Dictionnaire apologétique de la foi catholique/Dogme (III. Développement)

Dictionnaire apologétique de la foi catholique
Texte établi par Adhémar d’AlèsG. Beauchesne (Tome 1 – de « Agnosticisme » à « Fin du monde »p. 584-597).

IIIe Partie. — Développement du dogme

Nous a]>ordons un problème plus délicat. La nature du dogme, parole divine, mais exprimée en mots humains, à des intelligences humaines, le fait prévoir ; les exemples de variation enregistrés par l’histoire des dogmes le rendent plus pressant : dans quelle mesure s’unissent, en lui, l’immuable et le muable, et comment s’expliquent ses vicissitudes ?

Au lendemain des controverses ariennes, S. Grégoire de Nazianze proposait ainsi sa manière de voir :

« Ce n"est point, écrit-il, par un mouvement brusque, ni

à la première mise en branle, que [les deux Testaments] ont été changés. Pourquoi ?… Il y a lieu de le comprendre : afin que nous ne fussions pas violentés, mais persuadés. .. Ce qu’on obtient de plein gré est plus stable .insi d’un pédagogue…

« L’A. -T. a préclié le Père en toute clarté, le Fils avec I

plus d’obscurité. Le Nouveau a mis en lumière le Fils et il a insinué la divinité de l’Esprit. A présent, l’Esprit converse au milieu de nous, ayant donné à sa manifestation plus d’évidence, Il n’était pas en effet sans danger, quand la divinité du Père n’était pas encore admise, de révéler sans voiles le Fils, et, celle du Fils n’étant pas encore reçue, d’aller, pour employer une e.xpression un peu aardie, ajouter à notre ba^-age le Saint-Esprit. Il convenait plutôt que jjar des additions, et, comme dit David, des ascensions, des degrés et des progrès de clarté en clarté, la lumière de la Trinité nous fût manifestée de plus en plus brillante… Il était certaines choses, au dire du Sauveur, Joa., xvi, 12, que ses a]>ùties. bien que très instruits, ne pouvaient porter pour l’instant ; pour ce motif il les leur voilait. Par ailleurs, il annonçait qu’après son départ l’Esprit nous enseignerait toutes choses. Un de ces enseignements était, à mon sens, la divinité du Saint-Esprit. » Orat. t/icol., V, c. xxv sq., P. G., t. XXXVI, col. 160 sq.

Nous nous inspirerons de ces vues, en y ajoutant toutes les précisions qu’ont apportées les travaux des Pères et des théologiens. Dans ce but, il pai’ait indispensable d’éclairer tout d’abord quelques notions importantes.

X. Notions de l’explicite et de l’implicite. —

Est implicite ce qui est contenu dans une autre chose, explicite ce qui en est dégagé.

Ces deux états peuvent se concevoir, soit par rapport aux idées abstraites — implicite et explicite logique ou des idées à l’égard des idées — soit par rapport aux actes concrets, en tant qu’impliquant des idées comme principes d’action — implicite ou explicite pratique ou des idées à l’égard des actes.

Dans le premier cas, on considère les relations objectives des vérités, dans le second, la connaissance subjective que manifeste la manière d’agir.

L’implicitation d’une idée dans une autre est formelle, si cette idée est actuellement contenue dans la première, soit comme partie essentielle : ainsi l’idée d’animalité dans celle d’humanité ; soit comme partie intégrante : ainsi l’idée des cinq sens dans celle de corps humain ; soit comme ])artie subjective : ainsi d’une proposition particulière englobée dans une proposition universelle. Elle sera i>irliceUe, si l’idée n’est contenue dans une autre qu’à titre de conséquence, ou, comme on dit, contenue en puissance : ainsi l’idée de tel châtiment ou de tel pardon se trouve dans celle de justice, mais h condition que telle faute ou tel repentir vienne à se produire. En d’autres termes, l’implicitation formelle signifie contenance actuelle, et s’appuie sur un rapport d’identité ; l’implicitation virtuelle exprime une contenance de principe, et marque seulement connexion.

De manière analogue, l’implicitation pratique pourra être formelle, si, de la manière d’agir d’un sujet, on peut comprendre qu’il connaît actuellement telle vérité, au moins de manière confuse ; elle sera viituelle, si l’on peut dire seulement qu’avec les connaissances que sa conduite dénote, il a de quoi arriver à la discerner.

Cette terminologie présente quelques difficultés.

Plus habituellement, impticiiation pratique se dit des actes par rapport aux actes, par exemple d’un acte de 1153

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foi dans un acte d’amour de Dieu (implic. formel), d’un acte de dévouement dans un acte d’amour intense (implic. virtuel) ; mais le sens que nous indiquons pins haut tend à prévaloir et intéresse davanta^’-e la question présente.

On notera de plus que la classification précédente est basée sur les relations des idées prises en elles-mêmes, in abstracto, non sur la manière dont l’esprit arrive à les dégager. Il faudra parfois de longs raisonnements, pour que l’on reconnaisse la contenance actuelle (formelle) d’un concept dans un autre. Ce processus déductif ne doit pas faire illusion.

Sur ces notions, cf. Suarez, De fide, disp. iii, sect. 6, n. 2. Paris, 1868, t. XII, p. 32 ; Franzelin, De traditione, 1882, p. 279, 313.

On entrevoit lutilité de ces observations. C’est que la vérité peut entrer en nous par deux voies distinctes, par des idées claires, d’où naissent les actes, ou par des actes plus ou moins irréfléchis, d’où se dégagent plus tard les idées.

De plus, si les rapports abstraits des idées importent aux études théoriques (théologie) ou critiques (contrôle rationnel du développement dogmatique), c’est le donné concret, et donc toutes les manifestations de Ifi vie. avec leur contenu inconscient ou formulé, qui intéressent la psychologie et l’histoire (histoire du dogme).

Dès maintenant, nous pouvons dégager quelques conséf|uences :

a) Si l’on remarque que connaître explicitement, c’est connaître la chose en soi, in seipso, que connaître implicitement, c’est la connaître dans une autre, in alio tantuni, on notera très judicieusement que connaître à l’état dimplicite logique, c’est, sous le rapport de la connaissance actuelle, comme si l’on ne connaissait pas du tout, quod sic creditur rêvera non cofçnoscitur (Suarez, loc. cit.), et que connaître à l’état dimplicite pratique, c’est à peu près la même chose, puisqu’on ne songe pas actuellement à formuler ce qu’on croit. On entrevoit donc qu’il faudra bien des efforts des hommes et de la Providence, avant que l’universalité d’une grande société religieuse arrive à faire ce passage, qui n’a l’air de rien sur le papier, de in alio à in seipso.

, 3) Comme l’implicite logique n’est pas encore dégagé, il ne faut point s’étonner de ne pas le trouver consigné expressément dans les documents écrits. Et comme l’implicite pratique n’est pas encore formulé en idées, si l’on veut relever ses traces, c’est ailleurs que dans les exposés doctrinaux qu’il les faudra chercher, à savoir dans les rites, (hins les coutumes, dans les vestiges de l’action, non dans ceux de la spéculation.

y) De ce ([ue l’état initial est embryonnaire, on n’aura pas le droit de condamner la pleine croissance comme illégitime. Un exposé doctrinal peut s’allonger, non parce quon le modilie, mais parce qu’on l’explifiue, comme une plante se développe, non parce qu’elle change, mais parce qu’elle vit.

ô) Et de ce que les textes primitifs sont moins exi)licites, on n’en profitera pas pour les plier au gré de thèses préconçues : leur sens doit s’éclairer par tout le mouvement d’idées, de rites, d’usages multiples qui en est sorti, ou dont eux-mêmes, bien plutôt, sont sortis.

Essayons d’évaluer l’avoir intellectuel du Christianisme, au premier stade de son histoire.

XI. Le « germe » primitif. — A la On des temps apostoli(pu’s, la RéMlalion comporte tout ce qui a été dit, soit par h* Christ, soit par les Apôtres.

Premier point de désaccord : le protestantisme arrête la révélation à la mission de Jésus ; le catholicisme reconnaît aux Apôtres la mission de

parfaire celle de Jésus, sous l’inspiration de l’Espril-Saint.

Voici plus grave peut-être. Comment déterminer ce qui a été dit par le Christ.^

La Réforme répond : « En s’en tenant aux Ecritures. » — C’est dire qu’au nom du culte de la «. Parole de Dieu » on rejette toutes les paroles de Dieu qui ne sont pas écrites, et que l’on s’expose, faute de ce supplément d’information, à ne pas même comprendre celles qui le sont.

Une méthode qui se donne pour « critique » agit de même : elle limite les enseignements du Christ à ce qui en a été consigné par écrit, et, pour apprécier leur importance, compte leurs répétitions. C’est pitié !

On ne peut ici qu’indiquer la méthode à suivre. Elle consisterait à évaluer : a) quelles choses ont été dites, /î) comment, /) avec quel relief.

a) A n’en pas douter, ce qui a été dit déborde ce qui a été écrit. L’Ecriture même en témoigne, Act., i, 3.

Il faut ajouter : ce qui a été dit déborde ce qui a été exprimé en mots.

Si l’on cherche une définition des termes dire, parler, enseigner, révéler, tout le monde reconnaîtra que celui-là dit, parle, enseigne, révèle vraiment, ([ui fait comprendre quelque chose. Un maître dit lurmellement quelque chose, quand, sans même articuler une parole, il suggère une idée par un geste, i(uand il approuve d’un signe un acte dont il est témoin.

Ainsi, bien des leçons de Jésus ont pu être données stulement dans « l’exemple parlant » de sa conduite.

Pendant toute sa vie, pendant son ministère public spécialement, il se plie à toutes les exigences de la Loi juive. Il va au Temple, il participe aux fêtes et, sil réagit contre les abus, il donne en même temps le modèle du zèle pour le culte extérieur. Fallait-il. après cela, de longs discours, pour faire entendre comment il comprenait le culte « en esprit et en vérité » ? Doit-on s’étonner ([ue l’Eglise, même après les elTusions de l’Esprit, à la Pentecôte, soit restée fidèle à la liturgie du Temple, aussi longtemps qu’il fut possible ? Et si cette conduite du Maître et des disciples, dans leur pleine ferveur, implique quelques vues faciles à dégager, peut-on croire que c’est la Réforme qui les a retrouvées ?

On sait le rôle de Marie à Cana. Il y a bien des motifs de croire qu’elle ne le remplit pas en cette occasion uni([ue, le Sauveur se plaisant à autoriser l’intercession de sa mère, en agréant toutes ses requêtes. Etait-il nécessaire qu’il vînt après cela, eu termes comptés, enseigner son pouvoir de médiatrice ?

On pressent, surtout à travers les pages de S. Luc, le rayonnement inelfable de sa vertu. L’idée de toute sainteté devait venir tout naturellement à l’esprit, en approchant d’elle. Avait-elle besoin d’une autre approbation que le respect du Christ et des Apôtres à l’égard de Marie, et les hommages discrets qui traduisaient leur estime ?

Inutile de multiplier les exemples. Suarez se demande pourquoi les Evangiles parlent si peu de Marie ; il répond : l’bi res ipsæ et opéra quibus Christus matreni lionoravit clamabant, verba non erant necessaria : quand les faits parlent, les phrases sont inutiles. Sf.vuiîz, lu III p. S. Thomae. pruef., n. 5, t. XIX, p. 2. "Vue d’occasion, mais profonde et juste, qu’il y aurait profit à réintégrer dans la théorie générale. Des théologiens de valeur y reviennent d’ailleurs :

« Au lieu de dire : « Marie est toute pure et toute

sainte », écrit M. Bainvi ; i.. Jésus la montre. Et il est probable que c’est ainsi que Dieu a fait connaître à son Eglise les privilèges de Marie… C’est de ce fond [de sa conscience ol)scure] qu’émergeraient tour à tour devant sa conscience rélléchie les vérités dont

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elle prend peu à peu possession. » L Histoire d’un dogme, dans les FAitdes, 1904, t. CI, p. 628-632.

; 3) Mais l’action intellectuelle d’un maître se mesure

moins à l’abondance des vérités qu’il découvre, qu’à la manière dont il les enseigne. Plus il parle, moins ses paroles pénètrent ; mieux il l’orme ses disciples, moins il lui faut de mots. C’est la pédagogie du Christ qu’il convient d’étudier, si l’on veut expliquer, par son principe, le succès de son apostolat.

Si se faire comprendre, c’est éveiller le désir de comprendre, écarter les aIccs de raisonnement ou de conduite qui font obstacle à son enseignement, amener l’élève à prendre en quelque sorte contact avec la Aérité, par l’analogie des choses qu’il connaît déjà, et le guider jusqu’à ce qu’il l’ait vue par lui-même, cf. col. Il 36 pareille conduite s’imposait davantage, pour une prédication toute imprégnée de préceptes moraux et dans un milieu saturé de préjuges.

L’application de cette méthode est frappante dans l’abrogation, évidente aujourd’hui pour tous, du culte mosaïque. En la préparant sans cesse, Jésus, pour ainsi dire, n’en parle jamais. Cf. Origène, Corit. Cels., 1. II, c. II, P. G., t. XI, col. 79 ;. Cf. S. Grégoirk de Naz., Orat., theol. V, c. xxv sq. P. G., t. XXXVI, col. 160 sq.

