Dictionnaire apologétique de la foi catholique/Ange

Dictionnaire apologétique de la foi catholique
Texte établi par Adhémar d’AlèsG. Beauchesne (Tome 1 – de « Agnosticisme » à « Fin du monde »p. 70-72).
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ANGE. — Sous ce nom, qui signifie littéralement r/nove, la Bible et la tradition chrétienne désignent des esprits qui sont les messagers de Dieu.

I. Doctrine chrétienne sur les anges- — Les anges sont de purs esprits, c’est-à-dire des êtres qui sont tout intelligence et tout volonté, sans coordination et sans union normale à des corps, matériels ou éthérés. Ils ont été créés pai" Dieu en même temps, selon toute probabilité, que les éléments du inonde physique, et sont divisés en plusieurs ordres dont les 125

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noms sont consignés en divers livres des saintes Ecritures : les séraphins (Is., vi, 2 et ss.), les chérubins (Gen., III, 24. — Ex., xxv, 18 et ss. — Ps. xviii, 11. — Ezech., i, 5 et ss. Cf. xi, i et ss.), les trônes, les principautés, les puissances, les vertus, les dominations, les archanges et les anges (Ephes., i, 21. — Coloss., i, 15 et s.). Le nombre des ordres angéliques n’est pas alisolument certain, parce qu il n y a pas accord parlait parmi les témoins de la tradition (Ilieron, In Epist. ad Ephes., c. i. P. L. XXVI, 46 1. — Aug. Enarr. In Ps., P. Z.. XXXVII, 1269 et s.) ; toutefois la théorie des neuf chœurs est la plus probable. Elle apparaît dans saint Ambroise, Apologia prophetæ David, V. 20, P. L., XIV, 859 (écrit vers l’an 385).

Ces esprits reçurent de Dieu le don de la g-ràce sanctifiante et furent soumis à une éjn-euve ; un grand nombre d’entre eux se révoltèrent contre les dispositions divines et tombèrent avec leur chef qui était le premier et le plus beau des anges (Is., xiv, 12-15. — Ezech., xxviii, 2 et 7. — Matth., xii. 24 et ss. — Apec., XII, 7-10). Le péché des mauvais anges fut donc un péché d’orgueil (Athanas., Oral, de Virginit. P. G. XXVIII, 257.— Hieron., /M Ezechiel. P. L. XXV, 154) ; ces mauvais anges sont devenus les démons non par une métamorphose de leur nature, mais par leur aversion radicale et définitive pour le bien ; ils sont confirmés dans le mal en ce sens qu’ils sont désormais hors de l’état dépreuve et qu’ils n’ont plus la grâce pour se convertir. Ils sont répandus en grand nombre dans l’atmosphère, et n’ayant point perdu les dons naturels dont ils étaient ornés, ils exercent une influence désastreuse sur les hommes qu’ils s’efforcent de perdre par les tentations dont ils les assaillent, comme ils ont perdu nos preiniers parents, ou même par l’obsession et la possession (voir ce mot).

En récompense de leur fidélité, les bons anges ont été élevés à la vision béatifique (Matth., xviii, 10). Tous peuvent être chargés par Dieu de missions (Hebr., i, 14) dont nous rencontrons de nombreux exemples dans l’Ecriture. Ces bons anges sont impeccables, parce qu’ils sont confirmés dans le bien et qu ils voient Dieu. Ils peuvent certainement se communiquer entre eux leurs pensées, bien que le moyen dont ils se servent pour cela ne nous ait pas été révélé. Chaque homme reçoit à sa naissance un ange gardien qui s eflorce de le préserver de tout mal, surtout spirituel, et de le conduire au salut (Justin., Apolog. Il, n. 5. P. G. VI, 452. — Hilar., fn Ps. cxxxiv. P. L. IX, 761. — Thom., Summ. theol., p. i, q. no, a. 1). Ils président aux destinées des royaumes (Dan., X, 13, 20, 21, — Zachar., i, 12. — II Mac’hab., x, 29 et ss. — Origen., Ilomil. xii, in Luc. P. G. XIlY 1829) et à celles des églises (Gregor. Nazianz., IIonu / xxxui, n. 15. P. G. XXXVI, 233), et les services qu ils rendent ainsi à la cause de Dieu peuvent leur valoir une gloire accidentelle ; quant à la gloire essentielle, elle a ete déterminée pour toujours après leur triomphe dans l’épreuve.

