Description de l’Égypte (2nde édition)/Tome 1/Environs d’Erment
ENVIRONS d’HERMENT.
Sur les restes de l’ancienne ville de Tuphium.
Nous nous embarquâmes le 22 septembre 1799 à
Esné, qui fut autrefois Latopolis, pour descendre vers
Thèbes : nous partîmes au coucher du soleil, et nous
fîmes route pendant toute la nuit, en nous laissant dériver
au cours du fleuve. Le 23 septembre au matin, nous
nous trouvâmes à la hauteur de Toud ou Tôd, village
situé du côté arabique, en face d’Erment, l’ancienne
Hermonthis, qui se trouve sur la rive gauche. D’Anville,
d’après le P. Sicard, indique Tôd comme ayant succédé
à l’ancienne Tuphium. Nous voulûmes vérifier s’il y
existait encore des traces d’une ancienne ville : nous
descendîmes à terre à la pointe du jour, et nous nous
dirigeâmes vers Tôd, malgré la répugnance des gens
du pays. Ils imaginaient mille prétextes pour nous détourner
d’y aller ; ils protestaient que nous n’y trouverions
rien et nous conseillaient d’aller à Louqsor, l’un
des villages bâtis sur les ruines de Thèbes. Des pierres
chargées d’hiéroglyphes, que nous trouvâmes dès l’entrée
de Tôd, nous prouvèrent qu’il n’y avait aucune
sincérité dans ces protestations. Les habitans, qui n’avaient pas encore vu les Français chez eux, étaient
alarmés de notre présence, et refusaient de répondre à
nos questions. Nous parvînmes pourtant aux ruines d’un
temple : elles sont si fort enfouies, que les huttes de
terre qui composent le village en dérobent la vue ; il n’y
a plus au-dessus du sol que deux petites chambres[1]. Les
paremens intérieurs et extérieurs des murs sont couverts
de bas-reliefs égyptiens et de caractères hiéroglyphiques.
J’y ai remarqué deux crocodiles, dont l’un est représenté
avec une tête d’épervier. La figure du crocodile environné
d’hommages est très-fréquente dans les monumens
au-dessus de Thèbes ; je ne l’ai pas vue au-dessous de
Tuphium. Cette remarque confirme l’opinion historique
qui place dans la Thébaïde le siège principal du culte
rendu à ce lézard.
Cependant l’innocence de nos occupations, la douceur de nos procédés, et quelques libéralités, avaient ramené la confiance des habitans ; ils nous offrirent un déjeuner de lait caillé, nous conduisirent eux-mêmes à leur mosquée, et nous invitèrent à y entrer : c’est un édifice extrêmement simple, dont l’intérieur, comme celui de la plupart des mosquées que nous avons vues en Égypte, ressemble beaucoup à un cloître. Les colonnes qui en forment le pourtour sont grêles et mal arrondies ; les chapiteaux sont dans le style arabe et d’un travail grossier : quelques colonnes ont un chapiteau en place de piédestal. Cette barbarie contraste d’une manière frappante avec les restes égyptiens que nous venions d’examiner, et dont le travail est parfait. Les colonnes la mosquée sont de grès tendre, à l’exception de huit qui sont en granit. Une de celles-ci attira notre attention d’une manière particulière ; elle a été faite avec un fragment d’obélisque dont on a imparfaitement arrondi les angles pour lui donner une forme correspondante à sa nouvelle destination ; mais son ancien état est facile à reconnaître ; les hiéroglyphes dont l’obélisque était chargé subsistent encore sur toute la longueur de la colonne. Ce fragment témoigne que la ville de Tuphium a été autrefois ornée d’obélisques ; ce qui semblerait annoncer qu’elle a eu quelque importance.
Après avoir satisfait notre curiosité sur les restes de Tuphium, nous nous remîmes en route pour Thèbes, où nous arrivâmes en deux heures de navigation. Dans le trajet, nous eûmes occasion de voir un crocodile vivant : il s’était placé sur le rivage dans une position abritée, comme pour se réchauffer aux rayons du soleil ; il paraissait endormi. On lui tira un coup de fusil, au bruit duquel il se précipita dans l’eau avec une vivacité extraordinaire. Autant que nous en pûmes juger, il avait plus de trois mètres de long.
Tôd ou Tuphium est à quatre kilomètres au sud du Nil, qui, dans cet endroit, coule de l’ouest à l’est. On trouve sur la route le village de Sâlemyeh.
L. Costaz.
- ↑ Voyez, pl. 97, le plan de ces ruines.