Dictionnaire apologétique de la foi catholique/Apologétique.Apologie

Dictionnaire apologétique de la foi catholique
Texte établi par Adhémar d’AlèsG. Beauchesne (Tome 1 – de « Agnosticisme » à « Fin du monde »p. 103-134).

APOLOGÉTIQUE. APOLOGIE. — 1’^ Pahtii :  :

EXPOSIÎ SOMMvIKE DU UKVIXOI’PKMKNT HISTOKIQUK

i)i ; L APOLOCwÎTiQUK. — I. A’otion générale ; acception large et acception restreinte. — II. L’apologétique dans les cinq premiers siècles. — III. Au moyen âge. — IV. Dans les temps modernes. — V. Au ^y/A siècle ; constitution de l’apologétique en doctrine distincte de la théologie proprement dite.

II Pautie : L’apolooiïtique classiqii : . — I. Objet propre ; la crédibilité rationnelle. —II. Procédé fon damental. — III. Deux formes spéciales. — IV. Attaque et justification de l’apologétique classique : sa perfectibilité relative. — V. Délimitation et caractère scientifique de l apologétique. Pour les autres méthodes, voir l’article Immaxexce.

pe Partie

Exposé sommaire du développement historique

DE l’apologétique

l. Notion générale ; acception large et acception restreinte de l’apologétique. — Conformément à la racine des deux mots, àTro^o/irjôat, faire valoir une justification, une défense, les termes d’apologétique et d’apologie se rapportent, dans l’ordre religieux, à la justification et à la défense de la foi, de la religion. A ne considérer que l’étymologie, rien ne permet d’établir une distinction précise entre les deux termes ; l’idée qu’exprime le mot àro/o/sîTÔai convient à tout écrit, à tout discours ayant trait à la justification et à la défense de la religion, sous quelque aspect qu’on la considère, dans sa légitimité, dans son enseignement, dans ses institutions positives, dans son histoire au cours des siècles. Si l’on pai-le d’apologie théologicjue, philosophique, historique, scientifique, on peut dire également : théologie apologétique, philosophie apologétique, histoire apologétique, science apologétique. Néanmoins, l’usage de plus en plus commun est d’entendre l’apologie d’une défense ojîposée à une attaque, et d’attribuer à l’apologétique un rôle plus général et plus scientifique. Au même ordre d’idées se rattache la distinction d’un double procédé fondamental : l’un de défense, j)lutôt négatif ; l’autre de justification, au sens positif du mot. Le christianisme se présentant comme une religion divine, bien plus comme la seule religion définitive et, pour autant, la seule agréée de Dieu, ne devait pas seulement s’attendre à des attacjues directes de la part des religions existantes ; il lui fallait encore produire des titres suffisants à l’appui de ses revendications exclusives. Double tâche qui maintenant encore incombe, et qui toujours incombera à l’Eglise ; car il lui faut, et il lui faudra toujours défendre sa foi contre les attaques des incroyants, et leur proposer ses projircs titres, pour les amener à en reconnaître le bien-fondé. D’où cette distinction générale, d’une grande portée, entre l’apologétique négative, défensive, polémique, et l’apologétique positive, expositive, irénique.

Toutefois cette distinction ne suffit pas poiu— séparer nettement l’apologétique de l’apologie ; car s’il arrive cjue l’apologétique se constitue en doctrine distincte et revendique une certaine autonomie, même alors elle pourra, comme toute science, avoir son côté positif et son côté négatif : positif, par rapport à ses propres principes qu’elle devra établir et aux conclusions qu’elle en pourra tirer ; négatif en ce qui concernera la défense de ces mènu’s principes et des conclusions qui en découlent. Pareillement, le rôle de l’apologie n’est pas exclusivement négatif ; pour réfuter une objection, par exemple, contre tel ilogme ou telle institution de l’Eglise, le premier et le meilleur moyen sera parfois d’établir ou de rétablir le vrai sens du dogme, la vraie nature et la portée de l’institulion. Il ne suffirait pas davantage de dire, sans plus ample explication, que l’apologie est particulière, tandis que l’apologétique est générale, ou que l’apologétique est à l’apologie ce que la science est à l’application ou à la vulgarisation ; car il y a des apologies générales du christianisme et, dans le nombre, il en est qui se doniu-nt jxuir savantes et scientifiques. Trop vague encore, la notion ([ui ferait simplement de l’apologétique l’art de défendre la religion contre ses adversaires ; le champ reste illimité,

puisque les attaques sont innombrables, extrêmement variées et non moins changeantes ; rien n’apparaît qui différencie essentiellement l’apologétique d’une apologie générale du christianisme, et rien non plus qui explique, dans l’ordre des principes, une continuité, une stabilité quelconque.

Finalement, la nécessité s’imposera de déterminer plus nettement deux acceptions de l’apologétique, l’ancienne et la récente, pour montrer qu’à cette double acception répond une notion plus large ou plus restreinte du même terme, et que la fixation, dans l’usage comnmn, de l’acception restreinte a été comme une condition ou une conséquence de la constitution de l’apologétique en doctrine relativement autonome. Soit donc la distinction suivante qui, dans ce qu’elle a de flottant, se précisera, et, dans ce qu’elle a d’inachevé, se complétera au cours de cet article. Dans un sens large, qui correspond à l’étymologie du mot, l’apologétique comprend tout ce qui se réfère à la justification et à la défense de la religion, quelles qu’en soient d’ailleiu-s la matière et la forme ; sous ce l’apport, toute distinction spécifique entre apologétique et apologie devient impossible ; impossible aussi toute réduction à l’unité formelle, toute coordination scientifique des divers éléments qui peuvent concourir à la défense de la religion. Toute classification est nécessairement inadéquate ou provisoire ; dans la pratique, nulle règle absolue ne peut être fixée, sauf l’obligation manifeste de tenir compte des devoirs généraux ou particuliers, de science, d’impartialité, de charité et d’orthodoxie qui sont de rigueur pom’un catholique dans toute controverse religieuse. Dans un sens restreint, l’apologétique s’entend de la justification de la religion chrétienne considérée dans son propre fondement, le fait de la révélation divine apportée au monde par Jésus-Christ et confiée à l’autorité vivante de l’Eglise ; et c’est sous cet aspect, où elle est susceptible d’un objet propre et d’une autonomie relative, que l’apologétique peut, de l’avis du plus grand nombre, se présenter comme science distincte.

II. L’apologétique dans les cinq premiers siècles. — Exposition et justification des titres fondamentaux qui établissent l’origine et l’autorité divine du christianisme et de l’Eglise ; apologies, nombreuses et variées, pour les défendre contre leurs ennemis ; telles sont les grandes lignes du mouvement. La synthèse apologétique de l’avenir n’y est contenue qu’en germe, dans ses éléments essentiels, et sans distinction entre apologie et apologétique.

I. Jésus-Clu-ist et les apôtres. — Jésus-Christ se donne pour l’envoyé du Père, pour le Messie, Fils de Dieu. A ce titre il prêche, en maître autorisé, une doctrine qu’il propose au nom de son Père : Mc, 1, 22 ; Jo., vii, 16. Doctrine qui ne porte pas seulement sur des préceptes de vie morale, mais qui contient la révélation de mystères inaccessibles à la raison humaine : Mt., xi, aSsq ; xxviii, ig ; Jo., i, 18. Doctrine qui ne détruit pas la révélation mosaïque, mais qui la perfectionne, et qu’il charge ses apôtres de prêcher dans le monde entier, avec obligation poiu— tous d’y adhérer sous peine de damnation éternelle ; Mt., V, 17 ; X, 34 ; Mc, xvi, 16. Il fallait justifier de telles prétentions, et les Juifs ne se firent pas faute de le dire. Jésus se réclame des prophéties qui l’ont annoncé, et dont ses auditeurs peuvent constater l’accomplissement en sa personne : Lc, iv, 21 ; XXIV, 27 ; Jo., V, 39, 46— Il invoque les œuvres qu’il acconqjlit, les miracles qu’il oiière au nom de celui qui l’a envojé ; et, de fait, c’est surtout par l’exercice de son pouvoir thaumatiu-gique qu’il conquiert la foi de ses disciples et établit son autorité auprès

du peuple : Je, ii, 11, 23 ; iii, 2 ; vii, 31, etc. Cet appel de Jésus à ses œuvres, signes divins qui confirment sa mission, est surtout mis en relief dans le quatrième évangile, v, 36 ; xi, 42, etc. ; mais il n’est absent des trois autres, ni en principe, puisque le Christ y fait lui-même appel pour justifier son caractère messianique et son pouvoir dans l’ordre de la grâce et du salut, Mt., xi, 4 ; Me., 11, 10 ; ni surtout en fait, puisque les miracles opérés par le Sauveur ont précisément pour résultat de le faire reconnaître pour un prophète, un envoyé de Dieu, un maître transcendant, Mt., VIII, 27 ; XIV, 33 ; Lc, vii, 16. Si Jésus aflîrme qu’une àme de bonne volonté reconnaîtra le caractère divin de sa doctrine, Jo., vii, 17, rien ne permet d’affirmer qu’il ait prétendu faire abstraction des signes qui confirmaient son témoignage ; c’est bien plutôt le rôle capital des dispositions subjectives et morales qu’il a en Aue. Les signes divins, miracles et autres, n’ont pas une influence magique, indépendante de la libre coopération de celui qui doit croire ; mal disposé, il peut fermer les yeux à la lumière, mais avec une entière responsabilité ; lui-même est alors la cause de son propre aveuglement, Mt., xi, 20 ; Jo., XV, 24.

L’apologétique des apôtres s’inspii’e des mêmes principes. Dans ses deux premiers discours aux Juifs, saint Pierre appuie la mission divine et le caractère messianique de Jésus de Nazareth sur les prodiges de toute sorte qu’il a opérés durant sa vie, sur le grand fait de sa résurrection et sur l’accomplissement des prophéties relatives à sa passion et à son triomphe : Act., II, 22, 24 ; III, 17, 18. De même, dans l’Eglise naissante, la preuve des prophéties nous apparaît utilisée par le diacre Philippe, Act., aiii, 35 ; par saint Paul, Act., xxviii, 23 ; I Cor., xv, 3 ; par les évangélistes, surtout saint Matthieu et saint Marc. Dans saint Jean, manifeste est l’intention d’appuyer sur les miracles de Jésus-Christ non pas seulement la glorification du Verbe incarné, mais encore la crédibilité de son caractère messianique et de sa filiation divine, xx, 30-31 ; aussi reproche-t-il vivement aux Juifs leur incrédulité obstinée, malgré tant et de tels signes, xii, 3^. Leur propre autorité, les apôtres la fondent directement sm* le mandat qu’ils ont reçu du Christ : Petriis, apostolus Jesii Christi ; Pauhis, vocatus apostolus Jesu Cliristi. Mais Dieu, de son côté, corrobore leur témoignage en donnant à Leur prédication la sanction des miracles, comme le rappellent saint Marc et saint Paul en deux textes qui couvrent tout le ministère apostolique : Domino coopérante et sermonem confirmante sequentibus signis, Mc, xvi, 20 ; contestante Deo signis et porientis, Heb., 11, 4. Ainsi les premiers chrétiens pouvaient-ils être prêts à rendre raison des espéranci s que la foi allumait en leurs cœurs, suivant la recommandation du prince des apôtres, I Petr., iii, 15.

2. Les Pères apostoliques. — Les écrits de cette période s’adressent, en général, aux fidèles et traitent de la doctrine ou de la morale chrétienne ; telles, la Didaché, les lettres de saint Clément, de saint Ignace, de saint Poljcarpe. Dès lors, cependant, l’ère des apologies du christianisme s’ouvre par le petit traité de controA’crse antijudaïque qu’est l’épître de Barnabe. L’élément apologétique est représenté par deux idées dominantes : l’annonce prophétique de Jésus-Christ et de la révélation chrétienne dans l’Ancien Testament, Bid., y.iv, i ; Barn., i, 7 ; v, 2, 13 ; vi, 7 ; I Clem., XVI, 2 ; Ignat., ad Magn.. iJi, 2 ; ad Philad., iv, 2, etc. ; Polyc. i, 2 ; V, 13 ; puis, idée déjà coiu-ante chez saint Paul, Gal., iii-vi ; Heb., m ss., etc., substitution à l’ancienne, inqjarfaite et temporaire alliance, de la nouvelle, parfaite et définitÎA’e, ^ « r « ., 11, 6 ; ix, 4 ; Ignat., ad Magn., viii ; x, 3 ; ad PItilad., vi.

Si l’aro’ument des prophéties domine dans ces écrits, celui des miracles n’en est pas absent. Barnabe relève les prodiges et les miracles si grands qui accompagnaient la prédication du Sauveur, et dont le mépris coupable a entrainé le rejet du peuple Israélite, iv, 14 ; V, 8. Un miracle qui s’accomplit au martyre de saint Polycarpe est soigneusement signalé et donné comme signe en faveur des chrétiens, Martyrium. T^v.xvi. Papias conservait religieusement le souvenir des miracles attribués aux apôtres par la tradition. Patres Jpostolici, éd. Funk, Tubingue, igoi, p. 356. 3. Les apologistes. — L'œuvre des apologistes fut ime œuvre de controverse et de défense religieuse. Dans les écrits qui subsistent, l’apologie domine, subordonnée, dans sa forme et dans ses allures, aux attaques multiples dont le christianisme était l’objet. Avec les Juifs, la controverse se poursuit, doctrinale et scripturaire, portant sur la messianité de JésusChrist et sur l’abrogation des rites mosaïques. Contre les maîtres de Tempire romain qui se font persécuteurs, ou contre les païens et leurs philosophes qui accusent les chrétiens de toute sorte de crimes, en particulier d’athéisme et d’immoralité, la défense est surtout pratique ; elle tend, sous une forme juridique ou littéraire, à justifier les fidèles de ces imputations calomnieuses et à revendiquer pour eux la liberté de leur foi. De ce genre sont : la requête adressée par Aristide à l’empereur Adrien (publiée par J. Rendel Harris, dans Texts and Studies, t. I, fasc.i, Cambridge, 18yi) ; la Legatio pro cluistianis d’ATHÉNAGORE ; les deux Apologies de saixt Justin. D’autres écrits, sans avoir le caractère de plaidoyers ofliciels, vont au même but, comme cet exposé sommaire du christianisme qui porte le titre d’Epistula ad Diognefem, VOcta^'iiis de Mixucius Félix, VApologeticum de Tertulliex et ses deux livres Ad’ersus nationes, les trois livres de TnÉorniLE d’Axtioche Ad Aiiiolycum. Parfois l’apologiste chrétien prend l’offensive et attaque, avec plus ou moins de mesure, la pliilosophie païenne ; tels Tatiex dans VOratiu ad Græcos, et Hermias, dans VIrrisio gentilium pliilosopliorum.

De cet ensemble d'écrits se dégagent, non pas une apologétique au sens moderne du mot, ni même une apologie parfaite en tous ses détails, mais des éléments précieux pour la démonstration du christianisme et qui contribueront largeuient aux synthèses futures. Au premier plan apparaît d’ordinaire la preuve tirée de l’accomplissement en Jésus-Christ et en son Eglise des prophéties relatives au Messie et à son œuvre. L’ancienneté des livres juifs rendant indubitable l’antériorité de la prédiction par rapport à l'événement réalisé, les apologistes en appelaient de ce chef à l’intervention divine : idoneum testimoniitm dis’initatis, suivant le mot de TerluUien, Apol., 19. L’arguuient devenait plus puissant contre les Juifs qui tenaient ces livres pour sacrés. Ce n’est pas que la valeur probante du miracle fùl alors ignorée ou méconnue. Dans un fragment conservé par Eusèbe, Hist. eccl., 1. IV, c. iii, P. G., t, XX, col. 308, l'évêque d’Atliènes, Quadrat, insiste, dans un but manifestement apologétique, sur le caractère sensible et public des miracles du Sauveur. L'évêque de Sardes, Méliton, cité par Anastase le Sinaïle, 'Oooyo'ç, c. xiii, P. G., t. LXXXIX, col. 22g, explique couiuient la divinité de Jésus-Clirist ressort de ses miracles. Saint Justin sait que, par ses œuvres, Notre-Scigucur engageait ses conteuiporains à le reconnaître pour ce qu’il était, Dialog., 30, 85 ; Apol.. i, 22, 30 ; el Tertillien y voit la manifestation du Verije incarné, Apol., 21. ' Pour SAINT Ihknée, les miracles du Christ, des apôll très et de l’Eglise de son temps constiliunt un argument pércmploire en faveur du christianisme. Contra Itær., 1. II, c.31, n. 2 ; c. 32, 11. /, . A l"ubjectiun natu relle de la part d’adversaires qui, comme les Juifs, pouvaient, à l’exemple de leurs ancêtres, attribuer les faits allégués à une intervention diabolique, ou. comme les païens, n’y voir que de la magie, les apologistes saA’aient répondre en invoquant des caractères propres aux miracles chrétiens : leur finalité morale et leurs effets salutaires, Tertul., Apol., 22 ; le pouvoir du Christ et de ses disciples thaumaturges sur les démons, forcés souvent d’avouer leur défaite, Tertul., Apol., 21 sq. ; Justin, Jpo/., 11, 6, etZ>zai., 3 ; Théophile, 11, 8 ; la prédiction même des miracles de Xotre-Seignevu-, des apôtres et de l’Eglise, prédiction qui en confirmait l’origine divine, Ii*en., Contra liær., 1. 11, e. 82, n. 4 ; Tertul., Ads Marcion., 1. iii, c. 3 ; 1. IV, c. 3g. La prépondérance donnée parles apologistes à la preuve tirée des prophéties s’explique, historiquement et rationnellement, par la direction que la controverse juive imprima dès le début au mouvement apologétique des premiers siècles et par l’efficacité plus grande que cette preuve acquérait dans la circonstance.

Toutefois, et la remarque est importante, parfaitement conscients de la liberté de la foi et instruits souvent par leur propre expérience, les apologistes sont loin de penser que, dans son application concrète aux individus, l’efficacité de ces preines soit indépendante de toute préparation ou disposition subjective ; ils parlent de l’aveuglement des Juifs qui ne leur permettait pas de comprendre le vrai sens des Ecritures ou de reconnaître le doigt de Dieu dans les prodiges qui accompagnaient la mission du Christ et des apôtres ; aussi presque tous insistent-ils vivement sur la nécessité de la grâce qui éclaire et qui émeut, de l’humble prière, de la pureté de cœur, de la bonne volonté qui fait désirer et chercher la vérité, en un mot, sur les antécédents non seulement intellectuels, mais moraux et surnaturels de la conversion.

A côté des prophéties et des miracles physiques se rangent, chez les apologistes, ces faits divins qui s’attachent à l’histoire de l’Eglise et qu’on ai)pelle souvent miracles d’ordre moral : la conversion du monde ou sa transformation morale dans les conditions où elle s’est produite ; les effets supérievirs de sainteté qui se manifestent dans la vie des chrétiens, leur constance héroïque dans les supplices, leui* nomlire croissant en dépit des persécutions. Considérations déjà esquissées dans les premières apologies, par exemple, celle d’Aristide, n. 15, la lettre à Diognète, n. 6-7, l’Octavius de Minucius Félix, passim, mais particulièrement fréquentes et plus accentuées dans les écrits de saint Justin et de Tertullien.

La défense du christianisme et la réfutation du paganisme amènent enfin les apologistes à toucher un autre genre de preuves, celles que fournit l’examen intrinsèque des deux religions. Aux erreurs morales et doctrinales du paganisme ils opposent la pureté et la beauté de la morale évangélique, la sul)limité de la doctrine chrétienne, surtout dans la notion qu’elle nous donne de Dieu, et l’aptitude qu’elle possède à satisfaire pleinement l’esprit et le cœm-. Aussi cherchaient-ils volontiers comme un témoignage, une anticipation en faveur du christianisme, dans les conceptions premières et les aspirations les plus profondes de l'âme humaine : testimoniuni animac naturaliter christianae. Tertul., Apol., 17, et plus spécialement De testimonio animae. Les apologistes platonisants, saint Justin entre autres, allaient même plus loin et voyaient dans ce que la philosophie ancienne possédait de vérité, soit un emprunt fait aux livres sacrés des Juifs, soit un commencement de participation au Verbe divin ; sous ce dernier aspect, la révélation chrétienne devenait comme la philosoiihie parfaite, l’expression plénicre et défi

nitive de la vérité religieuse. Cette sorte de continuité entre la philosophie ancienne et la révélation chrétienne étal)lissait une intime harmonie entre la raison et la foi, mais ne sauvegardait i)as aussi nettement la distinction entre l’ordre naturel et l’ordre surnaturel, entre la révélation au sens large et au sens strict du mot.

4. Les Pères de l’Eglise, du m* au v^ siècle. — Pendant cette période, l’apparition des gi-andes hérésies trinitaires et christologiques, sabellianisme, arianisme, apoUinarisme, nestorianisme, eutychianisme, donne lieu à des écrits nombreux et d’un intérêt capital pour la dogmatique chrétienne, mais dont l'étude ne rentre pas dans le cadre du présent article. En dehors de ce puissant mouvement de théologie apologétique, la lutte pour la vie s’impose encore à l’Eglise, en Orient comme en Occident. La controverse avec les Juifs continue sur le même terrain qu’auparavant, mais elle passe à l’arrière-iîlan : il sullit de citer, en Occident, les trois livi’es de Témoignages cuiitre les Juifs de saint Gyprien, le Traité contre les Juifs de saint Augustin ; en Orient, le Canon ecclésiastique ou contre les Juifs de Clément d’Alexandrie, les Témoignages cJwisis de saint Grégoire de Nysse, les huit discoius contre les Juifs de saint Jean Chrysostome.

Plus féconde est la controverse avec des philosoplies païens tels que Celse, Porphyre, Julien l’Apostat ; adversaires de marque, mieux armés pour la lutte que leurs dcvanciers, ils ne se bornent pas à une guerre de détail sur les dogmes ou la morale du christianisme, ils s’efforcent d’en saper les fondements jiar la base : l’autorité des Evangiles, le fait de la révélation considéré en lui-même ou dans ses I)reuves, miracles et prophéties, la mission ou la personnalité divine de Jésus-Christ. De là naissent des apologies plus savantes, où les Origène, les Macarius Magnés, les Cyrille d’Alexandrie suivent pas à pas leurs adversaires : Origène, dans ses huit livres Contra Celsum ; Macarius Magnés, dans son ' AT.o/.piri/.ôi r, Mivs-/svy ; ?, puljlié (imparfaitement encore) par C. Blondel (Paris, 1876), et où sont répétées des objections contre toute une série de passages du Nouveau Testament, empruntées en grande partie aux livres jierdus du néo-platonicien Porphyre ; saint Cyrille, dans son vaste ouvrage, incomplet, De sincera religione christianorum adyersus liùros athei Juliani. Quand l’empire romain commence à chanceler, l’attaque s'élargit ; du point de vue moral et social, on prétend rejeter sur le christianisme la responsabilité de cette décadence et des maux qu’elle entraîne. Saint Augustin, dans les Aiiigt-dcux livres De cn-itate Dei, et son disciple Orose, dans ses J.ibri Vil historiarum adi-ersus paganos, greifanl leui" apologie sur la i)hilosophie de l’histoire, retournent l’objection en opposant au paganisme la stérilité, pour cette vie et pour l’autre, des solutions qu’il présente ; en même temps ils vengent l’Eglise en montrant la Aive lumière que projette sur ces ténèbres cette grande idée et ce grand fait : la cité de Dieu en marche vers ses destinées éternelles, mais mêlée ici-bas à la cité terrestre.

Comme les apologistes, les Pères n’en sont plus à une guerre purement défensive ; ils attaquent à leur toui". Chez les Latins, saint Cyprien combat leis idoles en leur opposant le culte de l’unique vrai Dieu, dans son De idolorum t-anitate, où il s’inspire de VOctavius de Minucius Félix ; Arnobe ridiculise les fables païennes dans ses Disputationes adyersus gentes ; Lactance, dans ses Institutiunes divinæ réfute les fausses religions et les fausses philosophies ; Firmicus Maternus, dans son livre De errore profanarum religionum, attaque les légendes relatives

aux dieux du paganisme et le culte idolâtrique dont ils sont l’objet. En Orient, Clément d’Alexandrie, tout en reconnaissant dans son Pédagogue le rôle préparatoii-e au christianisme qui peut convenir à la philosophie, met à nu le néant du paganisme et l’immoralité de ses mystères dans le Protreptique ou Cohortatio ad gentes ; Evsi.ïiE, dans sa Præparaiio evangelica, critique la mythologie et la philosophie hellénique ; saint Athanase, dans VOratio contra gentes, ojipose le monothéisme chrétien au polythéisme grec ; Tiiéodoret propose aux Hellènes, poiules guérir de leurs maladies intellectuelles et morales, sa thérapeutique chrétienne, Græcarum affectionum curatio.

Au milieu de ces luttes, l'élément apologétique progresse notablement et, sur plusieurs points, se lixe déjà. En pai-ticulier, la notion de la crédibilité extrinsèque et rationnelle, qui fournira plus tai-d une base solide à la formation d’une science apologétique distincte, acquiert chez plusieurs apologistes un relief saisissant, par exemple, dans la Demonstratio evangelica d’Eusèbe, oiiil se propose d'établir que la foi chrétienne, loin d'être irraisonnée, se fonde sur des motifs d’une grande sagesse, et dans la thérapeuticfue de Théodoret, où l’auteur prend directement à partie le reproche fait aux chrétiens de croire à l’aveugle, sans preuves efficaces à l’appui de leiu’s dogmes. C’est pour défendre la a ie chrétienne s’appujant sur la foi d’autorité, que Clément d’Alexandrie, Origène, Cyrille de Jérusalem, Augustin et beaucoup d’autres Pères invoquent et justilient le rôle non seulement préijondérant en fait, mais indispensable en droit, de la croyance dans la vie concrète de tous les hommes.

Les titres ou jireuves du christianisme restent substantiellement les mêmes que chez les écrivains du second siècle, toutefois avec des différences accidentelles au fond, mais d’une certaine portée dans bi pratique. L’ai’gument des miracles n’est plus à l’arrière-plan, mais marche de jjair avec celui des prophéties. D’inventaires faits récemment, art. Crédibilité, dans le Dictionnaire de théologie catholique, t. 11, col. 2289 ss., il résulte que, parmi les Pères qui ont eu l’occasion de toucher ce point, ex professo dans des œuvres apologétiques ou en passant dans des sermons et des commentaires siu* les Livres saints, il n’en est peut-être pas un qui n’ait utilisé ou l’argument des prophéties, ou celui des mb-acles, ou les deux à la fois, soit pour étal)lir dii-ectement le pouvoii" et le caractère divin du Sauveur, soit poiu* prouver sa mission divine et celle des apôtres ou de l’Eglise. Clément d’Alexandrie, philosophe pourtant plus qu’apologète, donne comme signes de la filiation divine de Jésus-Christ les prophéties antérieures à son avènement, les témoignages qui ont accompagné sa vie terrestre et les ])rodiges qui ont suivi son ascension. Stromat., 1. YI, c. xv, P. G., t. IX, col. 345. Origène voit la preuve de la divinité du christianisme dans la manifestation de l’Esprit par les prophéties, et de la puissance par les miracles. Contra Celsum, 1. I, c. 11, P. G., t. XI, col. 656. En tête des motifs qui, d’après Eusèbe, rendent la foi chrétienne raisonnable, aiiparaissent les prophéties et les miracles. Demonstr. e’ang., 1. 1, c. i, P. G.. t. XXII, col. iG. A ses auditeurs déjà croyants, mais qu’il veut armer contre les adversaii-es de la foi, SAINT Cyrille de Jérusalem montre le Christ annoncé dans l’Ancien Testament et manifesté dans le Nouveau, accomplissant ici-bas des prodiges supérieiu-s à tout ce qu’on avait vu jusqu’alors. Catech.lY, 33 ; xii, 12, P. G., t. XXXIII. col. 496, 787. Saint Cyrille d’Alexandrie indique les prodiges extraordinaires qu’opéra Jésus-Christ, niiraculis omni oratione

majoribits, col. 830, comme l’un des principaux moyens dont il se servit pour convertir les hommes, Contra Julian., 1. VI, P. G., t. LXXYI ; il argue des sublimes prophéties qui l’ont eu pour objet, ibid., 1. X, col. io58. Quoi qu’il en soit de ses prédilections personnelles, SAINT Augustin n’ignore ni l’argument des prophéties, ni celui des miracles. De catech. rudibiis, n. 45 : miracuUs movebantiir ut crederent, P. 1.., t. XL, col 341 ; De utilitate credendi, n. 82 : DiiiacitJis conciliai’it auctoritatem, . XLII, col. 88 ; .Serw. CXXVI, n. 5 : iinde possis credere qiiod non 'ides, t. XXXVIII, col. 700, etc. S’il lui arrive d'étayer les miracles sur les prophéties qui les ont prédits ou sur les effets de conversion, de sainteté et autres, encore persistants, qu’ils ont produits, c’est pour mieux faire reconnaître dans le phénomène sensible le caractère de signe divin, et prévenir ainsi l’objection qu’on aurait pu tirer de l’existence de phénomènes analogues en apparence, mais magiques. La même préoccupation explique pourquoi d’autres Pères, notamment OkiGÊNE, ne s’arrêtent pas au dehors du fait miraculeux, mais en relèvent soigneusement le caractère moral ou la finalité.