Autre exemple. Lorsque Pierre, le premier, reconnaît Jésus comme « le Christ, fils du Dieu vivant »,

« Tu es bienheureux, lui est-il répondu, car ce n’est

pas la chair et le sang qui te l’ont révélé, mais mon Père, qui est dans les cieux ». Matth., xa’i, 16, 17. — A vrai dire, le Sauveur avait déjà enseigné, mais son enseignement sur ce point paraît avoir consisté surtout à amener Pierre à « trouver le mot », et cette révélation, il l’attribue au Père, parce que nul ne comprend les choses de Dieu, si le Père ne l’attire à la foi, Joa., vi, 44- Si l’on analyse cette attirance, on y trouvera ceci : une complaisance intime, souvent à peine consciente, pour tout ce qui a trait à ces vérités, mouvements de pensée qui y conduisent et actes où elles s’aflirment, si bien qu’on jouit d’elles en quelque sorte, avant même que la raison les ait clairement discernées, qu’on désire qu’elles soient, avant d’avoir entendu distinctement leur nom, qu’on les reçoit enfin avec amour, au moindre mot du maître qui nous garantit leur existence. Ista revelatio ipsa est attractio. S. Augustin, In Joa., tr. XXVI, c. VI, n. 2 sq. P. L., t. XXXV, col. 1607 sq. ; cf. S. François de Sales, Traitté de l amour de Dieu, I. II, c. XIV, in-80, Annecy, 1894, t. IV, p. 135 ; cf. c. xni, p. 130 sq.

Sans doute, comme on ne peut saisir en elle-même la vérité des choses transcendantes (mystères proprement dits), on sent que, pour éviter des exagéra- | tions dangereuses, ces principes doivent s’appliquer I à des degrés divers aux trois ordres de dogmes (faits évangéliques, vérités naturelles, mystères, col. 1 132). Le goût intérieiu", qui prépare l’intelligence à reconnaître le "VT-ai, n’a pas le même rôle, s’il s’agit d’accepter une vérité d’ordre naturel ou d’ordre surnaturel : il va, dans le premier cas, à faire saisir la force des preuves ; dans le second, à faire agréer le témoin divin. Mais cette différence même est de la plus haute importance ; c’était surtout en développant l’amour du Maître qu’on assurait la vitalité aux vérités fondées uniquement sur sa parole.

Un dogme comme celui de la Trinité, qui dominait toute la vie du Christ, ne pouvait recevoir de longues explications : il y avait, pour di’s têtes humaines, trop peu à comprendre. C’était donc moins par des exposés dialectiques qu’il pouvait s’implanter dans la vie chrétienne, que par l’attachement à prendre comme règle de foi les moindres paroles et comme

règle de vie les moindres exemples du Messie. — Le Christ s’est fait aimer.

Ces pensées sont à creuser, si l’on veut comprendre à quelle profondeur la révélation de Jésus a pu pénétrer la pensée de ses disciples et quelle est l’importance de ses assertions explicites, rares cl brèves, par rapporta cette formation intellectuelle et morale, qui lui a coîité tant de soins.

/) Enfin, ce qui fait la valeur d’un enseignement, c’est moins le soin d’assurer l’intelligence de chaque assertion, que celui de faire saisir sa Aaleur relative et ses rapports organiques avec quelques idées majeures, qui en sont l’àine.

Sous ce rapport, la rédaction des Synoptiques est presque décevante. « L’enseignement du Sauveur, a dit Mgr Batiffol, se produit au sein d’une croyance existante, et cet enseignement a pour but de dépasser cette croyance en la transformant. Il y a ainsi dans l’Evangile le dualisme de ce qui meurt et de ce qui naît : or l’un et l’autre sont affirmés comme sur le même plan par les Synoptiques, qui n’ont pas tenu compte de la perspective qui s’impose à nous. » Bulletin de lit ter. ecclés., 1904, p. 33.

Le fait n’a rien d’étonnant, dans la littérature de cette époque et dans la psychologie de ces convertis. Ils ont écrit une histoire anecdotique, craignant plus d’oublier le détail des faits que leur sens, dont ils avaient l’àme pleine, et. comptant sur le commentaire oral, pour faire reivrc l’esprit du Maître, au souvenir des mots.

Pour se rendre compte de leur mentalité et retrouver cette importance relative des leçons divines, on n’oubliera pas que, si tout enseignement, à ses débuts, doit être une répétition patiente, quand les esprits sont ouverts et les cœurs gagnés, il suflit de quelques instants, pour faire entendre des doctrines très hautes. Les plus importantes des leçons de Jésus ont donc chance d’être les plus tardives et les plus brièvement rapportées. Ces dei’iiiers mots moins neufs, parce qu’ils s’appuyaient sur tout le passé, omis peut-être pour, ce motif dans cet « abrégé du Verbe » que sont les Evangiles, éclairaient pourtant d’une lumière plus vive l’intime i^ensée du Christ. La seule vue de ses derniers exemples, trop habituels pour être décrits, mais mieux compris, le seul contact de sa personne plus aimée, ajoutaient à la Révélation, dans les derniers temps, ce qu’elle avait de plus précieux et ce que les disciples étaient le moins tentés d’écrire.

Les discours après la Cène traduisent les pensées capitales de Jésus. — Seul l’évangile « spirituel » de S. Jean les a reproduits, et assez tard.

Après la résurrection, Jésus explique les Ecritures aux pèlerins d’Emmaûs, Luc, xxiv, 27, puis aux. disciples réunis, xxiv, 45. — On nous rapporte le lait, sans résumer cette exégèse.

Il apparaît souvent aux disciples, avant l’Ascension, et leur parle durovaume, Act., i. 3. — On nous en prévient, sans nous expliquer ces explications, les dernières pourtant et les plus pleines.

On nous dit quand la lumière s’est faite ; quelle lumière, les convertis le savent, et les catéchumènes rajiprendront d’eux.

En résumé, à la mort du dernier apôtre, voici le bilan de l’Eglise, son dépôt : i °) une mentalité chrétienne très caractérisée, où se dessinent en pleine clarté de grandes idées directrices, autoiu* desquelles se groupent d’autres dispositions d’esprit semi-conscientes, semi-instinctives, toutes formellement autorisées de Dieu ; 2") des habitudes d’action, de prière, de culte, impliquant avec les mêmes degrés d’importance toute une dogmatique ; 3 « ) des souvenirs, très nets dans l’ensemble, de iiaroles dites et d’actes lis" ;

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accomplis par le Christ ou pai- ses Apôtres, dont une partie a fait trace dans les écrits canoniques.

De l implicite logique, il y en a dans la richesse de ces g : randes vérités qu’on va se transmettre avec des mots invariables et qui vont bientôt s’agglutiner en symboles : de l’implicite prati([ue, il yen adans toutes ces habitudes de la vie chrétienne, rite ternaire de l’initiation baptismale, adoration pratique du Christ, célébration de l’Eucharistie, impression profonde du caractère et du rang singuliers de sa Mère. etc. Voilà le « germe ». Ce ne sont pas les textes primitifs seuls ; c’est tout l'élan primitif de la rie chrétienne.

XII. Plénitude apostolique —Il ne faut donc pas que ce mot de « germe » fasse illusion. Il n’exprime nullement une foi embryonnaire et mal délinie. Il signifie seulement que toutes les formules intellectuelles, tous les rites, toutes les institutions de l’Eglise sont en puissance dans cette doctrine très riche malgré son raccourci et dans cette Aie très intense, comme toutes les démarches et toutes les folies que commandent une grande pensée et un grand amour sont en germe dans cette idée et cette alFection.

C’est ce que la théologie chrétienne, depuis S. Irénée et Tertullien, jusqu’aux scolastiques et jusqu'à nous, a exprimé en parlant de la « plénitude des temps apostoliques ». Enracinée dans leur àme par cette pédagogie divine cjue nous avons esquissée, plus vive i au lendemain des leçons reçues, plus concrète grâce aux exemples du Christ gradés dans leur mémoire, accrue enfin, de manière miraculeuse, par les dons de la Pentecôte, la science des Apôtres était moins discursive, mais plus riche et plus siire. Cf. S. Thomas, Sitm. theol., II, ii. q. i, a. 7, 4"° ; Suarez, I)e fide, disp. II, sect. 6, t. XII, p. 3.^, 35 ; Franzelin, De tradit., thés. 23, schol., p. 287, 288 ; Baixvel, L>e magist. t'/'0 et tradit., p. 128 sq.

Aussi y a-t-il intérêt à examiner de plus près la métaphore « du germe ».

M. Blondel la critique, parce qu’il y a, en lin de ..compte, /oHyoH/'A- moins dans le germe que dans l’arbre. Revue du Clergé, igo^, t. XXXVIII, p. 514 : le germe, avec le temps, s’est incorporé plus de matière et s’est manifesté de manière plus puissante. Le R. P. Allô la censure, parce qu’il y a dans le germe toujours plus que dans l’arbre : celui-ci ne représente de sa force expansive que ce qui a pu jusqu’ici être traduit dans j notre langage systématique de son inépuisable ricliesse. Foi et systèmes, p. 260. « Comme fi, disait M. Bloxdel, dans ce que Dieu donne il ne se trouvait pas, invinciblement, un le^'uin d’une puissance infinie. » Op. cit., p. 531. Le R. P. Allô a développé la njôme idée avec grande finesse en appliquant au dogme chrétien primitif la parabole évangélique du levain. Cf. Foi et srst., p. 223-263. Cette comparaison montre bien, en effet, comment le dépôt primitif est resté intact en faisant lever toute la niasse humaine : celle-ci fermente et évolue ; le levain reste le même, gardant encore toute son énergie pour les générations à venir. Par contre, elle exprime moins heureusement ce rôle de principe vital rempli dans l’Eglise par la vérité révélée et le caractère organique du développement qu’elle produit. Chaique image présente donc ses avantages ; le mieux est de s'éclairer de l’une et de l’autre, puisqu’aussi bien toutes deux peuvent s’autoriser de l’Evangile. Cf. parabole du sénevé,. » / « ///<., xni, 3 1 s<i. ; A/flrc, iv, 31 sq. ; i « f, xiii, ig, du levain,.Va///i., xiii, 33 ; Luc, xiii, 21.

L’imi)ortant est de ne pas considérer le a dépôt » comme un bloc de sons, de rites ou d'écriture, indépendamment des âmes où il vivait, de l’amour qui

s’en nourrissait, et qui devait, jusqu'à la fin des temps, en assurer à la fois l’intelligence et la transmission.

Seul ce fait d’une intelligence très vive, toute pénétrée d’amour, explique comment le « germe » a résisté aux dangers de la première heure, comment la foi a survécu aux désillusions de la Passion, à l’attente frustrée de la Parousie, aux vexations des premières persécutions, comment les fidèles se sont groupés en communautés fermées, comment les hérésies même de l'âge apostolique accusent la dépendance d’idées chrétiennes très caractéristiques et sont pourtant excommuniées par « les fidèles », alors que les cultes païens, à la même époque, admettent tous les compromis. Le « Symbole » chrétien est court, comme un « mot de passe », mais on sait ce qu’il veut dire et l’on s’y tient.

XIII. Immutabilité. — i°.i modification de sens. — L’Eglise, durant tous les siècles, s’est fait de cette même fidélité à l’enseignement apostolique un devoir absolu. Le Concile dvi Vatican a résumé et défini sa pensée dans le texte que nous avons cité, II, 3*. col. 1124 ; cf. art. Tradition.

H proclame l’immutabilité du dogme, en donne la raison profonde, et concède cependant la possibilité d’un certain développement.

La raison de l’immutabilité est tirée de la nature du dogme : ce n’est pas une invention philosophique, philosophicum inventum, mais un dépôt divin, divinum depositum. Cf. S. Vincent de Lérins, Commonit. I, n. 21, P. L.. t. L, col. 666. Elle vaut pour écarter tout évolutionisme dogmatique. Perfectible dans l’idéalisme, s’il marque seulement les étapes de ridée qui se réalise, dans le matérialisme, s’il chiffre seulement les imaginations progressiA’es de l’humanité, dans le pragmatisme, s’il exprime uniquement les phases mobiles de l’expérience religieuse, parce que, en tous ces cas, il participe à la mutabilité du sujet connaissant, le dogme est immuable, s’il est l’expression garantie des objets réAélés. Parole reçue de Dieu, éternellement vraie comme Lui, il est à conserver et à transmettre sans soustraction, sans altération, sans addition, cf. Encyclique Qui pUirihus. Denzinger, n. 1636 (1497) ; Srllabus, prop. 5, ibid. n. 1706 (1552) ; Encyclicpie Pascendi, ibid., n. 20g5.

Un autre motif, signalé par le Concile, est l’infaillibilité de l’Eglise : s’il est impossible qu’elle corrompe la parole de Dieu, il est impossible qu’il y ait lieu de réformer le sens de ses définitions. Par conséquent, ce qu’elle tient comme de foi à un moment du temps est à tenir comme da foi par tous les temps : sa foi d’une époque prescrit pour toujours.

