Description du royaume Thai ou Siam/Tome 1/Chapitre 9

La mission de Siam (1p. 302-312).


CHAPITRE NEUVIÈME.

FINANCES.



Le roi de Siam tire ses revenus 1o des tributs que lui paient les petits rois soumis à son empire ; 2o des impôts sur les champs, les jardins et les plantations ; 3o des monopoles qu’il a établis ; 4o des douanes et des impôts sur les marchandises ; 5o de la taxe des jonques et des navires européens ; 6o des amendes et des confiscations.

TRIBUTS.

Parmi les petits rois qui dépendent de Siam, les uns, comme les rajah malais, ne sont tenus qu’à offrir tous les trois ans des arbres ou des fleurs d’or et d’argent avec une certaine quantité de poudre d’or ; tous les autres paient chaque année un tribut considérable en ivoire, bois de tek, benjoin, gomme-gutte, laque, cardamome et autres marchandises qui sont pour le roi un objet de commerce important ; car, selon les Indiens, ce n’est pas un déshonneur pour le roi de faire le commerce, et le roi de Siam possède une douzaine de grandes jonques qui vont trafiquer en Chine, sans compter les navires à l’européenne qu’il expédie continuellement à Syngapore ou à l’île de Java.

IMPÔTS

L’impôt sur les champs est fixé à un tical par arpent ; il se paie au moment de la récolte du riz. Alors, le roi envoie des officiers qui, très-souvent, ne perçoivent pas l’impôt en argent, mais obligent les laboureurs à le payer en nature et à un prix qu’ils fixent eux-mêmes, toujours plus bas que le prix courant. Toutes les fois qu’un nouveau roi monte sur le trône, on fait un nouveau cadastre des jardins ; on compte tous les arbres fruitiers de chaque espèce, et on règle l’impôt d’après le nombre et la qualité des arbres. Chaque durion paie un tical ; le manguier, le mangoustan, le jacca, etc., paient un salung ; une touffe de bambous, un fùang, et ainsi des autres arbres à proportion de la valeur des différents fruits. L’impôt une fois fixé, on paie tous les ans la même somme, sans avoir égard aux mauvaises années ni au dépérissement des arbres ; mais aussi le propriétaire est libre de planter de nouveaux arbres autant qu’il voudra, sans que l’impôt subisse d’augmentation. Les plantations de cannes à sucre, de poivre, de tabac, etc., sont sujettes à des impôts fort onéreux ce qui fait que souvent le maître abandonne sa plantation, faute de pouvoir continuer avec profit.

MONOPOLES.

On raconte qu’il y a une quarantaine d’années, le monopole était inconnu à Siam. Un ambassadeur anglais ayant fait entendre au roi qu’il était indigne de Sa Majesté de faire le commerce et qu’il valait mieux se créer des revenus fixes en donnant à ses sujets le monopole de certaines marchandises, son avis fut très-goûté du monarque, qui le mit de suite à exécution. Il établit donc le monopole sur l’arak, puis sur le tabac, ensuite sur les jeux, l’huile, les torches, les feuilles de palmier pour la toiture des maisons, le charbon, le bois à brûler, le kapi, le marché, la pêche, l’extraction des mines, etc., etc. Depuis lors, les monopoles n’ont fait qu’accroître tous les ans. Les Siamois et les Chinois se sont disputé quelque temps la possession de ces monopoles en les mettant à l’enchère ; mais les Chinois ont fini par l’emporter et en sont restés les maîtres. On ne peut s’imaginer combien d’abus, que de maux et d’oppression en résultent pour le pauvre peuple, vu les pouvoirs sans bornes que le roi accorde aux monopoleurs. Prenons, pour exemple, la fabrication de l’arak : si quelqu’un distille un peu d’arak de contrebande, et qu’on aille l’accuser aux Chinois, ceux-ci viennent en foule faire irruption chez le délinquant, enchaînent impitoyablement hommes, femmes et enfants, confisquent le mobilier, la maison, le jardin, et, non contents de cela, ils exercent les mêmes ravages dans les maisons voisines ; de sorte que d’un seul coup ils font esclaves trois ou quatre familles entières, au lieu de s’attaquer au seul coupable. Ils trouvent moyen d’extorquer de l’argent et d’opprimer le pauvre peuple en obligeant de payer très-souvent le double de ce qu’ils auraient le droit d’exiger. Établis dans leurs bureaux aux embouchures et confluents des rivières, ils frappent la cymbale gonggong, appellent impérieusement toutes les barques dont ils visitent tous les coins et recoins, et s’ils découvrent la plus petite fraude, ils confisquent tout ou rançonnent impitoyablement.