Chez tous ces Pères, à peu d’exceptions près, en particulier chez Clément d’Alexandrie, Ouigène, Arnobe, Lactance, saint Jean Chrysostome, saint Cyrille d’Alexandrie, Thkodoret, l’argument des miracles ne comprend pas seulement les miracles d’ordre physique, mais encore, et parfois surtout, ceux d’ordre moral : conversion et transformation morale du monde ; propagation rajiide et persistance du christianisme, en dépit des persécutions ; constance des martyrs. Toutes ces raisons, saint Augustin les reprend, mais pour les présenter sous un aspect nouveau et fécond. Au lieu de considérer les faits en eux-mêmes et comme séparément, il les saisit groupés et pour ainsi dire unifiés dans l’Eglise qui les réalise et les concentre dans sa propre vie. L’Eglise devient ainsi comme un grand et perpétuel motif de crédibilité ; résumant le passé par l’accomplissement des prophéties et par sa propre liistoire, index præieritorum, et du même chef anticipant l’avenir, yjr « enuntia futuiorum. De fide reram quae non videntur, n. 8, P. L., t. XL, col. 178. Les contemporains du Christ ont vu la tête, mais ils ont dû croire au corps, c’est-à-dire à l’Eglise qu’ils ne voyaient pas ; ce qu’ils ont vu de la tête, les faisait croire au corps. Nous, nous voyons le corps, mais devons croire à la tête que nous ne voyons pas ; ce que nous vojons du corps, nous fait croire à la tête. Serm. CXVI, c. vi, P. /.., t. XXXVIII, col. 660.

A CCS motifs extrinsèques, qui prouvent directement la crédibilité ou l’autorité divine du témoignage soit du Christ et des apôtres, soit de l’Eglise qui continue leur œuvre, s’ajoute, chez les Pères grecs surtout, un douille groupe de raisons inti’insèqucs, déjà signalé chez les apologistes du second siècle. Le premier conq)rend les critères qui se ramènent ù l’excellence du christianisme, considéré dans sa doctrine ou dans sa valeur morale. La forme mêuu^ sous laquelle se présentent ces raisons, chez Clément d’Alexandrie, Origène, Eusèbe, Cyrille d’Alexandrie, Théodoret ou autres, ne permet pas d’affirmer que ces Pères aient toujours aouIu prouver directement la vérité absolue du christianisme ; souvent ils procèdent par Aoie d’opposition onde comparaison entre la doctrine ou la nuuale évangélicpie et celle du j)aganisme ; l’avantage qu’ils revendiquent ainsi, n’eutraîne rigoureuseiiu’nt qu’une transcendance ou supériorité relative. A l’autre groujje appartiennent les raisons tirées de l’harmonie profonde qui existe entre la révélation chrétienne et les meilleurs instincts de notre nature, ou plus particulièrement, entre cette

révélation et ce que la philosophie antique renfermait de meilleur et de plus élevé. Comme les apologistes platonisants, ces Pères sont amenés à voir dans la philosophie antique ou les instincts religieux qui se cachent au fond de l'àme, une préparation, plus ou moins éloignée, au christianisme ; et parfois le mouvement général de la pensée semble indiquer qu'à leurs yeux, le christianisme était le terme, la forme définitive de la religion, de la philosophie parfaite, et que, comme tel, il possède une valeur absolue. A tout le moins, l’existence, dans les esprits philosophiques ou dans les âmes foncièrement religieuses, de ces instincts supérieurs, fournit à ces apologètes un point d’appui qu’ils utilisent, comme tous les autres mobiles capaljles de concourir à la préparation subjective des hommes à la foi chrétienne ; car ils n’ont pas moins conscience que leurs devanciers du rôle combiné que jouent la grâce et la nature dans l'œuvre de la conversion, et de l’influence mutuelle que se prêtent les divers antécédents d’ordre psychologique, moral ou surnatui-el, non seulement pour amener le sujet à l’adhésion définitive de la foi, mais pour le disposer au préalable à considérer attentivement et à comprendre les preuves de la religion chrétienne. Voir, à titre d’exemple, l’article Clément d Alexandrie, dans le Dictionn. de théologie catholique, t. II, col. 181 sq.

Bibliographie. — Mgr Freppel, Les apologistes chrétiens au 11' siècle ; Tertullien ; Clément d Alexandrie ; Origène et son école ; Commodien, Arnobe, Lactance et autres fragments inédits, Paris, j860, 1864, 1865, 1868, 1898 ; B. Aube, De l’apologétique chrétienne au n*^ siècle. Saint Justin, Paris, 1861 ; K. Werner, Geschichte der apologetischen und polemischen Literatur der christlichen Théologie, t. I, Schaffhouse, 1861 ; H. Schmidt, Origenes und Augustinus als Apologeten. Ein Beitrag zur Geschichte der Apologetik, dans Jahrbiicher fiir deutsche Théologie, t. VII, p. 287-281 ; t. VIII, p. 261-825, Gotha, 1862-68 ; Burk, Die apologetische Thâtigkeit deralten Kirche mit Ritchsicht aufihre Bedeulungfurdie Gegemiart, série d’articles dans la revue Der Beneis des Glaubens, t. I et II, Gutersloh, 1 865-66 ; Ignace Moskaké, Les apologistes chrétiens du ii* et du m siècle, Athènes, 1870 ; A. Harnack, Die Ueberlieferung der griechischen Apologeten des u.Jahrhundert im Mittelalter ; le même. Die Altercatio Simonis Judæi et Theophili Christiani nebst Untersuchungen liber die antijiidisrhe Polemik in der alten Kirche, (l’une et l’autre étude dans Texte und Untersuchungen zur Geschichte der altchristlichen Literatur, t. I, Leipzig, 1883) ; Leonardi, Die apologetische Grundgedunken Tertullians, Leipzig, 1883 ; G. Schmitt, Die Apologie der ersten drei Jahrhunderte in historisch-systematischer Darstellung, Mayence, 1890 ; T. Zahn, Die apologetische Grundgedunken in der Literatur der ersten drei Jahrhunderie systematisch dargestellt, Wurtzbourg, 1890 ; G. Mayer, Die altchristliche Apologetik in ihrer normatien liedeutung, dans Xeue kirchliche Zeitschrift. Leipzig, 1892, t. III, p. 572-587 ; A. Seitz, Die Apologie des Christentums bei den Griechen des IV. und v. Jahrhunderts in historisch-systematischer Dars tell un g, W’uvtzhourg, 1895 ; E. Portalié, art. Augustin, dans le Dictionnaire de théologie catholique, t. I, col. 2290, 2287, 2459(bibliograpliie), Paris, 1908 ; J. Tixeront, La théologie anténicéenne, p. 221 ss., 2' édil, Paris, 1905 ; J. Martin, L’Apologétique traditionnelle, t. I, Paris, igoS ; L. Laguier, La méthode apologétique des Pères dans les trois premiers siècles (coUect. Science et Religion),

Paris, igoB ; A. d’Alès, La théologie de Tertullien (pour le sens et la portée du testimonium animae naturaliter christianae), c. i et c. ii, p. 89, Paris, 1905 ; J. Geffcken, Altchristliche Jpologetik und griecliisclie Philosophie, dans Zeitschrift fiir das Gymnasialweseii, Berlin, 1906, t. IX, p. 1 ss. ; le même, Zwei christliche Jpologeten (Aristide et Atliénao-ore), Leipzig, 1907 ; J. Rivière, Saint Justin et les Apologistes du second siècle, Paris, 1907 ; W. Kocb, Die altkirchliche Jpologetik des Christeniums, dans Theologische Quaitalschrift, Tuhinge, 1908, p. 7-33 (réserve faite pour certaines conclusions personnelles de l’auteur).

III. L’apologétique au moyen âge. — Après la chute du paganisme, l’apologétique chrétienne se modilie sensiblement. La période des grands adversaires est passée, et en même temps celle des grands défenseurs ; les générations qui suivent appartiennent à une foi victorieuse, elles jouissent de la situation acquise. Il n’y a cependant pas arrêt complet ; ni dans l’apologie défensive, car il reste des contradicteurs ; ni dans l’apologétique en général, surtout à partir du xii^ siècle, où la synthèse de l’avenir est préparée par le puissant mouvement intellectuel de l'âge scolastique.

I. L’apologie défensive au moyen âge, en Orient et en Occident. — Contre les grandes hérésies qui surviA-ent ou celles qui se forment, la polémique docti-inale garde toute sa raison d'être ; on lui doit, en Orient, des écrits importants, comme ceux de Liîoxce DE Byzaxce contre les Nestoriens et les Eutychiens, de SAINT Maxime le Confesseur contre les Monothélites, de saint Jean Damascène contre les mêmes hérétiques et contre les Iconoclastes. La controverse relative à la divinité du christianisme continue avec les Juifs ; exemple, la double Disputatio, l’une cum Herbano Judæo, l’autre adversus Judæos, insérée la première parmi les œiivres de saint Grégentius, évêque arabe du vi^ siècle, P. G., t. LXXVI, col. 62 1 —784 ; la seconde parmi celles d' Anastase le Sinaite, P. G., t. LXXXIX, col. 1208-1282 ; mais l’une et l’autre d’une attribution et d’une époque douteuse.

A l’apologie antijudaïque s’ajoute bientôt la controverse avec les Musulmans qui, d’une part, proclament Mahomet le Ai-ai prophète d’Allah, et, de l’autre, partent du monothéisme, entendu à la façon juive, I)our attaquer les mystères fondamentaux de la foi chrétienne, la sainte Trinité et l’Incarnation avec toutes ses conséciuences. Par ce second côté, le mahométisme provoque des discussions théologiques, comme la Disputatio christiani et saraceni, de saint Jean Damascène, P. G., t. XCVI, col. 1385-i/148 ; mais par le premier côté, il donne lieu, dès le début du IX' siècle, à plusieurs écrits de Théodore Abucara, évêque de jHarran, qui appartiennent proprement à l’apologétique fondamentale : tels, ses opuscules XIX et XX, où il établit que Mahomet n’est pas un envoyé, mais un ennemi de Dieu, /*. G., t.XCVII, col. 1544, et surtout sa petite démonstration de la religion chrétienne et de l’Eglise, traduite et imbliée en français par le P. Constantin Bâcha, sous ce titre : Un traité des œuvres arabes de Théodore AbouKurra Paris, 1900. Jésus-Christ n’a pas seulement pour lui des miracles, comme Moïse ; il a et les prophéties accomplies en sa personne, et ses miracles, ceux-ci d’une eflicacité probante d’autant plus grande que, à la différence de Moïse, Jésus-Christ, Fils de Dieu, les opère par sa propre vertu et donne aux autres le pouvoir d’en faire en son nom. Au reste, sans la réalité des miracles de Jésus-Christ et des apôtres, jointe à l’action du Saint-Esprit dans les

âmes, comment s’expliquer que les Gentils aient cx-u en Jésus crucifié, et qu’ils aient accepté la morale si austère de l’Evangile ? Par ailleurs, pour que tous les chrétiens restassent attachés au sens véritable et unique des Ecritures, Dieu a voulu cju’il y eût un magistère suprême, avec pouvoir de porter toujours une sentence définitive, Mt., xvi, 18 ; Jo., xxi, 15 ; Le, XXII, 31.

Au IX » siècle, deux représentants de la polémique grecque contre le Coran méritent d'être signalés : Barthélémy d’Edesse, Elenchus et cunfutatio Agareni, P. G., t. CIV, col. 1383-i/148 ; Xicétas de Byzance, Confutatio Mohamedis, P. G., t. CV, col. 669842.

Mais à partir du xi<= siècle, ce qui nous a été conservé de l’Orient offre peu d’intérêt pour l’histoire de l’apologéliciue. En dehors de la controverse, d’ordre théologique ou disciplinaire, avec les Latins, tout se borne, dans les quarante derniers volumes de la Patrologie grecque, à une demi-douzaine d'écrits, dont les principaux appartiennent au xii' siècle : un Dialogus contra Judæos, par l’empereur Andronic Comnène, p. g., t. CXXXllI, col. 1019— 11 45 ; quatre apologiespro christiana religione contra sectani mahometicam, par un autre empereur devenu moine, Jean Cantacuzène, p. g., t. CLIV, col. 897-1056.

En Occident, la même lutte se poursuit pendant tout le moyen âge, mais beaucoup plus Aive, soit contre les Juifs, soit contre les Musulmans, soit contre les deux ennemis à la fois ; ce qui s’explique par les alliances pernicieuses qu’ils contractèrent souvent, et par le danger que la marche progressive de l’Islam fit alors courir à la chrétienté. En Espagne, au aii' siècle, la foi a d’illustres champions dans les saints Isidore de Séville, HiLDEFONSE et JuLiEN DE ToLÈDE. En Gaulc, au ix% l’esprit remuant et provocateur des Juifs donne lieu à des écrits d’un ton moins doctrinal, conmie les lettres de saint AciOBARD, évêque de Lyon, et de son successeur, Amolon. Au xii' siècle apparaît toute une série d’opuscules contre les Juifs réimprimés dans la Patrologie latine de Migne, et qui, sous les titres de Tractatus, Antilogus, Dialogus, Disputatio et autres du même genre, ont poiu* auteurs principaux saint Fulbert de Chartres, saint Pierre Damien, Gislebert Crispin, abbé de Westminster, RuPERT, abbé de Deutz, Abélard, Pierre le

VÉNÉRABLE, PlERRE DE BlOIS. ToUS CCS écritS SOUt

dépassés de beaucoup, au siècle suivant, par le Pugio pdei du dominicain Raymond M.rtin, sorti de l'école fondée jiar saint Raymond de Pennafort, dans un but apologéticiue, pour étudier les langues sémitiques et publier des apologies savantes. Dans les trois livres dont se compose ce vaste et remarquable ouvrage, l’auteur s’en prend d’abord à ceux cjui nient toute révélation, puis il prouve par les prophéties de l’Ancien Testament que le Messie est Aenu, enfin il défend les principaux mystères de la religion chrétienne. Au xiv'^ siècle, un autre dominicain, F. Ricold de Montecroix, donne dans &on Propugnaculum /îrfei une réfutation spéciale du mahométisme.

Un groupe d’apologistes mérite une mention spéciale, celui des Juifs convertis qui se font apôtres de leur nouvelle foi. Tels, au XI siècle, Paul Alvare de Cordoue ; au ix", Samuel de Maroc ; au xii », Pierre Alphonse (Rabbi Moïse Sephardi), et Hermann, dont la petite autobiographie est particulièrement intéressante, au point de vue psychologique. Placé, par le hasard des circonstances, dans un milieu catholique où il entend proposer la doctrine chrétienne, il n’ouvre pas d’abord les yeux à la lumière, bien qu’il s’opère en son âme un travail sourd, secondé surtout par l’attrait qu’exercent sur lui les exemples de vie morale et de

I

féconde cliarité dont il est le témoin ; d’où cette réflexion, c. VI : « Si Dieu abhorrait le christianisme, il n’en soufl"rirait pas la propagation et l’aflermissement continuels », P. L-, t. CLXX, col. 817. L’humble recours à la prière et le secours intérieur de la grâce firent le reste. Au xiv' siècle, Jkrôme de Sainte-Foi (Josua Lorki) continue la tradition, dans son Hebræomastix : de même, au xv", Paul de Sainte-Marie ou de Burgos (Salomon ben Levi), dans le premier livre de son Scrutinium Scviptuvcirum où, sous la forme d’un dialogue entre Saul et Paul, il s’attaque aux erreurs de ses anciens coreligionnaires.

A part le Dialogue d’Abklard, incomplet, obscur et imprégné de tendances rationalistes, où il semble donner à un philosojîhe païen, pour toute raison de préférer le christianisme, la supériorité de sa doctrine et de sa morale, particulièrement en ce qui concerne la fin dernière de l’homme, tous ces écrits tournent, en général, dans un cercle d’idées assez restreint. Défense des dogmes chrétiens spécialement attaqués pas les Juifs ; preuve de la messianité de Jésus-Christ par la réalisation en sa personne des propliéties et des figures de l’Ancien Testament, par l'époque et les circonstances de son avènement, par son caractère et ses œinres, par les signes dont il a marqué la mission de ses apôtres ; doctrine de la substitution de la loi nouvelle, parfaite et éternelle, à la loi ancienne, imparfaite et temporaire ; confirmation des mêmes vérités par la ruine de la nation juive et la cessation du culte judaïque, tandis que la vitalité du christianisme va toujours croissant ; parfois, discussion des calculs chronologiques dont les rabbins se servaient pour éluder les prophéties, celle de Daniel en particulier : tel est le fonds commun de cette littérature antijuive. L’apologie antimusulmane est la même en substance pour ce qui concerne la défense des dogmes clirétiens et la preuve du caractère messianique de Jésus-Christ ou de la mission divine des apôtres et de l’Eglise ; elle diff"ère naturellement dans la partie oflensive ou la réfutation des prétentions de Mahomet et de ses adeptes. Les auteurs chrétiens montrent que le Coran ne peut en aucune façon se réclamer des écrits prophétiques de l’Ancien Testament, que Mahomet n’a pas prouvé sa mission par de vrais miracles, qu’au contraire sa vie, sa doctrine, sa morale, la façon dont il a propagé sa religion manifestent clairement qu’il n’a pas été, qu’il n’a pas pu être un envoyé de Dieu, un vérital)le prophète ; ce qui amène parfois ces apologistes à établir la transcendance de l’Evangile par rapport au Coran, par exemple le ꝟ. Ricol.D dans son Propugrtacuhun, c. xvi. De Evangelii ad Alcoraïuini excellencia.

liiBLioGHAPiiiE. — S. Isidore, De fide caihoUca ex veteri et uovo Testamento conlra Jiidæos, P. L., t. LXXXIII, col. 449-538 ; S. Hildefonse, De yirgiiiilate perpétua sanctae Mariae adscrsus très infidèles (ouvrage dont rol)jet réel dépasse le titre), P. L., t. XCVI, col. 53— 100 ; S. Julien de Tolède, De comprobatione aetalis sexiae libri très, P. L., t. XCYI, col. 53 ; -586 ; S. Agol)ard, De insolentia ludæornm ; De jiidaicis siiperstitionibtis.P, /.., t. CIV, col. 69-76, 77-100 ; S.Amolon, I.iber conlra Jtidæos, P. Z., t.CXYl, col. 141-184 ; S. Full)erl, Traciatiis contra Judæos ; P. A., t. CXLI, col. 305-318 ; S. Pierre Damien, Antilogus contra Judæos ; Dialogus inter judæum reqttirentem et christianume contrario respondenteni (Opusc. II et III), P, L., t. CXLV, col. 42-58, 57-68 ; Gisl. Crispin, Disputatio jiidæi cum cliristiano^ P. /.., t. CLIX, col. ioo5-io30 ; Rupert, Annulas, s/fc dialogus inter christianum et judæum, P. /..,

CLXX, col. 559-610 ; Xhél&rd, Dialogus inter philosophum, Judæum et christianum, P. Z., t. CLXXYIII, col. 1343-1364 ; Pierre le Vénérable, Tractatus ads’ersus Judæorum inveteratam duritiem ; Ad’ersus nefandam sectam Saracenorum libri duo, P. L., t. CLXXXJX, col. 507-650, 661-720 ; Pierre de Blois, Contra perfidlam Judæorum, P. Z., t. CGVII. col. 825-870 ; ꝟ. Ricold de Montecroix, da Monte di Croce (-J* 1320), Propugnaculum pdei adversus mendacia Saracenorum Alcorani, traduit en grec (sous le nom de F.Richard) par le moine Dénié trius Cydonius, Bàle, 1543 ; P. G., t. CLIV, col. io35 ss. ; en grec et en latin, Bàle, 1550.

Ouvrages de Juifs com-ertis : Paulvlvarede Cordoue, Epist. XIV, XVI, XVIII, P. L., t. CXXI, col. 478, ', 83, 492 ; Samuel de Maroc, De ad’e^itu Messiae præterito liber, P. L., t. CXLIX, col. 335-368 ; Pierre Aljjhonse, Dialogi, in quibus inipiae Judæorum opiniones evidentissimiscum naturalis, tum coelestis philosophiae argumentis confutantur, quædamque prophetarum abstrusiora loca explicantur, P. L., t. CLVll, col. 535-672 ; Hermann, Opusculum de sua com-ersione, P. L., t. CLXX, col. 803836 ; Rajmond Martin (-j— 1286), Pugio fidei adversus Mauros et Judæos, composé en 1278, imprimé à Paris en 1642 et 1 656, puis à Leipzig, en 1687 ; Jérôme de Sainte-Foi, Contra Judæorum perfidiam et Talmuth Tractatus si’e Libri duo, composés à Rome en 1412, imprimés plus tard, en particulier sous le titre de Hebæo mastix, s’index impietatis et perfidiae judaicæ Francfort, 1602 (cf. M. de laBigne, Maxima bibliotheca s’eterum Pair um et antiquorum scriptorum, t.XXYI, p.528, Lyon, 1577) ; Paul de Burgos (-|— 1435), Scrutinium Scripturarum, ou Dialogus Sauli et Pauli contra Judæos (Strasbourg, 1 469). — Pour plusieurs de ces ouvrages, voir J. Martin, ou>. cité, t. IL Sur la polémique chrétienne contre le Coran, A. Palmieri, art. Coran, III, dans le Dictionnaire de Théologie catolique, t. III, col. 1835 ss.

2. L’apologétique chez les scolastiques. — Dans son orientation générale, la théologie scolastique présente un caractère éminemment apologétique, au sens large du mot. Elle le présente àsesdél)utsmênies, chez saint Anselme, par la double ambition dont ce docteur est animé, de répondre aux exigences du fidèle qui cherche à comprendre ce qu’il croit, fides quærens intellectum, préface du Proslogion, P. L… t. CLYIII, col. 225, et de justifier la foi chrétienne auprès des infidèles, en leur montrant, du point ào vue rationnel, ce qu’il y a de déraison dans leiumépris superbe, illis ^'erorationabiliter ostendendum est quam irrationabiliter nos contemnant, Epist.. 1. II, epist. xLi, P. L., t. CLYIII, col. 1193. Progranuue incomplet, puisque rien n’y trahit la préoccupation d’amener les incrédules à la foi.

Saint Thomas d’Aquin le complète, quand, aux deux fonctions de la raison indiquées par saint Anselme, il en ajoute une autre qui, logiquement, est la première, en sorte qu’un triple rôle revient à la philosophie dans la science sacrée : démontrer les préambules de la ioi, ad demonstrandum ea quae sunt præambuln fidei : donner, à l’aide decomparaisonsoud’an.ilogies, quelque idée des vérités de la foi, ad notificandum j)er aliquas simililudines ea quae sunt fidei ; répondre aux adversaires en montrant la fausseté, ou du moins rinefiicacité démonstrative de leurs objections, ad resisiendum his quae contra fidem dicuntur, sive ostendendo esse falsa, sive ostendendo non esse necessaria. Di Boethium, de Trinitate. q. 11, a. 3.

Au second rôle se rattache l'œuvre la plus consi

dérable de la théoloa^ie scolastique, cet exposé complet et harmonieux de la Acrité chrétienne, tel qu’on le trouve, par exemple, dans la Somme théologiqne du Docteur angélique ; exposé qui, dans son genre, possède déjà une réelle valeur apologétique. Le rôle défensif se remijlit d’une double façon : ou dans le corps même de la théologie, l’exposition et l'établissement d’un point de doctrine amenant, à titre confirmatif, la solution des difficultés proposées ; ou, plus spécialement, dans des traités distincts, des apologies comme celles dont il a été question. Reste le premier rôle de la philosophie ou raison naturelle, le plus foncier, ou plutôt le rôle essentiel et constitutif de l’apologétique proprement dite, celui qui présente au sujet l’objet qu’il doit croire et en même temps le dispose à y donner son adhésion, en établissant les fondements ou préambules de la foi chrétienne, et tout d’abord le fait de la révélation divine.

Ce dernier problème, appelé à devenir capital, n’a pas été traité à part par les théologiens scolastiques ; ils l’ont seulement touché, à propos d’autres questions, surtout dans le traité de la foi, où ils ont été amenés à chercher le rapport des motifs de crédibilité à l’acte de foi. Mais les principes essentiels de la solution ont été donnés, en particulier par l’Ange de l’Ecole dansla Summa contra Gentiles^seu de veritate catholicae fidei. Rentrant, comme le Pugio de Rajmond Martin, dans le puissant mouvement de défense religieuse contre les Juifs et les Maures, provoque un peu après le milieu du xiii" siècle par saint Raymond de Pennafort, cet ouA^rage est proprement une apologie rationnelle de la foi catholique, considérée dans les deux grandes catégories de vérités qu’elle comprend : les naturelles, qui sont à la portée de la raison, et les surnaturelles, qui la dépassent. Le quatrième livre a pour objet les mystères, que le saint docteur ne prétend pas appuyer sur la raison, mais seulement défendre ; car ils ne se prouvent que par l’autorité de la sainte Ecriture, divinement sanctionnée par les miracles, 1. IV, c. i. Les trois premiers livres se rapportent presque entièrement aux vérités naturelles, et comprennent notre thcodicée actuelle, avec les traités de Dieu cause première et fin dernière des créatiu-es ; en d’autres termes, Dieu et les créatures raisonnables, considérés dans leur existence et leur mutuels rapports, 1. I, c. ix. Là se trouvent la plupart des questions qui rentrent dans la partie i^hilosophique de nos traités modernes de la Religion. De plus, au début de l’ouvrage, 1. I, c. vi, l’auteur avait esquissé la preuve du fait de la révélation, en rappelant brièvement, mais avec Aigiunir et netteté, les raisons qui vengent les chrétiens du reproche de croire à la légère : miracles évangéliques, prophéties de l’Ancien Testament, et surtout conversion du monde, avec les circonstances qui font de ce grand fait un miracle perpétuant en quelque sorte tous les autres, comme l’effet periîétue la cause, cuni in suu effectuappareant es’identer.Puis, par contraste, saint Thomas parle du mahométisme, dont la propagation s’est faite dans des conditions absolument différentes, et qui ne peut en aucune façon bénéficier des signes divins dont le christianisme s’autorise.

L'élude approfondie qu’ils firent de l’acte de foi, mit les théologiens scolastiques en face d’autres problèmes ; plusieurs ne sont à leur place que dans des traités théologiques, comme l’obscure et subtile question de la resolutio ou analyse de l’acte de foi. D’autres, au contraire, intéressent l’apologète, et s’imposent d’autant plus à son attention que, sous d’autres termes et dans un esprit différent, les vieilles conceptions reparaissent dans les controverses actuelles. Telles, en particulier, les questions relatives à la

nature de l’acte de foi et à ses antécédents psychologiques. Abiîlahd, qui ne comprit jamais bien la foi d’autorité, reposant sur le témoignage divin, conçut l’assentiment de foi sous un double aspect : comme acte intellectuel, et comme acte surnaturel ou méritoire. Sous le second aspect, la foi est charité ; sous le premier, elle est connaissance rationnelle. Dès lors, pour rendre un mjstère croyable, il faut montrer qu’il est raisonnable ; crédilùlité et rationabilité arrivent ainsi à se confondre, faute de distinction entre la véi’ité intrinsèque et la crédibilité de Tobjet de foi. Introductio ad theolog., 1. II, e. ii, P. L., t. CLXXVIII, col. io50 sq.

Les théologiens « A’ictorins » gardèrent quelque chose de la distinction abélardienne, mais en la modifiant. Pour eux, c’est proprement dans la volonté que réside la foi, mais en fonction de la connaissance qui lui fournit son objet. Ainsi s’exprime le chef de l'école, Hugues de Saint-Victor : In affecta suhstantia fidei invenitur ; in cognitione, materia. De sacrainentis, 1. I, part. X, c. iii, P. L., t. CLXXVI, col. 53 1. Cette connaissance ne dit pas science proprement dite de l’objet ; elle se borne au sens qui s’attache à l'énoncé de l’assertion révélée.

