Dictionnaire apologétique de la foi catholique/Certitude

Dictionnaire apologétique de la foi catholique
Texte établi par Adhémar d’AlèsG. Beauchesne (Tome 1 – de « Agnosticisme » à « Fin du monde »p. 255-260).

CERTITUDE. —
I. Nature. — II. Existence. — lU. Espèces. — IV. Causes de l’erreur. — V. Enseignement de l’Eglise.

I. Nature. — 1) Position de la question. — La certitude est l’un des états de l’esprit par rapport à la vérité. Tandis que l’ignorance ne se pose même pas de question, que le doute cherche sans trouver (doute négatif) ou du moins n’ose trancher (doute positif), que l’opinion incline d’un côté sans être pleinement satisfaite, la certitude met fin à l’enquête et se repose dans la possession de ce qu’elle tient pour la vérité. Qu’un tel état se rencontre, qu’il soit même très fréquent et comme naturel à l’homme, c’est un fait, que personne ne songe à contester.

Mais il arrive souvent qu’après avoir goûté ce repos sur un point, quelqu’un s’aperçoive (soit de lui-même, soit à l’aide d’un autre) qu’il « se trompait » ; que là où il croyait avoir la vérité^ il avait une fausseté, il était dans l’erreur. Dès lors une question se pose : y a-t-il des certitudes pour lesquelles on n’ait pas à redouter cette mésaventure, qui non seulement résistent aux objections faites, mais qui ne craignent aucune objection possible ? en d’autres termes, y a-t-il un signe, un critère, permettant de reconnaître la vérité ? On le voit, la question de la certitude ne se pose qu’à propos de certitudes contrôlées, justifiées, légitimées et par suite inamissibles.

2) Certitude et vérité. — La question de la certitude engage celle de la vérité, puisqu’il s’agit de reconnaître la vérité pour s’y reposer à l’aise. Qu’estce donc que la vérité ? (il s’agit de la vérité logique, ou de la connaissance, non de la vérité ontologique, ou des choses en tant qu’elles sont conformes à leurs modèles, ni de la vérité morale, ou du langage, opposée au mensonge). Le bon sens ^"lllgaire répond : une connaissance est vraie quand elle est conforme à la réalité ; de là la vieille formule : Veritas est adæquatio rei et intellectus. Il s’agit bien d’une réalité extérieure (extérieure au sujet pensant, ou tout au moins à l’acte même de connaissance ; toute connaissance humaine suppose une dualité primordiale, irréductible, de sujet et d’objet : celui qui connaît, connaît qtielque chose, comme disait Aristote) ; nous n’avons nul besoin de recourir, pour définir la vérité, à « l’accord de l’esprit avec lui-même » ou à « la fécondité d’une doctrine au point de vue de la pratique » ; ceux qui définissent ainsi la vérité (idéalistes, pragmatistes) ne le font que parce que leur philosol )hie, sans motif valable, enlève tout sens à la formule traditionnelle.

Mais, et ceci est capital, la vérité ne se trouve pas, à parler strictement, dans tout acte de connaissance. La perception, l’appréhension (sensible ou intellectuelle), véritable regard qui atteint immédiatement l’objet (objet concret, ou bien note abstraite), l’atteint, lui, et non un autre, ni autrement qu’il n’est ; elle ne comporte donc ni conformité, ni difformité puisqu’il n’y a rien de « formé « dans le champ de la vision ; l’idée ou concept, fruit de la connaissance, n’est pas directement connue, et par conséquent sa conformité à l’objet n’est lias à considérer ici. Mais dans le jugement, resjirit exprime le contenu de sa perception dans une synthèse qu’il maintient sous son regard, il aflirme cjn’à tel objet appartient ou non tel caractère ; là il y a vérité ou erreur, selon qu’en réalité l’objet est ou n’est pas comme on le dit.

