités de Constantin à Justinien, 30^-565, p. 3010 3 ; Grenoble, Baratier et Dardelet, 1878). A l’origine, le pouvoir civil a pu lui-même, de sa propre initiative, accorder des faveurs ou reconnaître certains privilèges aux i)ersonnes ecclésiastiques, et au besoin les leur garantir dans la pratique ; mais la loi

civile ne fondait pas le privilège, ne le créait pas ; la vraie raison, la raison formelle du privilège était la loi ecclésiastique ; et, consacré par l’autorité ecclésiastique, le droit était intangible ; le pouvoir civil est absolument incompétent pour changer ou abroger une loi ecclésiastique.

Ainsi certaines faveurs ou concessions de l’autorité civile, ayant été l’objet de lois canoniques, ont été soustraites à la compétence du pouvoir civil et sont devenues des privilèges appartenant aux clercs au nom de la loi ecclésiastique.

Il n’est que juste de le reconnaître : certaines autres faveurs ont été accordées par le pouvoir séculier comme témoignage de sa bienveillance et reconnaissance envers l’Eglise, sans qu’elles aient été l’objet dune loi canonique : par exemple, la franchise postale accordée pendant longtemps à la correspondance épiscopale, les lettres d’obédience des religieux donnant droit à certains avantages. Ces faveurs sont un échange de bons procédés, et restent précaires, révocables par l’autorité civile (mise à part toute intention de malveillance).

V, Immunités locales, — L’Immunité locale regarde les églises et les autres lieux sacrés ou réputés tels.

Cette immunité implique un double privilège :

i » Celui de mettre à l’abri de certains actes profanes qui répugnent à leur sainteté et au respect qui leur est dû les lieux qui ont été députés par l’autorité ecclésiastique à des usages pieux.

2° Celui de garantir un asile aux criminels ou aux accusés qui se réfugient dans ces lieux sacrés, et de les rendre inviolables, en sorte qu’on ne puisse pas les en arracher par la violence (cf. L. III, De Immunitate Ecclesiarum. tit. ^9, in Décrétai. Greg. IX ;

— c. XVII, q. 4. in Decreto Gral. ; Suahez, Lib. IV, De Immunitale, cap. i.

Les lieux qui jouissent du privilège de l’immunité locale sont :

1° Toutes les églises, consacrées ou simplement bénites, alors même qu’elles auraient été profanées, ou interdites (Téphany. op. cit., t. II, n. 618, p. 716).

2° Les chapelles, ou oratoires publics, serai-publics, bénits ou non, pourvu qu’ils aient été députés au culte divin par l’autorité ecclésiastique compétente (cap. ^cc/esiæg, X. L. III, tit. 49), (cf. Schmalzgrieber, 1, III, tit. 49, n. 109 ; Ma>'y, De locis sacris, tit. I, c. VII, n. 46, p. 91 sq.).

3° Les édifices adjacents aux églises, comme les sacristies, les portiques, les vestibules, les clochers :

« Quæ religiosis adhærent, religiosa sunt ii, L.

yiLlll, Dig., De rei vindicatione.L. VI, tit. i.

4’Les cimetières, même séparés de l’église, à la condition, cependant, que ces lieux, destinés à la sépulture des lidèles, aient été bénits par permission de l’Ordinaire.

5° Les hôpitaux érigés par autorisation de l’Evêque, cap..id hæc 4, X, L, III, tit. 36 (cf. Schmai.zgruebbr, L. m. tit. 49. n. 108, 3).

6° Les palais épiscopaux (c. Id constituimus 36, c. x^ II. quæst. 4, in Decreto Gratiani) (cf. Schmalzgrueueb, L. III, tit. 49, ii, 110) ; les séminaires des clercs (cf. TiipHAXY, op. cit., p. 716).

7’Les monastères, les cou> ents, les maisons conventuelles des religieux, des réguliers, ou des ecclésiastiques séculiers (cf, Scumalzgrceber, L. III, tit. 49, n. 108. 4).

Les actes défendus dans les églises ou les lieux sacrés sont : x" tous les actes judiciaires de l’autorité civile, sous peine de nullité (cap. Decet 2, De Jnimunitate Ecclesiarum…, L. III, lit. 33, in 6") ; les jugements civils concernant une cause de sang ou la peine G17

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capitale sont interdits sous peine d’excommunication ferendæ sententiæ (cap. Quum L’cclesia 5, X, L. lU, tit. 49) ; -i" les contrats séculiers, le négoce, les ventes, les marchés et les autres opérations de cette natui-e ; 3’tous les actes qui troubleraient le culte sacré ou porteraient atteinte au respect dû à la religion, comme les représentations théâtrales (cap. Quum décorum 12, X, De vita et Iwrieslale Clericorum, L. III, tit. i ; les discours, les réunions politiques, cap. Decet 2, De fmniunit. EccL, L. IIl, tit. 23, in 6°), (cf. Many, De locis sacris, tit. 1, cap. vii, n. 44 P- 87 sqq.).

Le Concile de Trente, dans son décret relatif aux choses qu’on doit éviter dans les églises, mentionne spécialement la musique purement profane, dont le but est de récréer, de distraire les auditeurs (Sess. XXII, Decretum de observandis et evitandis in celebratione missae, édit. Richter, p. 128) (cf. Decretum Quod S. Augustinus » S. R. C. diei 7 jul. 18y4, Acta Léon. XJII, t. XIV, p. 287 si|q., cum annexo’( liegolamento per laMusiça sacra », ibid., p. 243 sqq., Romae, 18g4 >’^ décret et le règlement ont été approuvés par LÉON XIII, Molu proprio « Tra le sollecitudini », diei 22 nov. igoS, Acta Pu, PP. X, t. 1, p. 76 sqq. Romae, 1906).

Le Droit d’asile consiste dans une espèce de protection, de sécurité, dont jouissent certains criminels ou accusés, en vertude laquelle ceux qui se réfugient dans les églises ou autres lieux sacrés, sont inviolables, ne peuvent plus être saisis par le bras séculier qu’avec le consentement, la permission préalable de l’autorité ecclésiastique. Bon nombre de criminels sont exclus de ce privilège : les voleurs publics ou de grand chemin ; les <lévastateurs des champs, en général les homicides, les assassins, les mutilaleurs, les hérétiques, les coupables de lèse-majesté, les faux monnayeurs, ceux qui falsifient les lettres apostoliques, etc. (TÉPHANY, op. cit., p. 717 sqq. ; Santi-Leitner, L. II, tit. 49, n. 4, p. 458 sq.).