A rencontre de cette foi-Aolonté se présente la foi conçue comme adhésion intellectuelle à la A'érité divinement révélée, adhésion qui se produit sous l’influence de la grâce et l’empire de la volonté : Ipsum autem credere est actiis intellectus assentientis veritati divinae ex imperio voluntatis a Deo molae per gratiam. S. Thomas, Summa theolog., Il » II » '", q. II, a. g. C’est l’autorité divine, applicjuée à telle vérité particulière par le fait de la révélation, qui constitue cette vérité croyable, c’est-à-dire objet, non de science, mais de foi ; par contre, le fait de la révélation ou l’application même de l’autorité divine à cette vérité particulière, est et doit être objet de connaissance rationnelle, car, avant de croire ceci ou cela, il faut voir des signes divins qui en garantissent la crédibilité : Non enim crederet, nisi videret ea esse credenda, vel propter evidentiam signorum, vel propter aliquid hujusmodi. Ibid., q. i, a. 4° ad. 2. De là une double distinction essentielle : l’une, entre la vérité intrinsèque et la crédibilité de l’objet révélé ; l’autre, entre le motif propre de l’acte de foi, qui est l’autorité de Dieu, Vérité suprême, et les raisons qui, en prouvant le fait de la révélation, établissent la crédibilité rationnelle de l’objet de foi. Doctrine restée classique parmi les théologiens catholiques.

Quoi qu’il en soit d’ailleurs de la prédominance accordée, dans l’acte de foi, à l'élément volontaire ou affectif par les théologiens de Saint— Victor et leurs alliés, il n’en résulte pas de divergenee absolue sur la question de la connaissance préalable, où la crédibilité extrinsèque est directement intéressée. Hugues de Saint-Victor, au même endroit, exige des preuves rationnelles qui recommandent l’objet de foi à l’adhésion. Cette nécessité des motifs de crédibilité est non seulement maintenue, mais renforcée par Richard de Saint— Victor, l’auteur du dicton célèbre : Domine, si error est, teipso decepti sumus ; nam ista in nobis tantis signis et prodigiis confirmata sunt, et tulibus, quae nonnisi per te feri possunt. De Trinitate, 1. I, c. II, P. L., t. CXCVI, col. 891. On peut seulement rcvendiquer cette connaissance préalable à des titres distincts : ou simplement pour que l’objet à croire soit présenté au sujet qui doit croire ; ou encore, dans un butprudentiel, en ce sens que l’acte de foi, pour être raisonnablement aouIu, demande que la raison soit d’abord convaincue de l’existence réelle des jirésupposés. Dieu et son témoignage.

Dans la conception de la foi-Aolonté, qui s’en tient souvent au premier titre, il y a danger, et l’expé

rience l’a prouve, de sacrifier la raison à l’affection, en se montrant peu rigoureux sur la valeur rationnelle de la connaissance préalable.

Si de la notion formelle de la crédibilité et de l’acte de foi nous passons à l’aspect général de la démonstration chrétienne, il est vrai de dire que, pendant tout le moyen âge scolastique, l’apologétique resta comme centralisée dans l’Ecole. Tout était suffisamment commun, principes et métliode, pour que la preuve et la défense de la religion restassent, dans les orandes lignes, homogènes. Entre les apologies des xiii° et xiV siècles et celles qui paraissent à la veille des temps modernes, les différences sont accidentelles. Le Fortalitiiim pdei contra Judæos, Saracenos aliosque christianae fidei inimicos, Xureniberg, 1/J87, du franciscain Alphonse de Spixa, est un ouvrage scolastique. Même dans la Theologia natiiralis seu Liber creaturarum de Raymond de Seboxde (^ 1437), les titres 207 et 208, consacrés à l’apologétique, sont d’inspiration doctrinale et traditionnelle ; il avait seulement insisté auparavant, tit. 180, sur une considération goûtée de nos jours, l’harmonie de la foi avec le l)ien de l’homme. Savoxarole, dans son Triuinphus criicis seu de veritate fidei, relève, il est vrai, les effets moraux et la valeur pratique du christianisme ; l’Espagnol Pedro de la CabaLLERL, dans ses Rationes laicales contra idiotas, qiiae docent fidem christianam eram et necessariam esse. (1487), s’occupe moins des motifs extrinsèques de crédibilité, que du contenu et de l’excellence de la révélation chrétienne ; mais il n’y a là rien qui sorte vraiment du cercle des idées connues et admises par les théologiens scolastiques.

On peut cependant voir dans ces divergences accidentelles comme un prélude de la décentralisation qui, bientôt, allait s’accomplir sur le terrain apologétique. Le fait est siu’tout sensible chez les écrivains de la seconde moitié du xV siècle rjui furent hostiles à la philosophie et à la culture scolastique. Tel, par exemple, Xicolas de Cuse (j 1464), q’ie ses préventions ou ses rêveries mystiques entraînent, soit à des professions de foi fidéistes, dans son livre De docta ignorantia, soit à des conceptions passablement latitudinaristes, dans un autre ouvrage, De pace fidei. Tels encore les apologètes de la Renaissance, dont le mouvement intellectuel, puissant et fécond sous plus d’un rapport, n’en fut lias moins, sous d’autres, excessif et dangereux. Epris de la littérature grecque ou de la philosopliie platonicienne, les humanistes s’attachent de préférence à la métaphysique du bon et du beau ; parfois, il est vrai, ils se contentent de mettre surtout en relief les preuves intei-nes de la religion, d’exposer les convenances des mystères chrétiens sous une forme élégante, comme un peu plus tard Louis Vives, au livre Y^ de son De veritate fidei catholicæ Bàle, 1543 ; mais parfois aussi ils amalgament la doctrine de Platon et celle de Jésus-Clirist. en poussant même l’outrance de leur syncrétisme jusqu'à faire du premier le précurseur du second, comme Marsile Ficix, dans son traité De religione christiana, composé en 1474'

IV. L’apologétique dans les temps modernes jusqu’au XIX'^^ siècle. — Sous l’influence de causes diverses, le mouvement apologétique se développe considérablement pendant cette période, mais en même temps il se décentralise, d’abord en ce sens général que, dans la forme, il revêt des aspects nouveaux, puis en ce sens spécial et plus important que, pour le fond, il présente de nofabU^s différences, surtout si l’on considère ce c|u’il est dans l’Eglise catholique et ce qu’il est dans les églises séparées.

I. Développement général du mouvement apologé tique. — Au moyen âge. la lutte de principe concernant la vérité de la religion chrétienne avait tourne presque exclusivement dans le cercle restreint de la polémique juive ou musulmane. Il en fut tout autrement à partir duxvi* siècle. Les négations des Réformateurs protestants relatives à la nature de l’Eglise, à son magistère et à divers dogmes professés depuis des siècles, donnèrent d’abord lieu à ces retentissantes controverses où figurent des noms illustres, comme celui du cardinal Bellarmix ; en France, ceux de saint François de Sales, des cardinaux Richelieu et DU Perron, de Bossuet et de Fénelon. Mais cette controverse fut proprement d’ordre théologicpie ; de part et d’autre, la Bible était tenue pour la vraie parole de Dieu et restait un principe commun de foi et de discussion.

Bientôt le lil)re examen en matière religieuse, admis par la Réforme, fut dépassé. En France, d’abord, pendant la première moitié du xvii*^ siècle, parurent les libres-penseurs, ces « libertins » qui ne s’assujettissaient ni aux pratiques, ni aux croyances communes. Dans la seconde moitié du même siècle, en Angleterre, Edouard Herbert, lord Cherbury, inaugura le déisme avec sa théorie empirique de la connaissance et sa conception d’un Dieu créateur qui n’entretient aucune relation positive avec l’homme ; ce qui entraînait le rejet des sacrements, du culte extérieur, de la grâce, de la révélation, en un mot de tout l’ordre surnaturel, et ne laissait subsister qu’une religion vague, dans les limites de la raison, dont on prétendait retrom^er plus ou moins les traces dans tous les systèmes religieux dont l’histoire fait mention et qu’on appelait cependant christianisme, comme Toland, Christianity not mysierious, 16g6, et Tyndal, Christianity as old as the création, Londres, 1780. Au xviu* siècle, le même mouvement d’opposition radicale au christianisme concret et doctrinal s'étend sur le continent, en France surtout et en Allemagne, sous des noms variés, mais tous synonymes, dans la question présente, de naturalisme, matérialisme ou rationalisme.

L’Eglise n’est donc plus seulement attaquée dans tel ou tel de ses dogmes, dans telle ou telle de ses propriétés, sous tel ou tel aspect de détail ; elle l’est dans son caractère même de religion positive, surnaturelle, et l’attaque porte sur tous les fondements de la foi, prochains ou éloignés : réalité historique, discernibilité par les prophéties et les miracles, possibilité spéculative de la révélation et du surnaturel ; divinité de Jésus-Christ et de l’Eglise ; autorité non seulement divine, mais humaine des Ecritures ; providence, personnalité même et existence de Dieu. Et parce que des connaissances qui ont ijour ol)jet le monde et l’homme, leur origine, leur nature, leur histoire, il n’en est pas que la doctrine chrétienne ne touche par quelque côté, l’attaque, indéfinie dans son objet, devient multiple dans la forme : non seulement théologique, mais historique, scientifique, surtout philosophique.

Il fallait répondre à l’attaque, et répondre sur le terrain où s'était placé l’adversaire. C’est là une nécessité qui s’impose, quand il s’agit de l’apologétifpie considérée dans son rôle négatif ou polémique de défense religieuse ; car sous cet aspect général, l’apologétique est non seulement progressive, mais essentiellement mobile et relative ; mobile et relative comme l’attaque et l’erreur dont elle est la contre-partie. La même nécessité s’inqjose à l’apologiste, quand il aborde le côté positif de sa tàclie, c’est-à-dire dans la manière de présenter la foi et d’en exposer les titres ; car là encore, par rapport aux esprits humains qu’elle doit atteindre ou ceux dont elle émane, l’apologétique a quelque chose de 20^

APOLOGÉTIQUE. APOLOGIE

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mobile et de relatif, nonobstant ce qu’il peut y avoir de fixe et d"a])solu dans la base de la démonstration ou le fonds de titres à exploiter. « Il faut, a écrit Lacordaire dans la préface des Conférences de NotreDame, que la prédication d’enseignement et de controverse, souple alitant quel’igTiorance, subtile autant que l’erreur, imite leur puissante Aersalité, et les pousse, avec des armes sans cesse renouA elées, dans les bras de l’immuable vérité.)^

De là, en dehors même des inévitaliles réfutations ad hominem, tant d’apologies, soit générales, pour défendre la religion contre les incrédules de toute espèce, soit particulières, pour venger les points spécialement attaqués : l’idée et la possibilité de la révélation ou du siirnaturel, les prophéties, les miracles, la résurrection de Jésus-Christ, l’autorité des Ecritures, la crédibilité de l’histoire évangélique. De là tant de démonstrations de la vérité, de la divinité de la religion chrétienne où, du point de we historique, philosophique, scientifique, social même, sont exposées les preuves multiples que l’on peut invoquer en sa faveur ; tant de traités où sont établis les préambules éloigTiés delafoi, comme la spiritualité de l'àme, l’existence de Dieu et. contre les scepticpies ou les dilettantistes de l’impiété, la légitimité et la valeur pratique du sentiment religieux.

2. IJ Apologétique chez les protestants, aux XVII<^ et A’VIIl'^ siècles. — Certaines tendances ou conceptions religieuses de la Réforme ne pouvaient manquer d’influer sur l’orientation du mouvement apologétique. Si la Réfoime fut premièrement antiromaine, elle fut aussi, comme la Renaissance, antiscolastique ; elle le fut par son antipathie pour l’intellectualisme aristotélicien et sa défiance de la raison raisonnante ; elle le fut encore par la notion luthérienne de la foi, oscillant entre l’idée de confiance et celle d’expérience religieuse intime. A cette dernière conception s’en rattache une autre, non moins importante dans ses conséquences : la religion n’est guère considérée en fonction du dogme et du culte, mais plutôt par opposition à l’un et à l’autre, comme Aie intérieure dans le sujet. Le résultat devait être cjue, dans la proportion même où le côté intellectuel de l’acte de foi serait sacrifié, la crédiliilité rationnelle de l’objet de foi, fondée sur des critères o]>jectifs, devrait ou disparaître ou diminuer, pour faire place ou céder le pas soit à une sorte de charisme de l’homme spirituel, établi juge suprême de ce qu’il faut croire, soit à la conscience indiAÙduelle érigée en faculté autonome et suprême. Ainsi d’anciens réformateurs prétendirent-ils reconnaître la pure parole de Dieu à une certaine « saA-eur » et à un certain « goût », et à cet effet ils supposèrent comme principe dans tout fidèle le témoignage immédiat du Saint-Esprit, le sentiment religieux naturel oit le besoin de l’esprit religieux, comme le rappelle une note explicative du chapitre vu dans le schéma primitif de la constitution vaticane' De pde cathoUca.Acta et Décréta sacroruw Conciliorum recentiorum (Collectio Lacensis), t. VII, p. 528.

Cependant, en dehors des sectes dissidentes, comme le socinianisme et autres, ces tendances n’eurent d’abord qu’une influence restreinte sur le mouvement apologétique des églises réformées. En France ou en Suisse, le traité de Duplessis-Morxay, le premier du genre en langue vulgaire, ceux d’AMVRAUT et d’ABBADiE, les écrits de Jacquelot, J. Yernet, Ch. BoxxET et J.-A. Deux restent, dans leiu— ensemble et abstraction faite des idées confessionnelles, de réelles apologies du christianisme. Mais les auteurs protestants signalent eux-mêmes, dans les derniers de ces ouvrages, certains compromis avec les erreurs

socinienncs. déistes ou naturalistes, qu’ils prétendaient réfuter, et, d’une façon générale, dans cette école du Aieux cah inisme, la prépondérance donnée, « confornuhuent au courant le plus généreux des doctrines réformées », à la preme interne ou expérimentale, entendue des effets subjectifs que le christianisme produit en nous, « comme d'être une source de paix et de sanctification, et d’offrir à l’homme le moyen assuré de se réconcilier avcc Dieu ». F. Lichtenl>crger. art. Apologétique, dans l’Encyclopédie des sciences religieuses, t. I. p. 434. Paris, 1880.

En Hollande, Grotrs publie son De veritate religionis c/III. s//rt ? ; æ Amsterdam, 162^, composé d’abord en Aers fl.amands pour serAÎr d’armes défensiACS aux marchands et aux matelots appelés à Aoyager parmi les musulmans et les pa’iens. Le lÎAre contient des erreurs cjue relcva Bossuet, Dissertation sur Grotius, mais on y trouve déjà, dans ses lignes générales, le procédé apologétique suIaî depuis lors dans beaucoup de traités classiques. Dans le premier liATe. préambules philosophiques siu— l’existence de Dieu, sa proA’idence et l’immortalité de l'àme. Dans le second et le troisième, partie positÎAe qui porte sur .Tésus-Christ et les lÎAres du Nouvcau Testament : Aie divine du Sauveiu', réalité de ses miracles, supériorité de sa religion, prouAées par la Aérité de la doctrine, la pureté de la morale, la supériorité du culte, la propagation rapide, l’extension et la durée ; authenticité du Nouvcau Testament et Aéracité de ses auteurs, attestées par l’accord des diverses parties, les miracles, les proiJhéties. les témoignages contemporains et postérieurs. Dans les trois derniers livres. partie négatiAC, qui comprend la réfutation des religions païennes, du judaïsme et du mahométisme.

Dans l’Eglise anglicane, le déisme suscite à la fin du XA II' siècle, et surtout au xaiii', de nombreux apologistes non seulement parmi les éAêques. les théologiens et les prédicateurs ofllciels, mais encore parmi les hommes de lettres et de science (Addisox, R. Boyle, Xeaaton). Il s’en faut toutefois de beaucoup que ces écrits soient de même Aaleur et de tendances uniformes. Deux courants généraux se dessinent, répondant à deux phases distinctes de la controverse. Dans la première moitié du XAiiie siècle, les apologistes de la religion réA'élée se proposent moins d’en établir les preuves et les bases historiques, que de la défendre, du point de Aue rationnel, et souvent utilitaire, contre les déistes ; ils se contentent généralement de leur opjjoser la couvenance et les avantages de la rcAélation chrétienne, en les fondant surtout sur l’insuffisance de la pure raison pour bien diriger la Aie et faire pratiquer efficacement la religion naturelle elle-même (.Stillingfleet. Lelaxd, Jexxings, etc.) ; ou, d’une façon plus caractéristique, ils invoquent les rapports de conformité, d’analogie cjue présentent les données de la réA'élation aACC des faits d’ordre expérimental ou avec les postulats de la conscience, conçue comme la plus haute faculté morale de l’homme ; apologie philosophicomorale, qui se réclame principalement de l'éAêque anglican J. Butler, et destinée à exercer une grande influence au siècle suÎAant. Mais, dans cette première catégorie d’apologistes, il en est qui, sous l’influence des idées socinienncs, minimisent tellement le christianisme et entendent si étroitement la conformité de la Aérité biblicjue avcc la raison, qu’ils semblent plutôt donner la main aux advcrsaires que les réfuter ; ou qui, concessionistes à l’excès et erojant n’abandonner que des points sans importance, sacrifient en réalité de la substance même du christianisme ; tels Locke, Clarke et beaucoup d’autres. L attitude changea dans la seconde moitié du siècle, quand le sceptique Hume s’en pi’it au caractère O

historique des fondements de la révélation, des miracles en particulier. C’est alors surtout qu’apparaissent les apoloj-istes de VEvideiilial Scliool ; ils posent la démonstration chrétienne sur le terrain historique, défendent la véracité des témoins du Christ et celle de l’histoire évangélique, utilisent, non pas d’ime façon exclusive, mais directement et principalement, les miracles et autres critères externes, d’après un procédé purement critique et en les isolant de leurs présupposés philosophiques ou moraux. Ecole dont le représentant-type est l’archidiacre de Carlisle, W. Paley, et que Mig : ne a largement mise à contribution dans la collection des Démonstrations é-aiigéliques (Leslie, Sherlock, Dittox, Lardxer, etc.).

En Allemagne, Leibxitz (7 1716), défenseur ardent de la très sainte Trinité contre les sociniens, conçoit l’apologétique d’un point de vue scientifique, critique et très intellectualiste, en la basant sur la théodicée naturelle et la démonstration de la révélation divine par le miracle. Dans l’esquisse d’apologéti({ue publiée par les Acta eriiditorum de 1707 (Leipzig), p. 163 ss., WoLF part aussi de la théodicée de l’existence de Dieu et de ses perfections, pour en déduire, étant donné l'état actuel de l’humanité, la nécessité d’une révélation divine immédiate, et sa réalisation dans les écrits des prophètes et des apôtres, et cela, d’après un procédé de démonstration a priori, dont la rigueur lui semble géométrique, niea enim methocins rigorem detnonstrandi geumetricum constanter observai. Quand, Aers le milieu du xviii* siècle, le rationalisme pénétra dans l’Europe centrale, il y eut comme en Angleterre un mouvement de réaction, moins étendu et moins Aarié. En somme, les apologistes de cette époque restèrent les champions du christianisme, conçu comme religion jîositive et surnaturelle, soit en défendant la révélation contre les attaques des libres penseurs (Euler, Haller), ou, d’une façon plus générale, contre les athées, les sceptiques, les déistes et les indifférents (Mosheim, 5 « "oesselt), soit en réfutant patiemment toutes les objections accumulées par les incrédules contre les livres saints (Lilienthal), soit en établissant positivement la vérité de la religion chrétienne par des preuves diverses, mais traditionnelles : les uns insistent surtout sur les prophéties (Rosexmuellkr) ; les autres, sur la vie de Jésus-Christ ou l’histoire évangélique prise dans leur réalité concrète (WixzEN.MAXX, Klelker.Toellxeu) ; d’autres ajoutent à la preuve des miracles et des prophéties, celle qui se tire des effets intérieurs et extérieurs du christianisme (Less). Mais chez ce dernier, comme chez Jérusalem et autres apologistes préoccupés avant tout de rendre la religion acceptal)le aux hommes de leur temps, l’influence du piétisme ou de la philosophie de Wolf, ou des deux à la fois, se fait vivement sentir et, en réalité, favorise la grande évolution qui allait s’accomplir au xix* siècle, et dont la publication, faite en 1778 par Lessing, des fragments de Wolfenbiiltel, de Sauiiu-l lleimarus, fut comme le signal en Allemagne : é olulion de la notion traditionnelle du christianisme à celle d’un christianisme psychologico-mystique, dépouillé, dans son essence, de tout caractère dogmatique et réduit à peu près à la partie morale de la religion naturelle. Voir Lichtenbergcr, ouv. cité, art. Jérusalem, t. VU, p. 29/4 ; Hauck, Realencykloptidie fiir protrsiantisclie Théologie and Kirclie, art. I.ess, t. XI, p. 406, 3e édit., Leipzig, 1902.

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Stillingfleet, Origines sacræ rational account of the grounds of religion. Londres, 1662 ; R. Bentley, A confutation of Atheism, or eight Sermons preached at Boyle’s Lectures, Londres, 1692 (/>?'/ « . év.. t. IX) ; J. Locke, The reasonableness of Christianity, as delivered in the Scriptures, Londres, iGgS (Dém. év.. t. IV) ; Ch. Leslie, A short and easy method t^'itli tlie deists. Londres, 169g, etc. (Déni. év.. t. IV) ; Clarke, T/ie obligations of natural religion, and the truth and certainty of the Christian révélation, Londres, 1706 (Dém. év., t. "^ ; Ditton, A discourse concerning the résurrection ofJesus-Christ, Londres, 1712 (Dém. év., t. VIII) ; J. Addison, The évidences ofthe Christian religion, œuvre posthume, Londres, 1730 (Dém, év., t. IX) ; Chandler, A defence of christ ianityfrom the prophecies ofthe old testament, Londres, 1725 ; Sherlok, Thetryal oftlie<.itnesses of the résurrection of Jésus. Londres, 1729 (/)é/H. év.. t. VII) ; J. Conybeare, A defence of revealed religion, Londres, 1732 ; Xewton, Observations iipon the prophecies of Daniel and the Apocalypse of St. John, Londres, 1733 ; J. Butler, The analogy of religion, natural and revealed, to the constitution and course of nature, Londres, 1736 ; G. Campbell, A dissertation on mii-acles. containing an e.ramination ofthe principles advanced by David LLume. 1-^sq.. in an Èssay on miracles. Edimbourg, 1762 ; AVarburton, The divine légation of Moses demonstrated on the principles ofa religions Deist, Londres, 1738 ; G. Burnet, A defence of natural and revealed religion, 1737, recueil d'écrits publiés pour la fondation Boyle, et traduits en français sous le titre de Défense de la Religion tant naturelle que révélée contre les infidèles et les incrédules, La Haye, 1738-1744 ; Lardner, The credihility ofthe Gospel //78/07-J, Londres, 1 741-1755 ; Leland, The advantage and necessity of the Christian révélation. Londres, 1772 (Déin. év., t. VII) ; Jennings, A vie^v ofthe internai évidence of the Christian révélation. Londres, 1776 (Dém. év., t. XI) ; Paley, A viav of the évidence ofchristianity, Londres, —C) ! (Dém. év.. t. XIV). — Voir, en outre, Werner, Gescliichte der neuzeitlichen christlich-hirchlichen Apologetik. p. 75, 80, 102-112 ; F. W. Macran, English Apologetic Theology. Londres, ujoS ; V. Rocher, L.es Apologistes du christianisme au XVIT siècle : Pensées de Bacon, Kepler, Newton et Euler, Paris, 1880.

Lril)nitz, Epist. W ad Th. Spizelium ; L.ettre V° à Burnet, Opp., t. V, p. 345 ; t. VI, p. 240. ss., Genève, 1768 ; Systema theol., p. 20 ss., dans E.r position de la doctrine de Leibnitz sur la religion, publiée par M. Emery, Paris, 1819 ; Euler, Essai de défense touchant la révélation divine contre les esprits forts, Berlin, 1747 ; Lettres à une princesse d’Allemagne sur divers sujets de pliysiqae et de philosophie, Saint-Pétersbourg, 1768 ; Mosheim, Entuurf der theolugiae antideisticæ Giessen, 1707 ; Lilienthal, Die l^ute Sache der in der hl. Schrift des A. und y. T. enthaltenen gôttlichen Offenbarung Kvider die Feinde derselben erwiesen und geretlet, Kœnigs

bcrj ; -. l 'jôo-i 782 ; Less, ^(M('('.sder Jf’alirheit der christliclieii lioligiun, Brème, 1768 ; Xoesselt, Vertheidigiing der Wahilieit und Gottlichkeit der christlichen Religion, a*" édit., Halle, 1767 ; Roscniuûller, Historisciier Ben-eis der Walirheit des cfiristlic/ien Religion, 1771 ; A. Aon Haller, Briefe ither die yornehmsten Walirheitender O/fenharung. Bcvnc, 1772 ; Briefe ither einige Eimviirfe nocli lebender Freigeister a-ider die Offenhariing, Berne, 1774 ; Jérusalem, Betrachtungen iiher die vornehmsten Wahrheiten der Religion, Berlin, 1778-1779 ; Toellner, Versuch eines Be^ieises der christlichen Religion fiir Jedermann. Mietan, 1772 ; Kleuker, Neue Priifung und Erhlarung der yorzïigliclisien Beweise fiir die IVahrlieit und die gôftlicfie Uisprung des Christenthums, « r/e der Offenbarung iiberltaupf. Rif^a, 1787 ss. ; Winzenmann, Die Geschichte Jesu jiach Matthdas, als Selbstbeweis ihrer Zm’erlâssigheit, Leipzig, 1789. — Voir, en outre, Werner, ouA". cité, p. 131-136.

3. l’apologétique catholique, aux AT//* et A’VIIJ' siècles. — La lutte fut surtout vire en France, où l’attaque contre le christianisme traditionnel fut aussi violente dans la forme que radicale dans la négation. Au xvii siècle, avant l’explosion complète de cette poussée d’incrédulité, trois grands hommes contribuèrent, chacun à leur manière, à la défense religieuse. Bossuet, dans le Discours sur l’histoire universelle, se fait l’apologiste de la Providence ; IIiKT, dans sa Denionstratio evangelica (1679), développe surtout l’argument des prophéties, et par cela même est amené à établir d’abord l’autorité historique des livres saints ; Pascal, dans ses Pensées, pose les éléments d’une apologie qui, en face de la précédente, a sa part d’originalité. Pascal et Huet appartiennent à une même génération, étant nés le pi’emier en 1628, le second en 1630 ; il y a chez eux un fond commun, car sil'évêque d’Avranches appuie sa démonstration sur les preuves d’ordre historique, miracles et prophéties, l’esquisse d’apologétique qui nous reste de Pascal comprend aussi ces deux chefs de T^reie ?, . Pensées, sect. IV, n" 28g, 290, t. II, p. 210, 21 1, comparés avec le Plan de l’apologie d’après Mme Périer, t. I, p. ccxli, édit. Brunschvicg, Paris, 190/1. Mais, tandis que Huet, en érvidit qui sait manier la méthode positive, s’efforce d’abord de prouver l’authenticité et l’autorité humaine de l’Ecritiu-e, pour en tirer, à l’aide des critères externes, une preuA’e à son a^is démonstrative, Pascal, d’esprit plus philosophique, met en relief d’autres aspects, tirés des grands problèmes soulevés par la vue du monde et de notre propre nature ; surtout, il se préoccupe d’abord de montrer que la religion n’est point contraire à la raison, qu’elle est A'énérable, parce <{u’clle a bien connu l’homme, puis de la rendre aimable, parce qu’elle promet le vrai bien, pour faire souhaiter aux bons qu’elle soit vraie ; cela fait, il établira enfin qu’elle est vraie, n « 187, t. II, p. 98. Et quelles seront les preuves ? « Morale, Doctrine, Miracles, Prophéties, Figures », no 290. Pascal ne change donc pas les preuves traditionnelles, toutes ces raisons étaient connues et avaient été utilisées ; mais il commence par la préparation morale et affective du sujet, il l’attire peu à peu vers la religion par l’amour du beau et du bon, pour lui en faire admettre finalement la vérité. C'était sagesse ; car l’auteur des Pensées voyait autour de lui des incroyants dans le genre de ceux qui avaient suggéré au théologien calviniste Amyraut son Traité des religions contre ceux qui les estiment toutes indifférentes.

Au xviiie siècle, le siècle des encj^clopédistes, les apologistes sont légion. Si la qualité ne répondit pas

à la quantité, si le génie ne fut pas de leiu' côté, ces défenseurs de la foi chrétienne n’en firent pas moins œuvre sérieuse et solide. Avec un zèle infatigable, ils s’opposèrent à l’incrédulité sur tous les points où l’attaque fut portée. Des théologiens développèrent ou résumèrent avec science et clarté les principaux fondements de la révélation (Denise, Houtteville, Bergier, dom Lami, Buffier, Laberthome), ou défendirent avec érudition des points d’une importance spéciale, comme les prophéties (Baltus) et l’autorité historique des livres saints (Duvoisin, Fabricy). D’autres relevèrent finement les erreurs et les contradictions des encyclopédistes, de Voltaire en pai’ticulier, ou bien, dans des Dictionnaires et Catéchismes philosophiques, suivirent les adversaires sur le terrain des préauïbules de la foi et de ses rapports avec la raison (Guéxée, Xonnotte, de Feller, Para DU Phanjas, Barruel). Des évêques, comme Lefranc de Pompigxan et le cardinal de La Luzerne ; des hommes d’autorité, comme d’Aguesseau ; des poètes, comme Louis Racine et le cardinal de Polignac, prirent directement à partie l’incrédulité ou tentèrent de réveiller le sentiment religieux.

