Deux Mémoires de Henri Poincaré sur la Physique Mathématique
Les pages suivantes ne peuvent aucunement donner une idée tant soit peu complète de ce que la Physique théorique doit à Poincaré. J’aurais été heureux de rendre hommage à sa mémoire en présentant au lecteur un tel tableau d’ensemble, mais j’ai reculé devant cette tâche qu’on ne pourrait dignement remplir sans de longues et sérieuses études pour lesquelles le temps m’a manqué. Je me suis donc borné à deux Mémoires, celui sur la Dynamique de l’électron, écrit en 1905 et publié l’année suivante dans les Rendiconti del Circolo Matematico di Palermo, et l’étude sur la Théorie des quanta qui parut dans le Journal de Physique au commencement de 1912.
Pour bien faire apprécier le premier de ces travaux je devrai entrer en quelques détails sur les idées dont le développement a abouti au Principe de relativité. Amené ainsi à parler un peu de la part que j’ai pu prendre moi-même à ce développement, je dois dire avant tout que j’ai trouvé un encouragement précieux dans l’intérêt bienveillant que Poincaré a constamment pris à mes études. Du reste, on verra bientôt à quel degré il m’a dépassé.
On sait que Fresnel avait fondé une explication de l’aberration astronomique sur l’hypothèse d’un éther immobile que les corps célestes traverseraient sans l’entraîner. On connaît aussi son célèbre théorème, complément nécessaire de cette hypothèse fondamentale, sur l’entraînement partiel des ondes lumineuses par de la matière en mouvement. Un corps transparent animé d’une translation ne communiquera aux rayons qu’une fraction de sa propre vitesse, fraction qui est déterminée par le « coefficient de Fresnel » , dans lequel est l’indice de réfraction du milieu.
Lorsque, grâce aux travaux de Clerk Maxwell, nos vues sur la nature de la lumière avaient été profondément changées il était naturel d’essayer une déduction de ce coefficient basée sur les principes de la théorie électromagnétique. Voilà le but que je me suis proposé et qui a pu être atteint sans trop de difficulté dans la théorie des électrons.
La plupart des phénomènes qui se rattachent à l’aberration, et notamment l’absence d’une influence du mouvement de la Terre dans toutes les expériences où le système entier d’appareils est en repos par rapport à notre planète, purent maintenant être expliqués d’une manière satisfaisante. Seulement, il fallait faire la restriction que les effets considérés devaient être du premier ordre de grandeur par rapport à la vitesse de la Terre divisée par celle de la lumière, les termes du second ordre ayant été négligés dans les calculs.
Or, en 1881 M. Michelson réussit à faire interférer deux rayons lumineux partis d’un même point et y revenant après avoir suivi des chemins rectilignes de longueur égale et perpendiculaires entre eux. Il trouva que les phénomènes observés sont de nouveau insensibles au mouvement de la Terre ; les franges d’interférence conservaient les mêmes positions quelles que fussent les directions des bras de l’appareil.
Cette fois-ci il s’agissait bien d’un effet du second ordre et il était facile de voir que l’hypothèse de l’éther immobile à elle seule ne suffit pas à l’explication du résultat négatif. J’ai été obligé à faire une nouvelle supposition qui revient à admettre que la translation d’un corps à travers l’éther produit une légère contraction du corps dans le sens du mouvement. Cette hypothèse était bien la seule possible ; elle avait aussi été imaginée par Fitzgerald et elle trouva l’approbation de Poincaré, qui cependant ne dissimula pas le peu de satisfaction que lui donnèrent les théories dans lesquelles on multiplie les hypothèses spéciales inventées pour des phénomènes particuliers. Cette critique a été pour moi une raison de plus pour chercher une théorie générale, dans laquelle les principes mêmes conduiraient à l’explication de l’expérience de M. Michelson et de toutes celles qu’on avait tentées après lui pour découvrir des effets du second ordre. Dans la théorie que je me proposais, l’absence de phénomènes dus au mouvement d’ensemble d’un système devrait être démontrée pour une valeur quelconque de la vitesse, inférieure à celle de la lumière.