II. Objections et réponses. — A cette doctrine, telle qu elle a été exposée ci-dessus, des écrivains rationalistes objectent qu elle a été empruntée pour le lond a des religions étrangères, et que d ailleurs la plus grande incertitude règne au sujet des anges dans la tradition chrétienne.

i" Ce sérail pendant lexil, au contact des Perses que les Hébreux se seraient familiarisés avec l’idée qu entre Dieu et l’homme il faut sui>poser des intermédiaires, analogues aux Aniesha-Spentas du mazdéisme. Ce qui tend à le prouver, c’est., ue les anges paraissent peu dans les parties de la Bible qui sont certainement antérieures à la captivité, et pas un

seul n’y est désigné par son nom ; après l’exil, au contraire, ils deviennent les intermédiaires obligés entre Dieu et l’homme ; trois d’entre eux sont nommés : Michel, Gabriel, Raphaël, et aussi un démon, Asmodée, dont le nom s explique tout naturellement par une étyinologie persane ; enfin Raphaël lui-même déclare (Tob., xii, 15) qu il y a sept anges principaux, dont il fait partie et qui se tiennent toujours devant Jahveh, prêts à recevoir ses ordres et à les exécuter. Qu y a-t-il de vrai ou de certain en tout ceci ? Une seule chose : c’est que les trois séraphins ne sont nommés que dans les livres postexiliens ; cela ne prouve rien d ailleurs. 1 étyinologie des noms étant strictement hébraïque et aucun trait ne laissant soupçonner une origine étrangère. Les trois anges, Michel, Gabriel, Raphaël, ont une personnalité bien marquée, tandis que les Amesha-Spentas du mazdéisme sont des abstractions personnifiées ; ces « Immortels bienfaisants » ne sont d’ailleurs qu’au nombre de six (Darmsteter, Le Zend Aesta, t. I, p. 23 et ss.), et leur caractère est si étrange que Darmsteter y voyait une imitation des puissances divines de Philon. Quant au nom d’Asmodée, il dérive peut-être du mot Aëshma, qui représente un génie de la colère et non u une sorte de Cupidon » ; c’est un fait parfaitement constaté que les écrivains bibliques ont plus d’une fois employé, pour désigner les démons, des noms de faux dieux ou de marnais génies : Astaroth, Belzébub, Lilith (cf. Vigouroux, Dictionnaire de la Bible, 1. 1, articl-e Asmodée, par le P. Vax UEX Gheyx, col., iio3et s.).

Les apparitions angéliques ne sont guère moins nombreuses dans les livres antérieurs à la captivité que dans ceux de date postérieure. Les chérubins de la Genèse, l’ange qui apparaît à Agar, celui qui retient le bras d’Abraham au moment où le patriarche allait sacrifier son fils, les anges qui détruisent Sodome et Gomorrhe, ceux de la vision de Jacob, celui qui apparaît à Josué, l’ange de Gédéon et celui de Maniié, les séraphins d’Isaie, etc., tous ces faits et toutes ces relations sont antérieurs à l’exil. Si l’on soutient le contraire, c’est pour les besoins de la cause, et cela prouve que la cause est mauvaise.

En résumé, la croyance à l’existence des anges chez les Hébreux n’est pas du tout le résultat du contact des captifs avec les conquérants perses ; ils y croyaient longtemps auparavant, et s’il fallait absolument chercher ailleurs que dans les traditions Israélites l’origine de cette croyance, ce serait évidemment du côté de la religion chaldéenne qne les recherches devraient porter, puisque les Hébreux sont sortis de la Chaldée ; mais en ce cas, il faudrait convenir que l’emprunt a été purifié de tout élément polythéiste.