Il est évident que celui quichoisirait un lieu sacré pour commettre plus sûrement un crime ou un délit ne participerait pas au droit d’asile, accordé seulement à celui qui s’y réfugie après un acte criminel perpétré ailleurs. Ceux qui auraient la témérité de commander la violation de l’immunité d’un lieu sacré ou violeraient eux-mêmes ce droit d’asile, encourraient une excommunication latæ sententiae, simplementréservée au Pontife romain (Const..-<^05Î. Sedis, sectio secunda ; Excommunicationi lalae sententiæ Romano Pontifici reservatæ subjacere declaramus : V., « Immunitatem asyli ecclesiastici ausu temerario violare jubentes aut violantes. » Cf. d’An-NiBALE, Consl. Ap. Sedis, p. 72 sq., édit. 3", Reate, 1880 ; BuLOT, Compendium Theologiæ moralis…,.. II, n. 960, p. 576 sq., altéra edilio, 1908).

« Les sanctuaires… jouissaient souvent du privilège

d’asile exclusivement religieux. On sait que le mot KTj/iK désigne le fait d’être à l’abri du droit de prise, de la contrainte et généralement de toute violence. Certains temples étaient admis à offrir cet abri. » (Ciiapot, La Province romaine proconsulaire d’.isie depuis ses origines jusqu’à la fin du Haut-Empire, 4° partie, chap. 11, p. 406 sq., Paris, 1904.)

Les temples ont joui, chez presque tous les peuples, du droit d’asile.Dans l’antiquité, les païens aussi bien que les juifs considéraient les lieux et les édifices consacrés au culte comme interdits à la force, même lorsqu’elle agissait au nom de la justice ; ils ne voulaient pas qu’il y coulât d’autre sang que celui des victimes immolées en l’honneur de la divinité. A leurs yeux, c’était un sacrilège de faire acte d’autorité dans la maison de Dieu, et de porter la main sur le coupable, qui avait demandé sa protection à la

divinité, et à qui celle-ci l’avait accordée en permettant qu’il se réfugiât dans son temple. Le même sentiment de respect a inspiré la même conduite aux chrétiens et, dès les premiers siècles de l’Eglise, nous voyons le droit d’asile attribué aux lieux sacrés, et par les lois canoniques et par les lois civiles.

Outre le sentiment du respect dû à Dieu, un autre motif poussait encordes anciens législateurs à maintenir et à étendre le droit d’asile ; c’était l’absence de sécurité, l’impuissance et la partialité de la justice et les mœurs encore plus ou moins cruelles, qui mettaient constamment en danger la vie des hommes. Il était utile aux intérêts de la société civile que la passion du sang trouvât un frein dans le sentiment religieux.

Assurément, ce privilège existe en droit ; il n’a pas été abrogé par une loi, ou un usage contraire, approuvé par l’Eglise.

Toutefois, en pratique, il n’est plus guère en vigueur ; ou, du moins, quant à la manière d’observer la loi, il faut tenir compte des coutumes des différents pays. Ainsi, dans le concordat conclu en 1855 entre le Saint-Siège et l’empereur François-Joseph d’Autriche, à l’article 15, il estexpressément stipulé « que l’immunité des lieux sacrés serait respectée autant que le permettraient la justice et la sécurité publique ». Que la justice humaine, si jamais, pour des motifs plausibles, elle doit pénétrer dans les lieux consacrés à Dieu, n’oublie pas le respect dû à Celui qui est la justice même et de qui procède toute justice véritable (cf. Santi-Leitneh, L. III, tit. 49 » n. 7, p. 459 sq. ; « Certe, in praxi curandum est, dit le P. Wernz, ut saltem illud vestigium juris asyli, vel potius immunitatis ecclesiasticæ ab actione profana, diligenter retineatur et custodiatur, quam vel ipsae leges civiles haud raro reliquerunt intactani, et ipsa natura rei et sanctitas loci re(iuirit, v. g. ne quis honio criminosus tempore ofilciorum divinorum in ecclesiaper violentiam temere capiatur. » Jus decretalium, t. III, n. 448 in fine).

VI. Immunité réelle. — L’Immunité réelle regarde les choses : res. Elle consiste en ce que les biens ecclésiastiques appartenant vraimentà l’Eglise sont exempts des charges et des impositions communes dans la société civile.

Cette immunité réelle n’a pas sa raison dans un précepte divin formel. Cependant, on peut dire qu’elle est de droit divin, en ce sens que l’Etat ne peut pas, de son autorité propre, grever les biens ecclésiastiques ; il faut pour cela le consentement de l’Eglise. L’Eglise, en effet, est, de droit divin, une société parfaite, et conséquemment, de droit divin, elle est indépendante du pouvoir civil. I.’Etat ne peut donclégitimement atteindre l’Eglise dans ses biens, que si elle y consent ; et il n’a aucune juridiction véritable sur les biens ecclésiastiques (Wernz, Jus Décrétai., t. III, n. 146).

De droit humain ecclésiastique, cette exemption réelle s’étend aux biens patrimoniaux des Clercs. C. 4, 7, X, L. iii, tit. 49 ; c. 4, L. III, tit. 20, in 6" ; c. i, L. 111, tit. 23. in 6" ; c. unie, L. III, tit. 17, inClera. ; SCHMALZGRUEBER, L. III, tit. 49, H. 26 sqq. ; PiGNA-TF. LLi, t. ii, Consult. 54, n. 55 sqq., Suarez, lib. IV. De Immunit., c. xxxix, n. 4 sqq., Santi-Lbitneb, L. III, tit. 49, n- 8 ; TiipUANY, t. ii, n.619 ; const. « Homanus » Urbani VIII, 7 jun. 164l, Bullar. Cocquelines, t. VI, p. ii, p. 289 sqq.

Toutefois, dans le cas de commune et grave nécessité publique, à laquelle on ne peut pas subvenir par les seules ressources des laïcs, l’équité naturelle exige que les clercs viennent, autant qu’ils le peuvent, au secours de l’Etat. Sans doute, cette contribution, dans 619

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ce cas, doit être offerte spontanémenl, mais les clercs sont réellement obligés par l’équité naturelle de la fournir.