3) Le scepticisme. — Le scepticisme se dresse à l’entrée même de la question de la certitude pour décourager d’avance tout effort : est-il possi ble, demandet-il, que nous arrivions au plein repos dans la possession d’une vérité quelconque ? Remarquons d’abord qu’il ne peut se proposer que sous une forme intei"495

CERTITUDE

496

lOgatiA’e, dubitative, que pour lui se formuler en thèse serait se détruire, puisque ce serait donner comme certain qu’on ne peut de rien être certain : logomachie, contradiction trop évidente. Mais on nous pose une question, et on s’autorise pour cela j°) du fait de tant d’erreurs reconnues : ne doivent-elles pas faire suspecter toute source de connaissance, sens et intelligence ? 2°) d’un argument, valable contre quiconque essaie de faire des arguments auxquels il croit : pour reconnaître la vérité, il faudrait un critère, pour juger et déclarer bon ce critère, il en faudrait un autre, et ainsi de suite, à l’infini ; — sous une autre forme : pour savoir reconnaître la vérité il faudrait un critère ; mais pour choisir ce critère, il faudrait savoir reconnaître la vérité, vous tournez dans un cercle. C’est le célèbre argument ou trope du diallèle.

Nous avons déjà remarqué que le scepticisme ne pouvait s’ériger en système ; ajoutons qu’il n’est pas possible comme attitude : la nécessité, ou si l’on veut, le fait même de la- vie le proscrit ; vivre, c’est agir, et agir c’est croire, tout au moins croire que les actes qu’on fait ont un sens et une portée. Nous pouvons d’ailleurs, tout en différant la réponse aux objections du scepticisme, apercevoir déjà le vice fondamental qu’il recèle : la question qu’il soulève n’a de sens qu’en fonction même du dogmatisme qu’il veut éviter. Dire que telle connaissance n’est pas certaine, — ou, si Ton veut, n’est pas certainement certaine, — demander si Ton peut reconnaître qu’on a la vérité, suppose qu’on sait ce que c’est que certitude et vérité, ce que c’est qu’avoir la vérité, — et donc qu’on a quelque vérité et qu’on le sait ; la critique, fût-ce sous forme purement dubitative, n’est pas plus possible, sans une vérité déjà possédée, que l’affirmation elle-même. A plus forte raison, reconnaître qu’on s’était trompé, voir à n’en pas douter la fausseté d’une affirmation qu’on avait émise, suppose la possession d’une affirmation vraie, en considération de laquelle la première est déclarée intenable.

II. Existence de la certitude. — i° Solution de la question. — La condition nécessaire et suffisante de l’existence de la certitude (c’est-à-dire de la possibilité d’un repos dans la vérité possédée et connue comme telle) est l’existence d’actes de connaissance à l’occasion desquels la question de vérité ne se pose même pas. Or, tels sont, nous l’avons déjà dit, les cas d’intuition : oubiennousne connaissons pas, et la connaissance est un vain mot, ou bien nous connaissons cjuelque chose et quand nous exprimons ce quelque chose, sans que notre affirmation déborde en rien notre intuition, il n’y a pas place à l’erreur. Qu’il y ait des intuitions sensibles, cela ressort du fait initial de la connaissance : dans la perception extérieure, l’esprit atteint un objet ; qu’il y ait des intuitions d’images internes et, dans les phénomènes de conscience réflexe, des intuitions d’actes internes, cela ne peut faire difficulté pour personne. Il y a aussi des intuitions intellectuelles, les unes simples, les autres complexes, et ces dernières jouent dans l’évolution de notre connaissance un rôle très important : certaines notions abstraites ne peuvent être présentées à l’esprit sans que celui-ci voie entre elles un lien nécessaire ; par exemple, dès que sont données dans une synthèse concrète (dans l’effort volontaire) les notions de cause et de commencement d’existence, l’esprit, dépassant le cas particulier, « désindividualisant », si l’on ose dire, les termes du rapport et le rapport lui-même (c’est toujours le procédé de l’abstraction, le même qui donne les idées générales), en retient que le commencement d’existence, de soi, en tant que

tel. donc partout et toujours, requiert une cause. Affirmer cette relation perçue, c’est formuler le fameux principe de causalité. Il y a bien d’autres intuitions semblables : le tout est plus grand que la partie, deux quantités égales à une même troisième sont égales entre elles, tout ce qui est a une raison suffisante, etc.

En dehors de ces cas, quand nous voulons nous assurer de la vérité d’un jugement, connaître certainement si tel attribut convient à tel sujet, que faisons-nous ? nous insérons entre les termes du jugement étudié un terme moyen (ou plusieurs, si c’est nécessaire), tel que son rapport aux deux autres soit objet d’intuition immédiate.