La méthode à suivre était toute indiquée. Il fallait évidemment montrer que les phénomènes qui ont lieu dans un système matériel peuvent être représentés par des équations de la même forme, que le système soit en repos ou qu’il soit animé d’un mouvement de translation uniforme, cette égalité de forme étant obtenue à l’aide d’une substitution convenable de nouvelles variables. Il s’agissait de trouver des formules de transformation appropriées tant pour les variables indépendantes, les coordonnées et le temps , que pour les différentes grandeurs physiques, vitesses, forces, etc., et de montrer l’invariance des équations pour ces transformations.
Les formules que j’ai établies alors pour les coordonnées et le temps peuvent être mises sous la forme[1]
(1) |
où sont des constantes qui cependant se réduisent à une seule. On voit immédiatement que pour l’origine des nouvelles coordonnées on a
ce point se déplace donc dans le système avec la vitesse dans la
direction de l’axe des . Le coefficient est défini par
et est une fonction de qui a la valeur pour . Je l’ai d’abord laissée
indéterminée, mais j’ai trouvé dans le cours de mes calculs que pour obtenir
l’invariance que j’avais en vue, on doit poser .
Ce furent ces considérations publiées par moi en 1904 qui donnèrent lieu à Poincaré d’écrire son Mémoire sur la Dynamique de l’électron, dans lequel il a attaché mon nom à la transformation dont je viens de parler. Je dois remarquer à ce propos que la même transformation se trouve déjà dans un article de M. Voigt publié en 1887 et que je n’ai pas tiré de cet artifice tout le parti possible. En effet, pour certaines des grandeurs physiques qui entrent dans les formules, je n’ai pas indiqué la transformation qui convient le mieux. Cela a été fait par Poincaré et ensuite par M. Einstein et Minkowski.
Pour trouver les « transformations de relativité », comme je les appellerai maintenant, il suffit dans quelques cas de décrire les phénomènes dans le système exactement de la même manière qu’on le fait dans le système . Considérons, par exemple, le mouvement d’un point. Si, dans le temps les coordonnées subissent les changements , on a pour les composantes de la vitesse
Or, en vertu des relations (1) les variations entraînent les changements
(2) |
des nouvelles variables. Il est naturel de définir les composantes de la vitesse dans le nouveau système par les formules
(3) |
ce qui nous donne
(4) |
Pour avoir un autre exemple, on peut imaginer un grand nombre de points mobiles dont les vitesses sont des fonctions continues des coordonnées et du temps. Soit un élément de volume situé au point et fixons l’attention sur les points du système qui se trouvent dans cet élément à un instant déterminé . Soit , la valeur spéciale de qui correspond à en vertu des équations (1), et envisageons pour les différents points les valeurs de correspondant à cette valeur déterminée ; en d’autres termes, considérons les positions des points dans le nouveau système, prises toutes pour une même valeur du « temps » . On peut se demander quelle est l’étendue de l’élément de l’espace , dans lequel se trouvent à cet instant les points choisis qui se trouvent en au moment . Un simple calcul, que je puis omettre ici, conduit à la relation
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Supposons enfin que les points dont il s’agit portent des charges électriques égales et admettons que dans les deux systèmes et on attribue les mêmes valeurs numériques à ces charges. Si les points sont suffisamment rapprochés les uns des autres, on obtient une distribution continue d’électricité et il est clair que la charge contenue dans l’élément à l’instant est égale à celle qui se trouve en à l’instant . Par conséquent, si et sont les densités de ces charges,
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et, en vertu de (5)
(7) |
De cette formule, combinée avec (4), on déduit encore
Ce sont les formules de transformation pour le courant de convection.
Pour d’autres grandeurs physiques telles que les forces électrique et magnétique, il faut suivre une méthode moins directe; on cherchera, peut-être un peu par tâtonnement, les formules de transformation propres à assurer l’invariance des équations électromagnétiques.
Les formules (4) et (7) ne se trouvent pas dans mon Mémoire de 1904. C’est que je n’avais pas songé à la voie directe qui y conduit, et cela tient à ce que j’avais l’idée qu’il y a une différence essentielle entre les systèmes et . Dans l’un on se sert — telle était ma pensée — d’axes des coordonnées qui ont une position fixe dans l’éther et de ce qu’on peut appeler le « vrai » temps; dans l’autre système, au contraire, on aurait affaire à de simples grandeurs auxiliaires dont l’introduction n’est qu’un artifice mathématique. En particulier, la variable ne pourrait pas être appelée le « temps » dans le même sens que la variable .