Aux yeux de nos ancêtres, les biens de l’Eglise étaient les biens de Dieu lui-même et, comme tels, entièrement soustraits au pouvoir des princes, libres, par conséquent, de tout impôt séculier. Des peines ecclésiastiques séA-èressanctionnaientcetteimmunité, et, malgré certaines résistances, la société civile la reconnaissait.

On est parfois surpris, en parcourant l’histoire, de l’ardeur que déploya constamment l’Eglise pour défendre ce privilège. Ce serait une injustice de l’attribuer à l’avarice du clergé ; les papes et les évêques avaient d’autres motifs et de plus nobles que l’amour des richesses de ce monde pour agir ainsi. En effet, les biens de l’Eglise n’étaient point seulement destinés à pourvoir à la subsistance et à garantir l’indépendance du clergé ; ils devaient encore être employés à subvenir aux besoins des pauvres et des malades, dont la charge retombait alors exclusivement sur l’Eglise. Le clergé ne luttait donc pas seulement pour ses intérêts, mais aussi pour ceux des pauvres, dont il se regardait, pour ainsi dire, comme l’économe.

Cette considération de l’utilité générale de la fortune ecclésiastique, consacrée aux frais du culte public, à l’entretien des hôpitaux et de toutes les œuvres charitables, aussi bien qu’à celui du clergé, fait comprendre pourquoi cette immunité semblait autrefois si naturelle. Quant à celle dont les clercs jouissaient pour leurs biens personnels, au point de vue historique, elle avait plutôt son origine dans la générosité des princes ; l’Eglise, cependant, avait consacré ce privilège par ses lois. Aujourd’hui l’une et l’autre ont à peu prés disparu. En fait, peu à peu. et comme insensiblement, l’autorité civile a imposé les biens des égliseset lesbiens patrimoniaux des clercs. En vérité, l’Eglise se montre de facile composition sur ce point, du moins en ce qui regarde les biens personnels des clercs.

Mais, premièrement, la mise d’impôts plus forts sur les biens ecclésiastiques que sur ceux des laïcs ne serait-elle pas une injustice manifeste, un abus criant ? Déplus, au point de vue civil, les biens du domaine public et les biens de l’Etat affectés à un service public sont exempts de toute contribution. Ne devrait-il pas en être ainsi, et à plus juste titre, pour les biens ecclésiastiques ?

Les besoins religieux sont incontestablement les plus indispensables de l’homme : tout ce qui y sert est véritablement rf’H<(71/e ^H6/(<jrHe. De ce chef, les biens ecclésiastiques proprement dits, les édiûces religieux, églises, chapelles, couvents, presbytères, séminaires, maisons religieuses, sont affectés à un ser^’ice public. N’est-il donc pas juste, équitable, de les exempter de tout impôt ? En Angleterre, en Amérique, une partie des biens d’Eglise, et spécialement les édifices députés au culte divin, sont soustraits à l’impôt. Rien de plus fondé, de plus légitime ; et c’est un bel exemple d’égalité, de libéralisme bien entendu donné par des Etats protestants. L’Eglise, en promouvant la religion dans un pays, contribue éminemmeTit à la prospérité de l’Etat. « Qàivre immortelle du Dieu de miséricorde, l’Eglise, bien qu’en soi et de sa nature elle ait pour but le salut des âmes et la félicité éternelle, est cependant, dans la sphère même des choses humaines, la source de tant et de tels avantages qu’elle n’en pourrait procurer de plus nombreux et de plus grands, lors même qu’elle eût été fondée surtout et directement en vue d’assurer la félieitéde cettevie. b(Lkox XllI, const./mmor/a/e/>ei, I" nov. i^iô.)Acta Léon XIll, vol. V, p. 1 18 sqq.

VIL Immtmités personnelles. — L’Immunité personnelle est celle qui exempte la personne des clercs de la juridiction de tout pouvoir séculier. Elle comprend principalement le privilège du for ecclésiastique, le privilège du canon, et l’exemption des charges personnelles et publiques, et spécialement du service militaire.

I’Parmi ces immunités, la plus importante, sans contredit, est l’exemption du service militaire, dont les ennemis de l’Eglise font l’objet de leurs attaques les plus passionnées ; il est donc nécessaire d’en établir solidement la légitimité. La démonstration, d’ailleurs, est facile, à quelque point de vue qu’on se place, au point de vue du droit naturel comme au point de vue du droit ecclésiastique ou du droit civil moderne.

Pour qui veut juger la question d’après la législation ecclésiastique, rien n’est plus incontestable que le droit des clercs d’être exemptés du service militaire. Non seulement, en effet, les canons affirment expressément ce droit ; mais, de plus, ils interdisent aux ecclésiastiques, sous peine de censure, le port des armes et l’effusion du sang humain. Telle est l’horreur de l’Eglise pour l’homicide, qu’autrefois elle excluait du clergé quiconque avait commis un meurtre, même sans faute de sa part ; aujourd’hui encore, les soldats et les juges sont en certains cas frappés d’irrégularité, et lorsqu’ils abandonnent leur profession, ils ne peuvent sans dispense recevoir les saints ordres. D’ailleurs les obligations imposées au prêtre par la loi de l’Eglise sont évidemment inconciliables avec celles de l’état militaire : la vie de caserne ne laisserait ordinairement au clerc ni la sainteté ni le temps nécessaire pour accomplir dignement les augustes fonctions de son ministère. De droit ecclésiastique, les clercs sont donc exemptés du service militaire.

Possèdent-ils le même privilège de droit naturel ? Il faut répondre affirmativement : le droit naturel exige que les clercs soient exemptés du service militaire.

.ux catholiques, qui révoqueraient en doute cette vérité, il suffirait de rappeler la Sa’proposition du Srllabus : <i Absque ulla naturalisjuris et aequitatis violatione potest abrogari personalis immunitas qua clerici ab onere subeundæ exercendæque militiae eximuntur… « (Cf. Cavagxis. Institutiones juris puhlici ecclesiastici, t. II, p. Sig sqq., édit. 4’, Romae, 1906 ; Choipi.n, Valeur des décisions doctrinales et disciplinaires du Saint-Siège ; Srllabus. prop. 82.)