L’illusion d’où naissent les hérésies et qui met parfois à la gêne des penseurs bien intentionnés est la suivante : on ne prétend pas changer le sens de la foi, mais le traduire en langage moderne et plus exact, chacun d’ailleurs définissant « moderne et plus exact n par la philosophie de son temps et de son choix.

Ce qui la favorise, c’est la double erreur d’identifier avec le dogme soit les anthropomori)hismes que suggère leur expression commune, soit les systèmes théologiques qui se sont donné pour mission de les expliquer. A ce compte, on a l)eau jeu de montrer que notre époque ne peut concevoir la personnalité divine, par exemple, comme celle d’un autocrate qui gouverne toutes choses derrière les nuages, la paternité comme une génération entre êtres humains, ni imaginer la genèse du monde d’après la physique d’Arislote et des scolastiques. Il conviendrait toutefois d’ajouter que tout cela n’entre pour rien dans les assertions de la foi ; voir col. Il 46. 1159

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Nous avons déjà indiqué les avantages du langage vulgaire dans lequel a été livré la Révélation : il manifeste en pleine lumière quelques faits capitaux. par exemple : « Dieu est Père » ; mais il laisse beaucoup d’obsciu-ité sur le comment. Cette imprécision est levée en partie par les autres articles de foi, — par exemple : « Dieu est intîni, immuable, éternel… » Le lidèle complète et rectifie ces données les unes par les autres. Ce langage est donc sans danger pour qui sait sa foi, et nul autre ne sera aussi riche de lumière, aussi suggestif de sentiment. En parlant cette langue des mots élémentaires, essentiels aux relations humaines, dont le sens ne changera pas, quelle que soit l’évolution de l’humanité, la Providence a soustrait le dogme au changement.

Si l’on observe de plus que la dogmatique a pour objet principal de préciser le sens des paroles divines dans l’ensemble de la révélation, de dégager la vérité révélée des scories que l’ignorance lui agrège ou des appendices que l’esprit de système lui ajoute, on comprendra comment elle ne peut partager les illusions de théoriciens moins avertis.

Si elle résume ses conclusions en termes abstraits (non pas en ternies systématiques), on pourra trouver glacial, ridicule même, ce langage qui n’ayant plus rien de commun avec les détails de notre Aie, ne fait plus rien vibrer en nous, mais il ne faut pas oublier qu’elle a i-endu l’inappréciable service de formuler ainsi dans un langage intemporel ce qui, dans la foi, doit échapper aux fluctuations du temps.

Ce que nous avons dit de la mobilité et de l’élasticité des formules dogmatiques, col. i i/igsq., ce que nous expliquerons bientôt de l’explicitation doctrinale col. I 161 sq., ijermettra au lecteur d’apporter à ces observations les compléments nécessaires. L’important est de noter, que ce que Dieu a dit, au sens précis où il l’a dit, reste une vérité acquise à jamais.

2° iNf addition de dogmes par une révélation noux’clle. — Au lieu de modifications telles qu’elles seraient moins une évolution cju’une révolution dans la foi, on pourrait concevoir un changement par additions successives à un fonds identique. Cette hypotlièse même, l’Eglise la repousse.

Si elle se reconnaît le droit de préciser, d’expliciter les dogmes reçus, elle a toujours nié qu’elle eût mission d’en introduire d’autres. Après le Christ, elle professe ne plus attendre de révélation publique, et, même quand elle approuve des révélations particulières, elle n’entend jias les incorporer au dogme. Elle déclare seulement qu’elles ne sont contraires ni à la foi ancienne ni aux mœurs, et qu’on peut prudemment les regarder dans l’ensemble comme venant de Dieu. Cf. Benoit XIV, De Sen-orum Dei beatif. et Beatorum canonizatione, in-4°, Prati, 1889, 1840, 1. II, c. xxxii, n. II sq. p. 299 ; 1. III, c. lui, n. 15, p. 609. Voir col. 1181, et l’art. Révélations privées.

Plusieurs grâces de ce genre ont pu être Voccasion d’un progrès dogmatique ou liturgique, en attirant l’attention des fidèles et en stimulant la piété. Elles viennent hâter l’explicitation ; elles n’ajoutent rien au dépôt primitif.

Cette révélation nouvelle, l’Ecriture ne la préfigure, ni ne la promet ; au contraire, elle décrit l’économie actuelle comme l’accomplissement des promesses, la plénitude des temps, en un mot comme la dernière étape avant la pleine Aisioii des cieux. Fuaxzelix, op. cit., thés. 22. p. 263. Mais la raison la plus convaincante ici. c’est l’enseignement constant de l’Eglise, d’autant plus impressionnant qu’il s’oppose en cela à l’évolution parallèle des autres religions, et qu’il est plus contraire à ce qu’il devrait être, s’il s’inspirait de prétentions humaines. Franzelix, ibid.

Voici des raisons moins pressantes, mais qui auront l’avantage d’ajouter à la preuve d’autorité quelcpies motifs plausibles des dispositions divines.

Dieu a évidemment encore infiniment à nous apprendre, mais le Christianisme n’est une école de science que pour être une école de Acrtu. En consé(luence, il ne nous donne de connaissances que ce qu’il en faut pour comprendre le dessein rédempteur de Dieu dans le Christ et pour y coopérer avec intelligence sufllsante et beaucoup d’amour. En se plaçant à ce point de vue de la valeur religieuse des dogmes chrétiens, assurément capital dans l’économie du salut, on peut se demander si elle serait augmentée par un apport intellectuel nouveau. En résumé, voici ce que la révélation évangélique nous procure : la connaissance du Fils comme Fils, c’est-à-dire, avec l’intelligence obscure de sa place dans la Trinité, l’entre-aperçue des richesses insondables qu’eUc laisse deviner ; la connaissance de la Rédemption, avec l’Incarnation, c’est-à-dire le plus haut degré possible de l’union réalisable entre l’homme et Dieu, la Passion, c’est-à-dire la preuve la plus palpable et la plus pro-A’ocante de l’amour de Dieu pour l’homme ; la connaissance de l’Adoption divine, c’est-à-dire, comme l)ut de la vie, la participation de l’homme à la filiation du Verbe et à son héritage de gloire ; la connaissance des moyens du salut, c’est-à-dire la grâce, dont l’efi’usion n’a plus d’autre mesure que celle de la libre réponse faite par la volonté humaine aux sollicitations divines ; enfin un minimum de signes et de critères sensibles, l’Eglise hiérarchique et les Sacrements, dont nous montrerons bientôt le rôle providentiel, col. 1179. Aa’cc ces éléments, la révélation n’esl-elle pas, selon toute vraisemblance, au plus haut degré de sa valeur religieuse, nous manifestant, dans le langage qui nous conA’ient, ce qu’il y a de plus efiicace pour nous porter à l’action. Ajoutez à cela quelques propositions intellectuelles de plus, v. g. des lumières plus précises sur le mode de procession de l’Esprit-Saint, des renseignements sur les chœurs angéliques, etc. Est-il bien sûr que tout cela nous apporterait un stimulant d’amour ou pleinement nouveau, ou plus riche, ou du moins opportun ?

3* Ai stagnation. — On objectera que la révélation ainsi comprise est d’une immobilité désespérante : un volume de sons a été émis, que les générations chrétiennes ont uniquement à répéter, un faisceau de lumière a brillé, dont il reste à se repaître, un maximum atteint avec « la plénitude des temps apostoliques », qu’on ne peut plus dépasser.

On peut, il est vrai, proposer la critique sous cette forme, pour corser l’objection ; il est difficile de la maintenir, si l’on pénètre d’une vue moins hâtive la nature du dogme et son rôle dans la vie humainci

a. Il est faux tout d’abord que le progrès exclue ; nécessairement tout élément stable, a) Il est essentiel’au contraire à la connaissance de requérir des données fixes. Les sciences historiques, biologiques, sociologiques prennent toutes comme point de départ des faits dûment constatés ; leurs constructions sont durables dans la mesure où elles les respectent. Les dogmes apportent de même un ensemble de faits : fait divin de la Irinité des personnes dans l’Infini, l’ail liumano-divin de l’Incarnation, etc. Ainsi encore le sens commun impose-t-il à la philo Sophie des évidences pratiques, plus sûres que toutes les spéculations. Une théorie qui les nie ou s’en désintéresse se met en dehors des faits. Ainsi du dogme. En s’obligeant à respecter ces données initiales, l’esprit humain ne s’interdit que la fantaisie, non le progrès., 3) Il est d’ailleurs de la nature du progrès de conserver toujours quelque chose du passé. Le vivant ne se développe qu’en perfectionnant ce qu’il

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posr ; ède. De même, les théories scientifiques qui se succèdent ne sont jamais pleinement nouvelles. Elles s’incorporent, et plus qu’on ne pense, une bonne part des thèses qui les ont précédées. De la Barre, La s’ie du dogme, Appendice, p. 261 sq.

h. Pratiquement, il était indispensable que la Providence nous assurât ces points de repère. La philosophie n’a pas la prudence des théories scientifiques. L’indépendance absolue des systèmes à l'égard du passé, à l'égard même des évidences premières, a conduit à ce résultat : l’humanité, en dehors des connaissances positives, n’a pas un seul point universellement acquis. Les penseurs isolés ont des convictions robustes et intransigeantes, mais contradictoires, et la masse, qui ne spécule pas, se partage sur la foi plus ou moins aveugle de leurs enseignements. Cela rend assez manifeste la nécessité d’un Maître qui n’ait point les défauts des autres, dont la parole ne soit pas à reviser. Unigenitus nobis enarras’it, Joa., i, 18.

c. Enfin ces données de la révélation chrétienne ne sont ni stériles comme des sons, même indéiiniment répercutés, ni comme de la lumière indéfiniment éclairante, mais d’intensité limitée, ni comme des formules au maximum de leur rendement. Si elles garantissent à la pensée humaine certaines vérités comme indubitables, elles laissent à la science le soin de reconstruire toutes ces conclusions par ses méthodes propres, Concil. Vatic, Sess. iii, c. 4 ; Denzinger, n. 1799 (1638). Elles la stimulent même par les perspectives qu’elles lui ouvrent.

A juger exactement des choses, aucun fait n’est document stérile que pour celui dont la pensée est éteinte. Pourquoi les dogmes seraient-ils seuls inutiles ? Leur nature est plus haute, leur contenu plus riche, et la grâce intérieure les accompagne, pour aider à le déchiffrer. Loin d'être un poids mort, ils sont pour l’esprit un germe et un levain de vie. C’est sous cet aspect qu’il nous reste à les considérer.

XIV. Objet du développement. — Pour classer les développements que la lui a reçus, au cours des âges, on pourrait peut-être les ramener à trois chefs principaux : 1° progrès historique, 2° progrès logique, 3' progrès apologétique.

1° Expansion historique. — Chaque fois qu’au principe de droit s’ajoute sa réalisation dans un fait. Ainsi aux dogmes primitifs de l’indéfectibilité de l’Eglise, de son infaillibilité, de son pouvoir sur les Sacrements, sont venus s’adjoindre, avec le temps, ceux de sa persévérance actuelle, de l’infaillibilité de toutes les définitions portées, de la légitimité des ssicremcnls présents, etc. Cf. Scarez, De (ide, disj). III, secl. ii, n. 6, t. XII, p. g^l » ; disp. 11, scct. 6, n. 18,

2° Elucidation logique. — C’est là que se manifeste plus spécialement le progrès, par passage du confus au distinct, de l’implicite à l’explicite. On distinguera : y) un progrès anal) tique ou d’inventaire. Il comprendrait tous les cas où la notion dogmaticpie arrive à se dégager plus distincte, soit qu’on la sépare mieux de tout ce qui lui était adventice, comme d’opinions et de légendes insulHsannnent autorisées, soit qu’on arrive enfin à formuler en abstrait des vérités professées au concret dans les usages chrétiens (inq)licite pratir|ue), mais que l’ensenil)lcau moins de ta coniMninauté n’avait jias encoïc fornuilécs à part. Ainsi de ta divinité et de l'égalité i Fils cl du Saiiit-Kspril exprinu’es, dès l’origine, dans la formule t)aptisniale. Malt., xxviii, 19 et, en (luelques endroits, dans le rite même de la triple immersion. S. Basile insistera à juste titre sur ce fait quc la litnrgi(> traduit la foi en actes et qu’il est légitime

de la traduire en formules. De Spiritu Sancto, c. ix, n. 24, P. G., t. XXXII, col. iii, cf. n. 26, 27, 28, 60, 68, 75, col. 113, 117, 19a, ig3, aog. Ainsi encore l’inventaire dogmatique se i^récise-t-il, quand ou définit solennellement, à Ephèse, la Maternité divine de Marie. Le mot Ôïîtszî ; , comme terme ofliciel, est nouvcau, non la doctrine, bien que le mot l’ait rendue de manière plus nette. Cf. S. Cyrille, Epist. ad monach., P. G., t. LXXVII, col. 13 ; Neubert, Marie dans l’Eglise anténicéenne, in-12°, Paris, 1906, p. I, c. iii, p. 121 sq.

