Dictionnaire apologétique de la foi catholique/Ferrer (Affaire)

Dictionnaire apologétique de la foi catholique
Texte établi par Adhémar d’AlèsG. Beauchesne (Tome 1 – de « Agnosticisme » à « Fin du monde »p. 957-959).

FERRER (AFFAIRE). — I. Antécédents de Ferrer. — II. Evénements de Barcelone. — III. Part ticipation de Ferrer. — IV. Jugement et exécution. 1899

FERRER (AFFAIRE)

1900

— V. Attaques contre le tribunal, graphie.

YI. Biblio I. Antécédents de Ferrer. — François Ferrer Giiardia naquit en 185g, à Atella, province de Barcelone. Son père était marchand de vin. A l'âge de 20 ans, Ferrer obtient un emploi très modeste, dans la compagnie des chemins de fer de Barcelone à Tarragone et France : son peu d’instruction l’empêchait de briguer un emploi plus important. En 1885, lors de l'échec de l’insurrection du brigadier Villacampa, où il s'était gravement compromis. Ferrer fut obligé de s’enfuir à Paris. Là, avec le secours de plusieurs réfugiés espagnols, il ouvrit un débit de vins. Puis, après diverses aventures, il fut nommé professeur d’espagnol, à l’Union des écoles neutres, au Grand Orient de la rue Cadet.

Il nouait bientôt des relations intimes avec une demoiselle Ernestine Meunier. Il abandonna sa femme légitime et intenta contre elle une action en divorce. La rupture fut des plus violentes : sa femme lui tira plusieurs coups de revolver, exaspérée, comme elle l'écrivait elle-même, par les odieux traitements qu’il lui avait fait subir. Mlle Meunier, à sa mort, laissa à Ferrer un million en titres d’Etat et un immeuble, sis rue des Petites-Ecuries.

Mais, malgré sa belle fortune, Ferrer se désintéressait complètement de ses trois Olles, qui menaient une existence pénible et très précaire. L’aînée, Trinidad, gagnait sa Aie en travaillant dans une fabrique parisienne de biscuits. En un de compte. Ferrer déshérita ses iilles, pour laisser tous ses biens à un anarchiste, du nom de Portet, qui résidait à Liverpool, et à sa maîtresse Soledad Villafranca.

Ferrer n’aécrit aucun ouvrage, il n’a conçu aucune méthode pédagogique spéciale, il ne s’est jamais signalé par son éloquence. M. Salillas, un anthropologiste et un républicain, nous dit que les quelques vers laissés par Ferrer sur les murs de sa prison de Madrid, durant son premier procès, n’ont aucune valeur littéraire, que les pensées en sont insignifiantes et vulgaires. Par contre. Ferrer se fit un nom par son ardente propagande révolutionnaire. Le premier, il fit pénétrer en Espagne la correspondance de Ruiz Zorilla, proscrit en France ; il devint secrétaire de ce même Zorilla et prit part à toutes les tentatives faites pour proclamer la république. En 1892, il assistait au Congrès de la libre-pensée, à Madrid, comme délégué de plusieurs centres libertaires ; il s’y lit remarquer par son ardeur révolutionnaire, et se rangea à l’avis de Lerroux, qui voulait à tout prix convaincre les peuples qu’on peut vivre sans loi, sans gouvernement, sans Bien. Parmi les papiers saisis chez lui, à sa maison de Mas Germinal, on trouve des circulaires, des proclamations, corrigées de sa main, où il préconise « l’abolition de toutes les lois existantes, du clergé, de l’armée », où on lit : « Vive l’Anarchie et la RéAolution ! » et où s'étale « la formule pour préparer la panclastite », un dangereux explosif.

Ferrer vivait en relations avecMalato, Kropotkine, Zainda, Malatesta, Reclus, etc. ; il était affilié à la franc-maçonnerie, dont les chefs lui conlièrent plusieurs missions importantes et délicates. La police française portait sur lui ce jugement : « Il est considéré, à Paris, comme un anarchiste très dangereux, capable de propager ses idées par tous les moyens possibles et imaginables. »

C’est à cette ardeur de propagande anarchiste qu’est due la fondation de l’Ecole moderne de Barcelone. Celte école était destinée, suivant les lettres mêmes de Ferrer, à élever et façonner des révolutionnaires sans Dieu et sans iiatrie. Et parmi les

principaux professeurs nous trouvons des anarchistes, comme Mme Jacquinet et Morral. La iiremière établit, en Egypte, une école que les Anglais supprimèrent comme par trop radicale ; le second jeta une bombe contre le roi et la reine d’Espagne, à Madrid, en 1906, lors de leur mariage.