Cette proposition étant mise au nombre des erreurs, la vérité de la doctrine qui la contredit est incontestable. Nous arriverons à la même conclusion en examinant les choses en elles-mêmes.

En effet, le droit que possède l’Etat d’astreindre les citoyens au service militaire, naît évidemment de l’obligation qui lui incombe de maintenir le bon ordre au dedans, et de défendre au dehors les intérêts du pays. Mais, s’il est nécessaire que l’Etat dispose d’une force matérielle suffisante pour maintenir le bon ordre à l’intérieur et repousser les attaques de l’étranger, il est nécessaire aussi qu’il satisfasse aux besoins religieux de la nation, et laisse aux citoyens les moyens sans lesquels ils ne croiraient pas pouvoir rester vertueux, ni atteindre leur fin dernière. Celle nécessité n’est pas moins impérieuse que l’autre et, si les intérêts de l’ordre matériel ne sont pas à négliger, ceux de l’ordre spirituelexigent plus d’égards encore. C’est là une vérité indiscutable pour tout homme qui admet l’existencede Dieuct l’immortalité de l’âme.

Or, sans religion, la vertu et l’acquisition de la On dernière sont impossibles, au moins pour la très 621

IMMUNITÉS ECCLÉSIASTIQUES

622

grande musse des lioniiiies. Les philosophes déistes, qui réclament une exception pour eux-mêmes, no nous contrediront certainement pas. Ce principe posé, il est également incontestable que, sansclergé, il n’y a pas de religion possible, au moins pour la grande majorité des hommes. L’expérience prouve que toutes les religions se maintiennent et exercent leur influence par le moyen de leurs prêtres, et que, là où l’action du prêtre ne se fait pas sentir, la religion aussi est absente. Supposé même que l’on pût imaginer une religion sans prêtres, il est certain que la religion catholique ne peut exister sans clergé, puisque sans le clergé il n’y a ni Eglise, ni sacrements, ni sacrilices, ni enseignement religieux.

Ces deux points admis, il en reste un à établir, c’est que Icsdevoirsdu clergé catholique sont incompatibles avec le service militaire. Ce dernier point n’est pas plus sujet à conteste que les précédents. En elTet, le prêtre catholique doit étudier, olîrir le sacritice, prêcher, catéchiser, veiller à l’entretien du temple, résider au milieu des fidèles et leur administrer les sacrements ; le soldat, de son côté, doit étudier l’art de la guerre, se former aux manœuvres, vivre dans les camps et marcher contre l’ennemi. Le même homme ne peut évidemment renq)lir en même temps des obligations si différentes. Il est nécessaire que le prêtre catholique soit pieux, doux et chaste ; ces trois vertus ne sont pas, nul ne l’ignore, celles qui distinguent ordinairement le soldat.

Enfin, et cette raison est plus convaincante que tous les autres arguments, l’Eglise déclare expressément le sacerdoce et l’état militaire incompatibles, et interdit à ses prêtres l’usage des armes. Il n’appartient évidemment qu’à elle seule de juger des conditions requises pour exercer le saint ministère.

Mais, dit-on, le citoyen qui se destine à l’étateeclésiastique ne pourrait-il pas payer d’abord sa dette à la patrie, puis embrasser la carrière sacerdotale ? Non ; parce que le sacerdoce exige une longue préparation de l’esprit et du cœur, des études théologiques et l’exercice continué des vertus de jiiété, de douceur, de chasteté…, conditions que le soldat peut dilTicilement remplir ! N’est-il pas évident que la caserne, la vie des camps, ne constituent pas un milieu favorable à la formation d’un lévite ?

Qu’on ne dise pas que c’est là une épreuve qui permet de faire une sélection, de garder les forts et d’écarter les faibles, qui succombent. C’est à l’Eglise qu’il appartient d’éprouver les vocations, en soumettant les jeunes lévitesà des épreuves proportionnées. Mais éprouver une vocation n’est pas l’exposer à des occasions auxquelles il est moralement impossible de résister. Léon XIII, dans sa belle encyclique ^ampridein, du 6 janvier 1886, aux évêques de Prusse, sur la situation du catholicisme en Allemagne, revendique avec force le droit absolu de l’Eglise de former ses ministres, et par conséquent, pour les évêques, le droit plein et entier déformer dans l’école des séminaires, loin de la dissipation, des bruits du monde, des périls des camps, la milice pacilique de Jésus-Christ, le droit de choisir à leur gré les prêtres à placer dans les divers postes, et de pouvoir sans obstacle s’acquitter de leur devoir pastoral. (Cf. Acia Léon. XIU, vol. VI, p. 8 sqq., Romæ 1887 ; f.etlres apostoliques de I.éoii XllI, t. II, p. ji sqq., édition des Questions actuelles.)

Il est donc absolument certain que les besoins religieux des citoyens catholiques ne peuvent être convenablement satisfaits, si le clergé n’est pas exempté du service militaire.

.u reste, le droit de l’Etat, en matière de service militaire, ne s’étend pas au delà de ce qui est exigé pour la défense du pays au dehors et le maintien de

l’ordre à l’intérieur, et le léger appoint que le clergé fournirait à l’armée n’est nullement nécessaire pour atteindre ce double but. L’Etat peut en même temps satisfaire largement aux besoins de l’ordre matériel et aux besoins de l’ordre moral ; par conséquent il est tenu d’en prendre les moyens, et l’un des plus nécessaires, c’est l’exemption du service militaire pour les clercs.

Celte démonstration nous paraît suffisante pour convaincre les plus opiniâtres de nos adversaires, pourvu qu’ils soient de bonne foi. Cependant, elle ne résout pas l’objection la plus commune et la plus considérable aux yeux du grand nombre, celle qui se tire du principe de l’égalité de tous les citoyens devant la loi. Les clercs, dit-on, participent aux avantages de la vie sociale, comme les autres citoyens, ils doivent donc, comme eux, en supporter les charges.

