Des délits et des peines (trad. Collin de Plancy)/Note de Brissot de Warville

Traduction par Jacques Collin de Plancy.
Brière (p. 397-402).

NOTE
DE
BRISSOT DE WARVILLE,
SUR LE LIVRE
DES DÉLITS ET DES PEINES.


Le succès du livre des Délits et des Peines a été égal à son mérite ; il est traduit dans presque toutes les langues, et il est devenu le livre de chevet de tous les souverains qui cherchent à réformer les abus dans leur législation.

Beccaria le publia, n’ayant encore que vingt-sept ans. Il parut pour la première fois en italien, en 1764 ; diverses éditions se succédèrent rapidement. Un littérateur français[1], fameux par plusieurs ouvrages sur des matières politiques, se hâta de le faire connaître en France, par une traduction, où il éclaircit beaucoup de passages obscurs. D’autres traductions meilleures encore[2] parurent ensuite ; et le Traité des Délits et des Peines est devenu livre classique.

Il n’a pas cependant manqué de critiques amères. C’est le sort de tous les bons ouvrages ; mais la critique est bientôt oubliée, et l’arme de l’envie reste sans force contre le suffrage universel. C’est ce qu’éprouva Beccaria. Un moine publia contre lui un volume d’injures, de folies, de maximes pernicieuses pour les états, et outrageantes pour la Divinité, si les cris d’un insecte misérable pouvaient cependant offenser l’Être-suprême. Ce moine se disait à l’ordinaire le champion de la religion et des rois ; et sous cet abri respectable, il avait la hardiesse d’imprimer « qu’un code de lois, devenu public, et connu de tout le monde, autoriserait à mal faire, et rendrait les délits plus fréquens ; que la crainte était le soutien des monarchies ; que l’homme était méchant par nature, le devenait plus encore quand il était en liberté, et qu’il fallait l’enchaîner. » Il prêchait « que les délations étaient un bon ressort de législation, et qu’un tribunal chargé de les recevoir, et condamnant un innocent sur ces simples délations, était un chef-d’œuvre de politique. » On frémit en lisant, en copiant de pareilles horreurs. Vous les trouverez dans la diatribe de ce moine, qui a pour titre : Notes et observations sur le Traité dus Délits et des Peines. Beccaria voulut prendre la peine d’écraser cette chenille : il y réussit. Cette critique est depuis long-temps oubliée.

Un jurisconsulte français, occupé depuis longtemps d’ouvrages sur les matières criminelles, prit aussi la plume pour réfuter le philosophe italien. Ce combat devait être bien inégal. Le criminaliste ne se présentait qu’avec le cortége plus ennuyeux qu’imposant des Farinacius, des Clarus, et de la foule des ordonnances qu’on ne lit plus, qu’on ne suit plus. Son adversaire, mettant de côté les citations, n’avait pour lui que la raison et l’humanité ; mais c’étaient deux voix bien puissantes dans un siècle philosophique. Le public, depuis quelque temps, commençait à les écouter, et à n’écouter qu’elles. Beccaria leur laissa le soin de sa vengeance : il vit paraître et s’éteindre, sans beaucoup de bruit, la critique du jurisconsulte français. J’ai eu le courage de la relire, l’auteur ayant eu le courage de la réimprimer. J’y ai vu Beccaria traité d’illuminé, d’écrivain dangereux, sans principes ; j’y ai vu nos lois pénales traitées de chefs-d’œuvre en législation. Le bon criminaliste français, dans son enthousiasme pour son idole, fait l’apologie de la torture, des indices, de nos affreux supplices ; il se plaindrait presque que la justice n’est pas encore assez cruelle ; il fait des vœux sincères pour qu’on écrase la philosophie, pour qu’on éteigne le flambeau de l’humanité, et annonce à tout l’univers qu’il sera corrompu, malheureux, tant qu’il écoutera leurs voix séduisantes ; que la législation ne peut se perfectionner, se simplifier, qu’en ramassant, lisant et méditant les milliers de volumes publiés par les Romains, les Grecs, et sur-tout par les jurisconsultes français, du nombre desquels il est.

Votre règne n’est plus de ce monde, pourrais-je dire à l’intrépide défenseur de la question ; vous voyez que l’empire des erreurs, de ces erreurs si utiles à quelques particuliers, si funestes au public, vous voyez qu’il se détruit ; l’illusion s’évanouit, et fait place à la vérité : vous en êtes furieux, et dans votre douleur, vous blasphémez contre les apôtres du bien public ; c’est l’arme unique qui vous reste, et cette arme impuissante ne retardera pas, j’ose le prédire, le progrès des lumières.

Et en effet, le Traité des Délits et des Peines a frappé les esprits si vivement, qu’on a vu éclore en très-peu de temps une foule de discours, de mémoires, de dissertations sur cette matière si intéressante. Un seul homme, au milieu de ce concours de philosophes, a osé s’élever contre Beccaria, lui ravir la gloire qu’il méritait, et attaquer le succès de l’ouvrage : on voit que je veux parler de l’auteur des Annales[3], et c’est un triomphe de plus pour l’écrivain italien.

FIN DE LA NOTE SUR LE LIVRE DES DÉLITS ET DES PEINES.
  1. L’abbé Morellet.
  2. Nous ne les connaissons pas.
  3. Linguet. Voyez la Notice sur Beccaria.