DOUANES.

À Siam, les douanes sont de petits édifices carrés dont le toit, aussi carré, se termine en pointe. C’est dans cette espèce de salle, ouverte de tous côtés, que sont assis une dizaine de douaniers appelant par le son de la cymbale toutes les barques qui montent ou descendent. Leur chef se tient ordinairement dans une maison voisine. Quand une barque est venue, s’amarrer au pont, deux ou trois douaniers vont en faire la visite, après quoi ils prennent sans façon quelque chose qui leur plaît, en paiement de la peine qu’ils ont prise, ce qui n’est pas très-étonnant quand on sait que ces pauvres diables ne sont pas payés par le gouvernement et n’ont pour vivre que ce qu’ils peuvent attraper. D’autres fois le maître de la barque, s’il veut passer quelques marchandises sans payer, leur glisse quelques pièces de monnaie avant la visite et on le laisse passer sans autre formalité. Si quelque barque cherche à esquiver la douane et ne s’y rend Pas au son de la cymbale, les employés la laissent aller un peu plus loin ; mais bientôt ils se jettent dans une nacelle et vont à la poursuite à force de rames ; malheur à cette pauvre barque, le maître est mis aux fers et il ne pourra se tirer de leurs-mains qu’en payant une grosse somme. Les mandarins et en général ceux qui montent des barques élégantes, ne sont point appelés aux douanes, parce qu’ils ne sont pas censés faire le commerce. Il y a une infinité de marchandises qui paient le droit de douane ; mais ordinairement le paiement se fait dans la capitale à un mandarin qui délivre un passeport et une quittance qu’il suffit de présenter au chef de la douane.

TAXE DES JONQUES ET DES NAVIRES EUROPÉENS.

Les barques à voiles et qui peuvent tenir la mer sont taxées de huit à quarante ticaux ; les petites jonques de quarante à soixante ticaux, et les grandes jonques de quatre-vingts à deux cents ticaux. Mais toutes ces jonques doivent, en outre, payer le droit de douane qui affecte les diverses marchandises dont elles sont chargées. Il n’en est pas ainsi des navires européens ni de ceux des Arabes qui portent le pavillon anglais : on mesure leur largeur ou capacité et ils paient mille ticaux par toise de largeur, de sorte qu’un navire d’une largeur de huit toises est taxé à huit mille ticaux, de quelque genre que soient les marchandises dont il est chargé.

Autrefois la taxe était de mille piastres ou dix-sept cents ticaux par toise, d’où il arrivait qu’aucun navire européen ne pouvait faire un commerce avantageux avec Siam ; du reste, le gouvernement le faisait exprès pour empêcher les Européens, et surtout les Anglais, de venir commercer à Siam. Mais, depuis quatre ans, le nouveau roi a réduit la taxe, dans l’intention de renouer des relations commerciales avec les Européens. La taxe dont je viens de parler semble encore très-élevée ; mais quand on considère qu’il n’y a plus rien à payer de tous les impôts sur les marchandises, il est évident que cette taxe, tout élevée qu’elle paraisse, est très-raisonnable et même avantageuse.

AMENDES ET CONFISCATIONS.