Progrès d’inventaire encore, celui qui consiste dans rénumération distincte des vérités particulières contenues dans une proposition générale.

Tous n’auraient pu dire, dès les premiers temps, tout ce qu’impliquait l’estime singulière que l’on portait à la virginité de Marie. Vierge a^ant l’enfantement, à n’eu pas douter, était-elle demeurée telle après et pendant ? La réponse était moins évidemment connue de tous, puisque quelques Pères ont pu douter ou nier de bonne foi. Neubert, op. cit., p. 11. c. I, p. 159 sq. ; d’Alès, dans les Etudes, 1908, t. CXIV, p. 453 sq.

Sa toute sainteté contenait certainement l’exemption de toute faute mortelle. Excluait-elle tout péché véniel ? Quelques Pères ne l’ont pas cru. Cf. Canisils, De Verhi Dei corrupt., in-fol., Lyon, 1584, t. II, De Maria s’irgine, 1. IV, c. xxvii scj., spécialement c. xxix, p. lo ! sq., 418 sq.

Excluait-elle même le péché originel ? La question ne se posait guère, avant que la théorie générale eût été elle-même discutée. Il a fallu ensuite quatorze siècles, avant que l’Eglise aflirmàl que la sainteté attribuée à Mai’ie par les premiers âges s'étendait jusqu'à ce miracle de préservation. Le Bachelet, l’Immaculée Concept., t. I, p. 9-33 ; t. II, p. 55-62.

A cette catégorie appartient aussi toute une série de définitions, qu’on pourrait être tenté de ranger dans la suivante. Quand les Conciles définissent, contre Nestorius, que le Verbe de Dieu et la nature humaine dans le Christ ne sont pas seulement dans le rapport d’une union morale ou, contre Eutychès, qu’ils ne sont pas dans le rapport d’une fusion physique, ils ne font qu’exclure des opinions inconciliables avec la notion de Dieu-incarné, qui dès l’origiiuappartenait à la foi chrétienne. En dégageant mieux cette vérité, ils ne lui ont rien ajouté.

/3) Progrès déductif. Dans d’autres cas, le dogme s’enrichit au contraire de conclusions nouvelles.

Ce seront des déductions sj)éculalives : telles, scmble-t-il, celles qui ont trait aux distinctions de nature et de personne en Dieu, à la consubstantialité du Père, du Fils et du Saint-Esprit, aux notions de gràc<', de surnaturel, de transu !)stantiation.

D’autres concernent le domaine pratique. Ainsi arriveront à la pleine lumière des vérités d’abord négligées. Le culte de la Croix, des Saints, des images, des reliques, ne se manifestera qu’assez tard. A la première heure, certains docteurs témoigneront même de quehpie exagération contre le culte extérieur. Somme toute, il valait mieux qu’il en fût ainsi, et que les premières générations chrétiennes en tinssent à excéder parfois dans leur réactit>n contre le formalisme païen. Le danger passé, on déduira aisément des principes de la foi la convenance et la licéité des pratiques nouvelles.

Au même ordre appartiennent des conclusions conune les suivantes : inamissibilité du l)aptême, valeur (tu l)aj>tême des héréti(pics (voir Baptême des iiÉHKTiQUEs), ilérabilité de la pénitence, qu’il est facile de tirer, dès que les principes sont hors de conteste..

v) Progrès synthétique. Par la mênu' raison, l'élucidation des dogmes isoles amène à percevoir leur 11C3

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harmonie réciproque. Il ne s’agit pas ici des synthèses systématiques, qui, d’un point de vue plùlosophique, coordonnent dogmes et conclusions théologiques, et, sur le prolongement de ces dernières, échafaudent les thèses et les opinions probables : elles relèvent de la théologie. Il est question des synthèses dogmatiques, qui rapprochent les dogmes en essayant de mettre en lumière le plan général de la rédemption, tel que la foi peut l’entrevoir. C’est proprement l’intelligence du Mystère, dont parle S. Paul. Cf. Prat, J.a théologie de S. Paul, in-8°, Paris, 1908, t. I, p. 129, 130, 429-433.

3° Progrès apologétique. — Il consiste dans la valeur croissante des démonstrations et des réfutations. Avec le temps, chaque dogme est appuyé sur des preuves meilleures et l’erreur réfutée par des réponses plus adéquates. A vrai dire, c’est ici non la foi, mais la théologie, qui jirogresse ; elle favorise grandement l’explicitation des dogmes, mais puisqu’elle n’entre pas dans le dogme, nous n’avons pas à en traiter.

Tels sont, ce semble, les divers modes du progrès dogmatique.

Il en résulte, si l’on veut apprécier le résultat général ; a. un progrès manifeste de promulgation, et, comme conséquence, une obligation stricte pour tous de se conformer à une loi officiellement publiée ; b. un progrès certain d’acquisition, si l’on considère les dogmes déduits des vérités révélées : quantum ad hoc potest fides quotidie explicari et per studium sanctorum magis atque ma gis explicata fuit ; S. Thomas, In IV Sent., 1. III, dist. 25, q. 2, a. 2, q. i. in-4, Paris, 1873, p. 394, 396 ; cf. Sum. theol., l, q. 36, a. 2, 2™ ; II, II, q. I, a. 7, c ; a. 9, 2™, 4™>5'" ; a. 10, i™ ; q. 170, a. 6, etc. Il n’y a point addition proprement dite. C’est la doctrine que la théologie catholique exprime, en reconnaissant un progrès non dans l’objet de la foi, mais dans la connaissance qu’on en a : progressas subjectivus non objectivus, fidelium non fîdei, cognitionis non cogniti, credentium non crediti. Cf. P. LomBAHD, Lib. III Sent., dist. 25, P. L., t. CXCII, col. 809 sq. ; Albert le Grand, in. h. /., in-4°, Paris, 1894, t. XXVIII. p. 4 ; ' sq. ; S. Bonaventlre, in. h. /., Quaracchi, t. III, p. 53 1 sq., et références aux scolastiques, SchoUon, p. 542, 54/.

La multiplicité des définitions conciliaires ou pontificales ne doit donc j^as prêter à illusion. Outre que

« le progrès des temps » ramenant fréquemment les

mêmes erreurs, beaucoup de définitions se répètent, on ne commence pas à croire, le jour où l’on définit, mais on définit, parce qu’on crojait déjà, de peur que les doctrines qui surgissent n’entraînent à abandonner la vieille foi. Newmax, Apologia, 1881, c. v, p. 253 sq.

Une comparaison vulgaire peut éclairer ce point. — La situation géographique de Rome est connue depuis longtemps. Qu’on l’exprime aujourd’hui par sa longitude et sa latitude précises, que l’on relève de plus la liste exacte de tous les renseignements faux fournis à ce sujet, qu’on donne à ce travail la difi’usion la plus large, voilà à peu près à quoi se réduisent bien des définitions : elles formulent le dogme en langage plus technique ou déterminent sa position à l'égard d’erreurs plus nombreuses. Dans les deux cas, c’est un service signalé ; pour un certain nombre de fidèles, ce peut être l'équivalent d’une révélation nouvelle. En fait, qui savait autrement, mais exactement, savait autant.

Voici en effet l’important : on peut multiplier les formules sans dire du neuf ; on peut déduire d’un principe des vérités multiples sans ajouter au principe, sans épuiser même tout ce qu’il contient.

De là l’image du germe ei celles dule’ain, étudiées plus haut, col. 1157.

En d’autres conjonctures, la germination, la fermentation dogmatique eût été quelque peu différente. D’autres dogmes auraient été dégagés plus tôt, promulgués en d’autres langues piiilosophiques ; les données théologiques se fussent agencées en synthèses différentes. C’est la loi ordinaire. Toute chose ici- bas, tout vivant même, sans perdre son type spécifique, porte, dans les détails de son individualité, la trace des multiples contingences au milieu desquelles il s’est développé.

XV. Facteurs du développement- — Dans la détermination de ces influences, les critiques rationalistes et protestants indiquent comme facteiu- principal la philosophie profane, l’hellénisme. Ils insistent aussi sur la poussée des foules imposant aux dogmes leurs idées, comme elles imposent au rituel leurs pratiques, les unes et les autres fortement teintées de paganisme. Telles sont les thèses de MM. Harxack, Ghcppe, Usexer, Reitzexstein, Coxybeare, Hatch, Loisy, Réville, sans parler de ceux qui les monnayent en pamphlets plus alertes, moins gênés d'érudition, vg. Ch. Guigxebert, L’Evolution des dogmes, in-12, Pai-is, 1910…

De l’influence philosophique nous dirons ici peu de chose, ayant expliqué déjà, col. 1 146 sq., que la spéculation philosophique n’entre pas dans le dogme, quoi qu’il en paraisse à des observateurs moins avertis.

On notera les graves divergences qui séparent la I)hilosophie d’Aristide de celle de S. Justin, de celle d’Irénée, de celle de Tertullien, de celle de Clément et d’Origène, de celle d’Ambroise, de celle d’Augustin et du Pseudo-Denys. Et pourtant ce sont les mêmes points de doctrine que tous se proposent d’expliquer et de justifier ; et ce sont ceux-mêmes que nous trouvons, dès le début, chez S. Clément et S. Ignace, qui ne sont pas philosophes. Voir Syncrétisme.

De plus, on étudiera avec soin la mentalité de ces docteurs : ils n’ont pris la plume que pour combattre au nom de l’orthodoxie, ils protestent contre l’intrusion gnostique de la philosophie dans la foi. et déclarent vouloir s’en tenir strictement à la tradition apostolique. Ce n’est pas celle de novateurs.

Enfin, contre toute théorie qui voudrait ramener révolution dogmatique à des facteurs purement humains, les observations suivantes, semble-t-il, constituent des objections encore sans réponse.

Le présupposé de ces thèses est le suivant, et il est ruineux. Le Christ n’aurait donné qu’un enseignement moral, sans dogmes positifs. La société chrétienne primitive n’aurait été qu’une pâle amorphe, réunie dans l’unité fluente de quelques sentiments communs.

Nous avons établi, col. 1 130 sq., l’existence de dogmes précis dans la prédication du Christ et des Apôtres ; nous avons indiqué, col. 1 155 sq., comment ces grandes idées, grâce à la méthode patiente et prudente adoptée par le Sauveur, étaient entrées, non dans la mémoire superficielle, mais dans la conscience profonde des premiers disciples ; on verra de plus, à l’article Tradition, comment cette petite société, dans un milieu adogmatique, se distingue par une théorie unique de la « tradition » et du « dépôt >). Si l’on ne trouve i^as, et pour cause, dans la Didaché, ou dans les lettres de S. Ignace et de S. Clément, le langage abstrait des écoles, on y reconnaît assez vite, dans im état concret d’involution, de quoi justifier l'évolution abstraite de l'époque suivante, à moins que l’Esprit ne soit rivé à la lettre et qu’on ne déforme une idée à inventorier son contenu.

Ainsi, ce qu’on donne pour une acquisition en cours de route est au moins en germe au point de départ. 1165

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Voici des invraiseml)lances de fait, auxquelles vient se heurter Tcxplicalion par la poussée populaire : k) La tendance mytliologique, très caractéristique des foules païennes, a son iniluence sur l’Eglise en dehors des écrits canoniques, dans la littérature apocryphe, dont le ton est si dill’érent et dont le succès n’arrive nulle part à supplanter les textes apostoliques. Cf. art. Apocryphes. /3) Les résultats sont à rencontre de ceux qu’on pouvait attendre. La divinité du Saint-Esprit est proclamée, quand les grâces charismatiques ont cessé d’attirer lattention des foules. La théologie du Saint-Esprit, qui prétait plus aux imaginations fantaisistes, est restée et reste embryonnaire. Le culte de Marie, que le mouvement païen aurait dû promouvoir, comme parèdre du dieu nouveau ou héritière de déesses trop connues, reste en retard sur celui des Saints secondaires, des martyrs morts pour l’orthodoxie. Aujourd’hui même son assomption — et la <> poussée » païenne n’eût pas dû manquer cette apothéose — n’est pas encore arrivée à la définition. Cf. M, riolatrie. /) Aux termes des décrets conciliaires, on ne prétend ajouter aux symboles antérieurs que pour préserver la doctrine du passé.

Il y a là un jeu trop continu pour être faux, d’autant que, le j)lus souvent, il a coûté cher à ceux qui l’ont conduit.

Les raisons suivantes pourraient bien indicfuer une impossibilité absolue : a) Toute l’évolution dogmatique s’est faite dans un sens logique et cohérent. Au terme de ces « poussées « capricieuses des philosophies et des instincts populaires, rapologétique catholique l’établit sans trop de peine, pour tout esprit qui ne rejette pas a priori la possibilité de la révélation et des mystères et consent à ne pas prendre pour l’expression authenticjue des dogmes les incohérences que lui prête trop souvent une science mal informée. S) L’évolution se i’ait à rebours de ce qui se passe partout ailleurs : la prétendue divinisation du Christ a été celle du réformateur moral beaucoup plus que du thaumaturge ; l’exaltation progressive de sa Mère aljoutit à allirmer de jikis en plus sa pureté immaculée. Ce n’est pas en ce sens que donnent les mouvements populaires, quand ils procèdent des mobiles humains, y) Enfin, à l’encontre de l’émiettement doctiinal de toutes les sectes, l’orthodoxie chrétienne, au cours des siècles, aflirme un dogmatisme plus strict, à mesure que les questions en litige se précisent.

