Des principes de l’économie politique et de l’impôt/Chapitre 10
Œuvres complètes de David Ricardo, Guillaumin, (p. 141-143).
CHAPITRE X.
DES IMPÔTS SUR LES RENTES.
Un impôt sur la rente n’affecterait que la rente, et retomberait entièrement sur les propriétaires fonciers, sans pouvoir être rejeté sur aucune classe de consommateurs. Le propriétaire foncier ne pourrait pas augmenter le prix de sa rente ; car il ne saurait changer la différence qui existe entre le produit obtenu sur les terrains les moins productifs, et celui que l’on retire de tous les autres terrains. Des terres de trois sortes, nos 1, 2 et 3, sont en culture, et par une quantité égale de travail, elles rendent respectivement cent quatre-vingts, cent soixante-dix et cent soixante quarters de blé ; mais le no 3 ne paie pas de rente, et n’est par conséquent pas imposé ; la rente du no 2 ne peut donc pas excéder la valeur de dix quarters, ni celle du no 1 la valeur de vingt. Un pareil impôt ne saurait faire hausser le prix des produits de l’agriculture ; car le cultivateur du no 3, qui ne paie ni rente ni impôt, n’a aucun moyen d’élever le prix de ses denrées. Un impôt sur les rentes ne découragerait pas la culture de nouveaux terrains, parce que ces terrains, ne payant pas de rente, ne seraient point imposés. Si on venait à livrer à la culture le no 4, et que ce terrain produisît cent cinquante quarters de blé, il ne paierait pas d’impôts, mais il créerait une rente de dix quarters de blé pour le no 3, qui commencerait dès lors à payer l’impôt.
Un impôt sur les rentes, avec la constitution actuelle de la rente, découragerait la culture des terres ; car ce serait un impôt sur les profits du propriétaire foncier. Le mot rente, ainsi que je l’ai déjà observé, s’applique à la valeur de tout ce que le fermier paie à son propriétaire, quoiqu’il n’y ait qu’une partie qui soit strictement la rente ou le profit du fonds de terre. Les bâtiments et autres constructions, ainsi que tous les déboursés du propriétaire constituent strictement une partie du capital de la ferme, et le fermier serait obligé d’en faire les frais, si le propriétaire ne les avait déjà faits pour lui. La rente est ce que le fermier paie au propriétaire foncier pour l’usage de la terre et pour cet usage seul. Ce qu’il paie de plus sous le nom de rente ou de loyer, il le donne pour la jouissance des bâtiments, etc. ; et ce sont là les profits du capital du propriétaire, et non les profits de la terre.
En imposant les rentes, comme il ne serait fait aucune distinction entre la somme payée pour l’usage de la terre, et celle qui est payée pour l’usage du capital du propriétaire, une partie de l’impôt retomberait sur les profits du propriétaire, — ce qui découragerait nécessairement la culture, à moins que le prix des produits agricoles ne s’élevât.
Sur la terre qui ne paierait point de rente, il pourrait être accordé au propriétaire une rétribution, sous le nom de rente, et à titre de loyer de ses bâtiments.
Ces bâtiments ne sauraient être construits, et la terre cultivée, à moins que le prix des produits bruts du sol ne fût suffisant, non-seulement pour couvrir tous les déboursés, mais encore pour payer la charge additionnelle de l’impôt. Cette partie de l’impôt ne tombe ni sur le propriétaire, ni sur le fermier ; elle ne frappe que le consommateur.
Il est très-probable que si l’on imposait les rentes, les propriétaires fonciers trouveraient bientôt le moyen de ne pas confondre ce qui leur est payé pour l’usage de la terre, avec ce qu’ils reçoivent pour l’usage des bâtiments, et pour les bonifications faites au moyen de leur capital.
On appellerait cette seconde rétribution, loyer de la maison et des bâtiments, ou bien, dans des terres nouvellement défrichées, ce serait le fermier et non le propriétaire qui construirait les bâtiments, et qui ferait les bonifications à ses propres frais. Le capital du propriétaire pourrait bien être en effet employé à ces objets ; le fermier pourrait ne le dépenser que nominalement, le propriétaire le lui avançant sous la forme d’un prêt, ou en achetant une annuité pendant le temps que durerait le bail. Qu’on distingue ou non ces deux sortes de rétributions payées par le fermier pour ces deux objets au propriétaire, il est certain qu’il existe une différence bien réelle entre la nature de l’une et de l’autre ; et il est indubitable qu’un impôt sur le loyer de la terre tombe entièrement sur le propriétaire ; mais un impôt sur la rétribution que le propriétaire reçoit pour l’usage de son capital dépensé sur la ferme, ne frappe que le consommateur des produits du sol.
Si l’on mettait un impôt sur les fermages sans qu’on prît quelque moyen de distinguer la rétribution payée actuellement par le fermier au propriétaire sous le nom de fermage réel et en loyer du capital, un pareil impôt, en tant qu’il porterait sur le loyer des bâtiments et autres constructions, ne frapperait pas pendant longtemps le propriétaire, et retomberait sur le consommateur. Les fonds dépensés à ces constructions doivent rendre les profits ordinaires des capitaux engagés. Or, ils cesseraient de rapporter ces profits sur les terrains cultivés les derniers, dans le cas où les frais de construction de ces bâtiments ne seraient pas supportés par le fermier ; et si le fermier en faisait les frais, il cesserait de retirer les profits ordinaires de son capital, s’il ne parvenait pas à se faire rembourser sa dépense par le consommateur.