Le vice de ce raisonnement vient précisément de la supposition que les clercs ne supportent pas leur part, et une large part, des charges communes. Cette supposition est fausse, car les prêtres rendent à la société, par l’exercice du saint ministère, des services bien supérieurs à ceux qu’ils lui rendraient comme soldats. Us n’emprisonnent pas les criminels, mais ils préservent ou purilient les cœurs des atteintes du vice ; ils ne vont point au dehors combattre l’étranger, mais ils luttent, au sein des populations, contre des ennemis bien autrement redoutables, la corruption des mœurs, l’impiété et l’ignorance.

Il en coûte moins au prêtre qu’au soldat, dit-on encore. Cette objection, fût-elle vraie, ne prouverait rien ; mais elle est fausse. Les sacrilices exigés du prêtre, sacrifices des plus belles années de sa jeunesse consumées dans la studieuse et austère retraite du séminaire, sacrifice éternel de sa liberté, à laquelle il renonce au jour de son ordination, sacrilice des divertissements et des fêtes du monde, sacrilice de la vie de famille, et mille autres que le monde ne comprend pas, sont beaucoup plus grands que ceux du soldat. Aussi, pour un jeune homme qui offre de se consacrer à Dieu dans le sacerdoce, en trouvet-on vingt ou trente qui préfèrent la carrière militaire.

Donc les principes du droit naturel exigent que le clergé catholique soit exempté du service militaire. Si maintenant nousenvisageons la question au point de vue du droit civil moderne, nous arrivons à la même solution. En effet, l’un des principes modernes les plus vantés n’est-il pas précisément celui de la liberté des cultes ? Or, comment le culte catholique serait-il libre, si les lois de l’Etat opposent, par l’obligation du service militaire imposé aux clercs, un obstacleinsurmontable au recrutement duclergé ? Evidemment cette obligation équivaudrait pour la religion catholique à une véritable persécution, puisque sans clergé il n’y a ni sacrifice, ni enseignement, ni sacrements possibles. Quelle liberté le citoyen catholique aurait-il, sous une telle législation, de pratiquer son culte ? Sa conscience lui ordonne d’entendre la messe, dese confesser, de communier, d’assister à la prédication de la parole de Dieu ; si la loi civilele prive de prêtres, il se trouvera mis parl’Elat dans l’impossibilité matérielle de remplir ses devoirs religieux. N’est-ce pas là une véritable persécution, et la plus odieuse de toutes, puisqu’elle se cache sous les dehors de la légalité ?

Dernière objection. L’immunité du service militaire accordée aux clercs peut, dit-on, causer un grave préjudice à l’armée, puisque les évêques sont libres d’ordonner autant de prêtres que bon leur semble. Cette difficulté ne se soutient pas, pour deux raisons. La première, c’est que, pour conférer les ordres, il faut des candidats et que ceux qui se présentent suf623

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usent à peine aux besoins les plus impérieux du culte. La seconde c’est que l’évéque ne peut, sans se rendre coupable aux yeux de l’Eglise, surcharger son diocèse d’un nombre excessif de prêtres, et que, déplus, il doit pourvoir à la subsistance des membres de son clergé, ce qui en limite forcément le nombre.

Mais, dira-t-on, n’est-il pas à craindre qu’à la veille d’une guerre un grand nombre de jeunes gens ne se réfugient dans les séminaires ? Non ; parce que nul n’est reçu dans un grand séminaire, s’il n’a fait ses études classiques ; parce que les supérieurs ecclésiastiques veillent, en pareille circonstance, avec plus de sévérité à ne recevoir que ceux dont la vocation à l’étal ecclésiastique semble à peu prés certaine ; parce que, enlin, l’Eglise ne se refuse pas à ce que des mesures soient prises pour obvier à ce danger, car il est beaucoup plus à craindre pourelle que pour l’Etat, à cause des ministres sans vocation qu’elle serait exposée à recevoir dans son sein.

2" La plus considérable des immunités cléricales, après celle dont nous venons déparier, est l’exemption de la juridiction séculière. Quelques explications préalables sont nécessaires pour bien faire saisir la question. L’Eglise, nous le savons, forme une société religieuse indépendante, et qui se suffit à elle-même ; d’autre part, les membres qui la composent sont des hommes, sujets, par conséquent, à l’erreur et à la passion ; il lui faut donc des tribunaux et une force coactive pour maintenir la paix entre ses membres et procurer l’observation de ses lois. La compétence de ces tribunaux a naturellement la même étendue que l’autorité doctrinale, législative et administrative de l’Eglise ; car la raison veut que la société, dont une loi est émanée, ait le pouvoir d’en juger les transgressions. De plus, comme les clercs sont spécialement sous le pouvoir et en la possession de l’Eglise, il leur est accordé, par respect pour leur caractère sacré et dans l’intérêt de la liberté ecclésiastique, de n’être jamais jugés que par les tribunaux ecclésiastiques, quelle que soit la nature de la cause, et de n’être jamais violentés que par une force publique agissant au nom de l’Eglise. Ce privilège constitue ce qu’on appelle l’immunité de la juridiction séculière ; est-il conciliable avec les législations civiles modernes ? L’existence des tribunaux ecclésiastiques elle-même n’est-elle pas en contradiction avec les constitutions actuelles ? Quelles concessions peut-on attendre de l’Eglise en cette matière ? Donnons une courte réponse à ces différentes questions.

En ce qui regarde l’existence même des tribunaux ecclésiastiques, elleest la conséquence logique et nécessaire de l’autorité législative et de l’indépendance de l’Eglise. En effet, si l’Eglise peut porter des lois, il faut des tribunaux pour prononcer sur les dilTérends que soulève nécessairement leur application. Si, par exemple, un desépouxnie la validité du mariage, si la possession d’un canonicat est contestée, si le sens ouïe caractère des vœux d’un religieux est douteux, il faut un jugement pourterminer la cause. Ce jugement ne peut être porté par les tribunaux civils, qui ne possèdent aucune autorité dans les causes religieuses et n’agissent pas au nom <lu pouvoir ecclésiastique, unique origine de la loi violée ; il est donc nécessaire que l’Eglise possède ses tribunaux particuliers et indépendants.