Dans cet ordre d’idées je n’ai pas pensé à décrire les phénomènes dans le système , exactement de la même manière que dans le système et je n’ai pas défini par les équations (3) et (7) les grandeurs qui correspondront à . C’est plutôt par tâtonnement que je suis arrivé à mes formules de transformation qui, avec notre notation actuelle, prennent la forme
et que j’ai voulu choisir de manière à obtenir dans le nouveau système les équations les plus simples. J’ai pu voir plus tard dans le Mémoire de Poincaré qu’en procédant plus systématiquement j’aurais pu atteindre une plus grande simplification encore. Ne l’ayant pas remarqué, je n’ai pas réussi à obtenir l’invariance exacte des équations ; mes formules restaient encombrées de certains termes qui auraient dû disparaître. Ces termes étaient trop petits pour avoir une influence sensible sur les phénomènes et je pouvais donc expliquer l’indépendance du mouvement de la Terre que les observations avaient, révélée, mais je n’ai pas établi le principe de relativité comme rigoureusement et universellement vrai.
Poincaré, au contraire, a obtenu une invariance parfaite des équations de l’électrodynamique, et il a formulé le « postulat de relativité », termes qu’il a été le premier à employer. En effet, se plaçant au point de vue que j’avais manqué, il a trouvé les formules (4) et (7). Ajoutons qu’en corrigeant ainsi les imperfections de mon travail il ne me les a jamais reprochées.
Je ne puis m’étendre ici sur tous les beaux résultats obtenus par Poincaré. Insistons cependant sur quelques points. D’abord, il ne s’est pas contenté de faire voir que les transformations de relativité laissent intacte la forme des équations électromagnétiques. Il explique le succès des substitutions en remarquant que ces équations peuvent être mises sous la forme du principe de moindre action et que l’équation fondamentale qui exprime ce principe, ainsi que les opérations par lesquelles on en déduit les équations du champ, sont les mêmes dans les systèmes et .
En second lieu, conformément au titre de son Mémoire, Poincaré considère particulièrement la manière dont se produit la déformation d’un électron mobile, comparable à celle des bras de l’appareil de M. Michelson, qui est exigée par le postulat de relativité. On avait proposé à ce sujet deux hypothèses différentes. D’après toutes les deux un électron, supposé sphérique à l’état de repos, se changerait par une translation en un ellipsoïde de révolution aplati, l’axe de symétrie coïncident avec la direction du mouvement et le rapport de cet axe au diamètre de l’équateur étant donné par , si est la vitesse. Mais les hypothèses différaient entre elles en ce qui concerne la longueur des axes et par conséquent le volume de l’électron. Tandis que j’avais été conduit à admettre que le rayon de l’équateur reste égal à celui de la sphère primitive, M. Bucherer et M. Langevin voulaient plutôt assigner une grandeur constante au volume. La première hypothèse correspond à , la deuxième à . Ajoutons immédiatement que la première valeur est la seule qui soit compatible avec le postulat de relativité.
Si l’on veut se rendre compte de la persistance et de l’équilibre d’un électron en se servant des notions ordinaires de la Mécanique, il ne suffit évidemment pas de considérer les actions électrodynamiques. La particule — que nous considérons ici comme une sphère portant une charge superficielle — exploserait immédiatement à cause des répulsions mutuelles ou, ce qui revient au même, des tensions de Maxwell exercées à sa surface. Il faut donc introduire autre chose encore, et Poincaré distingue ici des « liaisons » et des « forces supplémentaires ». Il suppose d’abord qu’il y ait seulement la liaison représentée par l’équation
étant le demi-axe de l’électron, son rayon équatorial, et des grandeurs
qui restent constantes quand et (ou l’une de ces grandeurs} varient avec la
vitesse de translation . Cela posé, on connaîtra pour une valeur quelconque
de les dimensions de l’électron — parce qu’on sait que — et
on peut calculer par les formules ordinaires du champ électromagnétique
l’énergie, la quantité de mouvement et la fonction de Lagrange. Entre ces
grandeurs, considérées comme des fonctions de , il doit y avoir les relations
bien connues. Poincaré démontre qu’elles ne se vérifient que pour ,
ce qui nous ramène à la constance du volume, c’est-à-dire à l’hypothèse
de M. Bucherer et de M. Langevin. Mais nous savons déjà que ce n’est pas cette
hypothèse, mais seulement celle d’un rayon équatorial constant, qui est en
accord avec le postulat de relativité. Il faut donc nécessairement avoir recours
à des forces supplémentaires.
