Des délits et des peines (trad. Collin de Plancy)/Des délits et des peines/Chapitre XXV

Traduction par Jacques Collin de Plancy.
Brière (p. 180-182).

CHAPITRE XXV.

DIVISION DES DÉLITS.


Il y a des crimes qui tendent directement à la destruction de la société ou de ceux qui la représentent. D’autres attaquent le citoyen dans sa vie, dans ses biens ou dans son honneur. D’autres enfin sont des actions contraires à ce que la loi prescrit ou défend, dans la vue du bien public.

Toute action qui n’est pas comprise dans l’une de ces classes, ne peut être regardée comme un crime, ni punie comme tel, que par ceux qui y trouvent leur intérêt particulier.

C’est pour n’avoir pas su poser ces limites, qu’on voit dans toutes les nations les lois en opposition avec la morale, et souvent en opposition avec elles-mêmes. L’homme de bien est exposé aux peines les plus sévères. Les mots de vice et de vertu ne sont que des sons vagues. L’existence du citoyen est entourée d’incertitude ; et les corps politiques tombent dans une léthargie funeste, qui les conduit insensiblement à leur ruine.

Chaque citoyen peut faire tout ce qui n’est pas contraire aux lois, sans craindre d’autres inconvéniens que ceux qui peuvent résulter de son action en elle-même. Ce dogme politique devrait être gravé dans l’esprit des peuples, proclamé par les magistrats suprêmes, et protégé par les lois. Sans ce dogme sacré, toute société légitime ne peut subsister long-temps, parce que c’est la juste récompense du sacrifice que les hommes ont fait de leur indépendance et de leur liberté.

C’est cette opinion qui fait les âmes fortes et généreuses, qui élève l’esprit, qui inspire aux hommes une vertu supérieure à la crainte, et leur fait mépriser cette misérable souplesse qui approuve tout, et qui est la seule vertu des hommes assez faibles pour supporter constamment une existence précaire et incertaine.

Que l’on parcoure d’un œil philosophique les lois et l’histoire des nations, on verra presque toujours les noms de vice et de vertu, de bon et de mauvais citoyen, changer de valeur selon les temps et les circonstances. Mais ce ne sont point les réformes opérées dans l’état ou dans les affaires publiques qui causeront cette révolution des idées ; elle sera la suite des erreurs et des intérêts passagers des différens législateurs.

Souvent on verra les passions d’un siècle servir de base à la morale des siècles suivans, et former toute la politique de ceux qui président aux lois. Mais les passions fortes, filles du fanatisme et de l’enthousiasme obligent peu à peu, à force d’excès, le législateur à la prudence, et peuvent devenir un instrument utile entre les mains de l’adresse ou du pouvoir, lorsque le temps les a affaiblies.

C’est par l’affaiblissement des passions fortes, que sont nées parmi les hommes les notions obscures d’honneur et de vertu ; et cette obscurité subsistera toujours, parce que les idées changent avec le temps, qui laisse survivre les noms aux choses, et qu’elles varient selon les lieux et les climats ; car la morale est soumise, comme les empires, à des bornes géographiques.