IL Evénements sanglants de Barcelone. —

Le 26 juillet 1909, on déclarait la grève générale à Barcelone et dans plusieurs A’illes voisines : c'était en manière de protestation contre la guerre du Maroc. Aux ouvriers grévistes se joignirent des révolutionnaires, et les choses prirent une telle tournure que l’autorité civile confia la répression aux pouvoirs militaires. Mais la majeure partie de la garnison de Barcelone avait été envoyée à Melilla ; le général en chef n’avait plus en niain les forces suffisantes pour tenir en respect une populace déchaînée. Conduite par quelques bandits, la foule des insurgés commit, trois jours durant, tous les excès possibles. Elle mit le feu à 97 édifices, dont 22 églises, 34 couvents, 22 établissements religieux de bienfaisance, ig maisons particulières ou officielles. De plus, elle incendia 13 dépôts d’archives et bibliothèques, un musée d’art ancien, une collection d’antiquités précieuses, des parchemins très rares, des œuvres d’art de haute A’aleur.

La fureur va plus loin encore. On déterre trentecinq cadavres de religieuses, à Barcelone, et deux à Sabadell ; on les promène par les rues, on en fait un objet de risée pour le peuple, et on les profane brutalement. — On pille et vole les couvents, on détruit les voies ferrées, on coupe les fils télégraphiques, on met à sac les magasins d’armes et de pétrole, on dépave deux mille mètres de rues pour faire des barricades et pour tirer ainsi plus facilement sur l’armée. Barcelone se vit privée de vivres, de lumière ; une multitude de pauvres, de vieillards, d’infirmes se trouvèrent sur le pavé, sans logement et sans nourriture. On compte parmi les Aictimes des anarchistes, cinq ecclésiastiques ou religieux tués et six blessés ; huit soldats tués et soixante-douze blessés ; cent deux autres personnes de la Aille tuées, et trois cent douze blessées. Les réA-olutionnaires infiigèrent à des êtres inoffensifs et absolument innocents des tortures inouïes. Ils dépouillèrent une religieuse de ses Aêtements, ils firent Aiolence à plusieurs autres d’une manière infâme ; ils traînèrent trois d’entre elles à une maison de prostitution, tandis qu’elles imploraient la mort à grands cris. Ils arrachèrent les oreilles à un religieux, le chargèrent d’une croix faite aA^ec des travcrses de Aoie ferrée ; ils tiraient des coups de fusil sur ceux qui tentaient de s'échapper de l’incendie, à Sabadell. A Barcelone, ils mirent le feu au cornent des Adoratrices, où étaient enfermées les religieuses et trente-quatre de leurs élèAcs. Dans d’autres couA-ents, les religieuses ne purent fuir que par les toits, ou par des trous pratiqués dans la muraille.

III. Participation de Ferrer. — A la suite de ces CAénements, François Ferrer Guardia fut arrêté et mis en jugement. Plus de soixante témoins furent entendus, presque tous républicains ou radicaux ; quelques militaires seulement furent cités, un catholique, et pas un seul ecclésiastique. Les pièces du procès conduisent aux constatations suivantes, nettes et précises :

I. — Ferrer dirigeait, comme principal chef, les groupements réAolutionnaires de Barcelone. — 2. Il se rendit deux fois à la rédaction du journal Le Progrès (El Progreso) pour exciter les radicaux et les membres de la solidarité fraternelle à un mouA^ement réAolutionnaire ; une troisième fois, il y envoya 1901

FETICHISME

1302

un de ses amis, dans le même hiit. — 3. Il se rendit aussi à la Maison du Peuple (Casa del Pueblo) et insista auprès du président pour que 1 insurrection ne se bornât pas à la protestation du 26 juillet. — 4. Il alla à Preniià voir le maire, l’adjoint et le secrétaire, pour les pousser à proclamer la république, et l’on remarqua que la grève prit une très fâcheuse tournure après la visite de Ferrer à la Fraternité républicaine de Premiâ. — 5. Il donna à un employé de la municipalité plusieurs cartouches de dynamite, pour faire sauter le collège des Frères de la Doctrine chrétienne ; il distribua des armes à plusieurs bandes ; il fournit de l’argent à la Solidarité ouTière, âme de l’insurrection. — 6. Après s’être rasé la barbe, pour ne pas être reconnu, il se rendit à Masnou auprès du président du comité républicain ; il l’engagea à proclamer la république, à continuer la révolution, et surtout à brûler les couvents et les églises.

— j. A Masnou, il se forma des groupes d’insurgés pour attendre la venue de Ferrer ; ce dernier y envoya un de ses amis qui l’excusa auprès de ces gens, disant que sa présence était absolument nécessaire à Bai’celone, à cause du soulèvement préparé. — 8. Les émissaires de Ferrer allaient et venaient, portant ses ordres à la Fraternité de Premiâ, qui paraissait être le quartier général des incendiaires et autres gens suspects ; d’autres gens, payés par lui, arrêtaient les voitures, les chariots, etc. — 9. Les instigateurs de tous ces attentats étaient des professeurs des écoles de Ferrer.

Dans les confrontations cfui eurent lieu entre lui et les témoins, Ferrer ne s’en tira pas à son avantage ; si bien que le procureur général du tribunal suprême conclut, de toutes les enquêtes faites à Barcelone, que Ferrer était regardé a^ec raison comme l’auteur et l’instigateur de ces troubles sanglants.