Mais il ne suffit pas de juger, il faut encore faire exécuter la sentence, et, comme tous les chrétiens ne sont pas des saints, l’emploi de la force devient parfois nécessaire. L’Egliseadonc le droitde faire usage de la force ; tous les théologiens l’enseignent, et le Souverain Pontife l’a publiquement déclaré par la condamnation portée contre la proposition 21J du

Syllabus (cf. Ghoupin, Valeur des décisions du Saint-Siège : Syllabus, … prop.24 ; Nouvelle Bévue théologique, p. 209 sqq., avril 1908, et p. jl sqq., févr. 1910). Mais comment accorder l’exercice de ce droit avec les constitutions des Etats modernes, qui confient exclusivement aux gouvernements l’emploi de la force publique ? L’Eglise aurait-elle aujourd’hui comme en d’autres temps ses soldats et ses prisons ?Mais la loi civile s’y oppose, puisqu’elle n’admet l’existence d’aucune force militaire autre que celle de l’Etat. Demandera-t-elle aux gouvernements de faire exécuter les arrêts des tribunaux ecclésiastiques ? Mais les gouvernements ne reconnaissent pas ces triliunaux et, de plus, sont liés par le principe de la liberté de conscience. Il est donc impossible à l’Eglise de faire aujourd’hui usage de son droit ; elle peut juger, mais ses décisions ne valent que pour les catholiques de bonne volonté. Elle se résigne à cette nécessité, sans trop de regrets, parce que, dans le temps présent, vu les dispositions du plus grand nombre, l’emploi de la force par l’autorité ecclésiastique serait, à peu près partout, matériellement et moralement impossible : moralement parce que les rigueurs exercées au nom de la religion éloigneraient lésâmes, loin de les ramener, et matériellement parce que les populations ne les supporteraient pas.

Pourtant l’Eglise désire exercer son droit de coaction en certains cas, lorsqu’un membre du clergé fait résistance à ses lois.

Dans le concordat conclu, en 1855, entre le Saint-Siège et l’Autriche, il était stipulé, par l’article 16, que le gouvernement prêterait main-forte à l’Eglise pour l’exécution des sentences éjjiscopales portées contre les clercs coupables et récalcitrants. Cet article a soulevé des réclamations ; on l’a attaqué au nom de la liberté de conscience et au nom de la dignité de l’Etat ; il ne blessait ni l’une ni l’aulrc.

De quel droit, en effet, le clerc rebelle pourrai L-il se plaindre des rigueurs exercées à son égard ? En entrant dans l’Eglise, il a promis d’en observer les lois et s’est d’avance soumis aux châtiments portés contre les Iransgresseurs. Si donc il viole quelque loi, et s’il encourt quelque punition, il est juste qu’il subisse son châtiment ; lorsqu’il résiste, il faut évidemment que l’Eglise le contraigne et que force demeure à la loi. Il ne peut s’en prendre qu’à sa propre obstination des moyens violents dont on use alors envers lui. Il en est de ce clerc comme du soldat qui, en entrantdans l’armée, se soumet aux prescriptions du code militaire, et s’engage à en supporter les inconvénients, demême qu’il en recueilleles avantages. Il faut remarquer cependant qu’entre le prêtre et le soldat, il y a cette grande différence que l’un est entré librement et volontairement dans le ministère sacré, tandis que le plus souvent l’autre ne s’est rendu souslesdrapeaux que forcé par la loi. Nul ne prétend que le soldat soit blessé dans ses droits d’individu par l’emploi de la coaction matérielle, lorsqu’il transgresseles règlements militaires ; pourquoi refuse-t-on à l’autorité ecclésiasti<iue envers le prêtre les droits que l’on reconnaît à l’Etat envers le soldat ?

L’Etat, dit-on, se déshonoreralten prêtant ses soldatsà l’Eglise. Nous ne voyons pas en quoi la dignité de l’Etat peut être rabaissée par le concours qu’il prêterait à l’Eglise. Un prince s’est-il jamais déshonoré en portant secours à son voisin, trop faible pour défendre lui-même ses droits ? Qu’on ne vienne pas dire qu’un tel gouvernement se ferait le serviteur de l’intolérance cléricale. Est-ce donc de l’intolérance que de contraindre quelqu’un ; ’i remplir les engagements qu’il a j)ris, en parfaite connaissance de cause et dans la plénitude de sa liberté ?

Les clercs peuvent mériter châtiment pour avoir 625

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transgressé les lois d’Eglise, et de ce chef ils relèvent iiiconlestableiuent des tribunaux ecclésiastiques ; mais ils peuvent aussi se rendre coupables en violant les lois de l’Etat. Or dans ce cas, le droit canonique soustrait la connaissance de leurs causes aux. tribunaux ; de là nouvelle dillicullé.

Ce n’est pas ((ue l’Eglise nie l’autorité législative de la société civile dans l’ordre des choses temporelles, sur ses prêtres et ses évêques. « L’Evangile du Christ, dit saint Jean Ciirysostome, ne détruit pas les lois politiques, voilà pourquoi même les prêtres et les moines sont tenus de les observer. » C’est aussi ce que Bellahmi.n, appuyé sur la tradition constante de l’Eglise, enseigne dans les termes suivants : ce Les clercs sont tenus d’observer les lois civiles qui ne sont pas contraires aux saints canons et aux devoirs de la clcricature ; car les clercs, outre qu’ils sont clercs, sont encore citoyens et font partie de la société civile. Comme tels, ils doivent donc vivre conformément aux lois civiles… D’ailleurs, si les clercs n’observaient pas les lois civiles, dans leur vie d’hommes et de citoyens, il en résulterait pour l’Eglise un grand trouble et une grande confusion. «  (De Clericif, lib. I, cap. xxviii.)

Pour se prononcer sur la légitimité de l’exemption de la juridiction séculière en faveur des clercs accusés de violation de la loi civile, il est nécessaire de connaître les principes du droit naturel et du droit divin en cette matière. Le droit naturel fournit des arguments de valeur à peu près égale à l’appui des prétentions de l’Eglise et de celles de l’Etat. D’une part, en effet, ce n’est point comme clercs que les ecclésiastiques pèchent contre les lois civiles, mais comme hommes ; il convient donc que, dans ce cas, ils soient jugés par les lois humaines ; il est naturel aussi que le pouvoir, duquel les lois émanent et qui a la charge de les faire observer, en juge et en punisse la violation. On peut donc dire qu’ilappartient naturellement au pou oir civil de juger les causes non ecclésiastiques des clercs. Mais, d’autre part, il importe au bien delà religion et, par conséquent, à la prospérité de l’Etat que le respect dû au prêtre soit toujours gardé, et comment le sera-t-il, sileprêtre est publiquement condamné et puni par des liommes qui lui sont inférieurs en dignité, et au nom d’un pouvoir purement humain ? N’est-il pas inconvenant que de simples Udèles rappellent avec autorité à l’observation de leurs devoirs, au nom de la loi civile, ceux qui sont chargés de lés y rappeler eux-mêmes au nom de la loi divine ? De plus, toute mise en accusation d’un prêtre devient nécessairement un scandale, et l’atteinte portée aux mœurs par ce scandale dépasse presque toujours le mal qui résulterait de l’impunité elle-même.

