Des femmes en chemise
Ces femmes en chemise ne sont pas des voluptueuses dont la chair frissonne et palpite et qui surgiront toutes nues, au caprice de l’amant, dans une apothéose de Joie.
Elles sont plutôt les damnées de l’enfer parisien, les expulsées du Paradis perdu, les maudites jetées hors l’Éden par un ange implacable et mauvais.
Certes, elles sont désirables et jolies, mais leur beauté est un piège. Elles connaissent la science redoutable d’ensorceler le mâle et de l’affoler : mais ce n’est pas son cœur qu’elles veulent manger.
Leur appétit s’apaise, à croquer les fortunes. Elles accomplissent, inconsciemment, leur œuvre sociale, elles rançonnent le bourgeois, elles vident sa bourse, elles vident ses moelles…
Chères petites araignées, qu’ils vous tombent tous entre les pattes ! Soyez féroces, impitoyables ; épuisez les jeunes, achevez les vieux ! Que la race immonde par vous soit anémiée, pourrie, désagrégée.
J’ai voulu simplement indiquer, à ceux qui ne voient pas, l’Idée cependant manifeste qui s’affirme en ces pages très rosses du cher ami Couturier.
Sa rosserie ne s’indigne pas contre les roueries et la froide férocité des femmes en chemise. Elle s’amuse plutôt à piquer la niaiserie, la vanité, le vicieux dévergondage du Muffle bourgeois et hypocrite, si correct hors l’alcôve, mais ignoble sitôt la porte close et les tentures baissées.
Ces pages sont une synthèse de la vie demi-mondaine. La femme en chemise se meut entre l’amant sérieux et l’amant de cœur, l’un et l’autre aussi laids, aussi repoussants. Elle exècre le michet, elle aime le « petit homme » elle croit l’aimer plutôt, car, à force de simuler l’amour, elle est devenue impuissante, elle aussi, comme le vieux.
Ces pages d’album, rassemblées un peu au hasard, forment une œuvre de très curieux impressionnisme, le premier livre, je crois, de Couturier qui est un de nos plus jeunes, mais en même temps un de nos plus admirables dessinateurs. Élève de Forain, je suis certain qu’il sera supérieur au Maître. Ses premiers essais ne permettent-ils pas de formuler cet espoir ?
PROPOSITIONS
— M’entretenir à un louis par jour et t’être fidèle… Mon homme me coûte plus cher que ça et n’est pas si exigeant.
CŒURS D’OR
— Vilain laid chéri qui me cache ses embarras d’argent.
MAISON MODERNE
— Si t’as quelque chose à dire à ta femme… j’ai le téléphone.
L’AMOUR !
— Ah ! ya, ya !… Si je n’avais pas mon terme à payer, ce que je les enverrais dinguer !
LEURS MÈRES
— Mais laisse donc tes cors tranquilles… puisque maman va venir te les couper.
FILIALE DÉLICATESSE
— Viens-tu au Casino, la gosse… c’est bon, c’est de l’Étranger.
— J’peux pas… ma mère y a sa table, elle croirait que je lui jette de la grille !
DAMES DE MONTMARTRE
— Il s’est remis au travail parce que je n’voulais plus l’engraisser…
— Chœur : Ah ! l’feignant !
GIZÈLE DU MANOIR
— Je n’y suis que pour l’artiste peintre… y va me photographier à l’huile.
CRÈVE CŒUR
— Si je t’avais pas… je serais dans mes meubles.
QUARTIER MARBŒUF
— Ces bottines-là, ma fille, c’est de la camelotte. J’en ai assez piqué pour le savoir…
LEUR BAIN QUOTIDIEN
DIPLOMATIE
— M. le baron attend toujours.
— M’en fiche. Fais entrer le journaliste : Honneur à l’interview !
LES FEMMES PEINTRES
— C’est égal, ce qu’ils doivent vous dire des cochonneries, vos sales peintres barbus pendant vos repos.
À L’OPÉRA
— T’as voulu t’habiller trop tôt… Le v’la seulement qu’arrive.
P’TIT HOMME
— Puisque tu es si gentil aujourd’hui, j’irai voir le vieux.
LE LANGAGE DES FLEURS
— Non, écris-moi poste restante, parce que j’ai foutu sur la gueule à ma concierge et ce chameau-là me garde toutes mes lettres.
GUEULES DE LOUP
— Tu sais notre type chic au tendem… tous les flicks de la Madeleine le saluent, c’est l’quart d’œil du quartier !…
— Merde, j’savais bien avoir vu cette gueule-là quèque part !
Mlle GABRIELLE DU MANOIR
— Ma chère maman… faut mettre un chapeau si tu veux venir me voir.
ASSOCIÉS
— Il est répugnant, je le sais bien, ma pauvre petite… mais il nous sera si utile.
APRÈS LA FÊTE
— Auriez-vous des remords ? Penseriez-vous à votre famille ?
— Oh ! non ! J’pense que ça m’fait joliment suer de retourner demain à mon magasin !
DROIT FILIAL
— Encore une fois, monsieur, je vous défends d’engueuler ma mère. Si elle se saoule, c’est moi qu’ ça r’garde ! Vous entendez !
DÉLICATESSE
— Ça t’ennuie donc que je sache avec qui ta femme te trompe ?