Les amendes et les confiscations sont une autre source de revenus pour le trésor. Les procès, à Siam, sont nombreux et presque interminables, et, d’après leur code de lois, au moins la moitié des amendes infligées doit être versée au trésor. Quant aux confiscations, elles sont assez rares, mais très-considérables, car, ordinairement, on confisque, non pas une seule maison, mais bien les maisons et la fortune de toute une grande famille.

Pour donner une idée des revenus de Siam, je vais faire le tableau des impôts, monopoles et taxes diverses.

IMPÔTS PERÇUS SUR LES ARTICLES SUIVANTS :

 
Ticaux    
Rizières 
 2,000,000
Jardins 
 5,545,000
Plantations 
 500,000
Bois de tek 
 80,000
Bois de sapan 
 200,000
Huile de noix de coco 
 500,000

Sucre 
 280,000
Sucre de palmier 
 10,000
Riz exporté 
 100,000
Sel 
 80,000
Poivre 
 400,000
Cardamome 
 10,000
Cardamome bâtard 
 20,000
Laque 
 13,000
Étain 
 60,000
Fer 
 60,000
Ivoire 
 45,000
Gomme-gutte 
 4,000
Cornes de rhinocéros 
 2,000
Cornes de cerf 
 4,000
Cornes de buffle 
 500
Peaux de buffles ou de vaches 
 2,600
Benjoin 
 4,000
Nids d’oiseaux ou hirondelles de mer 
 100,000
Poisson sec 
 30,000
Crevettes sèches 
 6,000
Balachang ou kapi 
 10,000
Huile de bois 
 8,000
Résine 
 7,000
Bois rose 
 40,000
Torches ou damar 
 20,000
Rotins 
 12,000
Écorces pour tanner 
 10,000
Colonnes de bois 
 9,000
Bambous 
 90,000
Feuilles de palmier pour toiture 
 18,000
Bois à brûler 
 45,000
Monopole de l’opium 
 400,000
Arak 
 500,000
Ferme des jeux 
 800,000
Ferme de la pêche 
 70,000
Ferme du marché 
 100,000

Boutiques flottantes 
 150,000 fr.
Monopole du tabac 
 200,000 fr.
Bois d’aigle 
 45,000 fr.
Œufs de tortue 
 6,000 fr.
Douanes 
 300,000 fr.
Exemption de corvées et clients 
 12,000,000 fr.
Capitation ou taxe des Chinois 
 2,000,000 fr.
Taxe des navires européens ou arabes 
 80,000 fr.
Produit des mines d’or de Bang-Taphan 
 10,000 fr.
Impôt sur les femmes publiques 
 50,000 fr.
Revenus du tribunal royal et de l’administration de la justice 
 15,000 fr.
Revenus des provinces du nord 
 50,000 fr.
Revenus des provinces du midi 
 40,000 fr.
Loterie 
 200,000 fr.



Il y a plusieurs mandarins qui, chacun dans son département, sont chargés de recueillir les taxes et les impôts. À certaines époques, ils livrent les sommes recueillies entre les mains d’un chef des pages, appelé phra-xajot, lequel les offre au roi, les inscrit au registre, et les dépose dans le trésor. Tous les revenus du royaume sont donc remis au roi, mais aussi toutes les dépenses publiques sont à sa charge ; il tire du trésor royal la solde des princes, des mandarins, de la reine et des dames du palais, des soldats, et même des talapoins ; mais il faut remarquer qu’il ne paie que les talapoins des pagodes royales, dont le nombre est d’environ huit mille. C’est aussi le trésor royal qui fournit toutes les dépenses nécessaires pour les armes, les habillements militaires, la construction et l’entretien des barques et des navires de guerre, pour creuser des canaux, bâtir des forteresses et, en général, pour tous les travaux publics, tant dans la capitale que dans les provinces.



Ruche entourée d’abeilles
Ruche entourée d’abeilles