En dehors de la France, la nécessité de réagir contre les mêmes attaques suscite, en Italie, à partir de la fin du xvii*" siècle, en Allemagne, dans la seconde moitié du xaiii"", un mouvement apologétique analogue, mais moins étendu. Là encore, ce sont des traités polémiques contre l’incrédulité et ses formes diverses (Segneri, Moniglia ; Neubauer) ; des apologies de la religion, ou générales (Concina, Noghera ; B. Mayr, Jordan Simon), ou particulières, ayant surtout pour objet l’authenticité et la véracité des Ecritures (Fassini ; Veitii, Goldiiagen) ; des études portant sur les A'érités préliminaires à la foi, ou prenant la question dans ses rapports avec la raison et la philosophie (Gerdil, Muzzarelli ; Storciienau) ; et, ce qui est plus important du point de vue qui nous occupe, parce qu’en cela l’apologétique va se précisant et se délimitant, des démonstrations directes et positives du christianisme et du catholi cisme(GoTTi, A^alsecchi, saint Alphonse de Liguori ; M. Gerbert, Stattler, Zimmer).

Ces apologistes catholiques restent traditionnels dans leur notion de la foi, foi d’autorité, et de la crédibilité qui s’y rattache. Si beaucoup d’entre eux défendent, du point de vue rationnel, la possibilité, la convenance et, dans une certaine mesure, la nécessité de la révélation, leur démonstration prise dans sa totalité n’abstrait pas du fait même de la révélation, fait qu’ils prouvent en se plaçant sur le terrain historique, et en se servant principalement des critères externes. Mais parfois il y a influence de la philosophie contemporaine ou de l’air ambiant : en France, par exemple, Houtteville ne s’est pas assez gardé d’une définition naturaliste du miracle, et V Anti-Lucrèce du cardinal de Polignac est plus que teinté de cartésianisme ; en Allemagne, Stattler, dans sa Démonstration catholique, et Beda Mayer, dans son apologie de la religion, ont poussé l’amour de la paix ou le désir d’allécher les protestants, jusqu'à un degré de conciliation ou de compromission qui a fait censurer leurs ouvrages.

Le résultat le plus notable du mouvement apologétique de cette époque, c’est l'élaboration des traités de la Religion et de l’Eglise. Pas plus au mojen âge qu’aux siècles antérieurs, l’apologétique ne nous est apparue comme formant un tout distinct. Les éléments dont la synthèse devait amener ce résultat, existaient l)ien, mais épars, soit dans des apologies, soit dans des sommes doctrinales où l’apologétique restait une fonction de la théologie, usant de ses propres principes et de ses procédés pour défendre

la foi ; tout cela sans coordination rigoureuse ni réduction à l’unité formelle ou d’objet propre. Au xviie siècle, c’est encore dans les apologfies ou dans les traités de la foi qu’il faut clierclier la pensée apologétique des théologiens qui succédèrent en droite ligne aux scolastiques du niojen âge, Cajetan, Tolet, Baiïez, Suarez, de Lugo, tant d’autres ; et là, elle se trouve, comme auparavant, intimement mêlée aux controverses d’Ecole sur l’analyse de l’acte de foi et ses attaches avec les antécédents objectifs ou i^sychologiques.

Cependant, la Réforme n’avait pas seulement renié des dogmes réputés capitaux et l)ouleversé la constitution hiérarchique de l’Eglise ; elle avait, de plus, mis en question le caractère divin de son magistère vivant et son autorité de principe directeur de la foi ; bientôt, le déisme était allé plus loin, il avait rejeté le fait de la révélation divine, fondement essentiel de la religion chrétienne, considérée comme religion positive et d’origine surnaturelle. L’apologie ou simple défense ne sullisait plus ; une justilication raisonnée s’inqjosait. Sous cette nécessité, les éléments préexistant furent peu à peu réunis et coordonnés, et les deux traités de la Religion et de l’Eglise se dégagèrent de celui de la foi. Le premier nous est apparu déjà, pour le fond, en 162 ;  ; dans le De veritate lellgionis cliilstianae de Grolius ; au second se rapporte directement La vera Chiesa di Gesii Chvisto, du cardinal Gotti, pul>liée en i y 19 ; la synthèse des deux forme le traité De revelatione ou de religione et de Ecclesia Citrisli, dont la forme classique est à peu près définitivement constituée, au milieu du xviii' siècle, dans les ReJigionis natuialis et ie-elatae principia, du sorbonniste J. Hooke. Bientôt ces traités prennent place, avec le De locis tlieologicis, inauguré par Melciiior Gang, en tête des cours complets de théologie ; tels la Tlieologia dogmatica, puleniica, scholastica et moralis, publiée de 1766 a i’j’ji, par des jésuites professeurs à rUnfvcrsité de Wuutzbourg ; la Tlieologia dogmatica polemica de SahuaONA, Ratisbonne, l’j^o ; les Institutiones unis’ersae theologiae de J. Widmaxx, Augsbourg, 1775 ; la Tlieologia polemica de Gazzamca, Vienne, 1778 ; les ///*titutiones theologiae de Lyon, 1782, etc. Autre chose, toutefois, est l'élaboration de ces traités, comme distincts des autres, mais gardant encore une allure théologique ou du moins mêlés d'éléments hétérogènes ; autre chose, le problème de l’apologétique considérée comme doctrine spécifiquement distincte et autonome, problème qui ne fut réellement posé d’une façon précise qu’au siècle suivant.

Bibliographie. — François Lami, O. S. B., Vérité évidente de la religion chrétienne ou élite de ses preuves et de celles de sa liaison avec la divinité de Jésus-Christ, Paris, 16^4 ; L’incrédule ramené à la religion par la raison, Paris, 17 10 (Déni, év., t. IV) ; Bern. Lami, Oratorien, Démonstration ou preuves évidentes de la vérité et de la sainteté de la religion chrétienne, Rouen, 1706 ; Denyse, La vérité de la religion chrétienne démontrée par ordre géométrique, Paris, 171 7 ; Buflier, S. J., Exposition des j)reuves les plus sensibles de la véritable religion, ravis, 1782 (/Jém év., t. IX) ; Baltus, S. J., Défense des prophéties de la religion chrétienne. Argentan, 1787 ; Claude F. Iloutteville, La religion chrétienne prouvée par les faits, édil. nouv., précédée d’un Discours historiffue et critique sur la méthode des principaux auteurs qui ont écrit pour et contre le christianisme, Paris, 1740 ; L. Racine, La Religion, Paris, 17^2 ; cardinal de Polignac, L' Anti-Lucrèce, Paris, 1745 (Déni, év., t. Vlll) ; d’Aguesseau, Lettres sur Dieu

et la religion (Dém. év., t. VIII) ; Lefranc de Pompignan. L’incrédulité convaincue par les prophéties, Paris, 1759 ; La religion vengée de l incrédulité par l incrédulité elle-même, Paris, 1772 (Dém. év., t. XII) ; Xonnotte, S. J., Les erreurs de Voltaire, Avignon, 1762 ; Dictionnaire philosophique de la religion où l’on établit tous les points de la Religion attaqués par les incrédules et où l’on répond à toutes les objections, Avignon, 1772 ; Bergier, Le déisme réfuté par lui-même (contre Rousseau), Paris, 1765 ; La certitude des preuves du christianisme, Paris, 1767 ; Apologie de la religion chrétienne, contre l’auteur du christianisme dévoilé (Baron de Holbach), Paris, 1769 ; Traité historique et dogmatique de la vraie religion, Paris, 1780 ; Guénée, Lettres de quelques Juifs portugais, allemands et polonais, à ^L. de Voltaire, Paris, 1769 ; G. Fabricy, O. P., Des titres primitifs de la révélation ou considérations critiques sur la pureté et l intégrité du texte oiiginal des Livres saints de l’Ancien Testa ment, Koine, 1772 ; Para du Phanjas, S. J., Les principes de la saine philosophie conciliés avec ceux de la religion, ou la philosophie de la religion^ Paris, 1774 ; Duvoisin, Autorité des livres du Nouveau Testament, FaTi », 1775 ; Autorité des livres de 3Loïse, Paris, 1778 ; Xav. de Feller, S. J., Catéchisme philosophique, ou recueil d’observations propres à défendre la religion chrétienne contre ses ennemis^ Paris, 1 777 ; Thom. Laberthonie, O. P., Œuvres pour la Défense de la religion chrétienne, contre les incrédules et les juifs, Paris, 1787 ; Barruel, Les LLelviennes ou Lettres provinciales philosophiques, Amsterdam, 1781 ; Cardinal de la Luzerne, Distraction pastorale sur iexcellence de la Religion, Langres, J786 (Dém. év., t. XIII).

Segneri, L’incredulo senza scusa, Venise, 1690 ; cardinal Gotti, O. P., Lm vera chiesa di Gesu Christu dimostrata dai segni et dai dogmi contro idue Libri di Giacomo L^icenino, Bologne, 1719 ; en latin, Bologne, 1760, et Venise, 1768 ; Veritas religionis christianae et librorum quibus innititur, contra atheos, polytheos, idololatras, Mahometanos et Judæos demonstrata, A>nise, 1760 ; Moniglia, 0. P., Dissertazione contra i materialisti ed altri increduli, Padoue, 1760 ; Concina, O.P., Délia religione revelata contro gli atei, deisti, materialistie indifferentisti, Venise, 1754 ; cardinal Gerdil, Lntroduzione allô studio délia religione, Turin, I755 ; Brève esposizione dé caratleri délia vera religione, Turin, 1767 (Dém. év., t. XI) ; saint Alphonse de Liguori, Verità délia fede fatta évidente per li contrasegni délia sua credibilita, "Saples, i'^(J2 ; Verità délia fede contro i materialisti che negano lesistenza di Dio, i deisti che negano la religione rivelata ed i settari che negano la Chiesa cattolica essere l’unica vera, 1767 ; Valsecchi, Dei fondamenti délia religionee dei fonti délia impieta, Padoue, 1766 ; La verità délia Chiesa cattolica romana, Padoue, 1787 ; trad. latine en 1791 ; Fassini, O. P., De apostolica origine Evangeliorum Ecclesiae catholicæ Livourne, 1775 ; Noghera, S. J., Liiflessioni su la religione rivelatæt specialmente sul Cristianesimo ; Riflessioni su i caratteri divini dei Cristianesimoe dei suo autore (Opère, t. IV et V), Bassano, 1776 ss. ; Muzzarelli, S. J., Jl buon uso délia logica in materia di religione Ferrare, 1786 ; Foligno, 1788.

Slorchenau, S. J., Die Philosophie der Religion, avec supplément, Augsliourg, 1 755-1 781, 1785-1788 ; M. Gerbert, Demonstratio verae religionis vcræque Ecclesiae contra quasvi.s / « /.sfl.s.Saint-Blaisc, 1760 ; IL Gohlliagen, fntroductio in sacrum scripliiram

V. ac N. Testomenti, maxime couda theistas et varii nominis iiuredulos, Mayence, 17O5 ; B. Stattlcr, Demonstratio evaiigelica ^ Auf^sbourg, 1770 (Béin. év., t. X) ; Demonstratio cat/iolica, 177^ ; Neubauer, S. J., Vera religio vindicata adversus omnis genevis incredulos, Wurtzbourg-, 1771 ; Jordan Simon, W//losophie wider die starkeu Geister, ^Yu^tzboury, 1771 ; Théologie wider die starken Geister, das ist Beweisendes katliolischen Glaubens wider Rousseau, Voltaire und ihre Anhanger, Augsbourg, 1772 ; L. Yfith, S. J., Scriptura ad^'ersus incredulos propugnata, AugslKHirg, 1780-1797 ; B. Mayr, O. S. B., Vertheidigung der naiùrlichen, cliristlichen und katliolischen lieligion, Angsbourg, 1787 ss. ; Weist, Demonstratio religiouis christianæ Eichstett, 1786 ; P. Zimmer, Veritas christianae religionis [elj catholicae religionis, Angsl)ourg, 1 789-1 790. — Voir, en outre, Werner, ouv. cité, t. Y, p. io4 ss., passini.

Y. L’apologétique au XIX siècle. — La nécessité s’impose désormais de séparer plus nettement la double acception du mot apologétique, énoncée au début de cet article : l’acception générale qui englobe toute sorte d’apologie ou défense de la foi, et l’acception spéciale, qui se restreint à la démonstration ou justification positive des fondements du christianisme. Sous le premier aspect, le xix° siècle n’est que le xviii' continiié et amplifié, avec des tendances encore plus divcrgentes entre protestants et catholiques.

I. L’apologétique chez les protestants du XIX' siècle. — Là siu’tout, le mouvenjent se développe avec une variété et une complexité qui défient toute énumération de détail et toute classification générale tant soit peu rigoureuse. Conséquence naturelle de causes déjà signalées, de deux surtout : d’un côté, la fascination exercée sur beaucoup d’esprits par la conception socinienne du christianisme, qui place l’essence de la religion en dehors des conflits dogmatiques et scientifiques ; de l’autre, l’orientation que la philosophie, considérée dans ce qu’elle a d’opposé à l’intellectualisme péripatéticien, donne à l’apologétique, (^ellc-ci cessant d'être historique ou positive, pour devenir spécifiquement philosophique, quel est le résultat inévitable ? L’apologète philosophe bâtit sa construction apologétique sur le fondement de sa philosophie. De ce chef, tous les systèmes à base subjective reposant, en somme, sur l'étude ou l’analyse psychologique du moi vivant, emportent chez leurs adeptes une notion de la foi où prime l’idée d’affection, d’expérience intime ou de sentiment religieux, avec tendance commune à utiliser de préférence, ou même uniquement, les faits d’ordre interne.

« ) Allemagne protestante. — L’apologétique se présente dans des conditions différentes, suivant qu’elle

subit l’influence de l’un ou de l’autre des deux grands courants théologiques, dits conservateur et libéral. Les principales applications se rapportent à la notion de la religion et de la révélation, à la question du surnaturel, à la valeur des Evangiles considérés comme base historique du christianisme traditionnel. Voir R. KuBEL, Veher den Unterschied z-wischen der positiven und der liheralen Richtung in der modernen Théologie, ' ! ordUngen, 1881. Ce n’est pas que dans les théologiens donnés communément pour les principaux représentants du parti conservateur, Sack, TuoLUCK, G. VON Zkzschwitz, Delitzscii, Baumstark, Ebraud, etc., il faille chercher une justification du christianisme intégral, ni surtout la métJiode classique de nos apologistes ; en particulier, appel est fait habituellement, et en première ligne, à la

conformité ou à l’identité du christianisme, i^ris dans son essence, avec le témoignage de la conscience ; néanmoins la notion de religion positive et surnaturelle, et celle de la révélation, entendue d’une manifestation spéciale, positive et directe de la part de Dieu, sont maintenues. L’authenticité et l’autorité humaine des écrits primitifs qui nous rapportent l’histoire évangélique, est défendue contre les attaques de Paulus, Strauss, Baur et autres fabricateurs de systèmes aux noms variés et aux principes souvent contradictoires, mais tendant tous à dépouiller du caractère historique ce qui, dans les Ecritures, et plus spécialement les Evangiles, suggérerait l’idée d’une religion positive, spécifiquement siu-naturelle et divine dans son origine.

Il en fut tout autrement dans le camp libéral. L'évolution, commencée au siècle précédent, s’accentua surtout après l’apparition de la philosophie kantiste, qui donna une théorie à la nouvelle conception de la foi. En même temps qu’il proclamait l’hégémonie de la raison pratique, Kant confinait l’essence et la justification de la religion dans le domaine de la conscience ; il substituait à la foi d autorité la croyance entendue d’un assentiment objectivement insuffisant, mais tenu subjectivement pour suffisant, en Aertu des postulats ou des exigences de la raison pratiqiie. Critique de la raison pure, 11. Méthodologie transcendantale, c. 11, sect. 3 : De l’opinion, de la science et de la foi. La crédibilité objective et rationnelle, qui se trouvait à la base de l’ancienne apologétique, n’avait plus de sens, puisqu’il ne s’agissait plus de motifs extrinsèques d’adhésion intellectuelle à une vérité spéculative, comme celle du fait historique de la révélation. Mêmes conséquences dans la conception religieuse de Jacobi, où rien n’importe du christianisme que son mysticisme, et où la foi a toute sa justification dans la satisfaction du besoin ou sentiment religieux des individus. David Hume liber den Glauben, oder Idealismus und Realismus ; Von der gôttlichen Dinge und ihrer Offenbarung (Jacobi’s Sammtlirhe JVerke, t. II, p. 3 ss. ; t. III, p. 247 ss., Leipzig, 1815-1816). De même pour SchleiermacuER ; comme il fait consister l’essence de la religion (h s le sentiment de notre absolue dépendance à l'égard de Dieu, il fonde aussi l’apologétique sur le sens religieux ou les besoins de l'àme religieuse que le christianisme satisfait, et n’admet l’argument des miracles qu'à titre subsidiaire et pour ceux qui ont déjà la foi. Der christliche Glaube nach den Grundzûgen der evangelischen Kirche in Zusammenhange dargestellt. t. I, c. i, § 414, Berlin, ]835. Cf. Acta Vaticani, note 16 du schéma préparatoire, p. 628. A plus forte raison, la nécessité et la Aaleur des critères externes disparaissent-elles, avec l’antique notion de la crédibilité, là où l'évolution libérale atteint son terme, en arrivant à l’idée du christianisme « moderne » dans sa plénitude, c’est-à-dire à un christianisme dégagé, dans son essence, des éléments surnaturels que contenait le christianisme traditionnel, et réduit en dernière analyse à quelque résidu d'élément moral et affectif, très diversement interprété, mais dont la plus haute expression paraît être celle d’une attitiule filiale à l'égard de Dieu, analogue à celle qu’eut le Christ, conçu non plus comme l’Homme-Dieu, mais à la manière socinienne, comme l’homme-type dans l’ordre religieux et moral. Voir, pour l'évolution de ce mouvement, A. Réville, Histoire du dogme de la di’inité de Jésus-Christ, c. xi, 3" éd., Paris, 1904. Entre l’apologétique catholique ou même simplement chrétienne, et une apologétique partant de tels principes pour arriver à de telles conséquences, l’incompatibilité est évidemment absolue et le divorce irrémédiable. I 217

APOLOGETIQUE. APOLOGIE

218

//) Eglise anglicane. — On y retrouve d’abord les mêmes courants qu’au xviii' siècle. VEvidential School garde ses représentants, en particulier parmi les théolog-iens de l’ancienne école dOriel, comme Wn.vTELY, plus tard archevêque de Dublin, Davisox, Hawkins. La notion traditionnelle du christianisme, religion positive et surnaturelle, la valeur probante des critères externes, miracles, prophéties, effets historiques du christianisme, sont maintenues dans des ouvrages d’apologétique proprement dite (Keith, Thom. Chalmers, Mac Ilvaixe, Isaac Taylor, Storrs, Mead).

Certains auteurs qui s’attachent aux critères internes, comme Tii. Erski.ne, ne les opposent pas aux externes, mais veulent seulement qu’il y ait connexion entre les uns et les autres. Par contre, les preuves historiques de la religion sont non seulement négligées, mais dépréciées par S. Taylor Coleridge, F. Davisox, Maurice et ses autres disciples, sous l’influence combinée d’idées butlériennes et kantistes ; concevant Dieu comme immanent à l’homme et comme o]>jet immédiat de la conscience, ils placent la crédibilité de la religion dans une sorte d'équation ou de coïncidence, immédiate aussi, entre ce que notre conscience nous dit de Dieu, de nos devoirs et de nos besoins religieux d’une part, et, de l’autre, les données de la révélation. Conception qui, chez beaucoup, se modilie encore sous l’action de deux autres courants.

L’implantation en Angleterre du criticisme germanique a pour résultat la mise en cause des bases liistoriques du christianisme, considéré connue religion positive et surnaturelle (Essors and 7?et'/eus, 1861 ; Supernatural Res’elation. au Inqairy into the realiiy of divine révélation, 1874)- L’apparition de la théorie darwiniste de l'évolution ou du progrès continu et son application aux vérités religieuses amène à soutenir non plus seulement une certaine analogie entre l’ordre naturel et l’ordre surnaturel, mais encore l’identité des lois qui les régissent, en particulier la loi de stricte continuité dans le développement de la révélation, présentée dès lors comme une manifestation de la raison divine ou du Logos qui commence avec la création et se poursuit logiquement dans la conscience de l’homme ou celle du Christ, sans que nulle part apparaisse de distinction entre révélation virtuelle ou métaphorique et révélation loriuelle ou proprement dite (H. Drlmmoxd, S. Marris, etc.). On arrive ainsi à un christianisme ou purement moral, sans attache fixe au dogme, ou libéral, les dogmes perdant, en tout ou en partie, leur signification traditionnelle, parfois même toute signiiication absolue ; ce qui aboutit linalement à la destruction, par voie de transformation, du christianisme historique (Essays and Iieviei’s ; Seeley ; IIensloav ; E. Garland Figg ; Mallock, dans ses derniers ouvrages).

Le cliristianisme, considéré dans son caractère surnaturel et ses bases historiques, notamment les prophéties et les miracles, ne manque pourtant pas de défenseurs (Mansel, Heurtley, Fisiier, Lighteoot, Kennedy, Row, Murray), etc. Toutes les preuves de la religion utilisées par rapologéticpie anglicane ont été exposées et groupées suivant une division en quatre règnes (pliysique, psychique, moral, spirituel), par T. V. Crafer, dans l’article « Apologctics » de VEncyclopædia of Religion and Elics, éditée par J. Hastings, t. I, p. Goi-6123, Edimbourg, 1908. On trouvera, p. 613, la conslalalion de ce fait signilicalif : la préoccupation de soustraire les bases de la foi chrétienne aux attaques de la science et de la critirpumoderne contre les miracles physiques.1 eu pour résultat de faire mettre au premier i)Ian, dans

l’apologétique anglicane, ce qui peut se vérifier actuellement comme fait d’expérience religievise, ce qui touche au côté moral du christianisme, et spécialement le caractère de son fondateur. L’auteur du même article range, sous la z’ubrique générale d’arguments apologétiques, non seulement les preuves directes du christianisme, mais aussi celles de l’existence de Dieu et d’autres vérités connexes. C’est là encore un procédé familier à beaucoup d’apologistes anglicans (Bruce, Illingworth, etc.) ; ils envisagent et défendent le christianisme et comme fait historique ou religion positive, et comme philosophie présentant une conception du monde et de ses rapports avec Dieu qui s’oppose aux théories courantes du panthéisme, du matérialisme, du déisme, de l’agnosticisme.

Signalons enfin, sans nous y arrêter davantage, le livre de W. Mallock, Is Life n’ortJi living ? Londres, 1881, et celui de M. Balfour sur les Bases de la croyance, Londres, 1897, apologie indirecte de la religion par la mise en relief de son utilité morale ou sociale ; et ces systèmes actuels d’apologétirjue, agnostic£ues ou apparentés à l’agnosticisme, coiume le pragmatisme de W. James, l’humanisme de Fr. Schiller et autres conceptions analogues, dont les auteurs, présupposant que les éléments rationnels de la connaissance, pris en euxmemes, restent pour nous sans valeur ferme, prétendent justifier les vérités religieuses par leur capacité d’adaptation à la vie réelle.

c) Eglise réformée de France. — Le mouvement apologétique n’offre presque rien de notable. La tendance à mettre en relief la preuve interne ou expérimentale, déjà remarquée chez les anciens théologiens de cette EgUse, ne fait que s’accentuer chez ceux de leur coreligionnaires qui, sans avoir composé ex professa des démonstrations ou défenses de la foi, ont cependant écrit des ouvrages d’allure apologétique (A. Vinet, Jalaguier, Guizot, SecréTAX, etc.). Lichtenberger, art. cité, p. 443.Chez d’autres, tels que A. Réville et A. Sabatier, la tendance aboutit aux positions extrêmes du j)rotestantismc libéral.

Bibliographie. — K. H. Sack, Christliche Apologeti/> Hambourg, 1829 ; C. Ullmann, Bie Siindlosigkeit Jesu. Eine apologelische Betrachtung, Gotha, 1833 ; l’eber den untersclieidenden Character, oder das Wesen des Christentanis, Hambourg, 1845 ; Tholuck, Gesprach Hier die vornehmsten Glaubensfragen der Zeit, Gotha, 1846 ; G. von Zezschwitz, Zar Apologie des Christentums, Leipzig, 1865 ; F. Dclitzsch, System der christlichen Apologetik, Leipzig, 1869 ; C. E. Baumstark, Cliristliche Apologetik auf anthropologischer Grundlage, Francfort, 1872-1889 ; Christlicb, Die besten Methoden der Bekdnipfung des iiiodernen Unglauhens, Gutersloh, 1874 ; JH- A. Ebrard, Apologetik. Wissencliaftliche Rechtfertigung des Christentums, Gutersloh, 1874-1875 ;  ! . A. Dorner, Apologetik, Berlin, 1879 ; E. G. Steude, Evangelisclie Apologetik, Goiha, 1892 ; IL Schultz, G/7///(//'/s.sder christlichen Apologetik, Gocltingue, 1894.

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S. Taylor Coleridge, Aids to Beflection, Londres, 1826 ; F. Denison Maurice, What is Bevelation ? A séries of Sermons on the Epiphany ; to ahich are added Letters to a student of theology on tlie Bampton Lectures of Mr. Mansel, Cambridge, 1859 ; Essays and Beviews, Londres, 1860, collection d'études rationalistes ou semirationalistes, l’une en i^articulier par Baden Powell, On the Study of the Evidences of Christianity ; J. R. Seeley, Ecce homo : A survey of the life and work of Jesus-Christ, Londres, 1866 ; Supernatural Beligion : an Inquiry into the reality of divine Bevelation, ouvrage anonyme, Londres, 1874-1877 ; G. Henslow, CAr/s/m/i Belief sreconsidered in the liglttof modem Thought, Londres, 1884 ; S. Harris, ^'The Self-Bevelation of God, Edimbourg, 1887 ; E. Garland Figg, Analysis of Theology, natural and revealed. An Essay contrasting the prétentions of Beligion and Atheism to scientific truth, Londres, 1891, -H. Drummond, Natural Law in the spiritual World, Londres, 1883 ; le même, The New Evangelism, Londres, 1899 ; W. H. Mallock, The Beconstruction of Belief, Londres, 1905.

Alex. Vinet, Etudes évangéliques, Bàle, i% ! i'] ; Etudes

sur Biaise Pascal, Paris, 1848 ; P, A. Jalagaiier, Le témoignage de Dieu, base de la foi chrétienne, Paris, 1851 ; Gurzot, Méditations sur l’essence de la religion chrétienne, Paris, 1 864-1 868 ; Ch. Seerétan, La raison et le christianisme, Faris, 1863 ; La civilisation et la croyance, 1867 ; A. Grétillat, Propédeutique, t. II de son Exposé de théologie systématique, Neucliàtel, 1893.

2. L’apologétique chez les catholiques du XIX* siècle. — Quatre sortes d'écrits résvuuent le mouvement : ceux qui, sans être des apologies en règle, n’en tirent pas moins de leur objet même ou du but que se propose l’auteur et de l’esprit qui l’anime, un caractère apologétique ; les apologies proprement dites ; les traites classiques d’apologéticjue ; les écrits d’apologétique dissidente, ou du moins non classique.

Au premier genre aiipartiennent des ouvrages d’ordre théologique, philosophique, historique et scientifique, composés pour venger la religion ou l’Eglise contre des attaques spécialement impressionnantes à une époque, ou pour mettre en relief l’importance de tel ou tel asj)ect delà religion et du catholicisme, jjar exemple la nécessité ou l’efficacité du principe d’autorité dans toute vie sociale. A ce titre, et réserve faite siu" le point précis de leiu-s erreurs particulières en ce qui concerne les auteurs traditionalistes, ontologistes ou libéraux, de nombreux écrivains, dont il suffit d'énoncer les noms, sont justement rangés parmi les apologistes : en France, J. de Maistre, de Boxald, Lamennais, A. Nicolas, le P. Gratry, Montalembert, les conférenciers de Notre-Dame, des évêques comme le cardinal Pie et NN. SS. de Salinis, Parisis, Gerbet et Freppel, l’abbé Gorixi, H. Wallon ; en Belgique, Mgr Laforest ; en Italie, Silvio Pellico, Manzoni, les PP. AVENTURA et Perrone ; en Espagne, Balmès et DoNoso CoRTÈs ; en Allemagne, le comte de Stolberg, Moehler, Goerres, Doellinger avant sa défection. En Angleterre, les écrits de ce geni-e, comme ceux de J. Lingard, de Milner, des cardinaux WisE.MAN, Manning et Neavman, rentrent surtout dans la controverse entre le catholicisme et le protestantisme. Toutefois, l'œuvre du dernier, prise intégralement, dépasse l’intérêt polémique ; elle appartient aussi, comme on le verra plus loin, à l’apologétique positive.