Bref, nous possédons un critère et un seul pour reconnaître la vérité, pour légitimer nos certitudes, c’est l’évidence.

Ce terme d’évidence demande à être exactement entendu, car on peut ou bien s’en permettre un usage trop facile, ou bien le frapper d’une suspicion injuste. Autrefois il signifiait la propriété de certains objets de se manifester en quelque sorte d’euxmêmes, de déterminer sans travail nécessaire et sans résistance possible l’adhésion à quelque jugement ; c’est le vrai sens étymologique : « c’est évident «  équivaut à « cela se voit », « cela saute aux yeux »,

« cela force l’assentiment » ; dès lors il était légitime

d’admettre des certitudes d’inévidence, obtenues après un effort pour placer l’objet dans la lumière convenable, ou par une intervention de la liberté. Aujourd’hui le mot a pris un sens plus large : il désigne toute manifestation qu’un objet fait de soi, avec ou sans effort préalable du sujet connaissant ; manifestation de l’objet au sujet, et corrélativement, appréhension par le sujet de l’objet. Or l’appréhension est le fait fondamental de la connaissance ; celui qui prépare le jugement. Dire que l’évidence est critère ultime de vérité et motif ultime de certitude, c’est donc en revenir simplement à ce qui a été montré plus haut, que dans l’appréhension la question de vérité ne se pose pas encore, et que, quand elle se posera à l’occasion du jugement, elle se résoudra par un retour à la source, par une réflexion sur l’objet de la vision.

Il va sans dire qu’exiger une évidence pour toute certitude, ce n’est pas exiger une évidence intrinsèque ; il peut n’y avoir qu’évidence extrinsèque ou de crédibilité, comme il sera expliqué à propos de la Foi.

2* Réponse aux objections. — L’objection tirée par les sceptiques des erreurs si nombreuses que commettent les hommes, se retourne contre eux, comme nous l’avons vu, puisque reconnaître une erreur suppose la possession de la vérité. Et qu’on ne dise pas, comme Descartes, que les erreurs des sens étant reconnues par l’intelligence, font légitimement suspecter par elle la certitude sensible : l’intelligence ne corrige les sens qu’aidée par les sens eux-mêmes, et donc notre réponse conserve toute sa force. Nous compléterons plus loin la réponse au premier argument des sceptiques, en traitant des causes de nos erreurs.

Quant à l’argument du diallèle, il ne porte pas, parce qu’il part d’un faux supposé ; à savoir : que la démonstration est l’unique source de connaissance certaine ; ce n’est ni l’unique, ni même la principale ; c’est un moyen détourné de conquérir la vérité quand elle se cache ; quand elle se montre, il n’est que de la regarder ; et si elle ne se montrait d’abord en certains cas, nul ne songerait à la chercher quand elle se cache, parce que nul ne saurait qu’il y a une vérité. Au fond les sceptiques sont, l’histoire en fait foi, ou des sophistes qui ne veulent pas voir clair, ou des timides qui n’osent ouvrir les yeux, ou des faibles qui ne peuvent s’affranchir des contraintes 497

CERTITUDE

498

toutes factices que leur a imposées une mauvaise éducation intellectuelle. L’exposé même du moyen par lequel nous arrivons en fait à reconnaître la vérité, constitue la meilleure réfutation du scepticisme.

Nous avons déjà vu que le doute universel n’est pas possible, même à l’étal d’altitude ; il faut aller plus loin encore, et dire qu’il n’est pas possible comme attitude pro^’isoire, à titre de méthode pour reconstruire ensuite l’édifice de la science humaine : devant certaines évidences immédiates, tout au moins, l’esprit humain ne peut suspendre son acte ; et, le pùt-il, c’en serait fait de toute science, à moins de sortir du doute par un clioix de pur caprice, acceptant ici la même évidence qu’on rejette là. Descaktes n’est pas un sceptique, mais son système devait conduire, et a conduit souvent au scepticisme.

