Des délits et des peines (trad. Collin de Plancy)/Des délits et des peines/Chapitre XVIII

Traduction par Jacques Collin de Plancy.
Brière (p. 145-147).

CHAPITRE XVIII.

DE L’INFAMIE[1].


Linfamie est une marque de l’improbation publique, qui prive le coupable de la considération, de la confiance que la société avait en lui, et de cette sorte de fraternité qui unit les citoyens d’une même nation.

Comme les effets de l’infamie ne dépendent pas absolument des lois, il faut que la honte que la loi inflige soit basée sur la morale, ou sur l’opinion publique. Si l’on essayait de flétrir d’infamie une action que l’opinion ne jugerait pas infâme, la loi cesserait d’être respectée ; ou bien les idées reçues de probité et de morale s’évanouiraient, malgré toutes les déclamations des moralistes, toujours impuissans contre la force de l’exemple.

Déclarer infâmes des actions indifférentes en elles-mêmes, c’est diminuer l’infamie de celles qui méritent effectivement d’en être notées.

Il faut bien se garder de punir de peines corporelles et douloureuses certains délits fondés sur l’orgueil, et qui se font gloire des châtimens. Tel est le fanatisme, que l’on ne peut comprimer que par le ridicule et la honte.

Si l’on humilie l’orgueilleuse vanité des fanatiques, devant une grande foule de spectateurs, on doit attendre d’heureux effets de cette peine, puisque la vérité même a besoin des plus grands efforts pour se défendre, lorsqu’elle est attaquée par l’arme du ridicule.

En opposant ainsi la force à la force et l’opinion à l’opinion, un législateur éclairé dissipe dans l’esprit du peuple l’admiration que lui cause un faux principe dont on lui a caché l’absurdité par des raisonnemens spécieux.

Les peines infamantes doivent être rares, parce que l’emploi trop fréquent du pouvoir de l’opinion affaiblit la force de l’opinion même. L’infamie ne doit pas tomber non plus sur un grand nombre de personnes à la fois, parce que l’infamie d’un grand nombre n’est bientôt plus l’infamie de personne.

Tels sont les moyens de ménager les rapports invariables des choses, et d’être d’accord avec la nature, qui, toujours active et jamais bornée par les limites du temps, détruit et renverse toutes les lois qui s’écartent d’elle. Ce n’est pas seulement dans les beaux-arts qu’il faut suivre fidèlement la nature : les institutions politiques, du moins celles qui ont un caractère de sagesse et des élémens de durée, sont fondées sur la nature ; et la vraie politique n’est autre chose que l’art de diriger au même but d’utilité les sentimens immuables de l’homme.


  1. Je désirerais que l’auteur eût fait sentir l’imprudence de rendre l’homme infâme, et de le laisser libre. Cette méthode absurde peuple nos forêts d’assassins (Note de Diderot.) Il est inutile d’ajouter que toutes ces choses sont un peu changées.