En supposant qu’elles dépendent d’un potentiel de la forme , où , et sont des constantes, Poincaré trouve que la constance du rayon équatorial exige , , c’est-à-dire que le potentiel en question doit être proportionnel au volume. Il en résulte que les forces supplémentaires cherchées sont équivalentes à une pression ou une tension normale exercée sur la surface et dont la grandeur par unité de surface reste constante quelle que soit la vitesse de translation. On voit immédiatement qu’une tension dirigée vers l’intérieur convient seule; on en déterminera la grandeur par la condition que pour un électron qui se trouve en repos et qui a par conséquent la forme d’une sphère, elle doit faire équilibre aux répulsions électrostatiques. Si ensuite la particule est mise en mouvement, la tension de Poincaré, jointe aux actions électrodynamiques, produira inévitablement l’aplatissement qui est exigé par le principe de relativité.
Après avoir trouvé sa force supplémentaire, Poincaré fait voir que les transformations de relativité ne changent pas la forme des termes qui la représentent; il démontre ainsi que des mouvements quelconques d’un système d’électrons peuvent avoir lieu tout à fait de la même manière dans le système et dans le système .
J’ai déjà parlé de la nécessité de poser (constance du rayon équatorial de l’électron). Je ne répéterai pas ici la démonstration donnée par Poincaré et je dirai seulement qu’il a signalé l’origine mathématique de cette condition. On peut envisager toutes les transformations qui sont représentées par les formules (1), avec des valeurs différentes de la vitesse , et les valeurs correspondantes de et de , ce dernier coefficient devant être considéré comme une fonction de ; on peut y ajouter d’autres transformations semblables qu’on déduit de (1) en changeant les directions des axes, et enfin des rotations quelconques. Le postulat de relativité exige que toutes ces transformations forment un groupe et cela n’est possible que si a la valeur constante .
Le « groupe de relativité » qu’on obtient ainsi se compose des substitutions linéaires qui n’altèrent pas la forme quadratique
Le Mémoire se termine par l’application du postulat de relativité aux phénomènes de la gravitation. Il s’agit ici de trouver la règle qui en détermine la propagation et les formules qui expriment les composantes de la force en fonction des coordonnées et de la vitesse tant du corps attiré que du corps attirant. En considérant ces questions, Poincaré commence par chercher les invariants du groupe de relativité; en effet, il est clair qu’il doit être possible de représenter les phénomènes par des équations qui ne contiennent que ces invariants. Cependant, le problème est indéterminé. Il est naturel d’admettre que la vitesse de propagation est égale à celle de la lumière et que les écarts de la loi de Newton doivent être du deuxième ordre de grandeur par rapport aux vitesses. Mais, même avec ces restrictions, on a le choix entre plusieurs hypothèses parmi lesquelles il y en a deux que Poincaré indique spécialement.
Dans cette dernière partie de l’article on trouve quelques notions nouvelles que je dois surtout signaler. Poincaré remarque, par exemple, que si l’on considère et comme les coordonnées d’un point dans un espace à quatre dimensions, les transformations de relativité se réduisent à des rotations dans cet espace. Il a aussi eu l’idée d’ajouter aux trois composantes d’une force la grandeur
qui n’est autre chose que le travail de la force par unité de temps et qu’on peut considérer en quelque sorte comme une quatrième composante. Quand il est question de la force qu’un corps éprouve par unité de volume, les grandeurs sont affectées par une transformation de relativité de la même manière que les grandeurs .
Je rappelle ces idées de Poincaré parce qu’elles se rapprochent des méthodes dont Minkowski et d’autres savants se sont servis plus tard pour faciliter les opérations mathématiques qui se présentent dans la théorie de relativité.
Passons maintenant au Mémoire sur la Théorie des quanta. Vers la fin de 1911 Poincaré avait assisté à la réunion du Conseil de Physique convoqué à Bruxelles par M. Solvay, dans laquelle on s’était surtout occupé des phénomènes du rayonnement calorifique et de l’hypothèse des éléments ou quanta d’énergie imaginée par M. Planck pour les expliquer. Dans les discussions Poincaré avait montré toute la vivacité et la pénétration de son esprit et on avait admiré la facilité avec laquelle il sut entrer dans les questions de Physique les plus ardues, même dans celles qui devaient être nouvelles pour lui. De retour à Paris, il ne cessa de s’occuper du problème dont il sentait vivement l’importance. Si l’hypothèse de M. Planck était vraie, « les phénomènes physiques cesseraient d’obéir à des lois exprimables par des équations différentielles, et ce serait là, sans doute, la plus grande révolution et la plus profonde que la philosophie naturelle ait subie depuis Newton ».