Il ne faudrait pas s’exagérer l’importance des objections du scepticisme ; elles sont parfois difficiles à étreindre, et l’apparente prudence de l’adversaire peut masquer le caractère factice de son doute ; mais on trouvera toujours à le mettre en contradiction avec lui-même, c’est-à-dire à le prendre en flagrant délit de certitude : tout au moins sait-il le sens des mots qu’il emploie, et distingue-t-il nettement l’affirmation de la négation ! N’oublions pas non plus les leçons singulièrement instructives de l’histoire : on ne peut nier quil y ait eu, dans tous les temps, des disputeurs faisant métier d’embarrasser l’adversaire, et des écrivains trouvant un facile succès à humilier la raison humaine, mais on peut douter que le scepticisme intégral ait jamais paru en philosophie. « Le père du pyrrhonisme paraît avoir été fort peu pyrrhonien », écrivait BROcnARO à la (in d’une étude sur Pyrrhon (Revue pliilosophique, 1885, I, p. 52’j) ; Sextos Empiricus avertit son lecteur que ni lui ni aucun (( sceptique » n’a jamais mis en question les données immédiates de la conscience, les impressions subjectives ; plus tard Hume et Stuart Mill parleront de même. Aujourd’hui le scepticisme universel paraît bien être un mythe. Voici ce que dit l’idéaliste Paulsen, après une énumération des divers systèmes philosophiques touchant la valeur de la connaissance :

« Les historiens de la philosophie mentionnent encore

d’ordinaire une autre forme de théorie, le scepticisme ; sa formule serait : nous ne pouvons absolument rien connaître. De temps en temps il se trouve encore quelqu’un qui se donne la peine de réfuter cette manière de voir. Peine inutile, ce me semble. Si le scepticisme réel a jamais existé, en tous cas, dans les temps modernes, il est bien mort. On n’y trouve plus un seul philosophe qui doute de l’existence d’une science véritable, différant de l’ignorance. » Et après avoir montré que c’est se méprendre que d’appeler Hume ou Kant des sceptiques, il ajoute : « Il n’en est pas autrement, que je sache, du reste des prétendus sceptiques : ils ne contestent ni la possibilité, ni l’existence des sciences, ils insistent seulement sur le caractère restreint et précaire de la science humaine, par rapport à un idéal possible de connaissance, tel qu’il peut être réalisé dans une intelligence divine. Le scepticisme dans la philosophie moderne est proprement la tendance à s’opposer, dans tous les domaines, aux prétentions de la spéculation transcendante ; il a double visage et défend à la fois la croyance religieuse et la recherche expérimentale contre les empiétements de la spéculation. » (Eiiileitunf ( in die Philosophie, 16" édit., Stuttgart 1906, p. 368. On trouvera une déclaration semblable dans Brociiard, /^e l’Erreur, 2’édit., Paris 1897, p. io4-io8.)

Mais dans ces dernières paroles se cache le venin : la plupart des systèmes philosophiques actuels sont des scepticismes partiels, et n’évitent le scepticisme

total qu’au prix d’un illogisme. Admettre l’évidence du phénomène et rejeter celle de la chose (idéalisme), récuser l’évidence du px-incipe pour admettre celle du fait (positivisme), exclure l’évidence du témoignage quand il porte sur une intervention supra-humaine (rationalisme), c’est amputer sans motif sérieux notre faculté de connaître, et lui faire une blessure mortelle.

3° Les faux critères. — Divers critères de vérité qui ont été proposés (consentement universel, Lamennais ; révélation divine, Huet, de Donald ; instinct de nature, Reid ; sentiment, Jacobi…) ne méritent pas de nous arrêter longuement. Ils procèdent d’une défiance injustifiée vis-à-vis de la raison humaine ; ils n’ont de fondé que ce qu’ils empruntent à l’évidence, et, pour ne pas l’accepter partout, n’évitent le scepticisme qu’au prix d’un illogisme.