L’apologie proprement dite, considérée comme défense en règle de la religion chrétienne ou catholique, se présente au xix « siècle sous des formes plus variées qu’auparavant, sous la double influence du milieu intellectuel et moral qui a provoqué ces œuvres, et du caractère personnel de leurs auteurs, plus frappés par tel ou tel des multiples aspects du christianisme. Apologie littéraire surtout et esthétique avec Chateaubriand, qui, par le fait même, ne présente guère le christianisme que par le dehors, mais n’en fît pas moins œuvre utile pour son temps. Apologie doctrinale avec Mgr Frayssinous, qui, néanmoins, avant d’aborder la démonstration positive de la révélation, expose les vérités de la religion naturelle, comme une préface utile, et établit l’importance des principes religieux comme fondement de la morale et de la société. Apologie plus concrète et spécifiquement catholique avec LacorDAiRE, s’inspirant du fait de l’Eglise qui s’impose et des vertus réservées dont elle est le principe. Apologie philosophico-autoritaire, à tendances traditionalistes, avec A. Nicolas ; affeclive et mystique avec Mg"" Bougaud, attiré surtout par la réponse que le christianisme donne aux besoins intimes de l'àme, ou par la transcendance de la personne du Christ.

Apologie scienlilique avec le chanoine Duilhiî de Saint-Projet ; historique avec l’abl^é de Broglie qui part du l’ail de la transcendance du christianisme en face des autres religions, en entendant toutefois cette transcendance non de la doctrine seule, nxais du fait concret du christianisme et de l’Eglise, coml^renant les miracles et les prophéties. Apologie philosophico-sociale avec le P. Weiss, qui présente la valeur du christianisme sous le rapport des mœurs et de la civilisation. Apologie plus intégrale, enfin, chez des théologiens allemands, comme Hettixger, ScuANz et ScHELL, qui unissent les jjoints de vue scientifique, philosophique et doctrinal, mais avec cette différence que chez le dernier, des témérités et des en-eiu’S se mêlent aux conceptions originales.

Les nombreux coiu’s classiques d’apologétique, parus au xix<= siècle, se présentent sous des titres multiples : traités de la Religion, de la Religion révélée, de la vraie Religion et de l’Eglise ; démonstration chrétienne et catholique ; propédeutique, introduction ou prolégomènes à la théologie ; théologie fondamentale ou générale ; apologétique du christianisme, ou somme apologétique du christianisme et de l’Eglise ; logique théologique ou logique surnaturelle, etc. Titres pour la plupart contestables, mais qui tous recouvrent, dans l’ensemble, une seule et même matière, l’organisation d’une série de questions ou thèses en vue d'étaljlir et de défendre l’origine et l’autorité divine de la révélation chrétienne, donnée au monde et confiée à l’Eglise par Jésus-Christ. C’est au procédé général suivi dans ces traités que se rapporte la seconde partie du présent article.

Viennent enfin les apologétiques ou méthodes d’apologétique qu’on peut appeler dissidentes, ou du moins non classiques. Méthodes aussi variées dans la forme que différentes dans les principes qu’elles supposent et les tendances qu’elles représentent. Le concile du Vatican s’est occupé de l'école semirationaliste allemande, dont le théologien George Hermès l’ut le principal représentant. Acia Vaticani, note 14*^ du schéma préparatoire, j). 52'j. Dans cette conception, l’assentiment de foi changeait complètement de nature ; il n’avait plus pour motif propre l’autorité de Dieu révélant, mais soit la vérité intrinsèque des choses dans ce qu’Hermès appelait foi de connaissance, soit les postulats de la raison pratique dans ce qu’il appelait foi du cœur. Sous le premier aspect, la crédibilité se confondait, comme chez Abélard, avec la vérité intrinsèque de l’objet de foi ; sous le second, elle se ti-ansportait, comme pour Kant, dans l’ordre affectif. Les écrivains « modernistes ii, théologiens, exégètes, iJhilosophes. historiens ou controversistes, dont parle l’encyclique Pasceudi douiinici gregis, eurent, eux aussi, leur procédé apologétique, approprié à leurs autres principes, dépendant de la notion de foi-expérience et supposant un christianisme réduit, dans son essence, à un noyau primitif appelé à se développer, comme un germe vivant, selon les lois du progrès continu, par adaptation successive aux divers milieux où ce germe passerait, empruntant d’eux par assimilation vitale toutes les formes, dogmatiques, cultuelles, ecclésiastiques, qui I)ourraient lui convenir. Dans cette concei » tion, l'œuvre de l’apologiste consiste surtout à déterminer par l’histoire, entendue à la façon de ces modernistes, la réalité (hi noyau primitif, puis à en justifier la valeur morale par sa vitalité et son efficacité, le dé^ cloppement par la vérification analogique des lois de révolution dans les êtres vivants.

Kn même lenq)s, d’autres méthodes se formaient, qui, pour justifier ou présenter le christianisme d’une manière qui répondit aux exigences de la lîensée

contemporaine, prétendaient se placer sur un terrain spécifiquement philosophique, mais par opposition, plus ou moins prononcée, au scolasticisme et à ses procédés « intellectualistes ». La notion de l’immanence, considérée par ces apologistes comme la condition même de la philosophie, est devenue le point comnmn de ces apologétiques « modernes » qui se différencient, à la vérité, par le choix du phénomène fondamental dont elles se réclament et dont elles tirent leurs dénominations particulières d’apologétique ijsychologique, pragmatiste, morale, etc., mais qui, toutes, n’en partent pas moins du sujet, pour le mener, par l’analyse de sa conscience et de son phénoménisme intégral, en face de cette révélation divine, de telle façon qu’elle ne lui apparaisse plus comme une obligation surajoutée, venant parement du dehors et violant en quelque sorte son autonomie, mais comme une réplique bienfaisante et surabon, dante aux propres postulats ou exigences de notre nature intellectuelle et morale. Conceptions et méthodes dont l’exiïosition complète et l’appréciation appartiennent à la question réservée de I’Imma NENCE.

Bibliographie. — Chateaubriand, Le génie du Christianisme, Paris, 1802 ; A. de Bonald, Œus’i-es, Paris, 1817 ; F. de Lamennais, £ssai sur l’indifférence en matière de religion, Paris, 1817 ; J. de Maistre, Les soirées de Saint-Pétersbourg. Paris, 1828 ; Frayssinous, Défense du Christianisme ou conférences sur lu religion, Pai’is, 1825 ; L. Bautain, Philosophie du Christianisme, Paris, 1835 ; Lacordaire, Conférences de NotreDame, Paris, 1835 ss. Cf. Folghera, L’apologétique de Lacordaire, dans la liesue thomiste, mars 190^ ; A. Nicolas, Etudes philosophiques sur le Christianisme, Paris, 18^2 ; A. Gratry, De la connaissance de Z^j’e », Paris, 1853 ; Lettres sur la religion, 186g ; Mgr Gerbet, Considérations sur le dogme générateur de la piété catholique, 5<' éd., Paris, 1853 ; Mgr Parisis, Impossibilités, ouïes libres penseurs désavoués par le simple bon sens, 3' éd., Paris, 1857 ; abbé Gorini, La défense de l’Eglise, Lyon, 1854 ; H. Wallon, De la croyance due à l Evangile, Paris, 1858 ; Montalembcrt, Œuvres, Paris, 1860 ; Félix, S. J., Le Progrès par le Christianisme, Paris, 1860 ss. ; N. J. Laforet, Les dogmes catholiques exposés, prouvés et vengés des attaques de l hérésie et de l’incrédulité, Paris, 1860 ; Mgr de Salinis, Lu divinité de l’Eglise, Paris, 1865 ; C » ' Pie, Instructions synodales sur les erreurs du temps présent (Giurcs, 9'- éd., t. III, Paris, 1887) ; Mgr Freppel, OKuvies polémiques, Vavis, 1874 ss. ; Mgr Bougaud, Le Christianisme et les temps présents, Paris, 1872 ss. ; P. Monsabré, Exposition du dogme catholique, Paris, 1873 ss. ; F. Duilhé de SaintProjet, Apologie scientifique de la foi chrétienne, 3<= éd., Toulouse, 1908 ; abbé de Broglie, Problèmes et conclusions de l’histoire des religions. Paris, 1885 ; Religion et critique^ '89" Silvio Pellico, Dei doveri degli uomini, Turin, 1834 (Déni, év., t. XIV) ; Manzoni, Observazioni sulla morale cattolica, 1834 (Déni, év., t. XIV) ; Ventura, La raison philosophique et la raison catholique, Paris, iSôa ; Perrone, L’idea cristiana délia Chiesa avverata /wl cattolicismo, Gènes, 1862. — J. Balmès, El protestunlismo comparado cou et catolicismo, Barcelone, 1842-1844 ; JDonoso Cortès, Œuvres, Paris, j858 ; J. Mendive, S. J., La religion catolica vendicada de las imposluras racionalistus, 4°^ éd. /

Madrid, 1888 ; J. Mir, S. J., Annonia entre la ciencia r la fe, Madrid, 1881.

C"^ de Stolberg, Geschichte cler Religion Jesu Christi, Hambourg et Vienne, 1807 ; A. Moehler, Die Einheit cler Kirclie oder dus Princip des KatJwlicismiis, Tubingue, 1826 ; Synibolik oder Darstellung der dogmatischen Gegensatze der Kutholiken und Protestanten, Mayence, 1888-1847 ; J. Goerres, Christlicite Mystik, Ralisbonne, 1886-1842 ; Doellinger, Heideiiiliiim und Judenthum, Ratisbonne, 1867 ; Christentiim und Kirche, 1868 ; F. H. Reusch, Bihel und Natur, Bonn, 1862 ; G. H. Vosen, Der Katholicismus und die Einspriiche seinerGegner, Fribourg, 1868-1867 ; Dos Cliristentum und die Einspruclte seiner Gegner, Fribourg, 1870 ; F. Hettinger, Apologie des C7</7'sfe « fH/ « s, Fribourg, 1868-1867 ; trad.fr., Bar-le-Duc, 1869 ; A. M. ^yeiss, O. P., Apologie des Cliristeniums voni Standpunkte der Sittenlehre, Fribourg, 1879-1889 ; trad. fr., Paris, 1894 ss. ; P. Sclianz, Apologie des Christentums, Fribourg, 1887-1888 ; H. Scliell, Apologie des Christentums, Paderborn, 1901, igoS.

J. Milner, Tlie end of religions contros-ersies, Londres, 1818 (Déni. eV., t. XVII) ; J. Lingard, A collection of tracts on se^'eralsub/ects, connected with the civil and religions principles of the Catholics, Londres, 1826 (Dém. es : , t. XIV et XVI) ; Tli.Moore, Travels of an irish gentleman in search of a religion, Londres, 1888 (Dém. et'., t. XIV) ; J. Mac Haie, The évidences and doctrines of the Catholic Church^ 2' éd., Londres, 1842 ; C^' Wiseman, Lectures on the principal doctrines and practices of the Catholic Church, Londres, 1886 ; Twelve lectures on the connection between science and revealed religion (Dém., év., t. XV et XA'^I) ; C^l Manning, The grounds of fait ii, Londres, 1852 ; C^l Newinan, Essay on the development of Christian doctrine, Londres, 1845 ; An Essay in aid of Grammar of « ssenf, nouv. éd., Londres, 1892.

8. Constitution de l’apologétique en doctrine distincte de la théologie proprement dite. — Ce problème, amorcé au xviii"^ siècle, se posa d’une façon précise au xix"', et d’abord en Allemagne, où les questions de classification méthodologique des sciences furent plus vite à l’ordre du jour. Très diverses furent les solutions. Les uns ne virent dans l’apologétique qu’une fonction de la théologie pratique, ou l’art de faire des apologies. D’autres l’identitièrent soit a^ec les prolégomènes de la dogmatique, soit avec la philosophie de la religion ; certains, comme F. A. Xitzsch, en firent la théologie des laïques, sorte de dogmatique populaire s’arrètant à ce qui peut recommander plus efficacement le christianisme auprès de ceux qui en doutent. Dans son Kurze Darstellung des theologischen Studiums, Berlin, 181 1, ScHLEiERMAcnER la mit, avec la polémique, en tête de l’enseignement théologique, sous le nom de théologie philosophique.

Beaucoup jikis communément, l’apologétique fut considérée comme pouvant donner lieu à une doctrine spéciale. Mais dans la détermination de sa nature et de son o])jet propre, les divergences devaient être et furent, en effet, radicales. Tous ceux qui rejetaient l’idée ou le fait d’une révélation surnaturelle, notamment les théologiens du protestantisme libéral, virent dans l’apologétique la science justificative de la conception qu’ils s'étaient faite de la religion et du christianisme comme parfaite réalisation de cette conception. De là toutes ces apologétiques, ra tionalistes ou seinirationalistes, qui ne tendent plus à établir la crédibilité ol>jective de la foi chrétienne, considérée tout d’aljord comme un ensemble de A'érités révélées et réglant nos rapports avec Dieu fin suprême et avec le monde en vue de notre fin dernière, mais qui tendent uniquement ou à exciter en nous l’expérience religieuse, légitimée par sa nécessité et son efficacité propre, ou à justifier la religion, conçue toujours comme expérience intime, par son rapport de conformité et de correspondance au sentiment religieux, aux besoins religieux, ou encore à établir directement, sans avoir égard au fait de la révélation ni au rapport de moyen en vue de la fin dernière, la vérité absolue du christianisme, considéré dans l’idée qu’il nous donne de Dieu, de nousmêmes et du monde (R. Kcbel, par exemple).

Pour les catholiques, et même pour les protestants « orthodoxes >', l’apologétique ne pouvait pas se constituer sur de telles bases ; elle devait nécessairement avoir une autre signification, celle qui lui Aient de la révélation divine surnaturelle, apportée au monde par Jésus-Christ, révélation où se tromc à la fois la caractéristique du christianisme pris comme religion spéciale et le fondement de l’apologétique envisagée comme doctrine distincte. Sous cet aspect, l’apologétique ne pouvaitètre que la science de la justification ou des preuves du christianisme ; définition donnée en propres termes par Sack et autres théologiens j)rotestants, et que nous verrons se préciser encore chez les apologistes catholiques. Du même coup se trouvait fixée la double acception de l’apologétique : l’acception large, où ce terme comprend tout ce qui se rapporte, de près ou de loin, à la justification et à la défense de la religion ; l’acception restreinte, où le terme sappliqvie seulement à la justification positive de la religion, considérée dans ses propres fondements.

Bibliographie. — i. Catholiques. — Werner, ouv. cité ; A. Langhorst, S. J., Zur Entwicklungsgeschichte der Apologetik, série d’articles dans les Stimmen aus Marialaach, t. XVIII-XX, Fribourg, 1880, 1881 ; Hettinger, art. Apologetik, dans Wetzer und Welte’s Kirchenlexikon, 2°= édit., t. I, col. 1097 ss., Fribourg, 1882 ; H. Kihn, Encyclopâdie und Méthodologie der Théologie, p. 891 sq., Fribourg, 1892 ; Ottiger, S. J., Theologia fundamentulis, t. I, préface, Fribourg, 1897 ; L. Maisonncuve, ai’t. Apologétique ; G. Bareille, art. Apologistes, A. Gardeil, art. Crédibilité, dans le Dictionnaire de théologie catholique, t. I, col. 1511 ss., 1580 ss. ; t. III, col. 2201 ss., Paris. 1908, 1908 ; Al. Aon Schmid, art. Apologetik et Apologie, dans Kirchliches Ilandlexikon édité par M. Buchberger, t. I, col. 279 ss., Munich, 1904 ; J. Polile, Z> «e allgemeine Dogmatik oder Apologetik, dans la collection Die Kultur der Gegemvart, éd. P. Hinneberg, i'^' part., sect. IV, t. II, p. 494-506, Leipzig, 1906.

2. Protestants. — Lichtenberger, Lcmme, Ci’afer, art. cités ; H. G. Tzrchirner, Geschichte der Apologetik, oder historische Darstellung der.Irt und Weise, wie dus Christenthum in jedem Zeitalter bewiesen angegriffen und vertlieidigt war, Leipzig, 1805 ; A^iguié. Histoire de V apologétique dans l’Eglise réformée française, Paris, 1858 ; R. Kiibel, Apologetik, c. i et 11, dans Ilandburh der theologischen Wissenschaften in encyclopadischer Darstellung, de O. Zockler, t. III, 2e édit., Xordlingen, 1885 (indique, p. 198, de nombreux articles de détail sur la notion de l’apologétique, sa place dans l’encyclopédie des

sciences religieuses, la méthode à suivre, etc.) ; O. Zôckler, Geschiclite der Apologie des CJiristeiKums, Guterslop, 1907.

ir Pautii : l"apologktiqce classique

I. Objet propre de l’apologétique classique ; la crédibilité rationnelle. — Sous la dénomination dapologétique classique on désigne couramment l’apologétique doctrinale, dont les grandes lignes se retrouvent dans les traités techniques De era leligione et de EcclesUi, qu’ils portent ce titre ou quelque autre équivalent. Son ])ut proi)re et en quelque sorte inhérent, finis operis, est d'établir par des preuves rationnelles le fait de la révélation divine dont Jésus-Christ a été le héraut et dont rE<'Iise reste l’organe autorisé. La révélation ellemême, ordonnée qu’elle est à fournir à notre foi son aliment, emporte dans l’objet révélé une propriété qui, mieux que toute autre, met en relief l’objet précis d’où la science apologétique tire son caractère spéciOque et son unité formelle, à savoir la crédibilité ou aptitude de l’objet révélé à être cru de foi divine. Aussi l’apologétique, entendue au sens restreint du mot, peut-elle se définir indifféremment : la science qui a pour objet propre la preuve du fait de la révélation divine, considérée comme fondement de la Araie religion, ou la science de la crédibilité de la religion chrétienne et catholique.

La crédibilité rationnelle n’est donc pas l’assentiment surnaturel et liln-e de la foi ; elle le précède comme une condition nécessaire, et se formule dans

: e qu’on appelle le jugement de crédibilité. En dépit

le certains modernistes qui ne voient là qu’une conception « intellectualiste >', il importe de distinguer lettement l’ensemble des actes, multiples et complexes dans la réalité, qui concourent à la genèse ntégrale de l’acte de foi. Rappelons-les, en remonanl de cet acte à ses antécédents logiques et psychoogiques, sans aller toutefois jusqu'à un émicttement t une classilication trop rigides. L’acte de foi dans i doctrine catholique ne j>eut pas s’identitier avec n acte d’expérience ou d’intuition ; c’est une conaissance d’un ordre tout différent, un acte d’assenment libre à la a érité révélée à cause de l’autorité 2 Dieu révélant. (Concile du Vatican, Constitiitio de fie catliolica, c. iii, a^ec les canons 2 et 5 corresjndants. Denzinger-Bannwart, Enchiridion, n. 1 'j8g,

II, 1814 (1638, 1658, 1661).) Si la foi d’autorité

nsiste, j)ar notion générique, non pas précisément

se lier sans vue directe au témoignage de qui sait,

ais à tenir quelque chose pour Arai, sans Aue

irectc, en se liant au témoignage de qui sait ; la foi

rétienne consiste, par notion spéciii([ue, à tenir

lU" vrai ce que Dieu a révélé, parce qu’il l’a révélé,

ne sans vue directe, mais en se liant au témoi age souverainement autorisé de Celui <[ui, étant

Vérité et la Véracité suprême, ne peut ni se trom ' ni nous tronq)er : propler uuctorilatein ipsiiis

i revelaitlis, qui ncc falli iiec fallere potest.

ùet assentiment de foi présujjpose ou implique

3 libre détermination de la volonté, que les docu nts ecclésiastiques ont coutume d’appeler pia

iiitas, pins cieditlilalis af/'cclus, iinperium fidei ;

srinination d’où rasscnliment de foi, pris dans sa

llilé concrète, lire son caractère d’assentiment

e : qno homo libeiaiii pracslul ipsi Deo ohedien Et parce que cet assentiment, intellectuel et

I « e, doit être en même temps surnaturel et méri .jj BC, opus ad saliilein pertiiiens, il présuppose

't W^^ l’intervention innnédiate de Dieu ipii, par des

f’pm^^ actuelles prévenantes, a non seulement solli Armé* il.c-' U’iss'" cité la volonté, mais illuminé l’intelligence en A^ue de l’assentiment de foi chrétienne qu’il s’agit de produire. Toutefois cette illumination et cette inspiration ne sont pas dans le sujet une création pure et simple. L’inspiration surnaturelle n’infuse pas nécessairement toute bonne Aolonté ; elle peut supposer et, communément parlant, suppose plutôt une certaine bonne Aolonté déjà en acte, dont elle s’empare en la suréleant et en sollicitant, par un attrait positif, son acquiescement tinal. A son tour, l’illumination surnaturelle n’a pas, communément parlant, le caractère d’une rcA'élation intérieure, immédiate et proprement dite, mais elle suppose la mise en contact préalable de l’intelligence aACC l’objet que le magistère extérieur propose à notre foi, et la connaissance rationnellement acquise du fait de la réAClation diA’ine initiale. Et c’est précisément pour nous permettre d’acquiescer d’une façon salutaire à la prédication éA angélique, que l’illumination et l’inspiration du Saint-Es])rit sont nécessaires : nemo tamen e^'Ciiigelicae prædicationi coiisentiie potest, sicut oportet ad salutein consequeiidain, ohsgiie illumiiiatioiie et iiispiratione Spiritus Saiicli, qui dut omnibus suayitateni in consentiendo etcredendo veritati. A ces présupposés de la part de l’intelligence et de la Aolonté se réfère le rôle propre de l’apologétique ; car là se place le jugement de crédibilité où elle aboutit et où elle s’arrête : La révélation chrétienne est éA’idemment croyable de foi divine, et je dois la croire. Jugement coiuplexe qui, dans le premier membre, ne sort pas de l’ordre spéculatif, et, dans le second, passe à l’ordre pratique, par l’obligation qu’il énonce. D’où la distinction courante entre jugement spéculatif et jugement pratique de crédibilité. Jugement Ay^ecf/Zfl///', qui énonce la crédibilité sim[)le, ou l’aptitude d’une chose à être crue de foi diA’ine, par rapport à son fondement ou antécédent rationnel, le fait de l’attestation diA’ine : ce fait étant, par hypothèse, établi aA ec certitude, la chose attestée dcvient du même coup croyable de foi diA’ine, c’est-à-dire digne pour nous d’une adhésion proportionnée à l’autorité suprême du témoin diAÏn, donc souverainement ferme.

iw^aiweni pratique, qui énonce la crédibilité comme s’imposant au sujet et créant pour lui l’obligation morale de passer à l’assentiment de foi : lioc credenduni est (crédentité). Par le caractère d’obligation morale qu’il énonce, ce second jugement dépasse l’intelligence et atteint la Aolonté ; il faut donc qu’il soit en rapport avcc un ordre de motifs non plus intellectuels, mais alïectifs. L’obligation morale ne pourra s’inq)oser à la Aolonté qu’en fonction d’un bien, d’un bien réel et qui la concerne, ou, j^lus généralement, d’un moyen nécessaire en Aue de notre tin dernière, notre bien suprême. Mais cette condition est déjà contenue en réalité dans Vauditus fidei ou, corrélativement, dans la proposition objectiA’e de la réA'élation, telle qu’elle est faite dans les Ecritures par Notre-Seigneur ou ses apôtres, et, au cours des siècles, par l’Eglise porte-Aoix de NotreSi’igneur et des apôtres : Qui crediderit et baptizatus fæiii, salsus erit ; qui vero non crediderit, condemnabitur. Me. xai, 16. La révélation se présente ainsi comme un moj’en obligatoire en Aue d’une lin obligatoire ; ou, pour mieux dire, comme le moyen nécessaire en Aue de l’unique nécessaire, l’obtention de la lin dernière ou du salut éli-rnel.

One ces diverses considérations, pour avoir prise sur le sujet, reciuièrent en lui une certaine éducation intellectuelle et morale, antérieurement actpiise ou suppléée en tenqis opportun, rien de plus éA ident et, nous l’ajouterons ])ienlôt, rien de plus digne d’attention à notre époque. Autre chose, toutefois, est

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cette préparation subjective, variable selon l'état des esprits, là où elle est particulièrement nécessaire, et tendant iinalenient à rendre cette intelligence et cette volonté capaljles de comprendre et d’accueillir la liroposition du don divin de la révélation ; autre chose est Tapologétique considérée dans son rôle propre et spécifique comme science des fondements de la religion chrétienne et catholique : elle apparaît alors, ainsi qu’il a déjà été dit, comme une série d’assertions et de preuves organisées en vue dal)Outir directement au fait de la révélation divine, s’appliqiiant à cet ensemble de vérités qui composent la religion chrétienne prise comme norme ol>jcctive de nos relations avec Dieu, et constituant ainsi hi crédibilité rationnelle de cet ensemble de vérités.

Dans rencjclopédie des sciences religieuses, l’apologétique a sa place à la l)ase de la théologie, sans en être proprement partie constitutive, car la théologie est une science qui s’exerce sur l’objet propre de la foi. la vérité révélée ou la parole de Dieu supposée telle ; or, dans toute cette série d’assertions et de preuves qui ont pour terme le jugement de crédil)ilité, on ne peut évidemment faire appel ni aux Ecritures considérées comme livres divins, ni à la Tradition comme source partielle de la révélation, ni au magistère vivant de l’Eglise comme règle directrice de la foi ; rien de tovit cela n’est encore établi ni ne vaut pour celui qui ne croit pas encore, mais qu’il s’agit de convaincre qu’il peut et qu’il doit croii’C, c’est-à-dire adhérer fermement à cet ensemble de vérités comme divinement révélées. Si l’apologétique atteint, en général, le même objet matériel que la théologie, ce n’est pas en l’envisageant sous le rapport de A'érités révélées, déjà supposées telles, mais sous celui de vérités qui, sous la lumière de la raison, doivent apparaître comme révélées, et devenir ainsi, ultérieurement, croyables de foi divine.

II. Procédé |fondam entai de l’apologétique classique. — i. y’ue d’ensenihle. — Deux parties, traitées à part non chez tous les auteurs, mais chez la plupart, sont à distinguer : l’une d’ordre philosophique, l’autre d’ordre historique.

a) Partie philosophique. Elle porte sur la possibilité, la convenance, la nécessité morale, le caractère hypothétiquement nécessaire et obligatoire, la discernibilité de la révélation, entendue d’une manifestation de vérités due à une intervention divine, spéciale, immédiate, surnaturelle dans son objet, ou du moins dans son mode. Autant de questions qui se rattachent au premier princijje que suppose le jugement de crédibilité, énoncé dans toute son amiîlitude rationnelle : Dieu étant la Vérité suprême qui ne peut ni se tromper ni noiis tromper, tout ce qu’il révèle ou certifie est évidemment croyable au sens strict du mot, et, dans le cas où cette révélation réglerait mes rapports avec Dieu ma tin dernière, doit être cru. La raison peut se demander, ou, l’expérience le prouvant, objecter : Une révélation de ce genre est-elle possible ? n’est-elle pas inutile ? peutelle avoir un caractère obligatoire ? en tout cas, estelle susceptible d’une réelle démonstration ?

Supposant établies par la i^hilosophie l’existence de Dieu et les autres vérités rationnelles sans lesquelles on ne peut concevoir ni principe sudisant de moralité ni religion, l’apologiste classique s’arrête à ce qu’entraîne immédiatement l’idée de révélation divine, telle qu’elle vient d'être rappelée. Il établit que Dieu, Vérité suprême et cause première de toute intelligence ci-éée, peut manifester à l’homme des vérités qui dépassent la portée native de sa raison, de même qu’il peut l'élever à une perfection et à une lin supérieure aux forces et aux exigences de sa

nature. Cette élévation suppose dans la nature humaine une aptitude radicale au surnaturel ; aptitude dans la substance de l'àme capable de recevoir* des dons spirituels même d’ordre supérieur, aptitude dans les facultés d’intelligence et de volonté, dont rol)jet générique adéquat embrasse le vrai et le bien dans leur extension indélînie. C’est cette aptitude radicale de notre nature au surnaturel qui donne lieu, en théologie, à la notion et à l'étude de ce ([u’on appelle la puissance obédientielle.

De la possil)ilité. l’apologiste passe à la convenance de la révélation. S’il s’agit des Aérités accessibles jiar elles-mêmes à la raison, des Aérités naturelles, prises non dans leur détail, mais dans leur ensemble, l’expérience universelle du genre humain fournit des données telles, qu’on est amené à conclure en faA-eur non seulement d’une grande couvenance, mais de la nécessité relative, morale, d’une révélation divine, pour que ces Aérités « puissent, dans la condition présente du genre humain, être connues de tous facilement, avec une entière certitude et sans mélange d’erreur « . (Concile du Vatican, constit. de fide, c. ii.) S’il s’agit des mystères, la question de convenance s’identifie avec celle de notre élévation à l’ordre surnaturel ; élévation qui constitue pour la nature humaine un lîerfectionnement réel, et non quelconque, mais suprême en son genre.