2" On fait valoir encore contre la doctrine des anges les incertitudes ou les erreurs qui ont si longtenips régné parmi les Pères et même les premiers théologiens au sujet de la nature des esprits angéli([ues et de la chute des démons. Saint Irénée, saint Justin, Athénagore, (élément d’Alexandrie, etc., ont cru que les anges avaient des cori)s éthérés et que les démons étaient des-igilants, c’est-à-dire des gardiens célestes chargés de veiller sur Ihumanité [irimitive ; ces vigilants se laissèrent séduire j)ar la beauté des filles des hommes, ils s’unirent à elles et en eurent des enfants d’une taille colossale, les géants antédiluviens. Desertores Dei, amatores feminarum, disait Tertullien de ces anges déchus (De idoL, 9. /-’. L. I, 671).

Il y a là. en elfct. un ])roblèmc Ihéologique, mais non une difficulté insoluble. On sait que la Genèse (vi, 2) raconte que les /ils de Dieu (Benê Elohim) s’unirent aux filles des hommes, et elle laisse entendre que ces mariages mixtes furent l’origine de la 127

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corruption effrénée qui régna siu' la terre avant le déluge. Pour nous, ces fils de Dieu sont les descendants de Seth qui formaient, i)ar opposition aux descendants de Gain, la race bénie et choisie ; par les mariages entre séthites et caïnites le mal s’introduisit dans les familles patriarcales. Mais les Juifs traduisaient ces mots par les « anges de Dieu » ; Pliilon et Josèphe sont les témoins de cette tradition rabbinique. Un Juif, écrivant sous le nomd’Hénocli, le patriarche antédiluvien, avait même composé un petit roman sur ce sujet (cf. Adolphe Lods. Le Ih’i-e d’Enoch, fragments grecs découverts à Akliniîm, p. 12 et ss.). Ce livre, très lu par les Judéo-Chrétiens, le fut aussi par les premiers écrivains ecclésiastiques convertis du paganisme à la foi chrétienne, et comme ils trouvaient dans TEpître de l’apôtre saint Jude (v. 14 et s.) une citation de cet apocryphe, laquelle se rapportait d’ailleurs à un tout autre sujet, ils crurent trop facilement à la valeur delà tradition juive sur le mariage des anges. Cette fable fut énergiquement condjattue, au ia' et au v" siècles, par saint Jean Clirysostome (Hoviil. in Ge72., xxii. P. G. LUI, 187 et ss.), Théodoret (Quæst in Gen., vi. P. G. LXXX, i/JS et s.), saint Cyrille d’Alexandrie (Glaphyr. in Gen., lib. II. P. G. LXIX, 52 et s.), saint Augustin (De çi-it. Dei, lib. XY, c. XXIII, 4- P- L- XLI, 470 et s.), etc., et bientôt elle fut bannie pour toujours du domaine de la théologie.

Mais cette erreur en a^ ait entraîné une autre, à savoir la croyance à la matérialité relative des anges. Les écrivains des premiers siècles voyaient dans les apparitions de ces esprits sous forme humaine une confirmation de leur opinion erronée. Du verset 4 du psaume cm : « Celui qui fait ses anges esprits (ou vents) et ses ministres feu dévorant (d’après les Septante) », ils concluaient à l’existence d’un corps éthéré ou igné chez les anges.

