Deux lettres bénédictines inédites/02

II.

À un des supérieurs de Dom Devic, probablement au général de l’Ordre,
Dom S. Bougis.


Benedicite.

De Rome, ce 25 aoust 1705.


Mon Reverand Pere,

Je me donne l’honneur d’écrire celle cy à votre reverance pour luy faire part de la protestation et du decret du Senat de Pologne contre cette cour. En voicy la copie[1]


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Voicy le decret du Senat de Pologne contre le Pape.

Dominus Papa non se intromittat in negotiis politicis regni Poloniæ, alias ordo ecclesiasticus non gaudebit suffragio in comitiis nostris.

Enfin Mgr de Lionne[2] a obtenu du Saint Pere la communication du decret de l’affaire de la Chine, mais sous le secret. Ce prélat eut la bonté de venir chez nous pour nous donner cette bonne nouvelle, dont je luy aurois fait aussitôt part si j’avois eu, quelque autre chose à y joindre.

Nous comprimes par la joye qui paroissoit sur son visage qu’il etoit tres satisfait du decret, et ce qui marque qu’il a gagné sa cause, c’est qu’il est voisin de partir de cette cour aprez avoir terminé quelque autre affaire qui regarde la Chine, ce qu’il ne fairoit pas s’il avoit perdu. M. le duc de Lorraine vient d’envoyer par un courrier extraordinaire sa reponse au bref du Pape. Ce prince est resolu de ne pas accepter le preliminaire que demande le Pape avant de parler dainstrument (sic), qui est de publier dans ses etats le decret par lequel Sa Sainteté a condamné son code. Ce prince s’oblige seulement à oter de son code tout ce que le pape luy faira connoitre etre contraire à la datterie et à l’immunité ecclesiastique, mais non pas à le condamner entierement parce qu’il renferme douze cens articles qui ne regardent nullement la jurisdiction du pape. Si le pape ne veut pas se contenter de cela, l’envoyé de ce prince a ordre de se retirer de cette cour. Nous venons d’apprendre par un courrier extraord[inaire] la bataille que M. le duc de Vendome a gagnée en Lombardie sur le prince Eugene qu’on dit etre blessé à mort avec quattre autres princes[3]. Je viens de recevoir la lettre que V. R. m’a fait l’honneur de m’ecrire avec son incluse. J’employeray tres volontiers mes soins pour donner satisfaction à ce Reverand Pere, aussi bien qu’au Reverand Pere Garnier. Touchant ce dernier, le R. P. General de Saint-Bazile a repondu qu’il ne croyoit pas qu’il y eut dans Messine autres manuscripts que ceux qui sont marquez dans le catalogue qu’ils ont à Rome, dans lequel il n’y a rien de ce que demande le Pere Garnier ; que cependant il fairoit chercher avec soin ce qu’on souhaitte et que supposé qu’on trouve quelque chose, il en faira part avec plaisir[4].

Nous celebrons aujourdhuy la fete de saint Louis dans lesglize (sic) nationale de ce saint tandis que les autres esglizes romaines celebrent celle de saint Barthelemy. Mgr de Lionne a chanté la messe à laquelle ont assisté tous les cardinaux à la reserve de quattre qui pour diverses incommoditez ne se trouvent presque jamais dans les ceremonies publiques. Le bruit s’est repandu dans Rome que l’Empereur a fait sortir de Vienne le nonce du Pape. Je n’ecris point ces nouvelles au R. Pere prieur d’Avignon a qui je presente mes respects, persuadé qu’elle luy en faira part si elle le juge à propos. Je finis en luy demandant la continuation de sa protection et de ses saintes prieres et suis avec un profond respect,


Mon Reverend Pere,
Votre tres humble et tres obeissant religieux
Fr[erej Claude Devic
m. b.


La bataille que M. de Vendome vient de gagner en Lombardie afflige beaucoup les Romains, du genie allemand, et rejouit beaucoup ceux du genie francois.

Le R. P. procureur presante ses respects a votre Reverence.

  1. Suit une très longue pièce en langue latine que j’ai deux bonnes raisons pour ne pas reproduire ; d’abord elle est peu intéressante, ensuite elle a dû être publiée déjà. M. Vilhelm suppose avec beaucoup de vraisemblance que cette pièce fut communiquée à Dom Devic par la reine de Pologne, veuve de l’illustre Jean Sobieski, laquelle honorait notre bénédictin de toute sa confiance.
  2. Artus de Lionne, évêque de Rosalia, vicaire apostolique en Chine, né à Rome en 1655 pendant que son père, l’illustre homme d’État, fut chargé de missions importantes en Italie, mourut à Paris le 2 août 1713. Le décret en question est celui qui fut rendu par Clément XI le 20 novembre 1704, et qui déclarait superstitieuses les cérémonies tolérées par les missionnaires Jésuites. Voir Dom Clément (Lettres à Eusèbe Philaléthe), le P. Brucker (La Chine et l’Extrême-Orient d’après les travaux historiques du P. Antoine Goubil, dans la Revue des Questions historiques d’avril 1885), Dom Jacques Boyer (Journal de Voyage, si bien publié par M. A. Vernière, pages 173, 174, 262, etc.).
  3. Le prince Eugène reçut, en effet, deux blessures à la bataille de Cassano, et les princes de Linange et d’Anhalt y furent tués. Vendôme aussi fut blessé à la jambe par une balle et son cheval fut abattu par un boulet. Voir le récit de la bataille de Cassano dans Quinze ans du règne de Louis XIV, par Ernest Moret, t. II, pp. 99-104.
  4. M. Wilhelm me rappelle, avec son immense connaissance des choses bénédictines, que Dom Julien Garnier, qui avait travaillé jusqu’en 1699 sous la direction de Mabillon, fut chargé, dès 1701, de donner une nouvelle édition des œuvres de saint Basile, et qu’il commença cette entreprise en réunissant et collationnant tous les manuscrits du grand docteur. Le premier volume parut en 1720, le deuxième en 1722 ; le troisième fut publié, après la mort de Dom Garnier (3 juin 1725), par Dom Prudent Maran (1730). L’auteur de l’Histoire littéraire de la Congrégation de Saint-Maur, Dom Tassin, déclare que les savants ont regardé la nouvelle édition des œuvres de saint Basile comme une des meilleures éditions des Pères qui soient sorties de la Congrégation de Saint-Maur.