L’hypothèse de notre élévation à une fin surnaturelle entraîne même la nécessité a])solue d’une révélation divine, surnaturelle dans son olijet comme dans son mode ; et, si cette lin surnaturelle dcA ient, en réalité, notre seule fin dernière, du même coup cette révélation se présente à tous avcc un caractèi’C obligatoire, la nécessité de la fin entraînant celle du moyen. Aussi le concile du Vatican, loc. cit., tire-t-il la nécessité absolue de la révélation, non pas de l’impuissance morale ci-dessus rappelée, mais de notre destination eÛ'ective à une fin surnaturelle Xuiî hac iuinen de causa res’elatio absolute neces sai’io dicenda est, sed quia Deus ex infinita bonitate sua ordinayit hominem ad pnem supernaturalem.

Pour qu’une telle révélation puisse pratiquement s"inq>oser aux hommes, il faut nécessairemeni qu’on en puisse reconnaître l’origine divine. San doute il n’appartient pas à la raison philosophiquf de déterminer a priori de quels moyens Dieu si serAÎra de fait ; elle peut cependant en comprendra la possibilité spéculativc, poser ([uelques jalonse proclamei" la nécessité, dans l’hypothèse, de critère ou signes distinctifs qui soient proportionnés à l’in telligence humaine et dont elle puisse rationnelh ment apprécier la Aaleur probante. Et c’est ain ; que, même dans la partie philosophique, les apol gistes sont amenés à discuter, par exemple, la poss bilité de la prophétie et du miracle, surtout lei aptitude à établir la crédibilité d’un messager dÎAi : et dans quelles conditions.

b) Partie historique. Elle a pour objet la preuve i la révélation dÎAine, prise dans sa réalité concrè ou son existence historique, et répond par con quent à l’autre assertion que contient le jugenie de crédibilité : Dieu a couimuniqué aux hommes, la personne de Jésus-Christ et des apôtres, une ré' lation désormais normative de la Araie religion, de cette révélation l’Eglise a été constituée dépc taire et gardienne.

Cette preuvc, où culmine l'œuvre apologétique raison peut la fournir, on le Acrra bientôt, ou j une Aoie abrégée, en allant droit à l’Eglise cor, dérée comme fait dÎAin, ou par une Aoie plus long mais aussi plus complète, en i>assant par la Bil utilisée comme document historique, pour arri au fait de l'établissement divin du christianism

ff/j.

de FEglise. La preuve achevée, la crédibilité soit de la religion chrétienne, soit de l’Eglise, se trouve établie svir des bases rationnelles, puisque le fondement de cette crédibilité est acquis. Mais dans les deux cas, la question capitale est celle des critères, si"-nes distinctifs de la révélation divine ou du messager divin qui la présente aux hommes ; ces critères n'étant plus considérés d’une façon spéculative et hypothétique, mais dans leur réalité historique et leur application concrète, conmie signes divins, voulus par Dieu lui-même, pour nous permettre de constater l’existence de sa révélation et de reconnaître où elle se trouve.

2. Critères ou signes distinctifs de la révélation (liyfine. — Si nous nous en tenons à l’ensemble des Pères de l’Eglise et des grands théologiens catholiques, trois sortes de critèi’es peuvent servir à reconnaître le caractère divin de la révélation chrétienne ou de l’Eglise, envisagée comme société religieuse. Au premier rang apparaissent les critères externes, traités par le concile du Vatican de « signes très certains et appropriés à l’intelligence de tous ». Ce sont des faits sensibles, extraordinaires, distincts de la révélation elle-même, dont ils prouvent l’origine divine, à titre de témoignages surnaturels authentiquant la doctrine ou la mission de l’apôlre qui l’annonce. Telles sont les prophéties de l’Ancien et du Nouveau Testament ; tels, les miracles de l’ordre physique opérés par Notre-Seigneur et ses apôtres ; tels encore, les miracles psychologiques, comme la sagesse conférée subitement aux ignorants par l’Esprit Saint, et ces miracles de Tordre moral que le concile du Vatican range sous le titre général de faits divins, et qui font de l’Eglise elle-même un perpétuel motif de crédibilité : son admirable propagation, sa sainteté éminente et son inépuisable fécondité en toute sorte de biens, son unité catholique et son invinciljle staljilité. A ce genre de preuves se rattache le grand fait moral que le génie d’un Bossuet a pu dégager du mouvement du monde, dans son discours sur l’Histoire universelle, et qui consiste dans l’action transcendante, mais continue, de la Providence divine dirigeant toute chose en vue du Christ et de son Eglise.

Après les critères externes viennent les internes, entendus de signes distinctifs inhérents à la doctrine révélée. Vérité sans mélange d’erreurs, pureté et sainteté ; élévation dogmatique et beauté moi’ale, liaison et harmonie des parties ; convenance avec la nature de l’homme, sa condition et ses besoins ; aptitude à promouvoir d’une façon insigne et consn tante l’honnêleté des mœurs, privées ou publiques ; t autant de qualités qui conviennent à la doctrine [chrétienne dans un degré si éminent, qu’il n’en faut jpas davantage, parfois, pour amener un esprit làérieux et bien disposé à la ferme conviction, Jl’abord de la transcendance du christianisme par -apport aux autres religions, puis de son origine Ilivine. En fait, dans l’aperçu historique du mouvement apologétique à travers les siècles, nous avons lenconlré ce second genre de critères utilisé, comme le premier, non seulement par les anciens apologistes Il par les Pères de l’Eglise, niais encore par les lliéologiens scolastiques du moyen âge et ceux <pii liur succédèrent. Qui voudrait s’en convaincre plus braplètement n’aurait qu'à jeter un coup d'(L’il sur Il liste des nuilifs de crédibilité que plusieurs d’entre lix ont dressée ; quelle que soit l'école particulière pnt ils dépendent, le même fonds connnun se Tlrouvc, i-enferiuant souvent pêle-mêle critères Lternes et critères internes. Voir, par exemple, le janciscain Mkihna, Christiana parænesis sive de Yla in Deum fide, L. II, Venise, 1564 ; le jésuite

Slarkz, De fide, Disp. iv, sect. ii, n. 2 ss. ; le dominicain GoNET, -De fide, Disp. I, Digressio iitilis et JHCundu de præcipuis credihilitatis nostrae fïdei argumentis (Clypei.s thom., t. IV, p. 287, Lyon, 1681) ; les CARMES DE Salamaxqle, qui renvoient aux précédents, De fide, Disp. I, dub. 5, n. i-j’i.

Il est un troisième genre de critères, plus particulier : les critères internes d’ordre subjectif, c’est-à-dire inhérents au sujet. Ils consistent dans des eîFets produits en nous par la grâce, illuminations et inspirations nous portant à embrasser la révélation chrétienne ou à nous j tenir fermement attachés. L’idée, en soi, n’est nullement étrangère aux anciens Pères ; saint Cyprien, par exemple, nous parle de la transformation morale qu’il sentit s’opérer en lui après sa conversion : Lettre à Donat, n. 4-5, PL., t. IV, p. 200 ; saint Augustin est plus explicite encore, Confess., 1. VIII, c. xii, n. 29. P. L., t. XXXII, col. ^62. Sans doute l’illumination, même surnaturelle, de l’intelligence ne constitue pas par elle-même, on l’a déjà dit, une révélation privée, suppléant à la proposition extérieure de l’objet ; celle-ci a lieu, selon l’orch’e providentiel, par l’apostolat vivant de l’Eglise ou quelque chose d'équivalent, comme le rappelle le concile de Trente quand, parlant de la façon normale dont se fait la préparation des adultes à la justilication, il nous les montre concevant la foi après l’avoir entendu proposer, fide ni ex auditu concipientes, Sess. VI, c. vi. Il n’en reste pas moins concevable que l’impulsion surnaturelle, connue pour telle, puisse non seulement jouer le rôle de moteur subjectif, mais encore, en vertu de sa connexion avec la doctrine proposée, celui de motif objectif de crédibilité. De grands théologiens scolastiques le reconnaissent : « On peut éprouver en soi ces motions divines, et de leurs elïets conjecturer très fortement qu elles sont divines et viennent du bon esprit ; aussi les range-t-on parmi les motifs qui contribuent à la crédibilité de la foi. » (Suarez, De fide, Disp. IV, sect. Vl, n. 4 ; cf. sect. III, n. 2 ; de Lugo, De fide. Disp. V, Sect. IV.) La difficulté est de reconnaître avec une certitude sullisante le caractère surnaturel de ces motions intérieures ; difficulté grande déjà pour les fidèles les plus expérimentés, car l’illusion est toujours facile en pareille matière, mais grande surtout, et beaucoup jîlus grande, pour ceux qui n’ont pas encore la foi. Aussi les critères internes d’ordre subjectif ne valent-ils guère, habituellement parlant, qu'à titre subsidiaire ou conlirmatif.

III. — Les deux formes spéciales de l’apologétique classique : démonstration à deux degrés, et démonstration simple. — Ces deux formes se rattachent à l’apologéticpie classique, non qu’elles se trouvent toujours, ni même communément, à l'état explicite, dans les manuels courants, mais en ce sens que les deux ont leurs attaches dans le passé, et sont nuirquées, depuis le concile du Vatican, de l’estampille officielle.

I. Forme ordinaire : démonstration à deux degrés, chrétienne et catholique. — Cette forme est esquissée dans la constitution valicane, au ch. iii, de Fide : « Afin que l’hommage de notre foi fût d’accord avec la raison, aux secours intérieurs du Saint-Esprit Dieu a voulu joindre des preuves extérieures de sa révélation, savoir des faits divins, des miracles et des prophéties ((ui, en montrant abondannnent la toulel)uissance et la science infinie de Dieu, constituent autant de signes très certains et appropriés à l’intelligence de tous. C’est pour((uoi Moiseet les prophètes, mais surtout le Christ Notre-Seigneur, ont fait des prophéties et des miracles nombreux et très maniI festes ; et nous lisons des apôtres : Etant partis, ils 231

APOLOGÉTIQUE. APOLOGIE

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prêchaient partout, cl le Seigneur coopérait à leur œuvre et conlirmait leur parole par les miracles qui l’accompagnaient (Me. xvi, 20). »

La doctrine est complétée im peu plus loin, qiiand l’Eglise nous est montrée à son tour, société concrète posée par Dieu dans le monde, comme im grand fait dh-in permanent : a Pour que nous pussions satisfaire au devoir d’end)rasser la foi véritable et d’y persévérer constamment, Dieu par son Fils unique a institué l’Eglise, et il l’a revêtue de signes manifestes de son institution, afin qu’elle pût être reconnue de tous comme la gardienne et la maîtrese de la parole révélée. Car c’est à l’Eglise catholique seule qu’appartiennent toutes ces notes, si nombreuses et si frappantes, par lesquelles Dieu a rendu évidente la crédibilité de la foi chrétienne. »

Ce qui caractérise svirtout cette méthode, c’est 1 application successive des critères ou signes distinctifs de la révélation divine, à im double objet : d’abord, au magistère du Christ et à la religion qu’il a fondée ; puis aux diverses sociétés religieuses qui prétendent continuer lœuvre du Christ. D où, chez ces apologistes, une double démonstration : 1 une qui leur est commune, en substance, avec les théologiens du protestantisme conservateur et des Eglises grecques ou orientales ; 1 autre où ils se séparent de tout ce qui n’est pas la sainte Eglise catholique, apostolique et romaine.

a) Démonstration chrétienne. Au point de départ, le fait historique de l’apparition ici-bas de JésusChrist, se donnant pour envoyé de Dieu et prêchant en son nom une religion C{ui succède au juda’isme et doit rester juscju'à la tin du monde la forme légitime des rapports de l’homme avec Dieu. Ce qui entraîne d abord le contrôle des documents où le fait primitif est consigné : authenticité, intégrité, véracité substantielle des récits évangéliques, considérés du point de vue purement historicjue. Ceci fait, reste à constater 1 application des critères ou signes divins en la personne de Jésus-Christ et de ses apôtres : prophéties réalisées, ou miracles qui ont comme marqué du sceau divin leur mission et la doctrine qu’ils ont prèchée. On conclut à l’autorité divine du magistère du Christ, des apôtres et de la société religieuse qu’ils ont fondée, à la crédibilité rationnelle et obligatoire de la doctrine qu il ont prêchée.

b) Démonstration catholique. L’Eglise romaine se prétendant seule dépositaire légitime de la révélation chrétienne, et seule chargée de continuer authentiquement ici-bas l'œuvre de Jésus-Christ et des apôtres, il reste à contrôler ces prétentions. On détermine préalablement, à laide des documents primitifs, les signes cjui deA’ront servir à reconnaître la véritable Eglise du Christ ; c’est la fameuse cjuestion des notes de l’Eglise, dont les principales et traditionnelles sont 1 unité, la sainteté, la catholicité et l’apostolicité. Ces notes déterminées, on en montre finalement la réalisation dans lEglise romaine, et elle seule.

L’histoire des religions, traitée assez souvent dans les Sommes apologétiques récentes, se rattache directement à la démonstration chrétienne, soit pour débouter les autres sociétés religieuses de leurs prétentions au caractère de religion vraie, soit pour établir la transcendance du christianisme par rapport à toute autre forme de religion, soit pour relier la révélation chrétienne aux révélations antérieures, patriarcale et mosaïque, dont elle est la continuation et le perfectionnement. A cette histoire des religions se rattacherait facilement, comme une belle conclusion ou par un développement parallèle, l’argument apologétique qu’on peut tirer de l’intervention providentielle de Dieu dans la préparation, la forma tion, la conservation et le perfectionnement de la religion judéo-chrétienne.

2. Autre forme : démonstration simple, ou démonstration catholique de la religion chrétienne. — Comme la précédente, cette forme a été esquissée au concile du Vatican, en ces phrases succinctes : « Bien plus, à cause de son admirable propagation, de sa sainteté éminente et de son inépuisable fécondité en toute sorte de biens, à cause de son unité catholique et de son invincible stabilité, 1 Eglise est par elle-même un grand et perpétuel motif de crédibilité, en même temps qu’un témoignage irrécusable de sa mission divine. Il en résulte que, comme un étendard levé aux yeux des nations (Is., xi, 12), elle appelle à soi ceux qui ne croient pas encore, et elle donne à ses enfants la pleine assurance que la foi qu’ils professent repose sur un très ferme fondement, x

La caractéristique de cette méthode consiste en ce que, sans passer par la démonstration préalable de la divinité de la religion chrétienne, distinguée de la religion catholique, sans s engager dans le dédale des problèmes d’exégèse et de critique historique, on va droit à la crédibilité du magistère divin de 1 Eglise catholic|ue, considérée comme témoin vivant et parlant qui prouve lui-même sa mission divine par ses caractères subsistants. Caractères subsistants qui sont surtout, on le voit par le texte du Vatican, les notes mêmes de 1 Eglise, mais envisagées sous un autre aspect, celui de propriétés inhérentes à l’Eglise dans sa vie historique et sociale, et faisant d’elle le centre de convergence jîerpétuel et toujours visible des motifs de crédibilité. La crédibilité du magistère divin de l’Eglise une fois acquise, on écoute celle-ci parlant au nom de Dieu et nous renseignant elle-même sur ses autres titres^ sur ses livres sacrés, sur sa propre histoire et ses rapports avec les révélations incomplètes qui ont précédé.

On reconnaît la conception augustinienne de lEglise catholique, maîtresse de toute vérité, résumant le passé et garantissant l’avenir. Cette conception a eu pour principal apôtre, dans la seconde moitié du xix"^ siècle, le P. Dechamps, rédemptoriste, plus tard cardinal-archevêque de Matines. Jugeant cette méthode plus succincte, plus sûre et répondant mieux à la conduite de la Providence, il la développa longuement, l’expliqua et la défendit dans plusieurs de ses ouvrages, trois surtout : Entretiens sur la démonstration catholique de la révélation chrétienne, iSb-j {Œuvres complètes, édition de jiropagande, Matines, 1874 ss., t. I) ; La question religieuse résolue par les faits, ou de la certitude en matière de religion, 1860 (Œuvres, t. III et IV) ; Lettres philosophiques et théologiques sur la démonstration de la foi, 1861 {Œuvres, t. XVI).

A ce qixe cette méthode présente de caractéristique dans la partie historique ou constitutive de la démonstration, s’ajoutait chez le cardinal Dechamps cjuelque chose d analogue dans la partie philosophique. S’emparant de la doctrine traditionnelle siu' la nécessité morale de la révélation, établie « par le besoin qu éprouve Ihomme de connaître avec certitude sa fin et sa voie, c est-à-dire la religion, et par l impuissance de la raison humaine à satisfaire seule à ce besoin », ou encore « par le besoin qu éprouve 1 homme d avoir la solution des grandes et suprêmes questions qui compli({uent celles de la religion naturelle à cause de létal manifestement troublé de notre natui’e, et par l’impuissance de lesprit humain à nous donner seule celle solution '>, il transporta ces faits de l’ordre historique, où les apologistes scolastiques les prennent habituellement, dans l’ordre psychologique, en les considérant « comme faits subsistants dans la raison et la conscience » (Z, e///'es, p. 196).' APOLOGÉTIQUE. APOLOGIE

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De la sorte, il y avait connexion intime entre la partie philosophique et la partie historique, entre le fait intérieur et le fait extérieur, le fait de conscience préparant la voie au fait public et divin de la révélation qui lui répond au dehors. « Il n’y a que deux faits à vérifier, un en vous, et un hors de vous. Ils se recherchent pour s’embrasser, et, de tous les deux, le témoin c est vous-même. » (Entretiens, épigraphe.) Mais, pour comprendre exactement la pensée du cardinal, sans la dépasser, il faut tenir compte des points suivants. L’analyse du fait psychologique, ou partie philosophique du procédé, ne constitue nullement, à ses yeux, la démonstration chrétienne ; elle n’en est même pas un élément indispensable, son rôle est purement préparatoire : « he fait de l’Eglise reste sur la terre la preuve permanente de la révélation. Le besoin que nous en éprouvons, et l’inclination que Dieu nous donne (in tus) pour ce secours qu’il nous envoie (/or/*) nous aident àlereconnaitre. Voilà tout. — Une analyse proprement dite de ce fait [de conscience] n’est évidemment pas indispensaljle pour faire sentir le rapport harmonieux de l’Eglise enseignante avec les besoins intimes de nos âmes. Ces besoins, on les éprouve lors même c[u’on ne les analyse pas… Analyser le fait de conscience, ce n’est donc que préparer le terrain à la démonstration, ce n’est pas encore la donner. — Dans la méthode que j’ai suivie, loin d’appuyer la démonstration du Christianisme sur l'étude seule des faits psychologiques, je considère cette étude comme purement préparatoire, mais j’appuieladénionstrationelle-mêmesurc^es/a/75 publics. » {Lettres, p. 80, 89, 314.)

En particulier, le cardinal Dechanips rejette énergiquement la doctrine, baïaniste ou traditionaliste, « qui prétend déduire la nécessité de la révélation primitive, non de l'état de notre nature, ou de sa destination positive, mais des lois mêmes de la raison humaine, ou des conditions naturelles de son développement », ibid., p. 215. S’il parle de noli’e raison comme aspirant à la fin surnaturelle ou demandant la foi divine, il a soin de nous avertir qu’il prend la nature humaine dans son état réel, dans sa condition actuelle positive ; mais, en droit, la révélation estpourlui, comme pourtout théologien catholique, « un bienfait surnaturel, gratuit comme la grâce, etnonpasune exigence de notre natui-O/, ibid., p. 26, note ; p. 6^, 76, 216, i'][, etc.

Enfin le cardinal ne prétend nullement fonder sa méthode sur une philosophie autre que celle de l’Ecole ; saint Thomas d’Acjuin est resté son maître. Nulle part il ne rattache son analyse des faits psychologiques à l’immanentisme philosophique, entendu dans l’acception moderne et spécifique du mot. Du reste, il n’attribue à son procédé aucun sens exclusif, ni même agressif ; il ailirme le caractère logique et la valeur objective de la méthode classique « ordinaire » ; il rejette toute prétention à la nouveauté quant au fond des choses, reconnaissant que les auteurs classiques ont eux-mêmes indiqué sa méthode, incidemment à la vérité, mais très clairement ; ce qu’il leur reproche, c’est seulement de n’en avoir j)as fait assez ressortir 'i la i^ortée décisive, soit pour déuiontrer directement la révélation, soit pour disposer l'àme à jouir de sa lumière x, ibid., p. yo ss., 191, 290, 894. Cecju’il pouvait y avoir de vérité dans ce reproche, le point qui va être abordé maintenant nous fournira l’occasion naturelle de l’expliciuer.

IV. Attaque et justification de l’apologétique classique ; sa perfectibilité relative. — I. I.'uttaquc. — Dans le uioun enuiil thcontroverse relatif à rapoiogétique qui s’est produit dans la seconde moitié du XIX siècle, l’atlaciue a surgi de divers côtés

contre les anciennes méthodes. Il s’en faut de beaucoup que, dans cette levée de boucliers, tous les traits lancés aient eu la même portée. Parfois, il y a eu méconnaissance manifeste de la vraie notion de la foi chrétienne, comme dans l'école des néo-chrétiens, où cet acte n’apparaissait plus que sous la forme d’une croyance Aague, sentimentale, purement affective ou dynamique, sans relation à un dogme ni à une vérité objective. Dès lors il ne peut plus être question d’apologétique catholique, ni même chrétienne, mais tout au plus d’apologie ou de philosophie du sentiment ou du sens religieux, comme chez les théologiens du protestantisme libéral, dont l’influence ici est manifeste. D’autres fois le débat dépassait de beaucoup la question apologétique, et rentrait, au fond, dans la grande querelle philosophique sur l’objectivité et la valeur de nos idées, de nos jugements, de nos raisonnements.

Plus spéciales et, à ce titre, plus dignes d’attention sont les attaques venues decatholiques, qui sans rejeter complètement le procédé classique, le jugeaient cependant trop autoritaire, ou trop intellectualiste, ou dénué de consistance philosophique, à tout le moins d’efficacité pratique en face des esprits modernes, épris de la méthode expérimentale et irréductiblement fermés au scolasticisme. D’où nécessité de procédés nouveaux. Distinguons toutefois deux manières, très différentes, d’entendre la réforme. La première consistait à supplémenter l’antique façon par quelque chose de plus moderne, en développant les intimes beautés du christianisme, ses harmonies profondes (Mf Bougaud), ou en exposant la valeur et la vertu intrinsèque du christianisme, sa merveilleuse adaptation aux besoins de la vie humaine (Olli' ; -Laprune) etc. De l’apologétique moderne ainsi conçue, rien à dire, si ce n’est fque, la question de philosophie ou de degré mise à part, elle n’est nullement moderne, et qu’il serait illusoire de parler, sous ce rapport, d’opposition entre le passé et le présent. Telle qu’elle nous est apparue dans son développement historique, l’ancienne méthode contient cette forme particulière, comme le tout contient la pai’tie ; car le genre de preuves dont on y fait usage, rentre dans la seconde catégorie des critères admis constamment par la tradition catholique, celle des critères internes oI)jectifs. Et même il n’j' a pas là œuvre exclusivement propre à l’apologétique prise au sens strict du mot ; développer les intimes beautés, les harmonies profondes, les sublimes convenances du christianisnu*, faire de la vérité chrétienne une large et majestueuse synthèse, n’appartient pas moins au théologien c|u'à l’apologiste. A quelle source, pour ne donner qu’un exemple, le P. Monsabui' ; a-t-il puisé les plus belles considérations de son E.rposé du Christianisme '.'

Autre était la manière de ceux qui, sans renoncer aux fondenu-nts traditionnels de l’ancienne apologéli(liu% lui refusaient seulement une valeur stricteuu^nt [iiiiiosophi([iu', et lui reprochaient d<' s'épuiser à offrir un ol)jet alors que c’est le sujet qui n’est pas disposé, de présenter le surnaturel du deliors et sous une ap|)areu(e d’anlinomie par rapport à l’ordre nat>ircl, sans se jjréoccuixr de crili(iiu’r la compalil)iii(é formelle ou la possibilité subjective des deux ordres. On proposait doue de reprendre en sous(vuvre l'édifice, de manière à renouveler l’assemblage sur des fondements assurés, et pour cela de substituer aux autres pseudo-philosopliies, celle de l’Ecole en particulier, la vraie et pure philosoj)hie, qui a consiste, non plus dans l’application hétéronome de la raison à une matière ou à un objet, cpi’il soit donné par les sens ou par la révélation, mais dans l’application autonome de la raison elle-même », d’après la (3

notion d’immanence onu l’idée, très juste en sonfond, que rien ne peut entrer en l’iiomnie qui ne sorte de lui et ne corresponde en quelque façon à un besoin d’expansion, et que ni comme fait historique, ni comme enseigncnænt traditionnel, ni comme ohlig." ! tion surajoutée du dehors, il n’y a pour lui vérité qui compte et précepte admissil)lc' sans être, de quelque manière, autonome et autochtone ». (M. Bloxdel, Lettre sur les exigences de la pensée contemporaine en matière d’apologétique, p. 28, 63 du tiré-à-part, Paris, 1896.) — Ce n’est pas le lieu d’examiner l’apologétique de l’immanence ; mais il importe de justifier le procédé classique, en le prenant tel qu’il est et pour ce qu’il est.

2. Justification de l apologétique classique. — Disons-le d’abord : cette apologétique, sous la forme technique qu’elle revêt dans nos cours de théologie ou nos manuels, ne se présente pas comme une recette pratique et d’application immédiate pour la conversion des incroyants ; c’est une synthèse, une systématisation, sous le rapport positif et négatif, constitutif et délensif, des preuACS qui justifient les prétentions de l’Eglise chrétienne et catholique à posséder un corps de révélation d’autorité divine, qui établissent la crédibilité rationnelle de toutes les vérités comprises dans ce corps de doctrine révélée. Synthèse et systématisation qui ne sont pas absolument nécessaires, car l'œuvre de la conversion peut se faire et se fait habituellement d’une façon beaucoup plus simple, mais qui n’en sont pas moins d’une très grande importance pour la proposition et la défense de la foi, comme pour l’honneur de l’Eglise.

Envisagée sous cet aspect, cp^ii est le vrai, l’apologétique classique se justifie à un double titre : par ses propres principes, examinés en vue du but qu’il s’agit d’atteindre ; par l’autorité que lui confère l’approbation officielle de l’Eglise. Mais il sera bon de tenir compte ici de la distinction déjà faite entre la double partie dont se compose la démonstration chrétienne.

a) Partie historique.lje problème de l’apologétique est nécessairement subordonné à la notion qu’on a de la foi, de la révélation, de la religion. Qu’on s’arrête à une foi quelconque, par exemple à une foi sentimentale, se réduisant à une vague religiosité ou à une connaissance philosophique de Dieu et des choses religieuses ; cpi’on s’en tienne à une religion purement naturelle, ou à une religion de la vie intérieure sans dogmes à croire ; qu’on ne voie dans la révélation qu’une manifestation de Dieu semblable à celle qui se fait dans le monde sensible par la création et dans l'àme par la voix de la conscience : et l’on concevra évidemment l’apologétique tout autrement qu’un catholique ne doit le faire. Que de l’homme même, de son fond intime germe le sentiment religieux, le besoin religieux et autres affections connexes, rien d'étonnant, puisque la religion est de droit naturel, et que l’homme, dans le même sens, est naturellement religieux. Mais, c|uand il s’agit d’une religion positive et surnaturelle, il en va tout autrement ; car précisément au titre de positive et surnaturelle, une telle religion dépasse les exigences, les aspirations naturelles de l’homme. Pour l’apologiste catholique, il ne s’agit pas de faire accei)ter l’idée d’une religion ou d’une révélation quelconque, d’un transcendant quelconque ; il doit établir que la religion ou révélation judéo-chrétienne, basée sur le surnaturel strict, est la seule vraie, à l’exclusion de toutes les autres religions qui se donnent pour légitimes, donc qu’elle est divine dans son origine et, par suite, dans son autorité. Pour l’apologiste catholique, la foi étant, objectivement, l’ensemble des vérités révélées, c’est-à-dire manifestées par un acte immédiat, positif et spécial

de Dieu, et, suljjectivement, l’adhésion formelle de l’esprit à ces mérités en tant cjue révélées par Dieu (quoi qu’il en soit des autres aspects compatibles, comme d'être l’introduction pratique d’une vérité vivifiante dans notre cœur et dans notre conduite), la preuAC du fait de la réA élation diA ine est le point capital d’où ressort la crédibilité rationnelle de cet ensemble de Aérités et de la religion chrétienne ; et cela pour une double raison : il faut fournir au sujet le propre objet de la foi chrétienne, qui est la A'érité réA-élée ; il faut lui permettre de former un jugement prudentiel sur la crédibilité spéculative et pratique de l’objet cjui est proposé à son adhésion ferme et souvcraine en son genre.