Mais ces conceptions nouvelles sont-elles vraiment inévitables et n’y a-t-il pas moyen d’arriver à la loi du rayonnement sans introduire ces discontinuités qui sont en opposition directe avec les notions de la Mécanique classique ? Voilà la question que Poincaré se pose dans son Mémoire et à laquelle il donne une réponse que je me permettrai de résumer brièvement.
Considérons un système composé de résonateurs de Planck et de molécules, et étant de très grands nombres; supposons que tous les résonateurs soient égaux entre eux et qu’il en soit de même des molécules. Désignons par les énergies des molécules et par celles des résonateurs; chacune de ces variables pourra prendre toutes les valeurs positives.
Poincaré démontre d’abord que la probabilité pour que les quantités d’énergie soient comprises entre les limites et et , et , et peut être représentée par
où est une fonction sur laquelle on peut faire différentes hypothèses.
Dès qu’on connaît cette fonction on pourra dire de quelle manière une quantité d’énergie se répartira sur les molécules et les résonateurs. À cet effet, on peut se représenter dans l’espace à dimensions , la couche infiniment mince S, dans laquelle l’énergie totale
est comprise entre et une valeur infiniment voisine . On calculera les trois intégrales
étendues à la couche , et on aura pour l’énergie que prennent les résonateurs et pour celle de l’ensemble des molécules. Par conséquent, si est l’énergie moyenne d’un résonateur, et celle d’une molécule,
Pour calculer l’intégrale , on peut d’abord donner des valeurs fixes aux variables et, par conséquent, à leur somme , et étendre l’intégration par rapport aux à toutes les valeurs positives de ces variables, pour lesquelles la somme est comprise entre et . Cela nous donne
Ensuite on peut calculer l’intégrale
étendue aux valeurs positives des telles que se trouve entre et . Posons
(8) |
sera une fonction qui dépend de la fonction et nous aurons
et se calculent de la même manière; on n’a qu’à introduire sous le signe d’intégration le facteur ou le facteur . En fin de compte, on peut écrire
(9) |
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où le facteur est le même dans les deux cas. Nous n’avons pas à nous en occuper parce qu’il suffit de déterminer le rapport de à .
On obtient maintenant la formule de M. Planck — qui peut être regardée comme l’expression de la réalité — si on fait sur la fonction l’hypothèse suivante, qui est conforme à la théorie des quanta.
Soit la grandeur du quantum d’énergie qui est propre aux résonateurs considérés et désignons par une grandeur infiniment petite[2]. La fonction sera nulle, excepté dans les intervalles
et pour chacun de ces intervalles l’intégrale aura la valeur .
Ces données suffisent pour la détermination de la fonction et du rapport pour lequel on trouve, comme je l’ai déjà dit, la valeur donnée par la théorie de M. Planck. Je ne m’arrêterai pas à ces calculs et je passe immédiatement à la question principale, celle de savoir si les discontinuités que je viens d’indiquer doivent nécessairement être admises.
Je vais reproduire le raisonnement de Poincaré, mais je dirai d’abord que dans les formules que nous rencontrerons, désigne une variable complexe dont la partie réelle est toujours positive. Dans la représentation graphique on se bornera à la moitié du plan caractérisée par et dans les intégrations par rapport à on suivra une ligne droite perpendiculaire à l’axe des réels, et prolongée indéfiniment des deux côtés. Les valeurs des intégrales seront indépendantes de la longueur de la distance de cette ligne à l’origine des .
Poincaré introduit une fonction auxiliaire qu’il définit par l’équation
(11) |
et il démontre que la fonction et la fonction qui en dérive peuvent être exprimées à l’aide de .