Une imprudence beaucoup plus grave et moins justifiable encore, consiste à faire de la certitude une pure affaire de volonté ; l’homme croirait uniquement parce qu’il veut croire ; aucune certitude ne pourrait être justifiée suffisamment par des motifs ressortissant à la seule raison, il y faudrait l’intervention de la volonté libre imposant l’assentiment. Cette théorie a été présentée de diverses façons par Kant, Jouffroy, Renouvier ; c’est la théorie de la croyance, très répandue aujourd’hui. Elle aussi, sous cette forme intransigeante, mérite les critiques faites ; elle revient, en effet, à accorder que nous ne pouvons arriver à la pleine satisfaction que réclame impérieusement notre nature intellectuelle. Mais dans quelle mesure faut-il s’en servir pour atténuer un intellectualisme exagéré ? quel est le rôle de la volonté dans tout assentiment, et y a-t-il des assentiments, par exemple la foi, dans lesquels ce rôle est principal ou même unique ? ces questions ont excité parmi les catholiques, dans ces derniers temps, des débats passionnés ; nous en dirons ce qui se rapporte à notre sujet en traitant des rapports entre la certitude et la volonté. Pour le reste, voir à l’article Foî.

III. Espèces de certitudes. — Nous avons vu que ce qui caractérise la certitude comme état d’esprit par rapport à la vérité, c’est le repos dans la possession, la cessation de toute recherche ultérieure, l’absence de crainte d’avoir jamais à revenir sur la chose jugée : ce côté négatif ne comporte pas de degrés ; on est certain, tout à fait certain, ou bien on ne l’est pas du tout. Ce qu’on appelle parfois certitude morale et qui n’est qu’une grande probabilité, suffisante dans bien des cas pour baser une action prudente, ne mérite pas, en langage philosophique, le nom de certitude.

Mais considérée sous d’autres aspects, la certitude admet diverses espèces ou du moins divers degrés.

1° Certitude naturelle et certitude philosophi(/ue. — On appelle naturelles ou spontanées les certitudes qui n’exigent pas de préparation ni d’élaboration scientifique, celles auxquelles l’homme en possession de sa raison arrive sans peine ; il s’agit pourtant de vraies certitudes, contrôlées par un regard sur les motifs, par une réflexion, et par conséquent le terme de « spontanées » ne doit pas être pris à la lettre ; il s’explique par celui auquel on l’oppose. La certitude philosophif/ue, ou scientifique ou pleinement réflexe, substitue à la connaissance globale des motifs une connaissance distincte, chacun d’eux étant nettement distingué des autres et rattaché explicitement à des intuitions immédiates. La certitude naturelle porte sur l’ensemble des vérités nécessaires à l’homme pour qu’il puisse se conduire dans la vie, les unes banales et vulgaires, d’autres fort relevées ; elle s’étend au reste plus ou moins loin ; ce qu’on appelle 4<9

CERTITUDE

500

le coup d"œil, le flair, le tact, le bon sens, le jugement, ne sont guère que des manifestations dans des ordres divers de ce pouvoir que nous avons d’atteindre la vérité ; c’est dire assez l’importance de la certitude naturelle. On peut ajouter qu’elle est même supérieure à la science : l’effort que nous faisons pour analyser nos raisons de juger, pour débrouiller l’écheveau de nos motifs d’adhésion, pour substituer îme formule à une vie, reste pai-fois infructueux, si même il n’aboutit pas à nous enlever le repos. Pourtant la recherche d’une certitude philosophique est légitime, tout à fait dans le sens de notre nature, et si elle est entreprise avec la prudence et l’humilité voulues, ne peut donner aucun funeste résultat, "

2° Certitude absolue et certitude hypothétique. — Les jugements, matière à certitude, sont de deux sortes, les uns portant sur un fait, relatifs à un sujet concret, singulier (jugements d’existence), les autres portant sur une loi, exprimant le rapport d’un attribut à un sujet abstrait, universel (jugements d’ordre idéal). Occupons-nous d’abord des lois. De nouveau, on en distingue de deux esijèces : les unes sont nécessaires, c’est-à-dire indépendantes de tout choix d’une volonté libre ; le Créateur lui-même n’aiu"ait pu faire que le tout fût plus petit que la partie, que quelque chose jjùt naître sans cause, que deux et deux ne lissent pas quatre : on appelle parfois ces principes « métaphysiques » ; l’épithète de « nécessaires )) les caractérise mieux. D’autres lois sont

« contingentes », c’est-à-dire découlent des essences

des choses, telles qu’il a plu au Gréateiu- de les constituer ; ce sont les lois « physiques », par exemple