Cette réponse, qu’il reste à approprier aux dogmes jiarticuliers, est à conq)léter par une explication positive que nous allons indiquer. Les vrais facteurs de l’évolution dogmaticpie sont en réalité les suivants : i" Le hrsoin naturel de l intelligence. — Il est légitime j)our le fidèle, et glorieux à Dieu, de vouloir pénétrer du moins mal possible les dogmes et leur harmonie. A ce titre, les formules riulinuMitaires de la première heure ne pouvaient sudire à une société dont la doctrine devenait pTd)lique, ni aux époques plus calmes, qui pouvaient s’adonner à l’élude, ni aux intellectuels, que Dieu appelait à la foi.

Ce besoin est d’autant plus vif, qu’on est plus sûr <le tenir la vérité. (Jui n’a dans la tête que des idées obscures n’éprouve pas la tentation de les agencer en syntlièses ; tout change, quand on a une base ferme de spéculation. Telle est la preuiière raison des hardiesses des Justin, des Tatien, des Ilippolyte, des Clément et des Origène.

Ces méuics docteurs ont senti plus vivement l’iniliossibilité de cette vie en partie double, à laquelle se résignaient les jdiilosophes païens : une i)liilosophie sans religion et une religion sans ithilosophic ; si)é<-ul(’rà l’écai-t et se jdiei- à la liturgie des foules. Lac tan ce, /)/ » // ;. instit., l.iy, c.iu, P. / :., t.IV, col. 453, 454. Ils ont voulu unifier leur vie, mettre leur philosophie d’accord avec leur foi et leur conduite d’accord a-sec leur pensée.

2" Les hérésies. — Toutefois, l’un des stimulants l^s plus énergiques, c’a été la contradiction des hérésies. On devine pourquoi. La foi possède ; aisément elle se repose, et le respect du dogme fait qu’on redoute de dépasser la curiosité permise. Il faut compter de plus avec la paresse naturelle, contre laquelle tonnait S. J. Chrysostome. Ln Joa., hom. xvii, n. 4, P. G., t. LIX, col. 112 sq. et que signalait S. Augustin : nec asserebunt soiutioneni quæstionuni dif/icilium, cum cahimniutor nullus instaret, Ln Ps. liv, n. 22, P. L., t. XXXVI, col. 648. L’attaque secoue cette apathie, ut yelsic excutianius pigritiain nostruni et Dii-itias Scripturas nosse cupiamus. De Gènes, contra JLanicli., l. I, e. i, n. 2, t. XXXIV, col. 1^3, i’j4. Les textes abondent.

La même idée a été souvent exprimée, à propos du mot de S. Paul : Oportet hæreses esse, L Cor., xi, 19. Cf. HuRTER,.S’.s’. L^utrum opuscula selecta, in-18, Paris, 1880, t. IX, 1). 220 sq. ; les scolastiques ont dit de même. Cf. S. Thomas, in. h. L

C’est qu’en présence d’advei-saires tenaces on parle plus clair — élucidation ; on abandonne les défenses routinières et les scories adventices — épuration ; on fortifie la jireuve — consolidation ; on saisit chez l’adversaire des aperçus de vérité qu’il exagère, mais que parfois l’on négligeait trop — intégration.

L’antithèse hérétique étant plus vïa e. l’étude est j)lus ardente, la protestation jilus solennelle ; portant sur des questions plus vitales, elle oblige à mettre en lumière les principes dogmatiques les plus féconds. Chose cui’ieuse, en même temps qu’elle provoque le développement de la doctrine, elle assure sa continuité avec le passé. En effet, soit qu’elle revendique à son bénéfice l’Ecritm-e et la Tradition, comme le mouvement protestant, soit qu’elle veuille rabaisser les premiers documents chrétiens au niveau des autres textes religieux, comme le naturalisme moderne, elle oblige la défense à porter là tout son effort, et, par le fait, à se retremper sans cesse aux sources vivifiantes de la foi. Avantages précieux, qui justifient bien les dispositions de la Pi’oa idence.

Or, remarciuaitTERTULLiEN, s’il faut des hérésies, il faut des dillicultés qui les occasionnent ; De pracscript. , c. XXXIX, P. L., t. II, col. 53. Telle est donc la nature de la révélation : la lumière y est mêlée d’omlu’es ; assez de lumière i)Our que qui eut voir puisse voir ; assez d’obscurité pf)ur que i|ui s’obstine à regarder l’ombre i>uisse allirmer qu’il ne voit pas clair.

Au demeurant, chaque assaut de l’hérésie a eu pour résultat d’appeler plus de clarté sur les points discutés. L’Eglise n’aurait donc jamais qu’à se réjouir, si ces succès n’étaient attristés par la luine des opiniâtres (pii abandonnent en se séparant d’elle u la colonne et la base de la vérité ». / Tint., iii, 15.

M. Prunier a heureusement groupé sur ce sujet un certain Jiombre de faits, L’olution et ininiutabilité dans la doctrine religieuse de l Eglise, p. 24-4’Malgré tout, l’hérésie est un facteur trop extérieur et la raison diahcticine isl trop cantonnée dans la fine | » oiiite de l’âme ; les facteurs de beaucoup les plus inqioitanls sont ailleuis.

3" J.a murale et la liturgie chrétiennes. — la morale revient une iniluence considérable. On ne p( ut (pie l’indiquer brièvement.

La raison profonde en est dans le lien intime qui unit les dogmes et les préceptes, les mandata et le.s dogniata. On le conçoit. La même réalité objective fonde un double rapport, l’un à la spéculation, l’autre à l’action : vérité et moralité ; elle inq>ose une façon liG7

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de penser, la foi, et une façon d’agir, la loi. Cette connexion, on l’entrevoit, même quand on ne peut l’anal jser en langage d’rcole ; ce qui est plus grave, comme elle découle de la nature des choses, on la traduit en jugements instinctifs, même quand on y pense le moins.

En voici les conséquences présentes.

Ce lien j^erçu par tous entre les préceptes chrétiens et les faits chrétiens induit à des illations très simples, souvent à peine raisonnées. Ainsi, pour passer de la sainteté de la morale chrétienne à la sainteté suréminente du Christ et de sa Mère, il n’y a pas, pour la masse des fldèles, la distance d’un syllogisme. Les doctes s’embarrasseront de difficultés spéculatives ou exégétiques, où les simples auront vu plus juste, négligeant ces détails poiu- une loi plus profonde. Quand on ol)serve à quel degré la chasteté chrétienne, qui interdit jusqu’au désir intérieur, a frappé les premiers convertis (Hermas, Vis., i, c. i ; .Mandat., IV, c. i, dan&FvyK, Die Jjwstol. Vciter, in-8°, Tubingue, 1901, p. 167 ; S. Justin, Jpo/., I, n. b, P. G., t. VI, col. 349 ; Athiîxagore, Légat. ^ c. xxxii, ihici : , col. 964), on trouve d’une singulière fantaisie d’aller chercher avec Rôsch, von Lomeritz, E. S. Hartland et leurs succédanés français, Herzog et Saintyves, dans le culte d’Astarté, l’explication de la croyance à la virginité de Marie !

De manière plus intime encore, la pratique de la morale chrétienne éclaire et soutient la croyance.

C’est tout d’abord en la faisant passer de l’esprit dans le cœur et comme dans le sens, en amenant à goûter les choses de la foi.

Tant que la volonté regimbe contre les préceptes, elle n’éprouve que répulsion pour les dogmes qui les fondent ; elle jiousse à la révolte l’intelligence, incommodée déjà par l’obscurité des mystères. Cet état de lutte intérieure ne laisse place ni à la lumière, ni à la paix.

Au contraire, dès que la volonté s’est soumise, la raison pénètre aisément et la convenance de la soumission intellectuelle, quand Dieu parle, et la valeur rationnelle de ce qu’il a dit. L’expérience quotidienne fait éprouA cr tout ce que ces paroles divines apportent de stimulant et de réconfort, pour aider à mener la ide normale, celle que les préceptes imposent, et qui est aussi, autant qu’une i)ériode d’épreuve peut être une époque de jouissance, la vie heureuse. L’obéissance de rintelligence et l’obéissance de la volonté se soutiennent l’une l’autre, et Dieu les paie largement. Il se donne à qui se donne. Avi lieu de se faire seulement croire et obéir, il se fait goûter. Ce commencement de lumière dans les obscurités de la foi, et ce commencement de douceur dans les austérités de la loi, entraînent, à un degré infime, comme une expérience sensible des choses de Dieu. Puritate cordis et manda conscientia interius jam gi^sfare incipiunt quod fide credant. Hugues de S. Victob, De Sacram., l. I, p. x, c. 4, P. L., t. CLXXVL p. 332, 333 ; cf. col. 1143, 3°. Rien n’attache à la foi de manière aussi efficace.

C’est peu encore de purifier l’àme et de la mettre ainsi comme en contact avec Dieu ; la morale chrétienne — et c’est là au fond toute sa raison d’être

— l’assimile, autant que faire se peut, à la piu’cté. à la justice, et, ce qui est plus encore, à la charité de Dieu, c’est-à-dire à toutes ces perfections du Législateur qui sont le principe des vérités promulguées et des préceptes imposés. Par assimilation de nature, d’autant plus intime que la pratique est plus intense, le fidèle arrive donc à percevoir l’harmonie de la foi et de la loi, dans leur source même, disons plus, dans l’harmonie de sa nature avec celle de Dieu.

Chacun concède que la charité est le principe de

tout dans l’économie du salut. Le fidèle fondé dans lamour comprend donc les dispositions divines à l’égard du Christ, de sa Mère, des Saints, des pécheurs, non dans leur aspect dialectique, mais dans leur cause dernière, la charité de Dieu, qui vit en lui. Plus elle sera devenue l’àme de son ànxe, plus le détail et l’ensemble des dogmes lui jiaraîtront convenables, presque obvies, sans que sa raison intervienne, comme par une pente de nature, qui lui est commune avec Dieu, per quandam affinitatem ad divina. S. Thomas, In IV Sent. I. III, dist. 35, q. 2, a. I, sol. I, c. et ad. i" ; per quandam unionem ad divina, ibid., sol. 3 ; per modum inclinationis, la, q, I, a. 6, ad. 3", etc.

C’est là une vieille thèse. S. Thomas l’appuie avec raison sur la doctrine de S. Paul : « Celui qui s’vinit au Seignem- est un seul esprit Oi’ec Lui. » / Cor., vi, 17 ; II, 14. 15 ; Boni., viii, 5. Les Pèi’es l’ont reprise à satiété. Très en faveur chez les Yictorins, elle a été acceptée de tous les scolastiques. Sous une forme parfois rudimentaire, c’est un lien commun de la chaire chrétienne ; cf. Bossuet, édit. Lebarq, Œusres oratoires, iii-fi°. Pai-is, 1892, t. V, p. 168 ; cf. t. lY, p.581 sq. ; t. V, p. 597 sq.

Ce que nous venons de dire delà morale s’applique au même titre à la liturgie. Elle aussi dérive du dogme et conduit à le retrouver. Elle le traduit en gestes, mais ce rite extérieur n’est pas à lui-même son but ; il a pour raison une lin plus haute : celle d’élever les âmes à penser de Dieu, à agir avec Dieu, comme il convient. En imposant au cor])S des démai’ches et des attitudes, c’est donc à façonner les âmes qu’elle vise et qu’elle aboutit.

A juger ainsi plus exactement des choses, c’est le dogme cpii commande la morale et la liturgie ; l’une et l’autre l’expriment ; l’une et l’autre le conservent dans les coeurs, avec des nuances et uneeflicacité que n’ont pas les textes écrits. Ils maintiennent vivant l’esprit à côté de la lettre. De ce chef, il y a dans la vie ascétique et dans la vie liturgique de l’Eglise un quelque chose qui, pour ne pas tomber sous le scalpel des philologues et des critiques, pas plus que le principe vital sous celui du chirurgien, n’en est pas moins l’un des facteurs les plus puissants de la vie du dogme.

De cette influence de la pratique, logique rudimentaire qu’elle commande, expérience commencée qu’elle provoque, assimilation d’àme qu’elle produit, procède la staljilité des masses dans la foi reçue. De là. si FI l’ardeur du prosélytisme et la ferveur de la piété se joignent à ces convictions, un désir plus ou moins vif, suivant les temps, de passer d’une prédication initiale, inégale et par endroits insuflisante, à une promulgation officielle, qui mette terme aux hésitations. Cf. Mgr Malou, L Immaculée Conception, in-S". Bruxelles, 1857, t. I. p. 37 sq., 43 sq. ; MGR Pie, Instruction pastorale sur le culte de S. Joseph, Œus’res, in-80, Paris. 187g. t. VII, p. 113-134.