Aussi toute apologétique qui n’aboutit pas au fait concret de la réA'élation divine reste en deçà du but à atteindre ; l’esprit n’est pas mis en contact avcc le Arai motif et l’objet propre de la foi chrétienne. Au contraire, ce fait établi, la crédibilité et le crédentité sont acquises en droit, parce que le caractère rationnel et obligatoire de l’assentiment de foi repose, en dernière analjse, sm* l’autorité de Dieu, maître et A'érité suprême, et sur le rapport de moyen propre en Aiie d’une fin obligatoire, qu’acquiert l’adhésion à la révélation divine. Que, pour se déterminer à vouloir cette adhésion, telle ou telle catégorie d’esprits ait besoin d’autres raisons dans l’ordre affectif, d’accord ; mais, en soi, que manque-t-il alors à une Aolonlé simple, droite et sincère, pour Aouloir ? Eaudra-t-il proclamer bon pour les théologiens, mais non avenu pour les philosophes, ce principe énoncé au concile du Vatican : -( L’homme étant tout entier dépendant de Dieu comme son Créateur et Seigneur, et la raison créée étant absolument sujette de la Aérite incréée, nous sommes tenus de rendre à la révélation divine la pleine soumission de l’intelligence et de la A-olonté par la foi » ? En tout cas, s’il faut une préparation préalable de la Aolonté. pour que le sujet Aeuille, ou même de l’intelligence, pour qu’il puisse Aoir et entendre, ce n’est pas. cette préparation subjectiAC qui, abstraction faite des critères objectifs delà réA'élation, permettra de dire : Dieu a vraiment parlé, et pourra en conséquence dcvenir la base du jugement prudentiel de crédibilité et de crédentité. Tous les efforts que les partisans à outrance de l’apologétique subjectiA’e ou de la primauté du bien sur le Arai ont tentés pour surmonter cette dilhculté ou l'éluder, sont restés stériles ; ils n’ont eu pour effet que d’obscurcir la A-raie notion de l’acte de foi chrétienne et de ses antécédents logiques.

Les mêmes principes expliquent l’importance donnée, dans l’apologétique classique, aux critères ou sigTies distinctifs de la révélation cUa ine. Celle-ci doit être établie comme fait historiqiie, et l’on ne découA-re pas un fait historique par des intuitions intérieures, pai" des aspirations plus ou moins définies. Quand il s’agit d’un fait cjui ne tombe pas sous nos sens, il faut qu’il soit atteste ou par des effets qui noxis permettent de remonter à la cause, ou par des témoins dont la parole, à son tour, soit garantie par des signes divins. Prétendre que l’intelligence et l’acceptation de ces signes comme divins supposent déjà la foi, c’est méconnaître la notion exacte de la foi proprement dite ; elle ne consiste pas à reconnaître l’existence du témoignage dÎAin (c’est là un acte de connaissance rationnelle) mais, ce témoignage étant reconnu, à le prendre librement pour motif et pour règle d’assentiment à la Aérité cpi’on ne A’oit i^as, mais que Dieu affirme. Ce que l’intelligence et l’acceptation du signe diA’in supposent, c’est une foi au sens large, croyance naturelle en un Dieu iiersonnel, tout-puissant, bon et Aéridicpic, avec une certaine dose de confiance en sa ProAÙdence et une franche

disposition à reconnaître sa main, sil y a lieu, dans les elïets préternaturels.

De là Aient encore la gradation établie plus liant entre les divers genres de critères. Si les prophéties, les miracles et autres signes externes tiennent le premier rang dans la tradition couinie dans l’estime des apologistes classiques, c’est qu’on leur attribue, en droit, une plus grande etlicæité et une plus « » rande universalité ; vue dont la justification relève évidemment d’articles spéciaux. Voir Miracle, ProPHKTiE. Si la preiiN c par les critères internes objcctifs ne vient qu’au second rang, c’est que, conqiarée à la précédente ou prise isolément, elle est moins génér.ile, moins objectie et, généralement parlant, moins décisive ; car les diverses propriétés qu’on y considère ne font aboutir ni aussi directement ni aussi facilement à la certitude touchant le caractère non seulement transcendant, nuiis proprement divin de la doctrine qui se donne pour révélée. Pour prendre un exemple, comment parler sans explication, sans restriction, de coïncidence absolue entre la révélation et l'évidence humaine, ou de conformité positive entre les données de la révélation et les postulats ou exigences de notre nature ou de notre raison, quand il s’agit d’une révélation qui porte non pas seulement sur des vérités d’ordre naturel, mais sur des mystères proprement dits ? Entin si les critères internes d’ordre immédiateuu’nt subjectif viennent en dernier lieu, c’est cpi’en réalité ils sont d’une application rare et d’une extrènu' délicatesse ; et même, s’ils valent dans certains cas pour le sujet ipii en bénélicie, ils ne peuvent jamais, en tant qlu' subjectifs. fournir la base d’une apologétique. Phisicurs des elïets que signalent les apologistes protestants, comme « d'être une source de paix et de sanctilication)', pris comme eiTets intimes, sont postérieurs à la foi, et par conséquent, dans les limites où ils existent, ne peuvent servir qu’aux croyants, à titre conlirmatif. L’innnanence de Dieu en nous, très juste en un sens, est insutlisante comme principe d’apologétique ; car cette immanence, d’ailleurs transcendantale par rapport à tout être créé, n’infère nullement une révélation intérieure proprement dite, surnaturelle et dont l’objet tomlje inuuédiatement sous la conscience ou la connaissance de chaque individu. La continuité du plan divin et la loi du progrès indéfini, entendues et appliqiu’es ici en toute rigueur, amèneraient ce que nous avons constaté chez beaucoup de protestants modernes, la confusion de l’ordre naturel et de l’ordre surnaturel, de la ré"élalion virtuelle ou imjjroprement dite et de la révélation formelle ou propreuu’ut dite. L’ap[)étit même du surnaturel, à supposer que nous l'éproin ions avec certitude de son origine divine, nous conduirait tout au plus à la connaissance de Dieu auteur de la grâce et lin surnaturelle, mais n'énoncerait rien de précis sur le contenu de la révélation.

Que l’apologétique classique, prise dans ses grandes lignes, mérite l'épitliète de « traditionnelle » , qu’elle se ratlaciie non seulement aux scolasticpu^s, mais remonte jiiscpi'à 1 âge patristique et au delà, l’aperçu historicpu' donne dans la première partie de cet article le montre sullisamment. En oulre, l’Eglise est là, qui cori’obore de son autorité les données essentielles du procédé. Plus d’une fois eUe a reemliqué la nécessité d’un jugeuuut préalable et certain touchant le fait de la révélation. Parmi hs propositions réprouvées par In.xocknt XI, le 2 mars 1671), la a ingt et unièuu' disait : « L’assentinu’ut de la foi siu-naturelleet salutaire est couq)atible avec une connaissance seulement probable de la révélation, et nu'-nu' avec un sentiment de crainte, de la part du sujet, (pu> Dieu n’ait pas parlé. » Denzinger-Bannwart, Encltiridion,

n. ii^i (io38). PiK IX, dans son encjciique Qui plurihus, du g novembre 1846. a indiqué la raison de cette nécessité : « La raison humaine, pour n'être pas trompée dans une affaire de cette importance, doit examiner avec soin le fait de la révélation divine, alin de rester assurée que Dieu a parlé et pour que sa soumission à la parole divine soit raisonnable, suivant la sage recommandation de l’apôtre. « 

Récemment, le Saint Otlice a condamné cette proposition, la vingt-cinquième du décret Lamentabili : '( L’assentiment de foi repose en dernier lieu sur une accumulation de probabilités. ^4ssenstis fidei ultimo iiinititur in congerie prohabUitatiim » . Proposition fausse ; soit qu’on consiilère l’assentiment de foi eu lui-même, inuuédiatement, car il repose sur l’autorité divine, son motif propre ; soit qu’on le considère médiatement, dans son présupposé rationnel, la connaissance du fait de la révélation, car il doit alors reposer sur un jugeiuent pratique certain. Dans les deux cas, l’adverbe ultimo est le terme important, pour déterminer la portée de la condamnation. Deux exemples, qui touchent de près à des controverses récentes. Dans un passage signalé par Newman, Giummar of Assent, p. li, le théologien catholique Eusèbe Amort prend pour point de départ d’une argumentation antiprotestante la probabilité plus grande dont jouit manifestement la religion catholique (Demoiistratio ciitica religionis catlialicæ préface, Venise, 17/t4)- Mais en même temps il fait intervenir ce principe réflexe : Dieu, dans sa sagesse et sa providence, doit rendre la religion qu’il a révélée manifestement plus croyable que les fausses religions. A l’aide de ce principe réilexe. Amort conclut à la certitude du caractère divin de l’Eglise catholiqiu'. On peut contester la valeur de cette argumentation, mais on ne peut pas dire que ce théologien fonde en dernier lieu l’assentiment de la foi sur une probabilité. Xewman, à son tour, prend pour point de départ, non pas une probabilité plus grande, mais une accumulation de probabilités diverses. Est-ce pour en rester à la notion de prubabilité ? Au contraire, il allirme formellement qu’une vraie certitude du fait de la révélation et du caractère divin de l’Eglise résulte de cet ensemble de preuves ; non pas simple addition de probabilités considérées comme telles, nuiis par une inférence de la raison, basée sur autre chose que la simple probabilité des preuves, prises en elles-mêmes et disjointes. On peut ne pas goi’ilcr le procédé, mais on ne peut pas dire que Nevvman fonde en dernier lieu l’assentiment de foi sur une accumulation de probabilités. — Voir J. J. Toohey, S. J., art. The Granimar of Aasent » and llie uld Pliilosoplir, di s The Irish Theological Quarterly, art. 1907, p. ^71 ss. ; du même, art. ie^vman and Modernisni, 111. ilaus The Tablet. 18 janv. 1908, p. 86 ss.

Plusieurs fois encore, 1 Eglise a maintenu la valeur objective des motifs de crédibilité que rapologétique classique met en première ligne. Le 18 novembre 1 835 et le 8 septembre 18^0. labbé Baltain dut souscrii-e cette proposition : « La preuve de la révélation chrétienne tirée des miracles de Jésus-Christ, sensible et fiappanle pour les témoins oculaires, n’a point perdu sa f(u-ce et son éclat vis-à-vis des générations postérieures. » Denziiiger-Rannwart. n. 161>4 ('^90)- l’i^" I^' dans 1 encyclique citée, fait ajjjnl aux prophéties et aux miracles d ordre pliysicpie et moral, couime preuves de la divinité de la religion chrétienne. C’est dans le même esprit que le concile provincial tenu à Cologne en 1860, et qui préluda en quel<]ue sorte au concile du Vatican, établit, au chapitre v. la nécessité de la connaissance certaine du témoignage divin, la portée et la force probante des motifs de crédibilité,

leur capacité d adaptation (Collectio Lacensis, t. A', p. 2^'j). La doctrine du concile du Vatican, c. m de Fide, nous est déjà connue. A l’encontre du rationalisme proclamant 1 autonomie absolue de la raison et son indépendance à l'égard de toute révélation positive, le concile alïirme d abord le principe fondamental d’où découle loldigation de la foi, à savoir 1 essentielle dépendance de la créature à 1 égard de Dieu Créateur et souverain Seigneur, de la raison créée à l'égard de la raison incréée ; dépendance que Pie IX avait déjà rappelée : « . Qui ignore, en efl’et, que la parole de Dieu mérite une foi entière, et que rien n’est plus conforme à la raison que d’acquiescer et de s attacher avec force à ce qu a sûrement enseigné ce Dieu qui ne peut ni se trouqicr ni tromper ? « Le Concile détermine ensuite solennellement la notion exacte de la foi chrétienne et catholique, principe de salut ; puis il esqxiisse le procédé apologétique suivant la double forme que nous avons vue. Enfin, dans le canon troisième, il réprouve cette assertion agressive de certains protestants : « La révélation divine ne peut être rendue crojable par des signes externes, et, par conséquent, on ne peut être porté à la foi que par une expérience intime et personnelle ou par une inspiration privée. » Depuis lors, Lkox XIII a repris la même doctrine dans lencyclique Aetevni Patris, du 4 août 1879, § Simili modo ratio déclarât, en supposant la légitimité et l’eflicacité normale de la preuve i-ationnelle de la crédibilité suivant la double méthode en usage dans lapologétique classique.

Pourquoi, de la part de l’Eglise, tant d’insistance à maintenir la valeur des critères externes ? La réponse est fournie par la note 16' du schéma préparatoire, dans les actes du concile du Vatican, loc. cit. : « Que l’erreur dont il s’agit soit iileine de périls, c’est chose de soi manifeste. Si Ion rejette ou si l’on dépouille de leur valeur les critères externes dont Dieu a fait comme autant de signes divins pour rendre sa révélation reconnaissable, et qu on ramène tout à « l’expérience intérieure » et au « sentiment intime » , il ne reste plus de moyen sûr pour distinguer la révélation vraie de la fausse. En effet, d’ajjrès les voies ordinaires de la Providence, ce sentiment ne tond)e pas sous l’expérience, sous la raison propre d acte surnaturel ; et, séparé des critères externes, il peut donner prise aux illusions les plus dangereuses. »

Observons toutefois que le concile n’a pas rejeté absolument les critères internes, même d’ordre immédiatement subjectif ; il en a seulement repoussé la nécessité et l’eflicacité exclusive. Rien non plus ne permet d’attribuer aux documents ecclesiastifiues cette signification, que les critères externes aient toujours une valeur immédiatement probante, en toute circonstance et pour tout individu, indépendamment de toute disposition subjective actuelle. Le principe qui se dégage des documents peut se formuler ainsi : On ne peut exclure systématiquement des motifs de crédibilité, Aalables toujours objectivement, et de soi subjectivement, les prophéties, les miracles et autres faits divins du même genre.

b) Partie philosophique du procédé classique. Tout ce qui précède vaut parlicidièrement de la démonstration chrétienne et catholiciue considérée dans sa partie historique ; partie qui seule, rigoureusement I)arlant, appartient directement au rôle positif ou constitutif de l’apologétique, prise comme science des fondements de la foi. Si l’on considère plus spécialement la partie philosophiiiue, dont le rôle est plutôt défensif et, à des degrés ou dans des sens différents, préparatoire, il est nécessaire d’apporter dans l’appréciation beaucoup plus de réserve. Sur ce terrain, tout apologiste fait naturellement usage de sa philosophie ; le scolastique apologète, de la philosophie

scolastique ; tel autre qui n’est pas scolastique, notaniment tel ou tel Père de l’Eglise, d’une autre philosophie. Il y a donc là quelque chose d’accidentel à l’apologétique traditionnelle prise dans toute son amplitude, puisque tout ce que renferme la partie philosophique, possibilité, convenance, nécessité, discernibilité de la révélation, a été soutenu et défendu par des apologistes appartenant à des écoles différentes ; ce qui suppose que, dans ces écoles, on admettait les principes nécessaires et suflisants pour démontrer la divinité de la religion chrétienne et catholique.

Là, cependant, tout contrôle de l’Eglise ne fait pas défaut. D’une façon générale, elle patronne l’apologétique à base scolastique au même titre que la philosophie scolastique elle-même ; de ce chef, il serait étonnant et douloureux de voir des catholiques, préoccupés de respecter l’Eglise et de la servir lilialenienl, dénier à l’apologétique classique, sous sa forme habituelle, la capacité d'étajer la démonstration de la religion siu" des fondements vraiment philosophiques ; une discussion sur ce terrain sort évidemment de notre cadre. D’une façon plus spéciale, l’Eglise a réprouvé les conceptions philosophiques qui ne sauvegardaient pas ou mettaient en péril soit les motifs de crédibilité, soit des vérités d’ordre naturel rentrant dans les préambules de la foi. Telle l’erreur fidéiste ou traditionaliste qui, pour établir l’existence de Dieu et la réalité historique de la révélation, se rabattait sur la foi elle-même ; ce qui faisait de cette dernière un acte aveugle, comme en témoigne du reste cette phrase de Lamknxais : « Il faut que la vérité se donne elle-même à l’honnne… Quand elle se donne, il la reçoit ; voilà tout ce qu’il peut : encore faut-il qu’il la reçoive de confiance, et sans exiger qu’elle montre ses titres ; car il n’est pas même en état de les vérifier. « Pensées diverses, p. 4' ' {OKusres complètes, t. vi, Paris, iSSO-iSS^). Le SaintSiège condamna le sj’stème dans son ensemble, et plus tard exigea des abbés Bautain et Boxxetty ladhésion formelle à plusieurs propositions, dont deux surtout méritent d'être rappelées : « Le raisonnement peut prouvcravec certitude l’existence de Dieu et l’infinité de ses perfections. La foi, don céleste, est postérieure à la révélation ; elle ne peut donc pas être alléguée Ais-à-vis d’un athée en preuve de l’existence de Dieu. — Sur ces questions diverses [existence de Dieu, révélation, résurrection de J.-C, etc.], la raison précède la foi et doit nous y conduire. » Denzinger-Banuvvart, n. 1622, 1626.

Pour défendre plus fortement encore les bases premières de la foi contre le scepticisme et l’agnosticisme, le concile du Vatican jugea opportun d’aflirmer solennellement la puissance de la raison humaine par rapport au présupposé le plus fondamental de la révélation, l’existence de Dieu : « Lfji même sainte Eglise, notre mère, lisons-nous au chapitre 11 de la constitution De fide, tient et enseigne que par la lumière naturelle de la raison humaine, Dieu, principe et fin de toutes choses, peut être connu aA’cc certitude au moyen des choses créées.)i Passage ainsi expliqué dans les Acta, p. 79 : « Cette définition et le canon correspondant ont paru nécessaires, à cause non seulement du traditionalisme, mais de l’erreui' très répandue d’après laquelle l’existence de Dieu ne pourrait être prouvée par aucun argument solide, ni par suite être connue avec certitude par la raison. » Dernièrement enfin, l’un des reproches adressés aux modernistes par Sa Sainteté Pie X, dans l’encyclique Pascendi, concerne les coups que, par leur philosophie agnostique, ils i^ortent à la théologie naturelle, nus. motifs de crédibilité, à la rés'élation extérieure : « Ilis autem positis, quid de naturali theo

logi(J, qiiid de mofWis credibilitatis, qiiid de externa revelatiane fiât, facile quisque perspiciat. »

Ce ({ui résulte de ces documents ecclésiastiques, c’est rinconipatibilité avec une apologétique vraiment chrétienne et catholique, non pas de toute philosophie autre que la scolastique, mais seulement d’une philosophie qui, laissée à ses propres principes, nélablirait pas avec certitude les vérités d’ordre rationnel supposées par la foi, ou qui mettrait en cause soit la valeur prohante des motifs de crédibilité en énéral. soit la possibilité ou l’existence d’une révélation divine externe.

3. Perfectibilité de l’apologétique classique. — Est-ce à dire que le procédé classiqvu' soit la perfection même ? Nullement ; ni d’une façon absolue, ni surtout d’une façon relative, en vue de tels ou tels incrojants. La partie historique recouvre un fonds de preuves solides et qui doit rester ; mais rex[)Ioitation du fonds, la proposition subjective et le choix des arj^uments. la vérilication de la valeur ou du deg-ré de valeur de tel critère en particulier, tout cela et le reste est nécessairement relatif et progressif. A l)lus forte raison en est-il ainsi pour la partie philosophique. Indépendamment d’autres motifs <[u’il serait superllu de développer, deux considérations sont particulièrement instructif es.

La première se tire du caractère que les circonstances donnèrent, dès le début, à la partie philosophique du traité de la Religion. Adjointe à la démonstration proprement dite, pour obéir aux ditlicultés faites par les déistes ou les matérialistes contre l’utilité, l’existence ou la possibilité de la révélation, cette partie eut un caractère défensif ou polémique, sauf de rares exceptions, par exemple chez Pascal qui la conçut plutôt comme une sorte de préparation morale ou alfective du sujet. Or l’attitude <pie Pascal remarquait dans beaucoup d’esprits pliilosophiques de son tenqis, n’a fait que se tlévelopper ensuite, au point de devenir courante au xix' siècle. Il y aurait avantage, en même tenqis que progrès accidentel pour l’ensemble de l’apologétique, à inq)rimer plus profondément encore un caractère de prépai-ation morale à la partie philosophique, et à la rattacher par un lien de plus en plus étroit et intrinsèciue avec la partie historique ou constitutive de la ilémonstration chrétienne.

N’est-ce pas, en réalité, ce que voulait le cardinal Dechauqjs ? Réveiller dans le sujet ces aspirations intiuM’squi sont, par rapport au christianisme, comme une pierre d’attente, pour que de la rencontre du fait intérieur de conscience et du fait extérieur de la révélation divine que l’Eglise présente avec toute l’autorité dont Dieu l’a revêtue, jaillissent la pleine lumière et l’hommage libre et affectueux de la foi subjective.

N’est-ce pas aussi ce que Newman voulait, avant tout, dans le chapitre x de Grammar of.Issent, « sur rinférence et rvssciiliuient en matière religieuse » , où il propose formellement sa méthode apologétiipie '.' Il est disciple de Butler, et non île Paley ; nuiis son opposition au chef de V E’identi(il Scitool n’est pas une opposition de fond, il ne déprécie la valeur ni de l’Iiomme ni de ses preuves, p. 425 ss. ; seulement la voie de ce logicien quasi juriste n’est pas la sienne, celle qu il a parcoui-ue personnellement et qu’il sait être celle de beaucoup d’autres. Psychologue par nature, il lui faut wnv méthode conforme à son tenijuranu-nt. Dans le cas présent, Newman est même un psychologue exerçant tout d’abord son analyse sur d( ; s faits d’expérience personnelle ; ^oil ce qu’il dit, p. 38'( ss., de Végotisine en apologéli(iiU'. Il met à la base de son procédé, non la Théodicée, comme Leibnilz et tant d’autres, mais la religion naturelle,

étudiée dans ce qui lui paraît en être des données principales : Dieu juge, et juge irrité ; sentiment d’un état d’inimitié entre Dieu et nous ; besoin d’expiation et de réconciliation. Ces données, Newman les tire principalement du grand informateur naturel qu est la conscience, mais non pas uniquement, puisqu'à côté il place la voix du genre humain et l’ordre du monde. Prétend-il ainsi prouver d’emblée l’existence de la révélation ou la vérité du christianisme, en vertu d’un rapport immédiat de coïncidence entre les données de la religion naturelle et le contenu de la révélation ? Le contraire est manifeste pour quiconque lit Newman dans son propre texte ; il affirme expressément que ce « système de croyances et de sentiments naturels reste possible indépendamment de la réxélalion, et qu’il ne fait que la préparer » (p. 408). Il y trouve, à la vérité, un critère négatif contre toute forme religieuse qui serait en désaccord avec les données certaines de la religion naturelle. Il aperçoit même dans le prolongement de ces tendances connue une pierre d’attente, comme une anticipation, vague et indéterminée, de la révélation. Surtout il voit dans l'étude de la Religion naturelle une préparation morale des esprits à la recherche même de la foi, p. lib ss. ; préparation si importante à ses yeux, que le principal grief qu’il formule contre Paley est précisément de n’en avoir pas tenu suffisamment compte, p. ^24 ss. Mais rien de tout cela n’est ce dont Newman se sert pour établir positivement l’existence de la révélation et le caractère divin du christianisme. Les preuves qu’il apporte sont traditionnelles ; non pas toutes les preuves classiques, ni même celles que les apologistes de VEvidential.S’cvoo/ mettaient au premier plan, mais plutôt celles qu’on a coutume d’api^eler miracles d’ordre moral : transcendance du christianisme par rapport aux autres religions ; histoire de sa préparalion providentielle dans la révélation mosaïque ; réalisation des prophéties dans sa propre histoire ; sa fondation et sa propagation merveilleuse ; ses eU’ets dans l’ordre moral. Tout cela, pour conclure à nue intervention positive de Dieu, dont on ne peut raisonnaplemenl douter. Le christianisme est un complément de la religion naturelle, mais comme la grâce est un complément de la nature. Voir J. J. Toohey, yewinan and Mudeinisin, IV (The Tablet, ib janv. 1908, p. 122 ss.) Dans un sens moins favorable, et avec des critiques dont quehpies-unes ne sont pas sans foivdement : E. Baldin, La ptiilusopliie de la foi chez AVu / » </ « , 3^' et 4^' ai"t. (Iieue de philosophie, 6°" année, p. 270 ss., 373 ss., Paris, 1906).

L’autre considération, plus générale, se tire de la manière dont la construction apologéticpu' s’est tqiérée et de la savcur spécilicpiement intellectualiste i|u’elle en a conservée. Pendant de longs siècles, rapologétifjue est restée mêlée à la théologie ; seule, la substance s’en trom ait dans les traités de la foi, lie la grâce et de Dieu lin dernière, là où s’agitaient les questions relati es à la nature ou à la genèse île l’acte de foi, à la nécessité de la grâce et d’une révélation, à l’orientation native de notre intelligence et de notre M) ! onté ^ ers Dieu, vérité première et bien supi'ême de l’honnuc. Ouand les circonstances amenèrent la formation d’un traité distinct, la ilécoiq)ure se lit principalement en vue d'éditicr une démonstration rationnelle de la divinité de la religion ou de la révélation ; le fragment ainsi détaché garda naturellement une physionomie intellectualiste. Il y aurait certainement a^ anlage et progrès à réintégrer plus conq)lètement toutes les données du problèuie. Car, si le but immédiat et en quclque sorte inhérent de l’apologétique, entendue au sens restreint, est d'établir par des preuves rationnelles le fait de la révéla2k :

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tion divine dont Jésus-Christ a été Toi-j^anc, et de fonder ainsi la crédibilité objective de la relig : ion chrétienne, l’apologiste-apôtre ne s’en tient évidemment pas à cette visée spéculative ; en établissant de son mieux l’origine divine de la révélation chrétienne, il désire entraîner les esprits et, sous ce rapport, son but à lui. finis uperantis, est de conduire les hommes à la foi. Expression courante et très légitime, à condition seulement que le sens en soit bien fixé et mis en accord avec la notion catholique de l’acte de foi. Voir Mgr Pie, Œinres, t. III, p. 188 ss., Paris, 1887.

A la triple propriété d’adhésion raisonnable, libre et surnaturelle, qui convient à cet acte, réjjond dans le sujet une triple préparation, de nature différente ; intellectuelle, du côté de l’esprit, qui doit adhérer prudemment à la vérité révélée ; affective ou morale, du côté de la volonté, sous l’empire de laquelle l’adhésion de l’esprit s’opère ; surnaturelle, du côté des deux facultés, considérées comme principe complexe de l’acte de foi. Et bien qu’il faille distingiun* ces trois préparations, et que les deux dernières ne rentrent pas au même titre que la première dans le but propre de l’apologétique, c’en est pourtant l’ensemble et l’union qui donnent la synthèse intégrale du problème. Comme adhésion surnaturelle, l’acte de foi dépend immédiatement de Dieu, qui confère à l’intelligence l’illumination et à la volonté la motion qui leur sont absolument nécessaires pour adhérer comme il faut, ut opuitet, à l’objet révélé. Comme adhésion libre, l’acte relève immédiatement de la Aolonté personnelle du sujet, laquelle, mise en face de l’obligation de croire, avec l’alternative du bien ou du mal qui en résulte, peut rendre ou refuser à Dieu Ihommage de son adhésion. L’apologiste ne peut donc pas se proposer de conduire 1 homme à la foi immédiatement ; en ce sens, il ne peut pas résoudre lui-même pour un autre la question pratif{ue et subjective du credo : entre le terme extrême où il peut amener le sujet et l’assentiment réel, il y aura toujours, de la part de Dieu, la préparation directe de l’intelligence et de la volonté, et, de la part de l’homme, la détermination positive du libre arbitre.

Mais cette détermination peut et doit être provoquée indirectement, et là intervient le rôle intégral de l’apologiste, cpii s'énonce ainsi : Conduire le sujet au point où l’acte de foi lui aiiparaît comme obligatoire, sous peine d’inconséquence et de résistance à la vérité connue ; seconder de tout son pouvoir la détermination ultime de la volonté. Or, il est évident « |u'à ce double point de vue, la préparation morale ou affective est d’une importance capitale : directement d’abord, à cause du rôle prépondérant qui revient à la volonté dans l’acceiitation de l’obligation morale, formulée par le jugement de crédentité, et, par suite, dans la détermination ultime à l’assentiment actuel de foi ; luiis, indirectement, à cause de l’influence que la volonté, bien ou mal disposée, exerce sur l’intelligence elle-même en vue de l’acceptation ou du rejet des preuves qui fondent le jugement de crédibilité. Inutile d’amplifier ce qui, depuis quelque temps, est devenu lieu commun en apologétique : rinfluence des dispositions habituelles du sujet sur son attitiule à l'égard des biens de l’ordre moral et religieux en général, de l’ordre surnaturel en particulier. « La lumière est venue dans le monde, et les hommes ont préféré les ténèbres à la lumière, parce que leurs œuvres étaient mauvaises ; car, quiconcpie fait le mal, hait la lumière et la fuit, de i^eur fju’elle ne lui découvre ses œuvres. » (Joa., iii, ig-20.) L idée, en ce qu’elle a de juste et de fécond, n’est nullement contraire à l’apologétique traditionnelle,

étudiée dans les docteurs de l’Eglise et ses grands théologiens. Toujours ils ont connu et admis l’influence de la volonté dans l’acte de foi et sa préparation, prochaine ou éloignée, bien que, suivant leur tempérament philosophique ou moral, lisaient insisté davantage, les uns sur le côté intellectuel, les autres sur le côté afïectif. Qui voudra s'édifier sur ce point, n’aura qu'à lire les trois Aolumes, composés d ailleurs dans un esprit tendancieux, de l’abbé J. Martin sur L Apologétique traditionnelle.