On a d’abord, par l’inversion de (11)
(12) |
Pour obtenir une formule analogue pour nous remarquerons que dans l’équation (11) on peut remplacer par une quelconque des variables . En multipliant les équations qu’on obtient ainsi on trouve
ou bien, en vertu de la formule (8)
et par inversion
Les formules (9) et (10) deviennent maintenant
ce qui lui donne
où il a posé
Notons que n’est autre chose que l’énergie moyenne d’un seul résonateur pour le cas où l’on aurait
que est la valeur que prendrait si toute l’énergie disponible se trouvait dans les résonateurs et que est le rapport entre le nombre des molécules et celui des résonateurs.
Lorsque, dans les applications du Calcul des probabilités aux théories moléculaires, on cherche l’état d’un système, qui présente le maximum de probabilité, on trouve toujours que, grâce au nombre immense des molécules, ce maximum est tellement prononcé qu’on peut négliger la probabilité de tous les états qui s’écartent sensiblement de l’état le plus probable. Dans le cas qui nous occupe, il y a quelque chose d’analogue.
Admettons avec Poincaré que, pour des valeurs données de et de , la fonction a un maximum pour , et faisons passer par le point , le lieu du maximum, la ligne dont la distance à l’origine pouvait être choisie à volonté. Comme l’exposant est un nombre très élevé, le maximum de est extrêmement prononcé et les seuls éléments des intégrales que nous ayons à prendre en considération, sont ceux qui se trouvent dans le voisinage immédiat de et de . Cela nous donne immédiatement pour le rapport cherché
et, en vertu de l’équation
(13) |
(14) |
d’où l’on tire
(15) |
et
(16) |
On voit par ces formules que et de dépendent de la grandeur , c’est-à-dire de la quantité totale d’énergie qui a été communiquée au système; c’est un résultat auquel on devait s’attendre. L’équation (16) nous apprend en outre que sera toujours réel. Cette grandeur détermine immédiatement l’énergie moyenne d’une molécule, car il résulte de (14) et de (16) que
Or, nous avons que l’énergie moyenne d’une molécule est proportionnelle à la température absolue . On peut donc écrire
où est une constante connue, et l’équation
(17) |
qu’on tire de (13) et de (15), nous donne l’énergie moyenne d’un résonateur en fonction de la température. On voit que ce résultat est indépendant du rapport entre les nombres et .
Supposons maintenant que nous connaissions pour toutes les températures l’énergie moyenne d’un résonateur. Par (17) nous connaîtrons alors pour toutes les valeurs positives de la dérivée ; nous en déduirons à un facteur constant près. Bien entendu, ces conclusions seront d’abord limitées à des valeurs réelles de , mais la fonction est supposée être telle qu’elle est déterminée dans toute l’étendue du demi-plan dont nous avons parlé, quand elle est donnée en tous les points du demi-axe réel et positif.
Enfin, la formule (12) nous fournira la fonction de probabilité pour une valeur positive quelconque de . Il est vrai que le facteur indéterminé de la fonction se retrouvera en , mais un tel facteur n’a aucune importance.
On peut donc dire que la probabilité est entièrement déterminée dès qu’on connaît la distribution de l’énergie pour toutes les températures. Il n’y a qu’une fonction pour une distribution qui est donnée en fonction de la température. Par conséquent, les hypothèses que nous avons faites sur et qui conduisent à la loi de Planck sont les seules qu’on puisse admettre.
Voilà le raisonnement par lequel Poincaré a établi la nécessité de l’hypothèse des quanta.
On voit que la conclusion dépend de l’hypothèse que la formule de Planck est une image exacte de la réalité. Cela pourrait être tiré en doute, la formule ne pourrait être qu’approchée. C’est pour cette raison que Poincaré reprend le problème en abandonnant la loi de Planck et en se servant seulement de la relation que ce physicien a trouvée entre l’énergie d’un résonateur et celle du rayonnement noir. Ce nouvel examen conduit à la conclusion que l’énergie totale du rayonnement sera infinie à moins que l’intégrale ne tende pas vers zéro avec . La fonction doit donc présenter au moins une discontinuité (pour ), analogue à celles que donne la théorie des quanta[3].
- ↑ Je me conforme ici aux notations de Poincaré et je choisis les unités de longueur et de temps de telle façon que la vitesse de la lumière soit égale à 1.
- ↑ Il s’agit ici de la première théorie de M. Planck, dans laquelle on admet que l’énergie d’un résonateur ne peut avoir qu’une des valeurs etc.
- ↑ Ce résultat avait été trouvé par M. P. Ehrenfest; voir Ann. Physik, t. 36, 1911, p. 91.