DIANE ET ENDYMION

LÉGENDE MYTHOLOGIQUE


L’Heure du Berger
C’est l’heure enchanteresse où, dans l’ombre, Diane,
Versant au sein des bois son plus tendre rayon,
En secret, vient poser son baiser diaphane
Sur les lèvres en fleurs du bel Endymion !
G. M.

I


Sur son orbe d’argent s’élevant par degré,
La Lune s’avançait dans l’espace éthéré ;
Au golfe Céramique, en plis d’or et d’opale,
Elle laissait flotter sa robe virginale,
Et les astres, en chœurs dans le bleu firmament,
Penchaient, pour se mirer, leur front de diamant.
La nuit régnait sereine et tiède et parfumée ;
Au loin, d’arbres en fleurs la plage était semée ;
La vague en murmurant sous un souffle léger
Qu’embaumaient le Jasmin, la rose et l’oranger,
Se gonflait, s’abaissait et remontait encore,
Comme un sein jeune et chaste où l’amour vient d’éclore !
Aux doux frémissements de l’onde et des zéphyrs,
Les feuillages émus mêlaient leurs frais soupirs :
Voluptueux accords, ineffable harmonie
Qu’exhale en respirant la nature endormie,
Alors que de parfums et d’extase enivré,
Repose dans ses bras le printemps adoré !


II


De son parvis d’azur, candide et solitaire,
Versant en brume d’or sa suave lumière,
La Déesse des nuits, Diane aux blonds cheveux,
Vit un jeune pasteur couché près des flots bleus…

Oh ! comme il était beau le berger de Carie,
Berçant au bord des mers sa tendre rêverie !
Comme languissamment, sur son bras incliné,
S’appuyait son front pur de pudeur couronné !…
Son œil, demi-voilé sous sa paupière humide,
Brillait comme une étoile au sein d’une eau limpide ;
Sur son teint respirait, en sa suavité,
Première fleur d’amour, la chaste puberté.
La brise caressait sa chevelure noire,
Et soudain, de ses dents étincela l’ivoire,
Quand sa bouche s’ouvrit pour exhaler ces mots
Mariant leur douceur au murmure des flots :


III


— « Ô nuits, nuits du printemps ! quelle volupté pure
« Votre souffle embaumé répand sur la nature !…
« L’air chargé de parfums, de langueur et d’amour,
« M’oppresse, me ranime et m’abat tour-à-tour,
« Il apaise et nourrit cette flamme inconnue
« Dont la secrète ardeur me fait vivre et me tue,
« Et qui n’a d’autre objet que cet être idéal,
« A mon cœur embrasé, si doux et si fatal !
« Les fleurs, les vents, les bois, la voix de Philomèle
« Qui chante avec la brise et s’éteint avec elle,
« Le bruit vague de l’onde à mes pieds soupirant,
« Les astres, fleurs des nuits, dont l’écho expirant,
« Pâlit devant Phœbé dans un ciel sans nuage,
« Tout revêt à mes sens et la voix et l’image
« De ce rêve adoré de mon cœur délirant !… »
Ainsi parla l’éphèbe, et sa voix incertaine,
S’éteignant par degrés, aux vents ne jeta plus
Que quelques mots sans suite et des soupirs confus ;
Puis, ainsi que fléchit le feuillage d’un chêne
Ou s’abat de la nuit l’oiseau mystérieux,

Il pencha sur son bras ses longs cheveux d’ébène
Et le divin sommeil vint lui fermer les yeux…


IV

  
Des accents du pasteur, envolés vers la nue,
Ô Diane ! en secret votre âme fut émue…
Vos regards, traversant l’immensité des cieux,
Le voyaient endormi, mais en proie aux vains songes
Dont l’ardente jeunesse et l’amour, à ses yeux,
Présentaient tour-à-tour les séduisants mensonges…

Et soudain, détaché de votre front vermeil,
Qui dans l’ombre s’incline au chaste lys pareil,
Un rayon doucement vient mourir sur la lèvre
Du bel adolescent dont l’amoureuse fièvre
Redouble à ce toucher qui cause son réveil !

Oh ! combien son cœur bat ! Sa bouche encor brûlante
Charge le vent des nuits de soupirs embrasés…
Égaré, hors de lui, son âme défaillante
À peine vient en aide à ses sens abusés…

— « Non, ce n’est point, dit-il, une vaine chimère !
« J’ai senti son haleine effleurer mes cheveux ;
« J’ai senti son regard caresser ma paupière,
« Comme pour y verser sa divine lumière,
« Et, papillon du ciel, sa lèvre, en longs adieux,
« À ma bouche, a laissé l’empreinte de ses feux !… »

Et son oreille avide, à tous les vents tendue,
Croit ouïr frissonner, dans la pénombre émue,
Le tremblement furtif de pas mystérieux…


V

 
De Diane pourtant la couronne étoilée,
D’un nuage d’argent tout à coup s’est voilée…
Déesse ! avez-vous craint que l’amoureux pasteur,

Vous voyant dans les cieux rougissante et plus belle,
Ne reconnut en vous l’adorable Immortelle.
Dont le divin baiser lui consume le cœur ?

Mais, ô reine des nuits, dont la pure lumière
Est faite pour charmer les pleurs des malheureux,
Vous ne laisserez point le berger solitaire.
Exhaler son amour en soupirs douloureux !…

Voyez ses beaux cheveux épars sur son épaule,
Aux blancheurs de son cou mêlant leurs noirs anneaux,
Comme on voit les rameaux et l’ombrage du saule
Effleurer mollement l’albâtre des tombeaux…
Voyez ses yeux si purs sous un voile de larmes,
Redemander encor ce trésor plein de charmes,
Ce rêve qui l’enivre, hélas ! et qui le fuit…
Rendez-lui ce doux bien et ce bonheur suprême,
Déesse ! et que son cœur puisse voir le ciel même
Lui sourire à travers les songes de la nuit !…

....................


VI

 
Le pasteur s’éveilla quand, du jour et du monde,
Les premiers feux de l’aube, annoncèrent le Dieu,
Et ses beaux yeux, remplis d’une langueur profonde.
Virent à l’occident la lune près de l’onde,
Dont un dernier rayon, tendre comme un aveu
Tout frémissant d’amour, semblait lui dire : adieu !…

Et dès lors on ne sut par quel heureux mystère
Sa voix n’exhala plus de plainte solitaire ;
Mais son cœur ne battait que d’un joyeux espoir.
Quand la fuite du jour laissait la mer plus brune,
Et le bord parfumé le revit chaque soir
Rêver et s’endormir au doux clair de la lune !…

Gabriel Monavon.