Puisqu’il existe d’autres tribunaux qui peuvent, sans tous ces inconvénients, juger et punir les clercs, il est naturel de leur confier les causes de ces derniers. En somme, pai’conséquent, le droit naturel peut s’accommoder aux deux législations.

En est-il de même du droit positif divin ? Sur ce point, les théologiens ne sont pas d’accord. "J’avoue, dit NoKL Alexandre (Hist. eccl. seciil. xv et xvi, in sclinl. ad art. 2), que l’immunité ecclésiastique pour les causes spirituelles et ])urenient ecclésiastiques est de droit divin ; mais quant aux causes tem[lorelles et profanes, telles quelepayement desdettes et la punition do-i fautes que les ecclésiastiques commettent, non comme clercs, mais comme hommes vicieux, par exemple, les vols, les homicides, les sacrilèges, etc., je ne puis accorder que leur immunité soit de droit divin. »

que

Cependant l’opinion la plus commune enseigne le cette immunité est, sinon d’institution divine, du’moins fondée sur le droit divin. (Voir ce que nous avons dit plus haut sur l’origine des immunités ecclésiasti ([ues. Pie IX, dans le Syllabiis, a condamné la proposition suivante : « Ecclesiasticuni forum pro temporalibus clericorum causis sive civilibus sive oriminalibus, omnino de medio tollendum est, etiam inconsulta et reclamante Apostolica Sede. » Cf. Ghoupin, Valeur des décisionsdu Saint-Siè^e ; Syllnhiis, pTop.31’.) Quoi qu’il en soit de cette controverse, tous s’accordent à reconnaître que le Souverain Pontife peut, dans tous les cas particuliers, faire cesser cette exemption, soit en la détruisant, si elle est de droit ecclésiastique, soit, si elle est de droit divin, en déclarant que dans ces circonstances la loi de Dieu n’oblige pas.

A quelles limites s’arrêteront les concessions du Saint-Siège en cette matière ? Il est assez dillicile de le dire ; mais on peut croire que le Souverain Pontife nefcra jamais de cette immunité une condition absolue de l’union des deux sociétés.

Dans le concordat conclu avec l’Autriche, il est déclaré expressément que : « Eu égard aux temps, Sa Sainteté consent à ce que les causes purement civiles des clercs, comme en matière de contrat, de dettes et d’héritages, soient connues et décidées par les juges séculiers. Pour le même motif. Sa Sainteté ne s’oppose pas à ce que les causes des ecclésiastiques, en matière de crimes ou de délits, punis par lois de l’empire, soient déférées aux juges séculiers. » (Art. 13 et 14-) Cf. Nussi, Cunventiunes…, p. 313, Moguntiae, iS^o.)

Les mêmes concessions ont été faites, soit explicitement, soit tacitement, pour la France, pour la. Belgique et presque tous les autres pays catholiques. En France particulièrement, les prêtres, depuis le Concordat, continuent à être jugés par les tribunaux civils, comme les autres citoyens, et cet état de choses n’a jamais occasionné de conflit entre le gouvernement et l’épiscopat ou le Saint-Siège.

Cl’.d’ailleurs Décret. ÇKrtn<ar ; srf17/^e ; i//a, 90ct. 191 1, Acta Apostolicæ Sedis, p. 555 sq. ; 10 nov. 1911 ; // Monitore ecclesiastico, p. 499 l’î-’31 janv., p. 543, 28 fév. 1912 ; ibid., Declaralio S. 0//icii, p. 4, 31 mart. 1912.

3° Le privilège du canun rend la personne des clercs inviolable et sacrée, de telle sorte qu’on ne peut pas porter sur elle une main violente, sans encourir une excommunication simplement réservée au Souverain Pontife. Ce privilègeest ainsi appelé parce qu’il aété accordé par le canon 15, Si quis suadeiite diabolo…, du II’concile de Latran, célébré sous Innocent II en 1 139 ; e’esl le canon 29 de la Cause X’VII, question 4, dans le décret de Gratien (édit. Friedberg, col. 822). A part quelques modifications de détail, le concile de Trente n’a pas changé la législation ecclésiastique sur ce point ; ce canon avec sa sanction a été inséré dans la bulle Apostolicæ Sedis (Excumm. latæ sent. B. P. reservatae, n. 2) ; c’est le décret de Pie IX qui fait loi en l’espèce.

Nous n’insisterons pas sur ce privilège ; on en comprend facilement la raison, la haute convenance (cf. BuLOT, Compendium tlieol. moral., t. ii, n. g54, p. 573 sq., edit. altéra, 1908 ; D’ANNiBALE, Co/15<. Apost. Se</(s, p. 64 sqq., edit. 3, Reate, 1880.)

Nous ajouterons seulement quelques mots sur son origine historique.

Si la personne de tout chrétien est consacrée par le baptême, si les princes temporels sont déclarés inviolables par les constitutions de rEtat, combien plus doit être privilégié sous ce rapport, dans tous les membres qui le composent, le sacerdoce royal, distingué du reste des hommes par une élection et une consécration spéciales ? (cf. Phillips, Du droit ecclésias627

INCINÉKATION

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tique…, traduit par Crouzet… 2* édil., 1. 1, §60, p. 47’sqq-, Paris, 1855).

Dans les premiers siècles, l’Eglise ne sentit pas le besoin de faire une loi particulière pour protéger ses ministres contre les violences ou les voies de fait ; les injures de ce genre étaient plutôt rares. Et même plus tard, les empereurs chrétiens édictèrent des lois spéciales, qui sauvegardaient sutrisamment le cierge contre toute injure grave. Par exemple, I.eg. lo, Cad, , Lib. I, De Episcopis, tit. 3 ; Ibid. In Autkentic… Ibid. Leg. 33, § 6, Cod., lvb. I, Ht. 3.