Cette erreur fut de bonne heure contredite par plusieurs Pères, notamment par saint Jean Chrjsostome (Jn Joann., honiil. xv. P. G. LIX, 98), par Théodoret {Quæst. in Gen., c. i, P. G. LXXX, io4), par le pseudoaréopagite, qui ne traite pas, il est Arai, la question ex professa, mais qui suppose toujours l’absolue spiritualité des anges, comme l’ont bien compris les scolastiques. Cependant, il faut en convenir, 1 unité sur ce point de doctrine ne s’est pas faite dans l’Eglise avant le xiii^' siècle. C’est que l’erreur du corps angéliqiie éthéré était beaucoup plus subtile que la fable des mariages mixtes et qu’elle n’entraînait pas d’aussi fâcheuses conséquences povu" l’ensemble des vérités révélées.

Comme la fort bien expliqué un savant théologien (Palmieri, De Deo créante et ele’ante, p. 162 et s.), il faut distinguer soigneusement entre l’existence d’un dogme et la conception plus parfaite de ce dogme. L’existence des anges est une vérité révélée, et jamais le moindre doute ne s’est élevé sur ce point parmi les anciens Pères ; mais la nature toute spirituelle des anges n’avait pas été annoncée aux hommes avec la même clarté ; il n'était pas impossible même de noter certains indices, plus apparents que réels, qui pouvaient suggérer l’idée d’une spiritualité plutôt relative. Car c’est bien ainsi que la question se posait ; jamais les écrivains ecclésiastiques des trois premiers siècles n’ont admis que les anges fussent pourvus de corps grossiers comme les nôtres, et cette simple constatation diminue beaucoup la gravité de l’erreur dans laquelle ils sont tomblés.

Le dogme est susceptible de progresser non pas en lui-même, mais dans l’esprit des hommes auxquels il a été révélé ; par la réflexion et l’analyse nous devenons capables de concevoir mieux ou moins imparfaitement certaines vérités qui ont toujours été crues, mais quelquefois assez mal comprises. C’est ce

qui s’est passé pour la question de la spiritualité des anges. Interprétée d’abord avec une sorte de grossièreté philosophique, elle a été ensuite pleinement élucidée par les théologiens du xiii= siècle. Ceux-ci ont fait voir que les apparitions sous forme humaine ne snftisaient pas à trancher la question, puisqu’un corps aérien, revêtu par l’ange pour le temps de sa mission, explique raisonnablement ces apparitions (Siunnia theoL, p. I, q. 51, a. 2.) Enfin ils ont montré qu’un anneau eût manqué à la chaîne des êtres, s’il n’y avait pas eu entre Dieu et l’homme de purs esprits, de pures intelligences créées et que la perfection de l’ensemble aurait souffert de cette lacune. Dieu aime l’ordre, et toutes ses œuvres immédiates sont harmonieusement ordoiinées ; or il semble que l’ordre de l’univers n’eiit pas été parfait, si Dieu n’avait reproduit l’image de sa nature dans des substances incoi’porelles (Suarez, De Angelis, lib. I, c. vi, n. 23).

Bibliographie. — Petau, De Angelis, lib. III. — Pseudo-Aréopagite, De cœlesfi liierarchia, P. G. III, 120 et ss., traduit par Darboy dans les Œin’res complètes de saint Denrs VAréopagite, 2' édit., 1896, p. i-6g. — Saint Thomas, Sunuua theoL, p. i, q. i et ss. — Suarez, De Angelis. — Dom Calmet, Dissertation sur les bons et sur les mauvais anges. Commentaire littéral, Les E-angiles de saint Marc et de saint Luc, p. 20y-244- — Palmieri, De Deo créante et élevante, p. i, c. 11, art. i, p. 150-214 ; p. ii, c. II, art. 2, p. 439-490. — Alexandre Guillemin, Les Anges de la Bible, 2 vol. in-8°, 1854 (où l’on trouvera réunis et traduits tous les textes bibliques se rapportant aux anges). — 'S'^igouroux, Dictionnaire de la Bible, t. I, art. Ange, col. ô'jô-Sgo. — Vacant-Mangenot, Dictionnaire de Théologie catholique, t. I, articles Ange et Angélologie, col. 1189 12y i.

J. Soubex, O. s. B.