Quelle conséquence tirer de ces observations ? Faudra-t-il faire de la partie philosophique de l’apologétique une préparation subjective qui soit immédiatement valable pour toutes les catégories d’incroyants ? La prétention serait chimérique ; une œuvre de ce geni’c nécessite des disciplines, intellectuelles ou morales, complémentaires et diverses suivant l'état des esprits qu’on Acut atteindre. Mais rien ne s’oppose à ce que cette jiartie revête un caractère plus positif que polémique ; à ce que son rôle soit plus préparatoire que défensif ; à ce que toute l’orientation (lu traité apologétique tende à la formation non seulement intellectuelle mais morale des esprits ; à ce que, dans ce but, l’apologiste ne perde jamais de vue la relation intime de la volonté, de la bonne volonté, avec l’acte de foi, mais sache faire la juste part à toutes les facultés de l’homme, pour lui présenter enfin le surnaturel, la révélation, la foi comme quelque chose de bon pour lui, qui le perfectionne, qui réponde à une indigence et qui remédie à une impuissance dont il ait conscience ; sans tomber pour cela dans une sorte de fidéisme latent ou de mysticisme nébuleux.

Rien ne s’oppose enfin à ce que, à côté d’une apologétique intégrale de la religion chrétienne, apologétique qui ne peut rester totalement en dehors du terrain historique, il y ait des apologies et des apologétiques partielles ou relatives, par exemple des apologies (ou des philosophies) du sentiment religieux, de la croyance, de la bonne foi, de la sincérité dans la recherche de la vérité, et même une apologétique qui, dans la défense ou la proposition de la foi, se maintienne sur un terrain spécifiquement et purement philosophique. Manifestement impropre à poser intégralement les fondements rationnels d’un acte de foi, une apologéticjue de ce genre peut cependant avoir son utilité relative. Elle peut l’avoir ad hominem, quand il s’agit d’esprits inaccessibles à d’autres procédés. Elle peut l’avoir, absolument parlant, dans l’ordre même où elle se trouve, pour mener le sujet jusqu'à un certain point de disposition intellectuelle et morale où il deviendra sensible aux preuves, ou du moins à quelque preuve de la religion ; car une seule sutrit, et la preuve eflicace en fait n’est pas toujours la plus efficace en droit.

V. Délimitation et caractère scientifique de l’apologétique. — On a reproché aux apologistes récents des mœurs annexionistes et encyclopédistes, tendant à faire de l’apologéticpie une sorte de « pantologie » . Il importe d’autant plus d'éviter cet écueil que, pour pouvoir attribuer à l’apologétique un caractère réellement autonome et scientifique, il est nécessaire de lui conserver strictement sa raison de doctrine spécifi({uement distincte et de la pure philosophie et de la théologie proprement dite.

I. Délimitation du clianip apologétique. — Comme dans toute science, il faut partir de. l’objet propre de l’apologétique. Celui-ci étant, d’après ce qui a été dit, la crédii>ilité rationnelle de la religion chrétienne et catholique, ou la démonstration du fait de la révélation di ine apportée au monde et confiée à l’Eglise par Jésus-Christ, tout ce qui se rapporte à cet objet, APOLOGÉTIQUE. APOLOGIE

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non pas indirectement et de loin, mais directement tt de près, rentre dans le champ normal de l’apolojiétique : d’une façon positive, les preuves qui forment la partie constitutive de la démonstration, avec Irurs supports et leurs annexes ; d’une façon néjrative, la défense de ces preuves contre les attacjues qui les saperaient par la base ou les inflrmeraient directement.

L’application est, en beaucoup de cas, facile. Dans la partie philosophique du traité, tout ce qui concerne la notion de révélation, sa possibilité, sa convenance, sa nécessité morale ou hypothétique, sa discernibililé, s impose, non seulement à titre défensif contre les adversaires de toute religion révélée, mais encore à titre de préparation positive des esprits à la démonstration proprement dite. Et parce que la notion de révélation, considérée pratiquement et dans le cas nièine dont il s’agit, est intimement dépendante de la notion de religion, il semble très utile, sinon indispensable, de partir de cette dernière notion, non pour introduire un traité de la religion naturelle, qui ne serait pas à sa place, mais pour signaler les rapports <[ui existent entre la religion purement naturelle et la religion surnaturelle basée sur la révélation divine, cl aussi pour proliter de l’appoint appréciable que peut fournir, sous le rapport de la préparation intellectuelle et morale des esprits, l'étude du fait religieux. A la philosophie appartiennent les autres vérités nécessairement supposées par l’idée de révélation, mais qui. n’ayant pas avec l’ordre de preuves propre à l’apologétique un rapport direct et en quelque sorte inhérent, rentrent dans la catégorie de préaud)ules éloignés ; telles, l’existence de Dieu, sa personnalité, sa toute-puissance, sa science absolue, sa véracité, sa Providence. Ce qui n’empêche pas qu'à une époque donnée, un besoin général des esprits ne puisse conseiller à l’apologiste de toucher ces vérités comme une préface utile, en les ordonnant à la linalité propre de l’apologétique.

Dans la partie historique du traité, on va droit au but par la vérilîcation et l’application des critères qui montrent en Jésus-Christ l’envoyé divin. De C/irisio Ic^ato du’ino, et en l’Eglise son porte-voix. Mais la constitution spécifique et hiérarchique de l’Eglise, la ]irimauté pontificale dans toute sa plénitude, l’autorité des congrégations romaines, et beaucoup d’autres questions de nos traités actuels de l’Eglise, relèvent tlu développement théologiqiu Qiu* dire de la divinité de Jésus-(^hrist ? Nombre d’auteurs l'établissent dans le De vera religiune, réserve faite de l’union hypostaticjue ; il seud>le cependant que la question appailienne proprcment à la tliéologie, bien qu’elle soit amorcée en apologétiqiude plusieurs manières, par la transcendance du Christ, par les titres extraordinaires qu’il s’attribue, par le caractère normatif de la religion parfaite et définitive, qu’il attache à son enseignement, par son rôle de rédenqiteiir ; car tout cela est sunisamment contenu dans ce que l’apol()giste utibse des Ecritures. I/autoi’ité liistorir|ue des Exangihs rentre rigoureusement dans l’inlroduclion aux saints livres ; mais, dans les circonstances acliu-Ih’s, comment l’apohigète avancerait-il et répondrait-il aux objecti()iis graves fpie, de ce côté, il rencontrera cf)ntinuellement sur son chemin, si la question est totalement présupposée ? Par exemple, sur quel terrain se placent la plupart du tenqis les achersaires, jjour attaipier la prétention du christianisme au caractère de religion surnaturelle dans son objet et divine dans son origine ? Une méthode trop ex(lusie, en ce point (romme en d’autres, mènerait infailliblement à une conception du cliristianisuu' trop sjjéculative, trop abstraite, et exposerait à rencontrer ailleurs les dillicultés <iu’on

penserait éviter au début. Supposons, par exemple, des esprits préoccupés de dillicultés critiques, exégétiques, historiques, en face de la démonstration simple du catholicisme, telle qu’elle est proposée par le cardinal Dechamps. Quelle que soit rexcellence intrinsèque et le côté avantageux de cette méthode, le fait dis' in de l’Eglise, présentée ainsi sans point d’attache aux documents qui la relient au Christ son fondateur, s’imposera-t-il sullisaniment aux esprits de cette trempe ?

Le traité De locis theologicis, comprenant l’Ecriture sainte et la Tradition, est proprement théologique, car il a pour objet la révélation divine, en tant que contenue dans ces deux sources ; l’apologétique est donc supposée déjà, et sa tâche accomplie, puisque le fait de la révélation divine est accjuis. On trouve assez couraniment, il est vrai, ce traité avec le De sera religione, sous le titre général de Theologia fundamentalis ou Institutiones propædeuticae ad sacram theolugiain ; mais cet usage peut s’expliquer sans qu’il y ait nécessairement confusion tl’objet formel entre l’apologétique entendue au sens spécifique et le traité des lieux théologiques. Des deux côtés, il y a fondement par rapport à la théologie ; seulement l’Ecriture sainte et la Tradition sont fondement intrinsèque, appartenant à la théologie par leur objet propre ; l’apologétlipie n’est qu fondement extrinsèque, comme serait un support qui remplirait ce rôle sans apjiartenir proprement à l'édifice soutenu. De même encore, rapologétique et le traité des lieux théologicques peuvent se donner comme des introductions à la théologie, dans un sens analogique : l’apologétique, comme introduction préalable qui mène à la porte de la théologie, qu’elle nous montre en cquelque sorte en prouvant la réalité de son objet ; l’Ecriture sainte et la Tradition, comme introduction méthodologiqiie, à l’intérieur même de la science sacrée, en tant qu’on peut les assimiler à un traité de logique théologique.

Remarquons enfin qu’une distinction s’impose entre nn cours De religione qui s’insère organiquement dans un corps complet d’enseignement philosophico-théologique, où les parties qui conqiosent le tout ont une dépendance nmtuelle, et un traité d’apologétique séparé et comme autonome, où l’auteur doit se proposer de répondre de son mieux aux besoins et aux préoccupations des esprits auxquels il s’adresse. Dans le premier cas, ce qui n’est pas dans la section, apologétique, peut se retrouver ailleurs, avant ou après ; il en va tout autrement dans le second cas.

2. L’apologétique est-elle proprement science ? — Problème secondaire et qui n’a d’application que dans l’hypothèse où l’on admet l’apologétique au sens restreint, comme doctrine spécifiquement distincte de la I)ure philosophie et de la théologie proprement dite, ayant son objet propre et bien délimité.

Ainsi conqirise, la question ne se pose même pas pour toute la période antérieure au xviii" siècle, où l’apologétique nous est apparue comme englobée dans d’autres traités. Cette iliseipline ne jouit évidemuient alors d’aucune autonomie ; elle est plutôt un art ou un instrument de défense au service d’une science dont elle dépend. une fonction de la théologie enquuntant çà et là les éléments qui lui sont nécessaires pour défendre ses propres fondements, les jtrineipes de la foi. C’est la conception d’une théologie apologélique, non pasausensgénéral oùcctte épithète s’appli(pu- à la théologie quand elle venge dans le détail les doguu’s révélés, mais au sens plus restreint d’une défense orientée au même but que celui de l’apologétique spéciliquement telle. Conception légitime, et dont l’innuence se fait plus ou moins sentir en

toute apologétique construite par un théologien. Le théologien n’argumente pas pour trouver, mais pour prouver la vérité de la foi à ceux qui n’y croient pas. Tout se passe, en réalité, sous le rapport de la linalité et de la coordination des preuves, comme s’il y avait science distincte ; car tout converge vers le but spécKîque de l’apologétique, établir la crédibilité rationnelle de la religion chrétienne et catholique.

Pour être théologique dans son principe et dans sa tendance, une apologétique de ce genre ne perd rien, mais gagne plutôt en étendue et en fermeté. Dans ce domaine d’adoption, comme dans son domaine propre, le théologien peut utiliser, en les reliant par l’unité logique de l’objet formel et du but linal, non seulement les arguments démonstratifs du fait de la révélation, mais beaucoup d’autres arguments dont on ne peut dire qu’ils aient une valeur probante absolue, c’est-à-dire propre à convaincre toiite sorte d’esprits. Xon que la théologie apologéticiue puisse, comme instrument ou fonction de la théologie dogmatique, conférer à ces arguments une valeur qu’ils n’auraient pas objectivement, mais parce que le théologien connaît d’avance la réalité du terme qu’il poursuit et l’aptitude effective qu’ont ces arguments secondaires pour amener tels ou tels sujets à la certitude relatn’e du fait de la révélation ; certitude relative ou respective, qui repose siu' des motifs intellectuels proportionnés seulement aux esprits peu développés, mais qui suffit encore, de l’avis du plus grand nombre, pour étajer le jugement pratique de crédibilité, étant données surtout les suppléances d’ordre subjectif qui, la grâce de Dieu aidant, peuvent concourir au même résultat. Voir, sur ce sujet, les récentes réflexions de deux éminents théologiens : S. Harent, art. « Croyance >, dans le iJict. de théol. caili., t. III, col, 2880 ss. ; J. Y. Baixvel, dans la Revue prat. d’apolog., i'"' mai 1908, p. 168 ss. Aussi, dans le traité de la foi où la question de la crédibilité de la doctrine chrétienne se présentait à eux, les théologiens scolastiques avaient-ils coutume de proposer des séries d’arguments apologétiques, positifs ou défensifs, conti-e des classes déterminées d’adversaires, juifs, païens, musulmans, plus tard protestants ; sortes de lieux apologétiques, où se groupaient des matériaux d’inégale valeur. De tout cela, le théologien ou l’apologète dialecticien devait s’ingénier à tirer le meilleur parti possible ad hominem : et il pouvait utiliser ces matériaux avec d’autant plus de conliance, que l’expérience était là pour lui apprendre que, dans certaines conditions de disposition intellectuelle ou morale, les arguments qui enlèvent la conviction ne sont pas toujours ceux dont la valeur objective semble prépondérante. Sous ce rapport, le présent est bien la répétition dupasse ; l’apologète théologien pourra donc user des mêmes procédés, en s’aidant, comme jadis, d’une forte dialectique et en ajoutant l’appoint d’une méthodologie pratique mieux raisonnée et plus stricte.

Si de la conception ancienne de l’apologétique, nous passons à la moderne, qui s’est formée après que les traités De Beligione et De Ecclesia eurent été séparés du traité théologique de la foi ; si nous considérons l’apologétique comme une série de thèses ou de conclusions organisées en vue d'établir la crédibilité de la religion chrétienne, alors le problème du caractère scientitîque de l’apologétique se pose, et il se pose plus facilement qu’il ne se résout. La dilTiculté vient moins encore de l’objet que de la diversité des délînitions qui se donnent de la science. Divergence, sous ce rapport, entre les anciens et les modernes ; entre les modernes eux-mêmes, divergence non moins grande. En appelant science, d’une façon générale, un ensemble de propositions ou de vérités I

formant une doctrine coordonnée logiquement et solidement prouvée, il semble qu’on peut soutenir ou qu’on doit abandonner le caractère scientifique de la démonstration chrétienne, suivant qu’on entend plus ou moins rigoureusement la notion de preuve scientifique.

Si, avec les modernes, on pose comme condition nécessaire l’absolue liaison entre les pensées ou les propositions ; si l’on veut une démonstration quasi métaphysique, excluant tout doute possible, comment trouver dans les preuves utilisées en apologétique une telle Aaleur ? Le prophète ou l’apùtre qui reçoit immédiatement la révélation, peut avoir l'évidence immédiate du fait ; mais quand il s’agit des autres qui la reçoivent par lintermédiaire d’organes divers, avec transmission de témoignages appuyés sur des signes qui n’ont en eux-mêmes rien d’irrésistible, la condition est manifestement dift'érente. Reste la conception ancienne : si l’on se contente d’une cohésion interne, suffisante et relativement nécessaire ; si l’on se contente de déductions, fondées sur de bonnes raisons, qui donnent à l’esprit une assurance reposée, excluant le doute raisonnable et pratique, poui’quoi l’apologétique ne donnerait-elle pas une démonstration scientifique, ne fût-ce qu’en un sens large et relatif ? Car, à coté de 1 évidence immédiate et nécessitante, il y a place pour la certitude simple. Si la volonté doit alors intervenir, ce n’est pas pour suppléer à la valeur objective des raisons ; son influence ne se rapporte qu'à l’adhésion intellectuelle, considérée d’abord dans ses antécédents psychologiques, préparation du sujet, considération de l’objet, etc., puis dans l’exercice même de l’acte, lequel, en l’absence d évidence immédiate et nécessitante, reste contingent. Une adhésion de ce genre n’est pas un acte de foi ; c’est un acte rationnel, et un acte en parfaite harmonie avec l’ordre de vérités dont il s’agit et la nature de lassentiment de foi.

Deux points sin-tout pourraient faire difficulté : le manque de coordination logique et le manque d’eflicacité démonstrative des preuves utilisées en apologétique. La première difficulté semble grande, à première vue, à cause de l’hétérogénéité manifeste des éléments que l’apologiste doit emplojer : principes rationnels, faits d’expérience, témoignages et documents, etc. ; ou des sciences dont le concours lui est nécessaire : philosophie, exégèse, histoire, sciences physiques, etc. De ce chef, assurément, il faut conclure à l’impossibilité d’une apologétique intégrale qui serait purement philosophique, ou purement historique, ou purement scientifique, en opposant ce terme aux deux autres. L’apologétique intégrale est nécessairement une science complexe ; mais elle n’en est pas moins uniflée par son objet formel, la crédibilité du dogme catholique ; par là toutes les preuves et toutes les données se coordonnent logiquement et tendent à un même but.

L’autre difficulté soulève d’abord une question préalable : n’y aurait-il pas obstacle, du côté de l’acte de foi, à l’hypothèse d’une démonstration scientiflque ? La foi a pour objet le concret et le singulier, tandis que la science a pour objet l’universel et l’abstrait. La liberté même de l’acte de foi ne serait-elle pas compromise par l’efficacité démonstrative des preuves ? La réponse se trouve dans la doctrine donnée plus haut touchant le vrai rôle de l’apologétique ; elle n’a pas pour objet propre et immédiat l’acte de foi, qui relève effectivement et directement du libre arbitre, mais la crédibilité, cette propriété inhérente logiquement et comnuxne aux objets proposés à l’assentiment de foi, et qui leur vient du fait dûment constaté de la révélation divine. Ainsi entendue, l’apologétique a pour objet l’universel et

l’abstrait ; elle ne suppose ni démonstration intrinsèque lies vérités révélées, ni nécessité physique ou logique de l’assentiment de foi, puisque celle-ci atteint son objet sous un motif différent, l’autorité de Dieu prise directement pour règle unique et suprême de l’assentiment. Qu’il y ait préalablement connaissance certaine du" fait de la révélation, l’assentiment de foi n’en reste pas moins contingent ; l'évidence même, à supposer qu’elle existât dans un cas donné, entraînerait, il est vrai, nécessairement un certain assentiment de l’esprit, mais ce ne serait pas l’assentiment de foi chrétienne.

Rien ne s’oppose donc a priuri à ce que les preuves utilisées en apologétique puissent être douées d’une eflicacité démonstrative. En réalité, qu’en est-il'? Sur le terrain philosophique, l’apologétique se trouve dans les mêmes conditions que la raison humaine prouvant l’existence d’un Dieu personnel, avec ses divers attributs, et déduisant de ces données primitives les conséquences relatives à la possibilité d’une révélation, à sa nécessité hypothétique et aux conditions qu’elle devra réaliser pour se faire reconnaître des hommes. Rien d’incoiupatilde avec l’idée d’une preuve vraiment décisive. Sur le terrain historique, tout se ramène tinalement aux motifs de crédibilité, qui établissent le fait du témoignag-e divin, appliqué soit à la révélation chrétienne en général, soit au magistère de l’Eglise catholique en particvdier. De ces motifs il en est, à la vérité, un certain nombre qui, pris en eux-mêmes, ne sont pas décisifs, on l’a déjà vu. D’autres fois, les preuves de la révélation ou ne sont pas telles, ou ne sont pas proposées de telle sorte qu’elles soient régulièrement capables de produire une certitude al)Solue ; c’est le cas courant de la foi des simples, où les motifsde crédibilité sont proportionnés à la portée de leurs esprits et ne mènent qu'à une certitude relative, d’ailleurs sullisante, du fait de la révélation ou du magistère divin de l’Eglise. Il n’est évidemment pas question alors de démonstration scientifique.

Mais la certitude absolue au sens indiqué ci-dessus, ne iieut-elle pas résulter de quelques preuves, présentées dans toute leur ampleur et leur ellicacité, en particulier des preuves mises au premier rang dans l’apologétique classique, celles qui se tirent des prophéties, des miracles et autres faits divins du même genre ? Tel est bien l’avis commun des tenants de cette apologétique, et telle est aussi, semble-t-il, la pensée des Pères du concile du Vatican, quand ils appellent ces critères externes des signes très certains, en mêuie temps qu’appropriés à l’intelligence de tous, et qu’ils voient dans le grand et perpétuel motif de crédibilité qu’est l’Eglise catholique, considérée dans son histoire et dans son action, un témoignage irréfragable de sa mission divine.

L’apologétique ne mérite, même au sens large, le titre de science que dans les limites et sous le rapport où elle peut fournir des preuves d’une valeur absolue, logiquement reliées entre elles et avec leur objet ; mais dès qu’on la suppose constituée en doctrine distincte et autonome, il en est d’elle connue de toute autre science, i>ar exeuq)le la tliéologie, qui poursuit la lolalité de son ol>jet par voie non seulement de démonstration rigoureuse, mais de siuq)le preuve. L’apologétique, envisagée de la sorte, n’est donc pas moins apte qtu ; la tliéologie apologétique à grouper sous un même objet formel et en vue d’un même but les preuves d’inégale valeur qui concernent le fait de la révélation. Si le théologien a sa science propre pour l'éclairer, rajjologète a sa foi ; car l’apologèle de profession est nécessairement un croyant. Croyant, il connaît d’avance, couiine le théologien, la réaUté du tenue qu’il poursuit, et l’aiJlilude sulli sante, que peuvent posséder, en dehors même d’une valeur absolue, certains arguments, pour amener au jugement j>ratlque de crédibilité.

Bibliographie. — i. Apologétiques en latin. — D’abord, les traités De vera lieligione et De Ecclesia, qui font partie des cours complets de théologie : Liebermann, IvnoU, Perrone, Kenrick, Hurter, Tepe, G. Peseh, A. Tanquerey, et.auti-es. Puis, un certain nombre de traités séparés : M. Hagen, IJemonstratio religionis christianae catliolicæ Augsbourg, 1831 ; J. Schwetz, Tlieologia fundainentalis seu generalis, Vienne, 1850 ; R. Cercla, S. J., Demonstratio catholica sive tractafus de Ecvlesia vera Christi et de Romano Ponti/ice, Xaples, iS^g ; Murray, De Ecclesia Christi, Londres, 1860 ; F. H. Reinerding, Tlieologiae fundamentalis tractatus duo, Munster, 186^ ; Gatti, O. P., Institutiones apologetico-polemicae de veritate ac di’initate religionis et Ecclesiue catliolicae. Rome, 186C-1867 ; Brugère, De vera Religione, De Ecclesia Christi, Paris, 1878 ; G. M. Janssens^ Prælectiones theologiae fundanientalis, Utrecht, 1875-1876 : J. Stadler. Theologia fundanientalis, Agram, 1880 ; C. Mazzella, S. 3., Prælectiones scholaslico-dogntaticae de Religione et de Ecclesia, 2e éd., Rome, 1880 ; T. M. Zigliara, O. P., Propædeutica ad sacrum theologiani in usiini scholarum seu tractatus de ordine supernaturali, ]oinc, 188/{ ; J. V. de Groot, O. P., Suninia apologetica de Ecclesia catholica ad menteni.S. Tlioniae Jquinatis, Ratisbonne, 1890 ; F. Egger, Enchiridion theologiae dogniaticae generalis, Brixen, 18g3 ; G. Wilmers, S. J., De Religione res’clata lihri quinque : De Christi Ecclesia libri sex, Ratisbonne, 1897 ; L Ottiger, S. J., Theologia fundanientalis. Tome I, De revelatione supernaturali, Fribourg, 189-.

2. Apologétiques en langue vulgaire. — A. Berlage, Apologelik der Kirche, oder Begriindang der Gottlichkeit des Christenthuins, Munster, 1834 ; J. S. von Drey, Die Apologetik uls ivissenschaftliche ?>'achweisuug der Gottlichkeit des Christentunis in seiner Ercheiniing, Mayence, 1838-1848, ouvrage de bonne initiative, malgré la tendance à trop donner aux vues personnelles ; J. B. Boone, S. J., Manuel de rapologiste, iru-s.cllvs, iSbo-1801 ; J.Friedlioff, Griindriss der katholischen Apologetik, Munster, 1854 ; Denzinger, Vier Biicher von der religiosen Erkenntniss, Wurtzbourg, 1856-1857 ; J. B. Heinrieh, Die Be^^eise fiir die U’ahrheit and IS’othwendigkeit des Christenthunis und der Kirche, Mayence, 1863 ; J. Sprinzl, Ilandbuch der fundamentaltheologie als Grundlegung der kirchlichen Théologie von religions philosophischen Standpunk te bearbeitet, Vienne, 1876 ; F. Heltinger, /.ehrbiich der Fundamental-Theologie oder Apologetik. Fribourg, 1879, trad. fse par l’abbé P. Lîélet, Paris, 1888 ; H. Wedever, Grundriss der Apologetik fiir obère Klassen hoherer Lehranslalten und fitr gebildele l.aien. Fribourg. 1880 ; ^V. Devivier, S. J., Cours d’apologétique chrétienne. Paris, 1884 ; JBautz, Grundziige der christlichen Apologetik, Mayence, 1887 ; C. Gutberlet, Lehrbuch der Apologetik, Munster, 1888 ; P. Ilake, Kutolische Apologetik fiir Gijninasialprima. Fribourg, 1890 ; J. Didiot. Logique surnaturelle objective, Lille, 1892 ; A. Schill, Principienlehre. I.ehrbuch der Apologetik, Paderborn, iSgS ; A. Slockl, Lehrbuch der Apologie. Mayence, 1895 ; Al.von ^chnùd, Apologetik als spéculative Grundlegung der Théologie, Fribourg, 1900 ; C. Labeyrie, La science de la foi, La ChaI)elle-Montligeon, 1908 ; S. AVeber, Christliche Apoô'2

logeiik in Grundziigen fiir Studiereiide, Fribourg, 1907 ; A. Moulard et F. Vincent, Apologétique clirétienne, Paris, 1906 ; 5'^ éd., 1908. — Voir, eu outre, Ottiger, ouy. cité, p. 30 ss. ; Kihn, oin cité, p. 404 ss.

3. Etudes diverses. — G. Fonsegrive, La science, la croyaiue et V apologétique, dans La Quinzaine, Paris, i" janv. 1897 ; M. B. Sebwalm, O. P., L’apologétique contemporaine doit-elle adopter une méthode nous-elle ? La crise de l’apologétique, articles dans la Revue thomiste, mars, mai, juillet 1897 ; X. M. Le Baclielet, S. J., De l’apologétique traditionnelle et de l’apologétique moderne, Parir^, 1897 ; P. Scbanz, L’eber neue Versuche der Apologetik gegeniiber dem jSaturalism und Spirilualismus. Ratisbonne, 1897 ; J. V. Bainvel, L.a foi et l’acte de foi, Paris, 2' éd., 1907 ; A. de la Barre, S. J., liapport sur l’Apologétique (Congrès bibliograpbique international, tenu à Paris du 13 au 16 avril 1898 ; extrait du Conij3te rendu), Paris, 1899 ; Mgr Mignot, Lettre sur l’apologétique contemporaine, Albi, 1900 ; abbé de Broglie. Les conditions modernes de l’accord entre la foi et la raison, Paris. 1902 ; Les relations entre la foi et la railson, 1903 ; Cban. Gombault, Le Problème apologétique, série d’articles dans la Scie ?ice catholique, Arras, 1902-1903 ; A. de Poulpiquet, O. P., Quelle est la valeur de l’apologétique interne ? dans la Bévue des sciences philosophiques et théologiques, juillet 1907 ; A. Homsclieid, Die inneren und qussere Kriterien des Christenthums : ihr Verhaltniss und ihre Beweiskraft. dans Der Katholik, de Majence, fasc. 4, 1908 ; A. Gardeil, O. P., La Crédibilité et l’Apologétique, Paris, 1908. Sur ce dernier ouvrage, voir J. V. Bainvel, Un essai de .ystépiatisation apologétique, dans la lievue pratique d’Apologétique. Paris, 1° mai et i*" juin 1908, et la réponse du 11. P. Gardeil, ibid., i^'et lô novembre 1908.

Pour la littérature relative à l’apologétique de l’iMMAXENCE, voir cc mot.

X. M. Le Bacuklet, S. J.