On lui accorda toutes les prérogatives que la loi permettait : récusation de juges, convocation de témoins, choix d’un avocat défenseur. Mais cet avocat, danssaplaidoierie, ne put dissiper ni détruire aucune des charges cp.ii pesaient stu* Faccusé.

IV. Sentence et exécution de Ferx’er. — Le procureur général, en face de ces charges accablantes pour Ferrer, concluait ainsi : il s’agit d’une insurrection à main armée, puisqu’il s’y rencontre toutes les conditions qu’énumère l’article 287 du Code militaire. Le chef d’une telle insurrection est celui qui va trouver les gens, les engage, les excite, leur indique le but à atteindre, cherclie, désigne et fournit les moyens nécessaires à la réalisation de l’entreprise ; or Ferrer a fait tout cela. Donc, d’après le premier paragraphe de l’article 238 du code, Ferrer mérite la peine de mort.

Le tribunal, qui se composait d’un lieutenant-colonel et de six capitaines, ordonna la lecture du verdict, et se prononça, à l’unanimité, pour l’avis du procureur général. La sentence capitale fut approuvée par l’auditeur général de la quatrième division, et par le général en chef. Le conseil des ministres l’examina avec soin, et ne trouva aucune raison de conseiller au roi de gracier le condamné.

François p’errer Guardia fut donc fusillé, au château de Montjuich, le 13 octo])rc 1909, à neuf heures du matin. Le malheureux refusa obstinément les secours et consolations de la Religion catholique.

V. Accusations contre le tribunal. — i. Fei-rer fut cijiidanuié à cause de ses idées pro^ressisles. C’est faux. Pas une seule fois, le procureur général ne (it allusion aux idées que Ferrer défendait et propageait par ses écoles. Et si l’auditeur les mentionna, ce fut seulement comme une preuve indirecte de sa

partici^iation coupable dans les atrocités de Barcelone. — 2. Ou fit état contre lui de documents reconnus faux par la juridiction d’unie. C’estinexact. Toute la force, tout le nerf de la condamnation reposait sur les dépositions irréfutables des témoins, qui représentaient Ferrer comme le principal promoteur des événements de Barcelone. — 3. Ferrer aurait dû être ju^é par un tribunal ciyil, parce qu’un conseil de guerre manquait de compétence. La loi des juridictions, promulguée par le parti libéral, le caractère de rébellion armée, donnaient compétence aux jugesmilitaires. Ceux-ci étudient du reste avec soin, dans les académies, les parties du code qu’ils pourront avoir à appliquer dans leur carrière. — 4- Ferrer fut tourmenté comme au temps de l’Inquisition. Imposture ridicule ! Ferrer lui-même déclarait au correspondant d’un journal français quil avait été très bien traité en prison. De plus, le journal anticlérical et ferreriste, Le Pars (El Pais), envoya un démenti aux périodiques étrangers qui répandaient cette calomnie ; et les députés radicaux qui attaquèrent avec acharnement le ministère, aux séances desCortès des 18. 19 et 20 octobre reconnurent que ces bruits étaient calomnieux. — 5. Ce sont des prêtres qui influencèrent les juges. Mensonge grossier et stupidel L’esprit chevaleresque de l’oflicier espagnol est bien connu. Il se manifesta encore dans le cas présent. Les juges savaient bien qu’on les couvrirait de boue s’ils condamnaient Ferrer ; ils préférèrent cet affront plutôt que de manquer à la justice. — 6. Les incarcérations, exécutions et bannissements furent marqués d’une note de cruauté digne de l’Inquisition. C’est absolument faux. Les tribunaux firent preuve de zèle, mais ils ne dépassèrent jamais les limites posées par la loi. Dès qu’ils reconnurent l’innocence d’un inculpé, ils lui rendirent la liberté. Ceux qui furent fusillés (tout au plus une demi-douzaine de coupables) ne le furent que pour des crimes bien prouvés, pour des crimes que la loi punit de la peine de mort. Sur les 135 individus condamnés au bannissement, 67 étaient des vagabonds ou exerçaient un métier prohibé et 68 étaient des anarchistes.

VI. Bibliographie. — Juicio ordinario seguido ante los Tribunalesmilitares en la Plaza de Barcelona contra Francesco Ferrer Guardia, Madrid, 1909. — Diario de las Sesiones de Cortes. Congreso de Diputados, Sesiones del 18, 19, 20 octubre 1909. — A. B. G. Journal de Madrid, 5 décembre 1909. — Itazôn y fé. Madrid, décembre 1909. — Hernandez Villæscusa, La Revolucion de Julio en Barcelona. (Faits, causes, remèdes), Barcelone, 1909. — Comas, Francisco Ferrer (sa vie, son œuvre, sa juste condamnation), Barcelone, 19 10. — Ferrer im Liclite derlVahrheit, Berlin, 1909. — Die Ferrer-Beegung. Eine Selbstenlarvung des Freidenkertums. Dargelegt von D’Franz-Melfert, Gladbach, 1909.

Antonio Pérez Goyena, S. J.