Maisaprès l’invasion des barbares, les choses changèrent. Fidèle à sa mission divine, l’Eglise se mit aussitôt à travailler à la conversion et à la civilisation de ces nouveaux peuples. Avecle temps. Dieu aidant, elle réussit pleinement dans son entreprise. Toutefois, les débuts furent dilliciles ; il y eut bien des obstacles à surmonter. Le barbare, au caractère dur, violent, emporté, sanguinaire, devenu chrétien, ne fut pas transformé tout d’un coup en un agneau ; l’évolution fut lente : aussi le clergé fut-il exposé à des outrages, même de la part des nouveaux convertis. Cependant, même en ces temps-là, il y avait une certaine protection ollicielle, légale, en faveurdu clergé. La loi, par exemple, imposait aux délinquants des amendes plus fortes, des peines plus graves, quand il s’agissait d’un clerc, que lorsqu’il était question d’un simple laïc ; et la quotité de l’amende, comme la gravité de lapeine, variaientselonla dignité du clerc. Ainsi, dans la loi des Uipuaires (anciens.VUemands qui habitaient sur les rives du Rhin : aujourd’hui la Hollande, le Luxembourg), celui qui frappait un sousdiacre était passible d’une amende de 400 sous ; de 500 sous, si on frappait un diacre ; de 600 sous, si l’on frappait un prêtre du pays, libre ; de 900 sous, si l’on avait l’audace de s’attaquer à un évêque. Cf. Lex Uipuariorum, lit. 36, art. 5, p. 4^6 ; Lex Rawarioriim, tit. i, cap. 8, 9, 10, 11, p. 402 sq. ; Corfear legwn antiqiiaritm, Francofurti, 1613.

L’Eglise elle-même en vint à soumettre ces malfaiteurs à de très sévères pénitences, et, lorsqu’ils refusaient de donner satisfaction à qui do droit, elle finissait par les exconinninier, comme le prouvent le canon de Nicolas l" (858-86 ;) = e. a3, C. XVll, q. 4 et le canon attribué à.lbxandre II (io61-io ; 3) = c. 22, C. XVII, q. 4. insérés tous les deux dans le décret de Gratien. édit de Friedberg, col. 820, 821. Le canon.S( qiiis deinceps 22, C. XVII, q. 4. a été faussement attribué à. Alexandre II ; il émane d’un sj’nodc tenu sous Pholius à Constantinople, dans l’église de Sainte-Sophie (BBRAnoi, Gratiani camines gemiin., lom. 11, p. II, p. 332 ; cf. Phillips, Droit ecclésiastique. .., t. I, § 60, p. 472, not. 3).

Au IX* siècle, l’Eglise augmente la sévérité de ses sanctions : tous ceux qui frappaient ou à plus forte raison tuaient des évoques, étaient par le fait même excommuniés. Le concile de Latran, célébré en 1097, sous Urbain II, décréta la peine de l’excommunication majeurc.contre tous ceux qui se porteraient à des voies de fait sur la personne des clercs ou des moines. Cf. Wernz, yiisÔecre^ï’., t. II, n. 164 ; Hbi-ble, //is(. des Conciles, t. VII, p. 60 sq., trad. Dolare. Au xii’siècle, en 1 1 23, sous Cai.ixtk II, le concile de Latran, premier concile (ccuméniquecclébré on Occident, statuait que l’analhème atteindrait tous ceux qui molesteraient les clercs ou les moines, soit dans leurs personnes, soit dans leurs biens. Cf. can. 20Concil. Lat. I, Labbc-Coleti, Concilia.., l. XII, col. |336 sq.. Venetiis, i-j’io ; BiNFn,.4pparatus…, p. 139, Pars I, Friburgi-Brisg., 1754 : Hiii-ELE, Histoire des Conciles, l. A’II, can. 20, p. 184, tra<luction Delarc.

A cette époque,.Vriiold (ou.Vrnoud) de Brescia et ses partisans, dans leur haine satanique contre le

sacerdoce de Jésus-Christ, excitaient le peuple à injurier et même à exterminer les clercs et les moines. Pour enrayer etlicacement le mal et assurer la sécurité du clergé. Innocent II, au concile de Clermont, en 1 130, renouvela la peine de l’excommunication contre tous ceux qui se laisseraient aller à des sévices contre un clerc ou un moine. Cf. can 10 Concil. Claromont., Labbe-Çoleti, t. XII, col. 1447- L’année suivante, 1131, dans un concile tenu à Reims, le même Pape porta lecélèbre décret «.Si qiiis suadente diabolo… », cf. can. 13 Concil. Hem., Labbe-Çoleti, t. XII, col. 1465, qu’il érigea en loi générale au deuxième concile de Latran tenu en 1 1 39. En vertu de ce décret, quiconque,.sHa(^en<e(iinto/o, portait une main violente sur un clerc ou un moine, encourait ipso facto l’excommunication et, excepté à l heure de la mort, ne pouvait être absous qu’en allant à Rome demander lui-même son absolution au Pape : c’est le canon 15" du II’concile général de Latran = c. 2g, G. XVII, q. 4, dans ledécret de Gratien, édition Friedberg, col. 822 ; cf. Labbe-Colcti, t. XII, col. 1503.

Le concile de Trente tit quelques modilications de détail à cette législation, mais ne la changea pas substantiellement. Cf. Concil. Trid., Sess. xxiii, c. 6, de réf. ; Sess. xxv, c. 20, de réf. ; Schmalzgrubbeb, I. III, tit. 3, n. 39, 40. Enfin, comme nous l’avons dit, le canon 15’du second concile général de Latran (i 189) a été inséré dans la hiMe Apostolicæ’^edis, 2, De Excom. li. Pontifici simpliciter resenatis, n. 2 : « Violentas manus, suadente diabolo, injicientes in clericos, vel utriusquc sexus monachos, exceptis, quoad reservationem, casibus et personisde quibus jure vel privilegio perinittilur ut episcopus aut alius absolvat. » BuLOT, Theol. moral., t. ii, n. 954 ; d’Annibale, Consl. Apost. Sedis, n. 98, p. 64 sqq.

L. Choupin,

fj. B. Jaugey].