Pour ne pas mêler ces vérités à des thèses irrecevables, il importe de bien préciser un point : ni cette ! logique instinctive, ni cette expérience, ni cette assi-i> milation d’àme ne donnent l’origine première du> dogme. Elles ne dispensent ni de la révélation exté-^ rieure du Christ, ni de la prédication ecclésiastique, * car « la foi vient de la prédication », Boni., x, 17, ni.f de l’obéissance intellectuelle au magistère enseignant, | : car qui l’écoute entend le Christ, Luc, x, 16. Nousf reviendrons plus loin sur ce sujet, col. I173, I181.| Cf. de la Barre, op. cit., p. II, c. 11, Le Sens catholique, % p. 157-166. 1

4" Le Saint-Esprit. — De tous les facteurs du déve-î loppement dogmatique le premier, c’est le Saint-’Esprit.

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Par sa providence extérieure, il règle le jeu des passions humaines et des hérésies, laissant monter l’attaque, quand il est opportun, et ménageant à la défense les sceoiu’s dont elle a besoin.

Par son action intime, il inspire et le zèle de la foi et la prudence qui dicte aux pasteurs les actes qui engagent la gai-de du dépôt.

F^nfin — et c’est cela la Vie du dogme, si le dogme c’est l’esprit et non la lettre — en infusant dans les âmes de bonne volonté la grâce et les vertus surnaturelles, il produit en elles une participation inclVable de la nature divine. Elle emporte — car notre nature commande nos ajjpétits et nos affections — une aptitude corrélative à retrouver, à partager, à pénétrer les pensées de Dieu dans l’unité d’un même sentiment et d’une même Aie. « Vous avez reçu l’onction du Saint-Esprit, dit S. Jean, et vous connaissez tout. » / Joa., II, 20, 27. Aux termes de la théologie catholique, en effet, non seulement le Saint-Esprit, par la grâce, met dans l’àme une qualité spécifiquement divine, mais il demeure lié à cette àme sanctifiée, dans un rapport si étroit qu’on ne peut concevoir l’une sans l’autre. Le principe de vie de l’àme surnaturalisée, c’est donc l’Esprit de Dieu. Celui qui sait les pensées de Dieu, et qui les a proférées par le Christ, est donc aussi celui qui les suggère à l’àme, pour les lui faire reconnaître dans la prédication chrétienne, / Cor., II, 10 sq. Le lien vivant qui unit la

« religion d’autorité h et la « religion de l’esprit », 

c’est l’Esprit de Dieu, vivant dans les pasteurs et dans les lidèlcs.

Sans doute, la prudence conseille de ne pas commencer par cette explication l’exposition catholique de la vie du dogme, mais on se doit de protester énergiquement contre les systèmes mécaniques et la théologie formaliste qu’on nous prête. Cf. Manxixg, The temporal mission of the Iloly Gost, 2^ édit., in-12, Londres, 1866 spécialement c. v ; édit franc., Paris, 1867 ; Tlie internai mission… Londres, 1876 ; SciiwALM. O. P., L’inspiration intérieure et le gou-V’rnement des âmes… clans la Re^’ue Thomiste, 1898, t. VI, p. 315 sq.

Par l’action continue du Saint-Esprit, le corps de l’Eglise persévère dans la continuité d’une même foi, connue le corps humain, sous l’influence de l’àme, dans l’unité d’une même vie. Sous ses impulsions iliverses, des vérités affleurent, à certaines époques, ihms la conscience clirétienne, cpii dejjuis longtemps y sommeillaient dans l’état rudimentaire où les avait laissées la prédication apostolique, quia vel satis (Jeclarata non erant, ou que d’autres préoccupations avaient fait oublier partiellement, rp/ temporum decursu ohscurata, ou dont les controverses avaient amené à douter, vel in duhium revocata, Suarez, Defensiu fidei, 1. 1, c. xviii, t. XXIV, p. 91 scj. Soit qu’il j)orte à rejeter des erreurs nouvelles, au nom des dogmes anciens, soit qu’il amène à proclamer des dogmes « nouveaux > », c’est-à-dire non encore formulés ofliciellement, mais inclus dès l’origine soit dans la spéculation, soit dans l’action, c’est la même parole qu’il fait entendre, plus claire nuiis toujours ancienne, /ton noya sed no<,-e.

Quant à lire infailliblenu’nt dans la conscience chrétienne ce qui vient authentifpienicnt de la révélation (lu Christ et de la révélatioTi continue de l’Esprit, ce ne sont pas les membres isolés qui peuvent y ])rélendre. C’est l’oflice jii’opic de la tête, c’est-à-dire de la hiérarcliie unie à Pierre.

XVI. Phases du développement. — i" Sur la suite générale du déveldjijienient (l()gmatique dans l’histoire, M. Vacant a donné quehpu-s indications. Etudes théologiques, t. II, art. i/jO. p. 307-8 13. On

consultera pour plus de détail les histoires des dogmes.

2" /.e développement particulier d’un dogme paraît passer jjar trois stades. Cf. Fraxzelin, De traditione, p. 285 sq., 299 sq., HuuTEK, Compendiuni, 9 « " éd., th. 31, n. 1441 t. I, p. 167 ; Vacant, op. cit., art. i^i, p. 313 sq. Ce sont : la possession paisible, la discussion, la définition.

« ) Possession. — Pendant la première période, la

vérité dogmatique est professée soit en elle-même (explicite), — et c’est le cas des dogmes les plus importants — soit dans une autre vérité plus générale et indiscutée (implicite logique), soit dans quelcjue usage liturgique ou ascétique (implicite pratique) : ceux qui l’ont introduite en voyaient la raison précise, mais l’ensemble de la communauté ne songe pas, pour le moment, à la dégager. La foi possède sans conteste.

/S) Discussion. — Cet état d’implicitation a ses inconvénients.

Chaque fois que l’on agit sans s’être exprimé en idées tout ce que cette conduite implique de motifs latents (implicite pratique), la première demande de justification rationnelle provoque un embarras plus ou moins long. Ainsi des questions posées à un enfant, avant qu’il ait pu se faire une réponse personnelle à des diflicultés même rudimentaires : « Pourquoi ces actes d’obéissance aux parents, à l’Etat’.' pourquoi telles pratiques depiété ? »

Chaque fois que des enseignements ne sont i)as poussés jusqu’aux dernières précisions (implicite logique), celui qui les reçoit peut se tromper dans le détail, soit inconsciemment, faute de Aoir l’aboutissement normal des principes posés, soit volontairement, en exploitant au profit de théories personnelles la liberté apparente qui lui reste. Ainsi, quand les instructions d’un supérieur ne sont pas spécifiées jusqu’aux minuties, un inférieur intelligent appliquera naturellement ces prescriptions aux cas particuliers ; un autre, malintentionné ou malhabile, abusera de l’indécision des ordres reçus, pour agir à rebours de leur esprit général.

On voit comment les deux modes d’implicitation se rejoignent dans la question présente. Quand l’impulsion première a été vive (implicite pratique), la jiratique religieuse va, comme d’instinct, aux conclusions légitimes non formulées (implicite logiciue). Par contre, cet excès de l’action par rapport à la connaissance explicite n’a d’autre justification à invoquer que soi-même : c’est suflisant, si les rites traditionnels sont aussi respectables cpie les mots traditionnels ; c’est insutnsant, aux yeux de ceux qui réclament des textes formels. Deux catégories de penseurs peuvent donner dans cet excès : les malveillants, (pii entendent profiter de l’inqu’écision des textes pour imjjlanter des doctrines suspectes ; les intellectuels, qui, pesant les textes plus que les faits, tendent à ramener la pratique à la mesure de la doctrine explicite, ou bien, de bonne foi, proposent des exiilications insoutenables.

Tout cela s’est produit au cours des âges. L’histoire des dogmes trinitaircs en fournit de multiples exeml )les. Voir surtout J. Lebueton, Histoire des origines du dogme de la Trinité, in-8°, Paris, 1910.

Pour en bien juger, il convient d’établir objectivement la portée des doctrines de chaque auteur, évitant soit de minimiser leurs vues, pour adapter leur cas à la théorie de l’évolution, soit de majorer leur pensée, pour en faire des orthodoxes. Qu’on veuille bien y songer : la Providence doit à son Eglis<’d’enq)éeher <pu^ l’erreur prédomine, non de prévenir les erreurs de quelques individus, liien au contraire ces erreurs, pour les raisons que nous avons dites. 1171

DOGME

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rentrent dans le plan divin : c’est au cboc des objections intellectuelles que la doctrine spéculative se développe ; il est donc assez normal que la première occasion des hérésies vienne des docteurs eux-mêmes.

« En scrutant les vieux récits, disait S. Jkrôme, je

ne puis trouver personne qui ait déchiré l’Eglise cl égaré les peuples loin de la maison du Seijjfneur. en dehors de ceux que Dieu avait constitués ses prêtres et ses prophètes. » In Oseam, ix, 8, 9, P. L., t. XXV, col. 896 ; cf. /// Zachar., x, 3, col. 1492. En fait, on trouverait l)ien, dès les premiers siècles, Théodote le tanneur, Théodote le banquier et quelques autres hérésiarques laitpies ; mais ce n’est pas l’ordinaire que tanneurs ou banquiers discutent de théologie. Il est naturel que l’erreur prenne naissance ailleurs.

L’autorité n’interviendra guère, îivant que la doctrine erx-onée soit sortie du cercle restreint où elle est née. Elle peut donc, surtout si elle a été proposée comme une hypothèse plutôt qu’afîirmée avec éclat, obtenir une tolérance temporaire. Avec le nombre des adeptes, le bruit augmente, la thèse il’ordinaire s’exagère, le débat entre dans le grand public, et les I)assions personnelles entrent dans le déljat. C’est le signal parfois des pires excès. Devant ces faits, la conscience de l’Eglise se consulte. Elle laisse aux réponses spéculatives le temps de se j^roduire. Chacun, pendant ce temps, milite pour son opinion.

Ce qu’il importe de rappeler ici encore, c’est que les dissertations doctrinales ne sont qu’une partie des pièces du procès, et donc l’iiistorien ne peut raconter ces luttes avec de seuls extraits des docteurs. Pendant comme avant ces discussions, la foule chrétienne continue à manifester sa foi par ses actes : ces protestations constituent un document de première valeur. Newmax l’a compris, en signalant à l’attention celles qui se produisirent durant les controverses ariennes, The Arians ofthe IV Century, Londres, 1901. note v, p. l^l^b sq. ; son sens historique très affiné le rapprochait des sévérités de Petau à Idgard de quelques Pères anténicéens, et son sens théologique très averti l’amenait à Aerser au débat ces témoignages trop négligés ; cf. J. Lebretox, op. cit., 1. 1, p. 260 scj.

/) Dé finition. — Au moment opportun, l’Eglise parle : elle sanctionne la formule exacte de la doctrine désormais explicitée. De nouvelles discussions s’établissent sur les points qui prêtent encore à quelque doute. L"anq)litude de la négation décroit ainsi, à mesure que la i)romulgation officielle gagne en précision, jusqu’à ce que des attaques plus radicales, comme celles du socinianisme, du philosophisme, du rationalisme moderne, remettent en c]uestion toute l’œuvre du passé.

Ces trois divisions, possession, discussion, définition, rendent assez bien le mouvement général du développement. Il est évident pourtant que dans un tel cadre trouvent place bien des différences. Elles apparaîtront suffisamment, si l’on compare les faits qui aboutissent, après la condamnation d’Arius, à celle de Nestorius et d’Eutychès, et ceux qui conduisirent à la définition derimmaculéeConception. Dans le premier cas, le progrès ressemble à la fin d’un débat logique : on maintient, contre les dernières tentatives de déformation, la rigueur de la définition première, la vérité de l’Incarnation ; dans le second, la piété stimule le zèle des docteurs, gagne des adhérents, à mesure qu’ils résolvent les objections théologiques, et, par des instances de plus en plus pressantes, requiert la sanction de l’autorité. L’idéal de piu-eté du peuple chrétien et sa dévotion à la Mère lie Dieu ont là un rôle très particulier.

XVII. Critères du développement- — Pour apprécier la légitimité d’une évolution de ce genre, il existe

deux critères bien distincts, la foi et la science. L’Eglise faisant appel, à quelque degré, à l’un et à l’autre, il convient de considérer trois cas : critère du fidèle, critère du savant, critère du magistère ecclésiastique,

1° Critère du fidèle (la foi). — Comme l’Eglise a reçu de son fondateur la promesse d’infaillibilité, le fait que sa doctrine officielle comporte aujourd’hui tel dogme, ou que sa doctrine passée le professait officiellement ou universellement, est une preuve assurée de la vérité du dogme considéré : le contraire entraînerait que le Christ a manqué à ses engagements et le Saint-Esprit à sa mission. Le fait accompli porte donc en lui sa justification : il est légitime, puisqu’il est.

Pareil raisonnement ne vaut que pour le croyant, mais le croyant ne peut le récuser sans illogisme.