« le phosphore fond à 44 degrés », « l’eau se

décompose en oxygène et hydrogène, et les volumes des composants sont entre eux comme i et 2 » ; alors que les précédentes sont obtenues ou bien par une intuition immédiate, ou bien par déduction de jugements immédiats, celles-ci sont le résultat d’une induction. Mais cette double différence dans la matière, nécessaire ou contingente, et dans le mode d’acquisition, déductif ou inductif, n’en entraîne aucune dans le genre de certitude : c’est dans l’un et l’autre cas une certitude absolue. Et remarquons-le, cette certitude absolue s’étend même aux lois morales, qui ne sont qu une catégorie i)arlioulièrc des lois physiques, celles qui concernent la nature morale de l’homme, ou, comme on dit encore, le monde moral ; elles seront sans doute plus complexes, et, en pratique, plus difficiles à dégager des faits, mais, une fois obtenues, si elles sont véritablement des lois, et non des formules empiriques exprimant ce qui se passe

« le plus souvent », elles engendreront dans l’esprit

une certitude absolue.

En est-il autrement des jugements de faits ? Quand le fait affirmé est l’objet d’une intuition immédiate, sensible, par exemple : « ceci est rouge », ou quand il est déduit comme application d’une loi physique, par exemple : « ce bruit est une décharge d’électricité atmosphérique », ou quand il porte sur l’application future d’une loi physique, comme « le soleil se lèvera demain à telle hem-e », sa vérité est subordonnée à l’hypothèse qu’il n’y a pas, ou n’y aura pas miracle, c’est-à-dire suspension par la cause première de la loi qu’elle a posée ; par conséquent on n’en peut avoir qu’une certitude hypothétique. Pour un fait futur, on voit facilement ce que produirait sur moi le miracle : je serais déçu dans mon attente ;

— pour un fait présent : Dieu pourrait, par exemple, avoir une raison de transj)orter ailleurs un corps que j’avais là devant moi, et de produire en moi les mêmes impressions sensibles que produisait ce corps. Cela posé, faut-il encore accorder le nom de certitude à un état d’esprit qui n’exclut pas absolument l’er reur’? l’expression de « certitude hypothétique » est-elle acceptable ? — Oui, répondaient sans hésiter les anciens ; et ils arguaient du langage ordinaire qui répugne à appeler « probabilité » un tel état d’esprit, qui fait presque tout le fond de notre vie pratique. Il semble à quelques-uns que cette réponse n’est plus compatible aA’ec le sens strict, i-igoureux, et, poiu" tout dire, essentiellement absolu, qu’a pris de notre temps le mot « certitude ». Au reste il n’y a pas, à s’y accommoder, de danger sérieux. Pour la pratique de la vie, la « certitude morale, au sens large du mot, suffit ; on l’appelle quelquefois certitude « prudentielle », et le mot est heureux ; d’ailleurs, quand bien même l’hypothèse du miracle serait possible pour toutes nos intuitions sensibles prises distributivement, elle ne le serait que pour un très petit nombre de ces mêmes cas, pris collectivement. Quant aux nécessités de l’apologétique, il faut remarquer que les faits religieux, qui basent notre foi, ne sont pas objets d’une certitude simplement hypothétique : l’hypothèse d’un miracle produisant une illusion invincible dans une circonstance qui engage l’avenir moral de toute l’humanité, est absurde.

3° Certitude nécessaire et certitude libre. — Qu’il y ait des certitudes nécessaires, c’est-à-dire, déterminées fatalement, irrésistiblement par une évidence qui s’impose, la chose ne paraît pas contestable. Dans la parole célèbre « Dès longtemps on aurait nié que deux et deux fissent quatre si l’on y avait eu quelque intérêt », il ne faut sans doute voir qu’une boutade. Et ce n’est pas seulement en matière métaphysique, mais encore en matière morale qu’on rencontre la certitude nécessaire : suis-je libre de croireque Rome existe ? qu’un roi de France s’est appelé Louis XIV ?

