Deux poésies d’A. de Lamartine



POÉSIES.

M. de Lamartine, absorbé par la politique, a presque entièrement renoncé à la poésie. Cependant, de temps en temps, le poète se retrouve comme malgré lui. Voici deux morceaux qui viennent de lui échapper ; nous devons dire à quelle occasion pour l’intelligence de ces vers.

Tous les ans, vers le milieu d’avril, Mme de Lamartine fait tirer chez elle une loterie au bénéfice d’une œuvre de charité à laquelle elle s’est consacrée : l’œuvre du patronage des jeunes filles abandonnées. Pour cette occasion, les personnes bienfaisantes et les artistes surtout, dont le génie secourable ne manque jamais à la charité, envoient des lots, ouvrages de leurs mains. Dans ces lots, cette année, se trouvent des encadremens en arabesques représentant différens sujets groupés avec goût et admirablement peints. Entre ces encadremens, les artistes ont laissé une page blanche destinée à être remplie par des autographes d’écrivains ou de poètes ; M. de Lamartine a été chargé d’en remplir deux.

Le premier de ces encadremens représente des scènes de la vie orientale : des armes, des pipes, des harnais, le désert, des chevaux arabes, des palmiers, etc. Voici les vers dont M. de Lamartine a rempli ce cadre.

LE CHEVAL ET LES ARMES DU VOYAGEUR.

Le soleil du désert ne luit plus sur ta lame,
Ô mon large yatagan, plus poli qu’un miroir,

Où Kaïdha mirait son visage de femme,
Comme un rayon sortant des ombres d’un ciel noir !


Tu pends par la poignée au pilier d’une tente,
Avec mon narghilé, ma selle, et mon fusil,
Et semblable à mon cœur, qui s’use dans l’attente,
La rouille et le repos te dévorent le fil !


Et toi, mon fier Sultan, à la crinière noire,
Coursier né des amours de la foudre et du vent,
Dont quelques poils de jais tigraient la blanche moire,
Dont le sabot mordait sur le sable mouvant,


Que fais-tu maintenant, cher berceur de mes rêves ?
Mon oreille aimait tant ton pas mélodieux,
Quand la bruyante mer, dont nous suivions les grèves,
Nous jetait sa fraîcheur et son écume aux yeux !


Tu rengorgeais si beau ton cou marbré de veines
Quand celle que ma main sur ta croupe élançait,
T’appelait par ton nom, et, retirant tes rênes,
Marquetait de baisers ton poil qui frémissait !


Je la livrais sans peur à ton galop sauvage :
La vague de la mer, dans le golfe dormant,
Moins amoureusement berce près du rivage
La barque abandonnée à son balancement.


Car, au plus léger cri qui gonflait sa poitrine,
Tu t’arrêtais, tournant ton bel œil vers tes flancs,

Et, retirant le feu dans ta rose narine,
De l’écume du mors tu lavais ses pieds blancs !


Penses-tu quelquefois, l’œil baissé vers la terre,
À ce maître venu dans ton désert natal,
Qui parlait sur ta croupe une langue étrangère,
Et qui t’avait payé d’un monceau de métal ?


Penses-tu quelquefois à ta jeune maîtresse,
Qui, pour parer ta bride, houri d’un autre ciel,
Détachait les rubis ou les fleurs de sa tresse,
Et dont la main t’offrait de blancs cristaux de miel ?


Où sont-ils ? que font-ils ? quels climats les retiennent ?
Les vaisseaux dont tu vois souvent blanchir les mâts,
Ces grands oiseaux des mers qui vont et qui reviennent,
Sur ton sable doré ne les déposent pas !


Ne les hennis-tu pas de ton naseau sonore ?
Ton cœur dans ton poitrail ne bat-il pas d’amour
Quand ton oreille entend dans les champs de l’aurore
Résonner les doux mots qu’ils t’apprirent un jour ?


Oh ! oui ; car de ta selle, en détachant mes armes,
Tu me jetas tout triste un regard presque humain !
Je vis ton œil bronzé se ternir, et deux larmes
Le long de tes naseaux roulèrent sur ma main !


Le second de ces encadremens représente des plantes marines et des coquillages de toute espèce, parmi lesquels on distingue la grande coquille, où l’air en s’introduisant reproduit à l’oreille tous les bruits de la mer et du vent. C’est ce phénomène qui a servi de texte au poète.

LE COQUILLAGE.

Quand tes beaux pieds distraits errent, ô jeune fille !
Sur ce sable mouillé, frange d’or de la mer,
Baisse-toi, mon amour, vers la blonde coquille
Que Vénus fait, dit-on, polir au flot amer.


L’écrin de l’Océan n’en a point de pareille !
Les roses de ta joue ont peine à l’égaler,
Et quand de sa volute on approche l’oreille
On entend mille bruits qu’on ne peut démêler :


Tantôt c’est la tempête, avec ses lourdes vagues,
Qui viennent en tonnant se briser sur tes pas ;
Tantôt c’est la forêt avec ses frissons vagues ;
Tantôt ce sont des voix qui chuchottent tout bas.


Oh ! ne dirais-tu pas, à ce confus murmure
Que rend le coquillage aux lèvres de carmin,
Un écho merveilleux où l’immense nature
Résume tous ses bruits dans le creux de ta main ?


Emporte-la, mon ange, et quand ton esprit joue
Avec lui-même, oisif, pour charmer tes ennuis

Sur ce bijou des mers penche en riant ta joue,
Et fermant tes beaux yeux recueilles-en les bruits.


Si dans les mille accens dont sa conque fourmille
Il en est un plus doux qui vienne te frapper
Et qui s’élève à peine au bord de la coquille
Comme un aveu d’amour qui n’ose s’échapper ;


S’il a pour ta candeur des terreurs et des charmes,
S’il renaît en mourant presque éternellement,
S’il semble au fond d’un cœur rouler avec des larmes,
S’il tient de l’espérance et du gémissement,


Ne te consume pas à chercher le mystère !
Ce mélodieux souffle, ô mon ange ! c’est moi.
Quel bruit plus éternel et plus doux sur la terre
Qu’un écho de mon cœur qui m’entretient de toi ?

Paris, 23 mars 1842.


Alphonse de Lamartine.