Sans doute, dire : « l’Eglise prouve la foi et la foi prou’ve l’Eglise » serait admettre un cercle vicieux manifeste, mais tel n’est point le cas.

L’autorité de l’Eglise se prouve, avant la foi. par la raison seule, en faisant usage de tous les arguments (externes et internes) qui contribuent à montrer en elle l’œuvre du Christ et l’héritière de ses promesses ; mais les droits de l’Eglise ainsi établis, c’est un devoir pour le fidèle d’obtempérer à ses injonctions. Il se peut qu’il voie des difficultés impressionnantes, que la décision du magistère ecclésiastique lui semble erronée, que les solutions des docteurs catholiques lui paraissent faibles — et elles peuvent l’être longtenqjs, jusqu’à ce qu’ils aient trouvé, à côté de la réponse dogmatique, laréponse critic|ue — mais, aux yeux mêmes de la raison, c’est une inconséquence d’admettre sur bonnes preuves la divinité et l’infaillibilité de l’Eglise et d’admettre, en même temps, que l’Eglise se trompe, parce qu’on ne voit pas, dans l’instant, comment elle peut avoir raison de professer qu’elle est infaillible, précisément pour remédier à l’infirmité du jugement privé, et de douter d’elle, [)arce c]ue le jugement privé ne peut, dans un cas, rejoindre actuellement ses conclusions.

Une seule attitude est donc logicpie : s’en tenir à la décision de l’Eglise (solution extrinsèque) et attendre ou chercher l’explication critique (solution intrinsèque), sans aucune hésitation sur le résultat.

2° Critère du savant (la science). — Le savant — si nous l’opposons au fidèle, nous le prenons incrédule

— est dans une tout autre condition.

Evidemment, c’est uniquement en contrôlant le passé au présent, qu’il pourra vérifier l’identité continue de la doctrine. La tâche n’est simple… qu’aux yeux des sinq>les.

Un cas sci-ait très clair : établir cpi’une doctrine universellement reçue a été ensuite universellement rejetée ou inversement, ou encore qu’un dogme officiellement promulgué a élé officiellement condamné. Rien de tel dans l’histoire.

Les cas qui se présentent sont plus complexes. Tant qu’on a prouvé seulement qu’une doctrine aujourd’hui reçue universellement ou officiellement a été autrefois rejetée temporairement ou localement, ou inversement, on n’a rien signalé cjui ne soit dans la logicpie des choses, étant donné l’implicitation primitive, les tâtonnements inévitables, la liberté que l’Eglise laisse avant que les décisions soient mûres, etc. La dogmatique chrétienne, composée de multiples dogmes, n’étant pas un bloc dont il faille ou tout connaiti-e ou tout ignorer, la science des plus grands docteurs, ou la foi de certaines régions, ont pu être acconq>lies sur de multiples sujets et incoml )lètes sur quelques autres. Ces erreurs individuelles. en un sens, importent peu, cf. col. 1171.

Ce qu’il faudrait démontrer, c’est que la doctrine 1173

DOCxME

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répudiée, par exemple telle théorie gnostique, pélagienne, adoptiaiiiste, reproduisait seule l’orlhodoxie primitive, ou invcrsemeut.

Certaines causes manifestes induisent le critique incrédule, même de l)onne foi, à s’imaginer trop facilement qu’il estai-rivé, en pareil sujet, à révidence : sa foi philosophique, qui i)énctre d’apriorismes antidog : matiques l’examen des dogmes qu’il entreprend ; la tentation trop naturelle de tenir pour suspect et d'évincer absolument toute information de source ecclésiastique, alors que, partout ailleurs, la critique exige qu’on lise les textes dans le contexte des traditions qui les accompagnent ; par-dessus tout, l’extrême complexité de ces questions historiques, dans un grand corps comme l’Eglise, en matière d'évolution doctrinale, et pour une doctrine où entrent en jeu des « mystères ».

Légitime en soi, ce critère de la science pure est donc d’un usage très délicat. Seuls ceux qui n’ont jamais peiné sur des textes, même profanes, en pourront douter.

On comprendra mieux ses ressources et ses insuffisances, en voyant comment l’Eglise y fait appel.

3° Critère ecclésiastique. — L’Eglise, en effet, n’ajamais compris ses prérogatives en ce sens que la jiroiiiesse d’infaillibilité la dispensât de recherches patientes sur le sens des dogmes passés : elle professe compter non sur une inspiration ou sur une révélation nouvelle, mais sur l’assistance du Saint-Esprit. C’est dire que, avant de définir, elle se juge tenue à toutes les règles de la prudence humaine (critère scientifique), et que, ce devoir rempli dans la mesure actuellement possible, elle croit à la sûreté de sa décision, non en raison de son enquête, — cai- en d’autres conjonctures elle eût pu être plus parfaite, — mais en raison de Celui qui a du faire aussi son possible, pour ne pas la laisser errer, puisqu’il l’a promis (critère dogmatique). D’une part, elle étudiera le cas de son mieux ; de l’autre, l’Esprit-Saint ne permettra pas que la décision soit portée avant que, de fait, elle ne soit sur le point de se produire telle quclle doit être : il ne délie, pour ainsi dire, la langue de l’Eglise, qu’au moment où elle va dire ce qu’il faut. SuAREZ, De fide, disp. v, sect. 8, n. ii, t. XII, p. 164 ; Franzelin, op. cit., tlies. 25, p. 301. Si l’on admet le dogme de la Providence, il n’y a pas là de dilHculté bien spéciale.

Pour arriver à ce jugement de prudence, l’Eglise interroge tout ce qui peut constituer un document historique sur le sujet : l’Ecriture, les écrits des Pères et des docteurs, l’archéologie, la liturgie, l’histoire ecclésiastique. Elle a de plus la continuité vivante de sa tradition, c’est-à-dire cette manière de penser en toutes les choses de la foi transmise d'àme à àme depuis les Apôtres, qui constitue en son genre un document historique de première valeur, puis(iue, de tout lenq)S, l’esprit chrétien a débordé textes et rites, qui visaient à le traduire.

Ainsi, du haut moyen âge jusqu’au xii' siècle, les docteurs comptent qui deux, qui trois, qui jusqu'à tUjuze sacrements, cf. Pouhuat, Théologie socramentaire, c. v, j). 238 s(|. La notion absti-aite n'étant pas encore élucidée et communément re(, uie, ciiacun d’eux j)ouvait (h)nner au mot de Sacrement un sens jtius ou moins large, partant dresser une liste plus ou moins longue. Le jour où l’on a voulu jiarler plus clair, on a étudié de ])lus prés les usages de l’Eglise : on a constaté des difTérences appréciables dans les rites, dans la disci])line, daiis l’estime <|uc la j)iété portait aux uns et aux autres, dans les opinions plus ou moins précises que l’on se formait à leur sujet. Bientôt, on a i)U classer, sous des définitions plus rigoureuses, sej) ! sacrements, des sacranicntaux. des

dévotions : la foi spéculative, en interrogeant la liturgie, avait retrouvé ce que la foi pratique y avait mis.

D’autres problèmes appai’aissent comme plus délicats. Comment a-t-on pu se transmettre ce à quoi on ne pensait pas et retrouver des traces de ce qu’on n’avait jamais dit ? C’est le cas de l’Immaculée Conception. S’il en a été question à l'âge apostolique, ce n’est pas sur ce témoignage que s’appuie la déclaration de Pie IX. Si l’on dit, et très justement, que cette doctrine était implicite dans celle de la toutesainteté de Marie, il reste que de grands saints n’ont pas jugé la chose évidente. Où l’Eglise a-t-elle pris le complément d’informations qui leui- manquait ? — Il faut dire, ce semble : dans sa foi vivante, attestée pai" des manifestations exprimant toutes ce fait, que les fidèles prenaient des mots clairs dans leur sens plein : « sainteté, plénitude de grâce », comme ailleiu’s

« Ceci est mon corps » ou « Dieu est né. Dieu s’est fait

homme », que si la doctrine contraire était conciliable avec certains textes, comme le pensaient quelques docteiu"s, elle ne l'était pas avec le sens chrétien que les sinqjles traduisent plus naïvement. La preuve est délicate sans doute, et il est probable qu’on n’eût pas attendu l’an 1854, pour porter cette définition, si dès l’abord elle avait paru pércmptoire. Seulement, les progrès mêmes de l’opinion immaculiste, à mesure que se pi’olongeait l’enquête, constituaient un fait imjiressionnant et un argument de l)lus en plus grave. Si l’on considère qu’une doctrine devenue presque universelle ne pouvait guère être reçue dans l’Eglise sans que le Saint-Esprit fût en quelque sorte engagé d’honneur, sa réception constituait une preuve dogmatique de haute valeur. Au seul point de vue critique, c’en était une aussi, puis([ue gardant toute la morale, toute la liturgie, toute la doctrine du passé, formée par les mêmes lois, le même rituel, le même symbole, la foi chrétienne s’afiîrmait ainsi, non à l’cncontre de ses Pères, mais dans le prolongement naturel de leur pensée. Des juges du dehors n’ont pas sa compétence à trancher (le pareilles questions ; en saine méthode historique, ils ne sauraient dépi'écicr de tels témoignages.

Pour déterminer avec plus de détails de quels principes l’Eglise peut s'éclairer, on pourra consulter le canon de Vincent de Léuins, expliqué par Fraxzeun, o[j. cit., th. 24, p. 289 scj. ; les règles posées par la Commission de l’Immaculée Conception, dans Mgu Malou, L’Jmmac. Concept., t. II, p. 351 sq. reproduites dans BoruRASsÉ, Summa aurea de laudibus li. M. I'., in-4°, Paris, 186a, t. VIII, j). 5^5 sq., ou si l’on Acut, bien que ces observations n’aient rien d’officiel, les caractères signalés pai" Newmax comme ceux du développement légitime, Essay…, ). II, c. v,

! 169 sq.

Au moment de pronoiu’er la définition, l’unanimité des docteurs consultés par l’Eglise n’est nullement nécessaire ; disons mieux, elle est inqxtssiblc, |)uis(iu’il s’agit non de démonstrations malliémaliques, mais de certitudes morales et de vérités en jileine discussion. Il sullit (iu’a[)rès une <liligence raisonnable celui ou ceux qui décident estiment leur tlécision prudente : parler avant, c’est iiour eux une faute ; luais laisser l’Eglise jugera tort, ce serait pour l’Esprit-Saint manqucr à sa mission : rhy[)othèse est inadmissible. Cf. Mcwi Pu : , Instruction synodale sur la 1 " constit. du Conc. du Vatic., § ^2, Œuvres, Go édit., Paris, 1879, t. VII, p. 262 sq.

En consécpience : a) les raisons invoquées dans une définition de foi ne sont pas de foi, et ce n’est pas à cause d’elles que les fidèles doivent se soumettre ; /5) un jugenniit de iwudcnce étant chose relative aux temps et aux hommrs, lac iiti<|ue qui a i)arusunisante 1175

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au v’ou au vi’siècle peut paraître aujourd’hui insuflisante ; la découverte de documents nouveaux peut amener que, à telle époque postérieure à la déflnition, la question, du point de vue critique, soit plus embrouillée que jamais ; ce cas n’est eml>arrassant que pour la critique, et c’est précisément pour que la foi ne soit pas soumise à ces oscillations de la science, qu’un magistère infaillible est indispensable. « Pourquoi le jugement propre, qui n’a pas le droit d’interpréter les Ecritures contre la voix de l’autorité, aurait-il le droit d’interpréter contre elle l’histoire ? » Neavmax, Lettre au duc de Norfolk, cité par Thu-UEAU Dangin, La Renaissance cathoL en Angleterre, in-8"J, Paris, 1 899-1 906, t. III, p. 1^8 ; /) puisqu’une déiinition nécessairement vraie ne peut être en opposition avec les conclusions sûres de la critique, la critique qui posséderait adéquatement tous les documents relatifs à la question al)outirait au même point que la foi. Au savant catholique de produire toutes les pièces du procès, gênantes ou favorables, avec pleine loyauté, mais à lui aussi de se reposer avec conûance sur l’Eg-lise, assuré qu’il est de la conclusion.

XVIII. Avenir du dogme. — A. Sa déformation progressis’e, sous la poussée aveugle des foules, est prédite par quelques auteurs. M. Axspach, Le dogme de la Trinité, in-16, Bruxelles, 1907, conclut ses fantaisies, p. 160 sq., en présageant l’identilication de la Trinité avec la Sainte-Famille… On voit le genre.

Qu’il sullise de rappeler que l’Eglise s’est déclarée lice par son passé. Aucun développement dogmatique ne peut être admis qui ne sauvegarde toute la doctrine antérieure, cf. XIII, et les principes que nous avons signalés, col. Il’j3 sq., cf. art. Tradition.