Mais y a-t-il des certitudes libres ? et quel rôle y joue la volonté ? Cette question, si importante pour l’étude de la foi, exige que nous traitions de l’influence de la volonté dans l’assentiment.

a) Dans tout assentiment, la volonté a au moins une part indirecte. si ce n’est pas toujours elle qui choisit l’objet de la recherche et qui y dirige l’attention de l’esprit, c’est elle entons cas qui l’y maintient, et cela peut-être malgré bien des obstacles, un découragement à la suite d’efforts infructueux, un désir de changer d’objet de recherche ou de passer promptement à l’action. Ne parlons pas du rôle de la volonté dans l’expression extérieure, par le langage, de la vérité perçue : c’est extrinsèque, consécutif à l’acte proprement intellectuel qui s’appelle le jugement.

b) Dans certains cas, le résultat d’une recherche est celui-ci : on a réussi à réduire la proposition étudiée à d’autres propositions déjà certaines, peut-être intuitives, mais, soit longueur de la chaîne des raisonnements, soit complexité ou difficulté du sujet, soit conséquences pénibles à accepter, toute inquiétude n’est pas calmée, des objections se présentent encore, et l’assentiment n’a pas lieu ; tout au moins n’est-il pas durable, manque-t-il de cette stabilité, de cette constance, de cette vigueur calme réclamée par la vie intellectuelle ou morale ; l’esprit, tiré fortement d’un côté, est en même temps tiraillé en sens dÎAcrs, et entravé dans sa marche. C’est alors à la volonté à imposer silence aux doutes, reconnus « imprudents », et à rendre ainsi possible l’assentiment : certitude valable, absolue, mais libre, conquise. Un exemple fera comprendre le cas. Supposons unhistolien qui veut savoir s’il peut se donner comme certain d’un fait, attesté par plusieurs contemporains ; recherches faites, le nombre et la qualité des témoins sont tels qu’on ne peut douter que le fait n’ait eu lieu ; mais il se trouve qu’un auteur, d’excellente information, bien placé pour observer ce fait, n’ayant aucun 501

CERTITUDE

:.02

intérêt à le cacher, au contraire, ayant, scniljle-t-il, intérêt à s’en servir pour le but qu’il poursuit, n’en dit pas mot. L’objection est sérieuse, elle met à mal l’esprit de notre historien, qui se retourne vers ses autorités, les critique de nouveau : leur témoignage résiste ; « objection n’est pas raison >, dira-t-il justement, et il écrira « je suis certain du fait >- ; l’objection, ainsi congédiée, ne s’évanouira pas pour cela, elle reviendra insolente, gênante, mais toujours la volonté lui imposera silence. Nous aurions pu prendre l’exemple d’un enseignement élevé, exigeant pour être compris, une purification de l’àme, un renoncement à des habitudes invétérées, à des passions entretenues. .. On entrevoit toute l’importance de ce cas pom* l’assentiment de foi, de foi surnaturelle surtout, où se réunissent tant de motifs de doutes imprudents, où par conséquent la part de liberté sera si grande ; on dcvine le rôle qu’y joueront les dispositions morales, droiture, désintéressement, pureté, et on comprend la portée du mot de Platon si souvent cité (2" proposition souscrite par Bonnetty, 8 septembre 18/)0.) « La raison peut établir avec certitude l’authenticité de la révélation faite i)ar Moïse aux Juifs et par Jésus-C. iirist aux chrétiens.)> (6^’proposition souscrite par 503

CHASTETÉ

50^

Bautain, 18 novembre 1835.) Et le Concile du Vatican a porté le canon suivant : « Si quelqu’un dit que le Dieu un et véritable, notre Créateur et Seigneur, ne peut, à l’aide des choses créées, être connu avec certitude par les lumières de la raison humaine, qu’il soit anathème ! » (Constitution de Fide, can. i de lievelatione. )

2) L’anti-inlellectualisme, qui exagère la part de la volonté et du sentiment dans la foi, a reçu un blâme sévère et une condamnation formelle dans l’Encyclique Pascendi (18 septembre 1907) contre le modernisme. Voir à l’article Foi.

P. Geny.

Bibliographie. — Mercier, Critériologie générale, ou théorie générale de la certitude, Louvain, 1899 ; OUé-Laprune, La certitude morale, 3’édition’. Paris 1898 ; Farges, La crise de la certitude, Paris 1907 ; Newman, Grammaire de l’assentiment, trad. fr., Paris 1907 ; de Tonqucdec, Za Notion de vérité dans la « philosophie nouvelle », Paris 1908 ; Harent, ai-ticle Croyance, dans le Dictionnaire de théologie catholique.