B. Sa mort prochaine est la prophétie commune de ceux qui aspirent à la succession. Cf. col. 1 1 2’j sq. La polémique ancienne menait le deuil avec cynisme ; le rationalisme contemporain, de])uis Renan surtout, ajcnite volontiers un panégyrique ému des services passés. La différence importe peu. Cf. Jouffroy, Comment les dogmes finissent, dans le Globe, 24 mai 182.5, t. II, p. 565 sq., reproduit dans Mélanges pliilosophiques, 4*édit., in-12, Paris, 1866, p. 1-80 ; cf. Caro, Comment les dogmes finissent et comment ils renaissent, damsla-Beiæ des Deux Mondes, 1886, t. LXXIII, p, 48j-521 ; G. Skailles, Pourquoi les dogmes ne renaissent pas, dans la Grande Bes’ue, 1908 ; réjionse de M. G. Sortais, Pourquoi les dogmes ne meurent pas, dans les Etudes, 1904, t. XCVIII, p. 779 sq., t. XCIX, p. 91 sq., et in-16, Paris, 1905. M. GuiGNEBEiiT, plus avisé, avoue que l’agonie sera longue, Modernisme et Tradition, dans la Grande Ec’ue, 1908, p. 127 sq. ; A. Réville, avec beaucoup de protestants libéraux, i^réA^oit la transformation du Christianisme en un panthéisme mystique, Histoire du dogme de la di’inité de J.-C, 3<= édit., in-12, Paris, 1904, p. 182 sq. etc.

Des idées analogues ont été émises dans les deux enquêtes ouvertes sur k la crise » religieuse actuelle, celle du D^Rifaux, Les conditions du retour au catholicisme, 2’édit., in-16, Paris, 1907, extraits dans les Quest. actuelles, 1907, t. XCI, p. 251 sq., 285 sq. ; t. XCII, p. 75 sq., et celle du Mercure de France, 1907, extraits, ibid., t. XCI, p. 294 sq. ; 336 sq., t. CXII, p. 13 sq., 51 sq., 124 sq.

Voici les raisons principales qu’on allègue : a) la critique historique aurait ruiné définitivement les bases du Christianisme…, 5) la philosophie moderne aurait fait justice des dogmes… /) les sciences naturelles accuseraient de jilus en plus l’irréductible 011position de la science et de la foi.

Malgré ce réquisitoire, la promesse d’indéfectil)i lité faite par le Clirist à son Eglise doit rassurer les fidèles. Bien timide la foi qui tremble, dès qu’un savant annonce qu’il sl parler !

L’histoire de tous ces dogmatismes hétérodoxes, que les siècles en passant ont apportés et remportés, habitue aussi à plus de conlîance. Il n’est pas dans la (( critique moderne », dans la « philosophie nouvelle », dans la « science contemporaine « de reproches si acerbes, de prédictions si assurées, qu’on n’en puisse trouver l’équivalent parmi les disciples d’Abélard au xii* siècle, chez les Averroïstes au xiii% chez les Réformateurs au xvi% chez les Cartésiens au xviie, chez les Philosophes au xviii% chez les Hermésiens au xix’. Pourtant tous ces sjstèmes « déûnitifs », la science d’aujourd’hui, même rationaliste et athée, ne les juge plus utilisables que par morceaux. Le dogme catholique, au contraire, survit à tous et a profité de toutes leurs attaques : il sutUt de rappeler l’essor philosophique du xiii*^ siècle et la codification dogmatique des conciles de Trente et du Vatican, qui leur doivcnt en bonne partie l’existence. La théologie s’est grandement développée et le dogme s’est précisé : la foi seule reste debout.

Un peu de critique enfin remet aisément au point ces formidables objections.

Un fait s’impose, quand on parcourt les enquêtes citées plus haut, ou toute autre pièce analogue, c’est la prodigieuse diversité des accusations et leur désaccord. Con^-enientia testimonia non erani, Marc, ’s.iv, b&. Si tous les historiens, tous les philosophes, tous les savants qui comptent, s’entendaient contre le Christianisme dans une seule et même conclusion, ou dans un minimum de faits communs, ce serait chose grave. Cela n’est pas. Où est la philosophie moderne, /’exégèse moderne, la science moderne ? L’intransigeance du grand nombre — cai* il y a aussi des savants éminents qui tiennent pour la foi — leur intransigeance à l’égard des dogmes, n’a d’égale que leur intransigeance à l’égard des systèmes d’autrui. Mais alors il y a donc moins un fait acquis qu’une attitude commune, un besoin d’arriver aux mêmes conclusions et des essais généreux mais discutables, où s’allirme moins une science faite qu’un principe, l’indépendance absolue de la pensée individuelle en toutes choses et surtout à l’égai’d de toute assertion ([ui dépasse « la certitude sensible, vérifiée et contrôlée ». C’est efirayant. parce que rien n’est plus antidogmatique, et rassurant, parce qu’il n’y a pas là le commencement d’une démonstration.

Entendons-nous. Toute la philosoj)hie hétérodoxe tend au panthéisme évolutioniste, mais avec les divergences considéral)les qui s’étagent entre le matérialisme de M. Hæckel et fidéalisme de M. Bergson, et sans avoir, à aucun de ces degrés, résolu les contradictions de tout pantliéisme. Cf. Création, CriticisME, Idéalisme, Matérialisme, Panthéisme. Si la pensée moderne a pris position, on ne peut pas dire que cette position elle l’ait conquise pour toujours, ni même pour longtemps.

Même phénomène en histoire. Cf. Critique, Evangiles, etc. M. Loisy contredit M. Harnack, qui contredit MM. Gunkel, Bousset, que contredisent MM. Ramsay, Sanday, et d’autres encore. L’esprit de Strauss et de Renan survit, non leurs thèses ; celles (le M. Havet sont abandonnées, et la science de Voltaire prête à rire.

Les sciences naturelles professent l’évolution : c’est chose manifeste ; mais on oublie de dire, et des savants autorisés le rapjienciit de temps en temps, que le fait n’est pas prouvé, bien que certains faits favorisent l’iiypothèse, et le fùt-il, on n’aurait encore rien gagné contre le dogme de la création, cf. Création, Evolution. 1177

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Dire, comme on l’a fait, que si l’on n’est pas jusquici d’accord pour remplacer le dog^me clirétien (solution positive), on l’est du moins pour le rejeter (solution négative), et que c’est là un résultat déjà très appréciable, est une assertion assez gratuite.

a) On ne peut supprimer si lestement les écoles conservatrices anglicanes, ou protestantes, ou catholiques. Elles comptent des savants de valeur et les plus radicaux de leurs adversaires ne s’imposent pas par une compétence professionnelle plus marquée.

b) De plus, il n’y a pas deux séries de principes, les uns pour détruire, les autres pour reconstruire. Exclusion aprioriste du surnaturel, évolutionisme, pambabylonisme, allégorisme… sont invoqués tour à tour, selon les écoles, pour l’une et l’autre lin. Les critiques qu’elles se renvoient mutuellement trahissent donc bien un désaccord profond sur la valeur scientifique de leurs thèses soit positives, soit négatives.

On impressionne pourtant des aiulitoires même cultivés, en s’attachant à montrer les « reculades » constantes de la science catholique, en anatomie, en géologie, en archéologie, en phjsique, en physiologie, en histoire. Voir surtout A. D. White, A history of the a’arfare of science with theology in Christendom, Londres, 1896, trad. franc, de Varigny et Adam, Histoire de la lutte entre la science et la théologie, in-S", Paris, 1899. L’objection et son succès proviennent d’une conl’usion trop fréquente entre la dogmatique et la théologie. La dogmatique n’a pas Avarié, puisque le Credo primitif, loin de s’être effrité au cours des siècles, s’est consolidé et précisé ; mais on ne peut nier qu’un bon nombre d’assertions théologiques ne se soient modiûées. Cela tient à la nature de la théologie : elle traite des rapports entre la science et la foi ; c’est une soudure qui est toujours à refaire, parce que l’un des deux métaux à unir varie sans cesse, et c’est la science. Quand les savants progressent, les théologiens fournissent des explications ou des applications du dogme plus savantes, mais, quand la science d’une époque est fautive, les théologiens se trompent avec la masse des savants de eiv tenqis, sinon avec l’élite. Cette conséquence est inévitable, du moment que Dieu avait résolu de nous enseigner, non les sciences naturelles, mais le chemin du ciel.

Une confusion au moins aussi grossière est celle qui identifie les traditions locales et la Tradition de l’Eglise, la fausseté d’une légende et la fausseté de la Religion. C’est l’erreur des simples, incroyants ou croyants, qui mêlent tout. Cf. Boudinhcx, Et si ce n’était pas >rai ? dans la Revue du Clergé, 1900, t. XXII, p. 24 I sq.

Aux théologiens d’être moins contiants, de ne pas prendre pour « le dernier mol > » de la science celui qu’elle vient de i)rononcer le dernier, d’éviter à la fois et les concordismes prématurés et les assertions tranchantes, sur des questions délicates qui n’ont pas encore été sulllsainment élucidées. Voir les sages principes de S. ArousTiN, De Cen. ad litt., 1. I, c. xviii, n. 37, P. L., t. XXXIV, c. 260 ; c. XIX sq., n. 89 sq., col. a61 sq. ; l. II, c. i, n. 2, col. 263, et de S. Thomas, Sum, tlieol. I, q. 68, a. i ; q. 67, a. 4, ad 2">, 3"i ; q- 70, a. I, ad 3"’ ; in IV, Sent., l. II, dist. 12, a. 2, etc.

Les dogmes à expliquer restant les mêmes, leur explication scientilique a [)rogressé et progressera, parcequeles sciencesont progressé et progresseront. Jamais la science ne [)rouvcra les mystères, et de ce chef ceux qui ne veulent pas croire auront toujours des objections ; elle ne prouve même pas avec certitude tous les faits historiques qui intéressent le dogme ; c’est vrai encore, mais une preuve insuiri sante de la vérité d’une chose n’est pas une preuve sullisante de sa fausseté, et l’Eglise est instituée précisément pour garantir, par la foi, ce dont la science pourrait douter trop longtemps. Le point qui importe, c’est qu’aucun de nos dogmes n’est atteint par les conclusions certaines d’aucune science. S’il en est ainsi — et ce dictionnaire en fournii-a la preuve détaillée — l’opposition existe bien entre les savants — certains savants — et la foi, non entre la science et la foi.

La raison de ce fait n’est peut-être pas si mystérieuse, qu’on ne puisse l’indiquer avec quelque vraisemblance. Si chaque crise morale a sou explication dans les circonstances où elle nait, la crise présente s’explique par la culture intellectuelle de notre temps. L’hyperesthésie critique, l’intellectualisme, le savantisme et son orgueil n’ont jamais plus de chance de se produire, qu’aux époques où les triomphes de la science sont plus remarquables et l’instruction, surtout la demi-science des masses, plus répandue par l’école et par la presse. C’est la maladie qui nous menaçait et qui sévit. Ce qui la rend plus contagieuse sans iloute, c’est l’inégal développement de l’instruction religieuse ; beaucoup n’ont, pour parer au mal, que le petit bagage de catéchisme, emporté du collège : science d’enfant contre des diflicultés d’homme !

C. Progrès à venir. — C’est pourtant uniquement de « vie des dogmes » qu’il faut parler : « ils ne sont jamais plus près de renaître, qu’au moment où l’on croit qu’ils Unissent », Caro, op. cit., p. 620, car on sent mieux alors que le monde ne peut vivre sans eux.

Ce sont de nouveaux progrès qu’il faut prédire, si longtemps que doive durer la crise. Déjà les gains de ces dernières années sont significatifs, cf. A. Bau-DRiLLART, Le renouvellement intellectuel du clergé de France au xix’siècle, in- 16, Paris, 1908, bibliographie, p. 58. Les mêmes causes produiront les mêmes effets, sous l’influence de l’Esprit-Saint.

Le dogme poursuivra son explicitation ; les questions encore pendantes recevront une solution plus nette : déterminations secondaires concernant l’infaillibilité du Pape et de l Eglise, Assomption, médiation de la T. S. Vierge, questions d’exégèse et d’inspiration biblique, sur lesquelles la doctrine de l’Eglise se fait plus précise, problèmes concernant S. Joseph, etc.

L’essor des études historiques et le progrès des méthodes critiques permettent d’augurer de grands progrès de la théologie biblique, de la théologie positive, de l’histoire des dogmes, de l’exégèse et de toutes les sciences auxiliaires de la théologie dogmati ([ue. Bon nombre d’auteurs insistent volontiers sur ce sujet. C’est justice, pourvu qu’on n’oublie pas que théologie et dogme sont deux choses distinctes.

Le progrès dogmatitiue est prévu par le Concile du Vatican, cf. col. 1124, le |)rogrès théologique encouragé par l’Encyclique Pascendi, IP p., § i. Primo igilur… dans les Ouest, actuelles, t. XCIII, p. 264, sq., cl par divers brefs du S. Père, cf. Hevue biblique, 1906, t. XV, p. 196 s([., 1907, t. XVI, p. 477 ï> Il n’est possible de donner ici que des indications sommaires ; le lecteur suppléera à leur insuffisance.

A consulter sur les deux enquêtes : Mon Latty, Question téméraire et mal posée, in-16, Paris, 1907 ; P. MArxKiJRANCQ, Y a-t-H une crise du Catholicisme i’dans les Etudes, 1907, t. CXII. p. 698 sq., 761 stf., t. CXIII, p. 47 sq.